II. TIRER LES LEÇONS D'UNE RÉPONSE INSTITUTIONNELLE ENGAGÉE MAIS PERFECTIBLE

La nature et l'ampleur des violences et dégradations, qui ont été commises entre le 27 juin et le 7 juillet 2023 sur l'ensemble du territoire national, démontrent la nécessité d'interroger les instruments dont dispose l'État pour assurer le rétablissement rapide de l'ordre public face à des violences urbaines, puis le maintien de l'ordre public ainsi restauré dans des conditions conformes aux principes républicains et dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Un tel défi soulève donc la question des modes opératoires ainsi que des ressources opérationnelles et juridiques à la main des autorités publiques pour prévenir et juguler les actions violentes susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux individuels et collectifs, singulièrement la protection des personnes et des biens.

Il emporte ainsi la nécessité, pour les pouvoirs publics, de veiller à la bonne adaptation du format et de l'organisation des forces de l'ordre, des équipements dont elles disposent ainsi que des ressources de commandement et de coopération qui permette de prévenir et de traiter efficacement des menaces en constante évolution et de haute intensité en contexte émeutier.

Une telle question se pose avec une acuité renouvelée tant le risque de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisés - de violences ou d'émeutes urbaines pourrait, à l'avenir, se présenter très rapidement.

Eu égard aux constats dressés à la suite des travaux de la mission, celui-ci estime que, si la réponse institutionnelle a été particulièrement forte lors des émeutes de juin et juillet 2023, elle doit néanmoins être perfectionnée à six principaux égards.

A. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DES MOYENS DU RÉTABLISSEMENT ET DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC EN CONTEXTE ÉMEUTIER À DISPOSITION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Les conditions du rétablissement de l'ordre public lors des émeutes de l'été 2023 ont suscité des appréciations diverses et contrastées au cours des auditions conduites par la mission.

Ainsi, certains, à l'instar de David Dufresne, reprenant des controverses récurrentes, ont estimé qu'« on a vu une police beaucoup plus violente qu'en 2005 »140(*). A l'inverse, nombre d'observateurs ont salué le rétablissement rapide de l'ordre public et ont considéré que, rapporté au nombre des événements émeutiers et sans pour autant exclure des manquements individuels condamnables, le décompte des blessés parmi les émeutiers était faible eu égard à l'intensité des opérations et des difficultés opérationnelles.

Quelle que soit l'appréciation portée, force est néanmoins de constater qu'aucune préparation en amont d'une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n'avait été établie et que, pour la première fois, des forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d'action traditionnel, sans véritable doctrine d'emploi préalablement établie.

C'est pourquoi, la mission estime qu'il est indispensable de moderniser, tout en préservant les acquis de l'expérience des émeutes urbaines de l'été 2023, les moyens du rétablissement et du maintien de l'ordre public en contexte émeutier par cinq mesures :

· construire un schéma de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier et stabiliser la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure ;

· entretenir les capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier ;

· moderniser et adapter les matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes ;

· assurer la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre ;

· renforcer les moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles ».

1. Construire un schéma de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier et stabiliser la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure sur la base des acquis de l'expérience de 2023

Si une doctrine du maintien de l'ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs existe et est éprouvée, les émeutes urbaines de l'été 2023 ont été l'occasion de constater, non seulement que le schéma national du maintien de l'ordre en vigueur depuis décembre 2021 n'était pas adapté aux violences urbaines, mais surtout qu'il n'existait pas, en pareil cas, de doctrine nationale préétablie et stabilisée.

Dès lors, face aux émeutes de l'été 2023, l'engagement des forces de sécurité intérieure a été décidé puis déployé sans établissement ni tests préalables d'un cadre d'exercice et de modalités opérationnelles spécifiques au rétablissement et de maintien de l'ordre public en contexte émeutier.

