C. UN IMPÉRATIF DE CONSOLIDATION DE LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE DU SSA

1. Remettre à niveau les infrastructures et préserver l'expertise médicale des HIA

En permettant la confrontation des personnels à une large variété de pathologies, la composante hospitalière du SSA est essentielle à la préservation de compétences médicales de haut niveau.

Le sous-investissement avéré dans les infrastructures hospitalières a entraîné l'accumulation d'une importante « dette grise ».

Les HIA Percy, Clermont-Tonnerre, et Laveran se trouvent sur ce plan dans un état particulièrement dégradé. La décision de remplacer l'hôpital Laveran par un HIA de nouvelle génération (HIA-NG) pour 2031, projet donc le coût est estimé à 300 millions d'euros, constitue un symbole fort et positif.

L'HIA-NG, conforté dans sa spécialisation en infectiologie et renforcé en matière de traumatologie, devrait être doté d'infrastructures adaptées à l'hypothèse d'engagement majeur des armées, notamment en matière d'accueil ou de transit de patients militaires évacués.

Il est à noter que la LPM 2024-2030 prévoit également la mise en service à horizon 2026 d'un centre de traitement et de décontamination des blessés contaminés par des agents radiologiques ou chimiques (CTBR2C) sur le site de l'HIA Sainte-Anne (Toulon).

Le remplacement de l'hôpital Laveran par un hôpital neuf

L'Hôpital d'instruction des armées (HlA) Laveran est aujourd'hui jugé vétuste. Néanmoins, sa rénovation présenterait un coût élevé (coût global de 96,3 millions d'euros), perturberait la continuité de l'offre de soins pendant les travaux, et ne permettrait pas d'aboutir à une évolution adaptée aux enjeux stratégiques du SSA. C'est pourquoi, dans le cadre de la LPM 2024 - 2030, le président de la République a annoncé la construction d'un hôpital militaire de nouvelle génération.

Ce nouvel hôpital militaire a vocation à répondre aux besoins des armées comme de la population locale. Conjuguant haut niveau d'expertise médicale et spécificités militaires, cet établissement sera construit autour des principes d'agilité, de modularité et d'adaptabilité aux différentes situations sanitaires du temps de paix comme du temps de crise.

Le nouvel hôpital, en cohérence avec l'hôpital Sainte-Anne de Toulon, assurera le soutien santé de la communauté de défense de la première zone militaire de France. Il garantira le soutien médical de tous les types d'opérations militaires et permettra une prise en charge complète et pluridisciplinaire des militaires blessés psychiques et physique. Il sera en mesure de prendre en charge un afflux massif de patients en cas de crise.

Ouvert à l'ensemble de la population, cet hôpital sera construit sur le camp de Sainte-Marthe, dans les quartiers nord de Marseille et s'intégrera dans le projet régional de santé. ll proposera une offre médicochirurgicale adaptée aux besoins de la patientèle civile du territoire de santé dans lequel il est inséré, notamment avec des services d'urgences, de soins critiques et d'infectiologie.

La manoeuvre du nouvel hôpital est rythmée par:

- les études préalables et de programmation (2022-2024) : en cours ;

- l'acquisition du foncier (2023): réalisée ;

-  l'obtention du permis de construire après les études de conception et procédures environnementales (pose de la première pierre en 2027) ;

- la phase de travaux (2028-2030) ;

- la livraison en 2030 ;

- la mise en service en 2031 ;

- la libération définitive du site de Laveran et son démantèlement (2031).

Son coût est estimé à 300 millions d'euros.

Source : ministère des armées, réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Si la LPM prévoit une évolution des dépenses d'investissements en infrastructures de santé (sous-action n° 05.11 du programme n° 178) en nette progression (voir graphique ci-dessous), il conviendra de veiller, pour l'avenir, à ce que les HIA disposent de dotations suffisantes pour mener les indispensables opérations d'entretien des infrastructures de nature à éviter la reconstitution d'une coûteuse « dette grise ».

Évolution des dépenses d'infrastructures de santé

(en millions d'euros)

Note : de 2014 à 2022 : montants exécutés (RAP) ; en 2023 : montant prévus en LFI (PAP) ; de 2024 à 2030 : programmation LPM.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Recommandation n° 2 : Poursuivre l'effort de rénovation ou de remplacement des infrastructures des hôpitaux d'instruction des armées (HIA). Pour l'avenir, octroyer aux HIA des moyens suffisants pour les entretenir, de façon à éviter la constitution d'une nouvelle « dette grise » (ministère des armées).

Compte tenu du rôle joué par l'HIA Clermont-Tonnerre (Brest) pour la force océanique stratégique, la remise à niveau de ses infrastructures et la consolidation de ses spécialités médicales revêt une importance capitale.

La particularité des soignants embarqués de la FAN et de la FOST, en particulier ceux des SNLE, est de devoir entretenir une capacité à gérer des urgences en totale autonomie. Cette exigence militaire se comprend comme loin de tout soutien hospitalier, voire sans avoir à recourir à un avis médical extérieur, lorsque les contraintes opérationnelles ou la discrétion des communications l'exigent.

