C. UN PILOTAGE HISTORIQUEMENT COMPLEXE

1. Des outils informatiques devenus obsolètes qui complexifient le pilotage du ministère

Comme bien souvent dans l'enseignement scolaire et supérieur, la gestion des ressources est limitée par les systèmes d'information utilisés, pour la plupart anciens et qui ne sont plus adaptés aux nouveaux usages. Les outils informatiques existants ne permettent pas un suivi fin des formations suivies, et, par conséquent, de leur impact budgétaire.

Les limites des systèmes actuels sont consensuelles : « l'écosystème numérique qui soutient la formation continue est un peu flou »17(*), selon le Cnesco, tandis que la DGESCO elle-même reconnaît les failles du système informatique : « le système d'information permettant la gestion et le suivi de la formation continue est largement perfectible »18(*).

Actuellement, les données relatives à la formation continue proviennent essentiellement de l'application Gaia, par le biais de l'enregistrement administratif des convocations, des frais de déplacement des enseignants et de la rémunération des formateurs. Gaia est cependant limitée pour un certain nombre de raisons.

D'une part, le logiciel a été conçu comme une simple plateforme de gestion administrative et non comme un outil de connaissance et de gestion des ressources humaines.

L'IGESR, dans son rapport de 2020 sur l'ingénierie de formation mentionné plus haut, indiquait que « si la base de données existe, elle est peu exploitée en académie ». Bien au contraire, les rectorats, voire les directions départementales, ont bien souvent développé leurs propres outils numériques, facteur de fragmentation du paysage informatique et de complexification du recueil de la donnée. Si le suivi des formations dont a bénéficié chaque enseignant est bien souvent effectué au niveau académique, il n'existe pas de données consolidées aux niveaux interacadémique et national. Gaia « n'apporte pas de valeur ajoutée aux gestionnaires et formateurs en circonscription dans leur exercice quotidien, et encore moins à tous ceux qui coordonnent la construction des plans de formation »19(*).

En outre, la fiabilité des données issues de Gaia est sujette à caution : les inspections générales indiquent que « force est de constater que toutes les actions de formation ne sont pas toujours renseignées. Il en résulte une connaissance partielle et bien souvent sous-évaluée des volumes de la formation proposée et réalisée »20(*), et la DEPP va dans le même sens en précisant que « certaines formations peuvent ne pas avoir été répertoriées dans Gaia, d'autres peuvent avoir été saisies partiellement »21(*). En outre, les formations non financées ne sont pas enregistrées dans Gaia et demeurent donc invisibles dans les données du ministère.

À titre d'exemple, les outils informatiques ne permettent pas de disposer de données consolidées sur le moment où a été suivie la formation (vacances scolaires, horaires de classes, etc.) : « ce sont des informations compliquées à remonter des bases de gestion car les formations prennent des formes très variées. Ainsi dans Gaia nous disposons d'une date de début et d'une date de fin de session mais qui ne suffit pas pour être exploitable »22(*). Cela représente pourtant des informations cruciales pour le pilotage national dans l'optique de la gestion des remplacements.

L'Unsa a également souligné lors de son audition que « les modalités d'inscription ne sont pas toujours aisées », du fait de logiciels d'inscription peu ergonomiques. Gaia représente pourtant le principal mode d'inscription et de connaissance de la formation continue auprès des enseignants, comme le montre le graphique du Cnesco ci-dessous :

* : directeur d'école.

** : chef d'établissement.

Source : enquête Cnesco 2021

En outre, jusqu'à récemment, les enquêtes de la DEPP et les indicateurs académiques étaient davantage centrés sur les élèves que sur les enseignants. Les indicateurs suivis par la DEPP sur la formation continue restent assez concis : taux d'inscription, taux d'accès, part des enseignants jamais formés ou formés chacune des cinq dernières années et temps moyen passé en formation.

2. L'enjeu majeur du remplacement des enseignants formés

En 2020-2021, les congés liés au suivi de formation continue représentaient 18 % des absences des enseignants (contre 19,4 % en 2018-2019 avant la crise sanitaire). Il s'agit du premier motif d'absence des enseignants à l'exclusion des congés de maladie, pour un total évalué par le DGRH lors de son audition à 2 millions d'heures annuelles.

Répartition des principaux congés et absences
au cours de l'année scolaire 2019-2020

(en %)

Libellé du congé

Fréquence

Congé de maladie ordinaire

40,8

Autorisation d'absence pour stage de formation continue

18,0

Autorisation d'absence pour garde d'enfant malade

11,8

Autorisations d'absences diverses avec traitement

7,3

Absence autorisée en REP

2,7

Autorisation d'absence pour réunions pédagogiques

1,9

Congé de longue maladie non imputable au service

1,6

Congé de maternité

1,6

Sortie pédagogique

1,4

Autorisation d'absence pour événement familial

1,4

Autres

11,6

Source : bilan social du ministère de l'éducation nationale 2020-2021

La plupart des absences liées à la formation continue sont des absences de courtes durées, à l'exception des congés de formation professionnelle, qui permettent aux enseignants de suivre des stages de formation à caractère professionnel ou personnel qui ne leur sont pas proposés par l'administration ou des préparations aux concours administratifs. Le nombre de congés de formation professionnelle reste cependant assez faible.

