Mathieu Darnaud,
sénateur de l'Ardèche, 1er vice-président du Sénat,
rapporteur de la mission d'information sur
l'avenir de la commune et du maire
rapport Sénat n° 851 (2022-2023)

Monsieur le président du Sénat, je salue l'ensemble des collègues, vice-présidents, présidents de délégations, sénatrices et sénateurs. Je n'oublie pas celles et ceux qui sont à l'honneur, les présidents d'associations de maires et l'ensemble des maires ultramarins qui nous font le plaisir d'être présents avec nous aujourd'hui au Sénat.

Nous avons rendu au président du Sénat un rapport sur l'avenir de la commune au début du mois de juillet. Ce rapport visait d'abord à prendre en compte une situation tout à fait singulière où s'expriment plusieurs phénomènes, tant sur l'Hexagone que sur les territoires ultramarins. Le premier de ces phénomènes concerne la violence à laquelle se trouvent confrontés l'ensemble des élus. Le deuxième tient d'un particularisme sur ce mandat, avec la mise en place des nouveaux exécutifs communaux pendant la crise sanitaire.

Les élus que nous avons auditionnés, dans l'Hexagone comme en outre-mer, ont également témoigné des difficultés auxquelles vous êtes toutes et tous confrontés, qu'il s'agisse de difficultés d'ordre financier, des rapports parfois complexes avec l'État, d'un manque d'agilité ou de réponses aux aspirations que vous portez ou encore des difficultés que vous pouvez rencontrer avec les intercommunalités émergentes qui ont parfois du mal à trouver un mode de fonctionnement satisfaisant et qui mériteraient d'être revisitées, sujet évoqué lors de notre visite en Guadeloupe et en Martinique avec le président du Sénat.

La sanctuarisation de la commune est une priorité. Autant dans l'Hexagone que dans les outre-mer, la commune est plus qu'un simple échelon administratif, plus que ce terme que l'on a tendance à utiliser : « l'échelon de base de la démocratie locale ». Elle est aussi le creuset des solidarités, ce lieu qui fait encore sens pour nos concitoyens. Même s'il n'est pas épargné par le phénomène démocratique avec une baisse de la mobilisation des citoyens, cet échelon reste largement plébiscité par l'ensemble de nos concitoyens dans l'Hexagone et en outre-mer.

Dans ce rapport, nous avons souhaité aborder en premier lieu le thème de la sanctuarisation de la commune, avec un versant constitutionnel. Deux sujets qui sont pour nous essentiels. Il faut tout d'abord inclure dans la Constitution la clause de compétence générale. Les communes doivent être reconnues comme un échelon tout à fait particulier, y compris celles de la Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. D'ailleurs, le fait de porter ce débat sur le versant constitutionnel nous permettra peut-être d'avancer sur ce sujet essentiel du statut de la commune sur ces territoires.

Il faut par ailleurs ériger en principe suprême dans la Constitution le principe « qui paie décide ». Très souvent, que ce soit l'État territorial ou l'État central, vous répondez en permanence, jour après jour, à des injonctions et des transferts de charges, déguisés ou apparents, et vous n'avez plus au fil du temps les moyens de faire en sorte que les souhaits de l'État puissent trouver une concrétisation sur vos territoires.

Pour nous, ces deux principes sont la garantie d'une protection absolue de la commune comme lieu particulier cher au coeur de nos concitoyens, mais aussi comme cellule de base de la démocratie. Dans les temps particulièrement compliqués auxquels se trouve confronté notre pays, la commune constitue aussi l'une des réponses aux aspirations de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Nous avons ensuite abordé le rapport à l'État en essayant de changer de paradigme. Nous considérons que le temps est venu de parler de territorialisation de l'action publique. Chaque territoire possède ses propres atouts, ses propres faiblesses, ses propres ressources. Plutôt que d'appliquer un modèle en tout point du territoire, il est peut-être temps de regarder la vérité à l'aune de chaque territoire de l'Hexagone et des outre-mer. Cette façon nouvelle de penser le territoire met encore un peu plus la commune au centre du jeu. Nous avons largement plaidé pour que les femmes et les hommes qui représentent l'État sur notre territoire puissent avoir cette capacité à lire le règlement ou la norme avec une souplesse qui permette de répondre aux spécificités de nos territoires.

Chaque année, sur la question des CDPENAF, votre serviteur propose un amendement pour aligner le régime des communes ultramarines sur le régime de l'Hexagone, aucune spécificité ne justifiant une telle différence. En revanche, nous plaidons pour une territorialisation sur des sujets qui ne se retrouvent pas ici dans l'Hexagone et qui peuvent être très différents selon le bassin, à Mayotte, en Guyane ou en Polynésie française.

