C. LA MISE EN PLACE D'UN ESPACE NUMÉRIQUE DE SANTÉ PAR LA LOI DE 2019

1. Le projet gouvernemental de création d'un espace numérique de santé adopté en 2019

· En cohérence avec les conclusions du rapport Pon-Coury de 2018 comme avec les objectifs de la feuille de route établie l'année suivante, la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) de 2019 a prévu la mise en place d'un Espace numérique de santé (ENS)116(*).

Constatant que « seule la puissance publique est en mesure de mettre en place un espace comprenant l'ensemble des services nécessaires à l'usager pour gérer sa santé, apportant les garanties indispensables à la confiance de l'usager et au meilleur fonctionnement de cet espace », le Gouvernement propose, dans l'étude d'impact jointe au projet de loi, de confier à l'État la mise en place d'un portail, créé dès la naissance de chaque usager, « accessible sur tous supports (smartphone, ordinateur, tablette, borne interactive...) et [permettant] à chaque usager de gérer l'ensemble de ses données personnelles de santé ainsi que tous ses services numériques de santé »117(*).

L'objectif affiché est de réduire, par un meilleur échange d'informations, les examens complémentaires redondants comme les erreurs médicales et les risques iatrogéniques118(*).

· Le Gouvernement précise que le projet suppose toutefois d'importants travaux :

- d'interopérabilité technique et sémantique, afin que les données alimentées puissent être efficacement exploitées ;

- de facilitation de l'accès à l'ENS « aux populations qui en ont le plus besoin alors qu'elles ne sont pas [...] les mieux équipées en numérique : personnes âgées et/ou dépendantes, personnes en rupture sociale, habitants des déserts médicaux »119(*).

Le calendrier reprend celui annoncé par la feuille de route : l'entrée en vigueur du dispositif est fixée, au plus tard, au 1er janvier 2022.

2. Le nouveau cadre juridique de l'espace numérique de santé

La loi de 2019, précisée par un décret en Conseil d'État pris en août 2021, a posé le nouveau cadre juridique applicable à l'ENS120(*). Les règles relatives au fonctionnement de l'outil et aux droits du titulaire, comme au contenu du nouveau dispositif, témoignent de l'ambition renforcée attachée au développement de l'ENS.

a) Le fonctionnement de l'ENS et les droits du titulaire

La loi santé de 2019 a modifié les dispositions du code de la santé publique qui régissaient le DMP pour prévoir que celui-ci est intégré, désormais, à l'ENS dont il constitue l'une des composantes121(*).

· Contrairement à l'ancien DMP et afin de favoriser sa généralisation, l'ENS se fonde sur un système d'« opt out » : sa création est automatique et ne nécessite pas de consentement exprès du titulaire ; en revanche, ce dernier doit être préalablement informé de l'ouverture de l'ENS par son organisme d'assurance maladie et être en mesure de s'y opposer122(*). Il est précisé que, désormais, l'ouverture automatique d'un ENS emporte création automatique d'un DMP pour le même titulaire123(*).

Confrontée, elle aussi, à une très faible utilisation du dossier médical électronique, l'Allemagne a récemment réalisé un choix analogue.

La tentative de généralisation du dossier médical électronique allemand

Instauré il y a plus de vingt ans, le dossier médical électronique allemand est aujourd'hui défini comme « un dossier électronique géré par les assurés et mis à leur disposition, à leur demande, par les caisses d'assurance maladie »124(*). La diffusion de l'outil, facultatif, apparaît toutefois extrêmement faible : au début de l'année 2023, seuls 0,7 % des assurés l'utilisaient.

Afin de favoriser sa généralisation, la stratégie de numérisation du secteur de la santé, dans le cadre du futur projet de loi sur le numérique, prévoit en conséquence d'en modifier, comme en France, les règles de création pour supprimer l'obligation de demande expresse du titulaire et lui substituer un système d'opt-out.

La création d'un dossier médical électronique pour l'ensemble des assurés qui ne s'y sont pas opposés doit être effective d'ici la fin de l'année 2024125(*).

La conception et la mise en oeuvre de l'ENS doivent tenir « compte des difficultés d'accès à internet et aux outils informatiques et dans l'usage de ces outils rencontrées par certaines catégories de personnes, en proscrivant toute discrimination fondée sur la localisation géographique, les ressources ou le handicap »126(*).

· Le titulaire ou son représentant légal est le seul gestionnaire et utilisateur. À cet égard, il peut à tout moment127(*) :

- proposer un accès temporaire ou permanent à son ENS à un établissement de santé et à tout professionnel de santé participant à sa prise en charge ou choisir de mettre fin à un tel accès ;

- accéder à la liste des professionnels de santé qui ont accès à son DMP et la modifier, comme prendre connaissance des traces d'accès à son dossier (date, heure, identité de la personne, etc.) ;

- extraire des données de son ENS ;

- clôturer son ENS, les données qu'il contient étant alors archivées pendant dix ans puis supprimées automatiquement au-delà de ce délai, sauf demande expresse de destruction anticipée.

Reprenant en cela les règles applicables au DMP128(*), la loi précise enfin que la communication des données de l'ENS ne peut être exigée du titulaire lors de la conclusion d'un contrat relatif à une protection complémentaire en matière de couverture des frais de santé129(*).

b) Le contenu de l'ENS et les outils référencés

· Le contenu de l'ENS, fixé par la loi de 2019 et précisé par décret, reprend largement les propositions du rapport Pon-Coury de 2018. Il comprend130(*) :

- les données administratives du titulaire, parmi lesquelles figurent l'identité nationale de santé (INS) et les coordonnées du médecin traitant ;

- son dossier médical partagé ;

- ses constantes de santé éventuellement produites par des applications ou des objets connectés référencés, un questionnaire de santé librement renseigné par le titulaire et toute autre donnée de santé utile ;

- les données relatives au remboursement de ses dépenses de santé ;

- des outils permettant des échanges sécurisés avec les acteurs du système de santé, dont une messagerie de santé sécurisée (MSS) permettant à son titulaire d'échanger avec les professionnels et établissements de santé et un agenda ;

tout service et toute application numériques référencés, susceptibles d'échanger des données avec l'ENS.

