II. UN FINANCEMENT DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DES COLLECTIVITÉS À REPENSER ET DES NIVEAUX DE CONSOMMATION DES DOTATIONS « VERTES » À AMÉLIORIER POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX

A. LES MODALITÉS DE FINANCEMENT POUR LES INVESTISSEMENTS À VENIR : UN MODÈLE À REPENSER PLUS LARGE QUE LES SEULES DOTATIONS

Comme vu supra, les contraintes budgétaires pesant sur les finances locales sont importantes dans un contexte inflationniste.

Or, les élus à la tête des communes et intercommunalités principalement, mais aussi des départements et régions ont la responsabilité de prévoir un doublement de leurs investissements pour le climat (en faveur des aménagements cyclables, transports en commun, rénovation énergétique des bâtiments publics...) dans les prochaines années.

Pour rappel, le chiffre annoncé pour les prochaines années pour atteindre l'objectif de moins 60 % de consommation d'énergie à horizon 2050 nécessiterait, a minima, environ 12 milliards d'investissement par an d'ici 2030.

Une telle montée en puissance doit se programmer et nécessite de penser les moyens de la financer, que ce soit par ressources propres, fiscalité, endettement, dotations de l'État etc.

Elle nécessite surtout une visibilité pluriannuelle puisque ces investissements lourds ne peuvent s'inscrire que dans une temporalité longue allant souvent au-delà de la durée d'un mandat local.

Or, à ce jour, les niveaux des dotations d'investissement sont fixés annuellement en loi de finances sans certitude pour les années postérieures à N+ 1. Comme évoqué par de nombreux élus lors des auditions menées par les rapporteurs spéciaux, cette absence de prévisibilité des financements apparait comme un obstacle au lancement de certains investissements.

Il semble donc nécessaire :

- d'une part, de prévoir une programmation pluriannuelle des investissements locaux et de leur financement, notamment via les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ;

- d'autre part de pouvoir envisager l'endettement des collectivités sous un nouveau prisme (voir infra).

1. Vers un volet financier des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) 

Si les CRTE ont représenté un progrès en termes d'approche globale des projets nécessaires à un territoire en ce qu'ils ont permis de recenser tous les projets communaux et intercommunaux dans un contrat intégrateur permettant une mise en cohérence des différents dispositifs existants, force est de constater que cette démarche d'intégration n'a pas été exempte de failles et critiques formulées par les élus locaux.

À cet égard, la réalisation dans l'urgence de ces contrats s'est parfois conclue par une addition de projets sans priorisation ni stratégie. De surcroit, « la logique de « relance » a clairement pris le pas sur l'ambition de « transition écologique ». Les projets soutenus étaient souvent déjà ficelés, même s'ils n'étaient pas forcément aussi vertueux qu'espérés » comme l'indique le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales de Mme Brulin et M. Guené sur l'ANCT15(*).

Enfin, la critique la plus prégnante porte sur l'absence de volet financier des CRTE. En effet, les CRTE comportent effectivement une annexe (maquette financière) mais qui ne concerne que la DETR et la DSIL et porte sur une seule année. Il parait indispensable qu'un volet financier complet soit annexé aux CRTE comprenant notamment l'ensemble des dotations potentiellement sollicitées auprès des préfectures mais également des opérateurs de l'État, de la Banque des territoires, des fonds européens... avec un cadre pluriannuel.

Ce volet financier apporterait une visibilité dans le temps et une garantie pour les collectivités.

Recommandation n° 3 : développer un volet financier pluriannuel aux contrats de relance et de transition écologique - CRTE (État, préfectures, collectivités).

2. Vers une appréciation différenciée de la dette des collectivités

Historiquement, l'État a toujours tenté de limiter la dette des collectivités territoriales en surveillant notamment leur capacité de désendettement avec un seuil d'alerte fixé à 12 ans. Dans le même sens, les chambres régionales des comptes s'attachent à vérifier la soutenabilité financière des investissements, leurs modalités de financement et la part du recours à l'emprunt.

Dans ce contexte, les ratios de désendettement actuels des collectivités sont aujourd'hui faibles : les capacités de désendettement du bloc communal sont inférieures à cinq ans, du bloc départemental inférieures à trois ans, et du bloc régional inférieures à six ans et demi.

