N° 383

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l'application de
la
loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République,

Par Mmes Jacqueline EUSTACHE-BRINIO et Dominique VÉRIEN,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

AVANT-PROPOS

Dans le cadre de ses travaux sur l'application d'une loi au titre de la session parlementaire 2023-2024, la commission des lois a retenu un texte que le Sénat n'a pas adopté : la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce texte, et c'est significatif, est connu sous plusieurs noms. On trouve désormais souvent l'acronyme de loi « CRPR », mais l'opinion publique connaît ce texte sous le nom de loi « séparatisme ». Parfois encore il est appelé « loi laïcité ». Cette pluralité est le résultat des incertitudes sur l'objet du texte, entretenues par les hésitations de l'État sur la manière de faire face aux ferments de division qui minent la société française.

La notion de séparatisme est issue du discours de Mulhouse du Président de la République, le 18 février 2020. Préférant à la notion de « communautarisme » celle, plus précise, de « séparatisme islamiste », le Président de la République avait alors dressé le constat de l'existence de « parties de la République qui veulent se séparer du reste, qui (...) ne se retrouvent plus dans ses lois, dans ses codes, ses règles ; que nous avons une partie de notre population qui se sépare du reste (...) au titre d'une religion dont elle déforme les aspirations profondes et en faisant de cette religion un projet politique et au nom de l'islam ».

Cette prise de position marquait la fin d'un long déni. La situation était pourtant connue de tous ceux qui acceptaient de la regarder en face. Au travers de ses commissions d'enquête et de ses travaux, le Sénat s'était déjà saisi du sujet, écoutant les remontées du terrain, celles des femmes et des hommes qui ont témoigné de la réalité des pressions quotidiennes, des contestations au nom de la religion. Le Sénat avait donc salué le dépôt de ce projet de loi le 9 novembre 2020 comme une prise de conscience nécessaire du péril que fait peser la radicalisation islamiste sur notre pays.

Mais le Sénat a rapidement pris conscience du fait que ce texte, même s'il comportait des dispositions intéressantes, était bien trop technique et trop peu ambitieux pour changer la situation. Situation que cette loi peine d'ailleurs à nommer et à saisir, visant à la fois la préservation de la laïcité et de la neutralité des agents publics, la haine en ligne et la protection des individus contre la révélation de leur identité aux fins de leur nuire, l'action associative, les délibérations de collectivités territoriales, l'organisation des cultes mais aussi l'éducation et le sport.

Essentiellement destinée à renforcer le contrôle administratif des activités sujettes à « séparatisme », cette loi a multiplié les procédures, faisant reposer sur les administrations une charge de mise en oeuvre et de contrôle qu'elles parviennent mal à absorber et que les collectivités territoriales dans leur grande majorité n'ont pas investi.

Les contraintes posées ont d'emblée été dénoncées comme la mise en place d'un État de surveillance profitant de drames comme l'assassinat de Samuel Paty pour limiter la liberté d'exercice du culte et la liberté d'association. Le Gouvernement a pour sa part pu soutenir l'universalisme de la loi réprimant des comportements contraires aux valeurs de la République et non telle ou telle catégorie de la population. La jurisprudence lui a donné raison. La décision du Conseil constitutionnel QPC 22 juillet 2022 Union des associations diocésaines de France et autres1(*) a validé le nouveau régime applicable aux associations exerçant une activité cultuelle, et le Conseil d'État a pour sa part estimé en juin 20232(*) que le contrat d'engagement républicain ne violait ni la liberté d'association ni la liberté d'expression et comportait des engagements suffisamment clairs pour ne pas donner lieu à des interprétations arbitraires.

Conscient cependant que les contraintes imposées aux associations et aux cultes venaient limiter leur liberté et imposer plus de contraintes à ceux qui respectent depuis plus de cent ans le cadre fixé par les lois de la République, le ministre de l'intérieur a affirmé que ce texte proposait en fait une distinction simple. Il permettrait d'être « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Les auditions conduites par les rapporteurs tendent à montrer que les acteurs du monde associatif et des cultes se sentent plutôt remis en cause qu'appréciés, alors que les acteurs suspects de séparatisme ont pu éviter les contraintes de la loi.

Près de trois ans après l'adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (ci-après « loi CRPR »), le bilan est donc encore loin d'être concluant. L'objectif affiché de ce texte, essentiellement technique et à la portée juridique parfois douteuse, était, d'une part, de se donner les moyens d'assurer le respect effectif des principes de la République et, d'autre part, de réformer le régime des cultes. Sur ces deux tableaux, les résultats sont peu probants.

Si certaines dispositions de la loi CRPR se sont effectivement avérées utiles - bien qu'inégalement appliquées sur le territoire et parfois pour d'autres finalités que celles initialement envisagées (ainsi les dispositions destinées à la lutte contre la haine en ligne ou celles relatives à la dissolution d'associations) -, force est de constater que la plupart d'entre elles n'ont pas été suivies d'effets dans la pratique, ou sont passées à côté de la cible qui leur avait été assignée. C'est en particulier le cas des règles applicables aux associations, qui ont paradoxalement trouvé à s'appliquer de manière indiscriminée à la quasi-totalité des associations françaises, lesquelles ont parfois pu se sentir stigmatisées, à l'exception de celles qui, plus sujettes au séparatisme, ont opté pour une posture discrète leur permettant de se soustraire à ces nouvelles obligations.

S'agissant des dispositions relatives aux cultes, qui étaient sans nul doute parmi les plus contestées, le constat général est également en demi-teinte : si les cultes qui avaient déjà constitué des associations exclusivement cultuelles se sont dans leur vaste majorité conformés à leurs nouvelles obligations, l'objectif d'une restructuration de l'organisation des cultes au profit du régime « loi de 1905 » n'a pas été atteint. Dans un contexte d'insuffisante préparation des services de l'État, l'application de la loi s'est en outre traduite par des divergences de pratiques mal vécues par les acteurs et qui nécessitent encore un important travail pédagogique.

Sans remettre en cause le volontarisme des acteurs et l'utilité intrinsèque de certaines mesures, le Sénat ne saurait se satisfaire de ce bilan bien modeste dans le champ de la lutte contre les séparatismes. Alors que les enjeux liés au séparatisme n'ont en aucun cas reflué en France, un sursaut est nécessaire. En conséquence, le Sénat formule 16 recommandations pour se donner les moyens d'une application pleine et effective de la loi CRPR.

Ces recommandations concernent des domaines relevant de la commission des lois au nom de laquelle le rapport a été présenté. Elles ne portent donc ni sur le domaine de l'école ni sur celui du sport.

L'ESSENTIEL

Près de trois ans après l'adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (ci-après « loi CRPR »), le bilan est encore loin d'être concluant. L'objectif affiché de ce texte essentiellement technique, qui n'avait pas été voté par le Sénat, était, d'une part, de se donner les moyens d'assurer le respect effectif des principes de la République et, d'autre part, de réformer le régime des cultes. Sur ces deux tableaux, les résultats sont peu probants.

Si certaines dispositions de la loi CRPR se sont effectivement avérées utiles - bien qu'inégalement appliquées sur le territoire et parfois pour d'autres finalités que celles initialement envisagées (ainsi les dispositions destinées à la lutte contre la haine en ligne ou celles relatives à la dissolution d'association) -, force est de constater que la plupart d'entre elles soit n'ont pas été suivies d'effets dans la pratique, soit sont passées à côté de la cible qui leur avait été assignée. C'est en particulier le cas des règles applicables aux associations qui ont paradoxalement trouvé à s'appliquer de manière indiscriminée à la quasi-totalité des associations françaises, lesquelles ont parfois pu se sentir stigmatisées, à l'exception de celles qui, plus sujettes au séparatisme, ont opté pour une posture discrète leur permettant de se soustraire à ces nouvelles obligations.

S'agissant des dispositions relatives aux cultes, qui étaient sans nul doute parmi les plus contestées, le constat général est également en demi-teinte : si les cultes qui avaient déjà constitué des associations exclusivement cultuelles se sont dans leur vaste majorité conformés à leurs nouvelles obligations, l'objectif d'une restructuration de l'organisation des cultes au profit du régime « loi de 1905 » n'a pas été atteint. Dans un contexte d'insuffisante préparation des services de l'État, l'application de la loi s'est en outre traduite par des divergences de pratiques mal vécues par les acteurs et qui nécessitent encore un important travail pédagogique.

Sans remettre en cause le volontarisme des acteurs et l'utilité intrinsèque de certaines mesures, le Sénat ne saurait se satisfaire de ce bilan bien modeste dans le champ de la lutte contre les séparatismes. Alors que les enjeux liés au séparatisme n'ont en aucun cas reflué en France, un sursaut est nécessaire. En conséquence, le Sénat formule dix-huit recommandations pour se donner les moyens d'une application pleine et effective de la loi CRPR.

Ces recommandations concernent des domaines relevant de la commission des lois au nom de laquelle le rapport a été présenté. Elles ne portent donc ni sur le domaine de l'école ni sur celui du sport.

I. DE NOUVEAUX OUTILS QUI N'ONT QUE MARGINALEMENT CONTRIBUÉ À GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

A. GARANTIR LA LAÏCITÉ DANS L'ADMINISTRATION : DES AMBITIONS LOUABLES, MAIS DES EFFETS CONCRETS LIMITÉS

1. Des référents laïcité de plus en plus nombreux mais insuffisamment identifiés

Peu innovante en matière de laïcité dans l'administration, la loi du 24 août 2021 a opéré des rappels s'agissant de l'action et de la déontologie des fonctionnaires et tenté de redynamiser, en lui donnant un statut législatif, une fonction de référent laïcité déjà plusieurs fois prévue par les textes ou mise en place de leur propre initiative par certains ministères3(*). L'article L. 124-3 du code général de la fonction publique (CGFP) issu de l'article 3 de la loi CRPR prévoit ainsi l'obligation pour toute administration de nommer un référent laïcité, notamment chargé d'apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout fonctionnaire ou chef de service qui le consulte et d'organiser la journée de la laïcité du 9 décembre. Ce dispositif est entré en vigueur avec le décret d'application n° 2021-1802 du 23 décembre 2021. Réunis annuellement, en dernier lieu le 18 décembre 2023, les référents laïcité ministériels sont censés être la courroie de transmission des règles et pratiques en matière de laïcité et opérer les remontées d'informations en la matière.

Outre des difficultés à trouver les profils et les compétences requises pour cette fonction, qui implique notamment de dresser annuellement « un état des lieux de l'application du principe de laïcité et, le cas échéant, des manquements constatés » dans l'administration, plusieurs questions se posent. Ainsi, si la fusion des postes de référent laïcité et de référent déontologue, déjà présents dans les administrations, a été présentée comme une manière de disposer d'une vision d'ensemble des obligations déontologiques des fonctionnaires, certains ministères au sein desquels les déontologues s'occupent principalement des questions relatives aux mobilités et aux liens avec le secteur privé, à l'instar des établissements hospitaliers par exemple, se trouvent confrontés à des difficultés pour accomplir véritablement les deux missions. Les administrations centrales craignent donc que des postes identifiés comme référent laïcité au sein de certains établissements ne soient en fait qu'une mise en conformité nominale mais sans mise en oeuvre réelle des missions prévues par la loi.

Les rapporteures préconisent donc que la formation des référents laïcité à leur mission spécifique soit garantie.

Le réseau des référents laïcité se construit progressivement : l'ensemble des référents ministériels avaient été nommés en 2022. Selon les données communiquées aux rapporteures, 17 000 ont été nommés à date, dont 14 000 au ministère de l'éducation nationale. L'appropriation de cette obligation par les collectivités territoriales semble toutefois plus laborieuse. À titre d'exemple, seules 3 communes iséroises sur 512 s'y étaient conformées fin 2022.

Sur le fond, les bénéfices de ce dispositif sont encore peu perceptibles. Les référents laïcité semblent, à ce jour, avoir essentiellement fait remonter quelques interrogations sur les modalités d'application de la loi CRPR à l'administration centrale, tandis que leur rôle de conseil est encore insuffisamment mobilisé. Le rapport annuel d'activité prévu par l'article 7 du décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique sera néanmoins établi pour la première fois au titre de l'année 2023 et devrait permettre de disposer à terme d'une photographie du nombre et du type d'atteintes à la laïcité et au principe de neutralité religieuse signalés indépendamment d'une procédure disciplinaire.

En conséquence, les rapporteures préconisent de créer dans chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'éducation nationale, chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre les formations organisées et de centraliser la remontée du nombre de saisines et les éventuelles questions posées.

2. Une formation des agents publics au principe de laïcité qui progresse à un rythme lent

Avant même l'adoption du projet de loi, le Gouvernement avait annoncé sa volonté de former l'ensemble des agents publics au respect du principe de laïcité d'ici 2025. Cette volonté a trouvé sa transcription législative dans l'article 3 de la loi CRPR et figure désormais à l'article L. 121-2 du CGFP4(*). Une stratégie de formation interministérielle a été mise en place au niveau de l'État, qui conjugue une formation « socle » de deux heures en distanciel pour l'ensemble des agents et des formations en présentiel pour les agents identifiés comme prioritaires, en particulier ceux en relation avec le public. Selon les données fournies aux rapporteurs, 505 000 agents publics ont aujourd'hui été formés à la laïcité (dont 380 000 au ministère de l'éducation nationale). Il n'existe toutefois pas de données agrégées au niveau des collectivités territoriales.

Les rapporteures estiment que l'objectif de formation de 100 % des agents d'ici à décembre 2025 est hors de portée. Si l'on peut se féliciter du volume important d'agents formés, celui-ci ne représente que 10 % des effectifs de la fonction publique. Elles relèvent par ailleurs que, sur un plan qualitatif, le caractère indiscriminé de ce plan de formation interroge.

De manière générale, le risque est relativement maîtrisé s'agissant des agents publics qui se sont de longue date approprié l'obligation de neutralité inhérente à leurs fonctions. Les cas signalés d'atteintes à la laïcité par des agents publics sont peu nombreux, même s'ils ne doivent pas être sous-estimés. Ce constat a par exemple été illustré par le rapport rendu en mars 2022 par Patrick Pelloux sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé. Il y relève que les situations de radicalisation ou d'atteintes à la laïcité sont rares mais bien présentes, avec par exemple des cas de non-respect de l'interdiction du port du voile ou de discrimination par certains soignants du patient en fonction de son genre.

À cet égard, les rapporteures se félicitent de l'adoption dans la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration du 26 janvier 2024, de l'obligation pour les praticiens diplômés en dehors de l'Union européenne de signer la charte des valeurs de la République et du principe de laïcité.

3. Des dispositifs de protection des agents publics encore imparfaits

Les agents publics restent régulièrement confrontés dans l'exercice de leur fonction à des situations problématiques s'agissant du respect des valeurs de la République. Afin de les protéger, le législateur a créé via l'article 9 de la loi CRPR un nouveau « délit de séparatisme » - codifié à l'article 433-3-1 du code pénal - punissant de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende le fait « d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».

Force est de constater que ces faits sont aujourd'hui relativement peu poursuivis. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a indiqué aux rapporteures avoir identifié trois dossiers avec des audiences à venir, sans être en mesure d'expliciter les faits allégués. Outre la nécessité d'un délai d'appropriation par les administrations, la DGAFP justifie notamment cette situation insatisfaisante par le périmètre trop restrictif du dispositif, qui suppose que la finalité de l'acte soit de bénéficier d'un traitement particulier et qui exclut les personnes qui exercent des missions au service du public. Si l'édiction rapide d'une instruction de politique pénale semble a minima indispensable pour davantage poursuivre ces faits, les rapporteures estiment également qu'un ajustement législatif de l'article 433-3-1 du code pénal ne doit pas être exclu à moyen terme.

B. UN CONTRÔLE DE L'ACTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES ENCORE INSUFFISANT ET HÉTÉROGÈNE

1. Une appropriation lacunaire de leurs nouvelles obligations par les collectivités

L'application des dispositions de la loi CRPR intéressant les collectivités territoriales est encore imparfaite. Les travaux des rapporteures ont mis en évidence d'importantes disparités dans l'appropriation de cette loi par les élus. En sus de la question de la désignation des référents laïcité, il est notamment possible de citer :

l'article 7 rendant obligatoire l'avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte : ce dispositif, dont la portée a été récemment précisée par le Conseil d'État, est de l'avis général encore mal identifié par les collectivités territoriales, ce qui a justifié un renforcement de l'information par les préfectures. À l'été 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis avait été saisi six fois sur ce fondement et celui de l'Isère tois fois ;

l'article 70 qui prévoit l'information du préfet de la garantie par une collectivité d'un emprunt contracté pour la construction d'un lieu de culte : l'administration n'a pas été en mesure de fournir de données chiffrées sur l'application de cette disposition, qui n'a jamais trouvé à s'appliquer dans les préfectures auditionnées (malgré l'envoi d'un courrier d'information par le préfet en Isère).

L'obligation de respect des principes de neutralité et de laïcité par les élus municipaux officiant en tant qu'agents de l'État, telle que codifiée par l'article L. 2122-34-2 du CGCT, ne suscite en revanche pas de difficultés particulières.

2. Un dispositif de contrôle de l'action des collectivités sous-utilisé

Avec l'article 5 de la loi CRPR, le législateur a souhaité créer une nouvelle voie de droit pour mieux contrôler le respect du principe de laïcité par les collectivités territoriales. Ce « déféré laïcité » demeure malheureusement largement théorique. Il n'a été mobilisé avec succès qu'en Isère, pour suspendre l'application d'une délibération du conseil municipal de Grenoble portant modification du règlement intérieur des piscines municipales. Le préfet de la Seine-Saint-Denis en a également fait usage à l'encontre d'une délibération autorisant la cession d'un terrain communal au bénéfice d'une association cultuelle à un prix considéré trop faible, mais a été débouté de sa demande. Les rapporteures ne peuvent que regretter que les préfectures se soient insuffisamment emparées de cet outil. Elles appellent à intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et à systématiser le recours au « déféré laïcité » en présence d'un acte problématique.

Sur le modèle des sous-préfets à la relance, il pourrait également être envisagé de désigner dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles et de nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.

C. DANS LE CHAMP ASSOCIATIF : DES DISPOSITIFS À LA PORTÉE RÉELLE LIMITÉE ET MAL REÇUS PAR LES ACTEURS

1. Le contrat d'engagement républicain : une coquille (presque) vide ?

L'article 12 de la loi CRPR conditionne l'octroi de subventions publiques aux associations ou fondations à la signature d'un « contrat d'engagement républicain » (CER) et impose le retrait des sommes allouées en cas de violation de cet engagement. Ce dispositif entré en vigueur en janvier 2022 a certes utilement complété un cadre juridique lacunaire qui reposait en partie sur des instruments de droit souple pour assurer le respect des principes de la République5(*) et où le retrait d'une subvention n'était qu'une faculté laissée à l'administration dans certains cas de figure déterminés. Pour autant, force est de constater que le CER est loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir pour la lutte contre le séparatisme dans la sphère associative. Aux termes de leurs travaux, les rapporteures considèrent que cet échec s'explique par deux causes principales :

- la signature du CER relève davantage d'une formalité administrative que d'un réel engagement : de fait, il s'agit d'un document difficilement accessible. Il prend ainsi la forme d'un tiret au formulaire Cerfa de demande de subvention n° 12156*06 qui précise que l'association « souscrit au contrat d'engagement républicain annexé au décret pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». Le contenu du contrat en lui-même n'est donc accessible que sur Légifrance, en annexe du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 ;

les services de l'État se sont insuffisamment emparés de ce nouvel outil : alors que près de 60 % des associations perçoivent des subventions publiques, seuls une poignée de cas de refus ou de retrait de subventions ont été portés à la connaissance des rapporteures6(*). Les subventions accordées par les collectivités territoriales représentent également un angle mort du dispositif. Outre la question récurrente de l'insuffisance des moyens alloués aux préfectures pour s'acquitter de cette mission, la validation récente par le Conseil d'État du décret d'application précité pourrait néanmoins favoriser un recours plus régulier à cet instrument7(*).

Dans ce contexte, les rapporteures appellent l'exécutif à faire du CER un document indépendant du formulaire de subvention, afin de traduire plus explicitement l'engagement consenti par la structure demandeuse d'une subvention publique.

2. Les autres dispositions applicables aux associations : des progrès ponctuels mais marginaux

La modernisation du régime des dissolutions administratives d'associations ou groupements de fait par l'article 16 de la loi CRPR a indéniablement sécurisé le recours à cet outil. Sur les six dissolutions décrétées en 2023 et 2024, quatre étaient par exemple partiellement fondées sur la nouvelle rédaction du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure8(*) tandis que le nouvel article L. 212-1-1 du même code, qui permet d'imputer à l'association les agissements de certains de ses membres, est mentionné dans 80 % des cas. S'il est vrai que la dissolution a pu être ponctuellement mobilisée à l'encontre d'associations ou de groupements qui n'étaient pas ceux initialement envisagés par le législateur, en particulier dans le cas des « Soulèvements de la Terre », les rapporteures n'y voient pas le dévoiement d'un instrument utile pour garantir un respect effectif des principes de la République. Pour plus d'efficacité, il gagnerait par ailleurs à être complété. Alors que le Sénat s'est récemment prononcé pour la création d'un régime spécifique de dévolution des biens des associations dissoutes, il convient notamment de faire aboutir ce processus au plus vite9(*).

Les rapporteures regrettent le bilan finalement maigre de la loi CRPR dans le champ de la lutte contre le séparatisme et soulignent que son application a entraîné une dégradation des relations avec le secteur associatif. Au-delà des exemples cités, la plupart des dispositifs adoptés ont une portée limitée, que ce soit en matière fiscale (seules deux amendes ont été prononcées pour une émission irrégulière de reçus fiscaux) ou s'agissant de la législation sur les fonds de dotation (qui semble faire l'objet d'une application très disparate selon les territoires). Alors que les associations séparatistes ont adopté une stratégie du « profil bas » qui leur permet d'échapper à la vigilance de l'administration, les nouvelles obligations pèsent finalement quasi-exclusivement sur des structures irréprochables sur le plan des principes de la République. Cela n'est pas sans conséquence, les acteurs du monde associatif ayant unanimement fait part d'un malaise face à une législation perçue, à tort mais de façon compréhensible, comme un signe de défiance à leur encontre.

II. UNE RÉFORME DU RÉGIME DES CULTES QUI N'A ENCORE QUE PEU FAVORISÉ LEUR RESTRUCTURATION OU LA LUTTE CONTRE LE SÉPARATISME

A. UNE MISE EN CONFORMITÉ EN DEÇÀ DES OBJECTIFS

1. Un processus complexe pour des administrations territoriales souvent trop peu préparées

L'article 69 de la loi CRPR constitue une évolution majeure des relations entre l'État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut prévu par la loi de 1905. L'article 88 entraînait l'obligation de déposer ce dossier de cultualité avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.

Cette mesure était centrale au projet de loi. Elle avait un double objectif. Le premier était de police administrative : s'assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d'association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France en utilisant les dispositions combinées des articles 69 et 7310(*) de la loi pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations relevant de la loi de 1905.

Les résultats obtenus, au prix d'importantes difficultés administratives, ne sont pas à la hauteur des attentes. Sans entraîner, au moins pour le moment, de bascule vers le régime de 1905, la nouvelle procédure de déclaration préalable a essentiellement conforté le sentiment de défiance des cultes, cette impression étant même partagée désormais par ceux qui étaient les plus engagés dans l'élaboration de la loi.

Les chiffres communiqués aux rapporteures font état de plus 3 000 associations actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d'instruction, dont 300 relevant du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles (les plus nombreuses étant les protestantes).

Les auditions conduites par les rapporteures leur ont permis de constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d'obstacles administratifs liés à l'impréparation des préfectures, sans doute faute d'information et de formation. Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d'engagement républicains. La méconnaissance des spécificités des associations cultuelle a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines qui leur était soumis, alors que ceux-ci sont définis par un accord international. La charge administrative pesant sur les membres des associations s'est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l'avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. La difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures de faire face à l'afflux des demandes (plus de 1 800 dossiers instruits entre début 2022 et juin 2023 plus de 1 200 nouvelles demandes entre juin 2023 et février 2024) s'est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l'attestation de qualité cultuelle que l'association est en droit de demander.

Ainsi que le Sénat l'avait adopté en 2021, les rapporteures souhaitent donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction suite à la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration.

2. Des effets paradoxaux qui demandent un travail de concertation et une mobilisation des services de l'État pour accompagner les structures les plus éloignées du cadre de 1905

La nouvelle procédure a également entraîné un effet paradoxal mais sans doute inévitable : l'obligation faite à des associations bénéficiant depuis parfois plusieurs décennies du statut d'association 1905 de se séparer d'une partie de leurs activités considérées comme sociales ou culturelles et dont la nature ou l'ampleur faisaient qu'elles ne pouvaient être considérées comme accessoires à l'activité cultuelle. Des associations relevant de la loi 1905 se sont donc trouvées face à l'obligation de créer des structures relevant de la loi de 1901 pour ne pas se voir refuser le caractère cultuel. C'est sous la seule forme d'associations de loi 1901 qu'elles pourront continuer à conduire des activités qu'elles assumaient historiquement. Ces cas, auxquels s'ajoute l'incertitude liée à la notion d'activité annexe, susceptible d'être interprétée différemment selon les préfectures, ont renforcé le sentiment d'associations cultuelles de se trouver soumises à des contraintes disproportionnées au regard de l'ancienneté de leur engagement républicain.

Tant la Fédération protestante de France que le Grand Rabbin ont fait part à vos rapporteures de difficultés techniques et juridiques persistantes. Certaines sont susceptibles de faire obstacle à la location des biens immobiliers, possibilité qui découle de la loi CRPR (article 71), d'autres sont relatives à la difficulté de mobiliser les fonds destinés à la rénovation des bâtiments religieux.

Au regard des difficultés rencontrées par les associations, il est également important que le ministre de l'intérieur puisse envisager avec les cultes des solutions aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales historiques des associations cultuelles.

Il apparaît également particulièrement important aux rapporteures que le travail engagé avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur se poursuive pour publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

L'accompagnement des associations mixtes vers le statut de 1905 doit être une mission prioritaire mobilisant l'action des préfectures. Les exemples de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise où les préfets ont mené une politique active d'incitation, et parfois de sanction avec le prononcé d'astreintes en cas de non mise en conformité des statuts, mais aussi d'accompagnement, montrent que des actions de ce type sont efficaces. Il exige la mobilisation des services de l'État.

Ce travail est d'autant plus nécessaire que, face à la complexité des démarches à accomplir, une activité de conseil et d'accompagnement s'est développée au sein du secteur, qui ne peut que renforcer la crédibilité et le poids de ceux qui s'y consacrent. Or si ce travail est utile et pleinement légitime s'agissant des fédérations interlocutrices habituelles de l'État, ou du groupe de travail constitué au sein du forum de l'islam de France il est susceptible de poser question s'agissant de structures moins établies, voire de favoriser l'entrisme.