Il faut également renforcer ce couple maire-préfet ou maire-haut-commissaire. Pour répondre à ces injonctions de l'État, vous avez besoin d'agilité et de souplesse. Trop souvent, quand nous nous déplaçons sur vos territoires, nous entendons ce phénomène de lassitude, d'une réponse beaucoup trop longue, d'un État central qui peine à comprendre l'impérieuse nécessité à aller vite afin de répondre en temps et en heure aux exigences et aux aspirations de vos concitoyens. À cette fin, nous voulons revisiter l'article 72 de la Constitution et repenser l'intervention du préfet ou du haut-commissaire. Ce point est central dans notre rapport.

Jamais dans la Ve République nous n'avons connu autant de démissions de maires. Nous avons recensé plus de 30 000 démissions d'élus locaux depuis 2020. Nous ne pouvons pas rester inactifs. Parmi les explications de cette démotivation figure ce sentiment d'être incompris, voire déclassé, considérant que l'État veut calquer partout sur le territoire un modèle pensé à Paris, parce qu'il ne comprend pas ce qui se joue sur nos territoires. Nous avons à coeur de redonner agilité nécessaire au couple maire-préfet ou maire-haut-commissaire pour que vous obteniez des réponses beaucoup plus instantanées à vos problématiques. Ce sujet nous invite à réfléchir autant au volet constitutionnel qu'au volet organique. Je citerai à ce titre le groupe de travail piloté par le président du Sénat sur la décentralisation et la déconcentration. Il n'y aura pas de bonne décentralisation sans une réelle déconcentration. Je saisis cette occasion pour rendre hommage au travail de Stéphane Artano qui a trouvé sa place dans ce groupe de travail.

Enfin, j'insisterai sur le statut de l'élu ou les conditions d'exercice du mandat. Il y a 20 ans, nous nous posions déjà la même question. Nous avons cherché les motifs qui incitaient les maires ou les élus, à mi-mandat, à ne plus vouloir se réengager dans cette voie. Aujourd'hui, les nouveaux entrants dans la vie municipale, les femmes et les hommes qui commencent leur premier mandat expriment la même lassitude et le refus d'un nouveau mandat. Nous avons essayé de prendre en compte l'ensemble des aspects, à commencer par la formation des élus. Nous étions passés d'un dispositif trop large à un dispositif peut-être trop encadré. Les femmes et les hommes qui intègrent la vie municipale et ont à coeur de faire bouger la vie de leur commune ont parfois du mal à se familiariser avec l'immensité des normes, des sigles et de toutes les dimensions qui doivent être prises en compte pour comprendre la bonne marche de la commune.

Nous nous sommes aussi intéressés à la question des violences aux élus et la difficulté à mener à bien son mandat face aux réseaux sociaux qui permettent à chacune et à chacun de nos concitoyens, en temps réel, de commenter la vie publique de façon assez violente. Nous avons déposé un texte qui permet de renforcer l'échelle des peines en les calant sur les forces de sécurité et les personnes dépositaires de l'autorité publique, ainsi que la protection fonctionnelle et juridictionnelle sur laquelle nous avions déjà travaillé ici même. Nous voulons protéger de toutes les manières possibles les femmes et les hommes qui s'engagent au service de leurs concitoyens et que vous représentez aujourd'hui.

Nous avons en outre abordé la question des indemnités. La démocratie locale a un coût pour celles et ceux qui laissent de côté leur activité professionnelle. Être élu local est devenu beaucoup plus chronophage qu'il y a dix ou vingt ans. Il faut aussi pouvoir se consacrer à son mandat. Je sais qu'un travail est mené par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur le sujet. D'autres points sont évoqués dans le rapport pour faire en sorte que vos années de mandat d'élu soient prises en compte dans le calcul de vos retraites. Ces différents sujets ont animé nos réflexions et nous permettent de présenter aujourd'hui un panel de propositions très claires et très concrètes qui ont vocation à faciliter votre quotidien et la vie que vous menez chaque jour pour servir l'ensemble de celles et ceux qui résident dans vos communes.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. Plus que jamais, nous avons à coeur nos 212 communes ultramarines et parfois même nous les prenons en modèle, car elles nous renforcent dans l'idée que la commune représente une strate différente qui mérite que nous y prêtions une attention toute particulière dans un pays souvent malmené, dans lequel nos concitoyens ont besoin de réponses. Vous avez toujours témoigné de l'attention permanente que vous portez à l'épanouissement de nos concitoyens. Vous êtes ce rempart contre les crises. À chaque fois qu'une crise se produit dans notre pays, les femmes et les hommes élus se retrouvent en première ligne et je crois que l'institution que nous représentons se doit aussi de montrer combien elle est attentive à votre quotidien, combien elle aspire à sanctuariser cet esprit communal qui est particulièrement essentiel dans la période dans laquelle nous nous trouvons. Je vous remercie pour votre attention.

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