B. UN ENJEU D'ADAPTATION ET DE MODERNISATION : L'ÉMERGENCE DE NOUVELLES FORMES DE FORMATION CONTINUE DOIT ÊTRE ENCOURAGÉE

1. Quelle temporalité pour la formation continue ? Dégager du temps de formation, un « casse-tête » administratif

L'article L. 912-1-2 du code de l'éducation prévoit que « lorsqu'elle correspond à un projet personnel concourant à l'amélioration des enseignements et approuvé par le recteur, la formation continue des enseignants s'accomplit en priorité en dehors des obligations de service d'enseignement et peut donner lieu à une indemnisation ». Le rapporteur spécial partage avec le ministère l'idée que les formations doivent autant que possible s'effectuer en dehors du temps « devant élèves ». L'enjeu est central, dans la mesure où il importe de limiter les tensions dues au besoin de remplacement des enseignants pendant les formations.

Quand se déroulent les formations continues ? Un état des lieux en Europe

En Belgique (Communauté française), la formation continue obligatoire comprend six demi-journées réparties sur le nombre de jours de classe d'une année scolaire. Pendant leurs heures de travail, les enseignants du secondaire ont le droit de prendre six demi-journées de formation par an. En dehors des heures de travail, la formation volontaire n'est pas limitée.

En Allemagne : la formation continue dans les écoles se déroule généralement l'après-midi ou le soir. Toutefois, des cours d'une demi-journée à plusieurs jours par année scolaire sont également organisés.

En Espagne : Les enseignants peuvent participer aux activités de formation en dehors de leurs heures de cours, pendant le temps obligatoire de permanence à l'école ou pendant les heures de travail si elles sont réalisées en dehors de l'établissement d'enseignement.

En Suède : 104 heures (valeur indicative) sont réservées par employé et par année scolaire pendant le temps de travail réglementaire des enseignants. La formation continue a lieu principalement pendant les journées d'étude, les soirées ou les vacances des élèves.

Au Portugal : Les autorisations d'absence pour la formation continue organisée par l'administration de l'éducation sont accordées de préférence lorsque la formation a lieu pendant les heures non consacrées à l'enseignement de l'enseignant. Lorsque la formation ne peut se dérouler en dehors des heures de cours, les enseignants peuvent y assister pendant leur horaire de cours. Dans tous les cas, la formation ne peut être autorisée qu'à condition que l'école ou les groupes d'écoles non regroupés se soient assurés qu'il n'y aura pas d'interruption dans les cours normalement dispensés par l'enseignant. Si la formation est à l'initiative de l'enseignant, l'autorisation d'absence ne peut être accordée que pendant les vacances scolaires.

Source : DEPP d'après Eurydice

On observe de fortes disparités entre primaire et secondaire sur le moment où les enseignants suivent les formations. Selon le Cnesco, 87 % des enseignants du premier degré indiquent qu'entre 2018 et 2020 certaines de leurs formations se sont déroulées en dehors de leur temps d'enseignement et seuls 27 % d'entre eux affirment avoir suivi des formations qui se sont déroulées sur les heures d'enseignement. À l'inverse, dans le second degré, 82 % des enseignants ont suivi des formations qui se déroulaient totalement sur des heures d'enseignement.

Période de réalisation des formations

Premier degré

Second degré

Source : Cnesco

Le ministère a tenté, à compter du 1er avril 2019, d'inciter les enseignants à se former pendant les vacances scolaires en instaurant par décret une indemnité spécifique27(*). Le montant de cette allocation est de 20 euros bruts par heure, dans la limite de 120 euros par jour et de 5 jours maximum par an. Si le rapporteur spécial considère cette initiative comme souhaitable, force est de constater que les réticences des enseignants à se former pendant leurs vacances n'auront pas permis au dispositif de pleinement décoller. En outre, la réalisation de formation pendant les vacances est conditionnée à la disponibilité des formateurs, souvent enseignants eux-mêmes.

Le bilan établi par la DGRH est plus que mitigé : à peine plus de 2 000 enseignants, premier et second degrés confondus, auront bénéficié du dispositif pendant la dernière année scolaire, pour un coût anticipé d'un peu moins d'un million d'euros (contre 763 000 euros seulement en 2020-2021).

Nombre de bénéficiaires de l'indemnisation de formation pendant les vacances scolaires pour l'année scolaire 2021-2022

 

Nombre de bénéficiaires

Nombre d'heures de formation indemnisées

Premier degré

1 609

18 052

Second degré

652

8 993

Total

2 261

27 045

Source : commission des finances d'après la DGRH

L'exemple de l'académie de Nancy-Metz, sans qu'il soit possible de savoir s'il est généralisable, va dans le sens d'une absence de montée en charge du dispositif : ainsi, le nombre d'enseignants inscrits pendant les vacances a été inférieur pendant l'année scolaire 2021-2022 à celui de l'année précédente.

