EXAMEN EN COMMISSION

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I. Audition de Mme Véronique Hamayon,
présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes

Réunie le mercredi 31 janvier 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'audition de de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur l'enquête de la Cour sur l'Agence de la biomédecine.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. Il s'agit de rendre compte de l'enquête de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine, que la présidente Catherine Deroche avait demandée à la Cour en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je précise également aux membres de la commission des affaires sociales que l'enquête de la Cour des comptes est disponible sur l'application Demeter. Elle ne pouvait être rendue publique avant cette audition.

Madame la présidente, je vais sans tarder vous donner la parole afin que vous nous présentiez les travaux et les conclusions de la Cour des comptes.

Je vous poserai ensuite de premières questions en ma qualité de rapporteur de la commission sur ce contrôle. L'ensemble des membres de la commission pourra ensuite vous interroger.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Je vous remercie de m'avoir invitée pour présenter le rapport de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence de la biomédecine. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la Cour a été saisie l'année dernière d'une demande d'enquête sur le fondement de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières et la Cour est très attachée à sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement. Sont présents à mes côtés les rapporteurs qui ont mené ce travail : M. François de la Guéronnière, conseiller maître et président de section ainsi que M. Quentin Huby, conseiller référendaire en service extraordinaire, tous deux rapporteurs. Ils pourront être amenés à répondre à vos questions.

Dans ce rapport, la Cour des comptes a examiné, d'une part, les conséquences de la nouvelle loi de bioéthique sur les missions de l'Agence de la biomédecine, en particulier dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation (AMP), et d'autre part, la manière dont l'Agence exerce ses autres missions ayant trait à la greffe et aux prélèvements d'organes. Des diapositives illustrent mon propos.

Le premier constat de la Cour est que les nouveaux droits consacrés par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation ont entraîné un certain nombre de tensions en matière, tout d'abord, de délai d'accès à l'AMP, ensuite, de délai et de conditions d'autoconservation des gamètes et, enfin, de droit d'accès aux origines.

Premièrement, sur les délais d'accès à l'AMP, si l'ouverture aux couples de femmes et aux femmes non mariées a répondu à un besoin réel - ce nouveau public représente désormais 90 % des consultations réalisées dans le cadre de l'AMP -, elle a dans le même temps conduit, d'une part, à la constitution d'une liste d'attente importante, puisque quelque 5 700 personnes s'ajoutaient, à la fin de l'année 2022, à la liste d'attente relative aux dons d'ovocytes qui comptait environ 2 100 personnes et, d'autre part, à l'allongement des délais d'accès à l'AMP avec don de spermatozoïdes, puisque le délai moyen était de quatorze mois en 2022, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2021 ; le délai moyen pour les AMP avec don d'ovocytes étant de 23 mois.

Au total, et ainsi que semblent en témoigner les dernières données disponibles du Centre national des soins à l'étranger, l'ouverture à de nouveaux publics pourrait donc, à l'inverse de ce qui était recherché par la loi de 2021, conduire à un accroissement du nombre de demandes d'AMP faites à l'étranger. Celles-ci ont crû de 26 % depuis 2021 et concernent majoritairement l'Espagne, la République tchèque et la Belgique.

Par ailleurs, l'arrêté du 5 octobre 2023 modifiant l'arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d'AMP ne contient pas de dispositions ayant trait aux modalités de gestion des listes d'attente et de prélèvement. Chaque centre est donc entièrement libre de décider des siennes, au risque d'appréciations et de pratiques divergentes selon les territoires. Une telle situation est susceptible d'emporter des incidences non négligeables sur le projet d'AMP en conduisant, par exemple, à un nombre de prélèvements d'ovocytes insuffisant du fait d'une limitation des stimulations hormonales, que pratiquent certains centres, en dehors de tout cadre légal et réglementaire.

Deuxièmement, pour ce qui concerne l'autoconservation des gamètes, si les chiffres témoignent d'un intérêt certain pour la nouvelle possibilité d'autoconservation des gamètes en dehors de toute indication médicale, cet afflux s'est traduit par un accroissement rapide des délais qui sont passés, en 2022, de 5 à 7 mois au niveau national et de 13 à 24 mois en Île-de-France, région qui concentre 25 % des demandes de consultations formulées en France. Cette situation a d'ailleurs obligé l'agence régionale de santé à autoriser, de manière dérogatoire, l'ouverture de nouveaux centres afin de réduire la pression sur les centres franciliens existants.

Troisièmement, la mise en oeuvre du droit d'accès aux origines des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation s'avère délicate. D'une part, le nouveau registre géré par l'Agence de la biomédecine ne recense que quelques anciens donneurs de gamètes et d'embryons - cinquante-quatre en septembre 2023, soit quasiment aucun. D'autre part, de nombreux centres sont confrontés à d'importantes difficultés pour retrouver les donneurs anciens, dont certains ont été perdus de vue depuis parfois plusieurs dizaines d'années.

Contrairement aux craintes exprimées, le droit d'accès aux origines, soit la fin de l'anonymat, n'a pas réduit le nombre de donneurs à ce stade. En revanche, il aura des conséquences importantes sur les réserves de paillettes disponibles, en raison de la fin programmée de l'utilisation de l'ancien stock de gamètes. En effet, le ministère de la santé a fixé au 31 mars 2025 le « changement des cuves », date à laquelle le nouveau stock remplacera l'ancien stock. Par conséquent, les centres de don devront attribuer en priorité les paillettes conservées avant le 1er septembre 2022 pour apurer l'ancien stock, qui représente aujourd'hui les trois quarts des paillettes.

Ainsi, selon que le stock de gamètes utilisé a été congelé avant ou après le 1er septembre 2022, la possibilité pour les personnes nées d'une assistance médicale à la procréation de connaître leurs origines divergera : si elle est juridiquement identique, ce ne sera pas le cas en pratique.