Ainsi, deux mesures particulièrement inédites tant dans leur nature que leur ampleur ont été déployées pour la première fois, sans doctrine d'emploi claire et préalablement établie :

· en premier lieu, il a été nécessaire de faciliter l'intervention des forces de gendarmerie nationale sur les zones d'exercice de la police nationale aboutissant à ce que, selon les représentants de la DGGN, « l'écrasante majorité de l'action des UFM [unités de force mobile] soit réalisée en zone police nationale » ;

· en second lieu, les forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées pour la première fois en dehors de leur périmètre d'intervention traditionnel, tant s'agissant de leurs missions que de leurs compétences géographiques, eu égard à l'ampleur des besoins opérationnels induits par la violence et la durée des émeutes.

Ces deux mesures ont des conséquences particulièrement fortes s'agissant du commandement national, zonal et territorial des unités mais également de la nature des blocs missionnels qui leur sont confiés. Il en va ainsi de l'utilisation des forces de sécurité intérieure non formées et spécialisées au maintien de l'ordre mais également des unités d'intervention spécialisées dont la symbolique du déploiement ne saurait être obérée par la nature des missions leur étant confiées. De façon analogue, les forces de gendarmerie nationale sont aujourd'hui régies par des principes de « non-sécabilité » des unités qui peuvent, en pareil cas, présenter des contraintes opérationnelles trop lourdes eu égard aux nécessités du rétablissement rapide de l'ordre public sur des zones nécessitant leur intervention en complément des forces de police nationale.

En outre, les déplacements effectués dans des communes touchées par les violences urbaines de l'été 2023 ont permis à la mission de constater que la coordination entre les différents acteurs du continuum de sécurité n'avait pas été optimale en raison :

· d'une part, de l'absence d'anticipation et de formalisation d'un cadre d'emploi clair et négocié des polices municipales ;

· d'autre part, de l'hétérogénéité des choix municipaux quant à leur équipement en forces de police municipale et à leur utilisation lors des événements de l'été 2023. Ainsi, certaines villes, comme Lyon notamment, pourtant dotées de policiers municipaux nombreux, ont fait le choix de ne pas coopérer avec les forces de sécurité intérieure pour assurer leur mise à disposition lors des émeutes de l'été 2023. A l'inverse, d'autres en dépit de leurs faibles moyens - par exemple la ville de Laval dotée de sept policiers municipaux pour une population de 60 000 habitants - ont choisi d'apporter le concours de leur police municipale, dans le respect de leurs prérogatives, aux opérations de rétablissement de l'ordre public face aux émeutiers. Enfin, d'autres communes, tel Évry-Courcouronnes, se sont retrouvées, du fait de l'importance en nombre et en prérogatives de leurs polices municipales, privées de l'aide des forces de sécurité intérieure, ces dernières étant mobilisées sur le territoire de communes dépourvues de forces de l'ordre municipales - il en est allé ainsi à Évry-Courcouronnes.

Ainsi, à la lumière du déroulement des émeutes intervenues à l'été 2023, la mise en oeuvre de la doctrine du rétablissement puis du maintien de l'ordre soulève deux questions essentielles : d'une part, la pertinence des hypothèses d'intervention et des missions conférées, dans une démarche de complémentarité, aux diverses forces de sécurité intérieure et municipales (engagement des forces spéciales, coordination entre forces, blocs missionnels) ; d'autre part, les choix de positionnement et les évolutions du commandement dans la conduite des opérations du rétablissement maintien de l'ordre de ces forces (dézonage, sécabilité des unités).

Dans cette optique, le rapporteur estime qu'en s'appuyant sur les retours d'expérience des émeutes de l'été 2023, il est indispensable de se doter le plus rapidement possible d'une stratégie nationale et globale de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier.

À cette fin, il apparaît particulièrement nécessaire, d'une part, d'établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales ; et d'autre part, de faciliter le décloisonnement et le dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement.

Par ailleurs, le rapporteur juge souhaitable que les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales soient associées à l'établissement de ce schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier.

En effet, compte tenu de l'intensité des opérations susceptibles d'être menées et eu égard à la visibilité - du fait des captations vidéo et de la circulation d'information permise par les réseaux sociaux - des actions des forces de l'ordre, il est important de rappeler l'exigence d'un contrôle célère sur l'action des forces de sécurité dans le cadre de la stratégie déployée pour rétablir l'ordre public en cas de violences urbaines.

