CONCLUSION

Si l'hypothèse d'une révision des traités ou le recours aux « clauses passerelles » ne paraît pas aujourd'hui réaliste, les traités prévoient d'autres possibilités pour faire avancer l'intégration européenne, comme les « coopérations renforcées », dans le cadre des traités ou en dehors.

Selon une étude du service juridique du Conseil14(*), sur les 328 propositions qui figurent dans le rapport final de la Convention sur l'avenir de l'Europe, moins d'une trentaine nécessiteraient une révision des traités, soit moins de 10 %. Pour sa part, la Commission européenne a publié, le 17 juin 2022, une communication15(*) offrant un cadre global et une évaluation détaillée de ce qui est nécessaire pour donner suite aux propositions de la Conférence, donnant un aperçu des réalisations actuelles, des actions prévues et des prochaines étapes, indiquant la meilleure façon de tirer les leçons de la Conférence et d'intégrer la participation des citoyens dans l'élaboration des politiques de l'Union européenne. Selon la commission des affaires européennes du Sénat, il est donc possible et souhaitable de continuer à progresser à traités constants. C'est une question de volonté politique.

La question de la révision des traités, ou du moins des politiques de l'Union européenne, pourrait toutefois resurgir à l'avenir, avec la perspective d'un futur élargissement de l'Union européenne, notamment aux pays des Balkans, voire de l'Ukraine et de la Moldavie, ou plus tard de la Géorgie. Les rapporteurs estiment, au vu de la capacité d'absorption de l'Union, qu'il pourrait alors être nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier et de modifier les traités pour concilier l'élargissement et l'approfondissement.

Cette question devrait faire l'objet d'un vaste débat démocratique avec les citoyens européens qui ne peuvent être tenus à l'écart de l'évolution du projet européen, sur lequel ils seront consultés lors des prochaines élections européennes du printemps 2024.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 12 juillet 2023pour l'examen du présent rapport. Le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Avec Mme Gisèle Jourda, nous avons participé à la Conférence sur l'avenir de l'Europe - la CoFE - qui s'est déroulée de mai 2021 à mai 2022, cet exercice démocratique inédit lancé à l'initiative du Président Macron destiné à offrir aux citoyens européens une occasion unique de débattre des priorités de l'Europe et des défis auxquels elle est confrontée. Le Président du Sénat nous avait en effet mandatés pour y représenter notre assemblée, au sein du collège des parlementaires nationaux. L'assemblée plénière de la conférence était composée, théoriquement sur un pied d'égalité, de 108 représentants du Parlement européen, 54 du Conseil, 3 de la Commission européenne et 108 des parlements nationaux, ainsi que de 108 citoyens tirés au sort. Il en est résulté 49 propositions citoyennes réparties en plus de 300 mesures concrètes pour faire évoluer l'UE. Pour certaines, une modification des traités serait nécessaire, initiative soutenue par le Parlement européen, mais aussi par la présidente de la Commission européenne et également par le président Macron.

C'est dans cette perspective que nous avons effectué un déplacement à Bruxelles, le 27 février dernier. Il s'agissait de faire le point, près d'une année après la fin des travaux de la conférence, sur le suivi qu'il est envisagé de donner à ses propositions en matière institutionnelle, notamment à cette idée de révision des traités, mais aussi aux possibilités de recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres souplesses institutionnelles.

Au cours de ce déplacement, nous avons eu des entretiens avec le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Son Exc. M. Philippe Leglise-Costa, la Secrétaire générale du Conseil, Mme Thérèse Blanchet, le directeur général du Service juridique de la Commission européenne, M. Daniel Calleja, les membres des cabinets de la Présidente de la Commission européenne, de la Présidente du Parlement européen et du Commissaire européen Sefcovic, ainsi que le rapporteur de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, le député européen M. Guy Verhofstadt.

Je laisserai la parole à Mme Gisèle Jourda pour qu'elle vous présente un état des lieux du suivi de la conférence et aborde la question d'une révision éventuelle des traités.

