C. FAIRE DES CHOIX D'ACCOMPAGNEMENT INDUSTRIEL, ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Les priorités établies dans le cadre du futur projet de loi quinquennale pour l'énergie et le climat devront être mises en cohérence sur le plan de l'accompagnement des filières industrielles et des clients finaux.

1. Soutenir les filières industrielles
a) Maintenir dans la durée l'effort de l'État, en veillant aux résultats obtenus

La mission d'information considère qu'en dépit des contraintes budgétaires évoquées précédemment, les priorités arrêtées dans le cadre du prochain projet de loi de programmation pour l'énergie et le climat devront faire l'objet d'un accompagnement fort.

Pour contrer l'Inflation Reduction Act (IRA), par lequel les États-Unis subventionnent massivement les projets liés à la transition énergétique, la France et l'Union européenne doivent adapter leur cadre d'intervention, afin de passer du stade de la R&D à celui de l'industrialisation.

D'une part, les aides doivent être lisibles. Face à la multiplicité des opérateurs et des stratégies, il faut offrir aux porteurs de projets des appels d'offres dédiés, précisant l'objectif poursuivi et le montant mobilisable ainsi qu'un référent unique, rassemblant l'ensemble des services de l'État et de ses établissements, et des pratiques harmonisées.

D'autre part, les aides doivent être neutres. Pour favoriser l'innovation, il est préférable que l'État fixe une obligation de résultat en laissant les porteurs de projets libres des moyens. L'enjeu est, de la sorte, de garantir une neutralité technologique, en préférant des critères reposant sur le contenu carbone plutôt qu'une prescription technologique. Enfin, les aides doivent être adaptées.

Au-delà des mandats d'incorporation (pratiqués en Europe), qui soutiennent la demande, des incitations doivent être promues (comme aux États-Unis), pour soutenir l'offre. Le montant de ces aides doit être suffisant, à même de couvrir les coûts, et leur nature diverse, en investissement (Capex) ou en fonctionnement (Opex).

Le constat vaut pour les biocarburants comme pour les carburants de synthèse ou l'hydrogène vert, ainsi que l'a souligné le CEA : « Concernant les aides nationales ou européennes, le point de vue du CEA est qu'elles portent le plus souvent sur le CAPEX, alors que des aides à l'OPEX, permettant par exemple de garantir des prix de rachat de l'hydrogène vert ou de e-carburants, sont souvent attendues pour amorcer la filière. Comparativement, l'Inflation Reduction Act (IRA) américain joue à la fois sur le CAPEX et l'OPEX ».

Le soutien à la recherche, qui constitue un atout majeur de la France, doit également être maintenu.

Enfin, il doit veiller à prévoir des dispositifs d'accompagnement des filières en transition, comme celles des raffineries ou de la réparation automobile.

Recommandation :

Soutenir le développement des filières :

- maintenir un soutien élevé à la recherche-développement (R&D) et à l'investissement innovant ;

- mettre en place des aides pour les dépenses d'exploitation (OPEX), permettant par exemple de garantir des prix de rachat de l'hydrogène vert ou de e-carburants, afin d'amorcer les marchés ;

- prévoir des dispositifs d'accompagnement des filières en transition.

b) Répondre à l'enjeu de formation

L'adaptation des métiers et des compétences doit constituer un axe fort en tant que tel.

La filière, émergente, de l'hydrogène est tout spécialement concernée : dans la Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France de 2020267(*), le Gouvernement a identifié le potentiel de la filière entre 50 000 et 150 000 emplois au total. De son côté, la DGEC a évalué les emplois directs à un nombre compris entre 10 000 et 50 000 et les emplois indirects à un nombre pouvant aller jusqu'à 150 000.

Selon France Hydrogène, jusqu'à 84 métiers, dont 49 sont accessibles après un bac+ 5 et 17 sont d'ores et déjà en tension, alors qu'ils sont nécessaires.

Dans ce contexte, EDF a indiqué que « comme les autres filières de la transition énergétique, la filière hydrogène va faire face à des besoins importants en savoir-faire et compétences pour la maîtrise, la maintenance et la sécurité des technologies » et TotalEnergies a relevé que « s'agissant des compétences, la production d'électrolyseurs est un savoir-faire compliqué qui nécessitera du temps avant un passage à l'échelle industrielle. Actuellement, seules trois grandes entreprises mondiales disposent de ce savoir-faire. »

La mission d'information a constaté, lors d'une visite de l'usine Symbio à Vénissieux, l'intérêt de la démarche de « Symbio Hydrogen Academy », qui dispense des cycles de formation spécifiques à l'hydrogène en partenariat avec plusieurs écoles, industriels et acteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec le soutien de celle-ci. Des démarches de ce type paraissent devoir être soutenues et accompagnées.

Cet enjeu de la formation ne concerne pas que l'hydrogène, mais bien l'ensemble des filières industrielles. Lors de son audition, M. Dominique Lagarde, au titre d'Enedis, avait souligné l'ampleur des besoins de main d'oeuvre dans le secteur des réseaux : « Nous prenons ce sujet à bras le corps avec une école des réseaux électriques. Elle vise, avec l'ensemble de la filière, à recenser les besoins dans la durée et d'y mettre des dispositions pour y répondre. Aujourd'hui, 8 600 personnes sont formées à l'électricité à partir du bac professionnel ou des BTS. Elles alimentent l'ensemble des activités électriques du pays. Les besoins de la filière réseau électrique représentent ce montant. Nous risquons donc de manquer de moyens humains. Nous devons tous travailler ensemble sur ce point ».

Recommandation :

Mettre en place une politique innovante de formation et d'adaptation des métiers pour répondre aux nouveaux besoins des filières.

2. Donner des perspectives claires au secteur des biocarburants
a) Un levier indispensable de décarbonation à court terme

Depuis la guerre lancée par la Fédération de Russie en Ukraine, l'Union européenne a pris conscience de l'urgence de décarboner et de relocaliser son énergie. C'est une nécessité économique existentielle. Il ne faut donc omettre aucun levier d'action, même modeste.