Dans un tel contexte, la mise en place de procédures particulières, notamment destinées à systématiser et accélérer la réponse administrative voire disciplinaire, pourraient pourrait être étudiées afin de faciliter la transparence et l'investigation sur des faits présentés comme des manquements des forces de sécurité intérieure qui, en l'absence de réponse adéquate et transparente, sont susceptibles de radicaliser les rapports entre les forces et les émeutiers.

Pour ce faire, le rapporteur estime indispensable de garantir aux inspections précitées des moyens humains et juridiques adaptés aux exigences d'un tel contrôle et au surcroît de leur volume d'activité en découlant.

Plus généralement, la mission souhaite rappeler son attachement au nécessaire travail impartial et transparent de ces inspections pour contrôler et, le cas échéant, sanctionner les actions des forces de sécurité intérieure dans le cadre de leurs interventions.

Proposition n° 1 : Établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales ;

Proposition n° 2 : Faciliter le décloisonnement et le dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement.

2. Entretenir les capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier

Les violences urbaines intervenues à l'été 2023 démontrent la nécessité de maintenir et d'actualiser les capacités opérationnelles de l'ensemble des unités et des services qui concourent aux opérations de maintien de l'ordre, et plus largement encore de permettre, en pareil cas, de mobiliser l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour intervenir sur l'ensemble du territoire national.

Compte tenu de la forte probabilité d'un renouvellement de violences urbaines ou d'émeutes sur le territoire national et de leur dispersion géographique, il n'est pas raisonnablement concevable de faire reposer l'entretien des capacités humaines susceptibles d'intervenir pour le rétablissement et maintien de l'ordre en contexte émeutiers sur les seules unités spécialisées. Les unités non spécialisées en maintien de l'ordre doivent également y participer pleinement, leur pleine opérationnalité apparaissant d'autant plus indispensable en raison du risque accru de radicalisation de groupes et d'individus dont les modes opératoires renouvellent les enjeux de rétablissement de l'ordre public.

Par ailleurs, l'expérience des émeutes urbaines de l'été 2023 donne à penser qu'il est préférable ne pas solliciter un seul type de forces, ainsi que l'illustre le bilan dressé par le préfet de police Laurent Nuñez, affirmant devant la mission : « Nous avons mobilisé tout le monde et sans cela, nous n'aurions pas pu faire face à des événements d'une telle ampleur ».

Ainsi, davantage qu'un débat théorique sur la nécessaire spécialisation des forces, qui serait, en tout état de cause inadaptée dès lors que des actions violentes émeutières d'ampleur nationale devraient être maitrisées, la mission estime que le véritable enjeu réside dans l'effort de formation de l'ensemble des unités susceptibles d'être engagées dans les opérations de rétablissement puis de maintien de l'ordre en pareille situation. Ainsi qu'il ressort des auditions conduites, l'usage des armes exige des compétences acquises à travers un entraînement adapté et une pratique régulière, comme par exemple la maitrise de l'angle de tir et l'appréciation de la distance. De façon analogue, la formation aux interventions en commun avec d'autres forces de sécurité intérieure, spécialisées ou non, doit impérativement être développée tant elle est une condition de la réussite du rétablissement de l'ordre public en cas d'émeutes urbaines sur l'ensemble du territoire national.

Cependant, d'un constat ancien et dressé en 2022 par la commission des lois, « les obligations de formation continue, qui portent sur l'activité opérationnelle des personnels de la police nationale, ne sont pas satisfaites par un nombre important d'agents ». Comme l'avait alors révélé le rapport de Catherine Di Folco et Maryse Carrère pour la commission des lois du Sénat, « il est admis par les autorités de la DGPN que 60 à 65 % des agents en fonction dans la police nationale ne satisferaient pas à l'obligation, définie dans l'arrêté du 27 juillet 2015 relatif à la formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des adjoints de sécurité (nouvellement policiers adjoints), à l'entraînement aux techniques et à la sécurité en intervention d'un volume horaire minimal annuel de 12 heures, et incluant notamment trois séances de tir par an »141(*).