3. Une structure de dialogue avec l'islam de France encore en mal de légitimité : le forum de l'islam de France (FORIF)

Parallèlement à la loi du 24 août 2021, le Président de la République a souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes, dans l'« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d'un Islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l'entrisme de ceux qui s'opposent à la République et sont des propagateurs de haine ». Lancé en février 2022 au palais d'Iena, réuni au Palais de l'Élysée en février 2023 et au ministère de l'intérieur en février 2024, le FORIF est une structure dont le devenir interroge les rapporteures. Constitué de groupes de travail, le forum se voit appelé par l'État à se pencher sur des sujets d'une particulière importance, les violences anti-musulmanes ou le statut des imams par exemple. Il doit même être le porteur d'un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait de ministre de l'intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier.

Pourtant, comme l'indique le ministre, le FORIF est une méthode et non une structure ; ni sa composition, ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré des demandes répétées. Sans minimiser l'intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail du FORIF, la transition d'une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l'État.

Les rapporteurs souhaitent donc que la composition du FORIF soit rendue publique dans les meilleurs délais.

B. DES FINANCEMENTS ÉTRANGERS QUI ONT EFFECTIVEMENT DIMINUÉ

Les nouvelles obligations imposées aux associations cultuelles en matière de déclaration des financements étrangers semblent avoir produit leurs effets. Le service de renseignement Tracfin a ainsi indiqué aux rapporteurs avoir observé un « effet signal » qui se traduit par une nette diminution des flux de financements, désormais résiduels. Si Tracfin a reçu 21 650 déclarations de soupçons portant sur la thématique cultuelle au sens large entre 2019 et octobre 2023, une nette décroissance a été observée à partir de l'entrée en vigueur de la loi CRPR (-30 %). Si les rapporteures soulignent la réussite de ce pan de la loi CRPR, elles appellent toutefois à ne pas relâcher la vigilance au cours des prochaines années.

C. LE RENFORCEMENT DES INFRACTIONS À LA LÉGISLATION SUR LES CULTES : DES DISPOSITIONS ESSENTIELLEMENT COSMÉTIQUES ?

La police des cultes a pour objet de garantir le respect de l'ordre public dans le cadre des pratiques religieuses. Elle revêt plusieurs aspects, également importants aux yeux du Sénat. Or si la police des lieux de culte a été mise en oeuvre, les mesures relatives aux ministres des cultes ou aux pressions religieuses n'ont pas trouvé à s'appliquer.

1. Une mesure nécessaire : la fermeture temporaire des lieux de culte

L'article 87 de la loi CRPR a donné au préfet la possibilité de prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent, provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence. Cette mesure permet de prévoir la fermeture de lieux de cultes où est prôné le séparatisme sans avoir à se fonder sur les dispositions existantes en matière de terrorisme ou sur les dispositions techniques relatives aux établissements recevant du public. Lors de son audition par la commission des lois le 27 février dernier, le ministre de l'intérieur a évoqué 18 fermetures intervenues depuis la fin de l'état d'urgence sanitaire grâce à la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) de 2017, puis à la loi confortant le respect des principes de la République. Il a fait état de sa satisfaction sur le fonctionnement de la mesure en indiquant que sa limitation à deux mois renouvelables n'était pas pour lui un obstacle pratique : en effet, « lorsque nous fermons le lieu de culte, c'est pour faire le ménage au sein de l'association. Cela fonctionne très bien. Dans le cas très précis d'une mosquée en banlieue parisienne, j'ai même anticipé la réouverture, car l'association a pris des décisions telles que se séparer de l'imam, mettre fin à des financements et changer de président ».

2. Une mesure imparfaite : la clause « anti-putsch »

L'article 68 de la loi CRPR a fait évoluer les règles de fonctionnement des associations relevant de la loi de 1905 vers plus de démocratie, ce qui a été salué par les représentants des cultes entendus lors des auditions des rapporteures. Cet article avait également pour but d'agir préventivement par une clause dite « anti-putsch » imposant que les statuts associatifs soumettent certains actes importants à la délibération d'un organe collégial (nouvelles adhésions, modification statutaire, cessions et, le cas échéant, recrutement de ministres du culte).

Tant les représentants de cultes que les services de l'État ont pointé le faible nombre de situations dans lesquelles cette mesure avait pu utilement s'appliquer. Il apparaît, que sans pouvoir éviter la prise en main des associations par des éléments extrémistes la clause ne permet pas non plus de remédier aux putschs s'ils surviennent. Il est donc proposé de réfléchir à une évolution de cette disposition afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement des actes problématiques.

3. Des mesures trop peu investies par la justice

Le Sénat avait, lors de la discussion de la loi CRPR, souhaité un renouvellement de la police des cultes, qui dès 1905 visait les comportements séparatistes des ministres des cultes et d'individus prétendant imposer des pratiques religieuses. Notre assemblée avait donc augmenté les peines applicables aux ministres provoquant publiquement, dans les lieux où s'exerce le culte, à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, au soulèvement ou à la guerre civile (article 82 de la loi CRPR). Elle avait également souhaité élargir les circonstances aggravantes pour ceux qui « ont agi en vue de déterminer [une personne] à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. » (article 81 de la loi CRPR).

Les rapporteurs n'ont cependant pu que constater que la justice est très peu saisie des questions relatives à la police des cultes et que les mesures prises ne trouvent quasiment pas à s'appliquer. On peut bien sûr penser que le nombre de cas où les infractions seraient constituées est réduit. Mais il se peut aussi que le traitement administratif soit privilégié dans les procédures contre les ministres des cultes. Les rapporteures craignent également des pressions exercées pour qu'une personne pratique une religion ne soient trop souvent négligées, spécialement dans le cadre familial.

Il est donc recommandé :

- qu'une circulaire conjointe des ministres de l'intérieur et de la justice encourage la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d'éviter un traitement purement administratif de ces questions ;

- que soit intégrée à l'article 31 de la loi de 1905 l'aggravation des peines voulue par le Sénat dans le cas où un membre de la famille force la participation à un culte.

LISTE DES PROPOSITIONS

LES RECOMMANDATIONS POUR GARANTIR LE RESPECT
DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Sur le respect de la laïcité dans l'administration

Proposition n° 1 - Prévoir pour chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'Éducation nationale, chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre l'organisation des formations et de centraliser la remontée du nombre de saisines et les éventuelles questions posées.

Proposition n° 2 - Sensibiliser les collectivités territoriales à leur obligation de nomination d'un référent laïcité et se donner les moyens d'un recensement exhaustif des nominations effectuées dans les territoires.

Proposition n° 3 - À court terme, prioriser la poursuite des faits de séparatisme visés à l'article 433-3-1 du code pénal par l'édiction d'une circulaire de politique pénale. À moyen terme, envisager la modification de la rédaction de ce délit afin d'en élargir les critères.

Sur les obligations et le contrôle des collectivités territoriales

Proposition n° 4 - Encourager les associations d'élus à prendre des positions communes en matière de défense contre les atteintes à la neutralité du service public et contre les pratiques associatives contraires aux principes de la République.

Proposition n° 5 - Intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et systématiser le recours au « déféré-laïcité » en présence d'un acte problématique.

Proposition n° 6 - Envisager la désignation dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.

Sur la lutte contre le séparatisme dans le champ associatif

Proposition n° 7 - Faire du contrat d'engagement républicain un document indépendant de la demande de subvention, afin de mieux traduire l'engagement consenti par l'association ou la fondation.

Proposition n° 8 - Systématiser la transmission par les collectivités territoriales au préfet des demandes de subventions des associations dont le contrôle est jugé prioritaire en matière de lutte contre le séparatisme.

Proposition n° 9 - Faire aboutir au plus vite la création d'un nouveau régime de dévolution des biens des associations dissoutes et envisager celle d'un régime de gel des avoirs applicable à leurs membres.

LES RECOMMANDATIONS POUR ACCÉLÉRER
LA RÉFORME DE L'ORGANISATION DES CULTES ET ASSURER
LE LIBRE EXERCICE DU CULTE

Sur la réforme du régime des cultes

Proposition n° 10 - Conformément au vote du Sénat lors de la discussion du projet de loi, introduire plus de souplesse lors du renouvellement des demandes des associations dont la qualité cultuelle aura déjà été reconnue pour une première période de cinq ans :

- Si, informée de la volonté d'une association de voir la reconnaissance de sa qualité cultuelle prolongée pour cinq nouvelles années, l'administration ne lui répond pas, la prolongation sera automatique par tacite reconduction ;

- Si, à l'inverse, l'administration souhaite disposer de plus d'informations pour exercer son contrôle, elle peut décider de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration, et se réserve ainsi le moyen de former opposition au vu du nouveau dossier qui lui sera soumis.

Proposition n° 11 - Publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

Proposition n° 12 - Répondre, en lien avec la sous-direction en charge des cultes et les ministères concernés, aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales des associations cultuelles.

Proposition n° 13 - Publier dans les plus brefs délais la composition du Forum de l'Islam de la France et garantir la transparence de son fonctionnement.

Proposition n° 14 - Faire évoluer la clause « anti-putsch » afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement d'actes problématiques.

Sur le traitement des infractions à la législation sur les cultes

Proposition n° 15 - Encourager par le biais d'une circulaire conjointe des ministres de l'intérieur et de la justice la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d'éviter un traitement purement administratif de ces questions.

Proposition n° 16 - Intégrer à l'article 31 de la loi de 1905 l'aggravation des peines voulue par le Sénat dans le cas où un membre de la famille force la participation à un culte.

I. DES OUTILS VISANT À GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE ENCORE MÉCONNUS ET SOUS-UTILISÉS

A. LA LAÏCITÉ DANS L'ADMINISTRATION : DES OBJECTIFS QUANTITATIFS PLUTÔT SATISFAITS, POUR DES RÉSULTATS INCERTAINS SUR LE TERRAIN

1. Un réseau de référents laïcité qui se construit progressivement mais qui gagnerait à être mobilisé plus activement
a) L'obligation pour les administrations publiques de désigner un référent laïcité

L'article 3 de la loi CRPR impose aux administrations publiques de désigner un référent laïcité, chargé « d'apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout agent public ou chef de service qui le consulte » et « d'organiser une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année ».

Cette obligation est désormais codifiée à l'article L. 124-3 du code général de la fonction publique (CGFP).

Les administrations concernées
par l'obligation de désignation d'un référent laïcité

La liste des administrations concernées par l'obligation de désigner un référent laïcité est fixée par l'article L. 124-3 du CGFP et comprend :

- les administrations de l'État ;

- les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes ;

- les établissements publics de l'État ;

- les collectivités territoriales et leurs établissements publics ;

- les établissements publics de santé ;

- les centres d'accueil et de soins hospitaliers11(*) ;

- les établissements publics locaux accueillant des personnes âgées12(*) ;

- les établissements publics locaux mettant en oeuvre des mesures de protection de l'enfance ou d'aide sociale à l'enfance13(*) et les autres établissements non dotés de la personnalité morale relevant des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance ;

- les établissements publics locaux et établissements non dotés de la personnalité morale gérés par des personnes morales de droit public autres que l'État et ses établissements publics prenant en charge des mineurs ou adultes handicapés, présentant des difficultés d'adaptation ou atteints de pathologies chroniques14(*) ;

- les établissements publics locaux et établissements non dotés de la personnalité morale gérés par des personnes morales de droit public autres que l'État et ses établissements publics prenant en charge des personnes ou des familles en difficulté ou en situation de détresse ou des demandeurs d'asile15(*).

Ce faisant, la loi CRPR a consacré au niveau législatif, tout en la généralisant, une pratique existante. La fonction de référent laïcité préexistait en effet à la loi CRPR, de même que l'obligation d'en nommer un dans certaines administrations.

Dès 2011, une circulaire du ministère de l'intérieur16(*) prévoyait ainsi la désignation, dans chaque préfecture, d'un correspondant laïcité, supposé devenir « le référent des élus et des chefs de service de l'État sur l'ensemble des questions liées à l'application du principe de laïcité et notamment de la mise en oeuvre du principe de neutralité du service public à l'égard des opinions religieuses ».

Des correspondants chargés des questions de laïcité et de pratique religieuse ont également été nommés dans les établissements hospitaliers, à compter de 201117(*).

La désignation d'un référent laïcité a en outre été rendue obligatoire dans les administrations de l'État, à compter de 2017. À la suite de l'introduction par une disposition législative expresse de l'obligation, pour chaque fonctionnaire, de respecter le principe de laïcité18(*), une circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique a en effet introduit l'obligation, pour chaque administration de l'État, de désigner un référent laïcité clairement identifié.

Les référents laïcité avant la loi CRPR : l'exemple de l'éducation nationale

Dès l'année 2018, le ministère de l'éducation nationale a mis en place un dispositif spécifique et complet pour assurer la bonne transmission du principe de laïcité dans les écoles et les établissements et pour accompagner le personnel dans la mise en oeuvre de ce principe.

Ce dispositif s'articule autour de trois équipes : une équipe au niveau académique, une équipe au niveau national et un conseil des Sages de la laïcité.

Au niveau académique, un référent laïcité est placé auprès du recteur. Accompagné d'une « équipe académique laïcité et fait religieux » placée sous l'autorité du recteur, il est chargé de :

- former les personnels de l'éducation nationale sur les questions de laïcité pour prévenir les atteintes à la laïcité ;

- recueillir les signalements des directeurs d'écoles et d'établissements, qui font office de référents de proximité, en cas d'atteinte au principe de laïcité et, le cas échéant, transmettre les alertes les plus graves à une cellule interministérielle de veille et d'alerte ;

- accompagner les personnels de l'éducation nationale en cas d'atteinte au principe de laïcité, pour proposer une réponse adaptée à la gravité des faits signalés ;

- recenser et analyser les atteintes au principe de laïcité, pour permettre l'établissement d'un état des lieux général, sur l'ensemble du territoire national. Un bilan est transmis chaque trimestre à l'équipe nationale.

Au niveau national, une équipe nationale « valeurs de la République », placée sous l'autorité du secrétaire général du ministère et réunissant des experts (juristes, psychologues, etc.), est chargée d'animer le réseau des référents laïcité, de recueillir les bilans transmis par les équipes académiques pour établir un état des lieux national et d'élaborer un programme national de formation du personnel de l'éducation nationale.

Il existe par ailleurs, au niveau national, une cellule interministérielle de veille et d'alerte, chargée d'accompagner les académies en cas de faits graves.

Enfin, un conseil des Sages de la laïcité, placé auprès du ministre de l'éducation nationale et composé d'experts et de personnalités qualifiées est chargé de préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité et constitue ainsi le garant d'une doctrine claire, unifiée et cohérente.

b) Les missions assurées par les référents laïcité

Les missions des référents laïcité ont été détaillées par le décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique.

Les référents laïcité sont ainsi chargés :

- de conseiller les agents publics et les chefs de service pour la mise en oeuvre du principe de laïcité, qu'il s'agisse de conseils sur des situations individuelles ou sur des questions d'ordre général, étant précisé que le chef de service reste seul décisionnaire ;

- de promouvoir le principe de laïcité et de sensibiliser les agents publics à ce sujet, notamment en assurant la diffusion d'informations régulières relatives à la laïcité au sein de l'administration concernée ;

- de s'assurer, en lien avec le service des ressources humaines compétent, du suivi de la formation obligatoire à la laïcité par les agents publics relevant de son périmètre, afin d'atteindre l'objectif de 100 % d'agents publics formés d'ici 2025, fixé par le Comité interministériel de la laïcité (CIL) ;

- d'organiser la journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année ;

- d'établir un rapport annuel d'activité dressant un état des lieux de l'application du principe de laïcité, recensant les éventuelles atteintes constatées à ce principe, rendant compte des actions de promotion de la laïcité menées au cours de l'année écoulée et faisant état du suivi de la formation obligatoire à la laïcité des agents publics relevant de son périmètre.

Un référent laïcité ministériel, désigné dans chaque département ministériel par le ministre compétent, est chargé de coordonner l'action des référents laïcité, d'assurer la transmission des règles et pratiques en matière de laïcité et de recenser les informations transmises par le réseau des référents laïcité.

La journée de la laïcité

Chaque année depuis 2015, année correspondant au 110anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, une journée de la laïcité à l'école de la République est organisée le 9 décembre - ce jour correspondant à la date de promulgation de la loi précitée. L'objectif de cette journée était d'inviter la communauté éducative à organiser, « dans les écoles et dans les établissements scolaires, la tenue de débats ou de conférences [et de prendre] toutes les initiatives pédagogiques susceptibles de mobiliser la réflexion des élèves et l'action collective en vue de la mise en valeur du sens et du bénéfice du principe de laïcité19(*) ». 

Depuis l'entrée en vigueur de la loi CRPR, cette journée, organisée par les référents laïcité, a été institutionnalisée et généralisée à l'ensemble de la fonction publique. Cette journée donne également lieu à la remise du prix de la laïcité de la République française.

c) Un premier bilan contrasté de l'action des référents laïcité
(1) Un réseau de référents laïcité en cours de déploiement

Le réseau des référents laïcité se construit progressivement. Ainsi, l'ensemble des référents ministériels, chargés de coordonner l'action des référents laïcité désignés au sein des directions et des services déconcentrés relevant de leur département ministériel, avaient été nommés à l'issue du premier semestre 2022.

Par ailleurs, le réseau des référents laïcité ministériels, animé par le ministère de la transformation et de la fonction publiques et par le ministère de l'intérieur et des outre-mer, a été officiellement lancé le 10 mars 2022.

S'agissant de l'ensemble des référents laïcité, les dernières données communiquées aux rapporteures font état de près de 17 000 référents laïcité nommés en février 2024 dans les administrations de l'État, dont 14 000 au ministère de l'éducation nationale. L'ensemble des agences régionales de santé (ARS) ont également désigné leurs référents, y compris dans les délégations départementales.

Le rythme des nominations de référents laïcité semble également s'être accéléré sur la période récente : ainsi, sur un total d'environ 1 300 référents devant être désignés, 700 d'entre eux avaient été nommés à l'été 2023 et les dernières données transmises font état de 1 200 nominations au 1er mars 2024.

Référents laïcité nommés par département ministériel
au 1er mars 2024

Périmètre ministériel

Référents laïcité nommés

Ministère de l'agriculture

33

Ministère des armées

6

Ministère de la transition écologique

1

Ministère de la culture

83

Ministère de l'économie et des finances

17

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

14 000

Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

72

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

174

Ministère de la justice

136

Ministères sociaux

1 050

Ministère de l'intérieur et des outre-mer

1 203

Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique

Le bilan apparaît encore plus contrasté, selon les administrations considérées. L'appropriation de cette obligation par les collectivités territoriales semble notamment plus laborieuse. À titre d'exemple, seules trois communes iséroises sur un total de 512 communes avaient désigné un référent laïcité à la fin de l'année 2022.

Par ailleurs, le recensement des référents nommés est lacunaire et ne permet pas d'avoir une vision d'ensemble du respect de cette obligation. Il est par exemple complexe, selon la direction générale de l'offre de soins (DGOS), d'obtenir une cartographie fine du respect de cette obligation dans les établissements et services de santé et médico-sociaux. En effet, si les ARS disposent des listes des référents désignés dans chaque établissement, celles-ci ne sont pas systématiquement communiquées à la DGOS. Aussi, la DGOS ne dispose pas de chiffres précis sur l'évolution du nombre de référents laïcité dans ces établissements depuis l'entrée en vigueur de la loi CRPR20(*).

(2) Une articulation avec le référent déontologue qui n'a pas été suffisamment pensée en amont

Selon les données communiquées aux rapporteures, de nombreuses administrations ont fait le choix de confier la fonction de référent laïcité à leur référent déontologue, déjà désigné.

Cette possibilité avait été ouverte dès 2017 : une circulaire du 15 mars 2017 du ministre de la fonction publique avait ainsi prévu que « selon les spécificités des missions et l'organisation de chaque administration, les conseils [en matière de laïcité] pourront être apportés soit par un correspondant ou un référent laïcité dédié, soit par le référent déontologue créé par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. » 

S'agissant par exemple des communes, 70 % des centres de gestion ont confié ce poste à leur référent déontologue et ne disposent ainsi pas de référent laïcité spécifique.

Le référent déontologue

Créé par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, le référent déontologue a pour mission d'apporter aux agents publics (qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels) « tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques21(*) ».

Ces principes déontologiques recouvrent par exemple les obligations de dignité, d'impartialité, d'intégrité, de probité ou encore de neutralité.

Si ce choix s'explique partiellement par les difficultés à trouver les profils et les compétences requises pour exercer cette fonction, il a également été présenté comme une manière de disposer d'une vision d'ensemble et transversale des questionnements déontologiques des fonctionnaires.

La fusion des postes de référent laïcité et de référent déontologue pose toutefois plusieurs difficultés. Dans certaines administrations, les référents sont confrontés à des difficultés pour accomplir véritablement les deux missions et peuvent ainsi se voir contraints de délaisser leur rôle en matière de laïcité pour se concentrer sur les questions relatives à la mobilité dans la fonction publique et aux liens avec le secteur privé.

Les administrations centrales craignent donc que des postes identifiés comme référent laïcité au sein de certains établissements ne soient en fait qu'une mise en conformité nominale, sans mise en oeuvre réelle des missions prévues par la loi, ce qui interroge sur l'efficacité réelle du dispositif.

Pour autant, les rapporteures considèrent que le choix de nommer une même personne aux deux fonctions peut se justifier, eu égard aux nécessités de faciliter l'identification de l'interlocuteur pertinent pour les agents et de faire le meilleur usage possible des ressources humaines disponibles.

(3) Des résultats encore limités

Sur le fond, les bénéfices résultant de l'action des référents laïcité nommés sont à ce jour encore peu perceptibles.

Si les agents publics sont plutôt demandeurs de conseils en matière d'application du principe de laïcité, à ce stade, les référents laïcité semblent avoir essentiellement fait remonter à l'administration centrale quelques interrogations sur les nouvelles dispositions prévues par la loi CRPR ou sur les contours du principe de neutralité.

Leur rôle de conseil semble en revanche être encore peu mobilisé au sein des services, de même que leur rôle en matière de remontée des éventuels manquements constatés au principe de laïcité ou de suivi de la formation des agents publics en matière de laïcité.

Malgré la généralisation et la consécration au niveau législatif de l'obligation, pour l'administration, de désigner un référent laïcité, la situation semble finalement n'avoir que peu évolué depuis 2021. En effet, dès cette année-là, durant l'examen de la loi CRPR22(*), les rapporteures avaient constaté un nombre de saisines des référents très faible ainsi qu'une trop faible identification de ces référents par les agents publics.

(4) Un dispositif qui doit encore être conforté pour être pleinement efficace

En résumé, si la construction du réseau de référents laïcité se fait à un rythme globalement satisfaisant, il importe désormais de garantir l'efficacité de ce dispositif.

S'agissant des remontées d'informations ayant trait aux nombres de saisines, aux éventuels manquements constatés, aux types de questions formulées auprès des référents ou au suivi des formations, le rapport annuel d'activité prévu par l'article 7 du décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique devrait être prochainement établi pour la première fois au titre de l'année 2023 et permettra de disposer, à terme, de ces éléments.

La mission considère toutefois qu'il est possible d'aller plus loin pour assurer une remontée rapide des informations recueillies par les référents laïcité, en instaurant, dans chaque fonction publique, un collège sur le modèle du collège des Sages de la laïcité au sein de l'Éducation nationale, qui serait chargé de construire une doctrine claire et unifiée en matière de laïcité ainsi que d'animer le réseau des référents laïcité et de centraliser le recueil des informations en termes de suivi du nombre d'agents ayant bénéficié de la formation obligatoire en matière de laïcité par exemple.

Proposition n° 1 : Prévoir pour chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'Éducation nationale, chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre l'organisation des formations et de centraliser la remontée du nombre de saisines et les éventuelles questions posées.

Par ailleurs, si le nombre global de référents laïcité désignés et le rythme de leur nomination apparaissent satisfaisant, d'importantes disparités demeurent entre les différentes fonctions publiques, notamment dans la fonction publique territoriale, comme mentionné supra. Les rapporteures préconisent donc que les préfets mettent en place une action de sensibilisation auprès des collectivités territoriales s'agissant de cette obligation.

Des marges de progrès demeurent également s'agissant du suivi des nominations de référents laïcité, notamment dans les établissements de santé et dans les établissements médico-sociaux. Pour s'assurer du respect de l'obligation introduite par la loi CRPR, il apparaît pourtant indispensable d'assurer un recensement exhaustif des nominations effectuées sur l'ensemble du territoire national.

Proposition n° 2 : Sensibiliser les collectivités territoriales à leur obligation de nomination d'un référent laïcité et se donner les moyens d'un recensement exhaustif des nominations effectuées dans les territoires.

2. Une formation des agents publics à grande échelle qui a atteint son rythme de croisière
a) L'obligation de formation à la laïcité des agents publics introduite par la loi CRPR

L'article 3 de la loi CRPR a également introduit une obligation de formation à la laïcité des agents des trois fonctions publiques. Codifié à l'article L. 121-2 du CGFP, celui-ci prévoit que l'agent public « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s'abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe ».

Selon la direction générale de l'administration et de la fonction publiques (DGAFP), entendue par les rapporteures, l'objectif poursuivi par cette mesure est de favoriser l'appropriation de ce principe par les agents publics, qui en sont, au quotidien, les premiers garants.

À l'issue de cette formation, les agents publics doivent plus précisément, selon les référentiels de formation établis au niveau interministériel :

- comprendre les principes de laïcité et de neutralité, connaître leur origine historique et les références juridiques en la matière et appréhender leurs enjeux et objectifs ;

- connaître le sens et la portée du principe de laïcité dans les services publics afin de leur permettre d'identifier les difficultés en situation professionnelle et d'adopter un positionnement adéquat ;

- confronter ou comparer l'application du principe de laïcité dans différents contextes professionnels afin d'en analyser les spécificités et consolider son intervention dans son contexte professionnel propre.

Avant l'introduction de cette disposition, certains ministères avaient déjà déployé ce type de dispositifs. C'était notamment le cas du ministère de l'éducation nationale ou encore du ministère de la justice. Le 14 juin 2021, tirant les conséquences de l'assassinat de Samuel Paty en 2020, le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait par ailleurs lancé officiellement un vaste plan de formation à la laïcité sur quatre ans pour tout le personnel de l'éducation nationale, incluant les enseignants, les chefs d'établissement, les conseillers principaux d'éducation ou encore les inspecteurs.

La loi CRPR a donc avant tout généralisé une pratique dont certains départements ministériels s'étaient déjà saisis.

b) Pour atteindre l'objectif de formation de 100 % des agents publics d'ici 2025, un plan de formation à grande échelle a été mis en place

Avant même l'entrée en vigueur de la loi CRPR, le comité interministériel de la laïcité (CIL) avait fixé un objectif de formation de 100 % des agents publics d'ici au 9 décembre 2025.

