INTRODUCTION

La Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui s'est déroulée de mai 2021 à mai 2022, a été un exercice démocratique inédit, lancé à l'initiative du Président de la République, M. Emmanuel Macron, et destiné à offrir aux citoyens européens l'occasion de débattre des priorités de l'Europe et des défis auxquels elle est confrontée.

Ayant eu l'honneur d'avoir été désignés par le Président du Sénat pour y représenter la Haute Assemblée au sein du collège des parlementaires nationaux, les deux signataires du présent rapport se sont beaucoup investis au sein de la Conférence1(*). L'assemblée plénière de la conférence était, en effet, composée, de 108 représentants du Parlement européen, 54 du Conseil, 3 de la Commission européenne et 108 des parlements nationaux, ainsi que de 108 citoyens européens tirés au sort.

Il en est résulté 49 propositions citoyennes réparties en plus de 300 mesures concrètes pour faire évoluer l'Union européenne. Ces propositions sont de nature très diverse et reflètent la multiplicité des attentes des citoyens européens à l'égard de l'Union européenne, en particulier en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique, en matière sociale et de santé, ainsi que s'agissant du fonctionnement démocratique de l'Union européenne. Pour mettre en oeuvre certaines de ces propositions, une modification des traités serait nécessaire, initiative soutenue par le Parlement européen, mais aussi par la Présidente de la Commission européenne et également par le Président Macron.

S'agissant du volet institutionnel, on peut notamment relever les propositions suivantes :

- passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil de l'Union européenne dans les domaines qui demeurent encore soumis à la contrainte de l'unanimité, comme la politique étrangère et la défense ou la fiscalité ;

- accorder au Parlement européen un droit d'initiative législative ;

- reconnaître de nouvelles compétences à l'Union européenne, notamment en matière de santé, au regard de la pandémie de la Covid-19 ;

- mettre en place des referenda à l'échelle de l'Union européenne.

Le système institutionnel actuel de l'Union européenne, tel qu'issu du traité de Lisbonne, est souvent jugé insatisfaisant : non seulement il nourrit un sentiment d'éloignement des citoyens à l'égard des institutions européennes, mais en outre il semble inadapté dans l'optique d'un futur élargissement de l'Union européenne, notamment aux pays des Balkans, voire à l'Ukraine, à la Moldavie ou même possiblement à la Géorgie.

On peut notamment mentionner la composition pléthorique de la Commission européenne, constituée de 27 commissaires européens, ou la paralysie découlant de la persistance du droit de veto au Conseil dans certains domaines, notamment en matière de politique étrangère ou de fiscalité.

Dans le prolongement de la Conférence sur l'Avenir de l'Europe, plusieurs voix se sont exprimées ces derniers mois en faveur d'une révision des traités, ou du moins en faveur de l'activation des « clauses passerelles », ces flexibilités procédurales pouvant permettre de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil, en particulier le Président Macron et le chancelier allemand Scholz. Le Parlement européen a adopté, en juin 2022, une résolution en ce sens2(*). Un nouveau rapport est en préparation au sein de la commission des Affaires constitutionnelles.

C'est pour explorer une telle perspective que les deux co-rapporteurs ont effectué un déplacement à Bruxelles, le 27 février dernier.

Il s'agissait de faire le point, près d'une année après la fin des travaux de la Conférence, sur le suivi qu'il est envisagé de donner à ses propositions en matière institutionnelle, notamment à l'hypothèse d'une révision des traités, mais aussi aux possibilités de recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres souplesses institutionnelles.

Au cours de ce déplacement, les deux co-rapporteurs ont eu des entretiens avec le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Son Exc. M. Philippe Léglise-Costa, la Secrétaire générale du Conseil, Mme Thérèse Blanchet, le directeur général du Service juridique de la Commission européenne et jurisconsulte de la Commission européenne, M. Daniel Calleja, les membres des cabinets de la Présidente de la Commission européenne, de la Présidente du Parlement européen et du vice-Président de la Commission européenne Sefcovic, ainsi que le député européen M. Guy Verhofstadt, membre de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen.

Les rapporteurs tiennent à remercier les différentes personnalités rencontrées.

