B. LA SOLUTION : UN ACCOMPAGNEMENT DÉDIÉ POUR ALLER VERS UNE AUTONOMIE RÉELLE DANS LE PORTAGE DES PROJETS LOCAUX

1. Développer les compétences au service de l'action locale

Face à cette pénurie de personnel qualifié, il apparaît en premier lieu nécessaire de répondre à la revendication, plusieurs fois formulée au cours des entretiens conduits par la mission, que l'État local puisse être davantage administré par des agents originaires des territoires ultramarins et que des dispositifs facilitant le retour des agents partis exercer leurs fonctions dans l'hexagone ou dans d'autres collectivités ultramarines soient mis en place de manière effective.

Plus largement, l'offre locale de formation, insuffisante et, en tout état de cause, globalement inadaptée aux besoins doit être renforcée.

À cet égard, la délégation a pu mesurer ce qu'une structure comme le Service militaire adapté (SMA) peut procurer aux territoires ultramarins. Implantés en Martinique et en Guadeloupe notamment, les régiments du SMA sont des réussites majeures pour l'insertion sociale des jeunes en difficulté dans le marché du travail. Au RSMA de Guadeloupe, visité par la délégation, 640 stagiaires de 18 à 25 ans sont ainsi pris en charge dans le cadre d'une formation professionnelle rémunérée qui amène, au bout de 8 à 12 mois, 8 stagiaires sur 10 à un emploi.

À l'heure où Saint-Martin doit tourner la page de l'ouragan Irma, qui nécessite des efforts majeurs en termes de formation pour des emplois dans le secteur du BTP et, par la suite dans celui de l'hôtellerie-restauration qui est l'axe unique de développement de l'île, une plus grande ouverture du RSMA aux jeunes Saint-Martinois serait une chance pour la collectivité. Les rapporteurs souhaitent que le potentiel de ce dispositif soit véritablement utilisé au profit de l'île.

Proposition n° 24 : Développer l'offre du service militaire adapté au profit des jeunes Saint-Martinois dans la perspective de la reconstruction de l'île après l'ouragan Irma.

Déjà confrontées à la difficulté de recruter localement, les collectivités connaissent également certains obstacles au recrutement de personnels extérieurs aux territoires. Bien que les fonctionnaires bénéficient de la majoration de leurs traitements lorsqu'ils sont affectés dans les collectivités des Antilles43(*), les collectivités dans lesquelles le coût du logement est considérable, comme à Saint-Barthélemy44(*) ou Saint-Martin, peinent à pourvoir les postes ouverts, tandis que, plus généralement, se pose un problème de fidélisation des personnels au-delà de quelques années.

Dans le même ordre d'idée, il serait souhaitable de développer localement les compétences des jeunes pour l'exercice des métiers dans le secteur public dont l'État déconcentré a besoin et qui pourraient, le cas échéant par la voie des passerelles entre les versants de la fonction publique, par la suite exercer leurs missions au sein des collectivités elles-mêmes. Pourrait par exemple être envisagée la création d'un institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Proposition n° 20 : Développer une offre locale de formation aux métiers du secteur public, par exemple par la création d'un Institut régional d'administration pour les Antilles-Guyane.

Aussi, les services préfectoraux, singulièrement ceux de Saint-Martin et de la Guadeloupe, ont souligné lors de leurs auditions, le manque de formation et les inégales compétences des élus locaux comme des fonctionnaires territoriaux, notamment au niveau de certaines communes, sur des domaines à forts enjeux pour leurs territoires, notamment l'urbanisme ou la sécurité civile à Saint-Martin et la passation des marchés publics ou la gestion des budgets locaux en Guadeloupe.

Face à ces difficultés, les rapporteurs soulignent la pertinence de la signature de partenariats des centres de gestion ultramarins avec les centres de gestion (CDG) hexagonaux dont le premier a été signé en mai 2023 entre le CDG du Rhône et celui de Guadeloupe. Ces initiatives bénéfiques à la structure des centres ultramarins et à la diffusion de pratiques déjà éprouvées devraient, aux yeux des rapporteurs, être systématisées.

En outre, les rapporteurs déplorent la méconnaissance ainsi que la trop faible utilisation des ressources mises à disposition par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui permettraient aux fonctionnaires territoriaux comme aux élus des collectivités ultramarines de monter en compétences.

En effet, le CNPFT, établissement public unique paritaire déconcentré assure des missions de formation et d'emploi à destination des collectivités territoriales et de leur 1,9 million d'agents territoriaux tout au long de leur carrière et indépendamment de leurs catégories.

S'il n'est implanté que dans les collectivités ultramarines régies par l'article 73 de la Constitution, le CNFPT s'appuie sur des délégations ultramarines, notamment celle d'Antilles-Guyane, chargées d'adapter et de développer des actions de formation cohérentes et pertinentes avec les besoins du territoire. Ainsi, la délégation Antilles-Guyane a-t-elle développé des formations suivies à distance et en ligne afin de permettre aux fonctionnaires et aux élus des communes, mêmes isolées comme à Marie-Galante ou aux Saintes, de bénéficier des mêmes opportunités qu'il convient de saluer.

En outre, les rapporteurs insistent sur l'intérêt de développer et d'animer régulièrement des actions de formation et des conférences thématiques sur les politiques publiques d'actualité afin de permettre la mise à niveau rapide des cadres ultramarins sur des sujets tels que le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) ou encore les évolutions des documents d'urbanisme et des normes de construction (production obligatoire d'un diagnostic de performance énergétique, introduction de nouvelles normes parasismiques).