Nombre de personnels ayant bénéficié d'un congé de formation professionnelle

en 2019-2020

Grade

Nombre de personnes ayant bénéficié ou en situation de congé de formation professionnelle indemnisé

Nombre de personnes ayant bénéficié ou en situation de congé de formation professionnelle non indemnisé

Total

AESH

14

 

14

Enseignant contractuel

17

 

17

Professeur agrégé

146

4

150

Professeur certifié

917

7

924

Professeur de lycées prof

126

4

129

Professeur d'EPS

80

1

81

Professeur des écoles

34

4

38

Total général

1 379

20

1 399

Source : bilan social du ministère

Or, il n'existe pas d'effectifs spécifiquement dédiés aux remplacements des enseignants mobilisés pour suivre des formations. Tous les remplaçants ont vocation à intervenir pour ce type d'absence, au même titre que toutes les catégories de congés23(*). Le cadre réglementaire rappelle que les absences de courte durée qui sont générées par l'institution, dans le cadre de la formation continue en premier lieu, doivent pouvoir être anticipées et communiquées le plus tôt possible au chef d'établissement ou à l'inspecteur de circonscription.

Le ministère a indiqué au rapporteur spécial que, dans le premier degré, les enseignants en formation sur le temps de classe « sont remplacés selon des modalités d'organisation qui varient d'un département à l'autre afin de répondre au mieux aux besoins et spécificités territoriales »24(*). Le plus souvent, les enseignants sont remplacés par des enseignants remplaçants. Dans le premier degré, le potentiel des professeurs remplaçants en septembre 2022 correspond à 975 960 demi-journées sur un mois.

Dans le second degré, il n'existe pas de remplacement extérieur pour les absences courtes : un protocole au sein de chaque établissement définit les modalités de mobilisation des enseignants de l'établissement, rémunérés en heures supplémentaires, pour un remplacement d'une durée inférieure à deux semaines25(*). Toutefois, le ministère ne semble pas disposer des données sur la part des heures supplémentaires ayant été mobilisées pour des besoins de remplacement. Il a indiqué au rapporteur spécial avoir engagé des travaux afin de se doter de nouveaux indicateurs portant sur le remplacement et de fiabiliser les données sur les absences nécessitant un remplacement de courte durée. Le rapport de l'IGEN-IGAENR de 2017 sur la formation continue des enseignants du premier degré soulignait la « faiblesse des moyens de remplacement dédiés à la formation continue ».

D'après la Cour des comptes26(*), la formation continue occasionne un tiers des absences non-remplacées. Selon l'enquête du Cnesco, parmi les enseignants du premier degré ayant effectué des formations sur leur temps d'enseignement, seuls 44 % affirment avoir toujours été remplacés. Il semble aussi que des formations soient annulées en l'absence de remplacement prévu.

D'après l'enquête Talis 2018 de l'OCDE, 61 % des enseignants français indiquent que leur emploi du temps professionnel constitue un frein à la formation continue. Les syndicats enseignants entendus par le rapporteur spécial considèrent qu'il est fréquent que des enseignants renoncent à suivre une formation par crainte de ne pas être remplacés.

3. Un foisonnement d'offres et d'acteurs qui contribue à une faible lisibilité du paysage de la formation continue
a) Une gouvernance complexe faisant intervenir de nombreux acteurs

La formation continue des enseignants implique une multitude d'acteurs institutionnels intervenant à différents échelons.

S'agissant de l'administration centrale, le pilotage de la formation continue est partagé entre la DGESCO et la direction générale des ressources humaines (DGRH). Les deux directions ont pour mission de définir les orientations générales de la politique de formation continue. Fait symptomatique de l'approche historique du ministère, la DGESCO est en première ligne, ce qui reflète une approche de la formation davantage tournée vers une approche disciplinaire que vers un outil de gestion des ressources humaines. La DGESCO établit le cadre réglementaire de la formation continue, organise les actions de formation nationales, accompagne les académies et organise le recueil des données de la formation continue.

Schéma de la gouvernance de la formation continue des enseignants

Source : commission des finances

Le schéma directeur de la formation continue (SDFC) est ainsi co-piloté par la DGESCO et la DGRH. Il est conçu avec l'expertise de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), de la direction de l'encadrement, de l'IH2EF, de la direction des sports (DS) et de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA).

