EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 12 JUILLET 2023

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous abordons à présent le rapport de la mission d'information que nous avons créée sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité dans les quatre collectivités françaises des Antilles. Je rappelle que cette mission a été constituée en octobre 2022 et qu'en avaient été désignés rapporteurs Philippe Bonnecarrère, Cécile Cukierman, Marie-Pierre de La Gontrie, Henri Leroy, et moi-même. Nous nous sommes rendus sur place du 10 au 18 avril dernier.

Notre travail s'inscrit dans la suite de nos travaux relatifs aux territoires ultramarins. En effet, après la Guyane en 2019, Mayotte en 2021 et la Nouvelle-Calédonie en 2022, nous avons choisi de nous intéresser aux quatre collectivités françaises des Antilles : la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le Gouvernement a reculé à plusieurs reprises la réunion du comité interministériel des outre-mer (Ciom) qu'il a pourtant lui-même convoqué. Le Ciom devait en effet se réunir début juin, puis début juillet, et a finalement été reporté sine die. C'est un sujet d'interrogation pour nous. Notre commission poursuit néanmoins ses travaux. Après avoir porté un regard attentif sur la situation des territoires ultramarins, nous continuons d'être force de proposition.

Au-delà de leur diversité, une unité forte demeure entre ces quatre territoires, situés à près de 7 000 kilomètres de l'Hexagone. Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. En outre, ces territoires ont tous besoin d'une action forte de l'État, qui doit non seulement assurer efficacement ses missions régaliennes, mais aussi accompagner les collectivités dans leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l'expression de leur identité.

Au terme de notre déplacement et des échanges nombreux menés sur place - nous avons pu être accompagnés à certains moments par nos collègues sénateurs, notamment Dominique Théophile -, nous sommes convaincus que la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans ce contexte, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d'autres actions, l'efficacité de l'action publique locale au bénéfice des citoyens.

Nous vous soumettons donc 35 recommandations qui visent à apporter des réponses aux situations que nous avons pu rencontrer sur place.

Nous avons été frappés tout d'abord par la relation très ambivalente de ces territoires avec l'État et, plus généralement, avec l'Hexagone. Il y a incontestablement une méfiance à l'égard de l'État, en particulier chez nos concitoyens de Guadeloupe et de Martinique.

Les collectivités restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l'esclavage. L'histoire est là, il ne faut pas la nier, et elle est toujours présente. Cette part de l'histoire altère encore aujourd'hui les relations d'une partie de la population et d'une partie de la classe politique avec l'État et ses représentants.

L'État est ainsi parfois présenté comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par les institutions locales et leurs représentants, ainsi que les populations elles-mêmes.

À cela s'ajoute un sujet important : le nombre des fonctionnaires venus de l'Hexagone, sans attache familiale particulière avec les territoires concernés, pour exercer des fonctions dans l'administration de l'État, souvent à des postes d'encadrement, conjugué à la difficulté pour les forces vives ultramarines, une fois devenues fonctionnaires, de revenir sur leur territoire d'origine. Cette situation est dénoncée par certains habitants comme la poursuite d'une administration sinon coloniale, du moins extérieure et, de ce fait, déconnectée de la société locale.

Ce sentiment prégnant de défiance est aggravé par le scandale du chlordécone, substance dont les effets toxiques sont connus depuis 1975, mais dont l'utilisation en Martinique et Guadeloupe n'a été interdite qu'en 1993. Ce décalage est perçu par de nombreux acteurs locaux comme une faute majeure de l'État, et la marque d'une déconsidération de ces territoires et de leur population.

Ce terreau n'est sans doute pas étranger aux tensions majeures survenues dans le cadre de la lutte contre la covid-19, qui a parfois été vécue comme une nouvelle illustration des décisions unilatérales de santé publique prises par l'État.

Cette méfiance généralisée d'une partie de la population - je parle bien d'une partie de la population - face à l'action de l'État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste dans une partie de la classe politique ou syndicale.

Pourtant, le manque d'État est souvent déploré au quotidien. La faiblesse, avérée ou non, de l'État déconcentré est présentée par certains acteurs politiques ou syndicaux comme une nouvelle preuve d'un traitement dégradé, sinon d'un rabaissement, des collectivités françaises des Caraïbes par rapport à l'Hexagone. La demande d'une présence plus importante de l'État est donc aussi perçue comme l'accomplissement d'un devoir moral de ce dernier, et comme la juste réparation de ce qu'il s'est passé sur ces territoires.

Lors des échanges que nous avons eus sur place, nous avons pu constater combien la défiance affichée s'accompagnait, sans que cela soit jugé contradictoire, d'un désir de voir l'État plus présent au quotidien. Ce sentiment se manifeste particulièrement dans la demande, relayée par l'ensemble des acteurs, politiques, économiques, sociaux ou culturels, d'une meilleure sécurité au quotidien et d'un traitement judiciaire plus rapide et efficace. L'idée est que la promesse républicaine se matérialise en actes concrets, y compris à des milliers de kilomètres de l'Hexagone.