En résumé, la mission souhaite encourager le recours aux programmes du CNFPT et la conclusion de partenariats entre les centres de gestion ultramarins et hexagonaux pour améliorer la formation des personnels des collectivités.

Proposition n° 21 : Encourager le recours aux programmes du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la conclusion de partenariats entre les centres de gestion ultramarins et hexagonaux pour améliorer la formation des personnels des collectivités.

De manière générale, les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de renforcer l'aide technique apportée par l'État et ses opérateurs aux collectivités et à leurs établissements publics.

Il importe toutefois que cette assistance technique ne porte pas seulement sur la réalisation de projets ponctuels, mais aussi à plus long terme, permettent de former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire à l'exercice de leurs missions. En effet, les assistances techniques ponctuelles ne pourront à elles seules résoudre les difficultés et fragilités structurelles de la fonction publique territoriale aux Antilles et ne peuvent, à elles seules, se substituer aux lacunes des administrations notamment communales. C'est pourquoi, les rapporteurs préconisent de développer des formations, au-delà de ces assistances ponctuelles, visant à renforcer durablement les compétences internes des collectivités antillaises et à structurer durablement leurs équipes et projets afin d'assumer pleinement les compétences étendues qui leur ont été confiées au gré des vagues de décentralisation.

À cet égard, l'assistance technique ponctuelle existante notamment dans les dispositifs « COROM » devrait permettre non seulement la réalisation des objectifs fixés par les programmes - à savoir l'apurement et le redressement des comptes publics - mais également la formation des personnels des collectivités ultramarines et la structuration des services afin qu'au départ des « sucres rapides » que représente cette aide technique, les personnels locaux aient suffisamment gagné en compétence pour déployer eux-mêmes, dans la durée, les bonnes pratiques acquises.

En outre, les rapporteurs considèrent que le mécénat de compétences gagnerait à être davantage utilisé pour favoriser la montée en compétences des collectivités antillaises.

De la même manière, au-delà de la réalisation de projets ponctuels, l'assistance technique assurée par l'État - notamment par l'entremise de l'Agence française de développement ou Expertise France - devrait être utilisée pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

En effet, comme l'a justement appelé un récent rapport de l'Assemblée nationale sur l'ingénierie des collectivités ultramarines : « la DGOM  milite  pour la création de plateformes d'ingénieries permanentes, armées par les assistantes techniques d'Expertise France. Cette option qui pourrait  être expérimentée pendant 3 ans  est aujourd'hui discutée entre les différents ministères tutelles de l'AFD.  Expertise France, dont c'est le coeur de métier, pourrait en effet intervenir dans ces territoires pour des opérations de renforcement de capacités, sur le modèle qu'elle a développé dans les pays émergents  »45(*).

Proposition n°22 : Au-delà de la réalisation de projets ponctuels, utiliser l'assistance technique assurée par l'État, y compris par Expertise France, pour former dans les collectivités bénéficiaires les personnels à l'expertise technique nécessaire au plein exercice de leurs missions.

Enfin, les règles de mobilité au sein de la fonction publique d'État rendent généralement difficile le retour pérenne de fonctionnaires antillais vers leur territoire d'origine, alors même qu'ils pourraient constituer une ressource précieuse pour celui-ci.

Cette difficulté n'est d'ailleurs pas propre aux seuls territoires antillais. Le cas de Mayotte, qui fournit notamment une part importante du personnel de surveillance pénitentiaire dans l'hexagone sans que ces agents ne disposent nécessairement d'une solution de retour à court ou moyen terme, est ainsi bien connu.

Dans le respect de l'égalité de traitement qu'impose l'emploi public, il convient ainsi de faciliter la mobilité de fonctionnaires d'origine antillaise exerçant dans l'hexagone vers leur territoire d'origine. À titre d'exemple, il pourrait être envisagé que, dans le cas d'emplois rencontrant des difficultés particulières de recrutement, il puisse être dérogé, sous conditions, aux règles de mobilité régissant certains corps afin de pourvoir un emploi qui ne serait autrement, notamment en raison des sujétions qu'implique l'éloignement de l'hexagone, que difficilement pourvu.

Proposition n° 23 : Faciliter la mobilité de fonctionnaires d'origine antillaise vers leur territoire d'origine.

2. Un accompagnement spécifique à renforcer

Face aux difficultés que rencontrent les collectivités antillaises, l'État a déployé des dispositifs spécifiques d'accompagnement, qui peuvent encore être améliorés.

a) Faciliter le recours à l'ingénierie de l'État

Les dispositifs d'ingénierie de l'État sont relativement adaptés à la situation des collectivités antillaises : celles-ci disposent ainsi d'interlocuteurs dédiés, qui n'interviennent pas dans l'hexagone, et destinés à leur dispenser un accompagnement spécifique. Néanmoins, le recours à ces dispositifs demeure difficile. Il convient dès lors de rendre ce soutien, crucial et pourtant sous-employé, davantage accessible.

Un tel effort pourrait être conduit d'autant plus aisément que l'expertise et la qualité des interlocuteurs de l'État à même d'offrir un soutien en ingénierie aux collectivités sont généralement reconnues par ces dernières. Ainsi, le concours apporté par l'Agence française de développement (AFD) au soutien des collectivités ultramarines est ancien et apprécié. Par ses antennes locales, l'AFD assure un accompagnement stratégique des élus locaux.