Les biocarburants en sont un, parfois le seul disponible technologiquement ou abordable économiquement. Ils doivent donc être mobilisés, dès lors qu'ils bénéficient effectivement aux agriculteurs et aux consommateurs.

À court terme, les biocarburants demeurent ainsi le premier levier de décarbonation du secteur des transports. Tant que les moteurs thermiques seront en service, ils continueront à être utiles aux véhicules routiers légers. Par ailleurs, de nombreux secteurs268(*), pour lesquels l'électrification n'est pas toujours possible, ont fait part de leur intérêt pour les biocarburants ou le bio-GNV, qu'ils s'agissent de modes de transport (aérien, ferré, maritime, fluvial, routier lourd ou collectif, fluvial) ou d'engins plus spécifiques (engins agricoles, travaux publics).

La DGITM a rappelé leur large utilisation pour les transports : « Les biocarburants sont utilisés dans l'ensemble des carburants liquides présents dans les transports terrestres lorsqu'ils ne sont pas électrifiés : véhicules légers, transports collectifs de voyageurs, véhicules lourds, trains (non électrifiés consommant du gazole, bateaux fluviaux [...] L'utilisation de biocarburants / carburants de synthèse sera précieuse pour le transport routier ».

Il en est de même de la DGEC : « À court terme, tant que les moteurs thermiques sont encore en service, les biocarburants conventionnels et avancés liquides sont une solution de décarbonation incontournable. Certains biocarburants conventionnels ou avancés peuvent être utilisés sous forme de carburants spécifiques dans le cadre de flottes captives professionnelles [...]. Les biocarburants avancés seront également une solution de décarbonation importante pour le secteur aéronautique [...] Dans le maritime, le méthanol de synthèse semble être une solution prometteuse en complément des carburants renouvelables déjà existants [...] Dans le secteur ferroviaire, le diesel pour les lignes non électrifiables pourrait être remplacé. [...] Les biocarburants conserveront un rôle important dans les secteurs où l'électrification ne pourra répondre aux enjeux de la transition énergétique. »

b) Une capacité d'évolution sur le long terme

À long terme, les biocarburants sont en capacité d'évoluer. Les filières du biogazole et du bioéthanol se sont déjà mobilisées pour produire, au-delà des biocarburants conventionnels disponibles à la pompe pour les véhicules particuliers, des carburants fortement incorporés (B100, ED95), issus d'un hydrotraitement à l'hydrogène (HVHTE, HVHTG269(*)) ou encore de synthèse (XTL) réservés à des flottes captives de véhicules professionnels. Elles identifient les secteurs aérien et maritime comme des débouchés potentiels, et investissent dans la production des carburants de synthèse (Fischer-Tropsch, Alcohol-to-Jet). En France, il existe déjà une filière mature, dite « 1 G+ », à même de produire des biocarburants aéronautiques à partir d'huiles végétales ou de graisses animales usagées. Aux côtés des filières du biogazole et du bioéthanol, celle du bio-GNV, si elle n'a pas connu son plein essor, peut être utile pour décarboner certains secteurs (maritime, routier lourd ou collectif) ou développer des carburants de synthèse (Power-to-Gas).

Les acteurs de la filière biogazole ont conscience de la nécessité d'évoluer, ainsi que l'a indiqué EsteriFrance : « En ce qui concerne le biodiesel, une décroissance dans le secteur routier s'annonce, mais notre filière reste apte à contribuer à la décarbonation dans les années qui viennent. [...] Les biocarburants de type EMAG, issus d'huiles végétales, de graisses animales ou d'huiles usagées sont aujourd'hui des filières bien développées et donc aptes à répondre immédiatement à l'obligation de décarbonation fixée par l'Union européenne dans le cadre du Paquet “Fit for 55” [...] Le secteur aérien pourrait également être un débouché intéressé pur certaines matières que nous utilisons dans nos usines de production [...] Le maritime pourrait aussi être un débouché d'avenir ».

Il en va de même des acteurs de la filière bioéthanol, comme l'a fait observer le SNPAA : « Nous constatons également une augmentation des obligations de décarbonation des autres secteurs, notamment l'aviation et le maritime. Les attentes y sont importantes. Le bioéthanol pourrait y contribuer via la voie E-t-J. Au regard des ambitions de décarbonation des transports, il ne faut se priver d'aucune solution. À ce titre, les cultures intermédiaires à vocation énergétique sont une ressource nouvelle dont le développement offre une opportunité significative pour le biogaz et les biokérosènes [...]. Lors de la fabrication du bioéthanol, le COissu de la fermentation est aujourd'hui capté essentiellement pour les usages de l'agroalimentaire. Dans l'avenir, il sera possible d'en capter plus et de s'en servir pour produire des essences synthétiques durables en les combinant avec de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone obtenu par électrolyse de l'eau. »

Face à ces évolutions, le Gouvernement estime que les filières des biocarburants conventionnels seront préservées jusque 2030, mais devront évoluer d'ici 2050, insistant sur le besoin d'évolution et d'investissement.

La DGEC considère que le devenir de la filière biogazole est plus prévisible que celui de la filière bioéthanol : « La filière historique de production (biocarburants conventionnels) va voir son avenir garanti avec une extension du plafonnement des matières premières en concurrence alimentaire à l'ensemble du secteur des transports plutôt que les seuls secteurs routiers et ferroviaires, permettant de compenser la baisse attendue de consommation d'énergie dans les transports à l'horizon 2030. À l'horizon 2050, les besoins existeront en biodiesel, en revanche sur le bioéthanol, le maintien reste incertain. »

De plus, elle estime que le passage des biocarburants conventionnels à ceux plus avancés nécessitera des investissements élevés et induira de profonds changements, qu'il s'agisse des filières d'énergie en aval ou de celles agricoles en amont : « Jusqu'à aujourd'hui, la consommation de biocarburants était surtout portée par la consommation de biocarburants conventionnels, issus de cultures alimentaires. De par son fort potentiel agricole et la bonne intégration des usines de transformation, la France est très bien positionnée sur ce segment. En revanche, le développement des biocarburants avancés s'effectuera sur des ressources non agricoles pour lesquels les usines existantes ne sont pas adaptées et nécessiteront d'importants investissements. »

S'agissant de la filière plus spécifique du bio-GNV, elle reste marginale, selon l'Ademe : « L'utilisation du bio-GNV pour les véhicules légers n'a pas véritablement décollé, elle reste marginale ».

