C. MIEUX ARTICULER PRIORITÉS NATIONALES ET DROIT INDIVIDUEL À LA FORMATION

1. Un déploiement de plus en plus fréquent de grands plans nationaux de formation

Au-delà des plans Français et Mathématiques qui ont été évoqués plus haut, le rapporteur spécial constate le recours de plus en plus fréquent à des plans nationaux de formation continue sur différentes thématiques prioritaires pour le ministère.

Ainsi, le plan de formation à la laïcité et aux valeurs de la République lancé à la rentrée 2021 prévoit que, chaque année, un quart des agents de l'éducation nationale doit bénéficier de 3 demi-journées de formation à la laïcité et aux valeurs de la République. Cette formation est assurée notamment par 1 300 formateurs, lesquels ont reçu 36 heures de formation réparties sur 6 journées d'octobre 2021 à juillet 2022.

De même, la généralisation du programme pHARe (« programme de lutte contre le harcèlement à l'école »), contenant un volet de formation des professeurs afin de les sensibiliser à la prise en compte des problématiques de harcèlement, s'est traduit par la mise en place de 1 500 formateurs académiques dédiés.

Dans le second degré, le plan « langues vivantes » a également pour objectif d'accompagner les professeurs de langue pendant leur formation continue, notamment en voulant doubler le nombre de professeurs en mobilité à l'étranger grâce à Erasmus + .

Si le rapporteur spécial ne nie pas l'intérêt de ces formations généralisées, qui permettent de créer une culture commune sur des thématiques désignées et relèvent de la légitime construction d'une politique publique, il considère que la formation continue n'a pas vocation à constituer une réponse unique aux divers problèmes de l'école.

2. Une part croissante des formations à public désigné

Dans le premier degré, il n'est pas rare que l'ensemble des 18 heures de formation suivies par les enseignants du premier degré soient imposées par le rectorat. D'après l'enquête sur Cnesco, c'est le cas de 52 % d'entre eux sur les années 2018-2019 et 2019-2020. 39 % avaient pu choisir le contenu d'une partie des heures de formation, pour une durée moyenne de 8 heures sur le total de 18 heures.

Choix des enseignants dans les formations obligatoires dans le premier degré
sur les années 2018-2020

Source : Cnesco, 2020

Par rapport à 2018, la proportion a encore augmenté dans le premier degré, notamment du fait des plans français et mathématiques. 57 % des candidats assidus à des formations en 2021-2022 avaient été désignés par leur hiérarchie, contre 60 % en 2022-2023 et n'avaient pas eux-mêmes candidatés à la formation. Cette proportion était légèrement inférieure dans le second degré, mais concerne tout de même plus de la moitié des enseignants. Cela ne signifie pas pour autant que l'ensemble de ces enseignants ont été désignés pour suivre ces formations. Là encore, toutes les académies ne sont pas concernées de la même façon. D'après les syndicats d'enseignants, dans l'académie de Rennes, 85 % des formations s'adressaient à un public désigné.

Type de candidature aux formations suivies en 2022-2023

(en nombre de stagiaires assidus à la formation)

Premier degré Second degré

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Ainsi, d'après les données du ministère, plus des trois-quarts des formations dans le second degré effectuées en 2021-2022 et 85 % des formations dans le premier degré correspondaient à des priorités nationales.

Part des formations correspondant à des priorités nationales (2021-2022)

Premier degré

84,8 %

Second degré

78,8 %

Source : commission des finances d'après les données du ministère

Les différents acteurs entendus par le rapporteur spécial soulignent que les formations à public désigné ne sont pas bien perçues par une frange importante des enseignants. SE-Unsa a par exemple indiqué au rapporteur spécial : « nous ne sommes pas opposés à ce que des formations soient à l'initiative de l'administration lorsque celles-ci répondent à de vrais besoins mais elles ne doivent pas accaparer l'essentielle de l'offre de formation au détriment du choix et des besoins des agents ». Le SGEN-CFDT va dans le même sens : « les formations imposées sont mal perçues et décrédibilisent la formation elle-même ». Les différents recteurs d'académie entendus par le rapporteur spécial soulignent tous l'enjeu de dialogue social que représente le développement des formations à public désigné.

Or, d'après l'enquête du Cnesco, seuls 53 % des enseignants du premier degré et 36 % des enseignants du second degré déclarent discuter de leurs besoins en formation avec des personnels de direction ou d'encadrement. 83 % des enseignants de collège disent n'avoir jamais été consultés sur l'offre de formation.

S'il est certain que le rôle du ministère, comme pour toute politique publique, est d'orienter la formation continue vers les besoins les mieux identifiés et les thématiques qu'il juge centrales, le risque est fort de ne pas emporter l'adhésion d'une partie des professeurs ciblés. À ce titre, la formation continue ne peut être perçue par les enseignants comme uniquement descendante, sous peine d'accentuer l'impression de déconnexion et d'éloignement de l'offre avec leurs besoins. Le rapporteur spécial trouve donc intéressant l'objectif du rectorat d'Aix-en-Provence de sanctuariser un quart du total des journées de formation dans l'académie pour celles demandées par les enseignants. En outre, le recentrage d'une partie de la formation continue autour de l'établissement, qui sera développé plus bas, semble aller dans le sens de davantage de proximité avec les enseignants.