L'AFD, un partenaire de confiance pour les collectivités antillaises

Par les prêts qu'elle accorde, le cas échéant sur des périodes allant jusqu'à 25 ans, l'AFD permet d'encourager et d'accélérer les actions en faveur de l'atténuation et de l'adaptation au changement climatique, de la biodiversité et de l'adaptation aux risques naturels majeurs. À ce titre, en 2021, elle a par exemple accordé 25 millions d'euros à la région Guadeloupe et 40 millions à la collectivité territoriale de Martinique.

Son action de préfinancement des subventions accordées par l'Union européenne, l'État, la région ou le département contribue à favoriser l'investissement local. Ce préfinancement, sur une période de cinq ans maximum et garanti par des cessions Dailly, peut aller jusqu'à 80 % du montant des subventions pour les dépenses d'infrastructure et 100 % pour les dépenses de matériels.

Ses aides en ingénierie locale offrent aux collectivités la possibilité d'effectuer des diagnostics financiers, organisationnels ou en matière de ressources humaines assurant un meilleur fonctionnement et une capacité de projets. Lors de l'entretien mené par la délégation à l'antenne de Guadeloupe, l'exemple de la commune de Saint-Anne a été évoqué, qui en l'espace de trois ans, a pu retrouver une capacité de dépense d'investissement.

Alors même que l'expertise de l'AFD est reconnue, les collectivités antillaises, en particulier les communes de petite taille en Martinique et en Guadeloupe, peuvent avoir des difficultés à apprécier concrètement le bénéfice qu'elles peuvent tirer d'une collaboration avec cet organisme, comme l'ont fait valoir les acteurs de l'antenne Antilles-Guyane de l'AFD rencontrés par la délégation. Plus généralement, à l'image de ce que nombre de collectivités, y compris hexagonales, connaissent, la pratique de l'appel à projets dans le cadre de la conduite de projets peut nuire à l'aboutissement de ceux-ci, en particulier dans les petites communes ne disposant pas de capacités d'ingénierie juridique et financière particulièrement performantes.

Il convient dès lors de développer les démarches dites « d'aller vers », en sollicitant les collectivités de petite taille pour faire émerger d'éventuels projets, identifier les difficultés de mise en oeuvre et apporter un soutien au niveau pertinent. Cette logique d'ingénierie « sur mesure » pourrait ainsi permettre, en adaptant le soutien au plus près des projets, de faciliter le décaissement de crédits de soutien à l'investissement et d'apporter des résultats concrets. Dans cette optique, des contacts plus réguliers entre interlocuteurs de l'État disposant de capacités d'ingénierie, tels que l'AFD, et collectivités territoriales antillaises gagneraient à être entretenus.

Proposition n° 25 : Développer la logique d'ingénierie « sur-mesure » et systématiser le principe du « aller vers » au sein des services et agences de l'État pour accompagner les collectivités antillaises et déployer des mesures de soutien pleinement adaptées aux réalités locales.

En second lieu, afin de rendre plus facilement identifiables les interlocuteurs et simplifier les démarches des collectivités antillaises, la mission propose que soient généralisées, au sein des collectivités antillaises, les plateformes d'appui en ingénierie aux collectivités territoriales, sur le modèle de celles mises en place en Guyane.

La plateforme d'appui aux collectivités territoriales (PACT) en Guyane :
une structuration efficace de l'offre d'ingénierie de l'État

Comme le relèvent Christian Baptiste et Karine Lebon dans leur rapport d'information sur l'évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines, « la plateforme d'appui aux collectivités territoriales (PACT) a été créée dans le cadre de la nouvelle organisation des services de l'État [en Guyane] et des préconisations du livre bleu des Outre-Mer en 2018. Composée initialement de trois agents (deux emplois de catégorie A et un emploi de catégorie B), des effectifs supplémentaires (deux emplois de catégorie B) ont été mis en place au niveau des sous-préfectures de Saint-Laurent du Maroni et Saint-Georges de l'Oyapock en 2022 »46(*).

Placée au sein de la direction générale de la coordination et de l'animation territoriale, la PACT est présentée comme une « structure souple, elle consiste en la mise en place d'équipes ad hoc, selon la mission à assurer, mêlant les différents services de l'État et ses opérateurs »47(*). Elle vise ainsi à proposer un accompagnement aux collectivités territoriales à chaque étape de leur projet : de l'appui au lancement de marchés, à l'assistance à maîtrise d'ouvrage, en passant par l'apport d'une expertise en financements48(*).

De telles initiatives, qui facilitent le recours par les collectivités territoriales à l'ingénierie de l'État, doivent être imitées. La mission relève d'ailleurs avec intérêt qu'en Guadeloupe, la création d'une « cellule ingénierie » au sein du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) relève d'une logique similaire.

Naturellement, ces initiatives ne constituent que des palliatifs, dans l'attente, dans les collectivités antillaises comme sur l'ensemble du territoire métropolitain, de guichets uniques véritablement accessibles, centrés autour du préfet de département, que le Sénat appelle régulièrement de ses voeux.

Proposition n° 26 : Généraliser les plateformes d'ingénierie d'appui aux collectivités territoriales, sur le modèle de celle mise en place en Guyane, tout en respectant les spécificités de chaque territoire, en les dotant des moyens humains et financiers correspondants.

