B. LES PRÉMISSES D'UN STATUT AUTOUR DE MESURES DISPARATES

Si le statut de l'élu reste pour le moment un horizon encore inachevé, il serait faux de considérer qu'aucune disposition n'a été prise pour encadrer et sécuriser la sortie de mandat. Toutefois, le droit existant relève essentiellement d'un mouvement de « sédimentation » sans vision d'ensemble, pour reprendre l'image retenue par notre collègue Éric Kerrouche dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi récemment déposée8(*) : « (...) il existe de nombreux dispositifs, droits et garanties qui visent à permettre aux élus locaux d'exercer leur mandat. Mais ils ont été mis en place par sédimentation, de façon éparse, sectorielle, sans nécessairement répondre à une logique d'ensemble, et avec pour conséquence de ne pas pleinement remplir les objectifs qui leur ont été assignés ».

Pour illustrer ces mesures disparates, vos rapporteurs ont souhaité en mettre deux, parmi les principales concernant la fin de mandat, en lumière : l'allocation différentielle de fin de mandat et les droits à retraite.

1. Le filet de sécurité financière : l'allocation différentielle de fin de mandat

Le caractère chronophage d'un mandat électif local et la volonté de s'y investir pleinement se conjuguent pour amener des élus (souvent les présidents des exécutifs locaux) à abandonner leur activité professionnelle et se consacrer à temps plein à leur collectivité territoriale. Ce choix a certes des répercussions sur le niveau de ressources de l'intéressé en cours de mandat, mais il le place aussi en situation délicate en sortie de mandat. En effet, ne percevant plus l'indemnité jusque-là attachée à son mandat, l'ancien élu ne peut pas davantage s'appuyer sur des ressources provenant d'une activité professionnelle alors interrompue depuis plusieurs années.

En réponse à cette problématique, la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a institué une allocation réservée aux élus locaux ayant renoncé à leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leurs fonctions électives. Cette mesure vise à faciliter le retour à l'activité professionnelle de ces élus.

L'allocation différentielle de fin de mandat

Les modalités de cette allocation sont précisées aux articles L. 1621-2, L. 2123-11-2, L. 3123-9-2 et L. 4135-9-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

· Les élus concernés

Tous les élus locaux ne sont pas concernés, l'allocation bénéficiant aux seuls exécutifs dans les conditions suivantes :

- les maires des communes d'au moins 1 000 habitants ;

- les adjoints au maire des communes d'au moins 10 000 habitants ayant reçu délégation du maire ;

- les présidents des métropoles, des communautés urbaines et des communautés de communes d'au moins 1 000 habitants ;

- les vice-présidents ayant reçu délégation, des métropoles, des communautés urbaines et communautés d'agglomération ;

- les vice-présidents ayant reçu délégation, des communautés de communes de 10 000 habitants au moins ;

- les présidents des conseils départementaux et vice-présidents ayant reçu délégation ;

- les présidents des conseils régionaux et vice-présidents ayant reçu délégation.

· Les conditions d'obtention

Deux critères cumulatifs conditionnent le droit à cette allocation.

D'une part, ce n'est qu'à l'occasion du renouvellement général des membres du conseil, ou pour les conseils départementaux, du renouvellement d'une série sortante, que la demande est instruite et l'allocation accordée.

D'autre part, l'élu doit avoir, durant son mandat, cessé d'exercer son activité professionnelle. Cette condition s'apprécie au terme du mandat.

Il ne peut percevoir l'allocation que :

- s'il est inscrit à Pôle emploi ;

- ou, s'il a repris une activité professionnelle lui procurant des revenus inférieurs aux indemnités de fonction qu'il percevait au titre de sa dernière fonction élective.

Par contre, il faut préciser que l'allocation n'est pas cumulable avec celle qu'un ancien élu peut percevoir au même titre pour un autre mandat local.

· Le calcul du montant

Le montant est au plus égal à 80 % de la différence entre le montant de l'indemnité brute mensuelle que l'intéressé percevait pour l'exercice de ses fonctions et l'ensemble des ressources qu'il perçoit à l'issue du mandat.

En outre, à compter du septième mois suivant le début du versement de l'allocation, le taux est au plus égal à 40 %.

Les ressources prises en compte peuvent être celles :

- d'une nouvelle activité professionnelle ;

- des revenus de substitution, comme les allocations-chômage ;

- des indemnités de fonction éventuellement perçues au titre d'autres mandats locaux.

· La durée de l'allocation

L'allocation est versée pendant une période d'un an au plus.

L'existence de l'allocation différentielle de fin de mandat représente un apport substantiel pour la sécurisation matérielle des élus en sortie de mandat. Pour autant, ainsi que le relève la direction générale des collectivités locales (DGCL) dans sa contribution écrite adressée à vos rapporteurs, « en dépit des efforts de publicité pour faire connaître cette aide, déployés notamment par l'Association des maires de France (AMF) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) lors des dernières élections locales de 2020 et 2021, ce dispositif peine à trouver son public. La priorité consiste ainsi à mieux faire connaître le dispositif ».

