V. LA PROTECTION INTELLECTUELLE DES VÉGÉTAUX NTG : UNE QUESTION CENTRALE À TRAITER AVANT L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU RÈGLEMENT

A. LA COEXISTENCE ÉPINEUSE DE DEUX RÉGIMES DE PROTECTION INTELLECTUELLE POUR LES PLANTES : LE CERTIFICAT D'OBTENTION VÉGÉTALE ET LE BREVET

1. Pour les variétés conventionnelles, le respect de la propriété intellectuelle est assuré par le biais du certificat d'obtention végétale

Les variétés de plantes issues de procédés conventionnels sont protégées par le certificat d'obtention végétale (COV). Créé en 1962, ce régime de propriété autorise (i) l'agriculteur à réutiliser des semences de son exploitation pour réensemencer l'année suivante (« privilège du fermier ») et (ii) les sélectionneurs à utiliser librement une variété protégée pour en sélectionner une autre (« exemption du sélectionneur »).

Permettant ainsi un libre accès aux ressources génétiques des plantes cultivées, le COV favorise une innovation « ouverte », c'est-à-dire résultant d'un échange intensif de connaissances et de ressources génétiques entre une diversité d'acteurs. Ce régime de propriété assure en parallèle une rémunération efficace de l'innovation variétale, en raison des délais nécessaires à l'élaboration de nouvelles variétés ; en pratique, une nouvelle variété créée à partir d'une variété protégée ne viendra concurrencer cette dernière qu'à l'issue d'un pas de temps relativement long, de l'ordre de 10 à 20 ans.

Les travaux menés par les rapporteurs ont mis en exergue l'attachement des acteurs du monde agricole français au système du COV, garantissant le maintien d'une large diversité génétique et l'accès d'un grand nombre d'acteurs aux innovations les plus récentes, ainsi qu'aux ressources génétiques.

2. Si les variétés végétales ne sont pas brevetables au sein de l'Union, les caractères et les procédés techniques peuvent être protégés par brevet

En Europe, le droit des brevets comprend une clause d'exclusion stipulant que les variétés végétales ne peuvent pas être protégées par brevet. Cette disposition, qui figurait initialement à l'article 53b de la Convention sur le brevet européen, a été reprise dans la directive européenne sur la protection par brevet des inventions biotechnologiques26(*).

La France a par ailleurs, en 2016, introduit dans la loi27(*) l'interdiction de breveter les caractères natifs (i.e. qui peuvent être introduits par des techniques de croisement ou de sélection naturelle), cette exclusion ayant été par la suite insérée dans le règlement technique de l'Office européen des brevets (OEB).

L'OEB considère néanmoins que des inventions concernant les plantes peuvent être brevetées ; sous réserve de répondre aux critères généraux de nouveauté et d'activité inventive, les procédés techniques - à l'exception des procédés essentiellement biologiques (c'est-à-dire les méthodes de sélection classiques) - et les nouveaux traits sont brevetables, à condition que l'invention ne soit pas limitée à une variété végétale.

Si les variétés, en tant que telles, demeurent non-brevetables, certaines d'entre elles peuvent être sous la dépendance de brevets revendiquant des caractères. Il convient de relever qu'un même brevet peut concerner des dizaines de variétés, et que réciproquement, une variété peut être liée à plusieurs brevets.

Cette protection par brevet s'oppose à la libre utilisation des variétés par les obtenteurs, mettant fin à « l'exemption du sélectionneur ». En pratique, l'obtenteur qui souhaiterait utiliser une variété tombant sous la dépendance d'un brevet pour en créer une autre n'aurait d'autres choix que d'éliminer, par le biais de croisements, les gènes et caractéristiques brevetés, ou de s'acquitter de redevances auprès du détenteur du brevet, afin d'obtenir une licence. De la même manière, le régime de propriété des brevets ne maintient pas le privilège du fermier.

L'émergence du génie génétique et le développement de variétés de plantes transgéniques ont ainsi provoqué une irruption du brevet d'invention dans le monde des semences. Selon l'Office européen des brevets, depuis 1995, près de 8 800 demandes de brevets européens ont été déposées pour des végétaux génétiquement modifiés, tandis que 3 100 brevets ont été délivrés.

Comme l'ont souligné les représentants des semenciers lors de leur audition, si cette évolution a été l'un des moteurs de la concentration de l'industrie des semences au cours des vingt dernières années, l'Union européenne a jusqu'à présent été relativement préservée de ce mouvement, grâce à l'existence d'un moratoire de fait sur la culture des OGM.

Néanmoins, le développement des nouvelles techniques génomiques pourrait changer la donne et impose, en tout état de cause, de clarifier les règles applicables en matière de propriété intellectuelle.


* 26 Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998

relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

* 27 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

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