Dans ce contexte, l'État est également regardé comme le garant d'un certain nombre de droits sociaux, venant compenser les situations de précarité des sociétés antillaises engendrées par des handicaps structurels liés à leur insularité et leur faible superficie, et par un phénomène de vie chère qui se présente dans des proportions inconnues des autres territoires de la République.

Il revient donc à l'État de trouver les voies et moyens, adaptés à chaque territoire antillais, pour concilier l'efficacité dans la réalisation de ses missions régaliennes et l'accompagnement effectif de collectivités particulièrement avancées dans l'autonomie.

Toutefois, quelles que soient leur méfiance à l'égard de l'État et l'éventuelle insuffisante action de ce dernier, les quatre territoires souhaitent résolument inscrire leur avenir dans la République. Ce dernier point nous est apparu très clairement lors de nos travaux.

C'est d'ailleurs le sens de l'appel de Fort-de-France signé en mai 2022 par les présidents de sept collectivités ultramarines, dont celles de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin. Cet appel, loin d'être un refus d'appartenance à la République, traduit au contraire la volonté de conserver l'ancrage des collectivités signataires dans la République française, dans une relation renouvelée qui tienne davantage compte de la nécessité d'adapter leur modèle à leurs spécificités et leur identité propre.

S'y exprime en particulier le besoin de reconnaissance d'une situation géographique et historique singulière. Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, évoquait ainsi un « double positionnement » : « Français dans la République, et Européens », dans une « proximité humaine et géographique avec la Caraïbe, la maison commune ».

Enfin, l'action de l'État aux Antilles s'inscrit dans un contexte éloigné de l'Hexagone et particulièrement spécifique : la Caraïbe. Ces quatre îles françaises sont, je le crois, une véritable chance pour la France tant par leur richesse intrinsèque que par leur positionnement géographique qui en fait autant de portes d'entrée de la France dans l'arc caribéen. Or cette réalité semble aujourd'hui ignorée ou à tout le moins peu mise en valeur : la spécificité caribéenne de ces territoires demeure un angle mort des politiques conduites par l'État dans ces territoires. Cela ne date pas d'aujourd'hui.

C'est pourquoi nous pensons que, si elle est importante, la question institutionnelle ne doit pas éluder les principaux axes d'amélioration concrets pour ces territoires qui vont vous être présentés, à savoir, la sécurité, la justice, l'insertion dans l'environnement régional et l'efficacité des politiques publiques locales.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - La demande d'une présence plus importante de l'État est d'autant plus grande dans ces territoires que les institutions publiques locales rencontrent des difficultés qu'elles ne peuvent surmonter sans son aide.

La première difficulté que nous avons constatée résulte de la situation financière très dégradée de la plupart des communes, abstraction faite de Saint-Barthélemy. Ainsi, en Guadeloupe, 29 des 32 communes et deux des six intercommunalités du département sont en état d'alerte financière. De plus, bien que les collectivités reçoivent des aides importantes de l'État comme de l'Union européenne, celles-ci se heurtent à un phénomène de sous-consommation majeur qui obère leur capacité d'action.

En outre, pour faire face à ces difficultés, les collectivités connaissent une pénurie de personnels qualifiés. Cette pénurie provient en premier lieu de la structure de l'emploi public dans les collectivités, composé dans de fortes proportions d'emplois de catégorie C. Dans certaines communes, le recrutement a fait office d'amortisseur social lors de la crise de la canne à sucre, ce qui explique en grande partie la physionomie actuelle de l'emploi public local.

En outre, les collectivités sont confrontées à des difficultés de recrutement des personnels d'expertise ou d'encadrement, notamment sur des thématiques telles que la passation des marchés publics ou les fonctions budgétaires et comptables. Le bassin d'emploi des collectivités s'avère en effet souvent trop étroit pour recruter des personnels présentant un profil pertinent. De ce point de vue, l'offre de formation locale paraît insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins.

Dans un contexte marqué par un phénomène structurel de départs de la jeunesse antillaise pour l'Hexagone, voire en Amérique du nord, il en découle une revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens, pour que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'Hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

Face à cette situation, nous formulons deux recommandations opérationnelles : développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma, et développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un institut régional d'administration (IRA) pour les Antilles-Guyane.

Au vu de ces difficultés qui obèrent la capacité d'agir des collectivités antillaises, l'État a déployé des dispositifs spécifiques d'accompagnement, qui peuvent encore être améliorés.