J'interviendrai ensuite sur le recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres formes de souplesse institutionnelle prévues par les traités.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Avec le Président Jean-François Rapin, j'ai eu l'honneur de représenter le Sénat au sein de Conférence sur l'avenir de l'Europe et je me suis notamment beaucoup impliquée dans le groupe de travail chargé de la politique étrangère de l'Union européenne.

Les propositions issues de la conférence sont de nature très diverse et reflètent les attentes des citoyens européens à l'égard de l'Union européenne, en particulier en matière d'environnement, en matière sociale et de santé, ainsi que s'agissant du fonctionnement démocratique de l'Union européenne.

S'agissant des aspects institutionnels, on peut notamment relever les propositions suivantes :

- passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil dans les domaines qui demeurent encore soumis à la contrainte de l'unanimité, comme la politique étrangère et la défense ou en matière de fiscalité ;

- accorder au Parlement européen un droit d'initiative législative ;

- reconnaître de nouvelles compétences à l'Union européenne, notamment en matière de santé, au regard de la pandémie de la Covid 19 ;

- mettre en place des référendums à l'échelle de l'Union européenne.

Le système institutionnel actuel de l'Union européenne, tel qu'issu du traité de Lisbonne, apparaît effectivement insatisfaisant : non seulement il nourrit un sentiment d'éloignement des citoyens européens à l'égard des institutions européennes, mais en outre il semble inadapté dans l'optique d'un futur élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, voire à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie.

On peut notamment mentionner la composition pléthorique de la Commission européenne (27 Commissaires), ou la paralysie découlant de la persistance du droit de veto au Conseil dans certains domaines, notamment en matière de politique étrangère et de défense ou de fiscalité.

Près d'un an après la fin des travaux, quelles ont donc été les suites données au rapport final de la Conférence ?

Le Parlement européen a adopté, le 4 mai 2022, une résolution (non contraignante) en faveur d'une révision des traités. Il a également saisi formellement le Conseil d'une demande de convocation d'une convention chargée de réviser les traités.

La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen devrait adopter prochainement une nouvelle résolution en ce sens.

La Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, s'est prononcée, dans son discours sur l'état de l'Union du 9 mai 2022, en faveur d'une réforme de l'UE, y compris « en changeant les traités si nécessaire ».

Le Président de la République M. Emmanuel Macron, après avoir indiqué que la « révision des traités n'était ni un totem ni un tabou », s'est également prononcé en faveur de cette révision, dans son discours devant la Conférence sur l'avenir de l'Europe, le 9 mai 2022.

Je rappelle que les traités (article 48 du TUE) distinguent deux formes de révision des traités : la révision ordinaire et la révision simplifiée.

La procédure de révision ordinaire concerne les modifications les plus importantes (ex : compétences de l'Union). Elle prévoit que le gouvernement d'un État membre, le Parlement européen ou la Commission européenne peut soumettre des projets de révision au Conseil de l'UE, lequel les transmet au Conseil européen et les notifie aux parlements nationaux.

Le Conseil européen peut alors décider à la majorité simple, après consultation du Parlement et de la Commission, de convoquer une convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'États ou de gouvernement, du Parlement et de la Commission. Cette convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation adressée à une conférence intergouvernementale (CIG), composée de représentants des gouvernements des États membres. Les amendements aux traités qu'adopte la CIG n'entrent en vigueur qu'après ratification de tous les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives.

Toujours dans le cadre de la procédure de révision ordinaire, le Conseil européen, s'il estime que l'ampleur des modifications à apporter aux traités ne justifie pas la convocation d'une convention, peut décider à la majorité simple et après approbation du Parlement, de ne convoquer que la CIG directement.

En définitive, à la lumière de nos entretiens à Bruxelles, nous jugeons qu'une révision des traités semble aujourd'hui peu réaliste.