Pour autant, son potentiel est important, selon les acteurs de la filière, dont Engie : « Le biométhane "1G “ est déjà mature, alors que le "2G “ et l'Hsont en développement (projets nombreux, mais en attente de réalisation). [...] Pour le maritime (containers, vraquiers, tankers), il y a eu beaucoup de communication autour des navires zéro-émission (hydrogène et e-ammoniac), mais les solutions à court terme sont le e-méthane et le e-méthanol, avec des dynamiques variables selon qu'il s'agit de convertir les navires ou d'en commander des neufs. Pour le transport routier de marchandises, la seule alternative massive à court terme est le gaz en général et le biométhane en particulier. »

Pour relever les défis auxquels les biocarburants sont confrontés, trois évolutions sont nécessaires.

c) Stabiliser le cadre européen

Le premier défi concerne la stabilité du cadre européen.

Dans les textes européens rattachés au paquet « Ajustement à l'objectif 55 » (directive « EnR 3 », ReFuelEU Aviation et FuelEU Maritime), le calcul de l'objectif européen de 7 % afférent aux biocarburants conventionnels sur l'ensemble du secteur des transports, et non sur les seuls secteurs routier et ferroviaire, de même que l'institution d'objectifs d'incorporation sur les biocarburants avancés ou les carburants synthétiques ou le maintien d'un double comptage pour les biocarburants issus de déchets et de résidus sont accueillis positivement par les filières françaises des biocarburants. Ils sont de nature à consolider leurs débouchés actuels (routiers) et en ouvrir de nouveaux (aérien et maritime). Aux côtés des biocarburants conventionnels pourront ainsi être développés des biocarburants avancés et des carburants de synthèse.

Pour aller plus loin, les matières autorisées pour la production biocarburants avancés doivent englober les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE), pour permettre aux filières françaises des biocarburants de diversifier leur production sur le plan des générations. L'interdiction qui prévaut en France de recourir à certaines cultures présentant un risque élevé de CASI (palme, soja) doit être appliquée à l'échelle de l'Union. À terme, l'objectif d'incorporation du secteur aérien pourrait être ouvert aux biocarburants de première génération, si des distorsions de concurrence apparaissaient avec d'autres pays y recourant (dont les États-Unis), tandis que celui du secteur maritime pourrait gagner en exhaustivité et en normativité (à l'image du secteur aérien).

Interrogée par la mission d'information, la ministre de la transition énergétique avait fait valoir que le plafond de 7 %, « inscrit dans le droit européen, le code de l'énergie, le code des douanes et dans notre stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée », donne une bonne visibilité aux acteurs. Elle avait estimé qu'il n'y avait « pas lieu de le modifier à court terme, ni à la hausse ni à la baisse ». La mission considère que ce niveau doit au minimum être préservé, voire qu'il pourrait être envisagé de le relever.

d) Améliorer la lisibilité de la stratégie nationale

Le second défi porte sur la lisibilité de la stratégie nationale.

Si, depuis les années 2000, un effort public bien établi existe en faveur des biocarburants, il pâtit de plusieurs difficultés : une illisibilité sur le plan des objectifs ; une instabilité sur le plan des moyens.

Pour corriger cette première difficulté, il faut clarifier le cadre stratégique, à l'occasion de l'examen au Parlement du projet de loi quinquennale sur l'énergie. Tout d'abord, les objectifs nationaux prévus pour les biocarburants, articles L. 100-4 et L. 641-6 du code de l'énergie, dont celui de 15 % de carburants renouvelables d'ici 2030, doivent être relevés à la hauteur de ceux européens et complétés sur le plan des secteurs (aérien et maritime) et des technologies (carburants aériens durables et de synthèse). L'objectif national de 10 % d'ici 2030, prévu pour le gaz renouvelable, doit lui aussi être rehaussé. Chaque loi quinquennale doit être l'occasion de se pencher sur l'ensemble des biocarburants (conventionnels, avancés et synthétiques) qui doivent donc être inscrits explicitement à l'article L. 100-1 A du code de l'énergie, à l'instar de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone.

Les PPE et SNBC qui découleront de cette loi quinquennale doivent aussi être révisées, de manière à présenter cette fois une approche globale pour la filière des biocarburants.

Actuellement, en effet, la PPE ne fixe qu'une trajectoire lacunaire et, parfois, critique en matière de biocarburants. Elle ne comporte que des objectifs d'incorporation pour l'essence et le gazole, utiles au secteur routier, omettant ainsi celui prévu pour le carburéacteur, et donc le secteur aérien. De plus, elle ne prévoit aucun objectif s'agissant des types de véhicules, des technologies de conversion (boîtiers « Flex Fuel ») ou des stations de recharge, contrairement à la mobilité électrique. Enfin, l'effort de R&D, en direction des biocarburants avancés ou des carburants synthétiques n'y figure pas. Si la PPE n'est pas satisfaisante pour les biocarburants, elle ne l'est pas non plus pour le bio-GNV : les stations sont bien visées, mais aucune cible de consommation n'est prévue, contrairement aux autres usages du biogaz, ni aucun type de véhicule, contrairement à la mobilité électrique. Au-delà de la PPE, l'élaboration de la SNBC doit être le moment d'un exercice de prospective, concerté et cohérent, pour identifier les prérequis nécessaires à l'essor des biocarburants avancés et des carburants de synthèse : l'électricité, la biomasse, le CO2.

e) Clarifier l'enjeu fiscal

L'action des pouvoirs publics en direction des biocarburants doit aussi être clarifiée sur le plan budgétaire et fiscal.

Les filières françaises des biocarburants sont en attente d'un cadre fiscal plus stable, tant pour la TIRUERT que pour la TICPE.