Des marges d'emprunts sont donc possibles pour financer des investissements en faveur de la transition écologique à la condition que l'acceptabilité de la dette se développe.

Les élus se trouvent cependant pris dans un jeu d'injonctions contradictoires leur demandant d'investir massivement dans la transition écologique tout en réduisant leur endettement.

En effet, alors que la dette doit être considérée comme une modalité nécessaire de financement des investissements en faveur de la transition écologique en complément des dotations de l'État et des capacités d'autofinancement des collectivités, elle reste relativement mal acceptée par le ministère de l'économie et des finances, faute de pouvoir distinguer finement l'objet de l'endettement, mais également par certains élus locaux par crainte d'être taxés de mauvais gestionnaires ou de devoir augmenter les impôts locaux afin de couvrir la charge de la dette. Il est à cet égard significatif de constater que l'article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour les années 2023 à 2027, rejeté par le Sénat, contenait toujours un dispositif d'encadrement de la capacité de désendettement des collectivités territoriales, reconduisant à l'identique les dispositions prévues à cet égard dans le cadre des « contrats de Cahors » institués dans le cadre de la LPFP 2018-202216(*). Il conviendrait dès lors d'établir de nouveaux ratios de dette afin d'identifier plus clairement et d'isoler celle ayant permis le financement d'investissements en faveur de la transition écologique.

Recommandation n° 4 : isoler dans les ratios d'endettement la part de la dette permettant de financer des investissements en faveur de la transition écologique (DGFIP).

3. Vers le développement de budgets verts pour les collectivités

Le budget vert vise à qualifier l'ensemble des lignes de dépenses des collectivités territoriales afin de savoir, au regard de la taxonomie européenne, si elles concourent à un objectif de transition écologique. Il représente un outil intéressant pour valoriser l'action des collectivités territoriales en matière de préservation de l'environnement et identifier, le cas échéant, les leviers pour accroître l'efficacité de leur action dans ce domaine.

Pour autant, la mise en oeuvre généralisée d'un budget vert pour les collectivités n'est pas sans poser certaines difficultés.

Au préalable, elle nécessite la définition des dépenses concourant à la transition écologique. Cet exercice est délicat dans la mesure où certaines dépenses (construction d'une piste cyclable, construction d'un bâtiment scolaire sur terrain inoccupé, ...) peuvent poursuivre plusieurs objectifs.

Par ailleurs, la cotation de certaines dépenses est parfois malaisée. En atteste le budget vert de l'État au sein duquel 16,5 % des dépenses soit 94 milliards d'euros ne sont pas côtés et 416 milliards d'euros sont côtés « neutre » alors même que cette classification peut faire débat.

À titre d'exemple, au sein de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » la grande majorité des actions, porteuses de dotations, sont « non cotées » en raison de la liberté d'emploi de ces crédits par les collectivités. Dès lors, le budget vert 2023 de l'État ne retient que la dotation de soutien à l'investissement (DSIL) exceptionnelle (215 millions d'euros en CP) comme « favorable » ainsi que 25 % des crédits relatifs à la DSIL (144 millions d'euros en CP). Or, une partie de la DETR et de la DSIL est également orientée vers la rénovation thermique et la transition écologique (respectivement plus de 156 millions d'euros et 89 millions d'euros en exécution 2021). De même, les 41,6 millions d'euros de la dotation biodiversité pourraient facilement être considérés comme favorables.

Enfin, les budgets verts mis en oeuvre à ce jour par certaines collectivités reposent sur des documents extrabudgétaires de valorisation, sans lien avec la comptabilité par nature ou par fonction. Ils permettent de valoriser l'action des collectivités, mais ne sont pas transposables dans un modèle unique et ne permettent pas de remontées d'information nationale.

Dans ce contexte, il pourrait être envisagé, tout en conservant la nature extrabudgétaire et facultative de ces documents dans un premier temps, de lancer une consultation avec les collectivités afin de formaliser un document unique avec des catégories alignées sur la taxonomie européenne qui permettrait de classer les dépenses d'investissement pour tout ou partie (quand ces dernières poursuivent plusieurs objectifs). Ce document pourrait ensuite être utilisé de manière facultative par les collectivités puis de façon échelonnée de manière obligatoire et, dans un second temps être étendu aux dépenses de fonctionnement.

