II. LE RECOURS AUX « CLAUSES PASSERELLES » : UNE OPTION QUI NE PARAÎT PAS RÉALISTE ACTUELLEMENT

1. Une procédure complexe

Le traité de Lisbonne a prévu d'autres formes de révision simplifiée des traités, à l'article 48 paragraphe 7 du traité sur l'Union européenne, que l'on appelle, dans le jargon bruxellois, « clauses passerelles » ouvrant des flexibilités procédurales.

En réalité, on distingue plusieurs types de « clauses passerelles »4(*).

Une première « clause passerelle » prévoit que, dans le cadre des politiques communes, lorsqu'il est prévu que le Conseil des ministres décide à l'unanimité, le Conseil européen statuant à l'unanimité peut autoriser le passage au vote à la majorité qualifiée.

Une telle clause existait déjà dans les précédents traités mais son champ était limité à certains domaines. Le traité de Lisbonne généralise cette possibilité à l'ensemble des politiques de l'Union. Cette disposition ne peut toutefois pas s'appliquer dans le cas des décisions ayant des implications militaires ou relevant du domaine de la défense.

Une autre « clause passerelle » prévoit que, lorsqu'une procédure législative spéciale est prévue (donc dans les cas où le Parlement européen n'a pas le pouvoir de codécision), le Conseil européen statuant à l'unanimité peut décider que s'appliquera la procédure législative ordinaire (à savoir la codécision).

Dans les deux cas, l'approbation du Parlement européen est nécessaire, la majorité étant celle des députés qui composent le Parlement, et non pas, comme habituellement, la majorité simple.

Le traité prévoit que le recours à une « clause passerelle » est notifié aux parlements nationaux. La décision ne peut entrer en vigueur que si aucun parlement national n'a fait connaître son opposition dans un délai de six mois. Ainsi, chaque parlement national dispose d'une sorte de droit de veto sur le recours aux « clauses passerelles ».

EXTRAIT DE L'ARTICLE 48 DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE

7. Lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou le titre V du présent traité prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas. Le présent alinéa ne s'applique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.

Lorsque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant l'adoption desdits actes conformément à la procédure législative ordinaire.

Toute initiative prise par le Conseil européen sur la base du premier ou du deuxième alinéa est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision visée au premier ou au deuxième alinéa n'est pas adoptée. En l'absence d'opposition, le Conseil européen peut adopter ladite décision.

Pour l'adoption des décisions visées au premier ou au deuxième alinéa, le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.

À côté de ces deux « clauses passerelles » générales, il existe aussi plusieurs « clauses passerelles » spécifiques prévues par les traités. Ces « clauses passerelles » spécifiques ont le même objet mais leur champ d'application est limité à certains domaines.

Ainsi, un article spécifique du traité prévoit une « clause passerelle » en ce qui concerne la coopération judiciaire en matière de droit de la famille, permettant de passer d'une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire5(*). Là encore, le recours à cette « clause passerelle » nécessite une décision à l'unanimité et chaque parlement national dispose d'un droit d'opposition.

Enfin, dans certains domaines particuliers, le Conseil européen ou le Conseil des ministres peut, à l'unanimité, décider d'appliquer le vote à la majorité qualifiée ou la procédure législative ordinaire, sans que les parlements nationaux aient un droit d'objection. En outre, le rôle du Parlement européen est réduit (il est au mieux consulté), alors que celui de la Commission européenne en tant qu'initiateur est renforcé dans certains cas.

Ces domaines sont : le cadre financier pluriannuel de l'Union6(*) ; certaines mesures concernant la politique sociale7(*) ou l'environnement8(*); certaines décisions de politique étrangère9(*).

2. L'absence de consensus entre les États membres

Comme pour la révision des traités, de nombreuses voix se sont exprimées en faveur de l'activation des « clauses passerelles », qualifiées de « beauté oubliée » par l'ancien président Jean-Claude Juncker10(*).

La Commission européenne, le Parlement européen, le chancelier allemand, puis le Président Macron, se sont prononcés en faveur du recours aux « clauses passerelles » afin de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil, notamment en matière de politique étrangère11(*) ou de fiscalité.

De fait, dans une Europe à vingt-sept États membres aujourd'hui, plus de trente demain, le maintien de l'unanimité au Conseil présente un risque de paralysie, puisqu'il accorde un droit de veto à chaque État membre.

À titre illustratif, il s'agirait de prévoir que les sanctions individuelles et les mesures restrictives de l'Union européenne (par exemple contre la Russie) puissent être adoptées à la majorité qualifiée au Conseil et non à l'unanimité, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui permettrait de surmonter les réticences de certains pays, comme la Hongrie par exemple.

Le recours aux « clauses passerelles » nécessite toutefois un accord unanime des États membres.

Or, comme cela a été confirmé aux rapporteurs, il semblerait qu'il n'y ait pas de consensus sur ce point.

Plusieurs États membres seraient opposés à ce passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée, notamment en matière de politique étrangère.

Parmi ces pays figurent des pays attachés à leur souveraineté, comme la Pologne et la Hongrie, mais aussi des « petits pays », comme Chypre ou Malte, qui sont très attachés à leur droit de veto.

Ainsi, le recours aux « clauses passerelles » paraît aujourd'hui peu réaliste.

Si une révision des traités ou une activation des « clauses passerelles » semblent actuellement difficilement envisageables, vos rapporteurs considèrent qu'il est souhaitable d'exploiter les nombreuses potentialités prévues par les traités pour continuer à réaliser des avancées dans la construction européenne.


* 4 Voir l'étude du service de recherche du Parlement européen sur les « clauses passerelles », rédigée par Mme Silvia Kotanidis, en décembre 2000 (PE 659.420).

* 5 Article 81 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE).

* 6 Article 312 paragraphe 2 du TFUE.

* 7 Article 153 paragraphe 2 du TFUE.

* 8 Article 192 paragraphe 2 du TFUE.

* 9 Article 31 paragraphes 3 et 4 du TUE.

* 10 Discours sur l'état de l'Union de 2018.

* 11 Il s'agirait notamment du régime des sanctions, des décisions concernant les droits de l'homme ou encore des missions civiles de l'Union européenne.

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