En conséquence, il importe de favoriser une large acquisition de compétences en rapport avec les besoins d'opérations de police spécifiques au contexte émeutier. En application du schéma national du maintien de l'ordre et sur le fondement des instructions ministérielles, une offre de formation a été développée et complétée par des entrainements communs entre la police et la gendarmerie pour le maintien de l'ordre en cas de mouvements revendicatifs violentes. De façon analogue, une attention particulière a été portée à la maitrise des techniques d'interpellation et à l'entrainement aux tirs et à l'usage d'armes léthales ou non.

Toutefois, il ressort des travaux de la mission que deux difficultés semblent aujourd'hui obérer la capacité des forces de sécurité intérieure à accomplir les formations indispensables à l'acquisition puis au maintien des compétences spécifiques tenant d'une part aux interventions en contexte émeutier et d'autre part, aux interventions en commun avec d'autres forces de sécurité intérieure.

D'une part, la mise en tension des unités spécialisées en maintien de l'ordre compte-tenu de la multiplication des événements violents obère la fréquence des entraînements et la capacité des personnels prendre part aux formations, compte tenu de l'engagement très élevé, voire quasi-permanent, des unités auxquelles ils appartiennent. En effet, la formation continue des forces de sécurité intérieure reste une variable d'ajustement de leur activité opérationnelle.

Ainsi, comme l'a rappelé la DGGN en réponse aux questions du rapporteur, « la période des émeutes a impacté les sessions de formations de 221 stagiaires en obérant 9 instructeurs du CNEFG qui ont dû être déployés sur les émeutes ». Ainsi, plus généralement, « avec la hausse des besoins en génération de force face aux événements des dernières années, la fréquence de recyclage des EGM [escadrons de gendarmerie mobile] et Groupement Tactique Gendarmerie (GTG) s'est ralentie. Par ailleurs, les fenêtres déconcentrées de formation collective sont rarement garanties. Ceci est de nature à constituer une fragilisation dans la maîtrise juridique, technique et tactique des chefs et des unités, notamment face à l'augmentation de la violence et à l'asymétrie des troubles à l'ordre public, à la prégnance des mises en cause et couverture médiatique ».

D'autre part, les stands de tirs, singulièrement en Île-de-France, ne permettent ni un volume d'entrainement régulier et à proximité de leurs lieux de travail de l'ensemble des forces de sécurité intérieure, ni un entrainement à l'usage de l'ensemble des armes létales et non-létales dont ils sont amenés à faire usage aux cours de leurs services. Ainsi, la Cour des comptes a régulièrement pointé le défaut des équipements des stands de tirs parisiens. À titre d'exemple, non seulement le dernier stand de tir construit ne permet pas l'entrainement avec « des cartouches traçantes, perforantes, et les fusils à pompe ne sont pas autorisés » mais, en outre, compte tenu de l'utilisation mixte des locaux et de la présence de bureaux, « le recours aux calibres dits de guerre a été évité et est dorénavant réservé aux seuls personnels de la BRI »142(*).

Enfin, en sus des difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure pour accéder à une formation régulière et adaptée à l'usage des armes ainsi qu'à des exercices en commun avec les autres forces, les travaux de la mission ont mis en lumière l'absence de formation spécifique au maintien de l'ordre et au rétablissement de l'ordre public en contexte de violences urbaines ou de mouvements revendicatifs violents de certaines unités pourtant déployées à l'occasion des émeutes de l'été 2023. Il en va ainsi singulièrement des forces d'intervention spécialisées parfaitement formées à l'usage de la force en cas de périple meurtrier ou à l'intervention de contexte terroriste mais non à une violence de plus basse intensité comme les violences urbaines. De façon analogue, habituées à intervenir seules et sans coordination avec d'autres unités, ces forces ne disposent pas de formations aux interventions en commun avec des forces non spécialisées ou spécialisées en maintien de l'ordre public.

En conséquence, la mission appelle à garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre, spécialisée ou non, aux contextes émeutiers et à des interventions communes avec d'autres forces.

Elle propose en conséquence d'accentuer l'effort de formation en éliminant les sujétions qui pourraient entraver la tenue des entraînements communs et le suivi des formations au maintien de l'ordre pour l'ensemble des unités appelées à prendre part à ces opérations, singulièrement pour le tiers de l'usage des armes. Enfin, plus spécifiquement, la mission recommande de former les unités spéciales à l'intervention en contexte émeutier eu égard aux effets extrêmement positifs de leur déploiement à l'été 2023 qui pourrait justifier un recours quasi systématique en cas de violences urbaines de haute intensité à celles-ci.