En plus d'une aide financière, l'Agence française de développement (AFD) apporte aux collectivités un soutien en ingénierie locale très pertinent. Sur ce point, nous recommandons, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, d'utiliser l'assistance technique assurée par l'État pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Une autre mesure d'accompagnement serait possible. Le dispositif des contrats d'accompagnement des communes d'outre-mer en difficulté financière (COROM) concerne à ce jour les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose et Basse-Terre en Guadeloupe, et celles de Fort-de-France et Saint-Pierre à la Martinique. Ce dispositif contribue sans conteste à créer une dynamique de réformes favorable. Nous proposons donc de l'élargir et d'augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes.

Les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) sont aussi des mesures d'accompagnement pertinentes pour les collectivités. Compte tenu des difficultés de sous-consommation constatées, il faut veiller à faciliter la consommation des contrats de convergence et de transformation qui seront conclus pour la période 2024-2027, en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus. Concernant le fonds exceptionnel d'investissement, il est souhaitable d'accroître la lisibilité des crédits disponibles dans chaque territoire, en envisageant une territorialisation plus marquée de ces derniers.

Enfin, l'État a mis en place des dispositifs de cofinancement et d'aide à des projets locaux spécifiques. C'est le cas pour la lutte contre les échouages de sargasses. Là encore, il faut que les collectivités se saisissent effectivement des moyens financiers mis à leur disposition face à l'ampleur des dégâts que cette situation entraîne sur l'environnement et les activités touristiques et de loisirs de la Guadeloupe.

La distribution de l'eau en Guadeloupe fournit un autre exemple de l'action de l'État pour accompagner les collectivités dans la gestion de leurs compétences. Au quotidien, un quart des Guadeloupéens sont confrontés à des tours d'eau ou à des pénuries. Face à cette situation inacceptable et aux difficultés des acteurs locaux à mener un projet d'ampleur, le législateur a créé un établissement public local. Un contrat d'accompagnement renforcé a été signé visant à assurer la mise en oeuvre de l'appui de l'État, moyennant une dotation exceptionnelle de fonctionnement de 27 millions d'euros en 2023 et la mise à disposition de six assistants techniques pour aider temporairement le syndicat dans sa structuration.

Il faut désormais que cette structure, créée en 2021, devienne rapidement pleinement opérationnelle afin que l'accès à l'eau de l'ensemble des Guadeloupéens soit enfin garanti.

Doit également être mentionné le dispositif déployé à Saint-Martin à la suite de l'ouragan Irma, exemple pertinent d'une action volontariste et globale de l'État au chevet des habitants et de la collectivité.

Cependant, comme le réclame l'appel de Fort-de-France, il faut davantage adapter les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales. Plus qu'ailleurs, il faut faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. De fait, lors du déplacement, nous avons pu mesurer certaines situations ubuesques qui résultent d'un défaut d'adaptation ainsi que la légitimité des demandes des élus.

À Saint-Barthélemy et Saint-Martin, par exemple, notre attention a été attirée sur les critères nationaux retenus pour la potabilité de l'eau qui, appliqués dans ces collectivités qui ne bénéficient d'aucune ressource en eau autre que la désalinisation, constituent une difficulté majeure.

À Saint-Martin, a également été souligné par les élus de la collectivité territoriale le manque d'adaptation aux caractéristiques du territoire du plan de prévention des risques naturels (PPRN).

De manière générale, comme dans le reste des outre-mer, on constate une insuffisante prise en considération des circonstances locales dans le cadre des normes en matière de construction, comme en matière d'habitat. Nous appelons donc l'État à poursuivre ses efforts pour adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels, en matière technique notamment, afin de prendre pleinement en considération les circonstances locales.

M. Henri Leroy, rapporteur. - Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous nous sommes spécialement attachés à faire un point de situation en matière de sécurité et de justice.

Notre constat général est que, plus que dans d'autres collectivités, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens. Je veux toutefois signaler que nous avons rencontré des forces de sécurité intérieure et des agents des douanes particulièrement mobilisés. Or ceux-ci font face à une situation sécuritaire dégradée.

La situation insulaire des collectivités rend leur territoire particulièrement poreux aux influences extérieures. Par exemple, en Guadeloupe, des débarquements quotidiens, de jour comme de nuit, se font en provenance de La Dominique, pour apporter des armes, de la drogue ou de l'argent. À Saint-Martin, le principe de libre passage de la frontière terrestre avec la partie néerlandaise favorise les trafics, notamment du fait d'une certaine impunité laissée aux trafiquants.

Si elle est très préservée, Saint-Barthélemy n'est pas pour autant à l'abri de telles influences extérieures, d'autant que les conditions du contrôle aux frontières paraissent défaillantes. Lors de notre déplacement, a notamment été évoquée l'impossibilité technique des forces de gendarmerie nationale, chargées à Saint-Barthélemy des missions de police aux frontières, d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) lors de leurs contrôles. Nous appelons donc à une évolution rapide pour que cesse ce dysfonctionnement.

