II. Audition de Mme Marine Jeantet,
directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Réunie le mercredi 14 février 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'audition de de Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, à la suite de l'enquête de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence après la dernière loi de bioéthique.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons ce matin Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine.

Il s'agit de faire suite à l'enquête de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine, que la présidente Catherine Deroche avait demandée à la Cour en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, était venue nous en présenter les conclusions le 31 janvier dernier.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Madame la directrice générale, je vais sans tarder vous donner la parole afin que vous nous présentiez la vision de l'Agence sur cette enquête de la Cour des comptes.

Mme Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. - Je suis heureuse de pouvoir vous donner ma version sur les recommandations formulées par la Cour des comptes. Son rapport, pour lequel les personnels de l'Agence ont consacré plus de 300 heures de travail, comporte malheureusement un nombre non négligeable d'inexactitudes, que je tiens à rectifier ici, dans le prolongement de la réponse que l'Agence a faite à la Cour en novembre dernier.

L'une des critiques majeures de la Cour concerne l'atteinte de nos objectifs sur les plans que l'Agence est chargée de piloter. Or ces mêmes objectifs sont fixés non par l'Agence, mais par le ministère : ce sont des objectifs politiques de santé publique.

L'inspection générale des affaires sociales (Igas), dans le cadre de l'évaluation du précédent contrat d'objectifs et de performance (COP), avait elle-même écrit dans son rapport qu'une partie de ces objectifs, très ambitieux, n'était de toute façon pas atteignable, le système de soins n'ayant pas la capacité d'y répondre. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré raisonner sur des courbes de croissance : les chiffres pour 2023, rendus publics hier, montrent que nous sommes bien dans les « couloirs de croissance » prévus.

Une grande partie des objectifs fixés dépendent non pas directement de l'Agence, mais des établissements de santé. Dans son rapport, la Cour ne fait pas une seule fois mention de l'impact de la crise du covid-19, qui a pourtant largement désorganisé l'hôpital et conduit à un départ massif de personnels. Nombreux sont les centres hospitaliers universitaires (CHU) qui ne fonctionnent pas à pleine capacité, pour cause de fermeture de blocs et de lits de soins critiques. Malgré la volonté des médecins et des directeurs d'établissement, qui ont lancé une politique de recrutement et de réorganisation à grande échelle, rien ne se fait facilement. Nous n'avons pas encore retrouvé le niveau de chirurgie d'avant-crise, et le secteur de la greffe ne fait pas exception.

Dans ce contexte difficile, je tiens à remercier l'ensemble des personnels hospitaliers : malgré les tensions et les difficultés que traverse l'hôpital, ils se mobilisent pour nous permettre de parvenir à un niveau somme toute très honorable.

Nous faisons actuellement la tournée des CHU pour analyser les problèmes, propres à chaque établissement, avec l'ensemble des équipes, car les solutions sont locales, régionales, et non nationales. Nous nous sommes rapprochés des agences régionales de santé (ARS) pour mettre en place un réseau de référents - un par agence -, les former et les acculturer à ces sujets techniques. Le démarrage est prometteur.

Concernant l'activité de greffe, je m'appuierai sur un PowerPoint, que je vous ai transmis et qui récapitule les chiffres présentés hier à la presse.

Chaque jour, nous comptabilisons 23 nouvelles inscriptions sur la liste nationale d'attente de greffe : c'est beaucoup et les besoins en la matière sont croissants. Sur ces 23 personnes, 15 peuvent être greffées : après une chute en 2020, la courbe remonte. Sur ces 23, 2,3 personnes décèdent : la mortalité a diminué, mais reste trop importante. Cela tient aussi à l'effet covid : les personnes en attente de greffe étaient particulièrement fragiles ; elles ont payé un lourd tribut. Au total, le nombre de personnes en attente de greffe augmente donc de 6 par jour. Les greffes ne permettent pas de couvrir les besoins, d'où la nécessité d'un effort accru.

Le taux d'opposition au prélèvement d'organes du défunt rapporté par les familles a augmenté l'année dernière, pour s'établir à 36,1 %, soit un niveau bien supérieur à celui des années précédentes. Ce taux est très variable selon les régions. Je n'ai pas d'explication toute faite, les raisons étant à l'évidence multifactorielles. Il y a des déterminants hospitaliers, qui tiennent notamment à la durée de l'hospitalisation, à la qualité de la relation avec l'équipe médicale, au niveau de coordination hospitalière pour ce qui concerne l'abord des proches. D'autres déterminants jouent, sociétaux, sociaux, qu'il faut creuser.

L'année dernière, le nombre des prélèvements a décollé en Île-de-France, mais largement diminué en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine, alors que ces deux régions ne sont pas celles qui enregistrent le plus haut niveau d'opposition. Une telle diminution est fortement liée à la désorganisation hospitalière. Attention, donc, à ne pas tirer de conclusions hâtives.

Dans son rapport, la Cour a longuement insisté sur l'hétérogénéité d'accès à la liste d'attente. Nous avons plusieurs moyens de la mesurer. Souvent, le critère porté par les associations et par certains professionnels se résume au taux d'inscription, avec l'accent mis sur les disparités régionales.

Nous privilégions un autre mode de calcul. Pour la greffe de rein, nous raisonnons par rapport au début de la dialyse, car c'est le temps écoulé entre le début de la maladie et l'accès à la greffe qui importe. Il y a un réel problème outre-mer et dans le nord de la France, en raison d'une plus grande prévalence de certaines maladies dans ces régions, d'une moindre quantité de prélèvements, d'une offre de soins plus faible.

À ce sujet, la Cour nous reproche de ne pas avoir suffisamment diffusé les recommandations formulées par la Haute Autorité de santé (HAS) en octobre 2015. L'Agence de la biomédecine n'a pas pour mission de faire la promotion des recommandations sur la dialyse. En l'espèce, notre coeur de métier, c'est la greffe. Nous travaillons actuellement avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) en vue du prochain rapport Charges et produits, dans lequel un chapitre sera consacré à la maladie rénale chronique.

Nous avons mis en place des outils permettant aux professionnels de comparer les filières et d'optimiser les prises en charge. Nous avons également élaboré des « scores » d'allocation des greffons, avec des simulations assez poussées, en vue de répartir le moins inéquitablement possible le poids de la pénurie d'organes.