Les tarifs réduits d'accise dont bénéficient les biocarburants

Les tarifs réduits d'accise s'appliquent afin de favoriser la consommation de carburants plus vertueux pour l'environnement. Ils s'élèvent à

- 12,157 €/MWh pour l'éthanol-diesel ED95 (dépense fiscale d'un million d'euros en 2020 et 2021) ;

- 12,905 €/MWh pour le gazole B100 (dépense fiscale de 2 millions d'euros en 2019, 7 millions d'euros en 2020, 25 millions d'euros en 2021) ;

- 74,576 €/MWh pour le SP95-E10 (dépense fiscale de 107 millions d'euros en 2019, 95 millions en 2020, 121 millions d'euros en 2021) ;

- 17,894 €/MWh pour le superéthanol E85 (dépense fiscale de 185 millions d'euros en 2019, 193 millions d'euros en 2020, 256 millions d'euros en 2021).

À titre de comparaison, le tarif normal d'accise appliqué aux gazoles est de 59,40 €/MWh et celui appliqué aux essences est de 76,826 €/MWh.

Source : réponse de la direction de la législation fiscale au questionnaire
de la mission d'information

Or, plusieurs éléments sont susceptibles de contrarier cette attente.

La Cour des comptes, dans son rapport précité sur la politique de développement des biocarburants, s'est interrogée sur la pertinence et la validité du cadre fiscal applicable aux biocarburants au regard de la réglementation européenne sur les accises270(*) et a proposé de fonder les réductions de tarifs de TICPE accordées pour la mise à la consommation de carburants SP95, E10, E85, ED95 et gazole B100 sur des données fiables et objectives de surcoût de fabrication de carburant. Elle a ainsi mis en cause la cohérence des montants de TICPE appliqués aux différents types de carburants et critiqué tout particulièrement le traitement très favorable dont bénéficie l'E85.

Au-delà de ces interrogations formulées par la Cour des comptes, la direction de la législation fiscale a appelé l'attention de la mission d'information sur les évolutions récentes du cadre européen, et en particulier sur l'adoption d'une révision du règlement n° 651/2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité, dit RGEC, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 23 juin 2023.

La direction de la législation fiscale (DLF) a ainsi précisé à la mission d'information que, s'agissant des tarifs réduits d'accise en faveur des biocarburants, cette révision prévoit que :

- pour les biocarburants avancés, ces tarifs réduits seront réputés compatibles et exemptés de notification, y compris lorsqu'ils sont inférieurs aux minima de taxation fixés par en annexe I de la directive 2003/96 ;

- pour les biocarburants de première génération, ces tarifs réduits ne seront plus réputés compatibles ni exemptés de notification, y compris lorsqu'ils sont supérieurs à ces mêmes minima.

Cette évolution pourrait selon la DLF déboucher sur une réévaluation des régimes fiscaux applicables aux biocarburants de première génération, qui devront à l'avenir faire l'objet d'une notification à la Commission européenne au titre du contrôle des aides d'État.

Or cette réévaluation va se conjuguer à l'extension du mécanisme de système de quotas d'émission de COprévu par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 »(ETS2), qui s'appliquera à compter du 30 juin 2024 aux personnes mettant à la consommation des carburants et des combustibles utilisés pour le logement et le transport. Ce système ne s'appliquera pas aux carburants et combustibles consommés dans les secteurs soumis au système de quotas préexistant et dont il est indépendant (ETS1 concernant l'industrie lourde et la navigation commerciale aérienne et maritime) et il ne s'appliquera pas non plus, sauf s'il en est décidé autrement au niveau national, aux produits consommés pour les besoins des transports non routiers (ferroviaires, fluviaux et, lorsqu'ils ne sont pas couverts par l'ETS1, aériens et maritimes), de la pêche ou de l'agriculture.

En revanche, l'obligation de restitution de quotas de CO2, qui s'appliquera pour les carburants et combustibles mis à la consommation à compter du 1er janvier 2027, représentera, pour les metteurs à la consommation, une charge financière qui a vocation à être répercutée sur les consommateurs finaux, lesquels pourraient par ailleurs subir concomitamment une révision de la fiscalité applicable aux biocarburants.

D'après le scénario central de la Commission européenne, reposant sur un prix du COde 50 euros la tonne, l'ETS2 conduirait, d'ici 2030, à des hausses de prix hors taxes comprises, selon les produits (gazole, essence, fioul, gaz naturel, GPL), entre 9 €/MWh et 12 €/MWh , qui seront supportées par les ménages et les entreprises sur leurs factures d'énergie. L'évolution de ce système engendrera donc une hausse générale et peu prévisible du prix des énergies portant sur la fraction fossile de ces carburants.

De fait, en accroissant mécaniquement la différence de prix entre les énergies fossiles et les énergies autres que fossiles, il devrait favoriser le recours aux biocarburants, un produit contenant les deux formes d'énergie devant connaître une hausse de prix proportionnelle à son contenu en énergie fossile. Néanmoins, la concomitance des deux évolutions réglementaires européennes peut s'avérer perturbatrice, et en tout état de cause, la facture pour le consommateur augmentera. C'est un point que la mission tient à souligner, car la sensibilité des consommateurs à l'évolution du prix des carburants est élevée.

Interrogée lors de son audition, la ministre de la transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher s'était montrée rassurante en évoquant les négociations en cours sur la directive relative à la taxation de l'énergie, qui requiert l'unanimité pour être adoptée, mais ces propos rassurants pourraient être invalidés par le cumul de l'ETS2 et du RGEC. Il convient donc que le Gouvernement se montre offensif pour défendre les biocarburants de première génération auprès de la Commission européenne, d'une part, dans les négociations en cours sur la directive sur la taxation de l'énergie et, d'autre part, dans les éventuelles notifications de taux réduits d'accises.

Un cadre budgétaire plus ambitieux est aussi souhaité, notamment pour les appels à projets, selon une même trajectoire pluriannuelle. Cela passe par une sanctuarisation des moyens des opérateurs (ANR, CEA, CNRS, IFPEN, Ademe) et des PEPR (H2, B-Best, SPLEEN). Pour les biocarburants, il faut prolonger l'AAP CarbAéro dédié de l'Ademe, dédié aux carburants aéronautiques durables, et concrétiser les annonces du Bourget (200 millions d'euros pour les carburants aériens durables). Pour le bio-GNV, il faut appliquer le complément de rémunération, prévu à l'article L. 446-7 du code de l'énergie.