Par ailleurs, les rapporteurs ont constaté avec étonnement qu'il n'est pas permis aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema pour bénéficier de son expertise dans la conduite de leurs projets. L'article 159 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », a ainsi modifié les statuts du Cerema pour en faire un établissement public administratif de l'État dont la gouvernance est partagée entre ce dernier et les collectivités territoriales qu'il assiste, ces dernières pouvant en devenir membres pour bénéficier de ses services.

Néanmoins, ce faisant, le législateur a omis de rendre explicitement applicable ces dispositions aux collectivités territoriales régies par l'article 74 de la Constitution, qui ne peuvent dès lors adhérer au Cerema et bénéficier de ses services. Cet oubli du législateur, qui pénalise sans raison Saint-Martin et Saint-Barthélemy au sein des collectivités antillaises, doit être réparé.

Proposition n° 27 : Permettre aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution d'adhérer au Cerema et de bénéficier, pour la conduite de leurs projets, de son expertise et accompagnement.

b) Restaurer les capacités financières locales

En dernier lieu, il est urgent de restaurer les capacités financières locales. L'État déploie aujourd'hui un certain nombre de dispositifs d'aides aux collectivités - notamment via les contrats de redressement outre-mer (COROM), les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) - qui méritent des ajustements pour en développer la portée.

Conscient de la nécessité d'accompagner dans leur redressement les collectivités d'outre-mer en grandes difficultés financières, l'État a mis en oeuvre le dispositif « COROM », institué par la loi de finances initiale pour 2021.

À ce jour, les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose et Basse-Terre sont concernées en Guadeloupe, et celles de Fort-de-France et Saint-Pierre à la Martinique. Selon les informations recueillies au cours du déplacement par la délégation, dix nouvelles communes guadeloupéennes et cinq communes martiniquaises sont candidates à ce mécanisme, preuve de son succès.

Au terme d'un diagnostic partagé sur l'état des dépenses et des recettes sur l'exercice en cours, les COROM, qui s'inscrivent dans une prospective à trois ans, sont conclus entre l'État et les communes concernées, et prévoient :

- un accompagnement pour mener des réformes structurelles, par exemple en matière d'identification des bases et de recouvrement, pour assurer une meilleure maitrise des dépenses de fonctionnement, l'amélioration de la gestion de la chaîne de la dépense ou de la sincérité des comptes ;

- la restauration des marges de manoeuvre en section de fonctionnement, notamment sur la maitrise des frais de personnel ;

- une aide de l'État au processus de redressement, apportée en fonction des efforts de la collectivité. Cette aide prend notamment la forme, inédite, d'une assistance technique via la mise à disposition d'experts en gestion publique locale recrutés par les antennes locales de l'AFD ;

- une perspective pluriannuelle, afin de redresser la situation financière de la collectivité contractante. Dans ce cadre, l'État peut octroyer une subvention budgétaire exceptionnelle, versée chaque année après décision du comité de suivi national, qui peut en suspendre le versement ou mettre fin au contrat si les engagements de la collectivité ne sont pas respectés.

Le recul sur les effets des COROM - qui n'ont été signés pour les plus anciens qu'en juillet 2021 - reste insuffisant pour affirmer que ces outils permettront à eux seuls, en quelques années, de sortir les collectivités concernées des impasses budgétaires ou financières dans lesquelles elles se trouvent, malgré les exemples prometteurs de Basse-Terre ou de Fort-de-France. Pour autant, comme le souligne le récent rapport d'information de Georges Patient et Teva Rohfritsch, ils participent à créer une dynamique de réformes favorable49(*).

Les rapporteurs estiment donc que ce dispositif doit pouvoir bénéficier à un nombre le plus important possible de collectivités, sans pour autant qu'il soit ouvert sans conditions. Ils rejoignent les conclusions de la commission des finances du Sénat tendant à élargir le dispositif COROM et à augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes.

Au surplus, par le passé, les difficultés rencontrées par certaines collectivités ou groupements de collectivités pour bénéficier du dispositif, à l'exemple du Syndicat Mixte de Gestion de l'Eau et de l'Assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), plaident pour une meilleure adaptation des critères d'éligibilité et l'ajustement des modalités de soutien financier et humain à la diversité des situations.

Enfin, les maires bénéficiaires du COROM rencontrés comme les représentants de l'AFD auditionnés par la délégation ont unanimement salué l'importance des assistants techniques détachés au sein des communes, y compris lors de la préfiguration des contrats, pour permettre au dispositif COROM de se déployer pleinement. Les rapporteurs soulignent donc la nécessité de garantir leur présence dès la préparation du contrat et appellent donc au recrutement, sans délai, des assistants encore manquants comme dans la commune guadeloupéenne de Sainte-Rose.

Proposition n° 28 : Élargir le dispositif COROM, en adaptant les critères d'éligibilité et les modalités de soutien à la diversité des situations observées aux Antilles, augmenter les crédits qui y sont alloués afin d'en faire bénéficier un nombre plus important de communes et garantir la présence d'assistants techniques, y compris lors de la préparation du contrat.

De même, si les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le fonds exceptionnel d'investissement sont aussi des mesures d'accompagnement pertinentes pour les collectivités, il est nécessaire pour les premiers de faciliter la consommation des crédits qui seront ouverts pour la période 2024-2027, en assouplissant les possibilités de fongibilité, et, pour le second, d'accroître la lisibilité des crédits disponibles dans chaque territoire, en envisageant une territorialisation plus marquée de ces derniers.