Elle nécessiterait, en effet, d'obtenir l'unanimité au Conseil et une ratification par l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives (par la voie du Congrès ou par referendum). Or, les États membres sont profondément divisés sur le contenu d'une éventuelle révision des traités, certains pays, comme la Pologne ou la Hongrie, étant hostiles à plus d'intégration. Lancer un processus de révision des traités risquerait d'ouvrir la « boîte de pandore » et de provoquer des divisions entre les États membres, notamment sur les questions sensibles de droit de vote ou des compétences. Pour ne citer qu'un seul exemple, le Président de la République Emmanuel Macron a proposé de modifier les traités européens pour y inscrire le droit à l'avortement mais plusieurs pays, comme la Pologne ou Malte, s'y opposent fortement.

De plus, se lancer dans des discussions institutionnelles pourrait sembler actuellement inopportun alors que l'Union européenne doit faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Enfin, l'issue de la procédure de ratification, notamment par referendum, est très incertaine, comme l'ont montré les précédents des traités de Maastricht (avec le non danois), du traité constitutionnel (avec les non français et néerlandais) ou le traité de Lisbonne (avec le non irlandais).

En définitive, on peut appliquer à la révision des traités la même maxime que celle utilisée par Montesquieu à propos des lois, selon laquelle « on ne peut toucher aux lois que d'une main tremblante ».

M. Jean-François Rapin, président et rapporteurComme l'a souligné devant nous Mme Thérèse Blanchet, la secrétaire générale du Conseil que nous avons auditionnée récemment, le traité de Lisbonne comprend des dispositions lui permettant de s'adapter aux circonstances sans avoir à être modifié. Il prévoit ainsi, en plus de la procédure normale de révision des traités, une procédure de révision simplifiée, qui figure à l'article 48 du traité sur l'UE et que l'on appelle, dans le jargon bruxellois, « clauses passerelles ».

En réalité, on distingue plusieurs types de « clauses passerelles ».

Dans le cadre des politiques communes, lorsqu'il est prévu que le Conseil des ministres décide à l'unanimité, le Conseil européen statuant à l'unanimité peut ainsi autoriser le passage au vote à la majorité qualifiée. Cette possibilité est toutefois écartée pour les décisions ayant des implications militaires ou relevant du domaine de la défense.

De même, lorsqu'une procédure législative spéciale est prévue (donc dans les cas où le Parlement européen n'a pas le pouvoir de codécision), le Conseil européen statuant à l'unanimité peut décider que s'appliquera la procédure législative ordinaire (à savoir la codécision).

Le traité prévoit que le recours à une « clause passerelle » est notifié aux parlements nationaux. La décision ne peut entrer en vigueur que si aucun parlement national n'a fait connaître son opposition dans un délai de six mois. Ainsi, chaque Parlement national dispose d'une sorte de droit de véto sur le recours aux « clauses passerelles ».

Toutefois, dans certains domaines particuliers, le Conseil européen ou le Conseil des ministres peut, à l'unanimité, décider d'appliquer le vote à la majorité qualifiée ou la procédure législative ordinaire, sans que les parlements nationaux aient un droit d'objection.

Ces domaines sont : le cadre financier pluriannuel de l'Union ; certaines mesures concernant la politique sociale, l'environnement ; certains décisions de politique étrangère.

Le Parlement européen, le chancelier allemand, puis le Président de la République française, se sont prononcés pour le recours aux « clauses passerelles » afin de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil et supprimer ainsi le droit de veto, notamment en matière de politique étrangère.

De fait, dans une Europe à vingt-sept États membres, le maintien de l'unanimité au Conseil présente déjà un risque de paralysie, puisqu'il accorde un droit de veto à chaque État membre. Risque qui se trouverait accru en cas d'élargissement de l'Union. Il s'agirait notamment de prévoir que les sanctions de l'Union européenne (par exemple contre la Russie) puissent être adoptées à la majorité qualifiée au Conseil et non à l'unanimité, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui permettrait de surmonter les réticences de la Hongrie par exemple.