Le SNPAA a ainsi indiqué : « Il nous semble important que la PPE et la SNBC donnent un signal au développement pour les biocarburants 1 G. [...] Les biocarburants 1G ont également besoin du maintien d'un cadre incitatif et sécurisant par rapport aux pays tiers [...] Nous demandons que les biocarburants 1G durable au sens de la RED soient dans la même catégorie fiscale et au même niveau de taxation que les autres carburants durables dans la future directive sur la taxation des énergies. »

Dans le même esprit, EsteriFrance a affirmé : « Notre secteur a surtout besoin de visibilité et de stabilité sur le cadre réglementaire dans lequel il peut opérer afin de pouvoir réaliser des investissements et de faire évoluer les productions [...] Comme les biocarburants fabriqués à partir de cultures alimentaires ne devraient pas être éligibles aux carburants d'aviation durable ni aux carburants maritimes durables, le plafond pour ces modes de transport pourrait être transféré au transport terrestre ».

Quant au SER, il s'est exprimé en ces termes : « Un cadre stratégique et systémique doit être fixé dans le cadre de la prochaine PPE et des appels à projets dédiés parmi les opérateurs de l'État, pour accompagner le développement de chacun des éléments composant la chaîne de valeur des 1 G et 2G (unités de production, maillage des points de distribution, offres de véhicules adaptés) [...] Une fiscalité incitative pour les biocarburants nécessite d'être maintenue ».

Recommandations :

Clarifier les perspectives pour la filière des biocarburants :

- donner de la lisibilité aux politiques de soutien nationale et européenne ;

- consolider voire relever le plafond de 7 % d'incorporation de biocarburants de première génération et développer les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) ;

- défendre un cadre fiscal favorable au développement de la filière des biocarburants de première génération ;

- accompagner l'émergence de la filière de deuxième génération.

Évaluer les risques de hausse du prix des carburants résultant du nouveau cadre européen et mesurer son acceptabilité sociale.

3. Améliorer la lisibilité et la pertinence de la TIRUERT

Pour favoriser l'utilisation des biocarburants et réduire les émissions de gaz à effet de serre, la loi de finances initiale pour 2005 avait créé un prélèvement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) appliquée à certains carburants d'origine fossile (la TGAP-b). La loi de finances pour 2019 a ensuite remplacé ce prélèvement supplémentaire « biocarburants » de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) par la taxe incitative relative à l'incorporation des biocarburants (TIRIB), qui avait pour vocation d'encourager l'incorporation d'énergie renouvelable dans les carburants routiers271(*) en appliquant une taxation sur les carburants contenant une part de biocarburants inférieure à des objectifs d'incorporation déterminés dans la loi. À compter du 1er janvier 2022, suite à l'élargissement de la base de calcul des seuils d'incorporation à l'électricité d'origine renouvelable délivrée dans les bornes de recharge publiques et au kérosène (carburéacteurs), la TIRIB est devenue la taxe incitative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) et s'est élargie à l'hydrogène et aux carburants de synthèse.

Si la TIRUERT est globalement perçue comme un outil fiscal efficace pour permettre l'incorporation de certains types de carburants, les auditions auxquelles la mission a procédé ont toutefois fait apparaître quelques critiques.

Le président-directeur général de TotalEnergies a ainsi rappelé que les biocarburants produits par la bioraffinerie de La Mède en 2022 avaient été largement exportés, car la TIRUERT n'avait alors pas été correctement calibrée. La revalorisation de la TIRUERT à compter du 1er janvier 2023 avait permis de remédier à cette situation.

Répartition des ventes HVO de la bioraffinerie de La Mède

Source : TotalEnergies

Il signalait également que la TIRUERT se base sur des volumes d'incorporation tandis que l'Allemagne a mis en place un mécanisme fondé sur le pourcentage d'abattement de COet donc sur l'efficacité dans la réduction des émissions. La direction de la législation fiscale a observé le mécanisme actuel de la TIRUERT conduisait à rendre le marché français attractif pour les produits qui dans chaque catégorie, sont les moins performants sur le plan environnemental et qu'une réforme de la TIRUERT pour tenir compte du contenu en carbone réel des produits conduirait à un dispositif plus lisible et plus efficace. Une telle réforme impliquerait toutefois que les opérateurs nationaux investissent pour assurer un suivi plus précis des émissions réelles évitées par leurs produits.

Par ailleurs, plusieurs critiques ont été formulées à l'encontre des variations trop fréquentes de la TIRUERT, les acteurs demandant aujourd'hui plus de visibilité dans les trajectoires à venir. Il serait ainsi cohérent de fixer une trajectoire pluriannuelle sur cinq ans, afin d'être en phase avec la temporalité de la loi quinquennale sur l'énergie et le climat et la PPE, mais aussi avec les investissements des industriels.

S'agissant du secteur aérien, des critiques ont été formulées au regard de l'absence de la ressource en carburants d'aviation durables à ce stade, ce qui conduit les compagnies aériennes à devoir payer la pénalité.

Alors qu'un volet maritime est annoncé avec l'inscription d'un objectif spécifique dans la loi de finances à partir de 2025, afin de mettre en oeuvre le règlement FuelEU Maritime, au regard de l'expérience du secteur aérien, la mission incite à procéder à des évaluations étayées. Une réévaluation de la filière du biogazole à la hauteur de la filière du bioéthanol pourrait également être envisagée.

Recommandation :

Ajuster la trajectoire de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) : prendre davantage en compte la contribution à la décarbonation ; donner plus de visibilité aux acteurs économiques ; mieux intégrer l'état des marchés (disponibilité de la ressource).

4. Soutenir l'incorporation de carburants d'aviation durables (SAF) par les compagnies aériennes

Le secteur aérien a alerté la mission d'information sur les risques que font peser les surcoûts liés aux obligations d'incorporation de carburants d'aviation durables sur la compétitivité du pavillon français. Les compagnies aériennes ont à la fois souligné la problématique liée à l'insuffisante disponibilité de SAF pour répondre à leurs besoins, d'une part, et celle relative au prix élevé de ces carburants.