Des contrats de convergence et de transformation ont été signés par l'État avec la Guadeloupe, la Martinique50(*) et Saint-Martin51(*). Censés prendre fin au 31 décembre 2022, ils ont été prorogés en 2023 d'une année, dans l'attente d'une nouvelle contractualisation triennale à compter de 2024.

Ces contrats visent à réduire significativement et durablement les écarts de développement en matière économique, sociale et environnementale. Ils constituent un mode de contractualisation entre l'État et les collectivités destiné à favoriser le développement d'infrastructures et d'équipements de haut niveau, prenant en compte les enjeux de la transition écologique. Ils s'inscrivent désormais dans la « trajectoire 5.0 », qui vise à 0 exclusion, 0 carbone, 0 déchet, 0 polluant agricole et 0 vulnérabilité au changement climatique.

Dans ce cadre, l'État s'est engagé à apporter 208,6 M€ pour la Martinique52(*), 182,4 M€ pour la Guadeloupe et 47,2 M€ pour Saint-Martin.

Compte tenu des difficultés de sous-consommation constatées, les rapporteurs renouvellent la position déjà exprimée par la commission des lois dans le cadre du projet de loi de finances pour 202353(*), pour que les contrats au titre de la période 2024-2027 prennent en compte les observations et pistes d'évolution remontées du terrain, tant par les représentants de l'État sur les territoires que des élus locaux eux-mêmes, notamment le manque de fongibilité des crédits au sein des contrats et la nécessité d'élargir ces contrats à de nouvelles thématiques.

Proposition n° 29 : Veiller à faciliter la consommation des crédits inscrits au titre des contrats de convergence et de transformation (CCT) qui seront conclus pour la période 2024-2027 en assouplissant les possibilités de fongibilité des crédits prévus et en intégrant de nouvelles thématiques notamment l'ingénierie et la gestion de projets.

Troisième axe structurant d'aides à l'équipement des collectivités des Antilles, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) vise à apporter une aide financière aux personnes publiques qui réalisent outre-mer des investissements portant sur des équipements publics collectifs en complément des opérations arrêtées dans le cadre des contrats de convergence et de transformation. Pour l'ensemble des outre-mer, ce fonds a été doté en loi de finances initiale pour 2023 de 110 M€ en autorisations d'engagement et de 67 millions d'euros en crédits de paiement.

Le FEI est géré par la délégation générale aux outre-mer, et non directement par les préfectures. Il opère des financements par le biais d'appels à projets, ce qui occasionne des difficultés d'accès pour les collectivités dans lesquelles l'ingénierie est la plus déficiente. En 2022, le FEI a permis de financer 9,5 M€ d'investissements en Guadeloupe, 7,1 M€ en Martinique et 1,2 M€ à Saint-Martin.

Les rapporteurs estiment qu'une territorialisation plus marquée des crédits du FEI, sans pour autant que celle-ci résulte de l'application d'un prorata strict au regard des populations concernées, permettrait aux acteurs locaux de mieux identifier les sommes susceptibles d'être allouées à chacun des territoires.

Enfin, comme le fait régulièrement valoir le Sénat, l'insuffisante lisibilité et association des élus aux décisions d'attribution des dotations d'investissement nuit à leur allocation efficiente. Ce défaut de visibilité est particulièrement prégnant pour l'année budgétaire 2023 compte tenu de la création du nouveau fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « fonds vert », dont les crédits seront répartis selon des modalités qui sont longtemps restées indéterminées et qui n'offrent pas les mêmes garanties que les procédures d'attribution prévues pour des dotations d'investissement existantes, qui associent, même imparfaitement, les élus locaux aux décisions d'attribution.

De la même manière, la litanie des réformes de la fiscalité locale n'offre pas aux élus locaux une visibilité suffisante leur permettant de construire une programmation budgétaire pluriannuelle et sincère pour réaliser leurs investissements.

À l'heure où le cadre dans lequel évoluent les finances publiques se caractérise de plus en plus par sa pluriannualité, il n'est toujours pas donné aux collectivités la possibilité de contribuer à ce mouvement en ayant une visibilité sur leurs finances à l'horizon de plusieurs années. En l'occurrence, rares depuis vingt ans ont été les années exemptes de réformes de la fiscalité locale. Cette absence de prévisibilité des financements apparait donc comme un obstacle au lancement de certains investissements dans un contexte où les collectivités ont la lourde responsabilité de prévoir un doublement de leurs investissements pour le climat dans les prochaines années et que ces investissements majeurs ne peuvent s'inscrire que dans une temporalité longue.

C'est pourquoi s'inscrivant dans la lignée des propositions formulées par le groupe de travail du président du Sénat Gérard Larcher relatif à la décentralisation, les rapporteurs préconisent d'améliorer le financement des collectivités antillaises par un renforcement de la lisibilité des crédits disponibles au titre du fonds exceptionnel d'investissement dans chaque territoire et, plus généralement, des dotations de l'État.

Proposition n° 30 : Améliorer le financement des collectivités antillaises par un renforcement de la lisibilité des crédits disponibles au titre du fonds exceptionnel d'investissement dans chaque territoire et, plus généralement, des dotations de l'État.

