Catherine Conconne,
sénatrice de la Martinique, secrétaire du Sénat

La casquette que je préfère est celle d'une Martiniquaise impliquée, citoyenne, qui ne rechignera jamais à la tâche quand mes compatriotes me sollicitent.

Je tiens à saluer singulièrement Monsieur le président du Sénat.

Cher Gérard Larcher, j'ai eu l'occasion de vous le dire plusieurs fois, j'apprécie beaucoup votre ouverture d'esprit et cette place que vous donnez régulièrement à nos pays dans les réflexions et les débats qui ont cours au Sénat. Nos pays ne sont pas la petite cerise sur le gâteau républicain pour vous. Nous en sommes des ingrédients à part entière.

Je salue également tous mes collègues parlementaires, les sénatrices et sénateurs très nombreux, les députés, madame la présidente de la délégation aux outre-mer fraîchement élue, chère Micheline Jacques, qui vient d'un si beau pays, Saint-Barthélemy.

Je crois en cette humanité très particulière derrière chacun de nos pays. Je salue donc les Guadeloupéens, les Calédoniens, les Guyanais, les Mahorais, les Saint-Pierrais, les Polynésiens, les Wallisiens, les Réunionnais. Pour moi, il est important, derrière ces territoires, de singulariser des peuples qui ont souvent des histoires différentes. J'exprimerai bien sûr une affection très particulière pour mon pays, la Martinique et tous les Martiniquais présents, issus de toutes les communes, Schoelcher, Le Carbet, Le Diamant, Trois-Îlets, Le Lamentin, Rivière-Pilote.

Vous êtes les bienvenus ici. Sachez que le Sénat est la maison commune, la maison de la République. Tant que nous aurons un président comme celui-ci, il sera aussi votre maison. La politique est souvent un grand carrefour d'inconnues. Nous ne savons pas ce qui nous attend demain, ni ce qu'il adviendra des qualités de la République : liberté, égalité, fraternité, ces trois mots auxquels j'ajouterais, comme Aimé Césaire, l'identité. C'est cette identité que j'ai tenu à saluer en ouverture de mon propos.

Nous accueillons aujourd'hui des élus municipaux. Même en tant que sénateur, il est très rare de ne pas passer par ce temple de l'exercice démocratique qu'est la commune. C'est un exercice incroyable de bonheur. J'ai exercé cette fonction pendant 17 ans en tant que maire adjoint de la plus grande ville de Martinique. J'ai vécu 17 ans de bonheur. Ces années ont constitué le plus beau moment de ma vie d'élue. Dans une commune, nous sommes au carrefour des besoins et des sollicitations de l'humain. Nous nous occupons de lui de la naissance à la mort, à tous les moments, heureux et malheureux. Nous nous occupons aussi d'un territoire, tentant de l'aménager au mieux, de lui apporter de la prospérité, de la valeur ajoutée. Il s'agit d'un énorme chantier.

Aujourd'hui, la fonction municipale est extrêmement malmenée. Cette dégradation a commencé par l'ajout d'un étage à la fusée avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les communautés de communes, les communautés d'agglomérations ou les métropoles dans les grands centres de France hexagonale. Beaucoup d'entre vous doivent se sentir très dépossédés et éloignés de la réalité que leur assignent leurs compatriotes. Une compétence comme celle des déchets est généralement dévolue à la communauté de communes, mais dès qu'un papier gras traîne sur vos trottoirs, c'est au maire que les citoyens en veulent, alors que celui-ci n'a pas toujours les manettes. Ces budgets, maintenant confondus dans une grande marmite, sont en effet à partager avec bien d'autres.

Le maire subit aussi une crise existentielle. Quel est désormais son rôle au milieu de cet amaigrissement progressif de ses compétences et de ses pouvoirs ? Et pourtant, la pression reste énorme. Le maire connaît une crise d'autorité. Il n'est plus le personnage sacralisé comme il l'était par le passé. Autrefois, le maire était un personnage respecté. Aujourd'hui, il est davantage à portée de gifles. Il reçoit peu de remerciements. Il essuie de nombreux reproches, souvent de manière très violente, au travers d'un exercice très aimé par les médias, les fameux coups de gueule lâchés sur les ondes, sans modération, sans mesure. On peut dire tout et son contraire, y compris au milieu de mille mensonges, et il est très difficile de rectifier ensuite une contre-vérité.

Le maire est confronté à une crise de la vitesse, de l'immédiateté qui lui est imposée par les réseaux sociaux. Tout doit être fait vite et sans délai. Ce que l'on pouvait attendre un an auparavant, on ne l'attend plus un jour aujourd'hui. Si une semaine après avoir déposé son dossier le travail n'est pas réalisé, le maire est jugé trop lent.

