B. QUEL COÛT DE LA FORMATION CONTINUE ? UN MANQUE DE TRANSPARENCE BUDGÉTAIRE EN LIEN AVEC DES OUTILS INFORMATIQUES INADAPTÉS

Le rapporteur spécial, comme les acteurs qu'il a entendus, considère que les limites de la formation continue ne sont cependant pas liées à un manque de moyens humains ou financiers. Au contraire, l'offre de formation n'étant pas toujours pleinement utilisée, les crédits accordés à la formation continue sont structurellement sous-exécutés. Pour autant, une analyse budgétaire plus détaillée se heurte à la difficulté de disposer de données consolidées, notamment du fait de systèmes informatiques inadaptés.

1. Des montants conséquents mais mal connus
a) À l'échelle nationale

En effet, si les documents budgétaires contiennent bien des actions dédiées à la formation dans les programmes 140 (action 4) et 141 (action 10), ils ne différentient pas les dépenses de formation initiale et de celles de formation continue. Le ministère a indiqué au rapporteur spécial ne pas réaliser actuellement de suivi distinct des dépenses de personnel de formation initiale et continue mais « souhaite engager des travaux permettant de les distinguer »10(*). Le rapporteur spécial ne saurait trop insister en effet sur l'importance de procéder rapidement à cette réforme.

Cette absence de distinction conduit le ministère à formuler des approximations telles que « dans le premier degré, les crédits de la formation continue financent la formation initiale des personnels enseignants »11(*). Ces crédits sont donc en partie destinés aux instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPé), la gratification des stagiaires en master métier de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) et, à titre secondaire, à la formation continue. Dans le second degré, les crédits sont également destinés à accompagner le déploiement du schéma directeur de formation continue (SDFC) des personnels du ministère.

Le ministère met en avant la « réelle complexité méthodologique » de cette distinction : « la budgétisation comme le suivi de l'exécution de ce coût nécessiterait d'agréger des données budgétaires précises (indemnité de formateurs, frais de déplacements et d'hébergement liés à la formation continue...) aux dépenses de remplacement d'absences causées par des actions de formation ». Or, les systèmes d'information du ministère ne permettent à l'heure actuelle d'identifier l'origine du besoin de formation. Le rapporteur spécial estime que, étant donné les montants en jeu, un suivi précis de la destination de la dépense est indispensable pour améliorer la transparence et la performance du ministère. À ce titre, distinguer formation initiale et continue doit constituer un axe prioritaire

Recommandation n° 1 : distinguer les financements liés à la formation initiale et à la formation continue dans les documents budgétaires en établissant un cadre national de suivi de l'exécution des crédits.

La Cour des comptes, s'appuyant sur le calcul établi en réponse à l'enquête interministérielle de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) dans le cadre du rapport annuel sur l'état de la fonction publique de 2016, a mis en avant la somme d'1,07 milliard d'euros liée à la formation professionnelle des agents du ministère de l'Éducation nationale par an, dont la majeure partie à destination des enseignants.

Ce montant n'est cependant qu'une approximation et paraît assez élevé. Il semble se rapprocher des montants accordés à la formation initiale et continue des enseignants dans son ensemble. Ainsi, 1,08 milliard d'euros ont été consacrés en 2022 à la formation des enseignants, en net recul de 11,6 % par rapport à l'année précédente (soit - 142 millions d'euros). Par rapport à 2017, les crédits accordés à la formation des enseignants ont reculé de 406 millions d'euros, soit une baisse de 27,3 %.

Évolution des moyens accordés à la formation des enseignants

(en CP en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Cette baisse découle selon le ministère d'une part de la crise sanitaire qui a entraîné une diminution du nombre de formations et d'autre part de la diminution du nombre d'enseignants stagiaires. 38,4 % des crédits de formation (initiale et continue) sont consacrés au premier degré public et 50,8 % au second degré public, le reste (soit 10,7 %) étant destiné à l'enseignement privé.