Proposition n° 3 : Garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre aux contextes émeutiers avant leur déploiement :

- Encourager l'organisation de formations communes entre la police nationale, la gendarmerie nationale et le cas échéant, les polices municipales pour la gestion des émeutes ;

- S'assurer de la formation régulière aux tirs et à l'usage des différentes armes de l'ensemble des forces de sécurité intérieure, le plus possible à proximité de leurs lieux de travail, en particulier en région parisienne ;

- Former les unités spéciales à l'intervention en contexte émeutiers.

3. Moderniser et adapter les matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes

Lors de ses déplacements et auditions, la mission a constaté la nécessité de moderniser et adapter les matériels et équipements mis à dispositions des forces de sécurité intérieure pour faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes.

En effet, comme l'a révélé le service central des armes et explosifs du ministère de l'intérieur (SCAE) lors de son audition, les tensions qui sont apparues sur le nombre de munitions produites puis acheminées et délivrées aux forces de sécurité intérieure au cours de la semaine d'émeutes de l'été 2023, et particulièrement le week-end, ne sont pas sans interroger quant au besoin de garantir l'approvisionnement rapide des forces de sécurité intérieure devant faire face à des violences urbaines de haute intensité sur une longue période.

Ainsi, la mission appelle à renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle française afin de mieux se prémunir du risque de pénurie ou de limitation de réapprovisionnement des forces de sécurité intérieure confrontées à un phénomène de violences urbaines diffus géographiquement et de longue durée.

L'analyse conduite par le SCAE a également mis en avant la nécessité d'accroître les quotas de munitions des armes de force intermédiaire, ainsi que des armes classiques mises à disposition des forces de sécurité intérieure.

Ces analyses convergentes et l'examen des évènements confirment l'intérêt d'un renouvellement des moyens et armes de force intermédiaire dans le contexte de violences urbaines, à la condition d'une adaptation et d'un contrôle de leur emploi. Parmi les solutions avancées notamment lors des déplacements conduits à Évry-Courcouronnes et Saint-Fons, le rapporteur estime qu'il conviendrait de développer l'usage de nouvelles armes intermédiaires comme les canons à eaux, instruments d'une réponse graduée et adaptée à la gravité des violences commises par les émeutiers mais dont les quantités restent aujourd'hui très limitées.

Couplée à un renforcement des capacités de production, une telle mesure permettrait de simplifier la gestion des armes et des munitions en cas de violences urbaines tout en équipant, à la hauteur de leurs besoins les forces. Au surplus, une telle mesure pourrait être aisément déployée alors que le ministre de l'intérieur a annoncé le développement d'un prochain système d'information sur les armes centralisé et informatisé.

De manière générale, la mission estime indispensable de conforter la capacité d'initiative et d'action des unités de sécurité intérieure en les dotant d'équipements dont la valeur ne repose pas exclusivement sur leur puissance de feu et surtout en quantité suffisante afin que ne soit pas obérée la possibilité de déployer une réponse graduée et adaptée à la gravité des troubles et la violence des émeutiers.

En outre, les éléments recueillis par le rapporteur illustrent l'intérêt d'une meilleure exploitation de nouveaux équipements et technologies qui renouvellent les capacités de manoeuvre et de projection des forces au cours des violences urbaines, tout en permettant de collecter des éléments de preuve afin de renforcer la judiciarisation des comportements émeutiers.

Il en va ainsi des caméras-piétons. L'annonce de la généralisation à l'ensemble des policiers et gendarmes de ces équipements date du 1er juillet 2021. Toutefois, force est de constater que celle-ci est réservée aux personnels habituellement mobilisés pour des opérations de maintien de l'ordre, alors que les violences urbaines de l'été 2023 ont mobilisés des unités non-spécialisées et donc, non équipées de caméras-piétons. La mission considère, dès lors, que la généralisation de ces équipements doit être réalisée dans les plus brefs délais et que doivent être constitués des stocks de caméras-piétons afin de pouvoir équiper rapidement les unités non habituellement mobilisées sur des opérations de maintien de l'ordre.

