N° 869

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la formation continue des enseignants,

Par M. Gérard LONGUET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La formation continue des enseignants cristallise un certain nombre de critiques structurelles, dont le sens a peu changé depuis des décennies. Si l'attention du ministère reste concentrée sur la formation initiale, la formation continue concerne toutefois désormais une part non négligeable des enseignants, de sorte que la problématique générale semble être moins celle des moyens que de parvenir à une amélioration qualitative. Gérard Longuet, rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, a présenté les conclusions de son travail de contrôle budgétaire en ce sens le 11 juillet 2023.

I. INSUFFISANTE, DÉCONNECTÉE, PEU LISIBLE : DES CRITIQUES RÉCURRENTES À L'ENCONTRE DE LA FORMATION CONTINUE DES ENSEIGNANTS

La loi pour une école de de la confiance du 26 juillet 2019 a instauré une obligation d'accès à la formation continue pour les enseignants. Cela ne constituait pas une innovation pour le premier degré, les obligations de service des professeurs des écoles comportant depuis 2008 dix-huit heures consacrées à des actions de formation continue, à l'inverse des enseignants du second degré, pour lesquels aucun temps de formation ne figure au niveau réglementaire. Contrairement aux idées reçues, l'accès des enseignants à la formation est, sur un plan quantitatif, assez massif, bien que très variable entre le premier et le second degré. En 2020-2021, 67 % des enseignants du premier degré public (soit 221 000 personnes) ont effectivement participé à une formation. Dans le second degré, cette proportion concerne la moitié des enseignants.

Accès à la formation continue dans l'enseignement public en 2021-2022)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Le temps moyen de formation reste quant à lui significativement bas pour la majeure partie des enseignants et demeure bien inférieur par rapport au reste de la fonction publique. Il était en 2019-2020 de 2 jours par enseignant dans le premier degré, et de 1,6 jour dans le second degré, contre 7,4 jours par an pour l'ensemble des personnels des autres ministères.

Les enseignants sont de plus en plus fréquemment désignés pour suivre des formations obligatoires : 57 % des enseignants du premier degré assidus à des formations en 2021-2022 n'avaient pas eux-mêmes candidatés à la formation. S'il est certain que le rôle du ministère, comme pour toute politique publique, est d'orienter la formation continue vers les besoins les plus identifiés et les thématiques qu'il juge centrales, le risque est fort de ne pas emporter l'adhésion d'une partie des professeurs ciblés.

Sur ce point, différentes enquêtes soulignent le sentiment d'inadéquation de la formation par rapport aux besoins exprimés par de nombreux enseignants. D'après l'enquête Talis de 2018 menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les enseignants français sont 47 % à considérer qu'il n'existe pas de formation appropriée à leurs besoins, contre 19 % en Belgique ou 24 % en Angleterre. En particulier, la formation a trop souvent pu être utilisée comme un vecteur d'information sur les réformes et les changements de programmes, prenant encore trop peu en compte le contexte social des établissements scolaires.

La formation continue souffre également d'un déficit de visibilité et de lisibilité : plus de la moitié (soit 55 %) des enseignants du premier degré considère que l'accès à l'offre de formation continue est difficile, ou ne sait pas y accéder.

Part des différents freins à la formation continue mis en avant
par les enseignants

(en %)

Source : commission des finances d'après l'enquête Talis 2018 de l'OCDE

II. DES MOYENS FINANCIERS IMPORTANTS MAIS MAL CONNUS

Les limites de la formation continue ne sont cependant pas liées à un manque de moyens humains ou financiers. Au contraire, l'offre de formation n'étant pas toujours pleinement utilisée, les crédits accordés à la formation continue sont structurellement sous-exécutés.

Mais le calcul des montants accordés au titre de la formation continue est rendu complexe par l'absence de suivi distinct des dépenses de personnel de formation initiale et continue consolidé au niveau national. Au total, 1,08 milliard d'euros ont été consacrés en 2022 à la formation des enseignants, en net recul de 11,6 % par rapport à l'année précédente et par rapport à 2017 (en baisse de 27,3 %).

38,4 % des crédits de formation (initiale et continue) sont consacrés au premier degré public et 50,8 % au second degré public, le reste (soit 10,7 %) étant destiné à l'enseignement privé.

Évolution des moyens accordés à la formation des enseignants

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Les rectorats disposent, à leur niveau, de données budgétaires beaucoup plus fines. Mais l'analyse des moyens demeure cependant loin d'être simple, notamment du fait d'un pilotage partagé, s'agissant du premier degré, entre le rectorat et les directions départementales.

La sous-consommation des crédits de formation des enseignants est un phénomène constant depuis 2015. Si les crédits ouverts en loi de finances sont en augmentation sur la période (d'1,35 milliard d'euros à 1,74 milliard d'euros), les crédits exécutés liés à la formation n'ont jamais été aussi faibles et autant sous-consommés depuis 10 ans. Ainsi, en 2022, ce sont 38 % des crédits accordés à la formation des enseignants qui n'auront pas été utilisés, soit 658 millions d'euros.