Au regard de ces difficultés, qui s'ajoutent à l'insuffisance des dons d'ovocytes, les missions de l'Agence de la biomédecine visant à encourager le don de gamètes sont plus que jamais essentielles. Or, malgré l'attribution de moyens supplémentaires d'environ 2,5 millions d'euros par an, les résultats obtenus sont très insuffisants. Le dernier baromètre réalisé en février 2023 l'atteste : 18 % des personnes interrogées ont le sentiment d'être suffisamment informées et seulement 21 % d'entre elles ont entendu parler de la nouvelle loi de bioéthique. Il appartient, dès lors, à l'Agence de poursuivre et d'amplifier ses efforts de promotion des dons de gamètes.

L'Agence de la biomédecine joue également un rôle important en matière de contrôle de l'utilisation des financements alloués pour faire face aux surcoûts résultant des nouveaux parcours d'AMP, qui sont estimés à 7,3 millions d'euros par an. Les premières enquêtes réalisées ont révélé l'existence de grandes disparités entre les centres, ainsi qu'une absence de corrélation entre les moyens disponibles et le surplus d'activité. Ces enquêtes devront être poursuivies afin, éventuellement, de permettre une révision des montants.

C'est le cas également s'agissant du suivi de l'état de santé des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation, ainsi que des femmes y ayant eu recours ; il appartient en particulier à l'Agence d'élaborer le rapport annuel expressément prévu par son contrat d'objectifs et de performance (COP).

Enfin, la nouvelle loi relative à la bioéthique a confié à l'Agence de la biomédecine la tâche de proposer des règles de répartition des gamètes et des embryons. Ainsi, en avril 2022, a été publié un arrêté interdisant la prise en compte de critères discriminants. À terme, la Cour des comptes estime que l'Agence de la biomédecine peut aller plus loin et pourrait utilement se voir confier une mission générale de répartition des stocks de gamètes afin de réduire les disparités de délai d'accès observées entre régions. Aujourd'hui, l'absence de système d'information partagé constitue, à l'évidence, un frein à toute perspective de mutualisation des stocks de gamètes.

Le second constat de la Cour des comptes est que les autres missions de l'Agence de la biomédecine présentent des faiblesses auxquelles il convient de remédier.

Pour ce qui concerne les prélèvements et les greffes d'organes et de tissus, malgré les progrès réalisés ces dernières années, les résultats obtenus sont décevants et les inégalités d'accès sont croissantes, en particulier pour les reins. Si, comme le souligne le rapport de la Cour de comptes, toutes les raisons expliquant cette situation ne relèvent pas directement de la responsabilité de l'Agence de la biomédecine, son pilotage est perfectible à plusieurs égards.

Ainsi, s'agissant des résultats, à l'exception des objectifs prévus en matière de donneurs décédés après arrêt circulatoire, aucune des cibles fixées par le plan ministériel 2017-2021 n'a été atteinte. Si la chute brutale d'activité observée en 2020 du fait de la crise sanitaire explique en partie cette situation, le nombre de greffes d'organes, de donneurs recensés et de prélèvements avait connu une baisse entre 2017 et 2019, témoignant d'une situation déjà dégradée.

Le nouveau plan ministériel 2022-2026 tire les leçons de ces mauvais résultats en définissant des « couloirs de croissance », à savoir des fourchettes à atteindre. Néanmoins, au regard des hypothèses très optimistes retenues, y compris pour les estimations présentées comme basses, et de l'activité relevée en 2022, qui demeure inférieure au niveau constaté en 2019, l'atteinte de ces objectifs paraît peu probable sans évolution majeure.

En ce qui concerne les leviers insuffisamment exploités pour réduire le taux d'opposition, en dépit d'une adhésion majoritaire des Français au prélèvement d'organes et de tissus, le taux d'opposition est régulièrement supérieur à 30 % depuis vingt ans et même à 40 % dans certains territoires comme l'Île-de-France, la Guadeloupe et la Guyane. Ces chiffres sont non seulement très éloignés de l'objectif de 25 % défini par le plan ministériel 2017-2021, mais aussi sous-estimés d'environ sept points par rapport au taux réel en raison de la prise en compte des non-prélèvements pour cause de contre-indications médicales.

De tels niveaux d'opposition s'expliquent notamment par des raisons sociétales et par des déterminants hospitaliers, en particulier les sous-effectifs ou le manque de formation, sur lesquels l'Agence de la biomédecine peut agir au moins en partie. La Cour des comptes estime notamment que la communication sur le don d'organes pourrait être améliorée. Selon les résultats du baromètre 2023 consacré aux Français et au don d'organes, à peine 28 % des Français interrogés connaissent les règles applicables en matière de consentement présumé. Le registre national des refus, qui joue statistiquement un rôle modeste, puisqu'il compte seulement 29 000 inscrits, n'est plus mentionné dans les campagnes de communication de l'Agence de la biomédecine. Cette dernière gagnerait également à agir davantage en direction des professionnels de santé en contact direct avec les donneurs potentiels et leur famille. Cela passe notamment par davantage d'audits de coordinations hospitalières, dont le nombre demeure inférieur aux objectifs fixés par le plan ministériel, et de formations à l'abord anticipé, c'est-à-dire à obtenir l'accord des proches afin de procéder à un prélèvement avant le constat clinique du décès.

Les inégalités d'accès à la liste nationale d'attente gérée par l'Agence de la biomédecine perdurent, en particulier pour les greffes rénales, en raison des différences de pratiques des équipes médico-soignantes. Le taux d'accès à la liste à vingt-quatre mois est, par exemple, inférieur de près de quarante points à la moyenne nationale en outre-mer et de vingt points dans les Hauts-de-France. Des recommandations de bonnes pratiques ont certes été élaborées par la Haute Autorité de santé (HAS), mais elles restent encore très largement méconnues.