Je prendrai l'exemple du « score coeur ». Nous avons modifié les modalités de calcul du score coeur pour aller vers plus d'équité, pour optimiser l'allocation des greffons et, partant, la durée de vie : cela a permis de faire baisser la mortalité pour l'ensemble des patients tout en conservant une attention particulière pour ceux qui sont en « super-urgence ».

L'activité de greffe d'organes continue de progresser. Le nombre de greffes a augmenté de 2,5 % l'an passé. Nous essayons de diversifier l'origine des greffons : 16 % d'entre eux proviennent de donneurs vivants ; notre objectif est de porter ce taux à 20 %. De même, le nombre de dons d'organes et de tissus provenant de donneurs décédés après arrêt circulatoire de la catégorie 3 de Maastricht - DDAC M3 - a aussi considérablement augmenté. Je salue la forte mobilisation de nos équipes pour diversifier nos sources d'approvisionnement en greffons et pour augmenter le nombre de ces derniers.

En ce qui concerne les prélèvements d'organes et les greffes, notre trajectoire est conforme à nos objectifs. Ceux-ci sont d'ailleurs assez ambitieux pour les années à venir, car les besoins sont élevés. Nous devrons, pour les atteindre, mobiliser l'ensemble des établissements, résoudre les problèmes d'organisation de la filière ou d'accès aux blocs opératoires, par exemple, ce qui n'est pas simple.

L'activité de prélèvement de tissus a progressé, l'année dernière, de plus de 11 % par rapport à 2022. L'organisation des banques de tissus constitue un enjeu important. La Cour des comptes le souligne à juste titre dans ses recommandations, et je pense que nous devons travailler sur cette question. Contrairement à ce que dit la Cour, toutefois, ce n'est pas l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui pilote les banques de tissus, car personne ne les pilote. L'ANSM est simplement chargée de les inspecter, et cela ne devrait pas changer. Nous allons étudier la recommandation de la Cour, pour comprendre ce qu'elle signifie de manière concrète.

J'en viens à l'activité d'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). On effectue environ 2 000 greffes de moelle osseuse par an en France. L'Agence s'occupe des greffes non apparentées. Cette activité se développe. Nous essayons de trouver des donneurs à l'étranger ou en France qui soient compatibles avec les patients : dans 90 % des cas de greffes non apparentées, le greffon provient de l'étranger, mais inversement, dans 54 % des cas, les donneurs français sont sollicités pour greffer des patients étrangers. Ce pourcentage élevé témoigne de la qualité du registre français des donneurs volontaires de moelle osseuse.

La Cour estime que ce registre n'est pas assez masculinisé. Je tiens toutefois à rappeler que nous avons réalisé un travail très important pour faire évoluer notre communication, en recourant à des stratégies d'influence ou de marketing ethnique, afin de toucher des hommes issus de la diversité, ce qui n'est pas si simple. La proportion d'hommes inscrits est ainsi passée de 24 % en 2021 à plus de 36 % en 2023. Nous avons inversé la tendance en deux ans, alors qu'il est très difficile de trouver des donneurs parmi les hommes ; c'est vrai aussi pour les dons des gamètes, les femmes sont plus généreuses.

Je voudrais revenir sur l'intermédiation, sujet sur lequel, selon moi, la Cour se trompe fortement. Elle n'a pas compris en quoi consistait cette activité. L'Agence ne fait qu'acheter les greffons à l'étranger et les revendre aux établissements. C'est tout à fait neutre financièrement. L'Agence joue simplement un rôle de « passe-plat » ou de courtier pour le compte des établissements, afin de faciliter leurs démarches. En tout cas, ce n'est pas en réduisant cette activité que l'on augmentera nos marges de manoeuvre financières. Cette activité, j'y insiste, est neutre financièrement pour nous. Nous avons essayé de l'expliquer à la Cour, mais celle-ci n'a pas tenu compte de nos remarques.

Je rappelle aussi que lorsque nous achetons des greffons à l'étranger, nous respectons tout à fait les règles éthiques. Nous n'achetons pas directement auprès des donneurs. Le coût d'un greffon correspond au coût de son prélèvement, de sa préparation, de son typage, de sa conservation, de son transport, etc. Nous-mêmes, nous vendons des greffons, alors qu'ils sont issus d'un don anonyme et gratuit, même si les greffons français sont un peu moins chers - de l'ordre de 12 000 euros, quand le prix est plutôt de l'ordre de 20 000 euros dans les registres européens. Je souhaite que l'on revoie ce prix de vente en 2024, afin de récupérer des ressources, non pas pour l'Agence, mais pour les établissements de santé - là encore, nous transférons les recettes aux établissements, l'Agence ne fait aucune marge.

La Cour se demande pourquoi nous sommes à ce point dépendants de l'étranger. Je rappelle que cette dépendance vaut dans les deux sens. Elle est bijective. En effet, nous nous inscrivons dans le cadre d'un réseau mondial de 73 registres. Les autres pays font aussi appel à notre registre.

Pourquoi ne pas essayer d'augmenter notre registre pour acheter moins à l'étranger et profiter du fait que nos coûts de production sont inférieurs ? C'est une piste intéressante, certes, mais encore faut-il calculer ce que coûterait l'augmentation de ce registre. La critique est facile, et j'aurais aimé que la Cour chiffre le coût de cette augmentation, malheureusement elle ne l'a pas fait... Je vais donc essayer de le faire.

Selon nos calculs, doubler la taille de notre registre, pour le porter de 400 000 à 800 000 donneurs, coûterait a minima 100 millions d'euros. Recruter des donneurs coûte cher. Il faut mener des campagnes de communication. Il est nécessaire aussi de mobiliser du personnel pour accueillir les donneurs dans les établissements de santé, faire le typage, la conservation, le classement, tenir les archives, entretenir le registre - un donneur est contacté en moyenne huit ans après son inscription, il importe donc de maintenir les liens avec les donneurs pour être sûrs qu'ils seront présents le jour J. Tout cela a un coût. Est-ce rentable ? Je ne sais pas.