Le trafic de stupéfiants constitue un autre élément majeur. Ces îles se situent en effet dans une zone particulièrement concernée par le trafic de drogue international, en provenance d'Amérique du Sud. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, via notamment l'aéroport de Juliana, a été plusieurs fois présentée au cours des auditions comme le « hub logistique » de la cocaïne dans la région. La drogue est donc très présente dans les territoires, transitant par avion, par bateau ou par voie postale.

Le trafic de stupéfiants est le fait d'organisations criminelles internationales, mais aussi issues de l'Hexagone, qui trouvent dans la population des soutiens logistiques. De l'aveu des forces de sécurité intérieure, l'importance des gains engendrés par ce trafic donne une capacité de corruption de plus en plus importante, et permet un recrutement de soutiens sur place.

À l'exception notable de Saint-Barthélemy, les territoires des Antilles sont touchés par une violence de plus en plus grande au quotidien, présente dans l'ensemble de la zone Caraïbe. Celle-ci s'explique par une circulation d'armes particulièrement importante : tout le monde est armé aux Antilles. En Guadeloupe, le taux de criminalité de sang varie, selon les années, de 4,5 %o à 8 %o, contre 1 %o dans l'Hexagone. On y assiste à une professionnalisation des gangs, présents notamment dans les parties les plus urbanisées - Pointe-à-Pitre, Les Abymes -, qui prospèrent sur des jeunes en déshérence. Cette professionnalisation paraît directement liée au trafic de stupéfiants. La délinquance violente semble être majoritairement le fait d'auteurs provenant de La Dominique, la République dominicaine ainsi qu'Haïti.

Pourtant, l'accroissement des violences au quotidien ne semble pas faire l'objet d'une réelle prise en considération politique à l'échelon local. Les exactions commises en novembre et décembre 2021 semblent ainsi avoir été peu condamnées lors des prises de parole politiques locales. La situation paraît néanmoins préoccupante, même si, selon les représentants de l'autorité judiciaire rencontrés lors du déplacement, cette violence est essentiellement le fait d'une minorité agissante, visible et médiatisée.

En Martinique, en 2022, 28 homicides ont été perpétrés, dont 18 en zone gendarmerie, soit une augmentation de plus de 125 % par rapport à 2021. La délinquance générale progresse significativement avec une augmentation considérable des atteintes aux biens et à l'intégrité physique, les vols violents à main armée croissant de 45,95 %. Les violences intrafamiliales sont également en augmentation de 8,35 % en zone gendarmerie, et de 7,52 % en zone police.

À Saint-Martin, les représentants des forces de sécurité intérieure que nous avons rencontrés ont fait état de violences avec armes supérieures à quatre fois la moyenne nationale et de vols à main armée représentant plus de dix-huit fois la moyenne nationale. Les refus d'obtempérer sont quotidiens.

Or, face à cette situation, les services de sécurité intérieure sont à la peine.

Des escadrons de gendarmerie mobile doivent en permanence être stationnés dans ces territoires, et renouvelés tous les trois mois - deux en Guadeloupe « continentale » et une dans les îles du Nord ; deux en Martinique compte tenu de la situation sécuritaire - et font en réalité plus de la sécurité publique que du maintien de l'ordre.

Les effectifs de police municipale, peu développés et disposant de peu de moyens, ne sont pas suffisamment à même d'épauler les forces de sécurité de l'État dans leurs missions quotidiennes de sécurité publique. Des actions en vue de développer leur complémentarité avec les forces de sécurité étatique sont toutefois engagées. Le contrat territorial de sécurité, en cours d'élaboration en Martinique, peut notamment être évoqué.

Compte tenu du niveau de violence constaté, une coopération de l'ensemble des acteurs de la sécurité paraît essentielle. Aussi recommandons-nous le renforcement des contrats de sécurité, pour coordonner les actions de lutte contre la délinquance.

Enfin, les équipements actuels des forces paraissent clairement inadaptés aux enjeux. J'en veux pour preuve l'antenne de l'Office antistupéfiants (Ofast) de Fort-de-France dont le commandant nous signalait ne pas disposer de radars pour contrôler les navires entrants et sortants du port, ou encore manquer de moyens pour assurer une réelle surveillance périmétrique de l'île.

Lors du déplacement à Saint-Martin, au coeur de la route des stupéfiants vers l'Europe, la seule vedette de la douane était immobilisée pour panne depuis plusieurs semaines, et la perspective d'une réparation estimée à plusieurs mois - ce tandis que la brigade nautique de la gendarmerie nationale comporte un seul bateau, embarquant quatre personnels, pour sécuriser les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

En moyens héliportés, la gendarmerie nationale ne dispose en Guadeloupe que d'un engin pour faire des rotations entre les îles, immobilisé au moins 20 % du temps, et qui, au surplus, ne peut voler de nuit.