Recommandation n° 5 : mettre en place une consultation des élus locaux afin de développer un document unique et formalisé permettant de classer les dépenses d'investissement des collectivités comme neutres, favorables, mixtes ou défavorables à l'environnement (DGCL, DGFIP).

Cette première étape semble un préalable indispensable avant d'envisager la mise en oeuvre obligatoire d'un budget vert.

À cet égard, un amendement du Gouvernement déposé lors de l'examen du PLPFP 2023-2027 prévoyait la mise en place d'annexes au budget des collectivités les plus importantes listant les dépenses favorables, défavorables ou neutres sur l'environnement. Il n'avait pas été adopté après un avis défavorable de la commission des finances qui estimait la démarche prématurée en l'absence de consultation des collectivités.

4. Les autres pistes envisageables

D'autres pistes pour encourager le financement de la transition écologique des collectivités sont envisageables.

Elles nécessiteront cependant des études préalables ainsi qu'une consultation des élus locaux et des modifications budgétaires et comptables qui ne peuvent se faire sans consultation, pour certaines d'entre elles, de l'autorité des normes comptables (ANC) et du conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP).

a) Concernant le FCTVA

Ainsi, un verdissement du FCVTA pourrait être envisagé. Cependant, au regard de la réforme d'automatisation du fonds, les dépenses éligibles sont celles enregistrées dans certains comptes qui peuvent regrouper des dépenses favorables ou défavorables à la transition écologique des collectivités. À titre d'exemple, parmi les comptes 215 (installations, matériel et outillages) les dépenses de voirie sont a priori « brunes » alors que les dépenses de réseaux d'eau et d'assainissement sont généralement « vertes », sous certaines conditions. De même les constructions du compte 213 seront vertes si réalisées selon des critères de qualité environnementales et brunes dans d'autres cas.

Aussi, un verdissement du FCTVA nécessiterait de créer de nouvelles catégories de comptes ou de revenir à des déclarations partiellement manuelles afin de distinguer les dépenses brunes, vertes ou neutres. Il convient cependant de relever qu'une telle réforme aurait pour conséquence une perte d'éligibilité au dispositif de certains projets « bruns » auparavant éligibles. Pour garantir son acceptabilité, une telle réforme doit se fixer un objectif d'enveloppe budgétaire a minima constante en faveur du financement de l'investissement des collectivités territoriales.

b) Concernant la dotation globale de fonctionnement

La dotation globale de fonctionnement pourrait également, dans ses critères d'attribution et modalités de calcul, retenir des critères environnementaux à définir. Cette piste ne parait cependant réalisable qu'à la condition d'une refonte totale de cette dotation devenue trop complexe, refonte appelée de leurs voeux par nombre d'élus locaux et de parlementaires.

c) Concernant l'autofinancement et les modalités d'amortissement

Une part du financement de la transition écologique des collectivités provient de leur autofinancement. Or, l'amortissement des immobilisations est une composante de cet autofinancement puisqu'il consiste en une forme de prélèvement sur la section de fonctionnement destiné à financer la section d'investissement et à assurer notamment le renouvellement des immobilisations.

Pourtant, les obligations d'amortissement pour les communes portent sur moins de 7 % de leur patrimoine immobilisé tandis que les départements et régions, en contrepartie d'une obligation d'amortissement plus étendue, peuvent neutraliser l'impact budgétaire de cet amortissement.

Dans ce contexte, pour les communes les plus importantes et les EPCI, le champ des biens amortissables pourrait être élargi en s'alignant sur celui des départements et des régions. L'ensemble des immobilisations nouvelles des communes seraient ainsi soumises à l'obligation d'amortissement à l'exception des terrains, par définition non amortissables, et des réseaux et installations de voirie dont l'amortissement resterait facultatif.

Cet élargissement du champ de l'amortissement obligatoire ne vaudrait que pour les nouvelles immobilisations sans rattrapage du stock d'immobilisations déjà comptabilisées et jamais amorties. En revanche, les dotations aux amortissements ne pourraient pas être neutralisées sur le plan budgétaire pour qu'elles jouent pleinement leur rôle d'autofinancement de l'investissement.