Au bilan, expertise avancée permet de réduire par un facteur de 8 à 10 les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations. En 50 années de dissuasion, 126 interventions chirurgicales sous anesthésie générale ont été pratiquées à bord d'un SNLE en patrouille, témoignant de la nécessité absolue de maintenir à leur plus haut niveau les savoir-faire des équipes médicales embarquées.

Ainsi, la performance de l'HIA Clermont-Tonnerre, d'où sont issus les médecins projetés en SNLE, participe de la crédibilité de la dissuasion nucléaire française. Récemment, l'HIA a en outre démontré son intérêt pour la continuité de la mission dans le contexte de la pandémie de covid-19. Il a été le point d'appui indispensable qui a permis une adaptation rapide aux contraintes opérationnelles et mis à disposition, sous faible délai, des capacités de vaccination performantes au profit des marins.

Alors que le budget de personnels et de fonctionnement de cet HIA a connu une baisse importante ces dernières années (- 21 % entre 2014 et 2020), sa consolidation doit désormais être mise à l'ordre du jour. Au regard de leur valeur militaire, la préservation des compétences présentes dans l'HIA doit primer sur la politique civile de répartition territoriale de l'offre de soins, qui aurait tendance à regarder le secteur comme suffisamment doté et à plaider en conséquence pour des transferts de spécialités vers d'autres établissements de la région. Cet enjeu renvoie à la problématique plus large de « rééquilibrage » des relations entre le SSA et le système civil (voir infra).

Évolution des charges de personnels et de fonctionnement
de l'HIA Clermont-Tonnerre

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Recommandation n° 3 : Préserver, au sein des HIA, les compétences médicales dites « projetables », répondant aux besoins militaires en opérations. Veiller tout particulièrement à la consolidation de la capacité de l'HIA Clermont-Tonnerre à assurer sa mission de soutien à la dissuasion nucléaire (ministère des armées).

2. Rééquilibrer les relations avec le système de santé civil

Les relations du SSA avec le système civil sont historiquement déséquilibrées, car essentiellement tournées vers sa contribution à l'offre de soins globale. Si, au plan quantitatif, les HIA ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins totale, leur apport qualitatif s'avère précieux compte tenu de leur large éventail de prise en charge incluant des spécialités rares (médecine polyvalente, soins de suite et de réadaptation, urgences, chirurgie, traitement des grands brûlés, réanimation, médecine hyperbare...).

Conformément à la « règle des 4 I » voulant que les moyens militaires soient mobilisés en complément des moyens civils lorsque ceux-ci s'avèrent « indisponibles, insuffisants, inadaptés ou inexistants », le SSA a également été mis à contribution dans le contexte de la crise de la covid-19 au travers de l'opération Résilience, qui a permis l'envoi de renforts zonaux en capacités de réanimation, la réalisation de transferts médicalisés et un appui à la politique de vaccination (voir encadré).

Le SSA mobilisé face à la pandémie de covid-19 : l'opération Résilience

Lancée le 25 mars 2020, l'opération Résilience constitue la contribution des armées à l'effort interministériel de lutte contre la pandémie de covid-19.

Outre la prise en charge de patients atteints du covid-19 dans les HIA, cette opération comprenait trois dimensions.

- premièrement, elle a permis l'apport de renforts zonaux en capacités de réanimation. Les effectifs du SSA mobilisés dans ce cadre se sont élevés à 753 ;

- deuxièmement, les armées ont organisé des transferts médicalisés. La première mission de transfert interrégional de patients mettant en oeuvre la capacité MoRPHEE (Module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation) est conduite, au profit de 6 patients de réanimation de la région Grand-Est vers Provence-Alpes-Côte d'Azur dès le 18 mars 2020. Cinq autres suivront, pour un total de 36 patients. Le SSA a également armé une capacité de réanimation hospitalière sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) TONNERRE afin de transférer 6 patients intubés-ventilés d'Ajaccio vers Marseille le 21 mars. Le PHA DIXMUDE fut projeté aux Antilles du 3 avril au 27 mai 2020 afin de procéder au transfert de 12 patients par PUMA, en 10 vols inter-îles. Enfin, la capacité MEROPE (Module de réanimation pour les opérations) sur A400M a été mise en oeuvre en Guyane, afin de permettre le transfert de 6 patients, entre le 26 juin et le 21 juillet 2020 ;

- troisièmement, le SSA, appuyé par les armées, directions et services, a pris une part active à la campagne de vaccination. Il a armé 8 centres au sein de 7 HIA et des écoles militaires de santé de Lyon-Bron (EMSLB), permettant la réalisation de 609 820 injections vaccinales entre le 2 avril et le 29 octobre 2021. Suite à la réactivation du pilier vaccination en décembre 2021, 60 343 injections seront réalisées par du personnel SSA au sein de centres de vaccination civils.