Sur le plan quantitatif, le besoin en greffe d'organes a plus que triplé en vingt-cinq ans, passant de 6 000 demandes en 1998 à plus de 23 000 en 2022, dont près de 90 % pour les reins

À la fin de l'année 2022, le nombre total d'inscrits sur la liste nationale s'élevait à 28 500 et celui des décès annuels de patients en attente de greffe à 1 000, alors que l'activité de greffe d'organes n'a plus progressé depuis 2017.

L'Agence de la biomédecine dispose, de surcroît, d'une connaissance limitée des besoins à satisfaire en matière de greffe de tissus, y compris pour les greffes de cornées, qui font pourtant l'objet d'une inscription préalable obligatoire. Cette situation, qui s'ajoute aux problèmes de qualité des greffons prélevés, puisqu'un tissu cornéen sur deux est éliminé en raison d'un défaut de qualité, plaide en faveur d'une réforme du pilotage du réseau des banques de tissus. Ce dernier relève actuellement de 1'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et pourrait utilement être confié à l'Agence de la biomédecine.

Au-delà des besoins croissants non satisfaits, la Cour des comptes a constaté la persistance des disparités territoriales s'agissant de l'accès à la greffe, en particulier rénale. Ainsi, la proportion de patients effectivement greffés vingt-quatre mois après leur inscription sur la liste nationale d'attente est inférieure de près de vingt-huit points à la moyenne nationale en outre-mer et de huit points dans les Hauts-de-France. Des disparités existent également entre établissements, avec les délais d'attente qui peuvent dépasser trois ans, comme c'est le cas en Île-de-France. Selon plusieurs associations que nous avons contactées, ces disparités seraient liées à la pratique dite du rein local, qui consiste à mettre en commun, au niveau national, un seul des deux reins prélevés sur un donneur décédé, l'autre étant conservé par le centre où a eu lieu le prélèvement. Les différents acteurs concernés ne sont pas prêts à renoncer à cette pratique et soulignent les inconvénients qui en résulteraient.

En dépit de leur perfectionnement, les outils utilisés par l'Agence de la biomédecine pour assurer une évaluation de l'activité des équipes de greffes ne permettent pas toujours de réagir rapidement, même en cas de dysfonctionnements graves. Ainsi, neuf décès post-greffe cardiaque ont été constatés entre janvier 2015 et mars 2016 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, et cinq autres décès post-greffe sont survenus entre février et juin 2019 à l'hôpital Henri-Mondor. Les agences régionales de santé ont certes la possibilité de suspendre ou de retirer une autorisation d'activité de greffe à la suite d'un avis motivé de l'Agence de la biomédecine, mais cette faculté est très peu utilisée. La question des seuils d'autorisation d'activité, déjà évoquée par la Cour des comptes, se pose toujours avec acuité, en particulier pour les greffes coeur-poumon. Leur mise en place est d'ailleurs une de nos recommandations.

Par ailleurs, si le suivi de l'état de santé des donneurs vivants est de plus en plus difficile à réaliser, faute de moyens humains suffisants, l'Agence de la biomédecine pourrait publier plus fréquemment des études sur leur qualité de vie, mission qui lui incombe depuis 2004.

Pour ce qui concerne les activités de prélèvement et de greffe des cellules souches hématopoïétiques (CSH), à savoir les greffes de moelle osseuse, celles-ci sont caractérisées par une très forte dépendance aux registres internationaux. Des marges d'amélioration existent, en particulier grâce au registre France greffe de moelle, géré par l'Agence de la biomédecine, qui permet de rechercher, en temps réel, les meilleurs donneurs et greffons disponibles pour un meilleur appariement.

Sur le plan quantitatif, si les cibles fixées par le ministère ont été dépassées dès les premières années d'exécution, cela s'explique surtout par la faiblesse des ambitions affichées. Avec 369 000 donneurs volontaires recensés en 2022, le registre français ne se classe qu'à la seizième place mondiale, loin derrière les registres américain, allemand et brésilien, qui en recensent respectivement 7,8 millions, 7,4 millions et 5,2 millions.

Des marges de progrès existent pour réduire l'attrition du nombre de donneurs après préinscription ou encore pour augmenter les capacités de réalisation des typages génétiques. Le coût actuel de ces typages demeure un frein important, avec un coût moyen de 110 euros en métropole par donneur inscrit contre 31 euros en Allemagne. De tels écarts s'expliquent par les différences de méthodes utilisées. Or rien ne s'oppose à l'adoption par la France des méthodes allemandes qui ont fait leurs preuves, qui sont efficientes et moins coûteuses.

Sur le plan qualitatif, des objectifs visant à rajeunir, masculiniser et diversifier la population inscrite sur le registre de greffe de moelle ont été définis, afin de disposer de profils plus variés, mais ils sont encore très loin d'être atteints.

Si l'Agence de la biomédecine a abaissé l'âge limite d'inscription de 50 ans à 35 ans à partir du 1er janvier 2021, l'âge médian des inscrits a peu évolué et demeure supérieur à la cible des 35 ans, puisqu'il atteint un peu plus de 38 ans.

Le profil des donneurs reste très peu masculin - 39 % des nouveaux inscrits sont des hommes - et peu diversifié, puisque l'on compte seulement 36 % de nouveaux phénotypes, ce qui atteste des difficultés de l'Agence de la biomédecine à convaincre les publics ciblés.

Faute de disposer d'un registre suffisamment large et diversifié, les médecins greffeurs sont contraints de se tourner vers les registres internationaux, ce qui conduit l'Agence de la biomédecine à acheter des greffons à l'étranger en vue de leur cession aux établissements de santé. La proportion des greffons provenant de donneurs étrangers au bénéfice des patients français atteint 93,5 %, soit une quasi-absence d'autonomie, alors qu'elle était de seulement 3,6 % en 1988.