Le maire subit aussi une crise de moyens qui n'est pas seulement liée aux moyens financiers. Le problème financier constitue peut-être même le plus facile à régler. Il suffit de quelques combats avec nos présidents de commission des Finances respectifs, quelques bons lobbyings au niveau de l'État pour obtenir un million d'euros par-ci par-là. Quand j'évoque les moyens, je pense notamment à l'invasion des sargasses dans un certain nombre de nos communes de la Martinique, de la Guadeloupe ou de son archipel. Nous faisons face à une réalité difficile, même quand des budgets sont attribués. Que faisons-nous des sargasses lorsque nous les avons ramassées, d'autant plus qu'elles sont extrêmement toxiques et polluées par un ensemble de produits, y compris par la chlordécone ?

Le maire doit par ailleurs mener un combat au quotidien contre l'administration française. Chaque délibération est scrutée. Avec la « loi sur l'eau », pour un tout petit trou dans un pont, il vous faut conduire une mission loi sur l'eau qui va durer un an. La direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) va vous dire que la zone abrite un petit poisson très rare et que si vous mettez un mètre cube de béton, il risque de disparaître de la planète. Pendant ce temps, le pont est en train de s'effondrer, vos habitants ne peuvent plus passer. Il faut un allègement de l'administration dans des pays soumis à énormément de risques. En dehors du risque avalanche, nous sommes soumis à tous les risques et l'administration nous répond sans cesse que c'est impossible.

Enfin, nous nous heurtons à un problème de compétence. Il faut évidemment sacraliser la clause de compétence généralisée. À aucun moment un maire ne devrait être empêché de faire du bien à sa population. Lorsqu'un risque ou une difficulté se présente, le maire doit être en mesure de réagir, bien sûr en tenant compte du cadre légal. Il ne doit pas se voir opposer en permanence un empilement de procédures qui mettent souvent en péril la vie de ses administrés et de son territoire.

Sachez qu'ici au Sénat, vous êtes très bien représentés. Siègent au Sénat des combattants de la première heure qui ne laissent rien passer. Ils travaillent énormément. Contrairement à la légende, le Sénat n'est pas la chambre où l'on dort ! Cette chambre est composée de nombreux anciens maires et anciens ministres, avec un très haut niveau d'exigence et bien éloignée aussi des combats de coqs qui ont cours du côté des Invalides. Lorsque la loi arrive ici, souvent en deuxième lecture, nous avons le temps de voir venir les carences, le désordre. Pendant que certains s'étripent ailleurs, nous travaillons. Les commissions se réunissent, les auditions sont très nombreuses. Quand le Sénat livre un travail, je peux vous dire que ce travail est abouti et rigoureux.

Plus que jamais, nos pays doivent être au combat, et nous l'avons bien compris au Sénat. Le temps où nous attendions qu'un dispositif nous tombe sur la tête pour réagir, manifester dans la rue, faire des pétitions est révolu. Nous devons absolument rester en veille de toutes les évolutions potentielles, comme le débat actuel sur l'octroi de mer. Il n'est pas question de nous renfermer en refusant toute modification de ce dispositif. Certes, cette taxe est utile à nos finances, mais nous devons aussi nous poser la question de sa pertinence. Personnellement, cette taxe me pose de nombreux problèmes, y compris d'éthique et de philosophie, compte tenu de situations d'injustice. Nous pourrions en discuter longuement.

Il est temps de prendre le stylo de notre destin en main. Lorsqu'une réforme semble s'annoncer, nous devons, dans les trois ou quatre mois qui suivent, être en mesure de présenter ce que nous voulons. Acquérir ce réflexe passe par beaucoup de formations qu'il faudrait que nous acceptions. Être élu ne fait pas de nous un expert de la loi, du règlement et des mécanismes complexes de la République. Nous devons faire en sorte que nos élus soient en situation de leadership permanent, soient puissants pour pouvoir dire à tout moment ce que nous voulons, plutôt que ce que nous ne voulons pas.

Il faut inverser la terminologie et faire de nous des figures de proue, des gens qui précèdent les difficultés, face à face avec la République et non plus dans la relation père-enfant qui a longtemps existé. Nous devons nous inscrire plus que jamais dans une relation mature, d'adulte à adulte, nous regardant sans complexe et sans déni pour avancer pour le bien-être de nos populations. Comme disait un grand Martiniquais, les meilleurs experts de nous-mêmes, c'est nous-mêmes.

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