LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

L'ensemble de ces recommandations s'adresse au ministère de l'Éducation nationale.

Recommandation n° 1 : distinguer les financements liés à la formation initiale et à la formation continue dans les documents budgétaires en établissant un cadre national de suivi de l'exécution des crédits.

Recommandation n° 2 : mettre fin à la sous-consommation des crédits ouverts au titre de la formation des enseignants.

Recommandation n° 3 : inscrire un nombre minimum d'heures de formation dans les obligations de service des enseignants du second degré.

Recommandation n° 4 : développer rapidement un outil informatique permettant de disposer au niveau national d'un suivi budgétaire fin et d'une base de données dynamique sur les formations suivies par les enseignants.

Recommandation n° 5 : renforcer le dispositif d'évaluation de la formation continue en systématisant le déploiement d'indicateurs adaptés et en établissant un suivi postérieur à la formation.

Recommandation n° 6 : valoriser le suivi de formations au cours de la carrière des enseignants en conditionnant l'accès à certains postes d'enseignement spécifiques à la validation de formations et en accélérant l'avancée dans la carrière pour le suivi de formations diplômantes.

Recommandation n° 7 : améliorer la reconnaissance du métier de formateur en harmonisant les heures de décharge entre académies dans le second degré et en engageant une réflexion sur leur indemnisation.

Recommandation n° 8 : encourager le développement dans les académies de plans locaux de formation en associant les personnels à leur construction.

Recommandation n° 9 : développer les formations d'initiative locale en associant davantage les chefs d'établissement à la construction des formations et en veillant à une inscription des actions de formation continue au sein du projet d'établissement.

I. LA FORMATION CONTINUE DES ENSEIGNANTS, UN « PARENT PAUVRE » LONGTEMPS MAL JUGÉ

A. INSUFFISANTE, DÉCONNECTÉE, PEU LISIBLE : DES CRITIQUES RÉCURRENTES À L'ENCONTRE DE LA FORMATION CONTINUE DES ENSEIGNANTS

La formation continue des enseignants cristallise un certain nombre de critiques récurrentes dont le sens a peu changé depuis des décennies. Si l'attention du ministère reste concentrée sur la formation initiale, il apparaît que la formation continue concerne toutefois désormais une part non négligeable des enseignants, de sorte que la problématique générale semble être moins celle des moyens que de parvenir à une amélioration qualitative.

1. Un accès des enseignants à la formation continue stable malgré des textes ambitieux
a) Le cadre juridique : une obligation légale de formation continue qui n'est pas appliquée au niveau réglementaire pour le second degré

La loi pour une école de de la confiance de 20191(*) a instauré une obligation d'accès à la formation continue pour les enseignants. L'article L. 912-1-2 du code de l'éducation a été modifié, remplaçant une incitation à la formation (« chaque enseignant est encouragé à se former régulièrement ») par une exigence (la rédaction issue de 2019 indique que « la formation continue est obligatoire pour chaque enseignant »).

Cela ne constituait pas une innovation pour le premier degré, les obligations de service des professeurs des écoles comportant depuis 2008 « dix-huit heures consacrées à des actions de formation continue, pour au moins la moitié d'entre elles, et à de l'animation pédagogique »2(*). À l'inverse, cette affirmation ne s'est pas traduite par une modification du cadre règlementaire s'agissant des enseignants du second degré3(*), pour lesquels aucun temps de formation ne figurait et ne figure encore actuellement dans les obligations de service.

La France fait ainsi partie des 12 pays de l'Union européenne (UE), dont la Finlande ou encore l'Estonie, qui imposent un développement professionnel à tous les enseignants du premier degré, sans lier celui-ci à une situation spécifique. En Allemagne, le développement professionnel est obligatoire pour tous seulement dans l'élémentaire et en République tchèque seulement dans le préélémentaire.

Contrairement aux idées reçues, l'accès des enseignants à la formation est, sur un plan quantitatif, assez massif, bien que très variable entre le premier et le second degré. L'obligation légale est formellement assez respectée dans le premier degré : sur les cinq dernières années scolaires, seuls moins de 6 % des enseignants n'ont suivi aucune formation.