En outre, le doublement du registre ne garantit pas que l'on pourra répondre aux besoins de tous les patients français, parce que l'objectif sera toujours de trouver la meilleure typologie pour le patient. Même les Allemands, qui ont un registre de 7 millions de donneurs, importent des greffons. Je ne pense donc pas que, sur le plan stratégique, cette option soit forcément la plus pertinente pour nous. L'an dernier, lorsqu'un appel au don de moelle osseuse a été lancé pour sauver le petit Joseph, l'Établissement français du sang (EFS) n'était pas en capacité de faire tous les typages. Si l'on veut doubler la taille du registre, il faut donc embaucher des gens dans les CHU ! Cette démarche a donc un coût et des risques qu'il faut évaluer.

Enfin, je voudrais aborder l'assistance médicale à la procréation (AMP), sujet qui nous a beaucoup mobilisés ces derniers temps. La demande a été multipliée par huit depuis la promulgation de la loi relative à la bioéthique, il y a deux ans et demi. Le nombre de demandes de rendez-vous après les premières consultations augmente très fortement, tout comme le nombre des premières tentatives. Les femmes non mariées qui demandent une première consultation sont majoritairement âgées de plus de 35 ans, ce qui est assez logique : il s'agit de femmes qui consultent lorsqu'elles n'ont pas pu faire des enfants de manière classique avant. En revanche, les femmes qui consultent et qui sont en couple avec une autre femme sont plus jeunes. Pour autant, parmi les femmes non mariées, près de 7 % d'entre elles ont moins de 29 ans et 1 % d'entre elles ont moins de 25 ans, ce qui n'est pas rien.

Les délais pour une AMP avec don de spermatozoïdes ont augmenté et s'élèvent à 16 mois en moyenne. Le nombre de demandes d'autoconservation des ovocytes s'est également fortement accru, notamment en Île-de-France. Les délais entre la prise de rendez-vous et la conservation effective des ovocytes s'élèvent à 14 mois en moyenne, mais ce chiffre est sans doute sous-estimé, car beaucoup de femmes vont à l'étranger. La grande majorité des femmes qui ont recours à l'autoconservation ont entre 35 et 37 ans.

Étant donné l'importance des délais, la question qui se pose est celle de l'ouverture au privé de ces activités. Le Parlement n'avait pas souhaité le faire. Mais, en dépit de l'ouverture de nouveaux centres, on peine à absorber la demande. Peut-être faudrait-il se poser la question d'une ouverture au privé pour l'autoconservation à des fins personnelles - il faut être plus prudent dans le cas des dons. La moitié de l'offre en matière d'AMP relève du privé. La situation actuelle crée des disparités entre les femmes qui peuvent aller à l'étranger et celles qui ne le peuvent pas.

M. Philippe Mouiller, président. - La Cour décrit, dans son rapport, une situation de mise sous tension des acteurs de la filière de l'AMP. Elle formule deux recommandations : la première, de mettre en place un registre national de gestion des gamètes et des embryons pour mutualiser les stocks, ce qui suppose le déploiement d'un système d'information partagé entre les centres ; la seconde, de définir des règles de gestion des listes d'attente pour l'autoconservation des ovocytes en dehors de tout motif médical. Dans quelles conditions et à quelle échéance ces recommandations vous paraissent-elles pouvoir être mises en oeuvre ?

La Cour des comptes exprime aussi ses doutes quant à la possibilité d'atteindre les objectifs fixés dans le COP 2022-2026. Pensez-vous que ces objectifs devraient être revus ?

Enfin, pour dynamiser la politique du don d'organes, de tissus ou de gamètes, on évoque souvent la nécessité d'améliorer la visibilité des institutions chargées de ces politiques par des actions de communication plus larges. Pensez-vous que la communication pourrait conduire à une augmentation substantielle du nombre de dons ? Le problème n'est-il pas surtout culturel ? Le modèle du don français, qui repose sur l'anonymat, le consentement et la non-rémunération, ne trouve-t-il pas ses limites ? D'autres pays ont fait le choix de rémunérer les dons.

Par ailleurs, je vous soumets une idée : l'Agence de la biomédecine ne pourrait-elle pas mener des actions de communication conjointement avec l'EFS pour gagner en visibilité ?

Mme Marine Jeantet. - En ce qui concerne les besoins en gamètes, la France est autosuffisante pour les spermatozoïdes, mais pas pour les ovocytes. On manque de donneuses pour répondre aux besoins. Les délais pour réaliser une AMP avec don d'ovocytes sont de plus de deux ans.

Il est vrai que donner ses ovocytes constitue un acte très engageant pour les jeunes femmes, même si tous les frais relatifs au don sont entièrement pris en charge, notamment par l'assurance maladie. Notre système de soins n'est pas non plus très adapté aux disponibilités des jeunes femmes actives : il n'est pas toujours aisé, quand vous travaillez, de prendre un rendez-vous à onze heures du matin pour faire un don ! Il faudrait s'intéresser à cette question, mais ce n'est pas si simple : cela pose la question des ressources humaines à l'hôpital.

Nos stocks de spermatozoïdes étaient importants, mais ils étaient très hétérogènes. Ils sont gérés dans chaque centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (Cécos) : certaines régions disposaient donc de stocks importants, tandis que d'autres en étaient dépourvus. Il n'existe pas de système d'information centralisé. Nous pouvons utiliser les anciens stocks jusqu'au mois de mars 2025.

L'objectif est d'optimiser les stocks pour respecter les donneurs et éviter de les détruire. Nous sommes en train d'organiser une mutualisation entre les centres. Les premiers transferts auront lieu dans les quinze prochains jours.

Toutefois, à l'occasion de cette mutualisation, on s'est rendu compte que les pratiques et les systèmes d'information étaient extrêmement divers selon les centres. Or nous sommes confrontés à un risque de pénurie, car les stocks ne se reconstituent pas de manière homogène sur le territoire. Les dons n'ont pas augmenté suffisamment pour suivre la demande. L'accès à l'AMP risque d'être inégal selon les régions.

Nous allons devoir travailler sur le système d'information. Nous y réfléchissons. Pour l'instant, ce n'est pas une mission de l'Agence. Nous verrons si nous obtenons l'accord du ministère.

En tout cas, le nouveau système devra être interopérable, car chaque Cécos a son système d'information. Il faut trouver une solution pour éviter que chaque centre ne doive ressaisir toutes ses données. Il convient aussi de garantir la traçabilité des gamètes. Je rappelle qu'on limite à dix le nombre d'enfants nés grâce à un même donneur. Il faut donc connaître l'issue des autres tentatives d'AMP faites avec un don d'une personne, pour savoir si on peut toujours utiliser ses gamètes. C'est un peu compliqué à gérer.