Selon les éléments transmis aux rapporteures par la DGAFP et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), pour atteindre cet objectif, un dispositif de formation inter-fonctions publiques reposant sur des référentiels de compétences et de formations communes a été déployé au niveau de l'État. Cette stratégie interministérielle de formation à la laïcité s'appuie sur un socle de formation composé :

- d'un module de formation à distance intitulé « Les fondamentaux de la laïcité », obligatoire pour tous les agents publics23(*), d'une durée de deux heures et accessible sur la plateforme interministérielle « Mentor ». Ce module combine des exercices théoriques et pratiques, avec en particulier des études de cas reprenant des situations auxquelles sont régulièrement confrontés les agents publics ;

d'un atelier « analyse et pratique », obligatoire seulement pour les publics prioritaires, c'est-à-dire ceux les plus exposés aux problématiques de la laïcité tels que les agents au contact du public, les encadrants et les agents des services de ressources humaines. Cet atelier vise à approfondir le module commun évoqué supra et consiste en l'analyse de situations rencontrées par les agents pendant l'exercice de leurs fonctions ou des études de cas ;

d'une formation de deux jours en présentiel, conçue par la DLPAJ et destinée uniquement aux référents laïcité, qui ont besoin d'une formation spécifique pour exercer leur mission ;

de modules spécifiques, non obligatoires, qui seront proposés notamment aux personnels des services de ressources humaines et aux personnels d'encadrement.

c) Une formation des agents publics qui progresse à un rythme trop lent pour atteindre l'objectif fixé par le comité interministériel de la laïcité et dont le caractère indiscriminé interroge
(1) Sur le plan quantitatif, un rythme de formation trop lent pour atteindre l'objectif de formation de 100 % des agents publics d'ici 2025

La stratégie de formation mise en oeuvre depuis l'entrée en vigueur de la loi CRPR a permis de former de nombreux agents publics au principe de laïcité. Selon les données communiquées aux rapporteurs, 505 000 agents publics ont été formés dans ce cadre au 1er mars 2024 - dont 380 000 au ministère de l'éducation nationale. Il n'existe en revanche pas de données agrégées au niveau des collectivités territoriales, ce qui ne permet pas de disposer d'une réelle vision d'ensemble du nombre d'agents publics formés.

Ce nombre important d'agents publics formés s'accompagne, selon les informations transmises aux rapporteures, de retours généralement positifs de la part des agents publics en ayant bénéficié, qui soulignent le caractère adapté de l'approche à la fois théorique et pratique qui leur est proposée, avec en particulier des études de cas adaptées aux situations qu'ils rencontrent au quotidien.

Toutefois, le rythme de formation des agents publics demeure encore trop lent pour atteindre l'objectif fixé par le CIL. S'il n'est pas négligeable en volume, le chiffre de 505 000 agents formés ne représente en effet que 10 % des effectifs totaux de la fonction publique.

La mission d'information estime ainsi que l'objectif de formation de 100 % des agents publics d'ici le 9 décembre 2025 est hors de portée.

(2) Sur le plan qualitatif, des formations dont le caractère indiscriminé interroge

Sur un plan qualitatif, la mission d'information s'interroge également sur le caractère indiscriminé de ce plan de formation, qui s'impose à l'ensemble des agents publics.

En effet, le risque est relativement maîtrisé s'agissant des agents publics qui se sont de longue date approprié les obligations de neutralité et de respect du principe de laïcité inhérentes à l'exercice de leurs fonctions.

Les cas signalés d'atteintes à la laïcité par des agents publics sont peu nombreux, même s'ils ne doivent pas être sous-estimés.

Ce constat a par exemple été illustré par le rapport rendu en mars 2022 par Patrick Pelloux sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé. Il y relève que « les auditions [conduites dans le cadre de la mission] ont souligné un faible nombre de signalements de radicalisation d'agents hospitaliers, bien que le phénomène soit toutefois en augmentation depuis une dizaine d'années ». Les cas signalés concernent le plus souvent « des cas de prosélytisme ou d'atteintes à la laïcité dans les services hospitaliers », avec par exemple des cas de non-respect de l'interdiction du port du voile ou de discrimination par certains soignants du patient en fonction de son genre, pouvant conduire jusqu'à un refus de soins.

Le rapport de Patrick Pelloux sur la prévention et la lutte
contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé

Le rapport de Patrick Pelloux remis au ministre des solidarités et de la santé le 3 mars 2022 dresse un état des lieux des manquements au principe de laïcité rencontrés dans les établissements de santé.

Le rapport souligne la croissance lente des phénomènes de radicalisation, de prosélytisme et d'atteinte à la laïcité parmi les agents hospitaliers, alors que ces phénomènes étaient quasiment inexistants avant les années 1990. Les cas d'intervenants extérieurs tels que les aumôniers, outrepassant leur mission pour effectuer du prosélytisme auprès des personnels de santé et des patients, apparaissent aussi en augmentation.

Face à ce constat, le rapport formule 19 recommandations visant à rendre la politique de prévention et de lutte contre la radicalisation dans les établissements de santé plus efficace et préconise notamment de :

- rendre obligatoire la signature de la charte de la laïcité lors de l'embauche de tout agent exerçant dans un établissement de santé ;

- renforcer la formation initiale et continue sur la laïcité et le fait religieux pour les personnels soignants, techniques et administratifs ;

- renforcer le contrôle des personnels hospitaliers par un meilleur partage d'informations sur les profils à risque et la possibilité d'enquêtes administratives avant leur embauche ;

- renforcer l'encadrement des associations intervenant dans les établissements de santé et médico-sociaux.

Selon les données transmises par la DGAFP, pour l'année 2021, seules sept sanctions ont été prononcées à raison de manquements à la neutralité religieuse ou au principe de laïcité commis par un agent dans le cadre de ses fonctions. Les faits sanctionnés concernent essentiellement des comportements de prosélytisme, discriminatoires ou irrespectueux.

Concernant plus spécifiquement les établissements de santé et médico-sociaux, selon le « baromètre Laïcité » des ministères sociaux24(*), 64 atteintes à la neutralité par des agents publics ont été signalées par l'ensemble des ARS au cours du troisième trimestre 2022, concernant également principalement des faits de prosélytisme ou de port de signes religieux - plus rarement des faits de prière ou des problématiques liées au régime alimentaire.

Selon la DGAFP, ce nombre peu élevé de faits signalés et de sanctions prononcées « s'explique par le fait que le respect de la neutralité religieuse, ancienne, est bien assimilé par les agents publics et leurs responsables hiérarchiques ».

Dès lors que le principe de neutralité est bien assimilé par la plupart des agents publics, il semble indispensable de concentrer au maximum les efforts sur les agents qui en ont le plus besoin et en particulier ceux qui sont en contact avec le public.

3. Une protection des agents publics qui demeure à parfaire
a) Les agents publics sont régulièrement confrontés à des situations problématiques s'agissant du respect des principes de la République

La mission d'information renouvelle un constat établi de longue date par les différents travaux sur le sujet : les agents publics sont régulièrement confrontés à faits d'atteinte à la laïcité.

Cela concerne notamment le secteur hospitalier. Comme cela est souligné par Patrick Pelloux dans son rapport précité, des alertes sont régulièrement remontées au niveau national concernant des médecins choisis par les patients en fonction de leur sexe ou relatifs à des refus de soins lorsque le médecin n'est pas de la même religion.

Le secteur de l'éducation nationale est également fortement exposé à des manquements au principe de laïcité. Outre le port de signes religieux ostensibles, les enseignants sont confrontés à la contestation croissante des contenus d'enseignement, tels que la théorie de l'évolution ou encore l'éducation à la sexualité25(*). Certains élèves refusent également de participer à des sorties scolaires obligatoires ou de se rendre à leurs cours d'éducation physique et sportive (EPS) au motif qu'ils seraient contraires à leurs convictions religieuses. Selon une enquête réalisée par l'IFOP en 202226(*) :

56 % des enseignants interrogés ont affirmé s'être déjà autocensurés dans leur enseignement pour éviter un éventuel incident - soit une hausse de 20 points depuis 2018 ;

60 % des enseignants du secteur public ont été confrontés à une contestation des enseignements scolaires au cours de leur carrière, pour des raisons liées à la religion.

Face à la croissance de ces contestations, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a d'ailleurs publié, en décembre 2023, une version mise à jour du vademecum sur la laïcité à l'école27(*), contenant des fiches ressources permettant aux enseignants de réagir face à ces situations.

Extraits du vademecum sur la laïcité à l'école

b) La création du délit de séparatisme par la loi CRPR n'a pas permis de mieux protéger les agents publics confrontés à ce type de situations
(1) Le délit de séparatisme

Pour tenter de mieux protéger les agents publics confrontés à des situations problématiques s'agissant du respect des valeurs de la République, la loi CRPR a créé un délit de séparatisme. Son article 9 introduit ainsi un article 433-3-1 au sein du code pénal afin de punir de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende « le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».

Le même article 433-3-1 impose par ailleurs au représentant de l'administration ou à la personne de droit public ou de droit privé à laquelle a été confiée la mission de service public de déposer plainte, lorsqu'il a connaissance de tels faits.

L'article 9 de la loi CRPR prévoit par ailleurs la possibilité de prononcer une interdiction du territoire français, soit à titre définitif, soit pour une durée maximale de dix ans, à l'encontre de tout étranger coupable d'un délit de séparatisme28(*).

S'il existait déjà des incriminations générales, prévues en particulier par l'article 433-3 du code pénal, permettant de réprimer les menaces et actes d'intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique, il n'existait en revanche pas, avant l'entrée en vigueur de la loi CRPR, d'incrimination permettant de tenir compte de l'intention ayant animé l'auteur de ces faits.

Comme cela est souligné dans le rapport de la commission spéciale de l'Assemblée nationale sur la loi CRPR29(*), l'objectif de la création de ce délit de séparatisme était de permettre de mieux protéger les agents publics, par exemple face au « refus d'un parent que son enfant fasse du sport en présence d'un enfant d'un autre sexe ».

(2) Un dispositif dont l'efficacité n'est pas prouvée

Malgré la création du délit de séparatisme, force est de constater que les faits de menaces, de violence ou d'intimidation visant à obtenir une exemption ou une application différenciée des règles régissant le fonctionnement du service public sont encore aujourd'hui relativement peu poursuivis.

Selon le préfet de l'Isère, entendu par les rapporteures, aucune procédure n'a été engagée sur ce fondement dans son département et aucun fait de ce type ne lui a été rapporté depuis l'entrée en vigueur de la loi.

Également entendu par les rapporteures, le préfet de Seine-Saint-Denis a quant à lui identifié trois dossiers engagés sur ce fondement entre le 1er septembre 2021 et le 30 juin 2023, dont les audiences ne s'étaient pas encore tenues, sans être en mesure d'expliciter les faits allégués.

De façon générale, la DGAFP a indiqué aux rapporteures ne pas disposer de données sur la mobilisation de ce dispositif.

Le délit de séparatisme introduit par la loi CRPR semble donc être resté un instrument largement théorique. À l'épreuve de la pratique, il ne permet pas de répondre entièrement aux situations rencontrées par les agents publics dans l'exercice de leurs missions. La DGAFP a notamment attribué cet échec à la rédaction jugé trop restrictive du dispositif.

En premier lieu, le champ des faits pouvant donner lieu à un dépôt de plainte de la part de l'employeur apparaît trop restrictif. Il est en effet nécessaire, pour pouvoir effectuer ce dépôt de plainte, de constater des faits de menaces, de violences ou d'intimidation visant à bénéficier d'une exemption ou d'un traitement différencié. Comme l'indiquae la DGAFP, bien que ce périmètre soit plus large que celui initialement retenu, qui visait les seules atteintes à la laïcité, il demeure trop restrictif et pourrait être élargi.

En deuxième lieu, le champ des personnes pouvant bénéficier de cette mesure apparaît également trop restreint. L'article 433-3-1 du code pénal vise, en l'état du droit, les personnes participant à l'exercice d'une mission de service public, ce qui exclut les personnes exerçant des missions au service du public, sans qu'il s'agisse d'une mission de service public au sens propre, comme c'est le cas pour les professionnels de santé n'intervenant pas dans un contexte hospitalier. Le délit de séparatisme pourrait donc utilement être étendu aux personnes exerçant des missions au service du public.

En troisième lieu, le dispositif apparaît trop restrictif en ce que le dépôt de plainte par l'employeur présente un caractère obligatoire. L'état du droit peut impliquer de passer outre l'accord d'une victime qui ne souhaiterait pas déposer de plainte, ce qui n'encourage pas le recours à ce dispositif. Si le dépôt de plainte n'était pas obligatoire, l'employeur aurait a contrario le choix, soit de déposer plainte si elle estime l'infraction constituée et après avoir obtenu le consentement de la victime, soit, le cas échéant, de faire un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Si à court terme, une circulaire de politique pénale mérite d'être édictée rapidement afin d'encourager la poursuite de ces faits, la mission d'information estime que la rédaction de l'article 433-3-1 du code pénal gagnerait donc à être modifiée en ce sens à moyen terme.

Proposition n° 3 : À court terme, prioriser la poursuite des faits de séparatisme visés à l'article 433-3-1 du code pénal par l'édiction d'une circulaire de politique pénale. À moyen terme, envisager la modification de la rédaction de ce délit afin d'en élargir les critères.

B. DES DISPOSITIFS DE CONTRÔLE DE L'ACTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES INSUFFISAMMENT MOBILISÉS PAR LES ACTEURS

1. Une appropriation des obligations liées à la lutte contre le séparatisme encore très variable selon les collectivités
a) La loi CRPR a introduit de nouvelles obligations pour les collectivités territoriales

Outre l'obligation de désigner un référent laïcité prévue par l'article 3 de la loi CRPR, cette dernière a introduit plusieurs autres obligations à destination des collectivités territoriales.

(1) L'obligation de respect des principes de neutralité et de laïcité par les élus municipaux agissant en qualité d'agents de l'État

L'article 6 de la loi CRPR impose aux maires, à leurs adjoints et aux membres du conseil municipal disposant d'une délégation du maire de respecter les principes de neutralité et de laïcité lorsqu'ils agissent au nom de l'État.

Cette disposition, codifiée à l'article L. 2122-34-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), consacre ainsi dans la loi une obligation largement reconnue par la jurisprudence.

De manière générale, les élus locaux ne sont pas tenus de respecter le principe de neutralité dans l'exercice de leurs fonctions. La Cour de cassation a par exemple jugé « qu'aucune disposition législative (...) ne permet au maire d'interdire aux élus de manifester publiquement, notamment par le port d'un insigne, leur appartenance religieuse30(*) ». À cette occasion, elle a ainsi estimé qu'un maire ayant privé de son droit de parole, lors d'un conseil municipal, une élue qui portait un insigne manifestant ostensiblement son appartenance à la religion chrétienne, avait commis une discrimination.

En revanche, les élus sont tenus de respecter le principe de neutralité lorsqu'ils exercent leurs attributions au nom de l'État.

Les missions exercées par les maires au nom de l'État

En tant qu'agents de l'État, les maires exercent des missions variées :

- Les maires sont chargés de la publication et de l'exécution des lois et des règlements ou encore de l'exécution des mesures de sûreté générale31(*) ;

- Ils sont officiers de police judiciaire32(*) et peuvent à ce titre constater des infractions ou encore conduire des enquêtes préliminaires ;

- Ils sont officiers d'état civil33(*) et sont à ce titre chargés de tenir les registres d'état civil, d'enregistrer les naissances, les mariages ou encore les décès, de délivrer des copies d'actes d'état civil, etc. ;

- Les maires sont enfin chargés de l'organisation des élections et sont notamment en charge de l'établissement des listes électorales.

Ce principe a été régulièrement rappelé par la jurisprudence. Dans une décision de 201334(*), le Conseil constitutionnel a ainsi relevé que les maires et leurs adjoints sont tenus de respecter le principe de neutralité lorsqu'ils agissent en tant qu'officiers d'état civil - notamment pour la célébration des mariages - et ne peuvent faire valoir une clause de conscience en la matière.

(2) L'avis obligatoire du préfet sur les demandes d'autorisation d'urbanisme concernant des projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte

D'abord, l'article 7 de la loi CRPR, introduit en première lecture à l'initiative du Sénat35(*), a prévu un avis préalable et obligatoire du préfet de département pour la délivrance des permis de construire, d'aménager ou de démolir par les maires ou les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents « lorsque le projet porte sur des constructions et installations destinées à servir à l'exercice d'un culte ».

L'objectif de cette mesure, désormais codifiée à l'article L. 422-5-1 du code de l'urbanisme, était selon le sénateur Philippe Dallier de « faire tomber la pression qui repose sur les maires ». Il apparaissait en effet que dans de nombreuses communes, des collectifs ou des associations cultuelles faisaient pression sur le maire - notamment au cours des périodes de campagnes électorales - afin que celui-ci délivre des autorisations d'urbanisme pour ce type de projets.

La portée de cette disposition a été précisée par le Conseil d'État dans une décision rendue le 25 juillet 202236(*). Le Conseil d'État a notamment précisé que la consultation du préfet, pour avis simple, par le maire ou par le président de l'EPCI était obligatoire pour les projets créant des constructions ou installations destinées à l'exercice d'un culte ainsi que pour les projets étendant de telles constructions ou installations de manière significative. L'avis du préfet doit donc être recueilli dans le cas d'un permis modificatif.

(3) L'information du préfet de la garantie par une collectivité territoriale d'un emprunt contracté pour la construction d'un lieu de culte

Introduit par un amendement du Gouvernement37(*) lors de l'examen en première lecture de la loi CRPR au Sénat, avec un avis favorable de la commission des lois, l'article 70 de la loi précitée crée un mécanisme d'information du préfet sur les garanties que les communes et les départements peuvent accorder aux emprunts contractés par les associations cultuelles pour financer la construction des lieux de culte, en étendant par la même occasion le champ des garanties pouvant être octroyées par les communes et les départements38(*). L'objectif de de dispositif est de permettre au préfet de vérifier que l'association concernée répond toujours aux critères des associations cultuelles.

b) L'application de ces obligations demeure imparfaite, avec d'importantes disparités entre les collectivités territoriales

Les obligations applicables aux collectivités territoriales demeurent imparfaitement appliquées à l'heure actuelle.

Si l'application de l'obligation de respect des principes de neutralité et de laïcité par les élus municipaux agissant en qualité d'agent de l'État ne semble pas soulever de difficultés particulières, il en va autrement des autres obligations introduites par la loi CRPR.

Ainsi, s'agissant de l'avis obligatoire du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte, si la DLPAJ a indiqué que le dispositif est désormais connu des préfectures, les collectivités territoriales n'ont pas encore parfaitement identifié cette nouvelle obligation et d'importantes disparités semblent exister. À titre d'exemple, si le préfet de Seine-Saint-Denis indiquait à l'été 2023 que cette procédure était pleinement mise en oeuvre, le préfet de l'Isère n'avait quant à lui été saisi que de trois dossiers à ce sujet :

- le premier dossier, relatif à une demande de permis de construire concernant un lieu de culte musulman, a fait l'objet d'un recours gracieux du préfet pour absence de consultation du préfet. La commune concernée a ensuite consulté le préfet et obtenu un avis favorable ;

- le second dossier concernait un permis de construire relatif à la construction d'un bâtiment avec démolition concernant un lieu de culte musulman, transmis régulièrement à la préfecture et encore en cours d'instruction à l'été 2023 ;

- le troisième dossier concernait un permis d'aménager un local en lieu de culte, pour transformer un local à usage commercial en un local destiné à l'exercice du culte musulman, qui était également en cours d'instruction à l'été 2023.

Concernant le mécanisme d'information du préfet de la garantie par une collectivité territoriale d'un emprunt contracté pour la construction d'un lieu de culte, si le préfet de l'Isère avait indiqué avoir adressé un courrier à l'ensemble des collectivités territoriales de son département pour les informer de cette nouvelle obligation, il n'avait été informé, à l'été 2023, d'aucun projet en ce sens, de même que le préfet de Seine-Saint-Denis. Les administrations centrales n'ont quant à elles pas été en mesure de fournir des données chiffrées à ce sujet.

Ces obligations demeurent donc mal connues des collectivités territoriales, avec toutefois des disparités importantes. Si la DLPAJ a à cet égard indiqué que les préfectures seraient prochainement invitées à renforcer l'information des collectivités territoriales de leur département sur ces procédures, il apparaît indispensable que les associations d'élus diffusent aussi des informations sur ces nouvelles obligations et édictent des positions communes en matière de défense contre les atteintes à la neutralité du service public et aux principes de la République.

Proposition n° 4 : Encourager les associations d'élus à prendre des positions communes en matière de défense contre les atteintes à la neutralité du service public et contre les pratiques associatives contraires aux principes de la République.

2. Une administration insuffisamment réactive face aux situations les plus problématiques
a) Le « déféré laïcité »

L'article 5 de la loi CRPR a créé un « déféré laïcité », afin de mieux contrôler le respect du principe de laïcité par les collectivités territoriales.

À cet effet, il a en fait étendu la procédure de déféré « accélérée », préexistante, aux actes des collectivités territoriales de nature à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics.

Le déféré-suspension en cas d'acte d'une collectivité territoriale
de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle

Aux termes des articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du CGCT, le préfet peut déférer au juge administratif un acte pris par une collectivité territoriale et de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle.

Dans le cadre de cette procédure, le président du tribunal administratif prononce la suspension de l'acte attaqué dans les quarante-huit heures. Cette décision est susceptible d'appel devant le Conseil d'État dans les quinze jours suivant sa notification ; en cas d'appel, le président de la section du contentieux du Conseil d'État statue également dans les quarante-huit heures.

Désormais, le préfet peut donc demander la suspension d'un acte, pris par une collectivité territoriale et portant gravement atteinte au principe de laïcité ou au principe de neutralité du service public. Cette demande de suspension doit impérativement être accompagnée d'une requête au fond. Le juge administratif est alors tenu de se prononcer dans les quarante-huit heures, ce qui permet d'éviter que l'atteinte ne se prolonge.

Les modalités de mise en oeuvre de ce « déféré laïcité » ont été précisées par une instruction du Gouvernement du 31 décembre 2021 relative au contrôle de légalité des actes portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics.

Cette instruction précise notamment les actes dont la légalité doit obligatoirement être contrôlée par les services préfectoraux, et le cas échéant déférés au tribunal administratif, en ce qu'ils présentent une sensibilité particulière dans le cadre de la lutte contre les atteintes aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Cela concerne notamment les actes relatifs à l'organisation des services publics locaux, aux subventions ou au soutien aux associations ainsi que ceux relatifs aux recrutements au sein de la fonction publique territoriale.

b) Un dispositif encore trop peu utilisé

Ce « déféré laïcité » demeure malheureusement largement théorique.

Il n'a en effet été utilisé qu'une seule fois avec succès, pour suspendre l'application d'une délibération du conseil municipal de Grenoble portant modification du règlement intérieur des piscines municipales et autorisant le port de certaines tenues de bain. L'article 10 dudit règlement, dans sa nouvelle rédaction, disposait ainsi que seules étaient interdites « les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc.), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short », ce qui autorisait en creux le port de burkinis. Saisi d'un « déféré laïcité », le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a suspendu l'exécution de l'article 10 précité « en tant qu'il autoris[ait] l'usage de tenues de bains non près du corp moins long que la mi-cuisse39(*) ».

Statuant en appel, le Conseil d'État a confirmé la suspension de cet article40(*). Il a estimé qu'il était loisible au gestionnaire d'un service public, lorsqu'il définit les règles d'organisation et de fonctionnement de ce service, de tenir compte des spécificités - y compris religieuses - de certains publics pour que le plus grand nombre d'usagers puisse accéder au service public.

Il a cependant précisé que « lorsqu'il prend en compte pour l'organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l'ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public ».

En l'espèce, il a jugé que les modifications du règlement introduites par la commune de Grenoble ne respectaient pas ces critères et ne visaient qu'à autoriser le port du burkini pour satisfaire une revendication de nature religieuse. Il a en conséquence maintenu la suspension de l'acte modifiant l'article 10 du règlement des piscines municipales, au motif que cet acte portait gravement atteinte au principe de neutralité des services publics.

En dehors de ce cas, le préfet de la Seine-Saint-Denis en a également fait usage à l'encontre d'une délibération autorisant la cession d'un terrain communal au bénéfice d'une association cultuelle à un prix considéré trop faible, mais a été débouté de sa demande.

Face au faible nombre de déférés laïcité engagés, la mission d'information ne peut que regretter que les préfectures se soient insuffisamment emparées de cet outil.

Elle appelle donc les préfectures à systématiser le contrôle des atteintes aux principes de laïcité et de neutralité des services publics lors du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales et à recourir davantage au « déféré laïcité » en présence d'un acte problématique.

Sur le modèle des sous-préfets à la relance, il pourrait également être envisagé de désigner dans chaque département un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles et de nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.

Proposition n° 5 : Intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et systématiser le recours au « déféré-laïcité » en présence d'un acte problématique.

Proposition n° 6 : Envisager la désignation dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.

C. LA LUTTE CONTRE LE SÉPARATISME DANS LE CHAMP ASSOCIATIF : UNE LOI QUI A MANQUÉ SA CIBLE, AU PRIX D'UNE DÉTÉRIORATION DES RELATIONS ENTRE L'ÉTAT ET LE MOUVEMENT ASSOCIATIF

1. Le contrat d'engagement républicain : un formalisme excessivement léger pour un suivi qui laisse à désirer

Disposition clé de la loi CRPR, l'article 12 conditionne l'octroi de subventions publiques41(*) aux associations ou fondations à la signature d'un « contrat d'engagement républicain » et impose le retrait des sommes allouées en cas de violation de cet engagement.

La création de cet instrument a été guidée par un double constat. D'une part, le séparatisme n'épargnait pas le milieu associatif, et ce quand bien même la plupart des acteurs sont irréprochables sur le plan du respect des valeurs de la République. Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur alors que le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse dénombre environ 1,5 million d'associations actives en France, dont environ 61 % percevaient en 2017 au moins un financement public42(*). Ledit financement public représentait 44 % du budget cumulé des associations, réparti à hauteur de 24 % pour la commande publique et 20 % pour les subventions. Si les données consolidées plus récentes sont rares, la direction de la jeunesse de l'éducation populaire et de la vie associative a néanmoins avancé au cours de son audition le chiffre de 50 % d'associations bénéficiant de fonds publics, à raison de 2 milliards d'euros pour les très petites associations et de 21 milliards d'euros pour les associations employeuses. Au niveau de l'État, on dénombre enfin 77 301 versements sur l'année 202243(*), pour un montant total de 8,5 milliards d'euros. Les deux tiers des subventions versées étaient inférieures à 20 000 euros, tandis que le montant moyen s'élevait à 110 200 euros44(*).

D'autre part, le cadre juridique de l'époque ne permettait pas de systématiser le retrait de subventions publiques en cas d'atteintes aux valeurs de la République. Si l'interprétation de l'article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 pouvait éventuellement permettre d'assimiler une méconnaissance de celle-ci à un défaut d'intérêt général justifiant le refus d'une subvention, aucun instrument ad hoc n'autorisait le retrait sur ce fondement. Les subventions d'un montant annuel supérieur à 23 000 euros étaient, certes, soumises à une obligation de conventionnement entre l'autorité administrative et l'organisme de droit privé bénéficiaire45(*), mais sans que les conventions correspondantes ne fassent systématiquement mention des valeurs de la République. La « Charte d'engagements réciproques » - conclue en février 2014 entre l'État, le mouvement associatif et les collectivités territoriales - mentionnée dans le formulaire unique Cerfa de demande de subvention n° 12156*06 n'était pas plus susceptible de fonder des retraits de subvention46(*). Il en résultait, selon les termes du Gouvernement, que « le respect des principes la République, ne [découlait] ni des normes régissant la subvention, ni, de manière implicite mais nécessaire, de son objet même. Par conséquent, sauf disposition (dans un acte unilatéral d'octroi) ou stipulation (dans une convention de subventionnement), la méconnaissance des principes de la République ne [pouvait] légalement justifier le retrait d'une subvention »47(*).