Au cours de l'année scolaire 2020-2021, selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), 283 900 enseignants du premier degré public, soit 86 % d'entre eux, se sont inscrits à au moins un module de formation et 67 % de ces mêmes enseignants (soit 221 000 personnes) ont effectivement participé à une formation. Ces proportions ne sont que de respectivement 65 % et 50 % pour les enseignants du second degré (ce qui représente 197 700 enseignants du secondaire ayant participé à une formation).

À cette différence s'ajoutent de fortes disparités entre catégories d'enseignants du même degré. À peine plus de la moitié des professeurs des écoles ayant des besoins spécifiques ou des professeurs remplaçants a eu accès à une formation en 2020-2021, contre 80 % pour les enseignants ayant fonction de directeur d'école. Avoir été dans le même établissement durant les cinq dernières années facilite l'accès à la formation : c'est le cas de 50 % des enseignants, contre 42 % de ceux qui ont changé d'établissement.

Public ayant suivi une formation en 2022 dans le premier degré

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Dans le second degré, la typologie des enseignants ayant suivi une formation est liée à de nombreux facteurs. Seuls 43 % des remplaçants du second degré ont eu accès à une formation en 2020-2021. Les enseignants sont plus nombreux en formation continue dans les enseignements techniques et professionnels (taux d'accès à la formation de 61 %) et moins dans les disciplines générales (49 %).

Ventilation par discipline de l'accès à la formation continue
pour les enseignants du second degré

 

Personnes assidues

Nombre de journées de stage

Part des enseignants de la discipline ayant suivi une formation

Allemand

3 119

12 197

44,9 %

Anglais

13 953

47 445

36,8 %

Arts plastiques

3 451

15 522

43,2 %

Autres disciplines techniques

317

887

23,3 %

Autres langues

870

2 556

38,6 %

Biologie

9 006

41 150

46,5 %

Économie gestion

2 946

11 840

45,2 %

Éducation musicale

3 224

13 481

43,2 %

Éducation physique

14 936

70 273

44,9 %

Enseignements technologiques

7 816

32 533

42,5 %

Espagnol

7 169

26 698

39,1 %

Histoire-géographie

12 925

51 498

39,9 %

Lettres

17 835

71 685

36,9 %

Mathématiques

17 167

62 022

39,9 %

Philosophie

1 627

5 975

32,3 %

Sciences économiques

2 029

7 742

39,0 %

Total

177 914

725 736

40,4 %

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Le suivi de formations est plus fréquent en milieu de carrière pour l'ensemble des enseignants, ceux en début de carrière se formant paradoxalement moins que leurs collègues plus expérimentés. Moins d'un enseignant du second degré sur cinq ayant 25 ans d'ancienneté ou plus se forme tous les ans, contre un sur quatre pour ceux ayant moins de 25 ans d'ancienneté.

On note par ailleurs une forte déperdition entre les enseignants inscrits à une formation et les personnes considérées comme « assidues », c'est-à-dire ayant suivi l'intégralité de la formation. Près de la moitié des enseignants inscrits ne sont pas assidus à la formation, dans le premier comme dans le second degré.

Accès à la formation continue dans l'enseignement public en 2021-2022

Source : commission des finances d'après les données du ministère

L'inscription par la loi pour une école de la confiance de l'obligation de formation continue pour les enseignants n'a pas entraîné une hausse du taux d'accès à la formation, d'autant plus que les données ont été perturbées dès l'année suivante par la crise sanitaire. Là encore, les évolutions sont contrastées en premier et second degré. L'accès à la formation est en hausse sur la dernière décennie pour le premier degré : entre 2015 et 2019, le taux d'accès à la formation pour les enseignants en maternelle a par exemple augmenté de 24 points. Le taux d'accès à la formation est a contrario en baisse constante pour le second degré, comme l'indique le graphique ci-contre.

Évolution du taux d'accès à la formation

(en %)

Source : commission des finances d'après la DEPP

b) Un temps de formation qui ne progresse pas et reste largement inférieur à la moyenne européenne

Au-delà de l'accès à la formation, le temps moyen de formation reste significativement bas pour la majeure partie des enseignants. En d'autres termes, la prise de conscience de l'importance de la formation continue a pu se matérialiser par une augmentation du temps passé par les enseignants en formation, à tout le moins dans le premier degré, mais celui-ci reste très inégal. Dans le second degré en revanche, le temps passé en formation est stable depuis 2013 pour l'ensemble des catégories d'enseignants.