Nous devons mettre en place un nouveau système d'information. Cela prendra du temps - au moins dix-huit mois - et de l'argent.

Pour autant, il n'est pas impossible de parvenir à l'autosuffisance. Nous avons commencé à faire des campagnes sur le don de gamètes. Cette démarche est très récente, j'y insiste. La Cour déplore que seulement 18 % des Français aient connaissance de la loi sur le don de gamètes, mais nous ne faisons ces campagnes que depuis deux ou trois ans. On ne peut pas demander aux gens d'avoir une connaissance parfaite de la loi quelques années seulement après son adoption ! Et puis, il faut bien savoir qu'en communication, on travaille soit sur la notoriété, soit sur l'efficacité : on ne peut pas, à la fois, faire connaître la loi et inciter les gens à faire des dons. Il faut choisir ses objectifs de communication ; à chaque fois qu'on développe la notoriété, on baisse l'efficacité, et inversement.

Je pense qu'il sera possible d'importer des gamètes. Certains appellent à lever les blocages, mais il n'existe aucun blocage en la matière, l'importation de gamètes est déjà possible. Des patients qui ont commencé un parcours d'AMP à l'étranger avec un donneur et qui veulent procéder à une nouvelle tentative en France avec le même donneur, peuvent le faire. Il n'y a aucun blocage administratif ou législatif.

Vous m'interrogez sur les objectifs du COP. La Cour émettait des critiques quant à l'atteinte des objectifs du précédent plan, dans lequel ils n'étaient pas définis par un couloir de croissance, mais par des chiffres absolus. C'est pour cette raison que nous avons préféré définir, dans le nouveau COP, des couloirs de croissance. C'est un peu comme lorsque les enfants grandissent, tous ne grandissent pas au même rythme, mais tous arrivent à l'âge adulte avec une taille normale. Tel est l'esprit des couloirs de croissance.

Je ne pense pas qu'il faille réviser ces couloirs ; d'abord, cela ne relève pas de moi et, surtout, ils représentent une ambition politique et une réponse à un besoin de santé publique. Il faut garder en tête notre objectif pour répondre aux besoins des patients et, si l'on ne l'atteint pas, on l'expliquera ; se pose notamment un problème d'organisation des hôpitaux. Je serai donc plutôt prudente à ce sujet, d'autant que nous suivons notre couloir de croissance. Il ne faut pas désespérer, il faut au contraire encourager les établissements et les familles, et valoriser le don.

Sur la communication, il y a des confusions dans le discours de la Cour. Il faut bien distinguer entre la communication sur les greffes d'organes et de tissus et la communication sur les greffes de CSH.

Pour les CSH, nous avons besoin d'hommes jeunes et issus de la diversité ; pour les dons d'organes, nous nous adressons à tout le monde. Les hématologues préfèrent en effet prélever les CSH chez les hommes, car cela donne de meilleurs résultats médicaux qu'avec les femmes, dont les grossesses entraînent des immunisations de la moelle. Ainsi, pour les CSH, nous avons engagé un travail de marketing local dans les quartiers et même de marketing ethnique. Nous avons choisi d'insister plutôt sur la qualité, sur le profil de personnes visées, que sur la quantité d'inscrits. C'est un choix politique, qui correspond aux attentes des hématologues, mais nous sommes ainsi passés en deux ans de 24 % à 36 % d'hommes inscrits.

Pour la communication sur les greffes d'organes et de tissus, on nous reproche d'avoir baissé les bras, mais ce n'est pas vrai du tout, nous avons fait un effort important. Simplement, c'est difficile car nous visons tout le monde - nous sommes tous donneurs et receveurs potentiels -, ce qui est rare en matière de communication, et nous avons un budget de communication de 2 millions d'euros par an. Pour comparaison, sachez que l'opération Mois sans tabac, qui ne vise que les fumeurs, représente une dépense de 10 millions d'euros par an ; la communication de Nutella, c'est 150 millions d'euros par an...

Nous avons visé les jeunes l'année dernière, au travers de la minisérie Les Organes sur TikTok, qui a été vue 12 millions de fois ; un tiers des moins de 25 ans l'a donc vue. Globalement, 80 % des Français acceptent de donner leurs organes ; on devrait donc avoir 20 % d'opposition, et non 36 %. Le problème, c'est que les gens n'en parlent pas avec leurs proches. Il ne s'agit pas de connaissance de la loi et, pour ma part, je ne cherche pas à convaincre les indécis. Simplement, il faut que les gens expriment leur souhait, que les familles sachent, car elles respectent très souvent la volonté du défunt. Au contraire, si les gens ne savent pas, ils adoptent une attitude prudentielle.

Ce sujet n'est pas simple. Le film Revivre, de Karim Dridi, parle de la greffe chez de jeunes enfants. Le producteur a eu du mal à le financer, car cette question ne suscite pas beaucoup d'intérêt, et ce film ne sort que dans une seule salle, à Paris. J'y insiste, il est facile de dire que nous avons baissé les bras, mais ce n'est pas vrai. Tout le monde se mobilise, les élus locaux s'impliquent au travers des villes ambassadrices du don d'organes, nous essayons de développer la communication pour banaliser le sujet. Cela étant, ce n'est pas parce que l'on communique que les gens passent à l'acte ; nous ne pouvons que sensibiliser.

Mme Florence Lassarade. - En matière de greffe rénale avec prélèvement sur donneur vivant, on recommandait que le bloc opératoire soit doublé pour maximiser les chances de succès de la greffe. Sait-on combien de blocs ont appliqué cette recommandation et quels sont les résultats des greffes réalisées dans ces conditions ?

Mme Corinne Imbert. - Vous avez évoqué l'AMP et l'association du secteur privé lucratif à cette activité. Vous l'envisagez pour l'autoconservation à des fins personnelles. L'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes a peut-être entraîné une hausse des demandes. Pourtant, l'AMP a aussi augmenté à l'étranger, notamment en Espagne. L'arrivée du secteur privé lucratif ne devrait-elle pas être envisagée sur un temps plus long ?

Le manque de dons d'ovocytes, déjà pointé par la Cour en 2019, ne s'est pas résorbé. Comment l'expliquer ?