L'indigence de ces moyens obère toute capacité de réaction efficace des forces de sécurité intérieure face aux mouvements criminels entre les îles. Nous appelons donc à une mobilisation forte pour que la douane et la gendarmerie nationale soient dotées de moyens d'intervention à la hauteur des enjeux.

Si l'on ne s'active pas, la route de la drogue ne sera plus l'Amérique du Sud, pour l'Europe, mais les Caraïbes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - La situation de la justice reste difficile, même si elle est en amélioration. Les juridictions devraient bénéficier, dans des proportions pour l'instant peu précises - bien que l'arrivée de quatre magistrats et de quatre juristes assistants à Pointe-à-Pitre ait été annoncée pour septembre prochain par le garde des sceaux - des recrutements rendus possibles par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, en cours de navette.

L'importance des faits de violence en Guadeloupe induit une forte activité pénale des juridictions. Ainsi, au regard des 34 homicides et des 132 tentatives d'homicides commis en 2022, la cour criminelle départementale et la cour d'assises de Basse-Terre siègent de façon permanente, notamment en raison du fort taux d'élucidation qui est constaté sur ce territoire. On relève également une part importante de violences avec armes, mais aussi deux fois plus de violences intrafamiliales qu'en métropole.

Le bâtonnier de la Guadeloupe a fait état de difficultés liées à la double insularité de ce territoire - soit le fait d'être une île rattachée à une île.

Compte tenu du montant de l'aide juridictionnelle, les avocats rétribués à ce titre ne sont pas en mesure de se déplacer à Saint-Martin, ni même dans les commissariats des Saintes ou de Marie-Galante en cas de garde à vue. Nous recommandons par conséquent de moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.

Au regard de cette même problématique géographique, la question de la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée. Près de 40 % du contentieux du tribunal judiciaire de Basse-Terre proviennent de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Or le coût des liaisons aériennes pour acheminer les membres du tribunal à Marigot ainsi que les temps et effectifs consacrés aux escortes grèvent fortement l'organisation de la juridiction. Une disposition a cependant été introduite dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, permettant le recours à la visioconférence sur certains points pour limiter le coût et la durée des déplacements.

Nous invitons néanmoins le ministère de la justice à conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice dans cette collectivité.

Notre attention a été attirée sur la vétusté des locaux abritant la cour d'appel et le tribunal judiciaire de Basse-Terre, qui sont en effet inadaptés à une justice moderne. Nous insistons donc pour que les projets d'extension et de réhabilitation programmés soient menés à leur terme rapidement, tant pour assurer un accueil adapté des justiciables que pour offrir un cadre de travail décent aux personnels, magistrats comme fonctionnaires.

Si, en Guadeloupe, la juridiction administrative bénéficie de locaux neufs et, de ce fait, fonctionnels, l'attention de la délégation a été attirée sur les difficultés de recrutement pour pourvoir les postes au tribunal administratif de Basse-Terre.

Il est fait état d'une croissance, dans les dernières années, de 10 % par an des référés libertés en matière de contentieux des étrangers, qui constituent près du tiers de l'activité du tribunal, du fait de l'immigration essentiellement haïtienne. Le président du tribunal s'est à cet égard interrogé sur la pertinence des dispositions spécifiques à la Guadeloupe qui prévoient que le recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) n'est pas suspensif d'exécution, rendant ainsi nécessaire l'introduction d'une demande tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la mesure d'OQTF.

La situation pénitentiaire dans les territoires des Antilles se caractérise depuis longtemps par une sur-occupation chronique des établissements et, jusqu'à récemment, par des structures de détention indignes.

Nous nous sommes notamment rendus au centre pénitentiaire de Baie-Mahault qui connaissait alors un taux d'occupation de 140 % - 684 détenus, pour une capacité théorique de 491 places -, doublé d'un taux de 229 % pour le quartier maison d'arrêt.

Le bâtonnier de la Guadeloupe a, de son côté, fait valoir l'indigence des services pénitentiaires d'insertion et de probation dans ce territoire, qui privait les détenus en fin de peine d'accompagnement, mais aussi de l'ensemble des alternatives à l'emprisonnement faute de moyens ou de services. Le directeur du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, a fait état du même constat : faute d'une desserte par les transports en commun du centre pénitentiaire, les détenus ne peuvent bénéficier d'aménagements de peine pour leur permettre de reprendre un emploi ou de s'inscrire à une formation qui ne serait pas dispensée au sein de la prison.

Lors de son audition, le bâtonnier de Fort-de-France a estimé que l'une des raisons de cette surpopulation carcérale provenait d'une tendance des magistrats en Martinique à prononcer des peines aggravées par rapport à l'Hexagone, alors même que cette île ne comporte ni centre de semi-liberté, ni centre éducatif fermé, ni mesures d'accompagnement à la sortie de prison.