Dans ce contexte, le législateur a introduit un nouvel article 10-1 dans la loi du 12 avril 2000 précitée obligeant à partir de janvier 2022 les associations ou fondations sollicitant l'octroi d'une subvention publique48(*) à s'engager :

- à respecter les principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution (1°) ;

- à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République (2°) ;

- à s'abstenir de toute action portant atteinte à l'ordre public

En application de cet article, l'autorité sollicitée doit refuser l'octroi d'une subvention à une association dont l'objet, l'activité ou les moyens par lesquels elle l'exerce sont illicites ou incompatibles avec le contrat d'engagement républicain. Lorsqu'une telle infraction est caractérisée a posteriori, il appartient à l'autorité attributrice de la subvention de procéder, après une phase contradictoire, à son retrait. Le bénéficiaire doit alors la restituer dans un délai de six mois.

Le Sénat avait approuvé la philosophie de ce dispositif, qui avait au moins le mérite d'intégrer le respect des valeurs de la République aux critères légaux d'octroi d'une subvention et d'en imposer le refus ou le retrait en cas de manquement49(*). S'il avait fait l'objet de vives contestations par le milieu associatif, qui l'avait interprété comme un signe de défiance à son encontre, le Sénat avait défendu le raisonnement selon lequel « la grande majorité des associations et fondations [n'avaient] rien à craindre de ce contrat tant il leur est naturel de respecter la loi ».

Le contrat d'engagement républicain a été validé par le Conseil constitutionnel50(*). Celui-ci a considéré, d'une part, que les obligations imposées aux associations avaient été suffisamment détaillées par le législateur pour ne pas confier aux autorités compétentes un pouvoir arbitraire et, d'autre part, que, dès lors que le contrat « n'avait pas pour objet d'encadrer les conditions dans lesquelles [l'association] se constitue et exerce son activité », il ne portait pas atteinte à la liberté d'association. Seule une réserve d'interprétation ne remettant pas en cause l'opérationnalité de cet article a été formulée51(*). Par ailleurs, le Conseil d'État a rejeté l'ensemble des griefs émis par 25 associations contre le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 pris pour l'application du contrat d'engagement républicain et qui en précise le contenu.

Force est de constater que le CER est loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir pour la lutte contre le séparatisme dans la sphère associative. Aux termes de leurs travaux, les rapporteures considèrent que cet échec s'explique par deux causes principales.

En premier lieu, les choix opérés par l'administration ont conduit à ce que la signature du contrat d'engagement républicain relève davantage d'une formalité administrative que d'un réel engagement. De fait, il s'agit d'un document difficilement accessible. Il prend ainsi la forme d'un tiret au formulaire Cerfa de demande de subvention n° 12156*06 qui précise que l'association « souscrit au contrat d'engagement républicain annexé au décret pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations » (voir extrait ci-après). Le contenu du contrat en lui-même n'est accessible qu'en annexe du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021, où sept engagements sont détaillés.

Les sept engagements du contrat d'engagement républicain

Annexe du Décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021

« Engagement n° 1 - Respect des lois de la république : Le respect des lois de la République s'impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d'entraîner des troubles graves à l'ordre public.

« L'association ou la fondation bénéficiaire s'engage à ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant ses relations avec les collectivités publiques.

« Elle s'engage notamment à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République.

« Engagement n° 2 - Liberté de conscience : L'association ou la fondation s'engage à respecter et protéger la liberté de conscience de ses membres et des tiers, notamment des bénéficiaires de ses services, et s'abstient de tout acte de prosélytisme abusif exercé notamment sous la contrainte, la menace ou la pression.

« Cet engagement ne fait pas obstacle à ce que les associations ou fondations dont l'objet est fondé sur des convictions, notamment religieuses, requièrent de leurs membres une adhésion loyale à l'égard des valeurs ou des croyances de l'organisation.

« Engagement n° 3 - Liberté des membres de l'association : L'association s'engage à respecter la liberté de ses membres de s'en retirer dans les conditions prévues à l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 et leur droit de ne pas en être arbitrairement exclu.

« Engagement n° 4 - Égalité et non-discrimination : L'association ou la fondation s'engage à respecter l'égalité de tous devant la loi.

« Elle s'engage, dans son fonctionnement interne comme dans ses rapports avec les tiers, à ne pas opérer de différences de traitement fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée qui ne reposeraient pas sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet statutaire licite qu'elle poursuit, ni cautionner ou encourager de telles discriminations.

« Elle prend les mesures, compte tenu des moyens dont elle dispose, permettant de lutter contre toute forme de violence à caractère sexuel ou sexiste.

« Engagement n° 5 - Fraternité et prévention de la violence : L'association ou la fondation s'engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme.

« Dans son activité, dans son fonctionnement interne comme dans ses rapports avec les tiers, l'association s'engage à ne pas provoquer à la haine ou à la violence envers quiconque et à ne pas cautionner de tels agissements. Elle s'engage à rejeter toutes formes de racisme et d'antisémitisme.

« Engagement n° 6 - Respect de la dignité de la personne humaine : L'association ou la fondation s'engage à n'entreprendre, ne soutenir, ni cautionner aucune action de nature à porter atteinte à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

« Elle s'engage à respecter les lois et règlements en vigueur destinés à protéger la santé et l'intégrité physique et psychique de ses membres et des bénéficiaires de ses services et ses activités, et à ne pas mettre en danger la vie d'autrui par ses agissements ou sa négligence.

« Elle s'engage à ne pas créer, maintenir ou exploiter la vulnérabilité psychologique ou physique de ses membres et des personnes qui participent à ses activités à quelque titre que ce soit, notamment des personnes en situation de handicap, que ce soit par des pressions ou des tentatives d'endoctrinement.

« Elle s'engage en particulier à n'entreprendre aucune action de nature à compromettre le développement physique, affectif, intellectuel et social des mineurs, ainsi que leur santé et leur sécurité.

« Engagement n° 7 - Respect des symboles de la république : L'association s'engage à respecter le drapeau tricolore, l'hymne national, et la devise de la République.

Mention du contrat d'engagement républicain
au sein du formulaire de demande de subvention

Source : Formulaire Cerfa de demande de subvention n° 12156*06

Les rapporteures estiment qu'un engagement républicain ne peut être caractérisé par une unique mention dans un formulaire Cerfa. Ce format ne facilite pas l'appropriation par les acteurs du contenu du contrat d'engagement républicain. Selon toute vraisemblance, une grande partie des demandes de subventions sont transmises sans que les intéressés n'aient cherché à prendre connaissance de son contenu réel. Il ne peut par ailleurs être exclu que certaines associations n'aient pas conscience d'avoir souscrit un tel engagement en transmettant leur demande.

Du reste, la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté avait admis cette difficulté au cours de son audition devant la commission des lois du 4 juillet 2023. Elle avait ainsi indiqué que les services de l'État s'interrogeaient sur la possibilité « de répéter dans le Cerfa les sept obligations établies par le contrat d'engagement républicain pour que chacun sache exactement ce qu'il signe ». Cette solution ne semble toutefois pas de nature à garantir totalement la lisibilité du document, qui resterait une mention parmi d'autres. La mission d'information estime que la signature du contrat d'engagement républicain n'est pas une formalité comme les autres et que son importance justifie qu'elle fasse l'objet d'un document dédié. Cette option permettrait, d'une part, une prise de connaissance plus approfondie de ses stipulations et, d'autre part, de donner davantage de poids symbolique à cet engagement.

Proposition n° 7 : Faire du contrat d'engagement républicain un document indépendant de la demande de subvention, afin de mieux traduire l'engagement consenti par l'association ou la fondation.

En second lieu, il apparaît que les services de l'État se sont insuffisamment emparés de ce nouvel outil. Le contrôle a priori de l'objet de l'association semble le plus souvent purement formel, tandis que le contrôle a posteriori du respect du contrat d'engagement républicain ne paraît intervenir qu'à titre exceptionnel. De fait, seuls un cas de refus et trois cas de retrait de subvention ont été portés à la connaissance des rapporteures. Celles-ci regrettent par ailleurs l'absence de données agrégées sur ce point, qui empêche toute vision globale sur l'efficacité du contrat d'engagement républicain.

Le ministère de l'intérieur met en avant la validation tardive du décret d'application du contrat d'engagement républicain, qui aurait rendu difficile la pleine implication dans sa mise en place52(*). Si les rapporteures prennent acte de cet élément, elles estiment néanmoins qu'il n'est pas de nature à justifier la faiblesse des résultats obtenus. Au-delà de la question récurrente de l'insuffisance des moyens alloués aux préfectures pour s'acquitter de cette mission, une mise en oeuvre efficace du contrat d'engagement républicain demande d'abord une forte volonté politique. De manière générale, l'application du dispositif est aujourd'hui largement dépendante du volontarisme du préfet.

Sur le fond, l'analyse du profil des associations s'étant vues refuser ou retirer une subvention révèle une faible efficacité dans le champ de la lutte contre le séparatisme. La plupart présentent en effet davantage le profil d'associations militantes que séparatistes, et ce quand bien même leurs actions peuvent être contestables à bien des égards. La plupart des personnes auditionnées ont ainsi partagé le constat selon lequel le contrat d'engagement républicain ne concernait que très marginalement les associations les plus problématiques, dès lors que celles-ci ne demandent pas de subventions.

Les quatre cas recensés de refus ou de retrait de subventions publiques
pour infraction au contrat d'engagement républicain

L'association « E-Graine » en Isère (2021) : le préfet de l'Isère a indiqué au cours de son audition qu'une subvention de 1 000 euros attribuée par la DILCRAH avait été retirée en 2021 à « E-Graine », une structure lyonnaise qui évoquait l'ethnocentrisme français dans l'enseignement universitaire français.

L'Association de protection, d'information et d'études de l'eau et de son environnement (APIEEE) dans les Deux-Sèvres (2022) : la préfecture des Deux-Sèvres aurait procédé au retrait d'une subvention FONJEP (Jeunesse et Éducation Populaire) accordée en 2021 pour financer des animations auprès des jeunes. Cette décision est fondée sur l'opposition publique de l'association au projet des seize réserves de substitution dans le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon ainsi que sur son soutien public à la manifestation interdite de Sainte-Soline, au cours de laquelle ont eu lieu de violents affrontements entre manifestants et forces de l'ordre. Ce retrait a fait l'objet d'une contestation devant le juge administratif.

L'association Alternatiba dans le Rhône (2023) : En mai 2023, la préfecture du Rhône a refusé d'accorder une subvention de 3 500 euros au titre du FDVA à l'association écologiste Alternatiba-Rhône, située à Lyon, destinée à rénover « l'Alternati'Bar », qui sert de local associatif. La décision est fondée sur les actions de désobéissance civile portées par l'association, qui auraient été perçues comme incompatibles avec les stipulations du contrat d'engagement républicain.

L'association Canal Ti Zef dans le Finistre (2023) : le préfet du Finistère a refusé d'accorder une subvention de 2 500 euros au titre du FDVA à l'association bretonne Canal Ti Zef, un média implanté dans le paysage local depuis 2001, pour non-respect du contrat d'engagement républicain. Canal Ti Zef aurait été sanctionné à cause de son soutien au squat culturel l'Avenir, où le média organisait des évènements avant que les individus occupant le lieu depuis huit ans en aient été expulsés en juillet 2023. Trois autres associations de la cité portuaire, également proches d'Avenir, -- Radio U, Ekoumène et le Patronage laïque Guérin -- se sont vues refuser la même subvention sur décision préfectorale. Un recours contentieux a été introduit devant le juge administratif.

La mission d'information souligne enfin que les subventions accordées par les collectivités territoriales représentent un angle mort du dispositif. Les travaux des rapporteures ont révélé le caractère perfectible de l'appropriation de leurs nouvelles obligations par les collectivités, à l'instar des carences constatées dans la nomination de référents laïcité. Ce constat est d'autant plus préoccupant que ce point n'est que marginalement pris en compte par les préfectures dans l'exercice du contrôle de légalité. Le préfet de l'Isère a ainsi indiqué qu'au moment de son audition « le contrôle du respect n'entrait pas dans le coeur de cible des plans de contrôle de légalité [mais] qu'une adaptation était en cours afin de vérifier la bonne utilisation des fonds ».

Concrètement, une seule mise en application de cette prérogative a été mise en évidence par la mission d'information. Il s'agit du cas de l'association Alternatiba-Poitiers qui a bénéficié, en juin 2022, de subventions publiques de la commune de Poitiers et de la communauté urbaine de Grand Poitiers, d'un montant respectif de 10 000 et 5 000 euros. Ces subventions ont été attribuées pour l'organisation d'un évènement présenté comme « festif et pédagogique autour des enjeux liés au changement climatique à l'intention des habitants », intitulé Village des Alternatives, les 17 et 18 septembre 2022 à Poitiers. Le préfet de la Vienne a sollicité des deux collectivités territoriales l'engagement de la procédure de retrait des subventions, estimant que certains éléments du programme de cette manifestation étaient incompatibles avec le contrat d'engagement républicain. Était notamment en cause l'un des neuf quartiers thématiques du village intitulé « résister », qui prévoyait des débats relatifs au projet de méga-bassine, aux formes violentes ou pacifiques des actions, ou encore une formation à la désobéissance civile, l'ensemble étant animé par les associations Extinction rébellion Poitiers et Greenpeace Poitiers. Saisi par le préfet, le juge administratif a néanmoins estimé dans un jugement du 30 novembre 2023 que les deux collectivités étaient fondées à maintenir les subventions53(*).

Les travaux des rapporteures ont cependant révélé les bonnes pratiques développées par certaines préfectures. C'est le cas de la préfecture de Seine-Saint-Denis, où le préfet a entendu prioriser le contrôle de la régularité de certaines subventions accordées par les collectivités et pouvant présenter un intérêt particulier au regard du contrat d'engagement républicain. En l'espèce, le préfet a adressé aux collectivités une circulaire leur demandant la transmission des formulaires de demande de subvention déposés par les associations mixtes. La mission d'information plaide pour une systématisation de cette pratique, avec une adaptation des catégories d'associations visées en fonction du contexte local.

Proposition n° 8 : Systématiser la transmission par les collectivités territoriales au préfet des demandes de subventions des associations dont le contrôle est jugé prioritaire en matière de lutte contre le séparatisme.

2. Une extension des motifs de dissolution effectivement utilisés, mais dans des cas différents de ceux envisagés pour le législateur

Le bilan de la modernisation des critères de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait opérée par l'article 16 de la loi CRPR est, en revanche, plutôt positif. Pour rappel, une telle dissolution peut être réalisée par la voie judiciaire54(*) ou administrative. En dehors des dissolutions prévues dans le cadre du régime de l'état d'urgence55(*), la dissolution administrative de droit commun est fondée depuis 201256(*) sur l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Cette procédure avait été utilisée à 123 reprises entre janvier 1936 et début 2020, dont 29 fois entre 2010 et 2020 (après une brève période de désuétude sur la décennie précédente, où seules 4 mesures avaient été prononcées)57(*). Elle permet la dissolution par décret en conseil des ministres d'associations ou de groupements de fait dans sept cas de figure (voir encadré ci-après), à la suite d'une procédure contradictoire garantissant une conciliation effective avec la liberté d'association. Cette liberté bénéficie en effet d'une double protection constitutionnelle, au titre de principe fondamental reconnu par les lois de la République58(*), et conventionnelle59(*).

Par ailleurs, la reconstitution d'associations dissoutes est punie par l'article 431-15 du code pénal de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, et peut être assortie des peines complémentaires fixées à l'article 431-18 du même code.

Sans remettre en cause « l'efficacité de la mesure de dissolution administrative lorsque celle-ci est mise en oeuvre », le Gouvernement avait justifié sa volonté de modifier des critères de dissolution par la nécessité de réduire les cas d'inapplicabilité de cette mesure du fait d'un défaut de base légale60(*). Certains critères étaient ainsi présentés comme « désuets et inadaptés aux agissements d'associations ou de groupements de fait troublant gravement l'ordre public » tandis que d'autres étaient jugés incomplets.

En conséquence, l'article 16 de la loi CRPR a procédé aux modifications suivantes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure :

- sur la notion de provocation à des manifestations armées dans la rue figurant au 1° : la loi a, d'une part, supprimé le critère géographique et, d'autre part, ajouté un nouveau critère relatif à la « provocation à des agissements violents à l'encontre des personnes et des biens ». Ce dernier point a été validé par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que le législateur n'avait pas « porté à la liberté d'association une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée »61(*) ;

- sur les entités qui ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement figurant au 3° : la loi a autorisé la prise en compte de l'activité des associations ou groupements de fait et non plus leur seul objet officiel ;

- sur le motif de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse figurant au 6° : la loi a étendu cette liste de motifs par l'ajout de critères liés au sexe, à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre, ainsi que la prise en compte de la contribution, par les agissements des associations visées, à ces mêmes faits.

La commission des lois puis le Sénat avaient partagé ce constat d'une relative obsolescence du régime de la dissolution administrative des associations ou groupements de fait et avaient approuvé le principe d'une adaptation de la liste des critères. De la même manière, avait été approuvée l'introduction d'un nouvel article L. 212-1-1 au code de la sécurité intérieure facilitant l'imputation à une association ou à un groupement de faits des agissements commis par leurs membres, et ce sous réserve, d'une part, que lesdits agissements aient été réalisés en cette qualité de membre ou qu'ils aient été directement liés à l'activité de l'association et, d'autre part, que « les dirigeants, informés de ces agissements, se soient abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ».

Modifications de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure par la loi CRPR

« Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

« 1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ;

« 2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

« 3° Ou dont l'objet ou l'action tend à porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

« 4° Ou dont l'activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;

« 5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ;

« 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

« 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.

« Le maintien ou la reconstitution d'une association ou d'un groupement dissous en application du présent article, ou l'organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l'organisation d'un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».

L'intensification du recours à la dissolution administrative d'associations ou de groupements de fait est une tendance qui préexistait à l'adoption de la loi CRPR. À titre d'exemple, 17 dissolutions avaient été mises en oeuvre sur les seules années 2019 et 2020. La modernisation des critères figurant à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure a néanmoins plus que probablement contribué à alimenter cette dynamique, puisque 17 nouvelles dissolutions sont intervenues depuis l'entrée en vigueur de la loi (soit plus de 10 % de l'ensemble des dissolutions intervenues depuis 1936). Conformément à une position constante de la commission des lois, les rapporteures considèrent que le maintien à un niveau élevé du nombre de dissolutions va dans le bon sens tant cet outil a démontré sa plus-value pour la sauvegarde de l'ordre public ainsi que la lutte contre le séparatisme sous toutes ses formes. La DLPAJ a ainsi rappelé au cours de son audition que les dissolutions avaient au moins deux effets majeurs : « la désorganisation des mouvances ciblées et la baisse de l'intensité de la propagande ciblée ou la diminution, voire la cessation, des actions violentes commises »62(*).

Dissolutions administratives d'associations
ou de groupements de fait (2013-2024*)

*Au 1er mars 2024 - Source : commission des lois, à partir des données transmises
par le ministère de l'intérieur et disponibles sur Légifrance

L'analyse des fondements mentionnés dans les décrets de dissolution approuvés depuis l'entrée en vigueur de la loi CRPR confirme cette analyse. Les critères mentionnés aux 1° et 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, et modifiés par la loi CRPR, sont sur-représentés dans les décrets de dissolution (à hauteur de 58 % pour le 1° et 82 % pour le 6°). Il est par ailleurs notable que deux dissolutions soient fondées sur ces deux seuls critères, tandis que deux autres sont fondées sur la seule provocation à des agissements violents contre les personnes ou les biens. La faculté d'imputer à l'association les agissements de ses membres a par ailleurs été utilisée à quatre reprises depuis 2023, sur six dissolutions.

Dans le détail, on observe en premier lieu sur la période récente une augmentation des dissolutions d'entités en lien avec la mouvance islamiste, qui semble répondre à l'alerte émise en 2020 par la commission d'enquête sénatoriale sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radication islamiste et les moyens de la combattre63(*). Dans le sillage des récentes conclusions de Marc-Philippe Daubresse lors de l'examen de la proposition de loi présentée par François-Noël Buffet instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, les rapporteures y voient une prise de conscience salutaire. Pour rappel, 19 des dissolutions prononcées depuis 2016 sur le fondement du 6° ou du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure concernaient ces entités64(*).

Motifs de dissolution administrative de l'article L. 212-1 du code
de la sécurité intérieure utilisés depuis l'entrée en vigueur de la loi CRPR

Motif(s) fondant la dissolution

L. 212-1-1

2021*

Nawa

         

X

X

 

Ligue de défense noire africaine

X

       

X

X

 

CRI

X

       

X

   

L'Alvarium

X

       

X

   

2022

Les Zouaves Paris

X

       

X

   

AAJM*

       

X

X

   

Al Qalam

       

X

X

   

Comité Action Palestine

       

X

X

X

 

Collectif Palestine vaincra

       

X

X

X

 

GALE

X

             

Le bloc lorrain

X

             

2023

Les Alerteurs

X

       

X

X

X

Bordeaux Nationaliste

X

     

X

X

 

X

Soulèvements de la terre (annulée)

X

             

Civitas

   

X

 

X

X

 

X

Division Martel

X

       

X

   

2024

La Citadelle

         

X

 

X

* À compter de l'entrée en vigueur de la loi - Source : Commission des lois

En miroir de leurs conclusions sur les retraits de subventions pour violation du contrat d'engagement républicain, les rapporteures relèvent en second lieu que la procédure de dissolution a pu être ponctuellement mobilisée à l'encontre d'associations ou de groupements qui n'étaient pas ceux initialement envisagés par le législateur. Au-delà de la légitime dissolution de groupuscules d'ultra-gauche ou d'ultra-droite, dont le rattachement à une idéologie séparatiste stricto sensu pourrait intellectuellement faire débat, il est surtout possible de citer le cas des « Soulèvements de la terre ». Les rapporteures y voient toutefois moins un dévoiement de la procédure de dissolution qu'une démonstration de l'adaptabilité de ses critères à la multiplicité des situations observées sur le terrain, qui ne pouvaient être toutes anticipées par le législateur. Elles relèvent par ailleurs que le contrôle du juge administratif a fait son office, dès lors que le décret en question a par la suite été annulé par le Conseil d'État65(*).

Pour plus d'efficacité, le dispositif gagnerait par ailleurs à être complété. À cet égard, les rapporteurs appellent à ce que la navette parlementaire sur la proposition de loi précitée instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste reprenne au plus vite. Son article 8, tel que modifié par le Sénat, procède en effet à deux ajustements d'importance de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure :

- la consécration de la définition de la « provocation » justifiant une dissolution : dans son arrêt relatif aux « Soulèvements de la terre », le Conseil d'État précise que cette provocation est constituée en cas d'incitation explicite ou implicite, par propos ou par actes, de se livrer aux agissements mentionnés aux 1°, 6° et 7° de cet article, de légitimation publique de ces agissements ou d'abstention à mettre en oeuvre les moyens à disposition pour les faire cesser. L'inscription de cette définition dans la loi sécuriserait les pratiques du ministère de l'intérieur et permettrait de se prémunir contre un hypothétique revirement de jurisprudence ;

- l'instauration d'une procédure ad hoc de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution : au cours de son audition, la DLPAJ a en effet souligné les lacunes du cadre juridique actuel, qui se borne à fixer les cas de dissolution sans régler formellement ses conséquences sur la liquidation de l'association et la dévolution de ses actifs. Il en résulte que des associations visées par une procédure de dissolution peuvent transmettre sans entrave leur patrimoine à des entités poursuivant une finalité similaire, ce qui vide la dissolution d'une grande partie de sa substance. Le Sénat a comblé cette faille, en prévoyant la désignation par le président du tribunal judiciaire d'un curateur qui serait chargé procéder à la liquidation des biens de l'association en convoquant pour ce faire une assemblée générale66(*). Par ailleurs, la création d'un régime de gel des avoirs applicable aux auteurs des agissements mentionnés à l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure pourrait utilement compléter le dispositif, et ce notamment lorsque des agissements individuels ont été imputés à l'association pour fonder sa dissolution.

Proposition n° 9 :  Faire aboutir au plus vite la création d'un nouveau régime de dévolution des biens des associations dissoutes et envisager celle d'un régime de gel des avoirs vis-à-vis des membres des structures dissoutes.

De manière générale, la mission d'information regrette le bilan finalement maigre de la loi CRPR dans le champ de la lutte contre le séparatisme. Alors que les associations séparatistes ont adopté une stratégie du « profil bas » qui leur permet d'échapper à la vigilance de l'administration, les nouvelles obligations pèsent finalement quasi-exclusivement sur des structures irréprochables sur le plan des principes de la République. Cela n'est pas sans conséquence, les acteurs du monde associatif ayant unanimement fait part d'un malaise face à une législation perçue, à tort mais de façon compréhensible, comme un signe de défiance à leur encontre.

3. Les autres dispositions relatives aux fonds de dotation et au régime du mécénat : des réformes techniques à la portée réelle limitée

Au-delà de la mise en place du contrat d'engagement républicain et de la réforme du régime de la dissolution administrative, force est de constater que la plupart des dispositifs adoptés, essentiellement techniques, ont eu des effets marginaux. Ce bilan mitigé peut notamment être illustré par les dispositions relatives aux fonds de dotation ou de nature fiscale.

a) Les dispositions relatives aux fonds de dotation

L'article 17 de la loi CRPR a modifié en profondeur le régime applicable aux fonds de dotation. Il a tout d'abord inscrit dans la loi le délai de six mois pour la transmission à l'autorité administrative du rapport d'activité, des comptes et, lorsque les ressources du fonds sont supérieures à 10 000 euros, du rapport du commissaire aux comptes. Le non-respect de cette obligation peut être sanctionné par une suspension administrative du fonds, après mise en demeure et jusqu'à la transmission effective des documents. Surtout, l'article 17 a renforcé les prérogatives de contrôle du préfet en les étendant à l'examen de la conformité de l'objet du fonds de dotation aux dispositions légales (en plus de la régularité de son fonctionnement) et en supprimant le critère de gravité des dysfonctionnements pouvant donner lieu à une suspension. Il a par ailleurs porté à 18 mois la durée maximale de suspension administrative d'un fonds et a étendu cette possibilité aux cas où son objet ne serait pas conforme aux obligations légales, où l'une de ses activités ne relèverait pas d'une mission d'intérêt général ainsi qu'en cas d'infraction à la législation sur la déclaration des financements étrangers.

Pour rappel, on dénombre 5 300 fonds de dotation en France (contre 3 985 en 2017), dont environ 62 % sont actifs. En 2021, les fonds de dotation détenaient 40,44 milliards d'euros d'actifs et 69 % d'entre eux étaient soumis à l'obligation de faire appel à un commissaire aux comptes.