Les donneurs allemands représentent, à eux seuls, près de 60 % des prélèvements réalisés pour des patients français depuis 2018. Le plan ministériel 2022-2026 entend y remédier en fixant un objectif de 25 % de greffons provenant de donneurs nationaux, qui paraît peu réaliste au regard des chiffres actuels.

Le faible taux de couverture des besoins altère non pas uniquement la santé publique, mais aussi l'équilibre financier de l'assurance maladie. Certains registres internationaux proposent des tarifs particulièrement élevés comme le registre américain, puisque chaque greffon de moelle osseuse ou de sang périphérique est facturé entre 35 000 et 40 000 euros, soit près du double de ce qui est proposé en Allemagne, même si tous les professionnels de santé rencontrés ont indiqué s'orienter, à compatibilité équivalente, vers le greffon le moins cher. Cette activité d'intermédiation de l'Agence de la biomédecine représente, à elle seule, 45 % de son budget et affecte également sa logistique comptable, avec un flux de 15 000 factures à gérer par an.

Pour conclure, j'insisterai sur les principales recommandations formulées dans le rapport de la Cour des comptes.

S'agissant de l'AMP, le nécessaire renforcement du rôle d'accompagnement et de surveillance des principales évolutions de la nouvelle loi de bioéthique par l'Agence de la biomédecine suppose de mettre en place un registre national de gestion des gamètes et des embryons afin de lui permettre de disposer d'une vision consolidée et en temps réel de l'état des stocks et des besoins de gamètes. La Cour préconise aussi d'harmoniser les règles de gestion des listes d'attente et de prélèvement des ovocytes en vue de leur autoconservation en dehors de tout motif médical.

L'amélioration du pilotage de l'Agence de la biomédecine en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus implique ensuite de lui confier le pilotage des banques de tissus humains et de fixer des seuils d'autorisation d'activité de greffe, en particulier pour le coeur et les poumons.

Quant à la coordination des activités de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques, la Cour recommande d'utiliser des techniques de typage génétique plus efficientes afin de revoir à la hausse les objectifs de développement quantitatif du registre France greffe de moelle, c'est-à-dire celles que l'Allemagne utilise.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous pose les questions suivantes en qualité de rapporteur.

Tout d'abord, votre rapport souligne les difficultés de l'Agence de la biomédecine à assurer ses missions en respectant les objectifs quantitatifs et qualitatifs qui lui ont été fixés par le dernier contrat d'objectifs et de performance et par les plans ministériels.

À mi-chemin du COP 2022-2026, les objectifs qu'il contient vous paraissent-ils encore atteignables ?

Les moyens associés à la montée en charge des missions de l'Agence, en termes de ressources humaines et d'infrastructure informatique, vous paraissent-ils correctement dimensionnés et employés ?

Ensuite, la loi du 2 août 2021 a attribué de nouvelles missions à l'Agence de la biomédecine dans le champ de l'assistance médicale à la procréation. Votre rapport souligne la spécificité des missions de l'Agence par rapport à ses homologues étrangers.

Le modèle français, qui confie à une même agence un large éventail de prérogatives, vous paraît-il présenter un intérêt ou des opportunités, ou à l'inverse, des risques spécifiques ?

Dans un contexte où l'Agence de la biomédecine ne parvient pas totalement à atteindre ses objectifs, l'octroi de ces nouvelles missions vous paraît-il présenter un risque de déstabilisation de l'Agence, alors que celle-ci doit remédier aux insuffisances relevées par votre enquête ?

Enfin, la liste nationale des patients en attente de greffe ne cesse de croître : le besoin en greffes d'organes a plus que triplé en vingt-cinq ans. Les enjeux de qualité et de répartition des greffons prélevés, notamment rénaux, soulèvent deux questions principales : d'une part, celle du modèle financier de l'activité de prélèvement et de greffe ; d'autre part, celle des seuils d'autorisation d'activité, déterminante pour la qualité des transplantations.

Quel est l'état des réflexions sur ces deux questions ?

Dans quelle mesure une révision du modèle financier vous semble-t-elle de nature à soutenir l'activité de greffe d'organes ?

Mme Véronique Hamayon. - Sur les objectifs atteignables, la réponse est double. S'agissant des prélèvements et des greffes d'organes et de tissus, un certain nombre d'entre eux sont pratiquement inatteignables. Par exemple, l'objectif de greffes rénales réalisées à partir d'un donneur vivant est de 20 % ; or le maximum atteint jusqu'alors a été 16 %. J'aimerais que les faits démentent le pessimisme de la Cour.

Sur le nombre de greffes d'organes et de tissus, le constat est en quelque sorte similaire. Les couloirs de croissance fixés par le COP 2022-2026 sont volontairement faibles jusqu'en 2023, mais, à partir de 2024, la pente est raide. Ces objectifs nous paraissent également difficiles à atteindre. Ainsi, en 2023, le nombre de greffes réalisées se situe au même niveau que celui de 2015.

En revanche, pour le nombre d'établissements conventionnés, l'objectif pourrait être atteint. En effet, la cible fixée est de 65. Aussi, si l'on continue à signer quatre conventions par an avec ces établissements, ce devrait être le cas. Il en va de même pour le nombre d'audits de coordinations hospitalières. La cible est de 38 par an, nous en sommes déjà à 36 par an.

Pour ce qui concerne les prélèvements et les greffes de moelle osseuse, certains objectifs nous paraissent également difficilement atteignables, s'agissant notamment de la proportion de donneurs français rapportés au nombre de patients nationaux. En effet, la cible fixée de 25 % n'a jamais été atteinte depuis 2003. En 2023, nous sommes à 10 %, atteindre 25 % d'ici à trois ans semble extrêmement ambitieux. Quant à la masculinisation du registre, les femmes représentant toujours 60 % des nouveaux donneurs, il paraît difficile de parvenir à un équilibre entre hommes et femmes. Cela peut même sembler inatteignable.