Le recours aux « clauses passerelles » nécessite toutefois un accord unanime des États membres. Or, selon nos entretiens à Bruxelles, il semblerait qu'il n'y ait pas de consensus sur ce point. Plusieurs États membres seraient opposés à ce passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée. Parmi ces pays figurent ceux attachés à leur souveraineté, comme la Pologne et la Hongrie, mais aussi des « petits pays », comme Chypre ou Malte, qui sont très attachés à leur droit de veto.

Ainsi, selon nos interlocuteurs, malgré la demande du Parlement européen et le souhait du Président de la République et du chancelier allemand, le recours aux « clauses passerelles » paraît aujourd'hui peu réaliste.

Toutefois, on peut relever qu'il existe dans les traités d'autres formes de souplesse institutionnelle, qui peuvent permettre de faire avancer la construction européenne, sans passer par la procédure de révision.

Ainsi, le traité de Lisbonne a prévu la possibilité de plafonner le nombre de Commissaires européens, avec un système de rotation égalitaire. Les États membres y ont renoncé en raison du referendum négatif irlandais, pour revenir à la règle d'un Commissaire par État, mais en théorie il est possible de plafonner ce nombre sans réviser les traités.

En outre, on peut mentionner deux articles des traités qui jouent un rôle non négligeable pour renforcer l'intégration européenne.

Le premier est l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'UE : aux termes de cet article, lorsque, dans le cadre d'une des politiques prévues par les traités, une mesure paraît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités mais que ceux-ci ne prévoient pas les « pouvoirs d'action » requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité peut prendre cette mesure, en accord avec le Parlement européen.

Une clause de ce type a toujours figuré dans les traités européens, mais son objet était limité aux « mesures nécessaires pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté ». Avec un objet élargi, cet article 352 représente aujourd'hui un levier puissant d'extension potentielle du champ d'action européen.

Le recours à cette clause a été très fréquent par le passé. Il a permis par exemple la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux.

Second article à fort impact possible : l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (UE). Celui-ci permet à l'Union européenne de prendre des mesures temporaires en cas de crise.

Ses conditions d'utilisation sont décrites dans deux petits paragraphes. Le premier évoque « de graves difficultés (...) dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie », le second est activable lorsqu'un État membre subit « des catastrophes naturelles ou des événements exceptionnels échappant à son contrôle ».

Il permet aux États membres de prendre une décision à la majorité qualifiée - et d'échapper à l'unanimité qui est parfois requise, notamment en matière de fiscalité - et, surtout, sans que le Parlement européen soit associé, ce qui peut soulever une question démocratique (en ce sens, cela peut être comparé à une ordonnance ou à une mesure liée à l'État d'urgence).

Cet article a permis à la Commission, depuis trois ans, de faire adopter, dans des délais record, des propositions législatives comme l'achat en commun de vaccins contre le Covid-19, la mise en place d'un instrument communautaire pour aider les gouvernements à financer leur régime de chômage partiel durant la pandémie, la création d'un prélèvement sur les superprofits des producteurs d'énergie, le plafonnement du prix du gaz, l'accélération de la délivrance de permis pour les fermes solaires et éoliennes, la réduction de la consommation de gaz et d'électricité sur le Vieux Continent ou encore l'achat en commun de gaz.

On peut enfin mentionner la possibilité de recourir, dans le cadre des traités ou en dehors, à des formes de géométrie variable, permettant à ceux des États qui le souhaitent de progresser dans la voie de l'intégration sans en être empêchés par d'autres.

On peut distinguer plusieurs formes :

- les formes de géométrie variable en dehors des traités (par exemple le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance - TSCG).

- les formes à géométrie variable prévues par les traités eux-mêmes (Schengen, euro) ;

- les coopérations renforcées prévues dans le cadre des traités et avec certaines conditions (utilisées par exemple pour la création du Parquet européen ou du brevet communautaire).