S'agissant de l'action déconcentrée du ministère, le pilotage du premier degré se fait encore largement aux niveaux des départements et des circonscriptions et celui du second degré au niveau de l'académie. Si la très récente création des écoles académiques de la formation continue (ÉAFC) (qui sera développée plus bas) va dans le sens de davantage de place à l'échelon académique, les services départementaux continuent à gérer le remplacement des enseignants dans le premier degré, y compris ceux en formation, et le budget dévolu à la formation continue.

Jusqu'en 2019, l'article L. 912-1-2 du code de l'éducation précisait que l'offre de formation continue était proposée « notamment par le biais des écoles supérieures du professorat et de l'éducation » (Espé). Cette mention a été supprimée depuis, contribuant à une ambiguïté sur le rôle des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ). Bien que théoriquement en charge du continuum de formation des enseignants entre formation initiale et continue, les INSPÉ n'interviennent plus que de manière marginale dans la formation continue dans certaines académies. Les instituts ont recentré leur action sur la formation initiale des enseignants, y compris dans les académies où ils continuent d'être associés en amont par le recteur. Dans l'INSPÉ de Paris, 53 formateurs sur 178 participaient totalement ou partiellement en 2022-2023 à la formation continue des enseignants de l'académie, soit environ 30 % des ressources de l'INSPÉ.

À cette gouvernance officielle s'ajoute un « écosystème parallèle » de la formation continue. Le Cnesco a montré que la moitié des enseignants ont suivi pendant leur carrière une offre de formation extérieure au ministère et le rapport des inspections générales de 2018 souligne que « le marché libre de la formation s'est en particulier beaucoup développé avec 54 000 organismes de formation actifs sur lesquels l'institution n'a que peu d'informations fiables ».

Doivent également être ajoutés parmi les acteurs de la formation continue l'ensemble des intervenants dans les établissements, directeurs d'école et chef d'établissement, mais aussi collègues enseignants et syndicats, qui représentent la principale source d'information sur la formation continue pour les enseignants du primaire comme du secondaire.

Interlocuteurs privilégiés par les enseignants pour évoquer leurs besoins de formation continue

Premier degré

Second degré

Source : Cnesco

L'articulation auprès des enseignants de ces différents intervenants n'est pas toujours évidente et semble souffrir d'un défaut de coordination, dans la mesure où leurs champs d'intervention se recoupent fréquemment.

Champ d'intervention des différents acteurs dans le déploiement
de la formation continue auprès des enseignants

Source : Cnesco

b) Un catalogue de formations foisonnant et difficilement lisible

Le manque de lisibilité de l'offre de formation continue est un constat relativement consensuel auprès des acteurs entendus par le rapporteur spécial, en premier lieu les syndicats enseignants. La DGRH elle-même a reconnu lors de son audition par le rapporteur spécial une « dispersion de l'offre de formation entre le premier et le second degré » et une « logique de catalogue de l'offre », insuffisamment pilotée.

Les inspections générales ont qualifié en 2018 l'organisation de la formation continue d'erratique, indiquant que, « si la profusion des ressources, des dispositifs et opérateurs est une richesse, leur dispersion sur de nombreuses plateformes, diversement organisées ne permet pas aux enseignants de s'en emparer aisément et en brouillent la lisibilité ». « Le paysage de la formation continue se caractérise par une profusion de ressources, une multiplicité de propositions, de dispositifs, d'acteurs, d'opérateurs et leur dissémination sur les nombreuses plateformes des sites institutionnels, publics ou privés ».

En conséquence, plus de la moitié (soit 55 %) des enseignants du premier degré, d'après l'enquête du Cnesco, considère que l'accès à l'offre de formation continue est difficile ou ne sait pas y accéder. Cette proportion est un peu moins élevée dans le second degré, mais concerne tout de même près de 40 % des professeurs.

Facilité d'accès à l'offre de formation continue (2018-2020)

Source : Cnesco, 2021


* 17 Audition du Cnesco.

* 18 Réponse de la DGESCO au questionnaire du rapporteur spécial.

* 19 Évaluation de la politique publique sur la formation continue des professeurs du premier degré, rapport de diagnostic, IGEN-IGAENR, juin 2017.

* 20 Idem.

* 21 Réponses de la DEPP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 22 Idem.

* 23 Circulaire n° 2017-050 du 15 mars 2017 relative à l'amélioration du dispositif de remplacement.

* 24 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 25 Décret n° 2005-1035 du 26 août 2005 relatif au remplacement de courte durée des personnels enseignants dans les établissements d'enseignement du second degré.

* 26 La gestion des absences des enseignants, Cour des comptes, rapport public thématique, décembre 2021.

Les thèmes associés à ce dossier