En revanche, selon nous, deux objectifs en matière de greffe de moelle osseuse sont atteignables, sans doute parce qu'ils sont peu ambitieux. Ainsi, s'agissant du nombre de nouveaux inscrits chaque année sur le registre, la cible de 20 000 inscrits est atteinte sans difficulté, et, s'agissant du nombre total d'inscrits, la cible de 400 000 inscrits sera atteinte dès 2024, avec deux années d'avance.

Pour ce qui concerne les moyens de l'Agence de la biomédecine, il ne semble pas que les difficultés pointées dans le rapport soient liées aux moyens financiers ou humains, car ceux-ci ont augmenté. Je pourrais vous transmettre le détail des chiffres, si vous le souhaitez. Néanmoins, plus on s'appuiera sur des donneurs français, plus l'Agence de la biomédecine pourra dégager des marges de manoeuvre financières pour un certain nombre de ses missions, car 45 % de son budget est accaparé par les achats à l'étranger.

Sur la deuxième question ayant trait au modèle français et aux prérogatives larges de l'Agence de la biomédecine comparées à celles dont disposent ses homologues à l'étranger, il ne nous paraît pas évident qu'un champ de compétence plus restreint ou plus spécialisé soit gage d'efficience. Au contraire, la Cour des comptes préconise dans le rapport de rapatrier au sein de l'Agence de la biomédecine une compétence dévolue à l'ANSM.

À propos du modèle financier, je le répète, plus nous dépendons de l'étranger, plus le budget de l'Agence de la biomédecine est ponctionné, et plus nous nous appuierons sur des donneurs français, moins son budget sera sollicité ; elle pourra alors dégager des marges de manoeuvre.

Les seuils d'autorisation d'activité sont un sujet sensible, les médecins-greffeurs eux-mêmes sont partagés et réticents à en fixer. Cela dépend toutefois de la taille de l'établissement dans lequel ils exercent. Ils y sont ainsi moins favorables dans les petits établissements, car cela risquerait de les priver d'une activité qu'ils exercent actuellement.

La Cour des comptes a donc prudemment concentré sa recommandation de fixer des seuils d'autorisation d'activité sur la seule greffe coeur-poumon. En effet, en l'espèce, une corrélation a été établie entre la qualité de la greffe, le taux de mortalité induite par la greffe, et le seuil d'activité. Plus un établissement hospitalier pratique des greffes coeur-poumon, moins l'on recense d'accidents ou de décès.

Mme Florence Lassarade. - Quelles sont les relations de l'Agence de la biomédecine avec l'Établissement français du sang ? Pourrions-nous améliorer la publicité pour les greffes de moelle osseuse par l'intermédiaire de ce dernier ?

Les représentants des associations de greffés du rein insistent sur l'intérêt de disposer de doubles blocs opératoires, permettant de réaliser le prélèvement et la greffe au même endroit et d'éviter les transports d'organes compromettant la survie du greffon. L'Agence de la biomédecine s'intéresse-t-elle à cette question ?

M. Khalifé Khalifé. - Au cours de ma carrière, j'ai assisté à l'évolution de la communication sur les dons d'organes. Depuis quelque temps, nous avons un peu baissé les bras en la matière, peut-être sous l'effet du covid-19, alors que l'on communiquait au plus près des populations, dans les associations voire dans les petites communes. J'ai regretté l'absence d'un point sur ce sujet dans vos recommandations. Nous devons être au plus près des publics et les gens doivent pouvoir en discuter.

Certaines structures hospitalières sont agrées pour réaliser des prélèvements multiorganes (PMO), qui ne sont pas simples. Lorsqu'un PMO arrive, les structures de greffeurs sont prévenues ; tout le monde doit se mettre d'accord et l'équipe doit être présente, car certains médecins souhaitent effectuer eux-mêmes le prélèvement. Un bloc opératoire est alors monopolisé pendant au moins douze heures, alors que les hôpitaux gèrent les soins d'urgence. C'est un frein assez important dont nous devons tenir compte dans nos réflexions.

Sur les seuils d'autorisation d'activité, en dehors des greffes coeur-poumon, l'expérience est certes importante, mais si on empêchait des chirurgiens de greffer faute d'atteindre le seuil nécessaire, peut-être ne resteraient-ils pas motivés pour se battre afin de réaliser des prélèvements pour d'autres. C'est humain.

Au sujet des donneurs étrangers, sommes-nous certains que les prélèvements sont effectués dans les mêmes conditions éthiques qu'en France ? Ces donneurs sont-ils bénévoles ?

M. Olivier Henno. - Les conclusions de ce rapport nous bousculent, si je puis dire, au regard de nos objectifs. Si les difficultés de l'Agence de la biomédecine pour atteindre ses objectifs ne sont pas liées à ses moyens financiers et humains, sont-elles dues à des problèmes d'organisation ou aux principes de bioéthique auxquels nous sommes attachés ? Dans ce dernier cas, si tout en appliquant ces principes, nous achetons dans les pays qui ne les respectent pas, notre modèle est alors remis en cause.

M. Bernard Jomier. - J'ai participé au conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui est une des plus belles agences dont nous disposons et qui réalise un travail de très grande qualité. Plusieurs questions soulevées dans votre rapport sont régulièrement débattues en son sein.

Vous avez souligné l'absence de cadre réglementaire s'agissant de la limitation des stimulations hormonales. Quel cadre réglementaire faudrait-il adopter ? Un référentiel de bonnes pratiques vous semble-t-il suffisant ? Appelez-vous au recours à un niveau supérieur de réglementation ? Pour ma part, j'ai pu constater que les acteurs confrontés à cette situation essayaient de trouver des solutions en recherchant un consensus. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose en ces temps de simplification administrative, car cela permet d'éviter l'empilement de normes.