D'après Anne Rigail, directrice générale d'Air France, le surcoût lié aux obligations croissantes d'incorporation de biocarburants ira lui aussi croissant : « en prenant l'exemple classique d'un vol aller-retour entre Paris et New York avec une incorporation de 20 % de SAF - aujourd'hui facturé en France à 5 000 euros la tonne - le surcoût pour un passager sur le billet aller-retour serait de 175 euros. Avec un prix de la tonne de SAF autour de 3 500 euros, ce qui correspond à la moyenne mondiale, le surcoût serait de 120 euros. Ce montant n'est pas insupportable, mais il n'est pas non plus anecdotique et l'intégralité de ce surcoût ne pourra pas être répercutée sur le prix des billets. En effet, nous sommes dans une industrie extrêmement concurrentielle. »

Air France a indiqué s'inquiéter de la perspective du maintien du prix des carburants durables à 5 000 euros la tonne en France, car « elle nuirait à notre compétitivité et nous ne pourrions pas maintenir notre activité de hub, qui est essentielle pour notre survie économique »272(*).

Dans ce contexte, l'un des risques identifiés par la mission est que, faute de production suffisante et compte tenu des surcoûts importants, les compagnies choisissent de s'approvisionner ailleurs qu'en France ou en Europe. Pour Anne Rigail, « L'autre risque est que nous finissions par acheter massivement des SAF à l'étranger : aujourd'hui, nous contractons déjà de manière significative pour acheter des produits aux États-Unis pour répondre aux demandes de nos clients corporate qui souhaitent minimiser leur empreinte carbone ».

En tout état de cause, et dans ce secteur très concurrentiel, la mission d'information estime urgent de développer des mécanismes de soutien à l'incorporation de carburants d'aviation durable, pour soutenir la massification de la production, sans quoi la France, « pays aéronautique »273(*), pourrait être dépassée dans la compétition mondiale en matière de transport aérien, d'une part, et en matière de production de carburants d'aviation durables, d'autre part.

Dans cette perspective, et pour appuyer les compagnies aériennes dans leur effort de décarbonation, et faciliter et garantir leur recours aux carburants aériens durables, il est nécessaire de consolider le cadre de soutien fiscal, budgétaire et extrabudgétaire existant.

Pour ce faire, elle estime essentiel de soutenir les carburants aériens durables de manière complète, en jouant à la fois sur l'offre et sur la demande.

Sur le plan fiscal, un dispositif de sur-amortissement sur l'impôt sur les sociétés (IS) pourrait être institué, pour permettre l'adaptation et le renouvellement des aéronefs et au profit du déploiement d'infrastructures d'avitaillement aéroportuaires, à l'occasion de l'examen de la loi de finances initiale pour 2024 ;

Sur le plan budgétaire, les appels d'offres sur la production de carburants durables appellent à être consolidés. Certes, ont été annoncés 420 M€ au total dans le cadre de la Stratégie d'accélération Produits biosourcés et carburants durables de 2021 et 200 M€ pour les carburants aériens durables, en marge du Salon du Bourget de 2023. Pour autant, ces montants doivent être relevés et pérennisés ; la prochaine PPE doit fixer une trajectoire de long terme pour accompagner la décarbonation de la filière, d'autant que les objectifs d'incorporation européens iront croissant jusqu'en 2050 ;

Enfin, l'effervescence technologique autour de la réforme du marché européen de l'électricité peut être l'occasion d'envisager de nouveaux dispositifs de financements. Les contrats d'écart compensatoire bidirectionnels (Contracts for Difference - CfD) et les accords d'achat d'électricité (Power Purchase Agreements - PPA) constituent de nouveaux outils de financement de long terme, davantage public, dans le premier cas, et privés, dans le second. Si l'électricité renouvelable est bien prise en compte, dans les projets de texte européen, il n'en va pas de même des autres technologies : aussi ces contrats devraient-ils être promus, à l'échelon national, mais aussi européen, s'agissant des carburants aériens durables.

Au total, la mission d'information appelle de ces voeux un tel paquet financier, public et privé, à même de faciliter l'amorçage de la filière française des carburants aériens durables, du point de vue, non seulement des producteurs (énergéticiens), mais aussi des consommateurs (compagnies aériennes).

Recommandation :

Accompagner l'incorporation de carburants d'aviation durables (SAF) dans le transport aérien par un soutien complet à l'offre et à la demande :

- créer un dispositif de sur-amortissement à l'adaptation et au renouvellement des aéronefs ainsi qu'aux infrastructures d'avitaillement aéroportuaires, dès le prochain projet de loi de finances initiale ;

- définir une trajectoire pérenne de soutien budgétaire à la production de carburants aériens durables, dans le cadre de la prochaine PPE ;

- instituer de nouveaux outils de financement de long-terme (contrats pour différence - CfD - et Power Purchase Agreements - PPA) pour l'achat de SAF, à l'image de ceux prévus par la réforme du marché européen de l'électricité.

5. Simplifier et accélérer certaines procédures

Au cours des auditions, plusieurs demandes de simplification ou d'accélération de procédures ont été adressées à la mission d'information, qu'il paraît opportun de mettre en oeuvre pour permettre le développement de ces filières.

La mission d'information recommande ainsi au gouvernement de veiller à une exécution rapide des appels à projets de l'Ademe, plusieurs organismes ayant fait part à la mission de difficultés ou d'inquiétudes sur la pérennité de leur projet en raison de retard pris par l'agence.

La remarque vaut au moins autant pour l'échelon européen, les PIIEC, outils stratégiques, ayant été critiqués pour la lourdeur des procédures et le temps d'instruction des aides par la Commission européenne. Or, dans le cadre de la compétition mondiale évoquée précédemment, la Commission européenne se doit de mettre des procédures accélérées afin de répondre aux besoins des entreprises.

Deux mesures plus ponctuelles ont été évoquées et méritent d'être relayées.

La filière fluviale a fait part à la mission des difficultés rencontrées dans l'obtention de certaines homologations de navires. Là encore, les délais d'instruction des dossiers n'apparaissent pas en phase avec les besoins des entreprises.