Aussi, les travaux de la mission ont permis de confirmer que les modèles actuels ne sont pas adaptés aux contraintes opérationnelles des policiers et gendarmes, bien qu'un remplacement progressif des flottes de caméras-piétons par des équipements plus modernes soit en cours. Les syndicats de police ont fait état de la faible autonomie de cet équipement ne permet pas un usage continu en cas d'utilisation prolongée pendant une longue opération. Ils imposent par ailleurs aux unités de rentrer le numéro RIO à chaque enclenchement, ce qui complique leur usage.

Constatant les effets positifs induits par l'utilisation de tels équipements, le rapporteur souhaite le déploiement massif de cet équipement, dont le recours lors d'opérations policières en contexte d'ordre public dégradé doit permettre non seulement de collecter des preuves mais également de prévenir toute forme de violence illégitime. Il estime, en complément, qu'il convient de s'assurer que ces unités de police et de gendarmerie, qui sont régulièrement amenées à travailler ensemble lors d'opérations de maintien de l'ordre, puissent être dotées de caméras similaires, efficaces et compatibles avec leurs exigences de service.

Sur ce même point, le rapporteur considère que le cadre d'utilisation de ces caméras pourrait également être révisé afin de permettre une exploitation en temps réel des images captées. En application de l'article L. 241-1 du code de sécurité intérieure, le dispositif juridique ne permet pas, à ce stade, l'exploitation des images en temps réel et l'actionnement de l'enregistrement par un agent situé dans un centre opérationnel de commandement. Une telle possibilité est pourtant souhaitée par les forces de l'ordre rencontrées par la mission comme par les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationale.

Quant aux drones, d'après les informations recueillies par le rapporteur, ils présentent quatre intérêts majeurs :

· ces appareils offrent un moyen d'observer l'ensemble d'une zone d'opération de maintien de l'ordre, et ce, y compris de nuit ;

· ils peuvent accompagner au plus près les manoeuvres tactiques et, ce faisant, permettre de déployer rapidement des forces de l'ordre en s'adaptant aux comportements des émeutiers ;

· les images ainsi captées comptent parmi les éléments de preuve susceptibles de favoriser la réponse pénale aux faits de violence et dégradations commis par les émeutiers ;

· enfin, ils permettent d'assurer la sécurité des forces de sécurité intérieure comme des émeutiers qu'il s'agit d'appréhender.

Toutefois, il a été indiqué que la flotte des drones utilisée, notamment en région parisienne, ne disposait pas systématiquement de technologie suffisante pour être utilisée de nuit, alors que les phénomènes émeutiers de l'été 2023 comme d'octobre 2005 se sont déroulés essentiellement à la nuit tombée. Le rapporteur juge qu'il s'agit là d'un investissement à encourager, et que le renouvellement des matériels aujourd'hui non utilisables de nuit doit être amorcé sans plus attendre.

De façon analogue, il a été rapporté à la mission que les produits de marquage codé (PMC) n'ont pas été déployés au cours des émeutes de l'été 2023. Le rapporteur considère toutefois qu'en ce qu'ils peuvent aisément favoriser la collecte de preuves tout en étant inoffensifs et invisibles à l'oeil nu, l'expérimentation de l'utilisation de ces équipements en contexte émeutier devrait être encouragée. Couplé avec les autres dispositifs, il permettrait de lutter plus efficacement contre les violences survenant durant les manifestations et faciliterait l'action des forces de sécurité intérieure qui pourraient procéder, même quelques jours après les faits à l'interpellation des individus, les produits restants visibles avec une lumière ultraviolette sur la peau plusieurs jours durant.

Enfin, auditionnés par le rapporteur, les unités d'intervention spécialisées comme les syndicats de policiers ont fait état de l'absence de mise à disposition de matériels adaptés et spécifiques aux unités non-spécialistes aux interventions sur la voie publique en pareil contexte. Ces difficultés semblent s'expliquer par la mobilisation en urgence et sans stratégie préétablie d'unités non-spécialisées compte tenu de la propagation géographique et de l'intensité des émeutes de l'été 2023. Du point de vue du rapporteur, il convient, à l'avenir, de garantir l'adaptation des équipements des forces de sécurité intérieure mobilisées à titre exceptionnel en contexte émeutier à ce type de situation, faute de quoi, leur capacité de manoeuvre et d'intervention ainsi que leur adhésion à une mobilisation exceptionnelle seraient réduites.