Enfin, les rapporteurs ont constaté avec satisfaction la pleine réussite de certains partenariats locaux, en particulier celui mené en Guadeloupe entre l'antenne de la DRFIP et les communes guadeloupéennes, destiné à fiabiliser les comptes des collectivités locales. Cette initiative locale a été saluée tant par les comptables publics auditionnés par la mission que les élus locaux rencontrés, tant elle a permis de fiabiliser les comptes des collectivités et par conséquent d'améliorer les délais de paiement des fournisseurs de ces dernières.

Les rapporteurs considèrent que de tels partenariats gagneraient être systématisés, tout en étant adaptés aux enjeux propres à chaque territoire, afin de fiabiliser davantage des comptes publics de collectivités antillaises, premier pas vers un assainissement durable de leur situation comptable et budgétaire.

Proposition n° 31 : Systématiser les partenariats permettant de fiabiliser les comptes des collectivités antillaises.

3. Favoriser l'adaptation aux spécificités de chaque collectivité

Au terme de ses travaux, la mission estime indispensable, comme le réclame l'Appel de Fort-de-France, d'adapter davantage les référentiels nationaux pour mieux épouser les réalités locales.

a) Favoriser le développement de projets locaux

D'une part, le développement des projets locaux doit être facilité. L'État a toute sa place en la matière et doit être conforté dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux ou interterritoriaux, à l'exemple du plan « Sargasses ».

En effet, la police des plages, comme dans l'hexagone est une compétence des communes de Guadeloupe. Or, face aux difficultés rencontrées par l'ensemble des communes dans la gestion des sargasses dont l'échouage pollue les plages et parasite les activités touristiques des communes, le préfet de Guadeloupe, Xavier Lefort, a mis en place des mesures à l'échelle du territoire en accord avec les communes afin d'améliorer la réponse apportée à ce phénomène.

Ainsi, dans le cadre des « plans sargasse I et II », l'État apporte son aide pour coordonner le stockage, développer la surveillance et les dispositifs anti-échouements et accompagner les collectivités dans leur action. À ce titre, selon la préfecture de Guadeloupe, 36 millions d'euros seront consacrés à ces mesures pour la période 2022-2025.

Selon les rapporteurs, ce type d'initiative doit être salué et encouragé tant il témoigne de la nécessité de conforter l'État dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux et interterritoriaux, en parfaite collaboration avec les élus locaux.

Néanmoins, les services préfectoraux ont souligné que seuls 20 % des 5 millions d'euros qui avaient été accordés aux collectivités pour financer leurs actions en la matière. Les rapporteurs insistent donc pour que les collectivités se saisissent effectivement des moyens financiers mis à leur disposition face à l'ampleur des dégâts causés à l'environnement et aux activités touristiques et de loisirs de la Guadeloupe, qu'une action même résolue de l'État ne pourra, sans l'appui et l'action subsidiaire des collectivités locales, endiguer.

Proposition n° 34 : Conforter l'État dans son rôle de régulateur et d'ensemblier de l'action des collectivités territoriales pour la gestion d'enjeux transversaux et interterritoriaux, sur le modèle du Plan Sargasse.

Par ailleurs, les collectivités antillaises ont tout leur rôle à jouer pour faciliter l'émergence de projets locaux, notamment par l'adoption d'une programmation pluriannuelle des projets structurants. Une telle programmation permettrait de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offres et les besoins de chacune d'entre elles, facilitant ainsi la transformation de ces projets en réalités concrètes en s'appuyant sur le tissu économique local et des financements multiples.

Proposition n° 33 : Prévoir l'adoption par les collectivités antillaises d'une programmation pluriannuelle des projets structurants afin de donner aux entreprises locales et aux co-financeurs de la prévisibilité sur les appels d'offre et les besoins des collectivités.

Enfin, le développement de projets locaux peut parfois être obéré par un cadre juridique excessivement rigide. Or, les collectivités territoriales doivent disposer des moyens, y compris juridiques, pour construire et mener à bien leurs projets.

À cet égard, la mission estime que l'avis conforme des CDPENAF ultramarines ne se justifie pas pleinement. Comme l'ont rappelé Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi dans un récent rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « l'avis conforme sur les décisions d'urbanisme est très controversé [...]. Pour [...] les maires, l'exigence d'un avis conforme de la CDPENAF est jugée anormale, déresponsabilisante, alors qu'un avis simple suffit dans l'Hexagone. L'avis conforme est perçu comme une mise sous tutelle. N'ouvrant droit à aucun recours, l'avis conforme tendant à figer et à fermer les positions »54(*). Dès lors, cet avis conforme gagnerait à être transformé en un avis simple, comme dans l'hexagone, pour faciliter le développement de projets des maires dans ces territoires.

Proposition n° 32 : Transformer l'avis conforme des CDPENAF ultramarines en un avis simple, alignant ainsi ce régime sur celui de droit commun applicable dans l'Hexagone afin de faciliter le développement des projets des maires dans ces territoires.

b) Apporter une réponse efficace et concrète aux sujets primordiaux pour chaque territoire

D'autre part, chacun de ces quatre territoires doit voir une réponse efficace et concrète apportée par l'État aux défis structurants qui l'affectent par le développement, avec les collectivités antillaises, d'outils opérationnels dotés en moyens humains et financiers adaptés à la résolution des défis structurants sur chaque territoire.

Proposition n° 35 : Développer des outils concrets et opérationnels, dotés en moyens humains et financiers adaptés, avec les collectivités antillaises pour résoudre des défis structurants propres à chaque territoire nécessitant un accompagnement spécifique de l'État.