· Pour être référencés et intégrés dans l'espace, les différents services et outils doivent respecter131(*) :

- les référentiels d'interopérabilité et de sécurité élaborés par l'Agence du numérique en santé ;

- les référentiels d'engagement éthique fixés par arrêté du ministre de la santé, et tout autre critère de qualité ou d'accessibilité défini par le même moyen.

La procédure de référencement

Le décret de 2021 relatif à la mise en oeuvre de l'ENS a précisé l'organisation de la procédure de référencement des outils et services souhaitant intégrer cet espace.

1. La demande de référencement

La demande de référencement est effectuée au moyen d'un service mis en oeuvre par la Cnam. Elle comporte :

- la réponse à un questionnaire permettant d'évaluer si le candidat remplit les critères légaux et réglementaires ;

- l'analyse d'impact relative à la protection des données prévue par le règlement général sur la protection des données (RGPD) ;

- les pièces justificatives nécessaires à l'établissement de l'identité du demandeur ou du respect des critères légaux et réglementaires132(*).

Si l'éditeur qui sollicite le référencement souhaite accéder à certaines données contenues dans l'ENS, il doit en justifier la nécessité au regard des finalités du service ou outil qu'il propose et préciser les modalités d'un tel accès ainsi que la durée de conservation des données collectées et les conditions de sécurité mises en oeuvre. Il doit, enfin, préciser le contenu de l'information qu'il entend délivrer au titulaire lors du recueil de son accord exprès133(*).

2. L'avis de la commission de référencement et la décision du ministre

Une commission de référencement, placée auprès du ministre de la santé et associant notamment acteurs institutionnels et représentants des usagers du système de soins134(*), instruit les demandes de référencement et émet un avis sur le respect, par le demandeur, des critères légaux et réglementaires.

Seuls les outils et services numériques ayant obtenu un avis favorable de la commission peuvent être référencés sur décision du ministre135(*).

3. La signature d'une convention

Le référencement d'un outil ou d'un service numérique donne lieu à la signature d'une convention entre l'éditeur, le ministre chargé de la santé et la Cnam.

Cette convention définit notamment les responsabilités respectives des parties, les catégories de données auxquelles le service ou l'outil pourra accéder avec le consentement du titulaire, la durée du référencement, ainsi que les modalités de son éventuel retrait136(*).

Les services et outils référencés ne peuvent accéder aux données de l'ENS qu'avec l'accord exprès du titulaire, dûment informé des finalités et modalités de cet accès lors de l'installation, et seulement à des fins de prévention, de diagnostic, de soins ou de suivi social et médico-social, pour une durée de conservation proportionnée à ces finalités137(*).

Dans sa délibération d'avril 2021 portant avis sur le projet de décret, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a pris acte « de ce que ces services et outils n'auront jamais accès au contenu de la messagerie sécurisée en application du principe de secret des correspondances » et invité le Gouvernement « à être particulièrement vigilant lors du référencement des services et outils » afin, notamment, de s'assurer de l'absence de fin promotionnelle138(*).


* 116 Article 45 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 117 Étude d'impact jointe au projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, déposé à l'Assemblée nationale le 13 février 2019, pp. 98 et 99.

* 118 Ibid., p. 100.

* 119 Ibid., p. 101.

* 120 Décret n° 2021-1048 du 4 août 2021 relatif à la mise en oeuvre de l'espace numérique de santé.

* 121 Article L. 1111-13 du code de la santé publique.

* 122 L'article L. 1111-13-1 du code de la santé publique dispose ainsi, désormais, que « l'espace numérique de santé est ouvert automatiquement, sauf opposition de la personne ou de son représentant légal » et que « la personne concernée ou son représentant légal est également informé des modalités d'exercice de son droit d'opposition préalablement à l'ouverture de l'espace numérique de santé ». L'article R. 1111-28 du même code précise les conditions dans lesquelles le titulaire est informé de et peut s'opposer à la création de son ENS.

* 123 Article L. 1111-14 du code de la santé publique.

* 124 Article 341 SGB V.

* 125 Sénat, étude de législation comparée LC 324, été 2023.

* 126 Article L. 1111-13-2 du code de la santé publique.

* 127 Articles L. 1111-13-1, L. 1111-19, R. 1111-34 et R. 1111-36 du code de la santé publique.

* 128 Article L. 1111-18 du code de la santé publique.

* 129 Article L. 1111-13-1 du code de la santé publique.

* 130 Articles L. 1111-13-1 et R. 1111-27 du code de la santé publique.

* 131 Articles L. 1111-13-1 et R. 1111-37 du code de la santé publique.

* 132 Arrêté du 23 juin 2022 relatif aux critères applicables au référencement des services et outils numériques au catalogue de service de l'espace numérique de santé.

* 133 Article R. 1111-39 du code de la santé publique.

* 134 Arrêté du 24 février 2022 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission de référencement des services et outils numériques au catalogue de service de l'espace numérique de santé.

* 135 Article R. 1111-38 du code de la santé publique.

* 136 Ibid.

* 137 Article L. 1111-13-1 du code de la santé publique.

* 138 Délibération de la Cnil n° 2021-051 du 15 avril 2021 portant avis sur un projet de décret relatif à la mise en oeuvre de l'espace numérique de santé.

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