Face à la surpopulation chronique et à la vétusté du parc pénitentiaire, le ministère de la justice a engagé depuis plusieurs années des moyens importants pour une remise à niveau des établissements présents en Martinique et Guadeloupe.

En Martinique, l'établissement de Ducos a récemment fait l'objet d'une double extension. En outre, la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places - dont 30 places de semi-liberté - est lancée.

La Guadeloupe devrait connaître deux réalisations majeures dans les prochaines années. Tout d'abord, la démolition de la très vétuste maison d'arrêt de Basse-Terre et sa reconstruction sur le même site devraient intervenir, selon la direction de l'administration pénitentiaire, à l'horizon 2025. Ensuite, le centre pénitentiaire de Baie-Mahault devrait faire l'objet d'une extension majeure, via la création de 300 nouvelles places ainsi que la reconstruction du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement. Le garde des sceaux a posé la première pierre de cette extension le 17 mai dernier, sa livraison étant annoncée en 2026.

La collectivité de Saint-Martin réclame la présence sur l'île d'une prison compte tenu du nombre de Saint-Martinois écroués à Baie-Mahault, qui ne peuvent recevoir la visite de leur famille en raison des frais de déplacement vers la Guadeloupe.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - J'en viens à l'insertion des collectivités françaises des Caraïbes dans leur environnement régional. Conformément à l'ambivalence mise en exergue par le président Buffet au début de ses propos, ces territoires se sentent mal aimés ou insuffisamment aimés par l'Hexagone, alors que celui-cia le sentiment de faire d'importants efforts en leur direction. Il s'agit d'un véritable paradoxe, personne ne s'émouvant par ailleurs de voir les îles anciennement sous souveraineté néerlandaise ou britannique faire l'objet du plus profond désintérêt de la part de leurs anciennes nations de rattachement. En outre, nos collègues des collectivités locales de la Caraïbe reconnaissent que le niveau moyen de revenus en Guadeloupe et en Martinique est très supérieur au niveau de vie constaté dans les autres territoires de cette zone.

Nous avons le sentiment que les quatre territoires n'entretiennent pas de synergies réelles entre eux, alors qu'ils pourraient sans doute davantage s'appuyer les uns sur les autres pour leur propre rayonnement local ni avec leurs voisins caribéens. Si la notion d'appartenance à une sorte de nation caribéenne est très présente dans les discours, la relation avec ces derniers paraît en réalité limitée, alors qu'il s'agit de leurs partenaires naturels.

Il s'ensuit le besoin de penser les collectivités des Antilles comme des collectivités de pleine appartenance à la République, comme toute collectivité de l'Hexagone, mais également comme des entités ayant des spécificités géographiques fortes ainsi que des liens historiques, culturels, économiques et sociaux avec les autres îles caribéennes et au-delà. De ce point de vue, les élus locaux appellent à décentrer la vision de l'État vers la Caraïbe, ce qui est indispensable.

Il nous paraît dès lors essentiel de dépasser la relation autocentrée et exclusive entre la collectivité et l'Hexagone, tant celle-ci gagnerait à être enrichie par une coopération avec les îles avoisinantes.

C'est pourquoi nous préconisons en particulier de faciliter l'usage par les collectivités antillaises des facultés de négociation d'accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations régionales et de leur permettre, sur le modèle polynésien ou calédonien, de disposer de représentants au sein de ces organisations régionales.

De la même manière, dans le cas de Saint-Martin, sa spécificité d'île binationale nous semble justifier la conclusion d'accords locaux de gestion de certains équipements utiles à tous les Saint-Martinois par les deux parties de l'île, comme les installations aéroportuaires ou la gestion de l'eau potable. Il importe donc de faciliter ces accords, tant par une implication volontariste de l'État que par la reconnaissance juridique de ces possibilités.

En outre, convaincus que ces collectivités sont une chance pour le rayonnement de la France dans la région et qu'une coopération fructueuse, y compris sur les matières régaliennes, présenterait d'indéniables intérêts réciproques, nous estimons indispensable de renforcer l'insertion de ces collectivités et la présence française dans la Caraïbe.

Lors de nos rencontres avec les préfets de Martinique et de Guadeloupe, nous avons été surpris de noter qu'ils étaient les seuls préfets en poste outre-mer à ne pas bénéficier des services d'un conseiller diplomatique. Nous préconisons donc d'en affecter un auprès de chacun d'eux afin de développer l'intégration régionale et d'avoir un acteur « ensemblier » des actions de coopération au sein de l'arc caribéen.