Concernant les départements et les régions, le champ de l'amortissement obligatoire, plus large que celui des communes et des EPCI pourrait être maintenu mais les possibilités de neutralisation budgétaire des amortissements pourraient être supprimées pour les nouveaux investissements.

d) Concernant la fiscalité locale

La transition écologique des collectivités passe également par la mise en place du principe de « zéro artificialisation nette » consacré par la loi « Climat et résilience » du 22 aout 2021 qui fixe cet objectif d'ici 2050. Aussi, la question de la fiscalité locale comme outil de la transition écologique des collectivités doit être posée.

Un récent rapport du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur la fiscalité locale dans la perspective du ZAN17(*), demandé par la commission des finances du Sénat, souligne que la fiscalité locale actuelle n'apparaît pas artificialisante et ne comporte pas d'incitations particulières en faveur de l'artificialisation ni en faveur de la désartificialisation des sols.

Pour autant, le Conseil estime que le renforcement de dispositifs fiscaux ciblés concernant notamment les logements vacants, les résidences secondaires et les opérations de recyclage urbain pourraient être de nature à accélérer la mise en oeuvre du ZAN.

À l'inverse, plusieurs taxes locales prévoient des dispositifs dont l'effet peut se révéler artificialisant. Ainsi, la taxe d'aménagement prévoit des dispositifs d'abattement d'assiette et d'exonérations au bénéfice de nombreux aménagements artificialisants comme les locaux d'habitation financés par un prêt à taux zéro (PTZ), les locaux à usage industriel et commercial, et, pour une large part, les logements individuels, en prévoyant un abattement sur les 100 premiers mètres carrés d'une résidence principale.

De même, la taxe foncière sur les propriétés bâties prévoit des exonérations temporaires pour les constructions neuves (deux ans), et les logements sociaux sous conditions.

Dans ce contexte, une réflexion semble nécessaire sur les mesures qui pourraient être mises en oeuvre pour une fiscalité locale plus incitative d'un point de vue de l'environnement. Cette réflexion parait d'autant plus nécessaire que le ZAN pourrait avoir des conséquences sur les recettes fiscales des collectivités avec des variations sensibles entre celles-ci. Ce risque de distorsion concerne également les dotations de l'État, la DGF au premier chef, prenant en compte des critères tels que le nombre de kilomètres de voirie ou le nombre d'habitants.

Dans ce contexte, le CPO recommande d'ailleurs d'intégrer les effets du ZAN dans les mécanismes de solidarité à destination des collectivités.

Comme le démontrent les nombreuses pistes envisageables, les dotations seules ne peuvent suffire à financer la transition écologique des collectivités. Des moyens pour faciliter l'autofinancement ou le recours à l'emprunt doivent être déployés, de même qu'une réflexion sur la fiscalité locale doit être menée. Les rapporteurs spéciaux estiment donc nécessaire l'ouverture d'une phase active de consultation pour aborder tous les vecteurs possibles.

5. Des efforts à faire sur la prévisibilité des ressources des collectivités

La participation des collectivités à la transition écologique et à l'atteinte des objectifs de décarbonation ne pourra se mettre en place pleinement qu'à la condition de leur assurer une prévisibilité de leurs ressources tant de fonctionnement que d'investissement.

Or, l'incertitude qui pèse sur les finances locales est aujourd'hui importante (comme vu supra) tant sur leurs dépenses sous l'effet d'une crise énergétique qui s'inscrit dans la durée et du retour de l'inflation, que sur leurs ressources avec la disparition de plusieurs impôts locaux compensés par des fractions de TVA et de nouvelles dotations d'investissement (notamment le fonds vert) dont la prolongation et les montants à venir n'ont pas encore été arbitrés.

Cette prévisibilité des ressources est d'ailleurs une préconisation de la Cour des comptes dans son rapport sur les scénarios de financement des collectivités territoriales18(*).

Recommandation n° 6 : mettre en place une consultation générale des élus locaux et des administrations sur le financement de la transition écologique des collectivités englobant l'ensemble des aspects budgétaires, comptables et fiscaux (SGPE).


* 15 Rapport d'information « L'ANCT : se mettre au diapason des élus locaux » déposé le 2 février 2023.

* 16 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 17 « La fiscalité locale dans la perspective du ZAN » - Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) - octobre 2022.

* 18 « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution » - Cour des comptes - octobre 2022.