Les rapporteurs, sans être exhaustifs, souhaitent mettre en lumière quatre enjeux locaux prégnants et nécessitant le développement de tels outils combiné à un accompagnement spécifique de l'État :

- s'agissant de la distribution de l'eau en Guadeloupe, la mission considère que le SMGEAG doit impérativement être doté de moyens humains et financiers pérennes et qu'un suivi qualitatif et quantitatif de ses réalisations doit être conduit.

L'île de la Guadeloupe est le seul département français dans lequel se pratiquent des « tours d'eau », qui aboutissent à l'alimentation en eau de certaines portions du territoire de façon intermittente, en alternant les phases d'approvisionnement et de pénurie dans un objectif de solidarité. Selon la préfecture de Guadeloupe, au quotidien un quart des Guadeloupéens sont confrontés à des tours d'eau ou à des pénuries.

Face à cette situation inacceptable et aux difficultés des acteurs publics locaux à mener un projet d'ampleur, le législateur a créé un établissement public local à caractère industriel et commercial, le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG)55(*). L'État a signé en mars 2023, avec le syndicat, la région et le département de la Guadeloupe, un contrat d'accompagnement renforcé visant à assurer la mise en oeuvre de l'appui de l'État, avec la dotation exceptionnelle de fonctionnement de 27 millions d'euros en 2023 et la mise à disposition de six assistants techniques pour aider temporairement le SMGEAG dans sa structuration.

Selon l'AFD, qui assure à la fois une activité de prêt au SMGEAG et une assistance technique, la perspective de l'équilibre financier de l'établissement public est estimée à 10 à 15 ans, avec un investissement total nécessaire avoisinant 1 milliard d'euros, à parts égales entre l'eau et l'assainissement. Les rapporteurs soulignent la nécessité que la structure, créée en 2021, devienne rapidement pleinement opérationnelle afin que l'accès à l'eau de l'ensemble des Guadeloupéens soit enfin pleinement garanti.

Ainsi, si de premières mesures législatives et budgétaires ont été déployées, il importe d'en garantir l'action dans la durée et d'y adosser des moyens humains spécialisés et dédiés afin de déployer pleinement les réformes nécessaires pour mettre fin à la situation inacceptable du manque d'eau potable en Guadeloupe ;

- s'agissant du vieillissement de la population en Martinique et en Guadeloupe, les rapporteurs souhaitent que la collectivité territoriale de Martinique, comme les collectivités guadeloupéennes, disposent, comme elles le demandent depuis plusieurs années, des moyens de conduire une politique active d'incitation au retour des jeunes martiniquais partis en formation dans l'hexagone ou à l'étranger. Sur ce point, Serge Letchimy a indiqué à la mission qu'en l'état de la dynamique démographique martiniquaise, cette île serait le département le plus âgé de France en 2040, soulignant ainsi l'urgence de mettre fin à la « fuite des cerveaux » martiniquais et de faciliter leur retour sur leur territoire d'origine ;

- s'agissant du logement à Saint-Barthélemy : la délégation rappelle que la collectivité territoriale doit être confortée dans son rôle de régulateur et disposer d'outils juridiques et financiers pour permettre aux fonctionnaires notamment hospitaliers comme aux saisonniers de résider sur l'île ;

- enfin, concernant la reconstruction consécutive au passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin, il apparaît nécessaire aux rapporteurs que l'effort en la matière soit parachevé et s'accompagne d'une consolidation des dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État, la collectivité mais également la partie néerlandaise de l'île.

En l'occurrence, doit également être mentionné le dispositif déployé à Saint-Martin à la suite de l'ouragan Irma, exemple pertinent d'une action volontariste et globale de l'État.

Irma, un ouragan particulièrement violent

Le 30 août 2017, au large du Cap Vert, se formait la tempête tropicale baptisée Irma, qui s'intensifiait dès le 31 août pour devenir un ouragan de catégorie 2 puis 3 sur l'échelle de Saffir-Simpson. Avec des rafales de vent supérieures à 300 km/h entraînant de fortes submersions sur les côtes, l'ouragan Irma s'est abattu dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017 sur les Antilles françaises et a dévasté les Îles dites du Nord : Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Après la gestion de l'urgence, s'est engagée une phase de retour à la « vie normale » pour les 50 000 résidents, avec trois impératifs : rétablir les réseaux, organiser l'accès aux soins et rouvrir les établissements scolaires. Pour cette phase, afin de coordonner l'action des ministères, une délégation interministérielle spéciale pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a été créée le 14 septembre 2017.

Malgré le caractère violent et exceptionnel de cet ouragan, son impact sur les équipements et matériels a été contrasté. L'analyse réalisée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise pour le compte du ministère des outre-mer faisait état en juillet 2018 d'une forte disparité entre les deux îles. Avec près de 56 % de ses infrastructures modérément à sévèrement endommagées, voire détruites, Saint-Martin présentait un taux de dommages trois fois plus important que Saint-Barthélemy, où seulement 18 % des infrastructures ont été endommagées. Autre fait notable, à Saint-Martin, près de 70 % des dommages concernaient des bâtiments qui avaient été construits en zone à risque.