Par ailleurs, les forces de sécurité intérieure comme les acteurs judiciaires de Guadeloupe ou de Martinique nous ont indiqué avoir engagé des coopérations bilatérales, en particulier avec Sainte-Lucie et la Dominique. Il nous semble primordial et urgent de renforcer ces coopérations par deux moyens : d'une part, en systématisant l'échange d'informations et la formation du personnel des forces de sécurité intérieure avec Sainte-Lucie, la Dominique, Antigua ou encore la partie hollandaise de Saint-Martin ; d'autre part, en améliorant la coordination judiciaire, notamment par la nomination de magistrats de liaisons et le développement d'accords judiciaires bilatéraux pour lutter plus efficacement contre les trafics internationaux d'armes et de drogue. Cette demande peut vous surprendre, mais la pression est considérable en matière de trafic de stupéfiants, notamment sur le haut du spectre. Ce dernier commence en Colombie et passe par le Venezuela. Si l'on veut travailler sur ces sujets, on est obligé de constater que la Caraïbe est un prolongement de l'Amérique latine et particulièrement de la zone colombienne.

Nous n'avions pas mesuré combien la Colombie réorientait ses exportations, puisque les drogues de synthèse sont désormais très présentes aux États-Unis et que le marché de la cocaïne se recentre, en conséquence, sur l'Europe. Or, pour ce faire, il est naturel de passer par la zone caribéenne. C'est pourquoi nous suggérons une coordination judiciaire plus large. Nous saluons sur ce point les premières annonces en ce sens du garde des Sceaux, qui semble avoir acté la création d'un poste de magistrat de liaison à Sainte-Lucie pour 2024.

Il nous semble également pertinent d'appeler le Gouvernement à consolider les relations diplomatiques déjà existantes avec les pays voisins, singulièrement Haïti, pour garantir l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants des îles avoisinantes. Je ne vous apprends rien en vous rappelant que les mesures d'éloignement sont tributaires de la délivrance de laissez-passer consulaires, même s'il semble que, dans cette zone, la pratique soit plus aisée que dans d'autres territoires.

Ces relations sont d'autant plus indispensables compte tenu de la véritable bombe à retardement que risque de constituer Haïti, en raison de l'état de décrépitude politique et institutionnelle de ce pays et du fait qu'il soit très peuplé par comparaison avec les autres îles de la Caraïbe. Si des problèmes plus graves devaient survenir à Haïti, ce seraient des problèmes caribéens, qui toucheraient par conséquent aussi les collectivités françaises de la Caraïbe.

Au-delà des strictes questions régaliennes, nous avons pu constater à quel point la France s'était, pendant de trop nombreuses années, tenue éloignée des organisations de coopération régionales, qu'elles soient économiques ou culturelles. Il est indispensable de renforcer notre présence en leur sein et d'y associer pleinement les collectivités antillaises volontaires. Sur ce point, la demande de la collectivité territoriale de Martinique d'être associée à la CARICOM mérite d'être entendue et accompagnée par l'État.

Enfin, le renforcement de la coopération régionale ne saurait se faire sans les collectivités territoriales qui ont toutes formulé des demandes en ce sens.

S'il est vrai que des potentialités existent, elles devraient être complétées afin de permettre aux collectivités de développer des actions concrètes. Nous avons entendu beaucoup de discours généraux, et peu de projets concrets sur des enjeux susceptibles d'être partagés par l'ensemble des collectivités de l'arc caribéen. Les collectivités antillaises françaises ne peuvent notamment demander à l'État seul de régler la question des sargasses. Il appartient à l'État d'encourager et d'accompagner le développement de ces coopérations, prioritairement par le déploiement d'outils bilatéraux ou multilatéraux diversifiés et adaptés à chaque projet.

Je me permets enfin d'émettre une observation personnelle. Si nous comprenons que l'État ait été réticent à permettre aux collectivités territoriales de la zone caribéenne d'avoir une coopération qui leur soit propre avec les autres îles du secteur, je crois que les avantages l'emportent, en l'occurrence, sur les inconvénients. C'est une manière de les responsabiliser, et de leur permettre de mesurer les handicaps frappants d'autres îles de la Caraïbe - tout cela étant plutôt de nature à renforcer, et non affaiblir, l'influence française.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Les 35 recommandations que nous formulons s'organisent autour de trois principes : l'ancrage des territoires français de la Caraïbe dans la République, l'insuffisante prise en compte du contexte local caribéen et la nécessité d'assurer en priorité l'efficience de l'action publique locale.

Mme Muriel Jourda. - Indépendamment du contexte historique et géographique dans lequel elles s'inscrivent, les plaintes des collectivités locales relatives à l'excès ou au défaut d'intervention de l'État sur certains points varient-elles beaucoup par rapport à celles qu'on entend dans l'Hexagone ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Si elles ne sont pas différentes dans leur expression, elles sont intéressantes par la réalité qu'elles recouvrent. Nous avons tous constaté que les moyens financiers, venus des collectivités elles-mêmes ou, le plus souvent, de l'État et de l'Union Européenne, ne manquent pas. La question qui se pose est celle de l'efficacité de l'usage de cet argent public.

Mme Muriel Jourda. - Cette question se pose dans toute la France !