Nombre de convoqués par année scolaire dans l'académie de Nancy-Metz

Source : commission des finances d'après les données du rectorat. NB : données non complètes pour l'année 2022-2023

Il semble indispensable de limiter le plus possible les absences pendant le service d'enseignement, et donc de réduire le besoin de remplacement. Afin de s'aligner sur les autres pays qui ont déjà une obligation de formation dans le second degré, et dans une optique d'harmonisation entre primaire et secondaire, le rapporteur spécial préconise d'aligner les obligations de formation entre le premier et le second degré, et par conséquent d'introduire dans les obligations réglementaires de service des professeurs un seuil minimal de temps de formation. Celui-ci pourrait être, comme dans le primaire, de 18 heures de formation par an. Cela permettrait d'isoler du temps de formation en dehors du temps d'enseignement et par conséquent reviendrait à ce que les professeurs se forment pendant leur temps de travail (donc en dehors de leurs périodes de vacances) mais en dehors du temps devant élèves.

Recommandation n° 3 : inscrire un nombre minimum d'heures de formation dans les obligations de service des enseignants du second degré.

2. Formation par les pairs et constellations : le modèle à saluer des plans nationaux dans le premier degré

Le rapporteur spécial a fréquemment été amené à le souligner dans ses derniers travaux : le métier d'enseignant est trop souvent un métier solitaire, dans lesquels les échanges entre pairs ne tiennent qu'une place faible. La formation continue a longtemps participé à ce constat. Ainsi, d'après l'enquête Talis, 27 % des enseignants de collège déclarent participer à des réseaux d'enseignants spécialement formés pour le développement professionnel, contre 40 % dans l'OCDE, et 20 % déclarent avoir participé à des observations entre collègues, contre 44 % dans l'OCDE.

Deux plans ont été lancés en 2019 afin d'améliorer l'acquisition des savoirs fondamentaux dans le premier degré, l'un consacré au français et l'autre aux mathématiques. La formation continue des enseignants est le pilier de ces plans, qui doivent également contribuer à la revalorisation du métier d'enseignant. À ce titre, le rapporteur spécial souligne que les plans « Mathématiques » et « Français » ont constitué un changement d'approche de la formation continue.

Leur objectif est de porter dans leur discipline respective un changement radical dans la formation continue. Ils fonctionnent sur le modèle des constellations. Il s'agit d'un petit groupe d'enseignants de 6 à 8 personnes, se réunissant périodiquement autour d'un formateur, appelé référent de circonscription. Les enseignants sont supposés choisir eux-mêmes un thème de travail, en fonction des difficultés rencontrées dans les classes. Outre les réunions en groupe, les enseignants de la constellation participent également à des observations croisées de classe.

Pour les mathématiques, en 2021-2022, plus de 1 800 référents mathématiques de circonscription ont formé quelque 45 000 professeurs des écoles, et près de 110 000 professeurs ont été formés en mathématiques depuis 2019. Pour le français, le formateur est un conseiller pédagogique de circonscription - référent français. Les 1 500 référents français ont formé 80 000 enseignants entre les rentrées scolaires 2020 et 202228(*).

L'objectif est qu'au cours des années 2020-2026, l'intégralité des professeurs des écoles puisse bénéficier d'une année de formation renforcée en français, d'une année de formation renforcée en mathématiques et de quatre années au cours desquelles les 18 heures d'animation pédagogiques annuelles seront pour un tiers consacrées au français et un tiers aux mathématiques.

Le lancement de ces plans a parfois été plus lent que prévu du fait des suites de la crise sanitaire et surtout de la complexité de cette nouvelle méthode, du point de vue d'abord des référents de formation et ensuite de la gestion sous-jacente des ressources humaines pour former un sixième des professeurs des écoles par an. Le bilan dressé début 2022 du plan mathématiques par l'IGESR l'indique clairement : « original dans ses principes et ambitieux dans ses objectifs, le schéma de formation par constellations s'est révélé assez complexe à organiser », alors que les formateurs étaient « engagés mais surchargés »29(*).

Les premières évaluations de ces plans semblent très satisfaisantes. D'après la DGESCO30(*), l'ensemble des enseignants qui ont répondu à l'enquête portant sur les plans nationaux du premier degré (94 133 répondants) ont un regard très positif sur tous les aspects de la formation. 67,4 % d'entre eux estiment qu'ils ont renforcé leur savoir didactique et 77,3 % que la formation est ancrée dans leur pratique. Les enseignants semblent particulièrement apprécier le principe des constellations et l'ancrage dans la réalité de leurs pratiques pédagogiques.

Le rapporteur spécial souligne les trois aspects les plus importants de ces plans : la possibilité d'échanger entre pairs autour d'un pair formateur ; une implication des enseignants dans la construction de la formation et enfin des observations en classe qui permettent d'aller au-delà des échanges de bonnes pratiques.

Le rapporteur spécial souligne deux axes de travail qui ne doivent pas être laissés de côté. D'une part, il existe un fort enjeu et une demande importante de pérennisation du travail en constellation pour les enseignants ayant suivi la formation. Si l'ambition de former tous les enseignants en six ans est louable, l'intérêt de la méthode d'échanges entre pairs et d'observation des pratiques va au-delà et doit constituer un modèle pour l'ensemble de la formation continue qui doit perdurer au-delà des plans mathématiques et français.