En matière d'accès à la greffe, notamment rénale, il y a d'importantes disparités territoriales et la Cour soulignait l'absence de règles pour l'attribution de greffons. Vous avez indiqué un ratio de 2,3 % de décès faute de greffon ; est-ce faute de greffon ou plutôt d'accès à un établissement de santé ? Peut-on mourir faute d'accès au bloc ou de lit, alors même que l'on a un greffon ?

Dernière question : quel contrôle applique-t-on sur les greffons achetés à l'étranger ?

Mme Marine Jeantet. - Pour les CSH ?

Mme Corinne Imbert. - On n'importe pas de greffons ?

Mme Marine Jeantet. - Non.

Mme Corinne Imbert. - Je craignais des greffons issus de chimères.

Mme Marine Jeantet. - Il n'y en a pas.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vos propos confirment ce que nous constatons dans les territoires : l'hôpital public traverse une grave crise, accentuée par le covid-19, qui a désorganisé l'hôpital.

Les refus de greffe atteignent des sommets en France, avec 29 % en 2019 et 36 % en 2022. Dans ma région, les Hauts-de-France, ce taux explose, puisqu'il a atteint 42 % en 2022. C'est l'une des régions les plus affectées par le refus : il y avait 550 personnes en attente d'une greffe à la fin de 2022, mais il n'y a eu que 180 greffes.

J'ai rencontré certaines associations agissant dans ce domaine et je suis convaincue qu'il faut développer la communication en la matière. En effet, nombre de familles refusent le don d'organes parce qu'elles ne connaissent pas la volonté du défunt : il est alors délicat de donner son accord au prélèvement.

Il faudrait donc engager une campagne importante de sensibilisation. Qu'en pensez-vous ? Ne pourrions-nous lancer une telle campagne, afin que chacun exprime son souhait ? Quel outil mettre en place pour sensibiliser la population ?

En outre, il y a beaucoup d'idées reçues sur le don d'organe. On redoute que le corps soit souillé. Il faudrait axer la campagne là-dessus.

À cet égard, votre budget affecté à la communication suffit-il ? Pour communiquer, il faut des ressources importantes. Par ailleurs, pour viser les plus jeunes, il faut passer par de nouveaux canaux : internet, les réseaux sociaux. Nous sommes en recul par rapport à cela.

M. Bernard Jomier. - Merci pour votre exposé.

Comme Cathy Apourceau-Poly, je veux évoquer les refus de prélèvement. Notre corpus législatif est très favorable à l'activité de greffe. En effet, pour qu'une personne ne soit pas prélevée, il faut qu'elle soit inscrite sur le registre d'opposition à la greffe - très peu de personnes le sont, me semble-t-il - ou que la famille fasse jouer son droit d'opposition, lequel est encadré. Les familles, quand elles expriment une opposition, doivent attester qu'elles relaient l'opposition de la personne décédée, et non leur propre opinion. Or ce n'est manifestement pas ce qui se passe. Les équipes sont confrontées à des situations où elles ne peuvent pas gérer cette conflictualité. Ce n'est pas ce qu'a voulu le législateur. Dans ces conditions, estimez-vous qu'il faille faire évoluer le cadre législatif ? Car finalement des personnes meurent parce qu'elles n'ont pas de greffe. De quoi avez-vous besoin, en amont des campagnes de communication, pour avancer sur ce sujet ?

Il était prévu que chaque ARS désigne un référent greffe. L'ont-elles toutes fait ? Sont-ils fonctionnels ?

L'extension des chaînes de dons croisés d'organes a-t-elle, ou non, un impact ?

Mme Marine Jeantet. - La transplantation à partir de donneur vivant donne de très bons résultats. En général, les personnes concernées sont apparentées, ce qui assure une meilleure compatibilité immunologique. Comme les opérations sont programmées, elles sont faites au bon moment pour le receveur par rapport à l'évolution de sa maladie : on peut faire des greffes préemptives, avant le début de la dialyse, ce qui préférable car le receveur est en meilleur état de santé. Le temps d'ischémie froide, la période pendant laquelle le greffon n'est pas irrigué, est très faible - les deux blocs étant côte à côte. Certes, cela peut poser problème en matière d'organisation hospitalière, car il faut mobiliser deux blocs dans un même hôpital, alors que normalement un prélèvement se fait dans un hôpital et la greffe dans un autre.

Des nouvelles recommandations ont été publiées par l'Agence au début de l'année. Elles ont permis de remettre à jour les connaissances, le corpus scientifique, sur le sujet. Le don du vivant a connu une augmentation de 8,3 % en 2023. Nous avons missionné une personne qui fait la tournée de tous les CHU. Pour autant, les résultats sont encore très disparates, car les équipes ont des cultures différentes. Ce n'est pas en un an que les choses vont changer. Certaines équipes font plus de 37 % de leurs greffes avec un don à partir d'une personne vivante ; d'autres, moins de 1 %. En 2024, notre objectif est d'améliorer ces résultats.

Pour ce qui concerne l'AMP, pour l'instant, on ne voit pas du tout l'effet stock s'arrêter ! En matière d'autoconservation, on est plutôt sur un plateau haut, qui continue à augmenter. La loi n'a que deux ans. Je pense, à titre personnel, que l'autoconservation va devenir la norme pour les jeunes femmes : on note un effet générationnel culturel. Au début, ce phénomène touchait surtout l'Île-de-France. L'information des jeunes femmes s'est améliorée et la demande augmente maintenant partout. Nous devons attendre l'effet des nouveaux projets régionaux de santé (PRS) publiés par les ARS, qui ont pris en compte cette augmentation des besoins. De nouvelles salves d'autorisations vont avoir lieu, ce qui permettra d'augmenter l'offre.

M. Michel Tsimaratos, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique de l'Agence de la biomédecine. - Les décès sur liste d'attente ne sont pas liés directement au problème de disponibilité des hôpitaux, mais on ne peut pas dire que cela soit indépendant. Pour faire une greffe, il faut un greffon : le prélèvement peut être freiné par le taux de refus.

Il faut aussi tenir compte de la disponibilité des lits de réanimation ou de la réorganisation des filières. Après la crise du covid-19, des personnes qui ont par exemple souffert d'un AVC majeur débouchant sur un décès ont été orientées non pas vers la réanimation, mais plutôt vers des secteurs d'hospitalisation moins « chauds ». Ce phénomène échappe au recensement. Le problème de la disponibilité des lits impacte le recensement des personnes qui pourraient faire des dons.