Les « coopérations renforcées » sont une forme particulière consistant en l'utilisation des institutions de l'Union par une partie des États membres qui prennent des décisions applicables à eux seuls. Selon le traité de Lisbonne, les coopérations renforcées ne peuvent être lancées qu'en dernier ressort et doivent associer au moins neuf des États membres. Les États membres participant à une coopération renforcée peuvent, à l'unanimité, décider de recourir aux « clauses passerelles ».

L'autorisation de lancer la coopération renforcée est accordée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée ; la Commission et le Parlement ont un droit de veto et participent au fonctionnement de la coopération renforcée avec tous les membres qui s'y sont associés.

Toutefois, dans le cas de la politique extérieure et de sécurité commune, le Parlement et la Commission sont simplement consultés, et l'autorisation est accordée par le Conseil statuant à l'unanimité. Par ailleurs, un mécanisme de « frein/accélérateur » facilite le recours aux coopérations renforcées en matière de justice et d'affaires intérieures.

Une formule particulière et plus souple est prévue pour la défense, sous le nom de « coopération structurée permanente », permettant aux pays qui le souhaitent de progresser en matière de défense. Peuvent participer tous les États membres acceptant les engagements précisés dans un protocole annexé aux traités. .

Dans une Europe à vingt-sept pays aujourd'hui, peut-être trente ou plus encore demain, la géométrie variable peut « sembler inévitable pour concilier élargissement et approfondissement », pour reprendre les mots d'Alain Lamassoure.

Pour conclure, si l'idée d'une révision des traités ou le recours aux « clauses passerelles » ne paraît pas réaliste aujourd'hui, les traités prévoient d'autres possibilités pour faire avancer l'intégration européenne. Selon une étude du service juridique du Conseil, sur les 328 propositions qui figurent dans le rapport final de la Convention sur l'avenir de l'Europe, moins d'une trentaine nécessiteraient une révision des traités. Il est donc possible et souhaitable de progresser à traités constants. C'est plus une question de volonté politique.

La question de la révision des traités, ou du moins des politiques de l'Union européenne, devrait toutefois resurgir à l'avenir, avec la perspective d'un futur élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, voire de l'Ukraine et de la Moldavie, ou plus tard de la Géorgie.

Voilà les principaux éléments qu'avec Gisèle Jourda, nous souhaitions porter à votre connaissance.

M. Pierre Laurent. - Comme vous le soulignez dans votre rapport, et contrairement à ce que certains affirment, les traités européens contiennent de nombreuses dispositions permettant de réaliser des avancées à traités constants. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses avancées ont d'ailleurs été réalisées au niveau européen sous la pression des évènements, comme la crise financière, la pandémie de la Covid-19 ou la guerre en Ukraine. Il est donc utile d'explorer toutes les potentialités offertes par les traités et votre rapport est éclairant de ce point de vue.

Dans le même temps, je considère qu'il faut continuer à discuter de la révision des traités européens et je trouve curieux de fermer d'emblée cette possibilité à l'approche des élections européennes. S'il y a bien un moment où il faut parler de l'Union européenne et de la question de la révision des traités avec les citoyens européens, c'est bien lors de la campagne en vue des élections européennes.

Pour ma part, je n'ai jamais proclamé qu'il était indispensable de réviser les traités pour réaliser des avancées, mais je considère qu'il ne faut pas aujourd'hui fermer la porte à cette révision. Il est vrai qu'une révision des traités dans le contexte actuel paraît difficilement envisageable car cela risque de susciter de profondes divisions entre les États membres. Ainsi, le passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil soulève de nombreuses réticences chez certains États membres. Mais on pourrait envisager d'autres évolutions, comme par exemple recourir à la géométrie variable pour permettre aux pays qui le souhaitent d'avancer plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration sans en être empêchés par les autres.

En tout état de cause, si je partage votre constat, je considère que la question de la révision des traités devrait faire l'objet d'un débat démocratique avec les citoyens européens, à l'occasion de la campagne en vue des prochaines élections européennes. Car, dans le cas contraire, on risquerait d'envoyer un message d'impuissance aux citoyens européens et d'encourager l'abstention ou les forces politiques anti-européennes.