Si les carences de la formation continue n'épargnent pas l'ensemble de l'administration publique, le temps passé par les enseignants en formation est bien inférieur par rapport au reste de la fonction publique. Il était en 2019-2020 de 2 jours par enseignant dans le premier degré, et de 1,6 jour dans le second degré. Dans l'ensemble, les personnels du ministère de l'Éducation nationale suivent 1,2 jour de formation par an (personnels non-enseignants compris), contre 7,4 jours par an pour l'ensemble des personnels des autres ministères4(*).

Dans l'UE, la France fait pourtant partie des pays les plus ambitieux en matière de formation continue des enseignants, du moins pour le premier degré. Deux autres pays définissent un volume horaire annuel : 18 heures en en Finlande, soit une cible identique à la France et 15 heures ou 16 heures en Autriche. Quatre pays définissent un volume pluriannuel : par exemple 36 heures tous les trois ans de carrière en Lettonie. La Slovénie définit quant à elle une obligation de formation de 5 jours par an, soit un volume nettement supérieur à la France.

Dans le second degré, 7 pays définissent une durée minimum de formation continue pour leurs enseignants, identiques à celui du premier degré en Finlande et en Autriche.

2. Un sentiment majoritaire d'inadéquation de la formation
a) Information n'est pas formation : des formations qui restent perçues par les enseignants comme peu pertinentes

Au-delà de l'aspect quantitatif, pour lequel des progrès ont été malgré tout réalisés, l'analyse qualitative, c'est-à-dire celle du contenu de la formation continue et de sa réception par les enseignants, reste très nuancée.

Les syndicats d'enseignants entendus par le rapporteur spécial soulignent le « scepticisme des enseignants sur l'offre de formation continue », « éloignée des préoccupations des professeurs », trop peu concrètes et déconnectées du quotidien des enseignants5(*). Le constat, amplement partagé, est loin d'être nouveau et a été soulevé à maintes reprises par différents acteurs et notamment les inspections générales. « C'est le peu d'ancrage dans les réalités du travail enseignant dans la classe qui constitue le motif le plus récurrent de désaffection pour la formation » indiquait un rapport de 2018 commun à l'inspection générale de l'Éducation nationale (IGEN) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR)6(*).

Ainsi, d'après l'enquête Talis de 2018 menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les enseignants français sont 47 % à considérer qu'il n'existe pas de formation appropriée à leurs besoins, contre 19 % en Belgique ou 24 % en Angleterre.

Part des différents freins à la formation continue mis en avant
par les enseignants

(en %)

Source : commission des finances d'après l'enquête Talis 2018

En particulier, la formation a pu trop souvent être utilisée par les inspections académiques comme un vecteur d'information sur les réformes et les changements de programmes, ce qui ne correspond pas à la vocation de la formation continue, qui doit permettre en premier lieu une amélioration des pratiques des enseignants et leur accompagnement tout au long de leur carrière. La direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a reconnu lors de son audition qu'il existait historiquement une tendance au détournement des formations. Comme l'indiquait déjà un rapport du Sénat de 2018, « en 2010, les inspections générales soulignaient que la politique de formation continue avait abandonné deux de ses objectifs originels - l'amélioration des compétences professionnelles et la promotion individuelle - au profit du seul accompagnement des réformes »7(*). Bien qu'anciennement identifiée, cette tendance ne semble pas avoir complètement disparu.

b) Un besoin de formation souligné par les enseignants ciblé sur certains aspects

L'inadaptation des formations provient en premier lieu d'un recueil du besoin inadapté. Ainsi, d'après l'enquête menée auprès de 1 600 enseignants par le centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) en 20208(*), seuls 53 % des enseignants du premier degré et 36 % des enseignants du second degré déclarent discuter de leurs besoins en formation avec des personnels de direction ou d'encadrement.