3. Le compte personnel de formation, une utilisation très marginale

Les enseignants bénéficient, comme les autres personnels de la fonction publique, d'un compte personnel de formation (CPF)34(*). Le CPF relève cependant moins de la formation continue au sens strict du terme que du développement professionnel. Le CPF dans l'Éducation nationale ne concerne pas les actions de formation relatives à l'adaptation aux fonctions exercées, mais permet de financer d'une part l'acquisition d'un diplôme ou d'une certification, et d'autre part les formations nécessaires à la mise en oeuvre d'un projet d'évolution professionnelle.

Les académies reçoivent du ministère une enveloppe qu'elles ont ensuite la charge de gérer, et chacune d'entre elle possède sa propre procédure et son propre calendrier pour instruire les demandes d'utilisation des droits de formation. Le plafond de financement par projet d'évolution professionnelle est de 1 500 euros par personne, soit un montant équivalent à d'autres ministères (ministère des Armées, ministères financiers...), mais sans prise en charge des frais de déplacement35(*).

Cependant, l'administration ne prend en charge les formations que dans la limite des crédits disponibles au titre du CPF au niveau de l'académie, ce qui entraîne des refus faute de financements disponibles. En cas de refus, les enseignants ne peuvent être inscrits à la formation demandée. Au bout de trois refus consécutifs pour la même demande de formation, l'enseignant devra se tourner vers l'instance paritaire compétente. Les syndicats d'enseignants entendus par le rapporteur spécial ont mis en avant un nombre très élevé de refus au titre du CPF de la part des académies. En réalité, la proportion est très variable selon la formation demandée, mais il est vrai que le taux d'acceptation n'atteint que 57 % de demandes formulées au titre des projets de reconversion.

Taux d'acceptation des financements de formation
au titre du CPF en 2021-2022

(en %)

Source : commission des finances d'après les données du ministère

La DGRH souligne la « problématique de l'équilibre entre promotion des plans nationaux de formation, mobilisant fortement les crédits de formation, et promotion des formations à l'initiative des agents et de l'accompagnement personnalisé des trajectoires »36(*). Alors que la formation nationale est prioritaire, il est certain que le CPF voit malgré tout son développement freiné.

En valeur absolue, le nombre de demandes acceptées est extrêmement faible par rapport au nombre total d'enseignants. Le nombre de formations financées au titre d'un CPF s'élève en 2021-2022 à 854 sur le 1,2 million d'agents employés par le ministère.

Nombre de personnes ayant bénéficié de formations financées par le CPF
en 2021-2022

 

Enseignants titulaires

Enseignants contractuels

Personnels d'encadrement

Femmes

495

26

29

Hommes

152

5

11

Total

647

31

40

Source : commission des finances d'après les données du ministère

En conséquence, le nombre de formations financées par le biais du CPF est significativement plus bas dans l'Éducation nationale que pour les autres ministères, et extrêmement marginal au vu du nombre d'agents du ministère. D'après les données du ministère de la fonction publique, en 2017, le nombre total de jour de formations financées par le CPF pour l'ensemble du ministère de l'Éducation nationale et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche était presque trois fois inférieur à celui du ministère de la culture. Depuis 2018, ce sont également les seuls ministères pour lesquelles les données ne sont pas disponibles dans l'enquête de la DGAFP.

Nombre de jours de formation dans le cadre du CPF selon le ministère et l'année

 

2017

2018

2019

2020

Agriculture et Alimentation

-

770

1 240

620

Armées

1 010

1 200

2 850

6 210

Culture

1 930

1 260

1 820

1 310

Europe et Affaires étrangères

50

80

240

240

Ministères économiques et financiers

4 230

4 700

12 010

9 110

Ministères d'enseignements

790

-

-

-

Intérieur et Outre-mer

1 280

2 060

340

950

Justice

310

200

2 050

2 210

Services du Premier ministre

-

170

170

610

Ministères sociaux

2 650

2 650

-

Transition écologique et solidaire, Logement et Habitat durable et Cohésion des territoires

1 640

1 860

2 580

1 450

Formation interministérielle

-

10

-

10

Hors ministère de l'Éducation nationale

13 090

-

-

-

Ensemble

13 880

14 950

23 300

22 720

Source : Enquêtes annuelles Formation, DGAFP, 2022


* 34 Ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique.

* 35 Arrêté du 21 novembre 2018 portant fixation des plafonds de prise en charge des frais liés au compte personnel de formation dans les services et établissements du ministère de l'éducation nationale.

* 36 Réponses de la DGRH au questionnaire du rapporteur spécial.

Les thèmes associés à ce dossier