Pour ce qui concerne la palette trop large de missions de l'Agence de la biomédecine, quelle est la position de la Cour ? S'agit-il de scinder les activités et d'en confier certaines à d'autres agences existantes ou de créer une nouvelle agence ?

Sur les greffes, les référents prévus dans toutes les agences régionales de santé, afin de veiller à la bonne application du plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus greffe 2022, sont-ils opérationnels ?

Mme Véronique Guillotin. - Avant-hier, un article du journal Le Monde traitait de l'insuffisance rénale chronique dont la greffe est un des traitements, outre les dialyses, et évoquait le difficile respect des bonnes pratiques par certains centres. L'Agence de la biomédecine exerce-t-elle des contrôles sur les dialyses, car l'article y faisait référence ?

Mme Véronique Hamayon. - Pour répondre à Mme Florence Lassarade, des relations existent entre l'Agence de la biomédecine et l'Établissement français du sang et des campagnes de communication ont été réalisées en commun. Toutefois, leurs relations sont parfois complexes et des synergies doivent sans doute être recherchées, comme le suggérait l'expertise que nous avons menée sur l'Établissement français du sang voilà quelques années.

Sur les doubles blocs opératoires, la Cour des comptes ne s'est pas étendue sur cette question, qui présente un réel intérêt, dans son rapport. En outre, à notre connaissance, l'Agence de la biomédecine ne s'est pas prononcée sur ce sujet.

Pour répondre à M. Khalifé sur la communication, nous en parlons dans le rapport. Ainsi, une des recommandations a trait aux outils permettant à l'Agence de la biomédecine de réduire les oppositions aux prélèvements et, parmi eux, figure la communication. Nous insistons sur l'importance de réaliser de véritables campagnes de communication très directes. L'histoire du petit Joseph atteint d'une leucémie aiguë, qui fait l'objet d'un encadré dans le rapport et qui a défrayé la chronique voilà quelques années en atteste. Sa mère avait lancé un appel via les médias pour obtenir un don de moelle. Or les semaines qui ont suivi ont vu les donneurs affluer pour s'inscrire. Vous avez raison, la communication est essentielle pour inciter les Français à s'inscrire sur le registre des donneurs.

Sur les prélèvements multiorganes, vous soulignez les problèmes d'organisation liés au fait que des blocs opératoires sont alors bloqués, je laisse la parole au rapporteur.

M. Quentin Huby, conseiller référendaire en service extraordinaire, rapporteur à la Cour des comptes. - Le rapport traite des missions de l'Agence de la biomédecine et non pas de la politique de la greffe en France. Le problème majeur est que l'Agence n'a pas de prise sur les difficultés rencontrées par les coordinations hospitalières. Nous avons rencontré plusieurs coordinations hospitalières, notamment à Lille et à Rennes, qui nous ont fait part d'enjeux autour de la réservation des salles d'opération et de la place de l'activité de prélèvement d'organes. Cela concerne toutefois moins la greffe : cette activité est reconnue dans les établissements de santé, ce qui est moins le cas pour les prélèvements. Le rôle de l'Agence en la matière passe par les services régionaux d'appui qui viennent, par définition, en appui de ces coordinations hospitalières, ce qui explique un certain nombre des difficultés observées.

Mme Véronique Hamayon. - Sur les seuils d'activité, ils sont pertinents pour les greffes coeur-poumon ; le consensus n'existe pas pour les autres organes.

À propos des donneurs étrangers de moelle osseuse et des conditions éthiques des prélèvements réalisés, nous n'avons pas d'information relative à une rémunération des donneurs. Sur la qualité des greffons, des contrôles rigoureux sont effectués par l'Agence de la biomédecine, mais peut-être également par d'autres organismes ; Quentin Huby pourra peut-être compléter.

M. Quentin Huby. - Le registre France greffe de moelle est membre de la World Marrow Donor Association (WMDA), dont la procédure d'accréditation implique le respect d'un certain nombre de critères de qualité, permettant des garanties internationales sur les greffons donnés aux patients français. Le renouvellement de l'accréditation du registre français figure d'ailleurs également dans le plan ministériel 2022-2026.

En ce qui concerne l'aspect financier, chaque droit est particulier ; l'enquête contient un tableau où figurent les différents tarifs pratiqués. Certains registres américains proposent des tarifs très élevés : il existe donc un vrai risque de dérive commerciale. Les médecins qui réalisent des greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) nous ont d'ailleurs alertés : à qualité égale, ils privilégient toujours les greffons les moins chers, mais ce n'est pas toujours possible. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où il s'agit de droit international, chaque État est libre de réguler ou non les tarifs pratiqués par les différents registres, sachant qu'un certain nombre d'entre eux, comme le registre allemand, ont un caractère privé, contrairement au registre français qui, lui, est géré par une agence publique.

Mme Véronique Hamayon. - M. Olivier Henno a demandé s'il s'agissait d'une question de moyens, d'organisation ou de principes bioéthiques. Les difficultés que nous avons pointées relèvent non pas des moyens dévolus à l'Agence de la biomédecine, mais de questions d'organisation et de choix stratégiques. L'Agence pourrait être plus efficace à moyens égaux par une meilleure stratégie de communication, par des audits de coordination hospitalière, par son implication dans la formation des professionnels de santé amenés à greffer, etc.

M. Jomier a évoqué la question du cadre réglementaire. Un référentiel de bonnes pratiques est-il suffisant ? La Cour des comptes ne se prononce pas sur ce point, elle souligne simplement que l'on ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle les centres auraient la main sur les règles et sur les modalités d'accès à l'AMP. Il faut donc harmoniser ces règles au niveau national pour que les chances des femmes soient les mêmes sur tout le territoire. Peut-être faut-il expérimenter d'abord la piste d'un référentiel de bonnes pratiques avant de passer à un texte réglementaire ?