Lorsque le besoin est pris en compte, les syndicats entendus par le rapporteur spécial mettent en avant un possible décalage temporel entre l'identification du besoin et l'action de formation prévue en réponse, le délai entre les deux étant bien souvent trop important (par exemple dans le cas d'élèves à besoins éducatifs particuliers ou au comportement perturbateur).

D'après les données Talis, les enseignants expriment des besoins de formation supérieurs à ceux de leurs collègues européens sur des composantes essentielles de leur métier : l'enseignement aux élèves ayant des besoins spécifiques (34 % au collège contre 21 % dans l'Union européenne) ou la capacité à adopter des approches pédagogiques individualisées (24 % contre 13 %). Chez les enseignants du 1er degré, ces besoins se révèlent encore plus importants : 47 % déclarent des besoins de formation pour l'enseignement à des élèves ayant des besoins spécifiques et 35 % pour l'utilisation du numérique dans l'enseignement.

Par rapport à la précédente enquête Talis de 2013, le besoin de formation des enseignants français a même augmenté pour la quasi-totalité des compétences étudiées : concernant la gestion de classe (+ 4 points), la mise en place d'approches pédagogiques individualisées (+ 5 points), l'enseignement à élèves ayant des besoins particuliers (+ 7 points).

Besoins de formation élevés identifiés par les enseignants en exercice exerçant
en collège, comparaison France et UE entre 2013 et 2018

Source : commission des finances d'après la DEPP

Paradoxalement, alors que le besoin de formations aux compétences transversales est important, les différents acteurs entendus par le rapporteur spécial, et notamment les syndicats d'enseignants, soulignent que les enseignants sont principalement demandeurs de formations disciplinaires. Ainsi, toujours d'après l'enquête Talis, les formations les plus suivies par les enseignants sont celles pour lesquelles ils sont les moins nombreux à exprimer un besoin élevé de formation. À l'école, ce sont les formations dont les contenus portent sur les compétences pédagogiques dans la discipline enseignée (81 %), la connaissance ou la maîtrise de la discipline enseignée (70 %) ou la connaissance des programmes scolaires (62 %) qui sont les plus suivies. Au collège, ce sont celles portant sur les compétences pédagogiques dans la discipline enseignée (63 %), puis celles portant sur la connaissance ou la maîtrise de la discipline enseignée (51 %) ou les pratiques d'évaluation des élèves (51 %). La déconnexion entre le besoin exprimé et le besoin réel de formation est soulignée par un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche : « les enseignants ont parfois tendance à solliciter et à effectuer des stages dans les domaines où ils sont déjà assez forts et sans besoin »9(*).

Enfin, les formations prennent encore trop peu en compte le contexte social des établissements scolaires. Ainsi, les enseignants en éducation prioritaire suivent moins de formations que leurs collègues, et ce à tous les niveaux.

Taux d'accès à la formation des enseignants du premier degré selon l'affectation en éducation prioritaire, en 2019-2020

Source : commission des finances d'après le bilan social du ministère de l'Éducation nationale

Pourtant, comme l'indique le rapport de l'IGEN-IGAENR de 2018 précédemment mentionné, « les besoins en formation des équipes enseignantes, sont fortement corrélés aux lieux d'exercice et à leur composition sociale ».


* 1 Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

* 2 Décret n° 2008-775 du 30 juillet 2008 relatif aux obligations de service et missions des personnels enseignants du premier degré.

* 3 Décret n° 2014-940 du 20 août 2014 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d'enseignement du second degré.

* 4 La formation statutaire et professionnelle dans la fonction publique de l'État en 2020, Direction générale de l'administration et de la fonction publique, 2022.

* 5 Audition des syndicats d'enseignants.

* 6 La formation continue des enseignants du second degré : de la formation continue au développement professionnel et personnel des enseignants du second degré ? Rapport public IGEN-IGAENR, n° 2018-068, septembre 2018.

* 7 Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité, rapport d'information de M. Max BRISSON et Mme Françoise LABORDE, n° 690, 2018.

* 8 Les parcours de formation des enseignants des premier et second degrés en France, Cnesco, 2021.

* 9 L'ingénierie de formation en académie (premier et second degrés) : organisation, intervenants, utilisation des moyens, évaluation des actions, IGÉSR, 2020-138, octobre 2020.

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