D'autre part, ces expérimentations positives doivent désormais s'étendre à d'autres domaines. Le « plan maternelle » annoncé en 2022 devrait s'accompagner à la rentrée 2023 de constellations spécifiques à la maternelle. Concernant le second degré, le plan Mathématiques s'est traduit par la mise en place de laboratoires de mathématiques dans certains établissements afin d'expérimenter un lieu de formation au sein de chaque établissement où les professeurs puissent se former et mener des recherches, tout en favorisant les discussions entre les professeurs du secondaire et de l'enseignement supérieur. Le rapporteur spécial a souligné dans un rapport d'information l'efficacité de ce dispositif. Toutefois, le besoin d'échanges avec leurs collègues touchant toutes les disciplines, il appelle à étendre la logique de constellation pour irriguer le second degré.

3. Les inspirations des comparaisons internationales

Le rapporteur spécial souligne l'intérêt que représente la confrontation de notre modèle avec les pratiques des autres pays.

En Allemagne, système scolaire auquel le rapporteur spécial a consacré une longue analyse en 202231(*), chaque Land est autonome dans la façon dont il met en oeuvre la formation continue à destination des enseignants. Dans le Land de Saxe, les enseignants sont « tenus de suivre régulièrement une formation complémentaire, en particulier pendant la période où les cours n'ont pas lieu, d'une façon adaptée. Cette obligation comprend non seulement la formation continue professionnelle et pédagogique, mais aussi l'élargissement des compétences de diagnostic et des connaissances en psychologie du développement », sous la responsabilité du chef d'établissement32(*).

En Angleterre, les enseignants doivent également participer à des actions de formation continue, mais sans qu'un volume horaire minimal ne soit prévu. Les enseignants doivent être présents dans l'école cinq jours par an en dehors des jours d'ouverture habituelle, dans le cadre de leurs obligations réglementaires de 1 265 heures annuelles, notamment pour se former.

Au Danemark, les enseignants doivent actualiser leurs compétences en suivant des cours et des examens écrits, financés par le Gouvernement.

En Écosse, une attention particulière est attachée à la formation continue, au travers de la mise en place d'un quota de 35 heures de formation obligatoire et l'obligation pour les établissements d'assurer un large panel de formations continues à destination des enseignants.

Aux États-Unis, la formation continue des enseignants est obligatoire. Des modules de formations internes à l'établissement et aux districts leurs sont proposés, soit en présentiel, soit en ligne. Les modules de formation à distance sont en général certifiants et, dans certains états, donnent lieu à la délivrance de badges ouverts (open badges), qui constituent une forme de reconnaissance de la formation suivie.

En Italie, une réforme de 2015 a également rendu la formation continue obligatoire, mais a surtout mis en place une forme de « Pass culture » ou de « Pass formation » à destination des enseignants. Les enseignants reçoivent un carte électronique dotée de 500 euros par an à utiliser dans le cadre de la formation continue pour l'achat de livres, de matériels informatiques, de participation à des manifestations de recherche ou culturelles. Le rapporteur spécial considère qu'il serait intéressant de disposer d'un bilan de cette réforme, d'autant plus que les moyens budgétaires déployés sont très importants : durant les trois premières années de la réforme et jusqu'à la crise sanitaire, l'IGÉSR indiquait que 270 millions d'euros avaient été consacrés à la mise en place du plan national de formation et 1,4 milliard au financement de la carte électronique individuelle de formation.

L'exemple le plus intéressant est selon le rapporteur spécial celui du Japon qui a mis en place des groupes d'études (lesson studies)33(*) : des enseignants (souvent du même établissement mais pas nécessairement) se regroupent autour d'une problématique de classe, en s'appuyant sur des enseignants experts et sur les résultats de la recherche en sciences de l'éducation. Le groupe ainsi constitué crée un scénario, mis en place dans sa classe par un des enseignants, en étant observé par ses collègues. Ce modèle s'approche de celui des constellations, mais y ajoute un aspect expérimental sur les pratiques de classe.


* 27 Décret n° 2019-935 du 6 septembre 2019 portant création d'une allocation de formation aux personnels enseignants relevant de l'éducation nationale dans le cadre de formations suivies pendant les périodes de vacance des classes.

* 28 Réponses au questionnaire budgétaire du PLF 2023. Les chiffres datent donc de la rentrée 2022.

* 29 Suivi du Plan mathématiques, inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, rapport n° 2021-228, janvier 2022.

* 30 Réponses de la DGESCO au questionnaire du rapporteur spécial.

* 31 Comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants, rapport d'information n° 649 (2021-2022), 2022.

* 32 L'ingénierie de formation en académie (premier et second degrés) : organisation, intervenants, utilisation des moyens, évaluation des actions, IGÉSR, 2020-138, octobre 2020.

* 33 Cité par le Cnesco dans sa conférence de comparaisons internationales, 2020.

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