Les projections réalisées par la CDC sur la période 2022-2027 illustrent ce constat avec des taux de recours faibles.

Les prévisions de la CDC concernant le recours à l'allocation différentielle de fin de mandat par les élus locaux sur la période 2022-2027

Catégorie d'élus

Demandes théoriques d'allocation

Allocation mensuelle moyenne (en euros)

Allocation annuelle totale (en milliers d'euros)

Élus communaux

145

1 500

1 984

Conseillers communautaires

27

1 500

364

Conseillers départementaux

28

2 500

517

Conseillers régionaux

8

2 400

173

Source : rapport annuel 2021 du Fonds d'allocations des élus en fin de mandat (FAEFM)

Non seulement une action d'information systématique est indispensable pour faire mieux connaître l'opportunité offerte par l'allocation différentielle de fin de mandat, mais le champ de celle-ci doit également être complété. Dans les petites communes, l'engagement au service de son territoire au travers d'un mandat électoral est particulièrement chronophage et exigeant, l'extrême faiblesse des moyens humains et matériels faisant peser une charge particulièrement lourde sur le maire. Le récent rapport d'information de nos collègues Catherine Di Folco, Cédric Vial et Jérôme Durain, au nom de votre délégation, « Attractivité du métier de secrétaire de mairie - Faire de la fonction de secrétaire de mairie un véritable métier ! », le met très justement en lumière. Aussi, il semble utile à vos rapporteurs d'étendre le bénéfice de l'allocation aux maires des communes de moins de 1 000 habitants qui sont actuellement injustement écartés du dispositif.

Par ailleurs, un principe de réalité pousse à prévoir le cas de l'élu contraint de démissionner en cours de mandat (pour des raisons personnelles ou de santé, parce qu'il est aidant...). Il est en effet trop réducteur de laisser à penser que la sortie de mandat n'intervient qu'à chaque nouvelle élection.

Recommandation n° 3 : adaptation de l'allocation différentielle de fin de mandat à la diversité des situations par :

- l'information systématique en fin de mandat, par le préfet par exemple, de l'existence et des modalités d'accès à l'allocation différentielle de fin de mandat ;

- l'extension du champ de l'allocation différentielle de fin de mandat aux maires des communes de moins de 1 000 habitants ;

- l'ouverture du droit à l'allocation différentielle de fin de mandat aux élus démissionnaires en cours de mandat.

Délai : avant les prochaines élections municipales en 2026

Acteur(s) : Parlement / Ministère de l'Intérieur, direction du management de l'administration territoriale (DMAT)

2. Les droits à retraite

En fonction de l'âge et de la trajectoire professionnelle de l'élu achevant son mandat et n'étant pas renouvelé, les enjeux relatifs à la retraite et aux droits acquis en la matière peuvent revêtir une importance cruciale.

Si le mandat électoral ne constitue pas une activité professionnelle, les élus locaux peuvent cependant se constituer, en cette qualité, des droits à pension. Un régime de retraite supplémentaire facultatif est en outre accessible aux élus, deux organismes9(*) se partageant leur préférence.

Plus précisément, dès lors qu'ils perçoivent une indemnité de fonction, tous les élus locaux sont affiliés au régime complémentaire de retraite institué au profit des agents non titulaires des collectivités publiques (Ircantec)10(*). Si l'affiliation au régime général de la Sécurité sociale a également été étendue à tous les élus, seuls ceux dont le total des indemnités de fonctions dépasse la moitié du plafond de la Sécurité sociale sont assujettis au paiement des cotisations. Ces derniers peuvent ainsi acquérir des droits à retraite auprès de l'assurance vieillesse du régime général de la Sécurité sociale. Enfin, certains élus limitativement énumérés ayant cessé volontairement leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat et qui n'acquièrent aucun droit à pension au titre d'un régime obligatoire d'assurance vieillesse, sont affiliés à l'assurance vieillesse du régime général de la Sécurité sociale, quel que soit le montant de leurs indemnités de fonction11(*).

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2013, tous les élus, qu'ils aient ou non cessé leur activité professionnelle, ont la possibilité d'adhérer à un régime de retraite supplémentaire par rente dès lors qu'ils perçoivent une indemnité de fonction. La décision d'adhésion au régime supplémentaire de retraite appartient à l'élu. Son taux de cotisations ne peut excéder 8 % du montant total des indemnités perçues. Lorsque l'élu choisi d'adhérer, la collectivité territoriale est tenue de verser une cotisation du même montant à l'organisme choisi par l'élu.

La constitution des droits à retraite des élus locaux

Situation de l'élu local

Ircantec

Cotisations vieillesse régime général

Retraite supplémentaire

Élu local (actif ou retraité) percevant des indemnités de fonctions inférieures ou égales à la moitié du plafond de la Sécurité sociale

Obligatoire

Non

Si adhésion

Élu local (actif ou retraité) percevant des indemnités de fonctions supérieures à la moitié du plafond de la Sécurité sociale

Obligatoire

Obligatoire

Si adhésion

Élu local ayant fait le choix de suspendre son activité professionnelle pour se consacrer à son mandat

Obligatoire

Obligatoire

Si adhésion

Source : délégation aux collectivités territoriales

Des avancées récentes ont été enregistrées quant au régime de retraite des élus locaux, elles ont permis de remédier à quelques iniquités choquantes.