Le présent rapport vise à présenter un état des lieux du suivi de la Conférence et aborde la question d'une révision éventuelle des traités. Il s'interroge ensuite sur le recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres formes de souplesse institutionnelle prévues par les traités.

I. LA RÉVISION DES TRAITÉS : UNE PROCÉDURE LONGUE À L'ISSUE INCERTAINE

1. Une procédure lourde

La procédure de révision des traités est prévue à l'article 48 du traité sur l'Union européenne (TUE).

Cet article distingue la procédure de révision dite « ordinaire » des procédures de révision dites « simplifiées ».

La procédure de révision ordinaire concerne les modifications les plus importantes (comme par exemple les compétences de l'Union).

Le traité de Lisbonne a conservé, pour l'essentiel, la procédure de révision des traités prévue par les traités antérieurs, en introduisant toutefois deux nouveautés : l'extension du droit d'initiative au Parlement européen et la pérennisation de la méthode conventionnelle, utilisée pour la rédaction de la Charte des droits fondamentaux et du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Selon l'article 48 du TUE, l'initiative d'une révision peut provenir des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne. Leurs projets de révision sont ensuite transmis au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux.

C'est ensuite au Conseil européen, statuant à la majorité simple après consultation du Parlement européen et de la Commission européenne, qu'appartient la décision de donner suite ou non au projet de révision.

En cas de vote positif, le Conseil européen doit en principe convoquer une Convention, composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission européenne, chargée de préparer un projet de révision.

Toutefois, le Conseil européen peut décider, à la majorité simple, et avec l'accord du Parlement européen, de ne pas convoquer une convention « lorsque l'ampleur des modifications ne le justifie pas ».

Le projet est ensuite soumis à une Conférence intergouvernementale (CIG), composée de représentants des gouvernements des États membres, qui peut y apporter des modifications et qui statue à l'unanimité.

Enfin, le projet de révision doit être soumis à une procédure de ratification dans l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives (par la voie parlementaire ou par referendum selon les pays).

La procédure « ordinaire » de révision des traités est donc une procédure relativement « lourde », puisqu'elle suppose une « double unanimité » des États membres.

Outre la procédure de révision ordinaire, le traité de Lisbonne a également prévu, à l'article 48 du traité sur l'UE, une procédure de révision simplifiée des traités.

Il existe plusieurs types de révision simplifiée.

Une première forme de révision simplifiée, prévue à l'article 48 paragraphe 6 du traité sur l'Union européenne, ne joue que pour la révision de tout ou partie de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relative aux politiques et actions internes de l'Union.

Il est précisé que cette révision ne peut pas accroître les compétences attribuées à l'Union dans les traités.

La procédure de révision est très proche de celle prévue pour la révision ordinaire.

Comme dans le cas de la révision ordinaire, l'initiative appartient au gouvernement de tout État membre, au Parlement européen ou à la Commission européenne.

Le Conseil européen statue là aussi à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire.

Surtout, comme pour la procédure de révision ordinaire, cette décision n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Ainsi, la seule différence notable avec la procédure de révision ordinaire tient au fait que la convocation d'une Conférence intergouvernementale et a fortiori d'une Convention n'est pas nécessaire.

ARTICLE 48 DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE

1. Les traités peuvent être modifiés conformément à une procédure de révision ordinaire. Ils peuvent également être modifiés conformément à des procédures de révision simplifiées.

Procédure de révision ordinaire

2. Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités. Ces projets peuvent, entre autres, tendre à accroître ou à réduire les compétences attribuées à l'Union dans les traités. Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux.

3. Si le Conseil européen, après consultation du Parlement européen et de la Commission, adopte à la majorité simple une décision favorable à l'examen des modifications proposées, le président du Conseil européen convoque une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission. La Banque centrale européenne est également consultée dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. La Convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des gouvernements des États membres telle que prévue au paragraphe 4.

Le Conseil européen peut décider à la majorité simple, après approbation du Parlement européen, de ne pas convoquer de Convention lorsque l'ampleur des modifications ne le justifie pas. Dans ce dernier cas, le Conseil européen établit le mandat pour une Conférence des représentants des gouvernements des États membres.