Nous ne disons pas que la palette des missions de l'Agence est trop large. Ses missions sont effectivement très larges - elles ont d'ailleurs encore été élargies depuis 2021 -, mais elle a les moyens de les exercer. Le fait que ses missions soient beaucoup plus larges que celles de certains de ses homologues à l'étranger n'est pas un problème en soi.

L'insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) n'est pas le coeur du sujet de cette enquête. Je vous renvoie à un rapport publié par la Cour des comptes il y a quelques années qui dénonçait un certain nombre de mauvaises pratiques dans certains centres de dialyse, qui ont d'ailleurs fait l'objet il y a quelques jours d'un article dans Le Monde. Quoi qu'il en soit, en dehors du rôle indirect qu'elle joue en gérant le registre du réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN), l'Agence de la biomédecine n'est pas en première ligne sur la question de l'IRCT.

Mme Corinne Imbert. - Je vous remercie de nous avoir rassurés en nous disant qu'il ne s'agissait pas d'une question de moyens, c'est une bonne nouvelle !...

En complément des remarques d'Olivier Henno, les objectifs du plan ministériel n'ont-ils pas été justement très ambitieux pour justifier les moyens supplémentaires accordés à l'Agence ? La communication est effectivement essentielle pour lever les freins au prélèvement. Quid du taux d'activité des équipes de greffe dans les hôpitaux ? Les services de prélèvement et de greffe sont-ils préservés des difficultés de l'hôpital ?

En ce qui concerne l'AMP, vous soulignez dès le début de votre rapport l'allongement des délais d'attente pour l'accès à la première consultation. Cette hausse, qui n'avait pas été anticipée, met sous tension les structures.

Pour garantir un meilleur accès à ce nouveau droit, l'ouverture à des structures privées lucratives - sous réserve de tarifs encadrés - vous paraît-elle une solution ? Les surcoûts découlant des nouveaux parcours d'assistance médicale à la procréation s'élèveraient à 7,3 millions d'euros par an. Qu'englobe ce chiffre ? Avez-vous pu établir un bilan financier de la réforme ouvrant l'accès à l'AMP aux femmes en couple et aux femmes seules ?

Le terme de démocratie sanitaire est absent de votre rapport. Comment l'Agence devrait-elle se positionner en la matière ? Cela pourrait-il aider l'Agence à être mieux connue du grand public et des professionnels de santé ?

Mme Annick Petrus. - Le plan 2017-2021 n'a pas atteint ses objectifs. La difficulté ne réside ni dans les moyens financiers ni dans les moyens humains. Serait-ce une question de méthode, de réglementation ou d'éthique ? L'importation des gamètes est autorisée en France, mais elle est très encadrée : elle est soumise à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine, et doit être effectuée dans des conditions expressément prévues par le code de la santé publique, notamment pour la poursuite d'un projet parental précis. Un assouplissement de ces règles pourrait-il nous aider à reconstituer plus rapidement nos stocks ?

Mme Anne Souyris. - Les chiffres de 2023 de l'Agence de la biomédecine signalent un allongement préoccupant des délais d'attente pour la procréation médicalement assistée, qui atteignent désormais 16 mois pour les dons de spermatozoïdes et 24 mois pour les dons d'ovocytes. Cette situation est particulièrement problématique pour les couples de femmes et les femmes seules auxquels la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique avait promis d'ouvrir l'accès à l'AMP. Quelles sont les réponses à apporter pour améliorer cette situation ?

Mme Annie Le Houerou. - La loi de 2021 relative à la bioéthique a autorisé l'autoconservation des gamètes pour les femmes de 29 à 37 ans. Seuls 41 centres sur les 104 centres d'AMP français sont autorisés à pratiquer cette autoconservation. Pouvez-vous nous éclairer sur ces chiffres ? Certaines directions évoquent le fait que cette activité ne serait pas rentable, mais le nombre de femmes en attente est important. Le droit à cette autoconservation va jusqu'à 39 ans, mais en réalité les femmes n'y ont plus accès à partir de 35 ans. Quelles mesures transitoires préconisez-vous pour que le droit de ces femmes puisse être respecté ?

Ma deuxième question concerne la communication sur les dons d'organes. On constate une évolution très timide des donneurs. De nombreux maires s'engagent pour promouvoir ces dons. Ne faudrait-il pas élargir ces campagnes nationales aux entreprises et aux administrations ?

Mme Silvana Silvani. - J'ai été étonnée par le taux de refus, qui dépasse 40 % sur certains territoires, soit près de la moitié de la population. Le don d'organe est une question éminemment intime, personnelle, voire culturelle. La communication et l'information ont donc un impact assez réduit. Comment travaille-t-on sur ces sujets ? Le don était auparavant un acte volontaire. Aujourd'hui, l'acte volontaire est le refus de donner. Quel impact cette inversion a-t-elle eu sur le don ? Il ne faudrait pas non plus tout mettre sur le dos de l'épidémie de covid-19... En tout état de cause, je persiste à ne pas comprendre pourquoi l'on se fixe des objectifs que l'on sait inatteignables.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Ma question concerne le « tourisme de transplantation ». Quel est son impact sur l'accès aux soins pour les malades qui sont soumis, au nom de la solidarité nationale, au principe du consentement ? Ce tourisme ne pourrait-il expliquer un certain nombre de refus ? Vous l'avez souligné, les listes d'attentes sont différentes selon les territoires. Dans le Bas-Rhin, les temps d'attente pour les greffes sont parmi les plus longs, car le département fait face à l'entrée, par des filières étrangères, de malades des pays de l'Est en état d'urgence. Ils sont donc prioritaires. L'Allemagne, elle, ne prend en charge les dialysés que pendant quinze jours, avant de les reconduire à la frontière. Quelles pistes proposez-vous pour mieux encadrer les bénéficiaires ?