Le respect de leurs nouvelles obligations par les fonds de dotation semble hétérogène selon les territoires. Si la DLPAJ a souligné que « la transmission de documents de gestion [était] globalement respectée », les travaux des rapporteures ont mis en évidence des réalités disparates. Le préfet de Seine-Saint-Denis n'a pas relevé de difficultés particulières dans le département ; si six fonds ont été mis en demeure de transmettre les documents, il s'agissait avant tout d'oublis et quatre avaient par la suite régularisé leur situation. A contrario, le préfet de l'Isère a indiqué que seuls 20 % des fonds respectaient l'obligation de transmission des comptes annuels.

Les procédures de contrôle sont quant à elles régulièrement mobilisées, même si une marge de progrès subsiste. Au cours de son audition du 4 juillet 2023, la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, alors Sonia Backès, a précisé que quatre fonds avaient fait l'objet d'une mesure administrative de suspension en 2022. Elle a néanmoins indiqué avoir « constaté des axes d'amélioration pour donner aux préfets des moyens d'action renforcés » sur des fonds présentés comme « l'un des principaux vecteurs des mouvances islamistes ». Selon les données transmises par la DLPAJ, le juge judiciaire a par ailleurs été sollicité à une quinzaine de reprises sur la période aux fins de dissolution de fonds « poursuivant un objet cultuel et relevant en partie de la mouvance des Frères musulmans ».

b) Les dispositions fiscales

Deux dispositions de nature fiscale de la loi CRPR viennent ensuite, d'une part, habiliter l'administration à contrôler l'éligibilité au régime du mécénat des organismes délivrant des reçus fiscaux ouvrant droit à une réduction d'impôt (article 18) et, d'autre part, créer une obligation de déclaration annuelle du montant global des dons reçus et du nombre de reçus fiscaux délivrés (article 19).

La procédure de contrôle prévue à l'article 18 et codifiée à l'article L. 14 A du livre des procédures fiscales entendait remédier à l'impossibilité pour l'administration fiscale de contrôler la régularité de l'émission de reçus fiscaux67(*), à l'exception des cas où l'association était soumise aux impôts commerciaux ou soupçonnée d'exercer une activité de nature lucrative. Comme la commission des lois l'avait souligné au moment de l'examen de la loi CRPR, cette situation très insatisfaisante s'expliquait par deux facteurs : matériellement, la direction générale des finances publiques (DGFip) ne disposait pas d'informations sur le nombre d'organismes délivrant des reçus fiscaux et, juridiquement, elle ne pouvait, en l'état de la législation, que vérifier l'adéquation entre le montant figurant sur le reçu fiscal et la somme effectivement reçue. L'amende prévue à l'article 1740 A du code général des impôts en cas de délivrance indue d'un reçu fiscal n'était en conséquence quasiment pas appliquée.

Le bilan est également mitigé sur ce point68(*). Si la DGFip a souligné au cours de son audition que ces deux articles avaient permis d'affiner les informations détenues par l'administration fiscale et de cibler davantage ses contrôles, force est de constater que ceux-ci sont encore balbutiants. Le temps nécessaire à la formation des agents et à l'organisation des services compétents a tout d'abord retardé la mise en oeuvre d'un dispositif pourtant fondamental eu égard aux montants concernés69(*). Selon les données transmises par la DGFip, la nouvelle procédure n'a ainsi été utilisée qu'à 44 reprises depuis son entrée en vigueur en 2022 (dont 14 en 2023), pour seulement deux amendes prononcées. Sur ce dernier point, la DGfip a fait part de difficultés à prouver le caractère intentionnel d'une délivrance indue de reçu fiscal, lequel est une condition sine qua non de l'imposition d'une sanction.

Sur les nouvelles obligations déclaratives prévues par l'article 19, le dispositif pâtit du caractère très général des données concernées, dès lors que seul le montant cumulé des dons reçus et le nombre de reçus fiscaux émis en contrepartie doivent être communiqués à l'administration fiscale. En termes de volume, 4,7 milliards d'euros de dons ont été déclarés en 2023 au titre de l'année 2022.

II. UNE RÉFORME DU RÉGIME DES CULTES QUI N'A PAS PRODUIT LES EFFETS ESCOMPTÉS S'AGISSANT DE LA RESTRUCTURATION DES CULTES EN FRANCE OU DE LA LUTTE CONTRE LE SÉPARATISME

La loi du 24 août 2021 a été dénoncée comme une remise en cause de compromis qui avaient été nécessaires pour apaiser la querelle religieuse en France à la suite de la loi du 9 décembre 1905. Rejeté par le culte catholique, ce régime ne s'est imposé que très progressivement, moyennant un aménagement spécifique destiné à préserver les spécificités de l'organisation hiérarchique de l'Église romaine.

La création, en 1924, des associations diocésaines70(*), assimilées par la jurisprudence à celles relevant de la loi de 1905, est l'aboutissement d'assouplissements considérables des contraintes posées à l'exercice d'un culte. L'article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes avait ainsi permis la création d'associations ayant un but cultuel sur le fondement de la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association. L'État avait même admis, loin de l'intransigeance des premières discussions de la loi de Séparation, que les réunions pour l'exercice du culte puissent être tenues sur la base d'initiatives individuelles sur le fondement de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion.

Or la loi du 24 août 2021 est revenue sur une part importante de ces assouplissements en alignant de fait, par son article 73, le régime de la partie cultuelle des associations dites mixtes relevant de la loi de 1907 sur celui des associations relevant de la loi de 1905, obligeant notamment à la tenue d'une comptabilité, et donc d'un compte bancaire, séparé de celle des activités culturelles ou sociales.

Cette augmentation des contraintes administratives avait pour ambition de rendre plus attractif le régime de la loi de 1905, qui ouvre la possibilité d'obtenir des dons et legs assortis d'avantages fiscaux pour les donateurs, régime complété par la possibilité nouvelle d'administrer des immeubles acquis à titre gratuit, c'est-à-dire de louer des biens reçus par donation et non affectés au culte et d'en tirer des revenus. Elle était présentée comme nécessaire pour la transparence des activités des associations cultuelles et ainsi éviter les dérives.

Mais le régime de 1905 a été lui-même soumis à un contrôle plus étroit, créant des bouleversements qui n'ont pas à ce jour produit les effets escomptés, tout en créant un climat de défiance regrettable avec les cultes.

A. UNE MISE EN CONFORMITÉ EN DEÇÀ DES OBJECTIFS

Les nouvelles obligations imposées aux cultes demeurent un défi pour le ministère de l'intérieur lui-même. Si l'administration centrale du ministère s'est réformée et étoffée pour élaborer puis mettre en oeuvre les dispositions de la loi CRPR, le bureau central des cultes, structure administrative créée en 1911 et relevant désormais de la nouvelle sous-direction des cultes et de la laïcité, n'a pu encore faire face à l'ampleur de la tâche réglementaire et pédagogique pour mettre en oeuvre la réforme du régime des cultes.

De plus, l'administration centrale a dû composer avec les difficultés auxquelles ont fait face les bureaux des cultes des préfectures, marqués par une longue période de désintérêt avant de se voir placés au coeur de la politique publique de lutte contre le séparatisme. Insuffisamment dotés en moyens matériels et humains, souvent trop peu ou pas formés aux nouvelles règles qu'ils devaient appliquer, les bureaux préfectoraux, au contact des bénévoles sollicitant la reconnaissance d'une association cultuelle, ont dans plusieurs départements appliqué de manière disparate et parfois même contraire aux textes les mesures que l'administration cherchait pourtant à clarifier en lien avec les cultes.

Face à la masse de dossiers à traiter, nombre de préfectures n'ont donc pas pu se concentrer sur les associations les plus éloignées du régime de 1905 et qu'il convenait d'accompagner. Certaines préfectures y sont cependant parvenues et elles s'imposent dès lors comme des modèles à suivre.

1. Un processus complexe pour des administrations territoriales souvent trop peu préparées

L'article 69 de la loi CRPR constitue une évolution majeure des relations entre l'État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut prévu par la loi de 1905. L'article 88 entraînait l'obligation de déposer ce dossier de cultualité avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.

Cette mesure était centrale au projet de loi. Elle avait un double objectif. Le premier était de police administrative : s'assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d'association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France en utilisant les dispositions combinées des articles 69 et 7371(*) de la loi pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations relevant de la loi de 1905.

Les résultats obtenus, au prix d'importantes difficultés administratives, ne sont pas à la hauteur des attentes. Sans entraîner, au moins pour le moment, de bascule vers le régime de 1905, la nouvelle procédure de déclaration préalable a essentiellement conforté le sentiment de défiance des cultes, cette impression étant même partagée désormais par ceux qui étaient les plus engagés dans l'élaboration de la loi.

Les chiffres communiqués aux rapporteures font état de plus de 3 000 associations cultuelles actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d'instruction, dont 300 relevant du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles (les plus nombreuses étant les protestantes).

Les auditions conduites par les rapporteures ont permis de constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d'obstacles administratifs liés à l'impréparation des préfectures, sans doute faute d'information et de formation. Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d'engagement républicains. La méconnaissance des spécificités des associations cultuelles a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines qui leur était soumis, alors que ceux-ci sont définis par un accord international. La charge administrative pesant sur les membres des associations s'est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l'avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. La difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures de faire face à l'afflux des demandes (plus de 1 800 dossiers instruits entre début 2022 et juin 2023 plus de 1 200 nouvelles demandes entre juin 2023 et février 2024) s'est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l'attestation de qualité cultuelle que les associations sont en droit de demander.

Ainsi que le Sénat l'avait adopté en 2021, les rapporteures souhaitent donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction à la suite de la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration.

Extrait du rapport de la commission des lois
sur l'article 27 du projet de loi CRPR

« La commission des lois a jugé pertinent l'objectif recherché par le Gouvernement, qui souhaite pouvoir ainsi s'assurer qu'une association cultuelle bénéficiant d'importants avantages fiscaux respecte bien les règles de fonctionnement qui s'imposent à elle et ne trouble pas l'ordre public. Il serait inconcevable que la générosité publique et le contribuable financent par ce biais des entreprises séparatistes.

« Toutefois, elle a également été sensible aux critiques exprimées par de nombreux représentants des cultes, qui craignent qu'un tel excès de formalisme confine à la suspicion généralisée contre les croyants et nuise à l'activité ou au financement d'associations bien installées et parfaitement respectueuses des lois de la République.

« En outre, comme l'ont relevé les rapporteures pendant leurs auditions, il n'est pas établi que les services des préfectures disposent réellement des moyens suffisants pour faire face à l'afflux de dossiers qu'il leur faudra désormais instruire chaque année, eux qui peinent déjà à répondre dans un délai raisonnable aux demandes de rescrits administratifs déposées par les associations cultuelles. Alors que l'étude d'impact évoque un quintuplement des demandes, aucune hausse de moyens correspondante n'a, semble-t-il, été prévue.

« La commission a, dès lors, souhaité introduire plus de souplesse lors du renouvellement des demandes des associations dont la qualité cultuelle aura déjà été reconnue pour une première période de cinq ans (...) ».

Proposition n° 10 : Conformément au vote du Sénat lors de la discussion du projet de loi, introduire plus de souplesse lors du renouvellement des demandes des associations dont la qualité cultuelle aura déjà été reconnue pour une première période de cinq ans :

- Si, informée de la volonté d'une association de voir la reconnaissance de sa qualité cultuelle prolongée pour cinq nouvelles années, l'administration ne lui répond pas, la prolongation sera automatique par tacite reconduction ;

- Si, à l'inverse, l'administration souhaite disposer de plus d'informations pour exercer son contrôle, elle peut décider de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration, et se réserve ainsi le moyen de former opposition au vu du nouveau dossier qui lui sera soumis.

2. Des effets paradoxaux qui demandent un travail de concertation et une mobilisation des services de l'État pour accompagner les structures les plus éloignées du cadre de la loi de 1905

La nouvelle procédure a également entraîné un effet paradoxal mais sans doute inévitable : l'obligation faite à des associations bénéficiant depuis parfois plusieurs décennies du statut d'association 1905 de se séparer d'une partie de leurs activités considérées comme sociales ou culturelles et dont la nature ou l'ampleur faisaient qu'elles ne pouvaient être considérées comme accessoires à l'activité cultuelle.

L'objet des associations cultuelles relevant de la loi de 1905 obéit en effet à un principe de spécialité exclusive. Créée pour « subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte »72(*), l'association ne doit et ne peut être consacrée qu'à des activités en lien avec l'exercice public de ce culte. Il convient de relever que la loi de 1905 ne concerne que cet exercice public et non l'exercice privé du culte. D'autre part, faute de définition explicite dans la loi de 1905, c'est à la jurisprudence qu'il est revenu de fixer les contours de la notion de culte. Le culte est défini comme « la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques »73(*). Le respect de cette condition d'exclusivité s'apprécie tant au regard non seulement des stipulations statutaires de l'association (son objet), mais aussi de ses activités réelles.

Il existe cependant la possibilité pour une association cultuelle relevant du régime de 1905 d'exercer d'autres activités, si celles-ci se rattachent directement à l'exercice du culte et présentent un caractère strictement accessoire.

Soumises à l'examen nécessaire à la reconnaissance de leur qualité cultuelle, des associations relevant de la loi de 1905 se sont donc trouvées face à l'obligation de créer des structures relevant de la loi de 1901 pour ne pas se voir refuser le caractère cultuel. C'est sous la seule forme d'associations de loi de 1901 qu'elles pourront continuer à conduire des activités qu'elles assumaient historiquement, notamment dans le champ social. Ces cas, auxquels s'ajoute l'incertitude liée à la notion d'activité accessoire, susceptible d'être interprétée différemment selon les préfectures, ont renforcé le sentiment d'associations de se trouver soumises à des contraintes disproportionnées au regard de l'ancienneté de leur engagement républicain.

Tant la Fédération protestante de France que le Grand Rabbin ont fait part à vos rapporteures de difficultés techniques et juridiques persistantes. Certaines sont susceptibles de faire obstacle à la location des biens immobiliers, possibilité qui découle de la loi CRPR (article 71), d'autres sont relatives à la difficulté de mobiliser les fonds destinés à la rénovation des bâtiments religieux.

Au regard des difficultés rencontrées par les associations, il est également important que le ministre de l'intérieur puisse envisager avec les cultes des solutions aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales historiques des associations cultuelles.

Proposition n° 11 : Répondre, en lien avec la sous-direction en charge des cultes et les ministères concernés, aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales des associations cultuelles.

Il apparaît également indispensable que le travail engagé avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur se poursuive pour publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations. La Fédération protestante de France, particulièrement investie dans le dialogue avec le bureau des cultes a souligné ce point à plusieurs reprises et avec force notamment auprès des rapporteurs.

L'accompagnement des associations mixtes vers le statut de 1905 doit être une mission prioritaire mobilisant l'action des préfectures. Les exemples de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, où les préfets ont mené une politique active d'incitation, et parfois de sanction avec le prononcé d'astreintes en cas de non mise en conformité des statuts, mais aussi d'accompagnement, montrent que des actions de ce type sont efficaces. Cela exige la mobilisation des services de l'État.

Ce travail est d'autant plus nécessaire que, face à la complexité des démarches à accomplir, une activité de conseil et d'accompagnement s'est développée au sein du secteur, qui ne peut que renforcer la crédibilité et le poids de ceux qui s'y consacrent. Or si ce travail est utile et pleinement légitime s'agissant des fédérations interlocutrices habituelles de l'État, ou du groupe de travail constitué au sein du Forum de l'islam de France, il est susceptible de poser question s'agissant de structures moins établies, voire de favoriser l'entrisme.

Proposition n° 12 : Publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

3. Une structure de dialogue avec l'islam de France encore en mal de légitimité : le forum de l'islam de France (FORIF)

Parallèlement à la loi du 24 août 2021, le Président de la République a souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes, dans l'« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d'un Islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l'entrisme de ceux qui s'opposent à la République et sont des propagateurs de haine ». Lancé en février 2022 au palais d'Iena, réuni au Palais de l'Élysée en février 2023 et au ministère de l'intérieur en février 2024, le FORIF est une structure dont le devenir interroge les rapporteures. Constitué de groupes de travail, le forum se voit appelé par l'État à se pencher sur des sujets d'une particulière importance, les violences anti-musulmanes ou le statut des imams par exemple. Il doit même être le porteur d'un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait du ministre de l'intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier.

Pourtant, comme l'indique le ministre, le FORIF est une méthode et non une structure ; ni sa composition, ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré des demandes répétées. Sans minimiser l'intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail du FORIF, la transition d'une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l'État.

Les rapporteurs souhaitent donc que la composition du FORIF soit rendue publique dans les meilleurs délais.

Proposition n° 13 : Publier dans les plus brefs délais la composition du Forum de l'Islam de France et garantir la transparence de son fonctionnement.

B. LA LUTTE CONTRE LES FINANCEMENTS ÉTRANGERS

La loi CRPR a mis en place un dispositif de contrôle renforcé des financements en provenance de l'étranger, qui s'applique à la fois :

à certaines associations fondées sous le régime de la loi de 1901 (article 21) ainsi qu'à certains fonds de dotation (article 22) : le nouvel article 4-2 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat impose aux associations et fonds de dotation recevant plus de 153 000 euros de dons de tenir un état comptable séparé des avantages et ressources lorsqu'ils bénéficient, directement ou indirectement, de ressources en provenance de l'étranger74(*). Le non-respect de cette obligation est passible d'une amende de 3 750 euros, dont le montant peut être porté au quart de la somme des avantages et ressources provenant de l'étranger non-inscrits à l'état séparé. Les fiducies ou personnes morales de droit français concourant à ces financements étrangers peuvent par ailleurs être soumis à une obligation de certification de leurs comptes75(*) ;

aux associations cultuelles fondées sous le régime de la loi de 1905 (articles 75 et 77)76(*) : le nouvel article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 impose aux associations cultuelles de déclarer à l'autorité administrative les financements qu'elles perçoivent directement ou indirectement en provenance de l'étranger lorsque leur montant ou valorisation dépasse 15 300 euros. Le non-respect de cette obligation est également passible d'une amende de 3 750 euros, dont le montant peut être porté au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction. Par ailleurs, l'autorité administrative dispose d'un droit d'opposition lorsque « les agissements de l'association bénéficiaire ou de l'un de ses dirigeants ou administrateurs établissent l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ». Enfin, l'article 75 de la loi CRPR soumet les associations cultuelles à une obligation de certification de leurs comptes lorsque le montant total des ressources et avantages provenant de l'étranger excède 50 000 euros ainsi qu'à une obligation de tenue d'un état comptable séparé desdites ressources ;

aux associations mixtes (article 73) : l'article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 relatif au financement étranger est applicable aux associations mixtes77(*).

Le Sénat s'était montré favorable à la mise en place d'un régime de contrôle des financements en provenance de l'étranger, en particulier s'agissant des associations cultuelles. Lors de l'examen de la loi CRPR, la commission des lois avait ainsi relevé que « certaines organisations, y compris étatiques ou paraétatiques, [utilisaient] leurs capacités de financement comme le levier de la poursuite d'objectifs politiques, qui peuvent être discutables » et que « ces financements [pouvaient] ainsi constituer l'instrument de stratégies d'influence ou d'ingérence, justifiant un contrôle légitime des pouvoirs publics »78(*). Elle estimait même que l'instauration d'un dispositif de contrôle revêtait l'importance d'un enjeu de souveraineté.

Selon les éléments transmis par la DLPAJ, « les obligations relatives aux financements étrangers ont été plutôt bien comprises ». En termes quantitatifs, 418 déclarations ont été traitées entre le 25 avril et le 31 décembre 2022 (comprenant 2 359 financements pour un montant total de 25 milliards d'euros) et 397 au premier trimestre 2023 (comprenant 1 766 financements pour un montant de 28 milliards d'euros). Les principales associations bénéficiaires sont celles des cultes musulman, protestant et mormon. Selon les éléments portés à la connaissance de la mission d'information, l'administration n'a jamais fait usage de son droit d'opposition et aucune amende n'a jamais été prononcée. L'administration ne s'est pas non plus opposée à la perception de libéralités par des associations cultuelles, comme lelui autorise le nouvel article 910-1 du code civil introduit par l'article 78 de la loi CRPR.

Les représentants des cultes auditionnés ont en revanche fait état de certaines difficultés matérielles pour procéder aux déclarations, en raison notamment de la complexité du formulaire. L'obligation de certification des comptes a également pu être source de difficultés ponctuelles pour les plus petites associations cultuelles, mais qui semblent pour l'essentiel résorbées.

Le contrôle des financements étrangers représente l'un des points de satisfaction de la loi CRPR. Le service de renseignement financier Tracfin a ainsi indiqué aux rapporteures avoir observé un « effet signal » qui se traduit par une nette diminution des flux de financements, désormais résiduels. Dans l'ensemble, les représentants de Tracfin auditionnés ont souligné que « dans leur quasi-totalité, les associations au sujet desquelles [le service avait] été saisi n'avaient pas été destinataires de flux financiers directs non déclarés provenant d'organismes étrangers ». Si Tracfin a reçu 21 650 déclarations de soupçons portant sur la thématique cultuelle au sens large entre 2019 et octobre 2023, une nette décroissance a été observée à partir de l'entrée en vigueur de la loi CRPR (- 30 %). Par ailleurs, ces chiffres doivent être analysés avec précaution dans la mesure où ils regroupent l'ensemble des déclarations de soupçon portant sur la thématique cultuelle et où leur qualité est extrêmement disparate.

Si les rapporteures soulignent la réussite de ce pan de la loi CRPR, elles appellent toutefois à ne pas relâcher la vigilance au cours des prochaines années. Selon les informations communiquées par Tracfin, cette réduction des flux en provenance de l'étranger est en effet moins le résultat d'un tarissement stricto sensu que d'une réorientation vers d'autres États, en particulier africains. Dans un contexte d'intrication croissante des économies, ce constat est préoccupant et incite au maintien d'une surveillance active en matière de financements étrangers.

C. LE TRAITEMENT DES INFRACTIONS À LA LÉGISLATION SUR LES CULTES

La police des cultes a pour objet de garantir le respect de l'ordre public dans le cadre des pratiques religieuses. Elle revêt plusieurs aspects, également importants aux yeux du Sénat. Or si la police des lieux de culte a été mise en oeuvre, les mesures relatives aux ministres des cultes ou aux pressions religieuses n'ont pas trouvé à s'appliquer.

1. Une mesure nécessaire : la fermeture temporaire des lieux de culte

L'article 87 de la loi CRPR a donné au préfet la possibilité de prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent, provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence. Cette mesure permet de prononcer la fermeture de lieux de cultes où est prôné le séparatisme sans avoir à se fonder sur les dispositions existantes en matière de terrorisme ou sur les dispositions techniques relatives aux établissements recevant du public.

Lors de son audition par la commission des lois le 27 février dernier, le ministre de l'intérieur a évoqué 18 fermetures intervenues depuis la fin de l'état d'urgence sanitaire grâce à la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) de 2017, puis à la loi confortant le respect des principes de la République. Il a fait état de sa satisfaction sur le fonctionnement de la mesure en indiquant que sa limitation à deux mois renouvelables n'était pas pour lui un obstacle pratique : en effet, « lorsque nous fermons le lieu de culte, c'est pour faire le ménage au sein de l'association. Cela fonctionne très bien. Dans le cas très précis d'une mosquée en banlieue parisienne, j'ai même anticipé la réouverture, car l'association a pris des décisions telles que se séparer de l'imam, mettre fin à des financements et changer de président ».

2. Une mesure imparfaite : la clause « anti-putsch »

L'article 68 de la loi CRPR a fait évoluer les règles de fonctionnement des associations relevant de la loi de 1905 vers plus de démocratie, ce qui a été salué par les représentants des cultes entendus lors des auditions des rapporteures. Cet article avait également pour but d'agir préventivement par une clause dite « anti-putsch » imposant que les statuts associatifs soumettent certains actes importants à la délibération d'un organe collégial (nouvelles adhésions, modification statutaire, cessions et, le cas échéant, recrutement de ministres du culte).

Tant les représentants de cultes que les services de l'État ont pointé le faible nombre de situations dans lesquelles cette mesure avait pu utilement s'appliquer. Il apparaît que la clause ne permet ni d'éviter la prise en main des associations par des éléments extrémistes, ni de remédier aux putschs s'ils surviennent. Il est donc proposé de réfléchir à une évolution de cette disposition afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement des actes problématiques.

Proposition n° 14 : Faire évoluer la clause « anti-putsch » afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement d'actes problématiques.

3. Des mesures trop peu investies par la justice

Le Sénat avait, lors de la discussion de la loi CRPR, souhaité un renouvellement de la police des cultes, qui dès 1905 visait les comportements séparatistes des ministres des cultes et d'individus prétendant imposer des pratiques religieuses. Il avait donc augmenté les peines applicables aux ministres provoquant publiquement, dans les lieux où s'exerce le culte, à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, au soulèvement ou à la guerre civile (article 82 de la loi CRPR). Il avait également souhaité élargir les circonstances aggravantes pour ceux qui « ont agi en vue de déterminer [une personne] à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. » (article 81 de la loi CRPR).

Les rapporteurs n'ont cependant pu que constater que la justice est très peu saisie des questions relatives à la police des cultes et que les mesures prises ne trouvent quasiment pas à s'appliquer. On peut bien sûr penser que le nombre de cas où les infractions seraient constituées est réduit. Mais il se peut aussi que le traitement administratif soit privilégié dans les procédures contre les ministres des cultes. Les rapporteures craignent également des pressions exercées pour qu'une personne pratique une religion ne soient trop souvent négligées, spécialement dans le cadre familial.

Proposition n° 15 : Encourager par le biais d'une circulaire conjointe des ministres de l'intérieur et de la justice la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d'éviter un traitement purement administratif de ces questions.

Proposition n° 16 : Intégrer à l'article 31 de la loi de 1905 la circonstance aggravante voulue par le Sénat dans le cas où un membre de la famille force la participation à un culte.

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 6 MARS 2024

M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner le rapport d'information sur l'application de la loi confortant le respect des principes de la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Dominique Vérien et moi-même vous proposons aujourd'hui de nous pencher sur l'application d'un texte que le Sénat n'a pas adopté : la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce texte, et c'est significatif, est connu sous plusieurs noms : on parle de loi confortant le respect des principes de la République, plus souvent de loi séparatisme, parfois de loi laïcité. C'est le résultat des incertitudes sur l'objet du texte.

Nous avions salué le fait qu'il marquait une prise de conscience nécessaire du péril que fait peser la radicalisation islamiste sur notre pays. Mais nous avons rapidement pris conscience du fait que ce texte, même s'il comporte des dispositions intéressantes, est bien trop technique et trop peu ambitieux pour changer la situation. Presque trois ans après l'adoption en lecture définitive du texte par l'Assemblée nationale, nous constatons, à regret, que nos réserves étaient fondées et que tout reste à faire.