Source : rapport de la CRTC Antilles-Guyane, 2022

Si, pendant plusieurs dizaines d'années simple circonscription administrative de la Guadeloupe, Saint-Martin a été sous-administrée localement, bénéficiant de services détachés peu étoffés de la Guadeloupe et d'un simple sous-préfet, son érection en collectivité d'outre-mer en 2007 a peu changé les choses pendant plusieurs années.

La tempête Irma, qui a ravagé l'île le 6 septembre 2017, a modifié le regard de l'État, qui a consenti un plan massif d'aide à la collectivité. Dans son rapport rendu en novembre 2017, le délégué interministériel à la reconstruction, Philippe Gustin, proposait ainsi :

- le « renforcement du rôle de représentant de l'État en charge des intérêts nationaux et garant de l'État de droit avec, en priorité, une amélioration du service en charge du contrôle de légalité et une plus grande présence sur le territoire des services de l'État actuellement basé en Guadeloupe » ;

- « la reconstruction rapide d'une cité administrative et le renforcement des personnels » ;

- « la désignation à Saint-Martin de chefs de projet pour des services ou parties de services de l'État et des collectivités, dans un domaine déterminé et pour une durée limitée, par accord entre le représentant de l'État et le président du conseil territorial de Saint-Martin ou, à défaut, mise en place de conventions d'assistance à maîtrise d'ouvrage entre l'État et la collectivité ».

Les membres de la délégation de la commission ont pu constater que ces engagements ont été tenus. Ils ont rencontré des personnels de l'État aux moyens renforcés, très motivés par la tâche de reconstruction et de reconstitution du potentiel du territoire.

Une aide en ingénierie est assurée notamment via l'AFD, par le recrutement de cinq assistants techniques. Tandis que des personnels plus nombreux des directions régionales de l'État implantées en Guadeloupe permettent de prendre en charge de nombreuses missions.

La création d'une cité administrative et judiciaire, dont la livraison est prévue pour la fin de l'année 2024, témoigne de ce « réinvestissement » des administrations étatiques à Saint-Martin. Elle permettra d'accueillir en un lieu unique et fonctionnel l'ensemble des services de l'État (préfecture, rectorat, DEAL, ARS, Police aux frontières, direction de la mer, DIRECCTE, douane...) et l'ensemble des services de la justice (tribunal de proximité, service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et unité éducative de milieu ouvert (UEMO)) du territoire.

Toutefois, ces réussites doivent être consolidées afin d'achever la reconstruction de l'île - plus de la moitié du parc de bâtiments et d'équipements a été reconstruit - et impérativement s'accompagner d'une consolidation des dispositifs de prévention et de gestion de crise entre l'État, la collectivité mais également la partie néerlandaise de l'île, qui faisait défaut lors de la survenue de l'ouragan Irma.

Comme l'a souligné l'Agence française de développement (AFD), pour Saint-Martin, « face à la gestion d'une crise de cette ampleur, les institutions locales ont eu de très grandes difficultés à réagir efficacement. De fait, Irma a mis en lumière et exacerbé des faiblesses structurelles, tant sur le plan financier qu'organisationnel, déjà identifiées par la collectivité territoriale elle-même, ainsi que par les services de l'État et l'AFD ». Cette fragilité peut expliquer que, plus de trois ans après l'ouragan, la reconstruction de Saint-Martin ne soit qu'engagée alors qu'elle est quasiment achevée à Saint-Barthélemy.


* 43 Ce taux est de 40 % grâce à la combinaison des articles 10 du décret n°53-1266 du 22 décembre 1953 et de l'article 1er du décret n° 57-87 du 28 janvier 1957.

* 44 À Saint-Barthélemy, le coût du logement et l'absence d'offre réelle de logement social constituent également, selon les acteurs socio-économiques rencontrés lors du déplacement, un obstacle majeur au recrutement de personnels salariés.

* 45 Rapport d'information n° 1323 (XVIème lég.) de Christian Baptiste et Karine Le Bon, rapporteurs spéciaux de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur l'évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines, déposé le 5 juin 2023, p. 43, consultable à l'adresse suivante :  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1323_rapport-information#_Toc256000039.

* 46 Rapport d'information n° 1323 (XVIème législature) de Christian Baptiste et Karine Lebon, fait au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RINFANR5L16B1323.html.

* 47 Voir la présentation faite de ce service par la préfecture de Guyane : https://www.guyane.gouv.fr/Services-de-l-Etat/Prefecture-et-Sous-prefecture/DGCAT-Direction-generale-de-la-coordination-et-de-l-animation-territoriale.

* 48 Comme le relève un document de présentation de la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane antérieur au 1er janvier 2020, consultable à l'adresse suivante : https://www.guyane.gouv.fr/content/download/17398/121822/file/Pr%C3%A9sentation%20OSE.pdf.

* 49 Rapport d'information n° 756 (2022-2023), au nom de la commission des finances, déposé le 21 juin 2023. Disponible à l'adresse suivante :  https://www.senat.fr/rap/r22-756/r22-756_mono.html#toc223

* 50 Le 8 juillet 2019.

* 51 Le 22 juin 2020.

* 52 182,4 M€ au titre de la période 2019-2022 et 26,2 M€ au titre de 2023.

* 53 Avis n° 121 (2022-2023), tome III, « mission Outre-mer », de Thani Mohamed Soilihi.

* 54  Foncier agricole outre-mer : une reconquête nécessaire pour la souveraineté alimentaire, rapport d'information n° 799 (2022-2023) fait par Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer déposé 28 juin 2023.

* 55 Loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.

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