Mme Véronique Hamayon. - Madame Imbert, les objectifs fixés à l'Agence n'ont aucun rapport avec les moyens dont bénéficie cette dernière. Vous m'avez interrogée sur le taux d'activité des équipes de greffes et vous m'avez demandé si les services de greffes pouvaient être atteints par les difficultés de l'hôpital. Je n'ai pas de chiffres à vous communiquer, mais il n'y a aucune raison que ces services échappent aux tensions du secteur hospitalier. L'ouverture au privé lucratif pour régler une partie des problèmes liés aux délais d'attente n'est pas un débat tabou. Un groupe de travail au sein de l'Agence de la biomédecine se penche sur ces questions. Des propositions ont été avancées, notamment pour déléguer au privé un certain nombre de tâches en amont, en particulier administratives. Cela pourrait permettre de désengorger les centres et de réduire les délais d'attente.

L'expression « démocratie sanitaire » est absente du rapport, mais pas le concept lui-même, qu'il s'agisse du comité de suivi des principales innovations, des différents groupes de travail, de la préparation des plans ministériels, etc.

Mme Petrus m'a interrogée sur l'importation des gamètes. Les stocks de gamètes sont liés au nombre de donneurs, lui-même en lien avec notre capacité à convaincre les Français de faire un don. Il y a donc là un vrai sujet de communication.

Je n'ai pas de réponse à apporter à la question de Mme Souyris sur les délais. Notre rapport souligne simplement que l'accès à l'AMP se heurte à cette difficulté. Aujourd'hui, les objectifs sont loin d'être atteints. Nous avons formulé un certain nombre de recommandations : meilleure communication, ouverture de davantage de centres, délégation au secteur privé de certaines tâches, etc.

Mme Le Houerou a relevé que seuls quarante et un centres sont aujourd'hui autorisés à pratiquer l'autoconservation de gamètes. D'autres centres devraient-ils être autorisés à le faire ? À quel rythme ? Combien de dossiers sont-ils actuellement instruits en ce sens ? Sur ces points, je cède la parole à Quentin Huby.

M. Quentin Huby. - À titre dérogatoire, un certain nombre de centres d'AMP ont été autorisés à pratiquer l'autoconservation des gamètes pour raison non médicale. Tout cela sera revu à l'issue des nouveaux projets régionaux de santé. L'objectif est donc bien de développer cette activité. Je n'ai pas très bien compris les chiffres que vous citez, madame la sénatrice, vous avez notamment évoqué les coûts ?

Mme Annie Le Houerou. - Certains centres qui pourraient développer cette activité ne le font pas, car ce n'est pas rentable.

M. Quentin Huby. - À ma connaissance, tous les centres qui en ont l'autorisation développent cette activité. L'assurance maladie prend en charge les frais associés à l'autoconservation pour motif non médical. Le seul reste à charge pour les patients est le forfait annuel.

Mme Véronique Hamayon. - Mme Silvani a été interpellée par le taux de refus très important, entre 30 % et 40 % selon les régions. Elle souligne que le refus est aujourd'hui un acte volontaire et se demande s'il ne faudrait pas inverser les choses. Il y a deux écoles en la matière : l'acceptation explicite, comme en Allemagne ; ou l'acceptation implicite, comme en France.

Ce que l'on remarque, en l'état des données dont on dispose, c'est que l'acceptation implicite donne de meilleurs résultats en termes de dons. Ce n'est peut-être pas vrai en France, mais cela l'est dans d'autres pays - à condition, toutefois, de laisser une marge de manoeuvre aux familles, comme c'est le cas d'ailleurs en France. Chez nous, en dépit du fait que l'acceptation est censée avoir été actée dès lors qu'il n'y a pas eu de refus, les équipes médicales de greffes se tournent systématiquement vers les familles, et c'est à ce stade que le taux de refus est extrêmement important. Il n'y a pas de raison que cela ne fonctionne pas en France : nous devons mieux communiquer, mieux expliquer, faire beaucoup d'efforts de pédagogie et mieux former aussi les équipes médicales à convaincre les familles de laisser faire le prélèvement d'organes, en particulier sur les décédés.

Le tourisme médical ne se cantonne pas aux échanges entre la France et l'Allemagne...

M. Quentin Huby. - Vous avez évoqué des durées d'attente très longues dans la région Grand Est. Il y a des disparités entre établissements. Nous avons essayé de faire une cartographie des délais en 2022. Dans certains établissements, les délais sont très courts. Des réponses ont été apportées par l'Agence pour contrecarrer ces difficultés et améliorer la répartition des greffons. Toutefois, les patients sont libres de choisir l'établissement où ils se font inscrire sur la liste nationale... Les garde-fous mis en place ont donc des limites. Même avec des outils de répartition, vous ne pourrez pas empêcher un citoyen de regarder le rapport de l'Agence et d'y trouver l'information sur la durée moyenne. Vous avez évoqué aussi des problématiques liées aux questions transfrontalières. Nous ne les avons pas spécifiquement étudiées.

Mme Véronique Hamayon. - Mme Imbert nous a demandé un bilan de l'application de la loi sur le nombre de femmes seules ou le nombre de femmes en couple qui ont recours à une AMP. Nous n'avons pas de chiffres précis. Évidemment, on ne peut pas poser la question de l'orientation sexuelle des femmes qui se présentent à l'AMP...

Mme Corinne Imbert. - Je pensais surtout au coût financier de l'ouverture de ce nouveau droit aux femmes en couple ou aux femmes seules. J'ai vu dans votre rapport le chiffre de 7,3 millions d'euros...

Mme Véronique Hamayon. - C'est cela.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci à la Cour pour la qualité de ses travaux. Nous avons toujours beaucoup de plaisir à vous entendre en commission. C'est un sujet à suivre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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