Proposition n° 4 : Se doter des moyens matériels et des équipements permettant de faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes

· Renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle ;

· Accroître les quotas de munitions des armes de force intermédiaire, ainsi que des armes classiques, en profitant du développement d'un prochain système d'information sur les armes ;

· Poursuivre le déploiement et l'équipement systématique des caméras-piétons, et constituer des stocks pour un déploiement rapide en cas de mobilisation de forces en contexte émeutier ;

· Permettre, en contexte émeutier, l'enregistrement en continu des interventions par les caméras-piétons, ou leur déclenchement à distance par les postes de commandement ;

· Encourager la modernisation des flottes de drones et des caméras de vidéo-surveillance pour permettre leur utilisation nocturne ;

· Expérimenter et encadrer l'équipement et l'utilisation de matériels de marquage codés en cas d'émeutes par les forces de sécurité intérieure ;

· Garantir aux forces de sécurité intérieure mobilisées à titre exceptionnel en contexte émeutier l'adaptation de leurs équipements à ce type de situations.

4. Assurer la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre

Pour la seule gendarmerie nationale, quarante-sept attaques de casernes ont été comptabilisées pendant les émeutes urbaines de l'été 2023. Les dommages aux bâtiments sont protéiformes, allant de l'incendie volontaire aux tags.

En outre, sur cette même période, dix-neuf intrusions de casernes par escalade ou dégradation des barrières de protection sont à déplorer.

Parallèlement, comme a pu le constater la mission lors de son déplacement à Évry-Courcouronnes, le commissariat central a été la cible de plusieurs tentatives coordonnées d'assauts par le biais un encerclement de barricades incendiaires, de jets d'engins explosifs et de tentatives d'escalades des clôtures d'enceinte par des groupes coordonnés d'individus.

Ces chiffres illustrent la nécessité renouvelée d'assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut qui, symboliquement et opérationnellement, serait gravement préjudiciable.

Ainsi, le rapporteur considère impératif d'auditer les besoins de sécurisation immédiats de ces bâtiments afin de poursuivre les travaux parfois déjà engagés de renforcement de leur sécurisation.

En outre, parmi les solutions utilisées sur le terrain, le déploiement de canons à eaux a semblé constituer un élément déterminant et essentiel des opérations de sécurisation des bâtiments des forces de sécurité intérieure. Il en est allé ainsi à Évry-Courcouronnes. Toutefois, les forces de l'ordre ne disposent pas d'un grand nombre de ces équipements dont l'usage n'est pas, a fortiori, mutualisé à l'échelle départementale ou interdépartementale. Ainsi, il importe, selon la mission, de constituer un stock de matériels mobiles et mutualisés pour assurer la sécurisation, y compris en cas d'assaut, des bâtiments et armurerie des forces de l'ordre.

Proposition n° 5 : Assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut :

· Auditer les besoins de sécurisation immédiats et pallier les failles de sécurité identifiées ;

· Constituer un stock de matériels mobiles permettant d'assurer leur sécurisation, y compris en cas d'assaut.

5. Renforcer les moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles »

Le suivi des « quartiers sensibles », leur cartographie et la connaissance des phénomènes de violence urbaine relève, à titre principal, des services de renseignement intérieur - service central du renseignement territorial (SRCT) et direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) - dont les moyens doivent être renforcés à cet effet, singulièrement sur la plaque parisienne.

En complément, la connaissance transdisciplinaire, sous l'égide de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), pourrait être utilement renforcée afin de produire une analyse complémentaire et multifactorielle de ces phénomènes

a) Renforcer les moyens des services de renseignement, singulièrement franciliens

Comme l'a affirmé Laurent Nunez, préfet de police de Paris, lors de son audition, « les moyens de la DRPP en matière de suivi et de cartographie des violences urbaines doivent être rapidement renforcés et redevenir une priorité pour les services de renseignement ».