Enfin, le président-directeur général de SNCF Voyageurs a regretté que la réglementation interdise la construction de stations de distribution poly-carburants et que la mixité des produits soit prohibée dans les réservoirs. Pour lui, « c'est un frein majeur à l'optimisation de la distribution, et chaque entreprise ferroviaire doit disposer de ses propres installations de distribution et de stockage, ce qui est inefficace. Une simplification de la réglementation est indispensable pour favoriser le développement des biocarburants dans le système ferroviaire ». À cet égard, Régions de France a indiqué à la mission d'information soutenir une telle simplification des conditions d'usage des stations d'avitaillement. La mission recommande donc de procéder à cette simplification administrative.

Recommandations :

- Accélérer les délais d'instruction des aides financières (PIIEC, appels à projets nationaux...) et de demandes d'homologation administrative de nouveaux matériels ;

- Autoriser la construction de stations de distribution poly-carburants pour le secteur ferroviaire, afin de favoriser le recours aux biocarburants dans cette filière.

6. Aider à l'acquisition de véhicules adaptés et au verdissement du parc existant

89 % du transport intérieur de voyageurs a été réalisé par le mode routier (84 % par des véhicules particuliers et 5 % par des autocars, autobus et tramways). Cette proportion s'établit à 87 % pour le transport intérieur de marchandises (50 % par des poids lourds du pavillon français et 37 % par des poids lourds du pavillon étranger)274(*).

À ce titre, et compte tenu de l'empreinte environnementale du transport routier (cf. IA), la décarbonation du parc automobile de véhicules légers comme de véhicules lourds doit constituer une priorité.

Pour autant, le coût du renouvellement du parc de véhicules par des véhicules peu polluants représente des sommes conséquentes. À titre d'illustration, la proposition de feuille de route de décarbonation de la chaîne de valeur des véhicules lourds la chiffre à 52,6 milliards d'euros, pour ce qui concerne les seuls poids lourds, pour l'acquisition des véhicules et le développement du réseau d'avitaillement.

À l'échelle « individuelle », d'un particulier ou d'une entreprise, le reste à charge moyen pour l'acquisition d'un véhicule à carburant alternatif est élevé, et ne peut être supporté par un certain nombre de ménages ou d'entreprises, en dépit des aides existantes (cf. encadré ci-après).

Les aides à l'acquisition de véhicules peu polluants

• le bonus écologique275(*) est une aide attribuée aux personnes physiques et morales pour l'acquisition ou la location longue durée d'un véhicule électrique, hydrogène ou hydrogène-électrique, dont le coût est inférieur à 47 000 euros. L'aide apportée peut atteindre 5 000 euros pour une voiture particulière, et 6 000 euros pour une camionnette, avec une majoration de 2 000 euros pour les ménages des cinq premiers déciles. Pour les véhicules électriques d'occasion, le bonus s'élève à 1 000 euros.

• la prime à la conversion276(*) vise à soutenir l'achat d'un véhicule neuf ou d'occasion en échange de la mise au rebut d'un véhicule plus ancien (Crit'air 3 ou plus). Elle est accessible aux professionnels ainsi qu'aux ménages, sous condition de revenus, et peut atteindre 6 000 euros pour l'acquisition d'un véhicule électrique, hydrogène et hybride.

• le microcrédit « véhicules propres », créé dans le cadre Plan de relance en 2021, vise à soutenir l'acquisition de véhicules peu polluants (électriques ou hybride rechargeable, véhicules classés Crit'air 1) par les ménages les plus modestes et confrontés à une difficulté d'accès aux prêts non réglementés. Il peut atteindre 5 000 euros, et est garanti par l'État à hauteur de 50 %.

• le prêt à taux zéro « ZFE-m », créé par l'article 107 de la loi « Climat et résilience », à l'initiative du Sénat, est quant à lui accessible aux personnes physiques et morales domiciliées dans ou à proximité d'une ZFE-m rendue obligatoire en application de la loi d'orientation des mobilités et enregistrant des dépassements des normes de qualité de l'air. Il s'agit d'une expérimentation créée pour 2 ans à compter du 1er janvier 2023, dont la mise en oeuvre n'a néanmoins toujours pas débuté à ce jour.

• le « suramortissement vert »277(*), destiné aux professionnels pour l'acquisition de poids lourds ou de véhicules utilitaires légers, permet enfin aux entreprises de déduire de leurs résultats imposables une somme égale à un pourcentage de la valeur d'origine des véhicules affectés à leur activité qui fonctionnent au gaz naturel, au biométhane carburant, au carburant ED95, à l'électricité, à l'hydrogène, au carburant B100 ou avec une combinaison gaz naturel et gazole nécessaire au fonctionnement d'une motorisation biocarburant de type 1 A.

D'après un récent rapport sénatorial relatif au déploiement des zones à faibles émissions278(*), le reste à charge des ménages pour l'acquisition d'un nouveau véhicule peu polluant atteint généralement plusieurs milliers d'euros. Pour les professionnels du transport, les autocaristes ou encore les artisans, le renouvellement de véhicules lourds et de camionnette représente également des montants considérables. Ainsi, d'après la FNTV, si des perspectives de baisse du prix des cars à motorisation électriques sont attendues (du fait des effets d'échelle et de progrès des batteries), ces derniers présentent toujours pour l'heure un surcoût par rapport à leur équivalent diesel. S'agissant des poids lourds affectés au transport routier de marchandises, la FNTR indique que le coût d'acquisition des poids lourds électriques reste 3 à 4 fois plus élevé que celui de leurs homologues thermiques et que les coûts totaux de possession (TCO) resteront quant à eux également plus élevés pendant plusieurs années.

En tout état de cause, un renforcement des aides à l'acquisition des véhicules légers et lourds peu polluants est indispensable à la décarbonation du transport routier qui, il convient de le rappeler, représente le premier mode de transport en matière d'émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports ; ce secteur étant lui-même le premier secteur émetteur.