4. Une Conférence des représentants des gouvernements des États membres est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter aux traités.

Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

5. Si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature d'un traité modifiant les traités, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question.

Procédures de révision simplifiées

6. Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil européen des projets tendant à la révision de tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatives aux politiques et actions internes de l'Union.

Le Conseil européen peut adopter une décision modifiant tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. Cette décision n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

La décision visée au deuxième alinéa ne peut pas accroître les compétences attribuées à l'Union dans les traités.

7. Lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou le titre V du présent traité prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas. Le présent alinéa ne s'applique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.

Lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant l'adoption desdits actes conformément à la procédure législative ordinaire.

Toute initiative prise par le Conseil européen sur la base du premier ou du deuxième alinéa est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision visée au premier ou au deuxième alinéa n'est pas adoptée. En l'absence d'opposition, le Conseil européen peut adopter ladite décision.

Pour l'adoption des décisions visées au premier ou au deuxième alinéa, le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.en compte.

2. Un pari risqué

Plusieurs voix se sont prononcées ces derniers mois en faveur d'une révision des traités.

Le Parlement européen a adopté, le 4 mai 2022, une résolution (non contraignante) en faveur d'une révision des traités. Il a également saisi formellement le Conseil d'une demande de convocation d'une convention chargée de réviser les traités. Le Conseil n'a toutefois pas à ce stade transmis cette demande au Conseil européen.

La Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, s'est prononcée, dans son discours sur l'état de l'Union du 9 mai 2022, en faveur d'une réforme de l'UE, y compris « en changeant les traités si nécessaire ».

Le Président de la République M. Emmanuel Macron, après avoir indiqué que la révision des traités n'était « ni un totem ni un tabou », s'est également prononcé en faveur d'une révision des traités, dans son discours à Strasbourg, à l'occasion de la clôture des travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, le 9 mai 2022.

Toutefois, ainsi qu'il ressort des nombreux entretiens menés à Bruxelles, une révision des traités semble actuellement peu réaliste.

Tout d'abord, une telle révision nécessiterait d'être approuvée à l'unanimité au Conseil et ratifiée par l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives.

Or, les États membres sont profondément divisés à la fois sur l'opportunité et sur le contenu d'une éventuelle révision des traités, plusieurs pays étant réticents à s'engager dans un tel processus3(*) et certains pays, comme la Pologne ou la Hongrie, étant hostiles à plus d'intégration. En outre, se pose la question de l'opportunité d'une telle procédure dans le contexte actuel marqué par la guerre en Ukraine.

Lancer un processus de révision des traités risquerait, en effet, d'ouvrir la « boîte de Pandore » et de provoquer des divisions entre les États membres, notamment sur les questions sensibles de droit de vote ou de compétences.

Pour ne citer qu'un seul exemple, le Président Macron a proposé de modifier les traités européens pour y inscrire le droit à l'avortement mais plusieurs pays, comme la Pologne ou Malte, s'y opposent fortement.

En outre, se lancer dans des discussions institutionnelles pourrait sembler en décalage alors que l'Union européenne doit prioritairement faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Enfin, l'issue de la procédure de ratification, notamment par referendum, est très incertaine, comme l'ont montré les précédents des traités de Maastricht (avec le non danois), du traité constitutionnel (avec les non français et néerlandais) ou du traité de Lisbonne (avec le non irlandais).

En définitive, on peut appliquer à la révision des traités la même maxime que celle utilisée par Montesquieu à propos des lois, selon laquelle « on ne peut toucher aux lois que d'une main tremblante ».


* 1 M. Jean-François Rapin a participé au groupe de travail sur la santé et Mme Gisèle Jourda faisait partie du groupe de travail sur la place de l'Union européenne dans le monde.

* 2 Résolution du Parlement européen du 9 juin 2022 sur la convocation d'une convention pour la révision des traités (2022/2705(RSP)).

* 3 Treize pays (la Pologne, la Roumanie, la Croatie, Malte, le Danemark, la Finlande, la Suède, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie, la République tchèque, la Bulgarie et la Slovénie) ont publié une lettre commune pour s'opposer à une révision des traités, estimant qu'elle serait prématurée.

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