Le texte, il faut le dire, a été largement conforté par la jurisprudence, que ce soit par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État. Certaines de ses dispositions ont trouvé à s'appliquer, mais souvent d'une manière totalement différente de celle qui était envisagée par les auteurs de la loi : je pense à la dissolution des associations ou aux retraits de subventions ; je pense aussi, de manière plus large, à la lutte contre la haine en ligne.

Pour notre part, nous nous sommes intéressées à l'impact de ce texte sur la préservation des valeurs de la République au travers des quatre thématiques relevant de la commission des lois : la fonction publique, les collectivités territoriales, les relations avec les associations et les cultes. Nous ne pouvions pas nous pencher sur les domaines qui relèvent de la commission de la culture, soit l'éducation et le sport. Là aussi, il y aurait beaucoup à dire.

J'aborderai d'abord la question de la laïcité dans la fonction publique.

Peu innovante en matière de laïcité dans l'administration, la loi du 24 août 2021 a opéré des rappels s'agissant de l'action et de la déontologie des fonctionnaires et a tenté de redynamiser, en lui donnant un statut législatif, la fonction de référent laïcité, qui existait déjà, mais n'était pas mise en oeuvre partout. L'article 3 prévoit ainsi l'obligation pour toute administration de nommer un référent laïcité, notamment chargé d'apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout fonctionnaire ou chef de service qui le consulte et d'organiser la journée de la laïcité du 9 décembre.

Toutefois, le déploiement de ce dispositif, censé être la cheville ouvrière de la laïcité dans l'administration, se heurte à de nombreuses difficultés. La première, que nous avions pointée en 2021, est de trouver les profils et les compétences requises pour cette fonction. N'est pas expert en matière de laïcité et de valeurs de la République qui veut, surtout pour exercer des fonctions impliquant notamment de dresser annuellement « un état des lieux de l'application du principe de laïcité et, le cas échéant, des manquements constatés ».

Par ailleurs, pour ne pas multiplier les fonctions, la fusion des postes de référent laïcité et de référent déontologue a été préconisée. Elle a d'ailleurs été présentée comme une opportunité de disposer d'une vision d'ensemble des obligations déontologiques des fonctionnaires.

Cependant, certains ministères au sein desquels les déontologues s'occupent principalement des questions relatives aux mobilités et aux liens avec le secteur privé, à l'instar des établissements hospitaliers, se trouvent confrontés à des difficultés pour accomplir véritablement les deux missions. Les administrations centrales craignent donc que des postes de référent laïcité au sein de certains établissements ne constituent en fait qu'une mise en conformité nominale, sans mise en oeuvre réelle des missions prévues par la loi.

Sans demander des référents laïcité dédiés à ce seul sujet, ce qui ne se justifie pas toujours, nous préconisons donc que la formation de ces référents à leur mission spécifique soit garantie.

Le réseau des référents laïcité se construit progressivement : 17 000 référents ont été nommés dans les ministères, dont 14 000 au ministère de l'éducation nationale. L'appropriation de cette obligation par les collectivités territoriales semble toutefois plus laborieuse. À titre d'exemple, seules 3 communes iséroises sur 512 s'y étaient conformées fin 2022.

Sur le fond, les bénéfices de ce dispositif sont encore peu perceptibles. Le rapport annuel d'activité sera établi pour la première fois au titre de l'année 2023 et devrait permettre de disposer à terme d'une photographie du nombre et du type d'atteintes à la laïcité et au principe de neutralité religieuse signalées indépendamment d'une procédure disciplinaire. Nous attendons donc impatiemment que le ministère de l'intérieur mène à bien ce lourd travail de collecte et de compilation.

Nous pensons que, pour connaître la situation dans les administrations et aider réellement les agents, il faut nous fonder sur ce qui fonctionne. Nous proposons de créer dans chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'éducation nationale. Ce collège sera chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre l'organisation des formations et de centraliser la remontée du nombre de saisines et des éventuelles questions posées.

L'article 3 de la loi prévoyait également que tous les agents publics soient formés à la laïcité. Avant l'adoption du projet de loi, le gouvernement d'alors avait annoncé sa volonté de former l'ensemble des agents publics au respect du principe de laïcité d'ici à 2025. Une stratégie de formation interministérielle a été mise en place au niveau de l'État, qui conjugue une formation « socle » à distance de deux heures pour l'ensemble des agents et des formations en présentiel pour les agents identifiés comme prioritaires, en particulier ceux qui sont en relation avec le public. Selon les données disponibles, 505 000 agents publics ont aujourd'hui été formés à la laïcité, dont 380 000 au ministère de l'éducation nationale. Il n'existe toutefois pas de données agrégées au niveau des collectivités territoriales. Rappelons quand même qu'il y a plus de 5 millions d'agents publics en France...

Concrètement, l'objectif de formation de 100 % des agents d'ici à décembre 2025 est hors de portée. Cela ne veut pas dire qu'il faut relâcher l'effort. Des comportements d'agents publics contraires à la laïcité existent, comme le rapport de Patrick Pelloux l'a montré pour l'hôpital, et nous savons tous qu'il faut les aider à faire face aux atteintes à la laïcité auxquelles ils sont confrontés.

Afin de mieux protéger les agents, l'article 9 de la loi a créé un nouveau délit de séparatisme. Force est de constater que ces faits sont aujourd'hui relativement peu, voire très peu poursuivis. Le préfet de la Seine-Saint-Denis nous a indiqué avoir identifié uniquement trois dossiers.

La direction générale de la fonction publique a pointé, pour sa part, le périmètre beaucoup trop restrictif du dispositif. Nous proposons d'étudier cette question.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - J'aborderai maintenant les dispositions de la loi qui sont relatives aux associations, ainsi qu'aux collectivités territoriales. Autant le dire tout de suite, le bilan n'est guère plus reluisant que celui que Jacqueline Eustache-Brinio vient de vous présenter au sujet de la fonction publique.

Commençons par le sujet qui fâche : le contrat d'engagement républicain. Celui-ci avait alors été défendu d'arrache-pied par le Gouvernement comme un instrument potentiellement décisif pour lutter contre le séparatisme dans la sphère associative. Je rappelle que ce dispositif, qui figure à l'article 6 de la loi précitée, conditionne l'octroi de subventions publiques aux associations ou fondations à la signature d'un contrat. La subvention peut être refusée aux organismes qui n'en remplissent pas les critères ou retirée lorsque l'activité de l'association est contraire à ces principes.

L'enjeu était grand puisque l'on dénombre plus de 1,5 million d'associations actives en France et que près de 61 % d'entre elles perçoivent des subventions publiques. Bien entendu, la plupart sont irréprochables au regard des valeurs de la République : il est impératif de le souligner aujourd'hui, comme nous l'avions d'ailleurs fait en 2021. Mais gardons-nous de toute naïveté : il existait et il existe encore des associations en délicatesse avec nos valeurs, et c'est précisément pour combattre celles-ci que le contrat d'engagement républicain a été imaginé.

Ne nous voilons pas la face : l'éléphant a accouché d'une souris. Le contrat d'engagement républicain est très loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir dans la lutte contre le séparatisme.

M. Philippe Bas. - C'était prévisible !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - La faute en revient tout d'abord aux choix réalisés par l'administration dans la mise en oeuvre concrète du dispositif. Force est de constater que la signature du document relève aujourd'hui davantage d'une formalité administrative que d'un quelconque engagement. Pour remplir cette obligation, il suffit de cocher une case qui se situe à la septième des dix pages du formulaire Cerfa de demande de subvention. La portée de cet engagement n'est même pas explicitée : pour connaître le contenu concret du contrat, il faut se référer à l'annexe du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021. Autant dire que personne ne regarde vraiment ce qu'il recouvre...

Il nous paraît donc indispensable de redonner du sens à ce contrat. Pour cela, nous appelons l'exécutif à en faire un document indépendant du formulaire de subvention. La signature du contrat d'engagement républicain n'est pas une formalité comme les autres, et il est crucial que les associations en soient conscientes. Il est donc impératif de rendre cet engagement à la fois plus éclairé et plus solennel !

Au-delà de ces questions de forme, nous regrettons vivement que les services de l'État ne se soient pas emparés plus avant de cet outil. Je ne m'étendrai pas sur le fait qu'il n'existe aucun canal centralisé de remontée des données, ce qui est une nouvelle illustration de l'absence de culture de l'évaluation dans notre pays. Les quelques chiffres que nous avons pu collecter au cours de nos travaux se suffisent toutefois à eux-mêmes : le contrat d'engagement républicain n'a jamais donné lieu à aucun refus de subvention. Quant au nombre de retraits de subvention pour manquement à ses stipulations, nous en avons recensé quatre en deux ans et demi : un groupuscule d'extrême droite en Isère, l'association de protection, d'information et d'études de l'eau et de son environnement (APIEEE) dans les Deux-Sèvres, l'association Alternatiba dans le Rhône ainsi que l'association Canal Ti Zef dans le Finistère.

Le ministère de l'intérieur se défend en indiquant que la validation du décret d'application par le Conseil d'État n'est intervenue que très récemment. Dont acte. Mais tout de même, nous sommes en droit d'attendre mieux.

L'analyse de la liste des retraits de subvention laisse par ailleurs perplexe. La plupart d'entre eux concernent plus des associations militantes que séparatistes. Sans se prononcer sur le bien-fondé de leurs actions, qui peut être contestable, force est de constater que la loi a raté son objectif. Comme nous l'ont dit tous nos interlocuteurs, il suffit finalement à une association réellement séparatiste de ne pas solliciter de subventions pour passer sous les radars...

Sans surprise, la philosophie de notre ministère de l'intérieur - « gentil avec les gentils, méchant avec les méchants » - s'est finalement traduite par une nouvelle obligation administrative pour les gentils et une remarquable liberté pour les méchants. Tout cela a eu un prix : une dégradation nette des relations avec le monde associatif qui, à tort ou à raison, s'est senti stigmatisé par le dispositif, voire, le craint.

Là aussi, un sursaut s'impose ! Pour ce faire, nous recommandons de nous inspirer de l'action des préfets qui ont pris des initiatives intéressantes et que nous appelons à généraliser. C'est le cas du préfet de la Seine-Saint-Denis, qui a donné instruction aux collectivités de lui faire remonter l'ensemble des demandes de subvention formulées par les associations cultuelles dites « mixtes » afin de les soumettre à un contrôle approfondi.

J'en viens maintenant à l'autre instrument majeur intéressant le monde associatif : la modernisation du régime des dissolutions.

Le bilan est plutôt positif sur ce point puisque l'article 16 de la loi a indéniablement favorisé le recours à la dissolution. Sur les six dissolutions décrétées en 2023 et 2024, quatre étaient partiellement fondées sur le nouveau motif de « provocation à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». Certes la dissolution des Soulèvements de la terre a été annulée, mais nous disposons désormais d'une définition large et précise de la notion de « provocation ». Sur l'initiative de Marc-Philippe Daubresse, nous avions d'ailleurs entrepris de la consacrer dans la loi lors de l'examen de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste. Nous avions également voté la création d'un nouveau régime de dévolution des biens des associations dissoutes. Il serait donc de bon ton que la navette reprenne au plus vite.

Les autres dispositions applicables aux associations étaient essentiellement techniques et ont eu pour la plupart une portée limitée. Seules deux amendes ont été prononcées pour une émission irrégulière de reçus fiscaux tandis que la législation sur les fonds de dotation semble faire l'objet d'une application très disparate selon les territoires. Le préfet d'Isère nous a notamment alertés sur ce dernier point lors de son audition.

Je serai plus brève sur les dispositions applicables aux collectivités territoriales. Malheureusement, le bilan est toujours aussi terne de ce côté-là.

De l'avis général, les collectivités ne se sont pas encore pleinement approprié leurs nouvelles obligations. Nos travaux ont mis en évidence d'importantes disparités dans l'application de cette loi par les élus. Au-delà de la question des référents laïcité que Jacqueline Eustache-Brinio a évoquée, il est notamment possible de citer l'avis obligatoire du préfet sur les projets relatifs à des constructions de lieu de culte ou l'information du même préfet de la garantie d'un emprunt contracté à cette fin. Dans un cas comme dans l'autre, les collectivités ne semblent pas encore avoir pleinement intégré l'évolution des normes applicables. Cela est d'autant plus préoccupant que l'État ne s'est pas saisi des outils de contrôle que le législateur lui a pourtant offerts. Vous l'avez deviné, je parle bien du désormais célèbre référé laïcité qui, à notre connaissance, a été utilisé en tout et pour tout à deux reprises : une fois en Isère, pour suspendre l'application du règlement intérieur des piscines de Grenoble, et une autre fois, sans succès, en Seine-Saint-Denis. Au fond, le référé laïcité a bien plus alimenté les copies de contentieux administratif que la lutte contre les atteintes à la laïcité...

Nous appelons donc à intégrer pleinement les atteintes à la laïcité dans les priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et à systématiser l'usage du déféré laïcité.

De manière générale, nous pensons que l'importance de cette loi justifie que les services de l'État puissent adapter leur organisation en conséquence, lorsque les circonstances locales le justifient. Nous plaidons donc pour la désignation dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche pourrait par ailleurs être nommé dans les territoires les plus sensibles sur ce sujet.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - J'en viens à ce qui devait être le point central de la loi de 2021, à savoir la réforme du régime des cultes et de la loi de 1905.

Là encore, le résultat est décevant. Les cultes les plus favorables à la loi s'estiment aujourd'hui inutilement remis en cause alors que les plus éloignés du régime de 1905 n'y sont pas véritablement rentrés.

L'article 69 de la loi constitue, je le rappelle, une évolution majeure des relations entre l'État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut d'association loi de 1905. Il entraînait l'obligation de remplir une déclaration de qualité cultuelle avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.

Cette mesure avait un double objectif. Le premier concernait la police administrative : s'assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d'association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations loi de 1905.

Les chiffres qui nous ont été communiqués font état de plus de 3 000 associations actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d'instruction, dont 300 relèvent du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles et 2 600 mosquées.

Nous avons pu constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d'obstacles administratifs liés à l'impréparation des préfectures, sans doute faute d'information, de formation et de personnel dédié.

Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d'engagement républicain, ce qui n'était pas prévu.

La méconnaissance des spécificités des associations cultuelles a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines, alors que celui-ci est défini par un accord international.

La charge administrative pesant sur les membres des associations, qui sont souvent des bénévoles, s'est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l'avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. La difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures de faire face à l'afflux des demandes s'est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l'attestation de qualité cultuelle.

Ainsi que le Sénat l'avait voté en 2021, nous souhaitons donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction à la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration.

La nouvelle procédure a également entraîné un effet paradoxal, mais sans doute inévitable : l'obligation faite à des associations bénéficiant depuis parfois plusieurs décennies du statut d'association loi de 1905 de se séparer d'une partie de leurs activités considérées comme sociales ou culturelles et dont la nature ou l'ampleur faisaient qu'elles ne pouvaient être considérées comme accessoires à l'activité cultuelle.

Des associations relevant de la loi de 1905 se sont donc trouvées face à l'obligation de créer des structures relevant de la loi de 1901 pour ne pas se voir refuser le caractère cultuel. C'est sous cette seule forme qu'elles pourront continuer à conduire des activités qu'elles assumaient historiquement. Ces cas, auxquels s'ajoute l'incertitude liée à la notion d'activité annexe, susceptible d'être interprétée différemment selon les préfectures, ont renforcé le sentiment de nombreuses associations cultuelles de se trouver soumises à des contraintes disproportionnées au regard de l'ancienneté de leur engagement républicain.

Au regard des difficultés rencontrées par les associations, il est également important que le ministre de l'intérieur puisse envisager avec les cultes des solutions aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments - la synagogue de Verdun en est un exemple frappant -, à la location des immeubles et aux activités sociales historiques des associations cultuelles.

Il nous apparaît également particulièrement important que le travail engagé avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur se poursuive pour publier au plus vite les textes réglementaires et les fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

L'accompagnement des associations mixtes vers le statut de 1905 doit être une mission prioritaire mobilisant l'action des préfectures. Les exemples de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, où les préfets ont mené une politique active d'incitation, parfois de sanction avec le prononcé d'astreintes en cas d'absence de mise en conformité des statuts, mais aussi d'accompagnement, montrent que des actions de ce type sont efficaces. Cela exige la mobilisation des services de l'État sur l'ensemble du territoire.

On peut noter que les nouvelles obligations imposées aux associations cultuelles en matière de déclaration des financements étrangers semblent avoir produit leurs effets. Le service de renseignement Tracfin nous a ainsi indiqué avoir observé un « effet signal » qui se traduit par une nette diminution des flux de financements, désormais résiduels. Il ne faudra pas cependant relâcher la vigilance.

La loi de 2021 devait aussi, et nous y étions attachés, rénover la police des cultes, qui a pour objet de garantir le respect de l'ordre public dans le cadre des pratiques religieuses. Or toutes les mesures relatives à la police des cultes n'ont pas été appliquées de la même manière ni avec la même efficacité sur tout le territoire.

L'article 87 a donné au préfet la possibilité de prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent incitent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes, tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence, ou remettent en cause les valeurs de la République.

Le 27 février dernier, lors de son audition, le ministre a fait état de sa satisfaction sur le fonctionnement de la mesure, ce qui nous étonne, au vu du faible nombre - seulement trois - de lieux de culte fermés depuis la promulgation de la loi.

D'autres mesures paraissent moins efficaces, comme la clause « anti-putsch » prévue par l'article 68. Il est donc proposé de réfléchir à une évolution de cette disposition afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement des actes problématiques.

Nous estimons enfin que certaines mesures sont trop peu investies par la justice. Dès 1905, la loi a réprimé les comportements séparatistes des ministres des cultes et d'individus prétendant imposer des pratiques religieuses.

Notre assemblée avait donc augmenté les peines applicables aux ministres des cultes incitant publiquement, dans les lieux où s'exerce le culte, à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, au soulèvement ou à la guerre civile. Philippe Bas, notamment, avait fait des propositions efficaces en ce sens. Mais la justice est très peu saisie des questions relatives à la police des cultes et les mesures prises ne trouvent quasiment pas à s'appliquer.

Nous souhaitons donc que ces dispositions soient mieux appliquées et complétées, comme le souhaitait le Sénat.

J'en viens pour conclure à un point qui me semble particulièrement important même s'il ne figure pas dans la loi elle-même. En effet, parallèlement à la loi du 24 août 2021, le Président de la République a souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes, dans l'« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d'un islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l'entrisme de ceux qui s'opposent à la République et sont des propagateurs de haine ».

Lancé en février 2022 au palais d'Iéna, réuni au palais de l'Élysée en février 2023 et au ministère de l'intérieur en février 2024, le Forum de l'islam de France (Forif) est une structure dont le devenir nous interroge. Constitué de groupes de travail, le Forif se voit appelé par l'État à se pencher sur des sujets d'une particulière importance, comme le statut des imams et leur formation. Il doit même être le porteur d'un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait du ministre de l'intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier, auquel j'ai assisté en compagnie de Dominique Vérien.

Pourtant, comme l'indique le ministre, le Forif est une méthode et non une structure ; ni sa composition ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré nos demandes répétées. Sans minimiser l'intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail, la transition d'une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l'État. Nous souhaitons donc que la composition du Forif et le nombre de groupes de travail soient rendus publics dans les meilleurs délais.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Vous l'aurez compris, trois ans plus tard, nous ne pouvons nous satisfaire de si peu, même si nous ne négligeons pas les difficultés ni l'importance des travaux en cours. Nous vous soumettons donc seize recommandations pour essayer de rendre les dispositions plus opérationnelles.

M. André Reichardt- Plusieurs dispositions de la loi étaient consacrées à son application au droit local d'Alsace-Moselle. Avez-vous étudié ce cas particulier ? Si vous ne l'avez pas fait, c'est peut-être une bonne nouvelle : moins on s'en occupera, mieux cela fonctionnera !

Dans un océan de difficultés, vous relevez néanmoins un succès : le tarissement des financements étrangers. Avez-vous vérifié que ce tarissement n'était pas compensé par d'autres voies ? Il y a quelques années, dans le cadre de la mission d'information « De l'Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés » menée avec Corinne Féret et Nathalie Goulet, nous avions révélé un nombre important de graves dysfonctionnements liés à l'opacité totale des flux relatifs au hajj, à la redevance sur l'abattage halal ou encore à la zakat. Dès lors qu'une loi interdit le financement étranger, il existe pour les acteurs impliqués d'autres façons d'intervenir en faveur de la cause défendue...

Les travaux du Forif ont abouti à une demande envers les communautés musulmanes de se mettre d'accord sur un statut de l'imam et sur un niveau de qualification. En effet, aucune formation n'est actuellement requise pour devenir imam, les ministres du culte musulman étant généralement choisis selon d'autres critères tels, par exemple, que la parentalité.

Il y a quelques années, j'ai commis une proposition de loi visant à exiger des ministres du culte une qualification minimale dont le niveau serait fixé par les religions, et non par l'État. Or cela fait des années que les communautés musulmanes travaillent sur cette question sans parvenir à se mettre d'accord. Selon vous, est-il possible que ces travaux aboutissent dans les six mois à venir ?

Mme Audrey Linkenheld- Nous n'étions pas favorables à ce texte au moment de son adoption. Son application ne suscite pas davantage notre adhésion. Cette loi a été très peu ou mal appliquée : ainsi, aucun refus de subvention n'a été observé.

Dans le département du Nord, les tentatives d'application de cette loi, notamment avec le contrat d'engagement républicain, n'ont pas visé de militants radicalisés ; elles ont ciblé des associations environnementales menant des actions pacifiques, qui ont pignon sur rue et qui sont soutenues par différentes collectivités locales de tous bords, ou des associations d'insertion qui proposent elles-mêmes un dispositif de lutte contre la radicalisation, unique dans le département, mais qui ne convenait pas au pouvoir d'État local.

Cette situation inquiète les associations et les collectivités locales qui les soutenaient. Cette loi a fait la preuve de son inutilité à tous points de vue. Je doute que vos propositions permettent de l'améliorer, tant en théorie qu'en pratique. Ce texte complique le travail quotidien des associations, mais aussi celui des collectivités à l'origine de ces subventions, qui doivent désormais prendre connaissance du contrat d'engagement républicain.

Nous restons donc opposés à cette loi.

M. Thani Mohamed Soilihi- Mayotte est le département français qui compte le plus de musulmans, devant d'autres territoires ultramarins comme La Réunion. Nonobstant, l'importante proportion de Français pratiquant ce culte ne suscite pas, à ce jour, de problème de coexistence entre les préceptes de cette religion et les principes de la République. Néanmoins, au vu des difficultés qui touchent ce département, il n'est pas impossible que nous assistions un jour à un phénomène similaire à ceux que l'on observe dans certaines cités de la métropole. Il serait donc intéressant d'étudier le cas de Mayotte, non seulement à titre préventif, mais aussi pour en tirer des recommandations.

Mme Corinne Narassiguin- Prenons garde à ne pas aggraver le problème initial avec les recommandations de ce rapport, à savoir le manque d'utilité et d'efficacité des mesures que cette loi contient, au-delà de son seul effet d'annonce.

La recommandation n° 16 vise ainsi à aggraver les peines qui sont prévues à l'article 31 de la loi de 1905, et que la loi de 2021 avait déjà modifiées, à juste titre puisqu'il s'agissait d'actualiser le montant des amendes.

L'excellent article 31 de la loi 1905 est le pendant de l'article 1er. Il permet de poursuivre les personnes qui voudraient contraindre d'autres individus à croire ou ne pas croire, ce qui est contraire au principe de laïcité. C'est ce qui rend effective l'application du principe de laïcité. Néanmoins, cet article est très peu utilisé, et je suis convaincue qu'aggraver les peines n'y changera rien.

M. Philippe Bas. - L'investissement des rapporteures pour améliorer, dans la mesure du possible, cette loi dont elles tirent un bilan mitigé est révélateur de l'ampleur de leur déception.

Ce bilan mitigé est non pas dû à un manque de mobilisation des services de l'État ou des collectivités territoriales, mais au contenu de la loi elle-même, qui relève essentiellement du droit mou : un catalogue de bonnes intentions et de procédures censées favoriser une évolution des pratiques. Certes, le texte inclut quelques dispositions de droit dur, mais celles-ci figuraient dans la loi de 1905. Rappelez-vous que le garde des sceaux s'était étonné d'apprendre que la loi de 1905 permettait déjà de poursuivre des ministres du culte qui portaient atteinte aux principes de la République ! Par ailleurs, la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure comporte des mesures répressives : à ce sujet, notons que davantage de mosquées ont été fermées sur le fondement de ses dispositions que sur celles de la loi de 2021.

Changeons de paradigme, et arrêtons de considérer que l'islamisme radical et le djihadisme relèvent de la police des cultes ! Il s'agit d'idéologies politiques subversives portant des atteintes fondamentales aux valeurs de la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Bien sûr.

M. Philippe Bas- N'entraînons pas le catholicisme, le protestantisme ou le judaïsme dans la mise en oeuvre de législations qui ne leur sont pas destinées.

Mme Audrey Linkenheld- L'islam non plus !

M. Philippe Bas. - Nous luttons contre l'islamisme radical, et cela n'est pas la même chose que le respect par les cultes, y compris l'islam, des valeurs de la République, qui sont suffisamment bien défendues par la loi de 1905.

Cessons de renforcer des réglementations inutilement contraignantes ou tatillonnes, qui font émerger la bureaucratie dans la gestion des diocèses, des temples et des synagogues, pour des motifs complètement étrangers à la pratique de ces cultes.

Nous avons récemment voté une révision constitutionnelle. Il serait temps de la voter à nouveau. Il suffirait d'en modifier une virgule pour justifier que le Sénat en soit de nouveau saisi : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune. » Que chacun, dans les ateliers, les centres de loisirs et culturels ou les mairies, sache à quoi s'en tenir, quand les revendications communautaristes sont présentées. On y cède encore trop souvent, et la loi de 2021 n'y a rien changé.

Dès la discussion de cette loi, nous en avions perçu les faiblesses. Nous avons essayé de l'améliorer, car nous étions globalement favorables à la direction qu'elle prenait. Désormais, il faut remettre l'ouvrage sur le métier avec une nouvelle approche.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Monsieur Reichardt, nous n'avons pas auditionné les représentants des cultes d'Alsace-Moselle. Votre voeu est donc exaucé !

Lors de son audition, le ministre de l'intérieur nous a appris que le Forif avait pour objectif de proposer au Gouvernement un statut d'imam de France d'ici au mois de septembre. Nous verrons ce qu'il en est, notamment s'agissant de la question de la formation - à titre personnel, je m'interroge sur ce point. En effet, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) aurait été par le passé missionné pour assurer cette formation, alors que l'un de ses professeurs a récemment été expulsé par le préfet du Val-d'Oise.

Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez raison de dire qu'il n'existe pas de problème à Mayotte « à ce jour » : il y a quelques années, nous n'étions pas non plus confrontés à ces questions en métropole...