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Certes, mais dans le cas particulier des Antilles françaises, les moyens ne manquent pas, contrairement à ce qui se produit ailleurs. En revanche, on relève des manques en matière d'ingénierie sur les projets. L'État accompagne d'ailleurs ces territoires pour y remédier. Le système COROM est à cet égard très utile. À titre d'exemple, certains projets appuyés sur des cofinancements européens n'ont pu être menés à bien ou à terme faute de disposer de l'ingénierie nécessaire, ce qui est regrettable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, rapporteure. - Dans le cadre de la reconstruction à l'issue du passage de l'ouragan Irma, les collectivités elles-mêmes ont salué l'efficacité de l'intervention de l'État.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Les actions menées à Saint-Martin dans ce contexte sont remarquables.

M. Mathieu Darnaud. - Nous devons nous interroger régulièrement sur le rôle de l'État face aux volontés réaffirmées de différenciation et de gain d'agilité exprimées par ces territoires.

À la suite du passage de l'ouragan Irma, la délégation sénatoriale aux outre-mer avait souligné dans un rapport la difficulté dans laquelle s'étaient trouvés les maires pour coordonner les moyens nécessaires à la reconstruction et trouver l'ingénierie requise, via notamment la mobilisation des fonds existants. Cette situation appelle une réelle réactivité et une véritable agilité de la part de l'État. Malheureusement, aujourd'hui encore, nous peinons à répondre entièrement à cette exigence.

Par ailleurs, se pose la question de savoir ce que nous pourrions faire sur le plan institutionnel pour les territoires français de la Caraïbe, au-delà de l'éventuelle fusion des articles 73 et 74 de la Constitution. Michel Magras préconisait notamment de doter certains pays d'outre-mer de statuts différenciés au regard de leurs spécificités territoriales.

Il s'agit d'une question essentielle. Or nous avons trop souvent tendance à mélanger ce débat institutionnel avec certaines problématiques précises comme le logement, la sécurité ou la justice. Cette question devra néanmoins être soulevée, car il y a là un vrai besoin d'agilité. On assiste en effet à une forme de centralisme qui contrevient à la solidarité caribéenne. Ainsi, après le passage de l'ouragan Irma, la Martinique n'a pas pu venir en aide à la Dominique.

J'en viens enfin à la notion de coopération décentralisée, qui nous renvoie aux travaux que nous avions menés lors de l'examen de la loi dite « Letchimy ». Si nos territoires ultramarins ne sont pas des États, ils ont besoin de s'inscrire dans les réflexions qui sont conduites à l'échelle du bassin caribéen, notamment dans le cadre de l'Association des États de la Caraïbe (AEC). Il faudra peut-être aller plus loin en ce sens, à l'image des démarches engagées en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, cela ne répondra pas entièrement au besoin d'agilité et de réactivité susmentionné. Il faudra y travailler.

Mme Dominique Vérien. - La situation des territoires français de la Caraïbe a un impact sur l'Hexagone, notamment pour ce qui concerne le trafic de drogue. La Guyane et la Caraïbe sont en effet le point d'entrée vers l'Europe pour le trafic venu d'Amérique du Sud. En Guyane, il y a des armes dans chaque foyer, et les Brésiliens sont plus nombreux que les Français dans les prisons. Par ailleurs, le traitement des femmes y est pour le moins particulier. Le procureur a ainsi arrêté, à Saint-Laurent-du-Maroni, une tombola dans laquelle des femmes étaient à gagner. Cet état d'esprit pourrait, si l'on n'y prend garde, se diffuser aux alentours.

Les violences intrafamiliales sont en outre plus importantes dans les outre-mer, particulièrement dans les Caraïbes, que dans l'Hexagone. Un rapport d'une association féministe souligne à ce titre que l'insularité est un facteur aggravant, car elle complique la libération de la parole. Comme tout le monde se connaît sur une île, toute plaignante s'expose en effet à des problèmes.

Enfin, un rapport d'information de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et de la délégation sénatoriale aux outre-mer, relatif à la parentalité dans les outre-mer, adopté hier, indique que la Martinique compte 59 % de familles monoparentales et 54 % de naissances non reconnues par le père, et la Guadeloupe 52 % de familles monoparentales et 63 % de naissances non reconnues par le père. La question de la parentalité est effectivement à prendre en compte.

Je rejoins donc votre conclusion : une différenciation est souhaitable. La puissance régalienne de l'État doit s'exercer dans ces territoires en tenant compte de leurs réalités propres.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avons été frappés par le sous-équipement des forces de sécurité, notamment par la très grande faiblesse du contrôle nautique, d'autant plus marquante compte tenu de l'importance des trafics d'armes et de drogue dans la zone. Des actions devront être prises, en urgence, pour y remédier et éviter une dégradation brutale de la situation.

Je vous propose d'intituler ainsi ce rapport « Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, quatre territoires de la République dans la Caraïbe ».

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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