L'opposition des familles limite aussi le nombre de griffons disponibles, et la disponibilité des blocs peut aussi avoir des conséquences. Si, pour des raisons d'organisation des blocs opératoires, on décide de ne faire les prélèvements qu'entre telle et telle heure, il est évident qu'un certain nombre de possibilités de prélever des organes seront perdues.

Aujourd'hui, 3,8 organes sont en moyenne prélevés sur une personne après son décès, mais le chiffre peut aller jusqu'à 7. Si des personnes décèdent encore aujourd'hui sur liste d'attente, c'est parce qu'il est difficile pour trouver le bon greffon au bon moment. La greffe avec donneur vivant est une situation unique : il est très rare d'avoir la possibilité d'agir concrètement pour sauver quelqu'un que l'on aime. C'est ce message de solidarité très forte entre humains qui doit nous permettre de faire progresser ce type de greffe.

Dans les équipes qui ne rencontrent pas de difficultés pour greffer l'ensemble des patients qui sont sur leur liste, la greffe avec donneur vivant peut apparaître comme une situation de dernier recours. Toute notre communication vise à faire comprendre que ce n'est pas le cas : c'est la meilleure situation pour greffer ! Les deux blocs sont mobilisés en même temps : la durée d'ischémie ne dure que deux ou trois heures, alors que l'ischémie moyenne est plutôt de l'ordre de dix heures.

Mme Marine Jeantet. - Je voudrais vous rassurer : il n'y a pas de greffons, d'organes, qui viennent de l'étranger en France. L'ischémie froide ne le permet pas. Ce qui vient de l'étranger, ce sont des greffons de moelle osseuse, et c'est alors une course contre la montre. Une agence internationale, la World Marrow Donor Association (WMDA), gère les accréditations des registres participants. Nous avons été accrédités en septembre dernier - le renouvellement se fait tous les quatre ans -, l'audit se faisant suivant des critères extrêmement exigeants de qualité et d'éthique.

Je voudrais aussi rassurer la commission sur la question des personnes étrangères qui se font greffer en France.

Un étranger résidant en France peut être greffé, tout comme il peut se faire prélever des organes. En tant que résident français, il est soumis à la loi française.

Des personnes étrangères qui ne sont pas résidentes en France se font aussi greffer dans notre pays. Elles représentent moins de 0,7 % des greffes depuis au moins quinze ans. Il s'agit de cas très rares, et le cadre est strict : le pays d'origine doit accepter de rembourser, un engagement financier est pris. Nous ne voyons pas de cargaisons de personnes débarquer pour se faire greffer, je préfère le redire car la presse a publié des articles mensongers sur ce sujet. Le processus d'inscription sur la liste nationale d'attente de greffe est très long. Et on ne greffe pas une personne étrangère si elle ne peut pas suivre ensuite un traitement immunosuppresseur dans son pays.

M. Michel Tsimaratos. - Je citerai l'exception qui confirme la règle. Lorsqu'un greffon ne trouve pas de receveur en France, il n'est pas mis à la poubelle : des conventions permettent de proposer le greffon à un patient qui serait le meilleur receveur, dans un autre pays. De façon exceptionnelle, il peut y avoir des greffons qui viennent d'un autre pays en France.

Mme Marine Jeantet. - Il est arrivé que des greffons français soient utilisés en Suisse parce qu'il n'y avait pas de receveurs en France. Mais ces cas se comptent sur les doigts d'une main durant les quinze dernières années.

Pour répondre à M. Jomier, les référents ARS ont tous été désignés, et nous les avons formés.

L'inscription sur le registre national des refus concerne 0,7 % de la population française : ce n'est donc pas cela qui bloque. Ce sont plutôt les nombreuses idées reçues qui nous inquiètent. Nous avons publié notre baromètre hier : certains Français pensent encore que les greffons ne sont pas répartis de manière équitable, que certaines catégories sont exclues. C'est faux ! Les critères qui rentrent en ligne de compte ne sont ni l'origine ethnique, ni le lieu géographique, ni l'origine socioéconomique des patients ; ce sont des critères médicaux. On essaie d'optimiser les critères d'âge, de durée d'ischémie, de capacité de survie, de risque d'aggravation selon des algorithmes assez complexes pour allouer au mieux le greffon.

Certains pensent qu'il existe des limites d'âge pour les prélèvements. Ce n'est pas le cas : on peut prélever des reins en très bonne santé sur des gens de 80 ans pour les greffer à des personnes de 65 ans ou 70 ans.

Les greffons ne sont pas utilisés à des fins scientifiques : ils le sont à des visées thérapeutiques. Il faut le répéter, car c'est une crainte qui est régulièrement formulée.

Enfin, je veux dire que les corps sont restitués avec un grand respect, et que tous les rites funéraires sont possibles après un don.

Des budgets importants de communication ont été prévus. Nous ne baissons pas les bras. Nous devons aussi agir auprès de la communauté soignante, ce que nous n'avons peut-être pas assez fait. Les soignants sont de très bons relais d'opinion, de très bons prescripteurs. Je pense aux personnels non pas des coordinations hospitalières de prélèvement, mais des services de réanimation, des urgences...

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous prie de m'excuser, mais je dois me rendre à l'hommage rendu à Robert Badinter.

- Présidence de M. Jean Sol, vice-président -

Mme Annick Petrus. - Merci, madame la directrice générale, pour votre présentation. Ma question est simple : y a-t-il eu une modification de la catégorie des donneurs ? Nos jeunes se sentent-ils concernés ?

Mme Silvana Silvani. - Merci pour votre exposé qui nous a permis de mesurer le décalage avec la présentation qui nous a été faite par la Cour des comptes.

Merci également d'avoir mis en évidence le poids de la dimension politique. J'ai eu l'occasion de m'étonner, lors de cette présentation, des objectifs fixés dont on sait qu'ils sont inatteignables.

Enfin, merci d'avoir rappelé que, sans organisation hospitalière efficace, les dons et greffes pouvaient être impactés. Si le service public hospitalier est en difficulté, cela a forcément des conséquences.

Évoquer le don sous l'angle de la solidarité, comme vous l'avez fait monsieur Tsimaratos, est intéressant aussi : cet axe de communication peut être pertinent.