En effet, d'après les informations communiquées au rapporteur, ce suivi a un temps été affaibli par la priorité consacrée au terrorisme islamiste et aux mouvements violents dits d'ultra-gauche et d'ultra-droite, aboutissant à un désengagement, en particulier au sein de la DRPP, de ces thématiques jugées moins prioritaires. Peu après sa nomination à la tête de la DRPP, Hugues Renson a présenté à la mission les trois thématiques d'action de sa direction s'agissant du suivi des phénomènes de violences urbaines.

Matérialisant ainsi la volonté de refaire de ce suivi une priorité, il a indiqué que ses services portaient désormais une attention particulière à l'analyse de la radicalité des comportements et à la cartographie tant des quartiers dits « sensibles » que des phénomènes de « bandes » de jeunes, afin d'être en mesure de mieux comprendre et d'identifier les événements susceptibles d'être des éléments déclencheurs de violences urbaines de grande ampleur et contagieuses à l'échelle nationale.

Parallèlement, les services de renseignement, lors des émeutes, fournissent une analyse particulièrement indispensable des profils des émeutiers afin de permettre de détecter, et le cas échéant anticiper et d'adapter la réponse policière, des évolutions dans celles-ci susceptibles de correspondre à des phénomènes d'appropriation par des groupements organisés défendant des causes particulières (ultra-gauche, ultra-droite, islamistes, etc).

La mission souhaite que cette démarche soit consolidée et amplifiée jugeant indispensable un double effort des services de renseignement :

· d'une part, pour conforter leurs capacités d'anticipation des phénomènes émeutiers ;

· d'autre part, afin d'assurer leur mobilisation pour analyser les phénomènes émeutiers pour adapter en temps réel la réponse policière et judiciaire.

Proposition n° 6 : Consolider et amplifier l'activité des services de renseignement dans le suivi et la connaissance des « quartiers sensibles » et des phénomènes de violences urbaines :

· Au sein de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), consolider le suivi des « quartiers sensibles » et des phénomènes de rixes urbaines ;

· Développer le suivi et la cartographie des « quartiers sensibles ».

Proposition n° 7 : En période d'émeutes, assurer l'analyse rapide et systématique des profils et des motivations des émeutiers afin d'adapter les stratégies de maintien de l'ordre.

b) Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers

Pour améliorer le suivi et la connaissance des phénomènes émeutiers, la mission estime nécessaire de poursuivre deux axes d'amélioration :

· d'une part, encourager le développement de l'analyse des phénomènes émeutiers et bandes de « jeunes » dans le cadre de l'ONDRP ;

Plus précisément, le rapporteur préconise que l'ONDRP conforte son analyse en accordant une attention particulière au phénomène qui semble aujourd'hui en grande mutation des « bandes de jeunes », dans un cadre transdisciplinaire afin d'intégrer la dimension sociale et économique du sujet.

· d'autre part, pour compléter cette approche, nommer une nouvelle mission inter-inspections ayant pour objet d'établir, sur la base de données exhaustive, un bilan plus complet des profils et motivations des émeutiers de l'été 2023.

Comme développé ci-avant, l'analyse conduite à très court terme et sur la base de données tronquées de la mission inter-inspections d'août 2023 ne permet pas de d'appréhender et de mesurer avec suffisamment de certitude les profils et motivations des émeutiers de l'été 2023. Dès lors, tout en rappelant qu'un tel travail ne pourrait utilement être mené qu'à l'issue des procédures judiciaires en cours, la mission préconise un travail de plus grande ampleur, qui fait aujourd'hui défaut.

Proposition n° 8 : Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers en France :

· Mieux analyser le phénomène des « bandes de jeunes », le cas échéant dans le cadre de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), afin de pouvoir anticiper dans la survenue d'évènements violents ;

· Procéder à une mission inter-inspections sur le profil et les motivations des émeutiers à l'issue de l'ensemble des procédures judiciaires en cours en lien avec les évènements de juin 2023.


* 140 Audition 7 février 2024.

* 141  https://www.senat.fr/rap/r22-410/r22-4107.html#toc80

* 142  https://www.ccomptes.fr/fr/documents/63856

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