La formation continue engendre principalement un coût de remplacement des enseignants. En 2020-2021, les congés liés au suivi de formation continue représentaient 18 % des absences des enseignants. Il s'agit du premier motif d'absence des enseignants à l'exclusion des congés de maladie. Or, il n'existe pas d'effectifs de remplaçants spécifiquement dédiés aux remplacements des enseignants mobilisés pour suivre des formations. Parmi les enseignants du premier degré ayant effectué des formations sur leur temps d'enseignement, seuls 44 % affirment avoir toujours été remplacés.

III. REDONNER DU POIDS À LA FORMATION CONTINUE : UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE MAIS DONT LA TRADUCTION EST ENCORE INCOMPLÈTE

Si le pilotage de la formation continue a longtemps été partagé entre les différents échelons, la cohérence d'ensemble du dispositif a souvent été perçue comme difficilement lisible. À partir de 2019, le ministère a toutefois tenté de structurer son effort de formation continue par la mise en place de plans de formation à toutes les échelles.

La formation continue est donc organisée en plusieurs volets principaux organisés selon trois niveaux d'intervention : le niveau national par le programme national de formation (PNF) ; le niveau académique par le programme académique de formation et enfin les formations d'initiative locale (FIL) à l'échelle des établissements. En outre, les écoles académiques de la formation continue, mises en place par le biais d'une expérimentation en juin 2021 et qui ont pour objectif de centraliser la politique de formation continue dans l'académie, constituent une innovation fondamentale mais encore trop récente pour être évaluée. Cette structuration témoigne cependant d'une réelle volonté de prise en compte des enjeux liés à la formation continue par le ministère.

Schéma de la gouvernance de la formation continue des enseignants

Source : commission des finances

Le métier d'enseignant est trop souvent un métier solitaire, dans lesquels les échanges entre pairs ne tiennent qu'une place faible. Les plans « Mathématiques » et « Français » lancés en 2019 ont sur ce plan constitué un changement d'approche de la formation continue, au moins dans le second degré, en encourageant la formation entre enseignants et la confrontation avec les pratiques de classe. L'extension de cette logique dans le second degré et le prolongement de ce modèle au-delà des plans « Mathématiques » et « Français » est souhaitable.

IV. CLARIFIER, ÉVALUER, VALORISER : CONSTRUIRE UNE VÉRITABLE POLITIQUE PUBLIQUE DE LA FORMATION CONTINUE

Les outils informatiques dont dispose le ministère, obsolètes et limités, ne permettent pas de suivre le parcours de formation des enseignants tout au long de leur carrière, sans compter qu'il n'existe qu'une traçabilité très faible des moyens financiers. Il est donc urgent de disposer d'un système d'information plus adapté, à la fois sur le volet budgétaire et sur le volet ressources humaines.

Le dispositif d'évaluation du système de formation est plus que lacunaire, au point qu'une part très importante des formations ne contient pas de module de suivi ou d'évaluation d'impact une fois les enseignants de retour devant leurs classes. D'autre part, lorsqu'une évaluation de la formation existe, elle relève davantage de l'enquête de satisfaction des enseignants que d'une réelle mesure de l'impact de la formation sur leurs pratiques pédagogiques.

Comparaison de la proportion d'enseignants indiquant un impact positif

des activités de formation continue sur les pratiques enseignantes
dans le premier degré

(en %)

 

France

Espagne

Angleterre

Pays-Bas

Suède

Belgique (Flandre)

Danemark

Impact positif de l'une (au moins) des activités de formation continue suivies sur la manière d'enseigner

62 %

84 %

91 %

87 %

81 %

84 %

73 %

Source : commission des finances d'après la DEPP d'après Talis 2018

La certitude que le suivi d'une formation ne sera pas valorisé par le ministère contribue à la faible attractivité de la formation continue auprès des enseignants. Or, à l'heure où le ministère met en avant sa « gestion RH de proximité » et promeut une construction davantage individualisée des carrières enseignantes, la formation continue doit selon le rapporteur spécial devenir un levier de gestion des ressources humaines à part entière.

Il est donc nécessaire de tenir compte dans la mobilité géographique et la mobilité de carrière des enseignants du suivi de formations spécifiques, permettant de réellement passer d'une gestion statutaire à une gestion des ressources humaines. Ainsi, il serait envisageable que la validation de formations diplômantes puisse accélérer l'avancement dans la carrière, et l'idéal serait à terme de pouvoir envisager un positionnement prioritaire des enseignants formés sur certains postes à profil.

Enfin, le développement d'une offre de formation de proximité constitue un avantage certain pour mieux s'adapter aux besoins locaux tout en réduisant les coûts de fonctionnement. D'un point de vue budgétaire, rapprocher la formation des enseignants constitue un facteur de rationalisation non négligeable, notamment par la diminution des frais de déplacement.

Coût d'une journée de formation par stagiaire dans l'académie de Nancy-Metz
en 2021-2022

(en jours et en euros)

Source : commission des finances d'après l'académie de Nancy-Metz

Le recentrage d'une partie de la formation continue autour de l'établissement et du projet d'établissement, sans exclure les échelons locaux, académiques et nationaux va dans le sens d'une autonomie accrue (et souhaitable) des établissements et doit contribuer à rapprocher la formation continue des enseignants.

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