Ma première question porte sur le refus du don. La suppression de la carte de donneur, qui était un acte explicite, a-t-elle eu un effet ? Car on s'appuie maintenant sur l'avis des proches.

Ma seconde question est très ouverte : quelles sont les perspectives ? Sur quoi travailler pour faire évoluer la situation ?

Mme Annie Le Houerou. - Je vous remercie également pour votre exposé.

Je veux revenir sur la difficulté d'accès des femmes de plus de 35 ans à l'autoconservation des gamètes. Seuls 41 centres sur les 104 centres d'AMP ou Cécos français ont été autorisés. On a assisté à un afflux inattendu de candidates, qui semble perdurer. Vous avez indiqué qu'une nouvelle salve d'autorisations allait être accordée : dans quel cadre ? Quelles sont les raisons de ce faible nombre de centres autorisés ? Est-ce un problème de tarification des actes, de manque de professionnels de santé affectés à ces centres ?

Vous attendez les PRS. Les orientations et les priorités seront-elles différentes d'une région à l'autre ?

Quelle solution pour rendre effectif le droit à l'autoconservation des gamètes ? Les femmes y ont droit de 29 à 39 ans, mais à partir de 35 ans cela n'est plus possible.

M. Olivier Henno. - Merci pour la qualité de vos propos. Vos réponses créent une forme de dialectique avec la présentation faite par la Cour des comptes. Notre système de santé connaît non seulement une crise d'organisation et de moyens, mais aussi une crise de sens. Or nous sommes là dans un domaine où les valeurs et les principes sont solides : anonymat, consentement, altruisme et gratuité.

Une mission d'information sera bientôt menée au sein de notre commission sur le risque de financiarisation du système de santé. Ne subit-on pas aussi dans ce domaine une forme de crise de sens ? Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans d'autres pays ? Importer des gamètes de pays qui n'ont pas nos valeurs et nos principes crée une distorsion.

Mme Laurence Rossignol. - Mes questions concernent l'AMP.

Le Président de la République a annoncé un grand plan de lutte contre la fertilité. Quelles conséquences en tirez-vous ?

Le taux d'échec est élevé en matière de grossesse post-vitrification. Comment le faire baisser ?

Enfin, quelles propositions pouvez-vous faire pour favoriser l'égalité d'accès et la prise en charge globale des femmes en parcours d'AMP ? Il faut non pas seulement des médecins spécialisés en AMP, mais aussi des nutritionnistes, des psychologues...

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je vous remercie pour votre exposé. Ma question porte plus particulièrement sur les inégalités territoriales. Votre présentation met en évidence un taux d'opposition singulièrement important en outre-mer et en Corse. Les besoins sont tout de même importants dans ces territoires. Avez-vous identifié des obstacles, notamment culturels, liés à la spécificité de ces territoires et, si c'est le cas, lesquels ? Envisagez-vous alors des campagnes d'information ou de communication renforcées et adaptées ?

Le nombre de décès liés à une insuffisance d'accès à la greffe en 2023 est, me semble-t-il, de 823. Disposez-vous d'une ventilation territoriale de ces décès ?

Mme Marine Jeantet. - L'âge moyen des donneurs augmente : il est de 58 ans en 2023. Cela pose la question de la qualification des donneurs : il faut être sûr de prendre des organes de bonne qualité. Je précise que les reins représentent 63 % des greffes.

Les jeunes sont concernés. Nous utilisons des outils de communication modernes, puisque nous développons une importante stratégie digitale que vous ne voyez pas forcément si vous n'êtes pas sur TikTok, Twitch ou sur des sites de gaming. Nous menons des actions avec des influenceurs. La minisérie que j'évoquais a été faite avec les voix de certains influenceurs très connus, comme Natoo, et cela a beaucoup joué pour toucher les jeunes. Nous allons continuer ce genre d'action.

Les jeunes ont découvert le sujet avec nos campagnes. Le taux d'opposition est inversement proportionnel à l'âge des donneurs : pour les enfants, le taux d'opposition des parents est de plus de 60 %, ce que l'on peut comprendre vu la sensibilité du sujet. Nous menons un travail sur les prélèvements et les greffes pédiatriques afin de sensibiliser les réanimateurs.

M. Jomier m'a demandé s'il fallait faire évoluer le cadre législatif. Honnêtement, je ne le pense pas, car la loi ne fait malheureusement pas tout. Il existe encore des idées reçues sur une loi qui n'a pas changé depuis 1976 et sur laquelle on a pourtant beaucoup communiqué. Toute modification législative, comme on l'a constaté au moment des débats parlementaires sur l'amendement de M. Touraine, entraîne un pic d'inscriptions sur le registre des refus. Il faut donc passer par d'autres moyens.

La carte de donneur a été abandonnée il y a quelques années. Tous les pays européens qui ont un système similaire ont un taux d'opposition plus élevé, car très peu de personnes s'inscrivent sur un registre du « oui ». De nombreux pays sont en train de passer au don présumé. Par ailleurs, on ne trouve jamais la carte de donneur au moment où le problème se pose. Le plus simple, c'est d'en parler et de dire à ses proches si l'on est d'accord ou pas.

J'en viens à la question relative à la crise de sens. Il est intéressant de noter que, derrière les 0,7 % de la population qui s'inscrivent sur le registre de refus, il y a l'idée que les gens ne veulent pas être solidaires d'une société qui les a abandonnés. On a constaté par exemple un regain d'inscriptions au moment de la loi sur les retraites ou de l'instauration du passe vaccinal. Ces inscriptions traduisent une colère, même si, je le redis, le phénomène est très limité : le taux d'adhésion des Français aux dons d'organes est de 80 %. Mais on entend cette petite musique. Les gens préfèrent donner à un proche que faire preuve de solidarité. C'est la raison pour laquelle nous avons changé notre slogan : « Tous donneurs. Tous receveurs. » Les gens donnent parce qu'ils en auront peut-être un jour besoin. C'est une évolution sociétale que l'on peut regretter.

M. Michel Tsimaratos. - Dans le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement, nous faisons le point tous les deux ans sur ces aspects d'opt-in et d'opt-out : choisir de dire si l'on veut ou si l'on ne veut pas donner ses organes. S'il faut dire que l'on souhaite être donneur, on considère que si l'on n'a rien dit, on est opposé au prélèvement. Comme peu de personnes se manifestent, le nombre de donneurs n'est pas important.

