C. UNE DIRECTIVE QUI RÉPOND À UNE TRIPLE NÉCESSITÉ

1. L'exemplarité

La directive CSRD s'inscrit dans un mouvement profond de l'économie qui exige des entreprises plus responsables et plus résilientes.

En France, la directive CSRD s'inscrit dans la logique des dispositions de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE, qui ont modifié notamment l'article 1833 du code civil en imposant dorénavant à chaque société d'être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Il appartient désormais à tout dirigeant et tout organe d'administration d'une entreprise de s'interroger systématiquement, avant toute prise de décision, sur la pertinence, la cohérence et l'efficience des décisions qu'il s'apprête à prendre, sous le prisme des enjeux sociaux et environnementaux. L'analyse préventive de l'impact de toute décision s'impose. La divulgation des informations transfère le risque réputationnel vers les entreprises qui ne communiquent pas assez sur leurs efforts pour devenir plus durables.

Pour Pierre Victoria, président de la Plateforme RSE de France Stratégie : « L'impact est-il la nouvelle frontière ? Nous ne le pensons pas. La mesure de l'impact est un outil énorme, qu'il faut remettre dans le cadre de la directive CSRD et de la double matérialité. Le sujet de la responsabilité de l'entreprise reste questionné par l'ensemble de la société. La mesure de l'impact est une manière d'évaluer la réalité du travail effectué. Le terme de responsabilité ne peut pas être complètement fondu dans l'impact ou la durabilité. La responsabilité reste extrêmement pertinente dans le monde d'aujourd'hui, face aux différentes crises auxquelles nous sommes confrontés ».

Pour autant, le régime de responsabilité civile des dirigeants des sociétés, institué par l'article L. 225-251 du code de commerce, n'est pas remis en cause. En effet, la directive « reprend, sans la préciser plus avant, la disposition déjà établie par la directive NFRD prévoyant une « responsabilité collective » des membres des organes de direction d'administration et de surveillance concernant l'établissement et la publication des informations de durabilité requises (et des nouvelles normes ESRS) » selon l'analyse des risques d'actions en responsabilité civile et de sanctions boursières du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris du 25 octobre 2023. Comme auparavant, l'absence de précision quant au champ de cette responsabilité n'impose pas de modification spécifique des régimes nationaux concernant les actions en responsabilité civile.

Dans l'Union européenne, la directive CSRD s'inscrit dans la stratégie du pacte vert pour l'Europe, présenté en 2019, visant à engager l'Union européenne, via un ensemble de mesures, sur la voie de la transition écologique, l'objectif ultime étant d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050.

A ce double niveau, se dégage une conception européenne de l'entreprise, éloignée du modèle friedmanien13(*), dominant aux États-Unis, qui considère que son objectif unique doit être le profit, pour mettre en avant la responsabilité sociale de l'entreprise. L'entreprise, en tant qu'acteur économique, a nécessairement un impact sur ses parties prenantes, sur son territoire, sur les ressources, et sur l'environnement. De ce fait, elle a une responsabilité sociale, voire sociétale et le législateur lui demande d'avoir un comportement éthique et une vision de long terme.

2. La compétitivité

La directive CSRD va déployer ses effets dans 24 des 27 pays de l'Union européenne qui avaient jusqu'à présent très peu, ou pas du tout légiféré sur l'information extra-financière. L'existence même de la directive permet ainsi d'éviter un dumping intra-européen résultant d'un « moins-disant ESG » entre entreprises européennes.

Par ailleurs, la CSRD impactera également 10 000 entreprises non-européennes à compter du 1er janvier 2028 (pour l'exercice 2027) : ce sont les entreprises dont le chiffre d'affaires européen excède 150 millions d'euros via une filiale ou succursale.

La directive a donc clairement une portée extra-territoriale car elle induit que les entreprises étrangères concernées devront s'organiser et se transformer. Cela permettra de diffuser à l'échelle mondiale les valeurs de l'Union européenne, de promouvoir des standards européens économiques et non économiques, et sa vision de l'entreprise, en soumettant des sociétés non européennes à des exigences ESG, tout en garantissant au profit des sociétés européennes un « level playing field »14(*).

Toutefois, la capacité qu'aura l'Union européenne de garantir l'effectivité des règles imposées aux entreprises de pays tiers ou d'identifier les autorités qui seraient chargées de faire respecter le droit de l'Union par les entités de pays tiers n'est pas encore clairement assurée, comme l'a établi un rapport Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris sur l'extraterritorialité du droit de l'Union européenne, de mai 2022.