Ventilation des crédits de formation des enseignants consommés en 2022

(en CP en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

S'agissant du nombre de personnels dédiés à la formation continue, les difficultés sont les mêmes. Le ministère n'a pas pu indiquer au rapporteur spécial quelle part des 20 000 emplois rémunérés par les actions « formation » des programmes 140 et 141 correspondait à des emplois de formateurs.

Plafonds d'emplois consacrés à la formation initiale
et continue des enseignants en 2022

(en ETPT)

 

LFI

Consommation

Premier degré

14 313

10 964

Second degré

12 506

9 161

Source : commission des finances d'après le rapport annuel de performance

Les crédits hors titre 2 relatifs à la formation sont quant à eux dédiés en majeure partie à la formation continue. Ils recouvrent les dépenses afférentes à l'organisation de la formation des personnels, y compris les frais de déplacement. Ils ne représentent toutefois qu'une part extrêmement minoritaire (6,8 %) des dépenses accordées au titre de la formation des enseignants. Par conséquent, s'il est tentant par facilité de réduire l'analyse des crédits aux dépenses hors masse salariale, celles-ci ne sont pas représentatives.

Ventilation par titre des dépenses de formation en 2022

(en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Ventilation de l'exécution des crédits hors titre 2

(en CP en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Concernant l'enseignement privé, une dotation, s'élevant à 37,86 millions d'euros en 2023, est versée chaque année aux organismes de formation continue (essentiellement la fédération des associations pour la formation et la promotion professionnelles dans l'enseignement catholique - FORMIRIS, ainsi qu'à d'autres associations laïques ou confessionnelles). Sur cette somme, 1,6 million est destiné à financer la mise en oeuvre du schéma directeur de la formation continue dans l'enseignement privé.

b) À l'échelle académique

Les rectorats disposent, à leur niveau, de données budgétaires beaucoup plus fines. Mais l'analyse des moyens demeure cependant loin d'être simple, notamment du fait d'un pilotage partagé, s'agissant du premier degré, entre le rectorat et les directions départementales. En outre, chaque académie constitue une entité autonome en matière de gestion, disposant de son propre budget et sa propre organisation, de sorte que la difficulté à disposer d'une vision consolidée des moyens peut également être constatée au niveau de l'académie.

Ainsi, s'agissant de l'académie de Paris, un rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR)12(*) indiquait que « l'académie ne dispose pas, en effet, des outils de suivi et de pilotage du budget de la formation continue dont elle a besoin. Le budget académique de la formation continue n'est connu dans son ensemble par personne. [...] L'opacité est aujourd'hui totale pour la direction de l'académie concernant les moyens (en crédits, en vacations, en heures de décharge) ». Les moyens consacrés à la formation continue dans l'académie s'élevaient en 2018 à 2,7 millions d'euros. Mais les budgets fluctuaient au cours de l'année, 2 millions d'euros étant délégués en cours de gestion à la division académique de la formation et du développement professionnel (DAFOR) par le rectorat.

À titre d'exemple, les rémunérations accordées aux formateurs dans l'académie de Paris en 2018 représentaient 900 000 euros pour les seuls vacataires et 800 000 euros sous forme de décharges d'enseignement, ce qui représente l'équivalent de 14 ETP. S'y ajoutaient 450 000 euros de crédits de fonctionnement et 700 000 euros pour la rémunération du personnel administratif.

En conséquence, si le ministère ne dispose pas d'une vision académique consolidée, le travail de suivi des crédits doit avant tout s'effectuer au niveau des rectorats eux-mêmes.

Toutefois, il existe une diversité d'approches et de montants. Pour le premier degré, dans l'académie de Nancy-Metz, les moyens académiques sont passés de 18 000 euros seulement en 2017 à 153 000 euros en 2022. À l'inverse, les montants accordés aux directions départementales sont passés sur la même période de 212 000 euros à 198 000 euros. Concernant le second degré, le seuil du million d'euros (1,08 million d'euros) a été franchi dans l'académie en 2022, mais demeure inférieur aux dépenses pré-covid (1,4 million d'euros en 2019).