Les dépenses hors titre 2 opérées au profit de l'opération Résilience sont de 2 millions d'euros, remboursées ex post au SSA.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Pour faire face à un afflux massif de blessés dans le contexte d'un engagement majeur, les HIA doivent en retour pouvoir compter sur le soutien du système de santé civil. Ses hôpitaux doivent notamment être en mesure d'accueillir en urgence les patients civils des HIA afin d'y libérer des lits, voire de traiter eux-mêmes des combattants blessés, ce qui correspond à une forme d'inversion de la « règle des 4 I ».

Le récent protocole pluriannuel du 11 avril 2022 signé entre les ministères des armées, de la santé et du budget traduit ce souci de rééquilibrage. Il est désormais en phase de déclinaison, territoire de santé par territoire de santé.

Le SSA a également signé un protocole d'accord avec l'Institut national des invalides (INI), notamment pour déterminer les conditions dans lesquelles peuvent s'opérer les transferts de patients au sein de cet établissement qui est en particulier spécialisé dans la réhabilitation des blessures post-traumatiques.

Le protocole pluriannuel défense-santé-budget du 11 avril 2022

En application de l'article L. 6147-11 du code de la santé publique, le protocole pluriannuel interministériel, signé le 11 avril 2022 par les ministères en charge de la défense, de la santé et du budget, définit les relations et les engagements réciproques des ministères signataires dans le but de mieux répondre aux besoins de santé de la population, notamment aux besoins spécifiques des armées dans le domaine de la santé. Surtout, il réaffirme la mission première de soutien santé des forces.

Il aborde trois thématiques :

la gestion de crise : principes et cadre de mise en oeuvre des moyens des armées au profit de la santé publique, contribution du système de santé civil au soutien sanitaire des forces en cas de combat de haute intensité ;

l'offre de soins : insertion des hôpitaux militaires dans les territoires de santé et coopération avec des établissements civils, développement de parcours de soins au profit des militaires et de leur famille, politique de prévention ;

la formation et la recherche : reconnaissance de l''expertise du SSA, collaborations dans le domaine de la recherche et formations conjointes.

Ce protocole va désormais être décliné au niveau régional grâce à des collaborations adaptées aux particularités des territoires, et ce, en lien étroit avec les agences régionales de santé (ARS) appuyées par les officiers généraux de zone de défense et de sécurité.

Quatre ARS se sont déjà portées volontaires pour débuter la déclinaison du protocole : Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Occitanie et Martinique. Ces premières ARS sont assez représentatives des différentes particularités régionales (région dépourvue d'HIA, présence d'un ou de plusieurs HIA, zone ultramarine). Dans la mesure où le protocole doit être déployé dans tous ses aspects, l'ensemble des ARS sera concerné d'ici la fin de l'année 2023. Cette initiative s'inscrit plus largement dans le cadre des projets régionaux de santé des ARS (2023-2028) et, pour le SSA et les armées, dans la lignée de la nouvelle loi de programmation militaire. Pour accompagner cette déclinaison, un guide de l'inscription territoriale du SSA sera publié au troisième trimestre 2023. Il prendra en compte le retour d'expérience (Retex) des 4 régions dites « pilotes » et permettra de mieux définir les limites des partenariats tout en décrivant les processus à mettre en oeuvre dans le cadre de la déclinaison du protocole.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Il conviendra de mettre celui-ci à l'épreuve, comme ce fut le cas lors de l'exercice Orion, et d'en évaluer l'efficacité. En préparation de l'exercice, plusieurs groupes de travail avaient été constitués entre le ministère des Armées et le ministère de la Santé et de la Prévention pour définir les modalités d'organisation :

- de la sécurisation dans la durée des approvisionnements en produits de santé essentiels ou indispensables, de la logistique sanitaire et, plus largement, de l'établissement d'une « économie de guerre » pour les produits de santé ;

- d'évacuations sanitaires massives ;

- pour assurer la prise en charge massive de combattants blessés ou malades de guerre dans le système de santé ;

- pour assurer la prise en charge de la patientèle civile des HIA dans le système de santé civil, de façon à leur permettre de se concentrer sur le soin des militaires.

Les prochains exercices prévus (Warfighter 25, Orion 26), fourniront l'occasion d'améliorer le dispositif.

Recommandation n° 4 : Rééquilibrer les relations entre les SSA et le système civil de façon à assurer la résilience du système hospitalier dans son ensemble en cas d'engagement majeur. Pour cela, mener à son terme la déclinaison territoriale du protocole armées-santé-budget du 11 avril 2022 et, lorsque le recul sera suffisant, en évaluer l'efficacité (ministère des armées, ministère de la santé).

Ce rééquilibrage passe également, comme indiqué supra s'agissant de l'HIA Clermont-Tonnerre, par une meilleure compréhension par les autorités régionales de santé (ARS), dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, de l'impératif de préserver dans ses HIA certaines compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions, aux premier rangs desquels les spécialités dites « projetables », correspondant aux compétences les plus critiques au regard des besoins en opération (chirurgie, réanimation, psychiatrie...) (voir recommandation n° 3).

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