Monsieur Bas, une idéologie ne se combat pas par un texte. Certes, l'État doit se doter des outils nécessaires, mais la lutte contre l'idéologie relève davantage d'une question de volonté. L'islam n'est pas l'islamisme : l'islam est une religion comme les autres, quand l'islamisme est un projet politique, qui met en cause notre unité. Ce n'est pas un texte comme cette loi qui réglera ce problème. C'est la raison pour laquelle nous avions rejeté ce texte technique, qui ne correspond ni aux aspirations ni à notre volonté de répondre à un grave défi. Les auditions ont montré que cette loi a bousculé des pratiques qui ne posaient pas de problème, sans apporter de réponse pour celles qui en posaient.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - S'agissant du tarissement des financements étrangers, les flux ont bien été réorientés, vers l'Afrique, ce qui n'est pas une bonne nouvelle.

La loi de 1905 nous empêche d'imposer un statut de l'imam. Je suis étonnée que le problème puisse se poser en Alsace-Moselle, où il est possible d'imposer des mesures aux cultes.

Monsieur Mohamed Soilihi, l'islamisme est un projet politique, qui pourrait, à terme, représenter un risque à Mayotte. Il serait surprenant que les acteurs de ce projet politique, qui avancent masqués derrière une religion, ne se servent pas de ce levier, en prenant en otages les musulmans. Nous devrions nous tenir aux côtés de ceux-ci pour lutter contre ces dérives.

Madame Narassiguin, la recommandation n° 16 vise à faire de la participation forcée à un culte dans le cadre intrafamilial une circonstance aggravante pour les peines prévues à l'article 31. Néanmoins, l'objectif est bien d'inciter les magistrats à se saisir de cet article.

Mme Cécile Cukierman. - Faire respecter les principes de la République, ce n'est pas interdire les religions, puisque le droit de croire, ou de ne pas croire, en fait partie. La difficulté est précisément d'entraver l'action de ceux qui portent atteinte à ces principes. Ne nous trompons donc pas de cible.

Nous devrions en effet parfois faire preuve de plus de volontarisme, voire d'intransigeance. Adoptons, en outre, une vision plus large que celle de notre seul territoire national.

En effet, si l'on peut se satisfaire de la réorientation des flux financiers, ceux-ci ne se sont pas interrompus : le combat de ceux qui défendent un modèle politique contraire aux nôtres se poursuit dans d'autres pays, et finira par toucher la France par d'autres biais.

Nous devons donc faire preuve d'une vigilance permanente.

Le débat sur la formation des imams avait été abordé lors de l'audition des différents cultes avant l'examen de ce texte.

Il est plus facile à notre République de faire avec certaines religions, en raison de leur organisation et de leur histoire. Ma vision apparaîtra sans doute caricaturale, mais je ne veux heurter personne. Pour dire les choses de façon schématique, l'organisation de l'église catholique apostolique et romaine est hiérarchique, ce qui facilite ses rapports avec l'État. Au surplus, dans l'histoire, notre pays a su s'affranchir de Rome, pensons au gallicanisme et à la déclaration des Quatre Articles au temps de Louis XIV. L'organisation de l'Église, compatible avec notre modèle politique, a rendu possible son contrôle, si bien que, en 1905, nous étions déjà prêts.

Ce n'est pas le cas d'autres églises, à l'instar des évangéliques - elles n'ont rien à voir avec les églises protestantes - qui entraînent également des dérives sectaires.

Je le répète, il faut aborder cette question avec force et intransigeance, mais aussi avec humilité, car la République a pour principe de n'exclure personne.

Le rapport d'information est un point d'étape ; il faudra aborder de nouveau ce sujet dans quelques années, car les risques évoluent. Le modèle républicain dérange certains qui veulent asseoir leur pouvoir.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Le nombre d'églises évangéliques continue de progresser. Aujourd'hui, les megachurches peuvent rassemblent jusqu'à 4 000 fidèles.

D'ailleurs, je précise que le protestantisme - je pense notamment aux églises évangéliques - est la religion qui reçoit le plus de financements extérieurs, qu'ils viennent des États-Unis, du Brésil ou d'Afrique. Cela est parfois en lien avec un véritable risque de dérives sectaires.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous indique que le rapport de la mission d'information s'intitule : « Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : tout reste à faire. » Pour paraphraser Churchill, nous leur donnons les outils, qu'ils fassent le travail !

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

COMPTE-RENDU DE L'AUDITION
DE MME SONIA BACKÈS, SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUPRÈS
DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ET DES OUTRE-MER, CHARGÉE DE LA CITOYENNETÉ

__________

MERCREDI 5 JUILLET 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois -

M. François-Noël Buffet, président. - Madame la Ministre, nous nous situons dans le cadre d'une mission que la commission des lois a créée pour évaluer l'application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (CRPR). Les rapporteurs de ce texte étaient Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien. Dans le cadre de leurs prérogatives de contrôle, elles sont aujourd'hui chargées du travail d'évaluation pour les besoins duquel nous vous entendons aujourd'hui.

- Présidence de Catherine Di Folco, vice-président -

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté. - Mesdames les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, j'adresse mes remerciements sincères à la commission des lois pour me permettre de présenter ce point d'étape de la mise en oeuvre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République et pour avoir maintenu cette réunion de commission malgré l'actualité chargée.

Au cours de ces vingt dernières années, nous avons été confrontés en France à des pratiques séparatistes de plus en plus affirmées. Ce travail de sape se déploie le plus souvent de façon insidieuse et dans toutes les sphères de la société : dans nos quartiers populaires, dans les services publics, dans le tissu associatif, dans les pratiques sportives et au sein même de l'école de la République.

Le principe de laïcité, qui est au coeur de notre pacte républicain, subit de plus en plus d'entorses, de contestations et d'attaques. Ce fait est aujourd'hui appuyé par des éléments tangibles.

Lutter contre le séparatisme revient à lutter contre un mouvement qui considère qu'au nom de convictions religieuses ou politiques, au nom d'une cause dont on considère qu'elle transcende toutes les autres, certaines règles deviennent supérieures à celles de la République et doivent prévaloir sur ces dernières. Le séparatisme correspond à la volonté de sortir, y compris par la violence, de la communauté de valeurs qui nous réunit autour de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et de la laïcité.

Il faut avoir conscience de ce qui se joue aujourd'hui et le regarder en face. De tels comportements mettent profondément en danger le fonctionnement d'une démocratie et peuvent mener, à terme, à la désintégration de l'idée même de communauté nationale. Le Président de la République a évoqué récemment la lutte contre un processus de « décivilisation », et c'est bien de cela dont nous parlons.

Dans le même temps, des groupuscules se radicalisent de plus en plus et décident que la défense de leur cause justifie la violence, parfois extrême.

L'ex-mouvement « Les Soulèvements de la Terre » a été dissous en Conseil des ministres le 21 juin dernier. Notre position est qu'aucune cause, aussi légitime soit-elle, ne justifie une telle violence dans un pays démocratique comme la France, où la liberté d'expression est la règle.

Notre pays a subi ces derniers jours une vague de violence inacceptable. Nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour comprendre et qualifier ces événements de la manière la plus juste. Mais ce travail d'analyse sera indispensable pour déterminer s'il s'agit d'une nouvelle forme de séparatisme et si les outils dont nous disposons sont adaptés ou doivent évoluer.

Ce rappel nous ramène très naturellement vers l'objet de nos échanges : pourquoi cette loi et quels en sont les premiers résultats ?

Lors de son discours aux Mureaux du 2 octobre 2020, le Président de la République a appelé à défendre avec force les valeurs de la République et à nous opposer au développement du repli communautaire et du séparatisme sous toutes ses formes. Une stratégie globale de lutte contre le séparatisme en a découlé, qui poursuivait trois objectifs : entraver toutes les initiatives contraires aux fondements de notre République, amplifier l'ensemble des actions permettant de donner corps à l'égalité des chances sur notre territoire et accompagner la structuration d'un islam de France face aux dérives des extrémistes de l'islamisme.

Jusqu'alors, dans le triangle séparatisme-radicalisation-terrorisme, nos forces étaient principalement concentrées sur le haut du spectre : la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.

Avec la loi du 24 août 2021, l'État s'est donné les moyens de s'attaquer au bas du spectre et à la racine du problème : le séparatisme, lequel nourrit les individus radicalisés, qui eux-mêmes nourrissent le terrorisme, sans qu'évidemment tous les individus séparatistes ne deviennent des terroristes. Mais tous ceux qui arrivent en haut de la pyramide sont souvent issus du bas du spectre.

Au travers de la réglementation des cultes, de l'éducation, du sport et de la lutte contre la haine en ligne, cette loi nous a permis de changer d'échelle et de donner à l'administration des outils pour nous attaquer à tout ce qui peut donner de l'air au séparatisme : le financement des associations, l'instruction en famille et les écoles privées hors contrat.

Il s'agit néanmoins d'un point d'étape et non d'un bilan. En effet, nous manquons encore de recul sur un certain nombre d'éléments. Les outils mis en place par cette loi sont extrêmement puissants, mais tous n'ont pas encore été mis en oeuvre pour des raisons diverses.

Nous disposons désormais du résultat du contentieux sur le contrat d'engagement républicain (CER). Nous avons obtenu une décision favorable du Conseil d'État pour sa mise en place.

Toute une partie de la loi est déjà en train d'être mise en oeuvre. Les associations avaient jusqu'au 30 juin pour déclarer leur qualité cultuelle. Les déclarations de financements provenant de l'étranger sont en train de monter en puissance.

Le premier acquis de la loi CRPR réside dans l'évolution des mentalités. Nous assumons publiquement de combattre celles et ceux qui veulent s'en prendre à notre bien le plus sacré. Nous les combattons avec les armes du droit, avec détermination et sans naïveté.

À l'issue de cette première année, l'ensemble des textes d'application de la loi ont été publiés. Leur mise en oeuvre est encore inégale entre les territoires, même si la situation s'améliore. Ce ne sont pas forcément les territoires qui ont le plus de problématiques de séparatisme qui sont le plus en avance et ceux qui en ont le moins qui sont le plus en retard.

Dans la sphère éducative, la cible principale des réseaux est notre jeunesse. S'agissant de l'instruction en famille, grâce au passage d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, le nombre total d'enfants instruits en famille sur le plan national a baissé de 30 % par rapport à l'année scolaire précédente. Les instances départementales chargées de la prévention de l'évitement scolaire sont désormais toutes opérationnelles. C'est un élément important qui nous permet de ne plus avoir de trous dans la raquette. Nous sommes capables aujourd'hui, grâce au lien qui est fait dans chaque département entre les caisses d'allocations familiales, les communes et les rectorats, de connaître exactement tous les enfants concernés et de savoir s'ils ne sont pas scolarisés.

La possibilité pour un préfet de fermer administrativement un établissement privé hors contrat porte déjà ses fruits, puisque sur 47 établissements ciblés, cinq ont fermé. De plus, quatre écoles clandestines ont été fermées par arrêté préfectoral grâce à la loi CRPR.

Depuis l'adoption de la loi, onze dissolutions administratives ont été prononcées à l'encontre d'associations ou de groupements de faits adhérents à l'idéologie islamiste radicale ou à une idéologie extrémiste provoquant ou organisant des activités violentes, grâce à la refonte par cette loi des motifs permettant de prononcer une telle mesure de police administrative.

À travers la loi CRPR, nous avons également souhaité accroître la transparence de la vie associative, des cultes et de leur financement. Je citerai ici trois dispositions importantes :

- l'instauration du CER, préalable à toute subvention publique : nous manquons un peu de recul, puisque nous n'avons eu la décision du Conseil d'État qu'il y a quelques jours. Il était difficile d'être pleinement impliqué dans la mise en place de ce dispositif alors que nous étions dans l'attente d'une décision juridictionnelle qui aurait pu le remettre en cause ;

- les préfets disposent désormais d'un pouvoir de contrôle et de dissolution des fonds de dotation qui sont l'un des principaux vecteurs des mouvances islamistes. En 2022, quatre fonds de dotation ont fait l'objet d'une mesure de suspension et quatre procédures de dissolution sont également engagées. Néanmoins, après 18 mois de pratique, nous constatons déjà des axes d'amélioration pour donner aux préfets des moyens d'action renforcés sur les fonds de dotation ;

- l'obligation de déclarer pour toute association exerçant un culte les financements qu'elle reçoit directement ou indirectement de l'étranger. Nous avons aussi commencé à effectuer des contrôles sur les associations qui n'ont pas déclaré de financements étrangers. Cela nous permet de déclencher des procédures et d'obtenir des informations précieuses. Cette mesure est entrée en vigueur le 25 avril 2022.

La loi CRPR a par ailleurs conforté le principe de laïcité, notamment dans les services publics. Le déféré-laïcité nous a permis d'éviter que les piscines municipales de Grenoble deviennent de hauts lieux de la baignade en burkini. Plus de 2 000 référents laïcité ont été nommés dans les différentes administrations. Nous continuons de les déployer dans les trois fonctions publiques. Nous nous sommes donné l'objectif d'arriver à 100 % d'agents publics formés au principe de laïcité d'ici 2025 ; 130 000 agents de l'Éducation nationale ont déjà été formés et 40 000 dans les autres administrations.

Contrairement à ce qui a été souvent dit, la loi CRPR n'est pas un texte contre les cultes, ni contre un culte en particulier ou contre la liberté d'association. C'est avant tout une loi de protection de nos concitoyens, de nos valeurs, de nos principes républicains, de notre cohésion nationale, des cultes contre les ingérences, de l'idéal associatif contre tout dévoiement et de la dignité de la personne humaine.

Le législateur a introduit le déféré-laïcité pour renforcer le principe de laïcité et de neutralité dans les services publics locaux. Il a institué le CER pour éviter que des structures séparatistes ne bénéficient d'argent public. Il a instauré le délit de séparatisme pour protéger les élus et les agents publics contre les menaces ou les violences. L'instruction en famille est mieux encadrée pour éviter les dérives et protéger les enfants. C'est pourquoi, avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer, notre objectif est que l'ensemble du territoire se mobilise de manière égale pour donner toute leur effectivité aux nouveaux outils qui ont été mis en place par la loi CRPR et c'est le message que nous avons délivré par circulaire et à l'oral à l'ensemble des préfets.

Du territoire d'où je viens, j'ai craint dans les dernières années de perdre mon appartenance à la République. Nous avons intérêt à continuer à transmettre la fierté d'appartenir à la République et à la défendre. Cette loi nous donne des outils particulièrement précieux pour cela. Quand nous aurons mis en oeuvre l'ensemble de ses dispositions, nous disposerons d'outils extrêmement puissants.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Madame la ministre, je voulais à titre personnel vous remercier pour votre engagement, bien que je sois généralement assez critique envers le gouvernement sur le combat qu'il mène sur ces sujets.

La loi CRPR n'a pas été votée au Sénat car ce texte n'allait pas aussi loin que nous l'aurions souhaité. Nous avons récemment parlé de sujets qui n'auraient pas eu lieu d'être si le gouvernement de l'époque avait retenu un certain nombre d'éléments que nous y avions introduits. Je suis convaincue que cela aurait davantage protégé la République.

Ce texte est venu juste après une commission d'enquête que le Sénat a portée au sujet de l'islamisme et de la manière de le combattre. Nous avions émis une quarantaine de propositions dont certaines ont été reprises. Ce n'est pas un parti pris de dire « il y a les bons et les méchants », nous sommes convaincus que notre République est en danger quand nous ne combattons pas. Je suis élue de banlieue depuis longtemps et j'ai vu la situation tristement évoluer. C'est pourquoi j'essaye de parfois bousculer les lignes sur ce sujet.

Nous sommes assez inquiets de voir ce qu'il se passe depuis quelques mois, dans les écoles notamment. Si nous ne réussissons pas à préserver l'école et le sport, nous ne préserverons pas les enfants de la République. Ces enfants n'ont pas de couleur de peau et n'ont pas de religion à l'école, ce sont les enfants de la République.

Le CER a fait débat. Il ne me posait évidemment pas de souci. La question est de savoir si toutes les associations qui bénéficient d'argent public ont signé ce contrat. Si elles n'ont pas toutes signé le CER, quelle est la proportion des signataires parmi les associations bénéficiant de subventions publiques ? Il faut également savoir si le CER a placé certaines associations, telles que les scouts, en difficulté. De plus, si le CER est juste une case à cocher sur un formulaire CERFA, je m'interroge sur son efficacité. Peut-être faudra-t-il le définir autrement, car cocher une case sur un CERFA engage à peu de chose selon moi.

Combien d'associations ont été dissoutes ? Des procédures sont-elles en cours ? Quels outils ont permis d'aboutir à la dissolution de ces associations ?

Les préfets se sont-ils emparés de l'instrument du déféré préfectoral ? Ils ont un rôle crucial à jouer et pourtant je ne suis pas sûre qu'ils travaillent étroitement avec les élus sur ce sujet. En effet, certains élus sont acteurs de la lutte contre ces phénomènes de séparatisme, et d'autres le sont moins, quelle que soit leur orientation politique. Notre pays doit avoir des exigences envers certains élus et cette loi doit pouvoir le permettre.

Avons-nous une idée de la manière dont sont vraiment contrôlés les lieux de culte ? Nous avons observé que certains lieux de culte étaient fermés trois ou six mois. En effet, ils ne sont pas fermés définitivement, mais de manière temporaire car l'objectif est parfois de faire partir de la mosquée un imam tenant des propos remettant en cause les valeurs de la République. Avons-nous réussi à avoir une analyse objective de ce qui s'y passe ? Les connaissons-nous tous ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'un des objectifs affichés de la loi du 24 août 2021 était d'amener les associations du culte musulman dans leur diversité à adopter le cadre de la loi de 1905 et de limiter le recours soit aux associations créées sur le fondement de la loi de 1901, soit aux associations mixtes créées sur le fondement de la loi de 1907. Comment la situation a-t-elle évolué au cours des deux dernières années ? Beaucoup de nouveaux cultes se sont-ils inscrits pour pouvoir bénéficier de défiscalisation ?

Pour éviter l'entrisme, la loi a mis en place un contrôle renforcé des associations, tant au niveau de leur financement que de leur activité. Cela avait suscité d'importants débats. Quels résultats ont été obtenus ? Qu'en est-il notamment du dispositif dit « anti-putsch » pour éviter qu'une association éventuellement culturelle, mais en réalité cultuelle, ne puisse être prise d'assaut et voir son objet détourné ?

La loi « Avia » ayant été en partie censurée, le sujet de la lutte contre la haine en ligne était revenu lors de l'examen de la loi de 2021, particulièrement au sujet de la lutte contre la divulgation d'informations personnelles, le harcèlement et les menaces émises pour des motifs notamment religieux. Cette lutte a-t-elle pu être renforcée ? Avez-vous pu mener des actions supplémentaires ?

Existe-t-il pour vous des menaces émergentes en matière d'atteinte aux principes de la République, particulièrement du côté des dérives sectaires ou de nouvelles spiritualités ? Le cadre légal et réglementaire actuel est-il suffisant pour y faire face ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Ce point d'étape permettra le cas échéant au Gouvernement ou aux parlementaires de proposer des évolutions. Nous devons être pragmatiques et humbles sur ces sujets.

Le succès du CER est lié à sa bonne appropriation par les collectivités locales et nous devons entreprendre deux démarches sur cette question. D'une part, les collectivités locales doivent être formées et accompagnées par les services de l'État. D'autre part, nous devons établir un bilan que je m'engage à dresser à la fin de l'année avec les associations d'élus pour étudier la mise en oeuvre du CER et évoquer les problématiques rencontrées.

Nous nous interrogeons sur l'évolution du CERFA que vous avez évoqué. Nous pourrions éventuellement répéter dans le CERFA les sept obligations établies par le CER pour que chacun sache exactement ce qu'il signe. Par ailleurs, toutes les associations qui ont touché de l'argent public ont signé, sinon elles ne pourraient plus bénéficier d'argent public.

La laïcité n'est pas directement en lien avec la loi CRPR. Les jurisprudences sur la question de l'école sont sans ambiguïté. Par exemple, le Conseil d'État a jugé que le port systématique d'une longue jupe noire couvrant son pantalon et d'un large bandeau masquant une grande partie de ses cheveux pouvait justifier la non-réintégration d'une élève. Toutes les jurisprudences vont dans ce sens. Aujourd'hui, les chefs d'établissement concernés sont totalement fondés à exclure ou à ne pas réintégrer les intéressées. C'est l'application de la loi qu'il nous faut améliorer ou renforcer. Il en est de même de l'accompagnement des chefs d'établissement et des enseignants qui parfois ont peur parce qu'ils sont menacés. Un sondage récent prouve que près de 50 % des enseignants ne signalent pas les atteintes à la laïcité.

Pour le sport, la jurisprudence - et je m'en félicite - du Conseil d'État sur les « Hijabeuses » est extrêmement importante. Aujourd'hui, nous avons la possibilité, pour des raisons de vivre ensemble, d'empêcher dans les règlements intérieurs des fédérations sportives le port de signes religieux. Dans l'école et dans le sport, nous disposons d'outils juridiques. La question concerne donc la mise en oeuvre.

Par ailleurs, cinq associations ont été dissoutes en 2021, quatre en 2022 et trois en 2023. Elles ont été dissoutes à l'issue d'une procédure contradictoire.

Légalement, nous pouvons fermer un lieu de culte uniquement pendant six mois pour des raisons de terrorisme ou pour une durée de trois mois lorsque des discours de haine y sont tenus. Cette période de suspension permet d'écarter l'individu auteur des propos haineux ou en lien avec le terrorisme. Par exemple, pour certaines mosquées, la fermeture est liée à un imam qui tient des discours haineux et séparatistes. L'idée n'est donc pas de fermer définitivement le lieu de culte, car ce n'est pas la mosquée dans son ensemble qui pose un problème, mais d'écarter un individu.

De plus en plus d'associations régies par la loi de 1901 basculent vers le régime des associations de la loi de 1905, mais cela reste insuffisant. Nous devrons ainsi davantage accompagner les associations.

Au sujet de la disposition « anti-putsch », toutes les associations qui ont basculé vers une structure régie par la loi de 1905 se satisfont de ce dispositif qui les sécurise. Il s'agit d'un des éléments qui les encourage à basculer vers le régime de la loi de 1905.

En ce qui concerne le renforcement des moyens de lutte contre la haine en ligne, plus de 50 ETP ont été créés. S'ajoute la plateforme Pharos qui présente une efficacité assez remarquable dans le traitement de ces sujets. En outre, le ministre de l'intérieur a donné des consignes très claires au sujet des menaces sur les policiers dans le cadre des événements récents et cela a été réellement utile.

À propos des dérives sectaires, nous sommes parfois à la limite sur ces sujets. Un certain nombre d'organisations, d'ultra-gauche ou d'ultra-droite, finissent parfois par ressembler à des organisations à caractère sectaire. Certaines de ces organisations sont suivies par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Plusieurs organisations sont concernées par des dérives sectaires, par exemple certaines associations évangéliques. Nous manquons d'outils. Nous avons organisé les assises de lutte contre les dérives sectaires en mars dernier. Le plan global de lutte contre les dérives sectaires sera présenté dans les prochains jours. Il est en cours de finalisation.

Un projet de loi sera présenté dans les prochaines semaines sur la partie pénale, car nous manquons d'outils dans ce domaine en matière de dérives sectaires. Le projet de loi sera assez court, avec sept articles. Néanmoins, il permettra de combler les trous dans la raquette qui subsistent.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'État s'est doté d'outils techniques qui à court, moyen et long termes porteront leurs fruits. Cette loi ne règlera probablement pas le problème de fond.

C'est une prise de conscience collective de ce que nous « subissons », nous, républicains. Des outils et des règles sont mis en place, mais ils ne suffiront malheureusement pas, car nous avons observé depuis la parution de ce texte que certaines situations avaient empiré. Ce n'est pas une critique vis-à-vis de vous ou des services. Notre pays doit prendre ce sujet en main sur d'autres volets et avec d'autres outils.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - En effet, une loi ne règle pas les problèmes de société fondamentaux. J'en discutais avec le ministre de l'intérieur et je l'ai notamment dit lors de mon audition sur le fonds Marianne, nous avons parfois l'impression de vider l'océan à la petite cuillère. Mais si nous nous arrêtons, la situation s'aggravera.

J'ai assisté dans des préfectures à des réunions de cellules locales de lutte contre l'islam radical. Nous avons désormais des outils extrêmement puissants. Nous sommes capables de représenter sur un écran un schéma de l'ensemble des structures, écoles, associations et financements pour brosser un état des lieux. Nous sommes capables d'entraver chacune de ces parties, notamment grâce à cette loi. Quand elle est utilisée pleinement, comme le font certains préfets, elle est d'une efficacité remarquable. Aujourd'hui, nous n'avons pas tout pris en main, et cela demande encore à être à être amélioré.

La loi ne suffit pas. Des actions doivent être engagées à l'école pour encourager l'évolution des mentalités et l'adhésion aux valeurs de la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Les associations sont également le coeur du sujet. Sur un écran, il est possible d'étudier tous les réseaux entre les associations qui ont trait au caritatif, au voyage, etc. Une économie parallèle est institutionnalisée par des associations dans certains départements et dans certaines villes. Nous devons traiter cet aspect. En effet, des associations maillent totalement une commune sur tous les secteurs de la vie de la société : école, soutien scolaire, soutien caritatif, voyage, etc. Elles créent un système parallèle au nom d'une religion. Ce constat est très inquiétant.

Nous devrons aussi être très actifs sur la question des écoles hors contrat. Ces établissements forment des enfants qui seront les adultes de demain. Dans certains établissements, les petites filles en école maternelle sont entièrement voilées. Ces écoles sont hors de la République. Je parle du devenir de petites filles et des garçons élevés dans l'idée que la fille est impure ou n'existe pas. S'ils sont dix ou cent, ce seront toujours dix ou cent de trop. Nous sommes responsables collectivement de ce constat et il ne date pas d'hier.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - La marge de progrès la plus importante concerne certainement les associations, tout en gardant la richesse de notre dispositif associatif et en préservant la liberté d'association. Il s'agit toujours d'un équilibre difficile à trouver.

Les contrôles sont de plus en plus importants dans les écoles hors contrat. L'instruction en famille suscite également de nombreuses polémiques. La très grande majorité des enfants qui suivent une instruction en famille ne pose pas de problème. D'ailleurs, 100 % des enfants qui suivent une instruction en famille ont été contrôlés. Cependant, certains enfants apprennent avec des supports de cours où les enfants sont sans visage ou voilés. Ces supports sont établis par un organisme d'enseignement à distance lui-même lié à un réseau séparatiste. Ces contrôles nous permettent de mettre en place un dispositif d'entrave avec des outils financiers et administratifs. Même s'il ne s'agit que de 1 % des enfants, nous pouvons ainsi les repérer. Les caisses d'allocations familiales (CAF) et les mairies disposent d'une visibilité sur la scolarisation des enfants. Nous sommes aujourd'hui également capables de visualiser des personnes qui sont complètement hors système. Avec le tissu associatif, scolaire et financier, ces personnes sont complètement en dehors de la République. Néanmoins, ces dernières touchent souvent des allocations familiales, ce que nous pouvons savoir grâce au lien avec les CAF.