M. Pascal Allizard. - Je vous remercie pour votre rapport qui dresse un état des lieux très éclairant et qui permet de clarifier la question de la révision des traités et du recours aux autres formes de souplesse institutionnelle. Si ce constat est très utile, je partage - une fois n'est pas coutume ! - l'analyse de notre collègue Pierre Laurent. Ces dernières années, l'Union européenne s'est éloignée des citoyens européens. Or, l'absence de débat est un poison mortel pour l'Europe. C'est l'une des leçons que l'on peut tirer du Brexit. Il est donc indispensable à mes yeux de rapprocher l'Europe et les citoyens, de débattre de l'Europe avec eux, de répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations. Car sinon on risque d'éloigner encore davantage l'Union européenne des peuples et d'encourager les mouvements anti-européens.

La conférence sur l'avenir de l'Europe avait précisément pour objectif de lancer un tel débat démocratique, mais force est de constater que cet exercice est resté largement inconnu du public et que les conclusions n'ont pas été à la hauteur des espoirs suscités. Il manque un projet pour l'Europe.

Avec la perspective de l'élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans occidentaux et le passage de vingt-sept à trente ou quarante États membres, il sera indispensable de revoir le mode de fonctionnement des institutions européennes, notamment la règle de l'unanimité au Conseil. Ce serait une erreur stratégique de laisser ces pays en dehors de l'Union européenne pendant des dizaines d'années mais, dans le même temps, il sera nécessaire d'adapter le fonctionnement de l'Union européenne pour lui permettre de continuer à progresser, et sans doute sous la forme d'une Europe des cercles concentriques, en recourant à la géométrie variable.

M. Dominique de Legge. - Comme vous le soulignez dans votre rapport, il est possible et souhaitable de continuer à progresser à traités constants. Dans le même temps, il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles certains pays refusent de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil. On évoque souvent la question de la souveraineté, par exemple en matière de politique étrangère et de défense. Mais, il s'agit aussi d'un manque de confiance dans les institutions européennes et dans les autres partenaires européens, car la règle de l'unanimité permet à chaque État d'avoir un droit de veto. Avant d'envisager une révision des traités ou le recours aux « clauses passerelles », il me semble indispensable de remédier à l'opacité de la prise de décision au niveau européen pour instaurer davantage de transparence et de réformer le fonctionnement de l'administration européenne.

Enfin, il faut s'interroger sur la répartition des compétentes entre l'Union européenne et les États membres. Malgré l'absence de compétences dans les traités, l'Union européenne s'est vue reconnaître un rôle en matière de livraison d'armes et de munitions à l'Ukraine. En réalité, cette question de la répartition des compétences au niveau européen me fait penser au débat sur l'intercommunalité en France. D'un côté, les communes souhaitent conserver une large autonomie mais, de l'autre, elles demandent toujours plus à l'intercommunalité. Il faudrait donc revoir la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres afin de garantir le respect du principe de subsidiarité. Pourquoi ne pas poser clairement la question du modèle fédéral au regard du principe de subsidiarité ?

M. François Calvet. - Le débat européen se focalise souvent sur les questions de procédure et non sur le projet lui-même. Il n'y a plus de vision de l'Europe, plus de projet mobilisateur, qui serait de nature à rapprocher l'Europe des citoyens, en particulier des jeunes. Alors que l'Union européenne finance de nombreux projets, elle sert souvent de « bouc émissaire » dans les opinions publiques.

La levée des contrôles aux frontières intérieures au sein de l'espace Schengen a été un vrai projet et a représenté un réel progrès concret pour les citoyens. En tant que Sénateur des Pyrénées-Orientales, je peux témoigner de l'impact positif de cette levée des contrôles à la frontière franco-espagnole.