L'académie de Nancy Metz indique consacrer environ 155,2 ETP, dont 137 enseignants pour l'élaboration et la mise en oeuvre du plan de formation continue, répartis entre l'échelle académique et départementale, ce qui représente un montant de titre 2 de 13 millions d'euros. Ce montant incluant la part de service des enseignants maîtres formateurs et les conseillers pédagogiques de circonscription, qui sont déployés en école primaire, les emplois sont consacrés à près de 80 % sur le 1er degré. 13 ETP sont consacrés au fonctionnement de l'école académique de la formation continue (cf. infra).

Sur la base d'un coût moyen de la journée HT2 de 17,43 euros par stagiaire et du nombre de journées déjà prévues sur les six premiers mois de l'année et d'une projection sur les six derniers mois, le budget estimé pour la période 2022-2023 s'élève à 1,2 million d'euros pour le second degré.

Dans la mesure où l'académie de Nancy représente 3,5 % des effectifs nationaux d'enseignants, dans l'hypothèse où l'académie serait représentative, les dépenses de rémunération liées à la formation continue à l'échelle de l'enseignement public s'élèveraient à un peu moins de 400 millions d'euros. Ce chiffre est cependant vraisemblablement largement en-deçà de la réalité et n'est fourni qu'à titre purement indicatif par le rapporteur spécial.

2. Une sous-consommation récurrente des crédits ouverts pour la formation continue

Au-delà des aspects de pilotage et de consolidation des données, le niveau des moyens accordés ne semble pas avoir constitué une difficulté pour l'ensemble des acteurs entendus par le rapporteur spécial. En témoigne la sous-consommation des crédits de formation des enseignants, qui est un phénomène récurrent depuis 2015. Si les crédits ouverts en loi de finances sont en augmentation sur la période (d'1,35 milliard d'euros à 1,74 milliard d'euros), les crédits exécutés liés à la formation n'ont jamais été aussi faibles et autant sous-consommés depuis 10 ans.

Ainsi, en 2022, ce sont 38 % des crédits accordés à la formation des enseignants qui n'auront pas été utilisés, soit 658 millions d'euros. Après deux ans de surconsommation en 2013 et 2014, la sous-exécution des crédits est croissante d'année en année.

Exécution des crédits de formation des enseignants

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

L'enseignement privé est un peu moins touché par le phénomène de sous-exécution, mais n'est cependant pas complètement épargné, 24 % des crédits ouverts n'ayant pas été utilisés. En revanche, la sous-consommation atteint 40 % des crédits dans l'enseignement public, premier et second degré confondus.

Ventilation de la sous-consommation 2022 (CP)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

L'administration justifie cette sous-consommation par la crise sanitaire qui a entraîné l'annulation de nombreuses formations. Toutefois, la sous-exécution des crédits est bien antérieure à la crise sanitaire : en 2019, près d'un quart des crédits ouverts n'avaient pas été utilisés.

Le ministère met également en avant la difficulté à évaluer en amont la demande de formations des enseignants. L'académie de Nancy-Metz a ainsi indiqué mettre en place une nouvelle procédure d'élaboration du budget prévisionnel de la formation, plus précise mais souligne différents éléments qui contribuent à éloigner le résultat de la prévision : enseignants ne demandant pas le remboursement de leurs frais, annulations de formations, absentéisme élevé aux formations, passage des formations physiques à des formations à distance.

Si ces éléments peuvent en effet être un facteur de complexité, ils ne peuvent constituer une réelle explication de la sous-exécution de plus d'un cinquième des dépenses prévues. Alors que, comme cela sera développé plus bas, les formations à public désigné et les formations généralisées au personnel du premier degré constituent une part de plus en plus importante du total des formations, il est surprenant que l'écart de consommation ne se réduise pas, mais tende au contraire à augmenter dans des proportions qui posent de réelles questions quant à la sincérité budgétaire des montants ouverts en loi de finances.