3. La finance durable

Selon les propos tenus le 14 décembre 2023 par Mme Julie Ansidéi, responsable de l'engagement externe en Europe au sein du fonds d'investissement BlackRock Sustainable and Transition Solutions : « la prise en compte des enjeux de durabilité et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises n'est pas une mode ou une contrainte réglementaire, mais une tendance de fond qui reflète à la fois une évolution des préférences des clients et des investisseurs, en particulier en Europe, et des transformations en profondeur des modes de production et de consommation ». Cette plateforme d'investissement durable gère, en 2023, 700 milliards de dollars d'actifs, à travers 500 produits environ contre 100 milliards de dollars en 2020, et investit pour ses clients 2000 milliards d'euros dans l'économie française

La directive CSRD est un élément d'un cadre beaucoup plus large et ambitieux en Europe, qui touche à la fois le secteur financier et les entreprises. Les investisseurs sont en effet également soumis à des obligations de reporting sur les impacts de leurs investissements.

La directive CSRD est donc liée au règlement sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers du 27 novembre 2019 (SFDR), entré en vigueur le 10 mars 2021, qui soumet les investisseurs à des obligations déclaratives.

Pour que le marché des investissements durables soit crédible15(*), les investisseurs doivent disposer d'informations sur l'incidence en matière de durabilité qu'ont les entreprises dans lesquelles ils investissent. Sans ces informations, il est impossible d'orienter les financements vers des activités respectueuses de l'environnement et traduire en actes la bifurcation écologique impérative.

À mesure que les investisseurs manifestent un intérêt croissant pour l'investissement durable, le règlement permet aux investisseurs de s'appuyer sur des comparaisons et des conseils clairs en matière d'investissements durables, encourageant les sociétés de gestion d'actifs et les conseillers à orienter les ?ux de capitaux vers les produits d'investissement contribuant à une économie plus durable.

D'autres règlements sont venus s'ajouter, notamment le règlement européen « Taxonomie »16(*) du 18 juin 2020, entré en vigueur en janvier 2022, qui établit quatre conditions générales qu'une activité économique doit remplir pour être considérée comme écologiquement durable et s'inscrit dans le cadre des obligations d'information renforcées requises par le règlement SFDR.

Les informations sur ce que les entreprises considèrent comme étant les risques et les opportunités qui découlent des problématiques sociales et environnementales, ainsi que sur l'incidence de leurs activités sur la population et l'environnement aident les investisseurs, les organisations de la société civile, les consommateurs et les autres parties prenantes à évaluer les performances des entreprises en matière de durabilité.

Pour autant, de nombreux éléments montrent que les informations en matière de durabilité actuellement publiées par les entreprises sont insuffisantes. Il arrive fréquemment que des informations jugées importantes par les investisseurs et les autres parties prenantes ne figurent pas dans les rapports des entreprises. Les informations publiées peuvent être difficiles à comparer d'une entreprise à l'autre, et les utilisateurs, tels que les investisseurs, doutent souvent de leur fiabilité.

Or, « de nombreux clients institutionnels ont pris des engagements en la matière, que ce soit au travers de coalitions d'investisseurs ou de manière indépendante. Ces clients cherchent à comprendre comment mettre en oeuvre ces engagements, par exemple par des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à leur portefeuille d'investissement. Ils se demandent également comment investir dans la transition » selon BlackRock.

Les problèmes de qualité des informations sur la durabilité ont des répercussions, en ce qu'ils privent les investisseurs d'une vue d'ensemble fiable des risques auxquels les entreprises sont exposées en matière de durabilité. La directive CSRD vise à mieux informer les investisseurs de l'impact des entreprises sur la population et l'environnement et de leurs projets pour réduire cet impact à l'avenir.


* 13 Dans un article du New York Times Magazine du 10 septembre 1970, Milton Friedman a présenté sa thèse défendant la vision libérale de l'entreprise capitaliste : « l'entreprise n'a qu'une responsabilité sociale, celle d'utiliser ses ressources et de mener des activités visant à maximiser ses profits (pour l'actionnaire) dans la mesure où elle respecte les règles du jeu, à savoir qu'elle livre une concurrence libre et ouverte sans escroquerie ni fraude. »

* 14 Terrain de jeu parfaitement plat, qui ne favorise ni ne défavorise l'une des équipes en présence.

* 15 Voir la table ronde organisée le 14 décembre 2023 par la délégation aux Entreprises et notamment la présentation par Mme Michèle Pappalardo de la forme du label public « Investissement socialement responsable » (ISR).

* 16 La taxonomie européenne désigne une classification des activités économiques ayant un effet favorable sur l'environnement. Son objectif est d'orienter les investissements sur des activités durables ou « vertes ».

Partager cette page