Il me semble donc nécessaire de partir des attentes des citoyens -notamment de la jeunesse- et de trouver un nouveau projet mobilisateur pour l'Europe afin de la rapprocher des citoyens.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Nous avons souhaité dresser, dans notre rapport, un état des lieux, un constat, un an après la fin des travaux de la Conférence sur l'Avenir de l'Europe, afin de faire le point sur la question de la révision des traités, le recours éventuel aux « clauses passerelles » ou autres formes de souplesse institutionnelle.

Lancée à l'initiative du Président Emmanuel Macron, la conférence sur l'avenir de l'Europe avait pour vocation de rapprocher l'Europe des citoyens et de répondre à leurs attentes. En réalité, l'exercice a été assez décevant et il a débouché sur un catalogue de plus de 300 mesures d'importance inégale. Le recours à la démocratie participative, au sein de « panels citoyens », n'est pas, à mes yeux, la panacée pour remédier au « déficit démocratique » de l'Union européenne. Les Parlements nationaux ont aussi un rôle essentiel à jouer pour rapprocher l'Europe des citoyens.

Les prochaines élections européennes du printemps 2024 doivent effectivement être l'occasion d'un vrai débat démocratique sur l'Union européenne avec les citoyens européens. À cet égard, la question de l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux, à l'Ukraine et à la Moldavie, et de son impact sur le fonctionnement des institutions européennes et sur les politiques européennes, sera certainement au centre des préoccupations. Une éventuelle entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne aurait ainsi des conséquences très importantes sur la politique agricole commune ou sur la politique de cohésion. Une adaptation de ces politiques sera certainement indispensable. De même, il sera sans doute nécessaire de revoir le fonctionnement de l'administration européenne et des institutions pour concilier l'élargissement et l'approfondissement.

Faut-il réviser les traités pour aller vers une Europe fédérale ? Cette question mérite d'être posée. Pour ma part, je considère que l'idée d'une Europe fédérale risquerait d'encourager les nationalismes et le sentiment anti-européen. L'Union européenne n'est pas un État souverain, mais un modèle sui generis, une « fédération d'États-Nations » pour reprendre l'oxymore de Jacques Delors.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Je partage le constat que la conférence sur l'avenir de l'Europe a été un exercice démocratique assez décevant, avec des « panels citoyens » peu représentatifs, et une absence de visibilité dans l'opinion publique. Au sein du groupe de travail sur la place de l'Union européenne dans le monde dont j'étais membre, les débats manquaient de cadrage, et, en définitive, la conférence a débouché sur un catalogue de propositions assez décevant.

L'objectif de ce rapport est de démontrer que des avancées sont possibles et souhaitables à traités constants pour continuer à progresser dans la voie de l'intégration européenne. Mais, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux moyens d'aller vers une Europe politique.

M. Pierre Laurent. - Votre rapport permet une clarification utile. Je pense notamment aux articles 352 et 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ces articles ont permis de réaliser des avancées au niveau européen, en l'absence de compétences dans les traités, pour faire face à certains défis, comme la pandémie de la Covid-19 ou la guerre en Ukraine.

D'une manière générale, je souhaite saluer le travail réalisé par la commission des affaires européennes du Sénat pour l'examen des nombreuses propositions de textes européens. Cet examen le plus en amont possible des propositions législatives européennes est très utile pour éviter de découvrir trop tardivement leurs conséquences potentielles.

M. Pascal Allizard. - Il en va de même concernant la négociation des accords commerciaux de l'Union européenne, à l'image du CETA avec le Canada ou, plus récemment, de l'accord entre l'UE et le Mercosur ou de l'accord commercial avec la Nouvelle-Zélande. Les difficultés soulevées par la ratification de ces accords, à l'image de la ratification du CETA en France, auraient pu être évitées si ces négociations avaient fait l'objet de davantage de transparence et de débats en amont.

La commission autorise la publication du rapport d'information.


* 14 Note 10033/22 du 10 juin 2022 du secrétariat général du Conseil, actualisée le 30 novembre 2022.

* 15 Com 2022 (404) final.

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