Recommandation n° 2 : mettre fin à la sous-consommation des crédits ouverts au titre de la formation des enseignants.

3. La question des remboursements des frais liés à la formation

Dans son référé de 2015 sur la formation continue13(*), la Cour des comptes soulevait une « application sélective des textes en réservant le remboursement des frais à une partie des enseignants seulement, ou bien seulement aux formateurs, ou encore de ne rembourser aucun des frais liés à la formation continue », à rebours des textes qui prévoient un remboursement intégral des frais. Dans certaines académies, la Cour montrait que seuls les frais liés à des stages obligatoires étaient remboursés. De façon étonnante, les raisons du ministère pour ne pas appliquer systématiquement les textes étaient : « le coût de la dépense qui découlerait d'une prise en charge systématique (estimée à plus d'1 million d'euros par an pour une académie comme celle de Versailles) et la lourdeur de la gestion administrative qu'elle engendrerait ».

Le ministère a fixé les frais de remboursement14(*) à hauteur de :

- 90 euros par nuitée pour les villes de plus de 200 habitants et 70 euros dans le reste du territoire, à l'exception de 110 euros pour Paris ;

- 17,5 euros par repas.

À l'exception des années 2020 et 2021, en raison de la crise sanitaire, le coût annuel des frais divers liés à la formation continue se situe annuellement entre 25 et 30 millions d'euros pour l'enseignement public, auquel s'ajoutent environ 5 millions d'euros par an pour l'enseignement privé.

Moyens consacrés au remboursement des frais de formation des enseignants
dans l'enseignement public

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Il est certain que la non-application des textes s'agissant du remboursement des frais de formation était problématique et constitue un facteur de fragilité juridique. Cependant, aucun des acteurs entendus par le rapporteur spécial, y compris les syndicats enseignants, n'ont soulevé le problème du non remboursement. Le SGEN-CFDT a ainsi indiqué que « le coût n'est pas un argument souvent avancé du côté des personnels formés »15(*). De fait, le coût de la formation constitue moins un frein en France qu'ailleurs en europe : 26 % des enseignants français déclarent renoncer à des formations pour des raisons financières, contre 47 % en moyenne européenne16(*).

Il est curieux que, alors que les montants accordés aux remboursements n'ont pas augmenté depuis 2015, date du constat de la Cour, cela ne semble pas être un sujet. Une des explications réside peut-être dans une plus stricte application des textes mais pour les seuls enseignants qui demandent le remboursement de leurs frais, ce qui n'est pas le cas de tous. D'après l'enquête du Cnesco mentionnée plus haut, seuls 27 % les enseignants du premier degré répondants qui ont participé à au moins une action de formation continue au cours des deux dernières années ont effectué une demande de remboursement, contre 58 % parmi les enseignants du second degré. Les chiffres du Cnesco sont parlants : environ un enseignant sur dix sait que des démarches sont nécessaires pour être remboursés mais 13 % dans le premier degré, 10 % dans le second degré y renoncent. Ils sont respectivement 17 % et 8 % à ne pas savoir si les frais engagés pour la formation continue sont pris en charge par leur académie. Ils sont 18 % dans le premier degré et 14 % dans le second degré à indiquer que ces frais ne sont pas pris en charge dans leur académie.


* 10 Réponses du ministère au questionnaire.

* 11 Idem.

* 12 Organisation de la formation continue des enseignants (académie de Paris). Mission d'appui aux académies, IGAENR, septembre 2018.

* 13 Cour des comptes - Référé n° 71653, janvier 2015.

* 14 Décret n° 2019-139 du 26 février 2019 modifiant le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État et • Arrêté du 11 octobre 2019 modifiant l'arrêté du 3 juillet 2006 fixant les taux des indemnités de mission prévues à l'article 3 du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État.

* 15 Audition des syndicats d'enseignants.

* 16 Talis 2018.

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