Ainsi, par exemple, dans le cas d'un maire continuant d'exercer sa profession mais ayant choisi de passer à temps partiel pour se consacrer davantage à son mandat, il était impossible pour cet élu de cotiser pour sa vieillesse sur ses indemnités de fonction, dès lors que celles-ci étaient inférieures à la moitié du plafond de la Sécurité sociale (soit 1 833 euros par mois). Il s'en trouvait pénalisé au moment de prendre sa retraite, alors même que son choix d'un temps partiel relevait d'un souhait parfaitement compréhensible : ne pas se couper totalement d'une activité professionnelle. L'article 23 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 permet désormais à cet élu de demander à être assujetti aux cotisations, le décret d'application de cette disposition n'ayant pas tardé12(*).

Proposant des garanties pour l'avenir, le même article 23 de la loi précitée du 14 avril 2023 (entré en application, sur ce nouvel aspect, au travers du décret précité du 30 août 2023) offre une solution de rattrapage pour les années passées durant lesquelles cet élu n'a pas pu cotiser. Il lui est en effet désormais possible de racheter des trimestres au titre de ces années de mandat, alors qu'auparavant seules les années d'étude étaient concernées.

En dépit de ces avancées très appréciables, le toilettage du régime de retraite des élus locaux n'est pas achevé. Deux mesures en particulier ont retenu l'attention de vos rapporteurs.

D'une part, il semble légitime que la reconnaissance à l'égard de ceux qui ont consacré une partie de leur temps, sur une période de vie conséquente, à l'intérêt général dans leur collectivité trouve une traduction dans les droits à retraite. C'est d'ailleurs ce même raisonnement qui a conduit à octroyer aux sapeurs-pompiers volontaires des trimestres supplémentaires pris en compte pour la détermination du taux de calcul de la pension, en application de l'article 24 de la loi précitée du 14 avril 2023 : trois trimestres pour dix ans d'ancienneté, puis un trimestre supplémentaire tous les cinq ans.

Dans cet esprit et pour la retraite des élus locaux cette fois, vos rapporteurs proposent l'octroi d'une bonification de trimestres (un trimestre par mandat, par exemple). Cette mesure est d'ailleurs également portée par l'AMF.

D'autre part, une autre situation inéquitable en matière de retraite mérite d'être traitée. Dans le cas de certains régimes spéciaux, comme celui des avocats par exemple, le fait de cotiser en tant qu'élu au régime des élus (l'« Ircantec élus ») interdit de liquider (ie de percevoir) sa retraite professionnelle. De même, la Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) refuse à certains élus, n'ayant cotisé que sur de faibles montants de salaire, le bénéfice du minimum contributif (ie le minimum plancher de la retraite de base) au motif qu'ils cotisent à l'«Ircantec élus ». Le noeud du problème réside ici dans les interférences entre l'« Ircantec élus » d'un côté, et les autres régimes, de l'autre.

Rejoignant là aussi l'AMF, vos rapporteurs proposent de poser le principe de l'indépendance du régime « Ircantec élu » par rapport aux autres pensions afin, notamment, de faciliter la liquidation de la retraite professionnelle des élus.

Recommandation n° 4 : perfectionnement du régime de retraite des élus par :

- l'octroi d'une bonification de trimestres (un trimestre par mandat, par exemple) ;

- l'indépendance du régime « Ircantec élu » des autres régimes, afin de lever les barrières au versement de la retraite professionnelle.

Délai : avant les prochaines élections municipales en 2026

Acteur(s) : Parlement


* 8 Texte n° 767 (2022-2023) de MM. Éric Kerrouche, Didier Marie et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 23 juin 2023.

* 9 Le fonds de pension des élus locaux (FONPEL) et la caisse autonome de retraite des élus locaux (CAREL).

* 10 Le régime de retraite de l'Ircantec concerne donc tous les élus qui perçoivent une indemnité de fonction de la part de communes, de départements, de régions, de communautés de communes, de communautés d'agglomération, de syndicats d'agglomération nouvelle, de communautés urbaines, de métropoles, de pôles métropolitains, de syndicats de communes, de syndicats mixtes associant exclusivement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

* 11 Le fonctionnaire placé en position de détachement pour exercer un mandat local conserve, quant à lui, son affiliation au régime spécial de retraite (la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales - CNRACL -, par exemple) et continue à acquérir des droits à retraite. Il est redevable d'une cotisation salariale prélevée sur l'indemnité de fonction par la collectivité où il est élu (au taux et sur l'assiette applicable à son emploi de fonctionnaire).

* 12 Décret n° 2023-838 du 30 août 2023 relatif à la mise en oeuvre pour les élus locaux de la faculté de cotisation et de la prise en compte des périodes de mandats pour les versements pour la retraite prévues à l'article 23 de la loi précitée du 14 avril 2023.

Partager cette page