Mme Françoise Gatel. - J'ai beaucoup travaillé sur les écoles privées hors contrat avec Jean-Michel Blanquer. La loi prévoyait, avant même de nouvelles dispositions sur les écoles privées hors contrat, qu'un deuxième contrôle serait effectué si le premier était considéré comme insuffisant. Comme ces écoles sont souvent sous un statut associatif, l'association concernée devait apporter des réponses argumentées aux remarques effectuées. Si le deuxième contrôle était jugé insatisfaisant, il était possible alors de prendre des mesures « disciplinaires ». J'aimerais que le ministre de l'Éducation nationale nous fournisse le nombre de contrôles effectués dans l'année, le nombre d'avis d'insuffisance émis à l'issue de ce premier contrôle et le nombre de deuxièmes contrôles. Nous avions constaté que si les premiers contrôles étaient réalisés, les deuxièmes n'étaient jamais effectués.

Un problème de formation à ces contrôles est à relever pour les inspecteurs, y compris pour l'éducation en famille. En effet, il existe une appréhension des contrôles très forte de la part de l'école privée hors contrat ou des parents. De fait, elles ont parfois l'impression que le contrôle est à charge, même si ce n'est pas le cas. Dans la mesure où la pédagogie des écoles privées est libre, un corps d'enseignant est-il formé à ce sujet ? L'académie de Versailles avait notamment un guide du contrôle. Les inspecteurs doivent par ailleurs être sécurisés.

La décision sur les « hijabeuses » me réjouit, mais je pense qu'elle est fragile. Son argumentation juridique aboutit à un résultat qui peut souffrir d'une contestation qui ne nous met pas à l'abri d'un jugement qui le contredirait.

L'interprétation de la loi à l'école est soumise à l'appréciation de l'enseignant et du directeur. Nous ne pouvons pas laisser un enseignant, un directeur ou un proviseur seul pour l'apprécier. Il est en contact avec les parents. De même, un maire qui doit gérer une séquence de violence seul se trouve confronté à une situation de domination. Le libre arbitre de l'enseignant ou du directeur, la peur et le politiquement correct les poussent à abandonner l'affaire. Non pas que les gens soient lâches, mais nous ne pouvons pas demander à une personne seule de porter l'application des lois de la République alors qu'elle est déjà dans un contexte de grande faiblesse.

Au Sénat, j'ai longtemps voté pour autoriser des mères de famille à porter le voile lors des sorties scolaires, car c'était une manière de ne pas les éloigner de la République que de considérer qu'elles pouvaient s'intégrer aux activités à l'école.

Aujourd'hui, ma position est totalement différente. En effet, des enseignants me demandent : « Comment expliquer à des enfants qu'une mère de famille, qui est venue sans voile pour un atelier de peinture dans les locaux de l'école, porte le voile une demi-heure plus tard pour aller au musée ? » Il n'y a aucun ostracisme ni aucune condamnation. La loi de la République doit être efficace et, pour cela, elle doit être simple et pas simpliste.

Je réinterroge le gouvernement sur ces deux dispositions. Comment considère-t-on à l'école une tenue religieuse et une tenue qui ne l'est pas ? Nous observons des évolutions, du grand voile aux abayas par exemple. Il y aurait des abayas ou des maillots de bain républicains, mais à connotation fortement religieuse. Nous ne pouvons plus être dans la subtilité ni la finesse, parce que nous mettons en danger des personnes. Ainsi, nous entravons l'application de la loi de la République. J'ai conscience de la gravité de mon propos.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Au sujet des établissements privés hors contrat, je n'ai pas les réponses aux questions que vous posez. Je pense qu'une présentation spécifique de l'Éducation nationale pourrait être judicieuse. J'en parlerai à mon collègue pour qu'il fasse un point précis sur les dispositifs et les contrôles mis en oeuvre, à la commission de la culture le cas échéant.

Nous ne laissons pas seuls les enseignants et les chefs d'établissement. Une circulaire a été envoyée par le ministre de l'intérieur et moi-même. Le ministre de l'Éducation nationale en a envoyé une autre en garantissant l'octroi de la protection fonctionnelle à chacun des acteurs concernés. C'est sans doute parfois insuffisant. Nous ne mettrons toutefois pas un policier à côté de chaque enseignant, ce n'est pas non plus la solution.

La loi sur la question de la laïcité à l'école est extrêmement claire en plus des différentes jurisprudences. Aujourd'hui, les chefs d'établissement qui font le choix d'exclure une élève qui porte l'abaya sont dans leur droit. La question n'est pas d'ordre juridique, mais elle relève de la peur et de la manière dont nous accompagnons les chefs d'établissement. C'est donc plus une question d'organisation de l'école et de la manière dont elle évolue.

Les accompagnatrices scolaires sont un sujet. Le gouvernement applique la loi et elle ne prévoit pas aujourd'hui cette obligation pour les accompagnatrices scolaires.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Le parent confie son enfant à l'école de 8 heures 30 à 16 heures 30 hors temps de cantine et, que les activités soient dans les murs ou hors des murs, il s'agit de l'école de la République. Cet argument est simple à utiliser et serait très facilitateur. C'est un sujet dont nous avons débattu deux fois et voté deux fois. Avec ce qui se passe aujourd'hui, le gouvernement ferait bien d'écouter ce que dit le Sénat depuis 2017. Je suis élue de banlieue et j'aime ma banlieue. Il faut cesser de dire que les enfants ne participent plus aux sorties scolaires si les mamans voilées n'y vont pas. Il n'y a aucune école où 100 % des mamans sont voilées. Par ailleurs, les papas peuvent également participer à des sorties scolaires. Lorsque les digues sont ouvertes, trois ou quatre ans après les débats que nous avons eus au Sénat, la situation est pire.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Nous sommes tous en phase sur le fait que la situation a évolué et que nous devons nous adapter, imaginer des évolutions à cette loi et à d'autres. Je crois qu'il ne faut fermer aucune porte. Ce n'est pas moi, qui ai mis en place la tenue commune à l'école dans la collectivité que je préside, qui vais vous dire le contraire. Je crois que certains éléments doivent être appréhendés différemment.

Nous sommes dans le cadre d'un combat où ceux qui combattent la laïcité sont en permanence en train de chercher des failles. C'est à nous aussi d'avoir la capacité de nous adapter, voire de prendre les devants sur un certain nombre de sujets.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Ceux qui représentent l'État dans nos départements doivent tenir un discours très clair sur la laïcité. Par exemple, la nouvelle préfète à l'égalité des chances de mon département, qui ne connaît pas les combats que je mène depuis longtemps, m'a dit que dans certaines de nos villes, il faut faire accepter la laïcité par des « moyens détournés ». La laïcité ne s'imposerait donc pas en tant que laïcité. Je n'ai pas osé lui demander ce qu'étaient des « moyens détournés », mais de la part d'un préfet à l'égalité des chances, ce discours me choque.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Certaines familles craignaient que dans certains départements où l'Éducation nationale n'aurait pas les moyens de procéder à la totalité des contrôles, l'enseignement en famille y soit davantage refusé. Avez-vous eu des remontées ? Disposez-vous des taux d'enseignement en famille ? Cela permettrait de calmer certaines inquiétudes de personnes qui n'étaient pas visées initialement par ce texte.

Des pressions exercées sur les enseignants vous ont-elles été remontées au sujet du contenu des cours ? Je pense notamment au problème de l'éducation sexuelle. Nous savons que pour lutter contre les violences intrafamiliales, il est nécessaire d'expliquer la notion de consentement et d'égalité entre filles et garçons aux enfants. Cet enseignement peut être refusé par un certain nombre de personnes pour des raisons philosophiques ou religieuses. J'inclus cet aspect de façon assez large, puisque je ne m'intéresse pas qu'à la religion musulmane, mais également à des religions évangéliques qui peuvent exercer des pressions tout aussi fortes sur l'éducation. J'ai entendu récemment que certains demandent à ne pas enseigner la préhistoire, en raison du mythe d'Adam et Ève. Pour pouvoir accompagner l'Éducation nationale et sécuriser ces professeurs, avez-vous mis en place des actions ? En effet, certains enseignants ne dispensent pas les cours d'éducation sexuelle, car ils ne se sentent pas à l'aise ou bien ils craignent d'avoir des problèmes avec les parents.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Les enfants qui suivaient une instruction en famille étaient auparavant au nombre de 67 000, ils sont aujourd'hui 53 000, soit 27 % de moins. Environ 10 % des demandes ont été refusées sur la base des dispositions de la loi CRPR. Nous vous fournirons des détails plus précis si vous le souhaitez.

L'Éducation nationale dispose de l'ensemble du spectre des atteintes à la laïcité. Toutes les disciplines sont concernées par ces atteintes. La musique peut également être concernée par exemple. Les cours sur les religions ou la philosophie ne sont donc pas les seuls concernés. C'est la raison pour laquelle notre rôle au ministère de l'intérieur concerne la formation et l'accompagnement des enseignants pour faire face au refus d'un élève d'assister à une partie d'un enseignement ou pour déterminer ce qui mérite un signalement. Le reste relève de l'Éducation nationale. Dans le travail que vous mènerez avec la commission de la culture, ce sujet mérite peut-être d'être creusé. Notre rôle s'arrête en effet à la question de la formation et au suivi des atteintes.

Mme Catherine Di Folco, président. - Merci Madame la Ministre pour ce point d'étape.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LES RAPPORTEURES

Ministère de l'intérieur et des outre-mer

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ)

M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, directeur adjoint

M. Clément Rouchouse, sous-directeur des libertés publiques

Ministère de la transformation et de la fonction publiques

Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

M. François Charmont, directeur adjoint

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA)

M. Thibaut de Saint Pol, directeur

M. Gilles Nedelec, sous-directeur de l'éducation populaire

M. Marc Engel, chargé de mission au sein de la sous-direction de l'éducation populaire

Mme Mélanie Rozes, cheffe du bureau du partenariat associatif jeunesse et éducation populaire au sein de la sous-direction de l'éducation populaire

M. Charles-Aymeric Caffin, chef du bureau du développement de la vie associative au sein de la sous-direction des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative

Ministère de l'économies, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Direction générale des finances publiques (DGFIP)

M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal

Ministère du travail, de la santé et des solidarités

Direction générale de l'offre de soins (DGOS)

Sous-direction des ressources humaines du système de santé

M. Philippe Charpentier, sous-directeur des ressources humaines du système de santé

M. Emmanuel Savarin, chef du bureau des personnels non médicaux des établissements de santé (RH4)

Mme Catherine Faure-Beaulieu, chargée de mission élaboration de la réglementation générale applicable aux personnels titulaires et contractuels de la fonction publique

M. Nassim Mekedem, chef de projet auprès du Secrétaire général des ministères sociaux

Service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)

M. Guillaume Valette-Valla, directeur

Audition de préfets

M. Laurent Prévost, préfet de l'Isère

M. Jacques Witkowski, préfet de Seine-Saint-Denis

Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)

M. Éric Corbaux, procureur général près la cour d'appel de Poitier, président de la CNPG

Forum de l'islam de France (FORIF)

Mme Sandrine Mayen, association Hozes, participante au groupe de travail du FORIF sur le « droit et la gestion des associations du culte musulman »

Mme Fatima Bouali, avocate, participante au groupe de travail du FORIF sur le « droit et la gestion des associations du culte musulman »

Conférence des évêques de France

Mgr Hugues de Woillemont, secrétaire général et porte-parole de la Conférence des évêques de France

Mme Anne-Violaine Hardel, directrice du service juridique

Mme Charlotte de Boishebert, chargée des relations institutionnelles

Conseil du Consistoire central

M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France

Grande mosquée de Paris

M. Chems-Eddine Hafiz, recteur

Fédération protestante de France

M. le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France

M. Jean-Daniel Roque, conseiller de la fédération pour la loi du 24 août 2021 relative au respect des principes de la République

Conseil national des Évangéliques de France (CNEF)

M. Erwan Cloarec, président du CNEF

M. Clément Diedrichs, directeur général

Mme Nancy Lefevre, directrice du service juridique

M. Thierry Le Gall, directeur du service pastoral auprès des parlementaires

Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)

M. François Jégard, président de la commission « Associations et fondations »

Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

M. Guillaume Guérin, Vice-président de l'AMF et co-président de la commission Laïcité de l'AMF

Mme Judith Mwendo, responsable du département administration et gestion communale

Assemblée des départements de France (ADF)

M. Alexandre Touzet, Vice-président du conseil départemental de l'Essonne

M. Jean Baptiste Estachy, conseiller sécurité

Mme Marylène Jouvien, attachée parlementaire

Haut Conseil à la vie associative (HCVA)

Mme Chantal Bruneau, vice-présidente

M. Jean-Pierre Duport, membre du Bureau

Le mouvement associatif

M. Vincent Clivio, secrétaire général

M. David Ratinaud, responsable plaidoyer

Personnalités qualifiées

Dr Patrick Pelloux, auteur du rapport sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé

M. Gérard Gonzalez, professeur des universités, université de Strasbourg

M. Sébastien Fath, historien, chercheur au CNRS

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

Recommandations pour garantir le respect des principes de la République

Sur le respect de la laïcité dans l'administration

Proposition n° 1 - Prévoir pour chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'Éducation nationale, chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre l'organisation des formations et de centraliser la remontée du nombre de saisines et les éventuelles questions posées.

Interministériel

2025

Mesure administrative

Proposition n° 2 - Sensibiliser les collectivités territoriales à leur obligation de nomination d'un référent laïcité et se donner les moyens d'un recensement exhaustif des nominations effectuées dans les territoires.

Ministère
de l'intérieur

-

Préfets

2025

Tout moyen

Proposition n° 3 - À court terme, prioriser la poursuite des faits de séparatisme visés à l'article 433-3-1 du code pénal par l'édiction d'une circulaire de politique pénale. À moyen terme, envisager la modification de la rédaction de ce délit afin d'en élargir les critères.

Ministère
de la justice

-

Parlement

Automne 2024

-

2027

Circulaire de politique pénale

-

Loi

Sur les obligations et le contrôle des collectivités territoriales

Proposition n° 4 - Encourager les associations d'élus à prendre des positions communes en matière de défense contre les atteintes à la neutralité du service public et contre les pratiques associatives contraires aux principes de la République.

Ministère
de l'intérieur

-

Associations d'élus

Immédiat

Tout moyen

Proposition n° 5 - Intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et systématiser le recours au « déféré-laïcité » en présence d'un acte problématique.

Ministère
de l'intérieur

Immédiat

Instruction
aux préfets

Proposition n° 6 - Envisager la désignation dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.

Ministère
de l'intérieur

2025

Mesure administrative

Sur la lutte contre le séparatisme dans le champ associatif

Proposition n° 7 - Faire du contrat d'engagement républicain un document indépendant de la demande de subvention, afin de mieux traduire l'engagement consenti par l'association ou la fondation.

Ministère
de l'éducation nationale et de la jeunesse

Automne 2024

Formulaire Cerfa

Proposition n° 8 - Systématiser la transmission par les collectivités territoriales au préfet des demandes de subventions des associations dont le contrôle est jugé prioritaire en matière de lutte contre le séparatisme

Ministère de l'intérieur

-

Préfets

Automne 2024

Instruction
aux préfets

Proposition n° 9 - Faire aboutir au plus vite la création d'un nouveau régime de dévolution des biens des associations dissoutes et envisager celle d'un régime de gel des avoirs applicable à leurs membres.

Parlement

2025

Loi

Recommandations pour accélérer la réforme de l'organisation des cultes et assurer le libre exercice du culte

Sur la réforme du régime des cultes

Proposition n° 10 - Conformément au vote du Sénat lors de la discussion du projet de loi, introduire plus de souplesse lors du renouvellement des demandes des associations dont la qualité cultuelle aura déjà été reconnue pour une première période de cinq ans

Parlement

2027

Loi

Proposition n° 11 - Publier au plus vite les textes réglementaires et fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.

Ministère
de l'intérieur

Immédiat

Circulaires, instructions
et fiches.

Proposition n° 12 - Répondre aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments, à la location des immeubles et aux activités sociales des associations cultuelles.

Ministère
de l'intérieur

Immédiat

Circulaires
et instructions

Proposition n° 13 - Publier dans les plus brefs délais la composition du Forum de l'Islam de la France et garantir la transparence de son fonctionnement.

Ministère
de l'Intérieur

Immédiat

Tout moyen

Proposition n° 14 - Faire évoluer la clause « anti-putsch » afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement d'actes problématiques.

Parlement

2027

Loi

Sur le traitement des infractions à la législation sur les cultes

Proposition n° 15 - Encourager par le biais d'une circulaire conjointe des ministres de l'intérieur et de la justice la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d'éviter un traitement purement administratif de ces questions.

Ministères
de l'intérieur
et de la justice

Dès à présent

Circulaire conjointe

Proposition n° 16 - Intégrer à l'article 31 de la loi de 1905 l'aggravation des peines voulue par le Sénat dans le cas où un membre de la famille force la participation à un culte.

Parlement

2027

Loi


* 1 Décision n° 2022-1004

* 2 Décision n° 461962

* 3 Les ministères de l'éducation nationale et ceux de la justice notamment.

* 4 Le deuxième alinéa de cet article dispose que l'agent public « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité (...) », la loi du 24 août 2021 a ajouté les mots « Il est formé à ce principe ».

* 5 En particulier la Charte des engagements réciproques du 14 février 2014.

* 6 Sans prétendre à l'exhaustivité, ont uniquement été recensés quatre cas en Isère en 2021, dans les Deux-Sèvres en 2023 ainsi que dans le Rhône et le Finistère en 2024.

* 7 Conseil d'État, 30 juin 2023, n° 461962.

* 8 Celui-ci sanctionne les associations ou groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». La dissolution des « Soulèvements de la Terre », postérieurement annulée, était par ailleurs fondée sur ce seul critère, tandis que celle de l'association « Les Alerteurs » mentionne les seuls éléments dudit 1° qui ont été rajoutés en 2021.

* 9 Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi n° 2022 de François-Noël Buffet instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste (2023-2024).

* 10 L'article 73 a soumis les activités cultuelles des associations dites mixtes relevant de la loi de 1907 aux mêmes obligations comptables que celles des associations loi 1905 sans leur accorder les avantages fiscaux et financiers.

* 11 Article L. 6147-2 du code de la santé publique.

* 12 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception de ceux rattachés au centre communal d'action sociale de la ville de Paris.

* 13 1° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 14 2°, 3°, 5° et 7° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 15 8° et 13° de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 16 Circulaire NOR/IOCK1103788C du 21 avril 2011 relative à la désignation d'un correspondant laïcité dans chaque préfecture et installation d'une conférence départementale de la liberté religieuse.

* 17 Circulaire DGOS/RH4 n° 2011-356 du 5 septembre 2011 relative à la charte des aumôneries dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

* 18 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

* 19 Circulaire n° 2015-182 du 28 octobre 2015 du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

* 20 Selon la DGOS, moins d'un tiers des établissements et services médico-sociaux avaient désigné un référent laïcité en 2015.

* 21 Article L. 124-2 du code général de la fonction publique.

* 22 Rapport n° 454 (2021-2023) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, 18 mars 2021.

* 23 Ce module a été conçu dans le cadre d'un groupe de travail interministériel par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et le bureau de la laïcité de la direction générale des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Il s'adresse aux trois fonctions publiques (État, territoriale et hospitalière) et à l'ensemble des agents publics de catégorie A/B/C, mais également aux hauts fonctionnaires et aux magistrats

* 24  https://www.fonction-publique.gouv.fr/etre-agent-public/mes-droits-et-obligations/laicite-et-neutralite-de-la-fonction-publique

* 25 L'éducation à la sexualité fait partie des enseignements obligatoires en application de l'article L. 312-16 du code de l'éducation.

* 26  https://www.ifop.com/publication/les-enseignants-face-a-lexpression-du-fait-religieux-a-lecole-et-aux-atteintes-a-la-laicite/

* 27  https://eduscol.education.fr/document/1609/download

* 28 Article 433-23-1 du code pénal.

* 29 Rapport n° 3797 de Florent Boudié, Laëtitia Avia, Anne Brugnera, Nicole Dubré-Chirat, Sacha Houlié, Éric Poulliat et Laurence Vichnievsky sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, 25 janvier 2021.

* 30 Cour de cassation, chambre criminelle, 1er septembre 2010, req. n° 10-80.584.

* 31 Article L. 2122-27 du code général des collectivités territoriales.

* 32 Article L. 2122-31 du code général des collectivités territoriales.

* 33 Article L. 2123-32 du code général des collectivités territoriales.

* 34 Décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 relative à la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

* 35 Amendement n° 204 rect. quater de Philippe Dallier.

* 36 Conseil d'État, 25 juillet 2022, Commune de Bagneux, req. n° 463525.

* 37 Amendement n° 686 du Gouvernement.

* 38 Avant l'entrée en vigueur de la loi CRPR, les communes et les départements ne pouvaient octroyer de garantie aux emprunts contractés par les associations cultuelles pour financer la construction des lieux de culte que pour les constructions réalisées dans les agglomérations en voie de développement.

* 39 Tribunal administratif de Grenoble, 25 mai 2022, req. n° 2203163.

* 40 Conseil d'État, 21 juin 2022, req. n° 464648.

* 41 Les subventions publiques sont définies à l'article 9-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui précise que : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire ».

* 42 Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, guide d'usage de la subvention (2023-2024). Le taux de financement public des associations a toutefois connu une baisse considérable depuis le début des années 2000. Selon les éléments transmis par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, le taux de financement privé est en hausse de 10 points entre 2005 (32 %) et 2017 (42 %)

* 43 Annexe au projet de loi de finances pour 2024, « Effort financier de l'État en faveur des associations ».

* 44 Les cinq premiers programmes budgétaires les plus concernés étaient, par ordre de prévalence, « Egalite territoire » (2,2 milliards d'euros), « Enseignement » (1,1 milliard d'euros), « Immigration, asile et intégration » (980 millions d'euros), « Solidarité, insertion » (880 millions d'euros) et « Travail et emploi » (700 millions d'euros).

* 45 Décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 pris pour l'application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques.

* 46 Dans la mesure, où, d'une part, elle n'est pas mentionnée dans le décret n° 2016-1971 du 28 décembre 2016 précisant les caractéristiques du formulaire unique de demande de subvention des associations et où, d'autre part, elle contient pour l'essentiel des formulations de portée générale.

* 47 Étude d'impact de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, p. 79.

* 48 Cette obligation est réputée satisfaite par les associations agréées ainsi que par les associations et fondations reconnues d'utilité publique.

* 49 Voir le rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République.

* 50 Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, cons. 16-27.

* 51 En précisant que le retrait de subventions ne « pouvait conduire à la restitution de sommes versées au titre d'une période antérieure au manquement au contrat d'engagement ».

* 52 Voir compte-rendu de l'audition précitée du 4 juillet 2023.

* 53 Le juge administratif a, d'une part, estimé que, eu égard au contenu global de son programme, l'évènement n'incitait pas à des actions illégales et violentes ou susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public, et que d'autre part il ne pouvait être imputé à l'association Alternatiba Poitiers des propos incitants à la désobéissance civile.

* 54 En application notamment des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, de l'article 1er de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales ou, à titre de peine complémentaire, du 1° de l'article 131-39 du code pénal.

* 55 En application de l'article 6-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relatif à l'état d'urgence dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

* 56 Les dissolutions étaient, jusqu'à sa codification, fondées sur l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées.

* 57 Étude d'impact de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, p. 85.

* 58 Voir la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 n° 71-44 DC dite « Liberté d'association », ainsi que l'arrêt du Conseil d'État du 11 juillet 1956 dit « Amicale des Annamites de Paris ». Si le Conseil constitutionnel ne s'est jamais directement sur la conformité à la Constitution de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, il en a néanmoins validé les modifications par la loi CRPR. Par ailleurs, le Conseil d'État, compétent eu égard à sa nature alors règlementaire, avait validé cet article en 2014 (Conseil d'État, 30 janvier 2014, Association « Envie de rêver », n° 370306).

* 59 La liberté d'association est protégée par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne des droits de l'homme admet toutefois la dissolutions d''une association lorsque celle-ci répond à un « besoin social impérieux » (voir Cour européenne des droits de l'homme, 13 février 2023, Parti de la Prospérité c/ Turquie, n° 41340/98, 41342/98 et 41344/98 ; Cour européenne des droits de l'homme, 8 octobre 2020, affaire Ayoub et autres c. France, requête n° 77400/14).

* 60 Étude d'impact de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, pp. 96-100.

* 61 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, cons. 33 à 42. Le Conseil constitutionnel avait en revanche censuré la possibilité de suspendre, à titre conservatoire, l'activité d'une association ou un groupement de fait visé par une procédure de dissolution.

* 62 Il a en revanche été précisé que certaines associations ciblées avaient poursuivi leurs activités à l'étrange.

* 63 Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble, rapport n° 595 (2019-2020) de Jacqueline Eustache-Brinio, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 7 juillet 2020.

* 64 Rapport n° 258 du 17 janvier 2024 (2023-2024) de Marc-Philippe Daubresse sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.

* 65 Conseil d'État, 9 novembre 2023, n° 476384.

* 66 Pour une présentation complète, voir le commentaire de l'article 8 du rapport précité n° 258 du 17 janvier 2024 (2023-2024) de Marc-Philippe Daubresse

* 67 À l'exception des cas où un organisme sollicitait la délivrance d'un « rescrit mécénat ».

* 68 La commission des finances du Sénat avait effectué un premier travail d'évaluation de ce dispositif. Elle avait notamment estimé que « dans la mesure où cette nouvelle procédure était entrée en vigueur il y a moins d'un an, il n'était pas encore possible d'avoir un retour d'expérience sur le dispositif, et que certaines des conditions de sa mise en oeuvre devaient encore être précisées » (Commission des finances du Sénat, rapport n° 188 de Jean-François Husson et Éric Jeansannetas (2022-2023) sur le champ et la mise en oeuvre effective des dispositifs de suspension des avantages fiscaux pour les dons aux associations.

* 69 Selon les données transmises par la DGFip, la dépense fiscale liée au mécénat s'élève à 3 milliards d'euros en 2022, répartis à raison de 1,7 milliard pour les particuliers (dont 132 millions d'euros d'impôt sur la fortune immobilière, le reste relevant de l'impôt sur le revenu) et de 1,3 milliard pour les entreprises.

* 70 Le statut de ces associations découle d'un accord international par échange de lettre à l'origine entre le Président de la République et le nonce apostolique à Paris, il a été actualisé depuis plusieurs fois par la même procédure, le ministre en charge des cultes représentant la France.

* 71 L'article 73 a soumis les activités cultuelles des associations dites mixtes relevant de la loi de 1907 aux mêmes obligations comptables que celles des associations loi 1905 sans leur accorder les avantages fiscaux et financiers.

* 72 Article 18 de la loi de 1905

* 73 CE, Assemblée, 24 octobre 1997, avis contentieux, Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom

* 74 Les ressources ou avantages peuvent être consenties par « un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France ».

* 75 Lorsqu'elles bénéficient qu'elles bénéficient d'avantages et de ressources mentionnés en provenance de l'étranger dont le total annuel des montants et des valorisations dépasse 15 300 euros (article 15 du décret n° 2022-619 du 22 avril 2022).

* 76 Les différents seuils fixés dans cette section ont également été fixés par le décret n° 2022-619 du 22 avril 2022.

* 77 Par renvoi de l'article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes.

* 78 Voir le rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République.

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