Tout n'est pas qu'une affaire de budget de communication : nous sommes souvent plus sensibles à un argumentaire venant d'une personne non concernée. L'Agence de la biomédecine peut inciter les gens de parler du don d'organes, mais le résultat ne sera pas le même si ce message vient d'un ami ou d'une connaissance. Ce que nous voulons, et nous le déclinerons dans toutes les campagnes avec un point d'orgue le 22 juin, c'est de faire en sorte que les gens s'en parlent entre eux sans que nous soyons au milieu.

Cela rejoint la question sur le nombre de personnes qui décèdent en étant inscrites sur la liste : si le taux d'opposition était de 25 %, on grefferait tout le monde ! Les enjeux ne sont pas anodins : en parler une fois suffit. Vous n'oublierez jamais l'avis d'un proche : il sera très difficile de transgresser sa décision, même dans un moment de grande émotion. Car nous voulons respecter le plus possible les volontés de la personne décédée.

Mme Marine Jeantet. - Nous vous communiquerons la répartition par territoire des décès. Nous avons publié hier notre un baromètre spécial pour les départements et régions d'outre-mer. L'adhésion est un peu moindre qu'en métropole, mais elle existe. Nous allons faire des campagnes de communication adaptées, car il y a des idées reçues et des freins culturels spécifiques.

En ce qui concerne l'AMP, oui, il n'y a que 41 centres autorisés, qui sont ceux qui pratiquaient déjà les dons d'ovocytes. Comme je l'ai dit, 50 % de l'offre d'AMP en France relève du privé. Nous n'avons autorisé que les centres publics. Nous avons communiqué aux ARS les données relatives à chaque région : elles ont organisé une planification de l'offre adaptée aux besoins tels qu'on les a mesurés. Nous espérons maintenant une augmentation de l'offre.

Nous sommes en train de travailler avec une quarantaine de professionnels sur la fluidification des parcours d'AMP. La loi prévoit que certaines étapes ne peuvent se faire que dans le public. Mais la partie bilan avant l'AMP pourrait, par exemple, se faire dans le privé. Cela pose la question du système d'information : actuellement, il n'y a pas de suivi du parcours complet des personnes en AMP. Le groupe de travail, qui a commencé ses travaux en septembre et les achèvera fin juin, cherche à créer des réseaux, pour développer un système d'information permettant d'optimiser les parcours.

En ce qui concerne le plan infertilité, nous attendions d'avoir un ministre. Je n'ai pas encore d'éléments pour savoir quelles suites vont lui être données. Le travail est en cours au sein du ministère. Le sujet de l'infertilité est plus large que la seule AMP : il englobe des questions de prévention et un aspect environnemental et sociétal, qui ne dépendent pas que de l'Agence de la biomédecine. Nous allons voir comment contribuer à ce plan.

J'indique à M. Henno que l'importation des gamètes doit respecter le cadre posé par les directives européennes. Se pose ensuite la question de l'indemnisation des donneurs. Il s'agit toujours d'une indemnisation, et non d'une rémunération, et elle peut être plus généreuse dans certains cas que d'autres. Pour les donneuses d'ovocytes, il ne faut pas négliger l'impact sur leur vie professionnelle - le temps de faire les échographies, les ponctions, etc. Une jeune femme qui aurait le statut d'indépendante n'est pas forcément dédommagée de sa perte d'activité. La question de la juste indemnisation devra se poser à l'avenir.

M. Alain Milon. - Merci pour l'ensemble des informations que vous avez données. Je suis déçu de constater que, depuis maintenant une bonne vingtaine d'années que je suis au Sénat, les problèmes sont toujours les mêmes...

Vous avez évoqué le recours aux influenceurs pour faire votre communication, ce qui m'inquiète beaucoup. Le recours à ces personnes répond-il à des critères spécifiques ?

Mme Marine Jeantet. - Les jeunes suivent les influenceurs, alors si l'on veut les toucher il faut avoir recours à ces derniers. Nous travaillons avec des agences de communication qui les connaissent bien. Les influenceurs sont rémunérés - même si Natoo l'a fait gracieusement -, via des partenariats payants, avec des contrats. Nous avons donc un moyen de contrôle. Pour l'instant, les effets ont été positifs. Nous faisons par exemple des live sur Twitch pour évoquer le don de moelle osseuse avec des influenceurs très connus : cela permet d'attirer une audience que nous n'aurions pas eue autrement.

Nous cadrons le contenu, et nous n'avons eu pour l'instant aucun dérapage, ce qui est plutôt rassurant. J'y insiste, c'est le moyen par lequel les jeunes s'informent. Si l'on ne veut pas travailler avec ces personnes, on ne touchera pas toute une frange de la population qui n'écoute plus la radio et ne lit pas les journaux. Il faut trouver une ligne de crête pour parvenir à toucher les jeunes tout en contrôlant l'information.

Mme Jocelyne Guidez. - Je veux évoquer les villes ambassadrices du don d'organes. L'idée est peut-être intéressante, mais, à l'entrée de la ville, le panneau est mis tout en bas, en dessous de tous les autres... Cela ne sert à rien ! La communication, c'est ce qu'il y a de plus dur. Le but est d'interpeller les gens qui passent, mais si on ne voit pas le panneau, de surcroît parce qu'il est souvent entouré d'herbes que l'on n'enlève plus, il y a de quoi se poser des questions !

Mme Marine Jeantet. - Le statut de ville ambassadrice du don d'organes, un dispositif créé sur l'initiative du collectif Greffes+, ne se résume pas aux panneaux. La municipalité s'engage à faire des actions de sensibilisation. Nous souhaitons que le 22 juin, une fois par an, comme le 1er décembre pour la lutte contre le sida, les villes fassent une campagne de communication sur leurs panneaux d'affichage du style « parlez-en à vos proches ».

On commence à faire des partenariats avec la RATP et la SNCF. Si un message est diffusé dans toutes les gares de France le 22 juin pour que chacun fasse connaître à ses proches sa position sur le don d'organes, on touche quasiment toute la population française ! Les petits ruisseaux font des grandes rivières, et toutes les initiatives sont bonnes pour mobiliser et relayer le message.

M. Jean Sol, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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