S'agissant des véhicules légers, et comme le résume Mobilians : « Même si les montants des aides ont bien été augmentés en ce début d'année pour les ménages aux revenus modestes, les conditions d'éligibilité sont quant à elles plus restrictives et plus ciblées que l'année dernière. Les dispositifs sont désormais tournés quasi-exclusivement vers l'achat de véhicules électriques, pour des ménages très modestes qui n'ont pas le budget pour ce type de véhicule. » La mission estime donc opportun de travailler à un meilleur ciblage des aides aux particuliers et d'en augmenter considérablement les montants.

Cela étant dit, aux côtés du renouvellement du parc, un soutien à la décarbonation du parc existant apparaît nécessaire, étant entendu que le parc de véhicules mettra nécessairement un certain temps à se renouveler. Le développement du marché de l'occasion, mais également l'appui aux opérations de rétrofit et à l'achat de boîtiers « Flexfuel », qui permettent à certains véhicules de rouler avec différents types de carburants, et notamment avec des biocarburants. S'agissant des boîtiers Flexfuel, Marc Mortureux, directeur général de la PFA, avait relevé que les constructeurs automobiles n'étaient « pas très favorables aux kits, parce qu'en-dehors du kit, le véhicule n'a pas été homologué pour recevoir ce carburant. Nous avons des contraintes sur les matériaux et sur les risques d'impacts sur la dépollution du véhicule, avec des émissions qui pourraient être un peu plus élevées. Cependant, nous constatons que les poses de kits sont relativement nombreuses, du fait sans doute d'un intérêt économique pour le consommateur ».

La mission considère pour sa part qu'il faut accélérer les procédures d'homologation des catégories de véhicules susceptibles de faire l'objet de ces opérations et acquisitions.

Concernant la décarbonation des véhicules lourds, qui représente un défi considérable, le soutien à l'acquisition de véhicules propres doit là aussi être amplifié. Si un nouvel appel à projets pour l'acquisition de camions électriques et l'installation de bornes de recharge est prévu afin de faciliter l'acquisition de plus de 500 poids lourds électriques, la FNTR a indiqué être dubitative quant à cet objectif : « 55 millions d'euros pour 500 véhicules, cela signifie qu'un camion électrique reviendrait à 110 000 euros. Actuellement un poids lourd de ce type est plutôt évalué entre 300 et 350 000 euros. »

Aussi, la mission d'information souscrit à la proposition de la FNTR qui indique qu' « en raison des faibles marges d'un secteur composé très largement de TPE et PME, il convient d'anticiper un besoin d'accompagnement pour l'ensemble des entreprises du secteur (petites, moyennes et grandes flottes) : bonus écologique, appel à projets, prêt garanti par l'État (PGE) vert... »

Pour autant, la mission alerte sur le fait qu'il est souhaitable que l'accroissement des aides bénéficie à l'industrie automobile française. Dans le cadre d'une audition au Sénat279(*), Bruno Le Maire a ainsi indiqué que 40 % des montants du bonus écologique (1,2 milliard d'euros), bénéficient in fine aux usines chinoises. La FNTV a quant à elle indiqué qu'à ce jour l'offre d'autocars électrique était presque exclusivement chinoise, ajoutant toutefois que : « la réglementation européenne bouleverse l'industrie de notre secteur et de nouveaux autocars électriques vont prochainement être proposés par les industriels. À horizon 2030, les constructeurs indiquent atteindre environ 20 % d'offre de cars électriques dans leurs ventes, satisfaisant les hypothèses de la SNBC ». En définitive, le soutien à la demande doit donc se doubler par un soutien à l'offre française et européenne de véhicules peu polluants.

Enfin, l'Association des maires de France a alerté la mission d'information « sur l'impact financier pour les communes et intercommunalités de la décarbonation qui ne pourra se faire sans un soutien technique et financier du gouvernement. La création d'infrastructures et de services de transport en commun de qualité, ainsi que d'infrastructures adaptées aux modes de déplacement actifs, nécessite des investissements initiaux significatifs ».

De même, Régions de France a indiqué à la mission d'information que les régions attendent des clarifications en matière de financement, et notamment la déclinaison du « plan d'avenir pour le ferroviaire », afin de créer les conditions d'un report modal massif vers le rail, par un engagement financier puissant et pluriannuel : « elles constatent que cette « première étape » par la publication des mandats CPER ne sera pas à la hauteur de leurs attentes dans son montant, dans son calendrier et dans son ampleur, pour atteindre les objectifs de la transition écologique sur lesquels la France s'est engagée. »

Recommandations :

- Inciter à la conversion plus massive de véhicules (rétrofit) et poursuivre le soutien à l'achat de véhicules décarbonés ;

- Veiller à ce que les aides publiques viennent soutenir le déploiement de l'offre française et européenne de véhicules peu polluants.

- Accompagner les collectivités territoriales qui jouent un rôle moteur sur les territoires, notamment dans leur rôle d'autorités organisatrices des mobilités.


* 267Le document est consultable ci-contre.

* 268 Air France et la Fédération nationale de l'aviation et des métiers (FNAM) ont évoqué les biocarburants et les carburants aéronautiques durables, le Groupement des industries françaises aéronautiques (GIFAS) les mêmes carburants aéronautiques durables, Réseau ferré de France (RFF) les biocarburants, Armateurs de France (MF) le bio-GNL, Voies navigables de France (VNF) les carburants de synthèse d'ores et déjà commercialisés, l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) et la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) le bio-GNV et les biocarburants, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) les carburants de synthèse d'ores et déjà commercialisés.

* 269 Dont l'HVO100.

* 270 Article 16 de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (DTE).

* 271 Essences et gazoles.

* 272 Source : Audition de Mme Anne Rigail, directrice générale d'Air France.

* 273 Source : Idem.

* 274 Chiffres issus de « Data Lab - Chiffres clés des transports - Édition 2023 ».

* 275 Articles D. 251-1 et suivants du code de l'énergie

* 276 Articles D. 251-4 et suivants du code de l'énergie.

* 277 Article 39 decies A du code général des impôts.

* 278 Rapport d'information n° 738 (2022-2023) fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relatif aux zones à faibles émissions (ZFE-m), par M. Philippe Tabarot, Sénateur.

* 279 Projet de loi relatif à l'industrie verte - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie.

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