III. UNE DIMENSION POLITIQUE MAJEURE, QUI EST EN SOI UNE JUSTIFICATION DU VOL SPATIAL HABITÉ
Les retombées positives du vol spatial habité pour l'avancée des sciences et des techniques ne font guère de doute. Pourtant, ce qui ressort de l'audition publique est un message autre, plus fort, qui est appelé à trouver un écho dans l'enceinte parlementaire où il a été formulé : de l'avis de tous les intervenants, le moteur premier du vol spatial habité est avant tout politique. En témoignent à la fois l'histoire et l'actualité géopolitique de l'exploration spatiale.
A. L'HOMME DANS L'ESPACE, UNE PROJECTION DE PUISSANCE
Le vol spatial habité est né au cours de la Guerre froide, traduisant les rivalités entre les deux grandes puissances d'alors. Après une période d'apaisement, le climat actuel reflète le retour d'une certaine conflictualité, marquée par une nouvelle course à la Lune, voire Mars.
1. Une affaire de grandes puissances avant tout
L'histoire du vol spatial habité est indissociable de la géopolitique, des rivalités et des coopérations internationales. Les premiers vols habités ont été à la fois la conséquence et le levier d'une course à l'espace entre l'URSS et les États-Unis, avec pour objectif de poser en premier le pied sur la Lune. Une fois cette course gagnée par les États-Unis en 1969, le terrain de la compétition s'est déplacé vers l'orbite terrestre basse : les Soviétiques ont mis en orbite les stations spatiales Saliout puis Mir ; les Américains ont développé et exploité la navette spatiale. Compétition géopolitique oblige, ces projets avaient un objectif initial militaire qu'ils ont longtemps poursuivi.
Avec la fin de la Guerre froide, un changement profond de paradigme a débouché sur le développement de la Station spatiale internationale. Il a donné lieu à une coopération internationale inédite. Les États-Unis et la Russie y ont travaillé ensemble aux côtés des pays européens, du Canada et du Japon - ni l'Inde ni la Chine ne faisaient partie du projet, pour des raisons différentes.
Aujourd'hui, on assiste au retour de la conflictualité des origines, mais entre des puissances différentes, avec une course entre la Chine et les États-Unis, vers la Lune dans un premier temps et vers Mars à plus long terme. Ce contexte rend bien plus complexes les coopérations internationales. La Chine avance actuellement en solitaire et progresse très vite, notamment en matière de vol habité. Elle dispose d'une station spatiale en orbite terrestre basse, occupée en permanence et dont les activités font l'objet de peu de communication. Elle s'apprêterait cependant à l'ouvrir à des collaborations internationales. Le choix des nations conviées à participer sera évidemment un indicateur politique. Par ailleurs, rompant avec une communication parcimonieuse, certaines annonces récentes, comme celle concernant la récupération avant 2030 d'échantillons prélevés sur Mars, laissent penser que la Chine a aussi beaucoup avancé sur des projets visant des destinations plus lointaines. Didier Schmitt estime que ce pays pourrait vouloir faire une annonce majeure en 2049, pour marquer le centième anniversaire de la proclamation de la République populaire de Chine.
Ce positionnement et ces progrès ne peuvent qu'accentuer la compétition avec les États-Unis, dont la volonté affichée est d'amener des humains sur Mars. Si les obstacles à lever sont encore nombreux, ce projet n'apparaît pas simplement comme une lubie de milliardaires - il est vrai qu'Elon Musk utilise sa position spécifique au sein de l'administration américaine actuelle pour promouvoir le voyage vers Mars - mais comme un objectif assumé par les autorités.
2. La transformation d'un modèle
Alors que les vols habités ont connu une croissance de 80 % dans les cinq dernières années, l'aventure du vol spatial habité attire aussi l'intérêt de puissances moyennes ou émergentes du spatial, comme les Émirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite, l'Australie ou encore la Pologne et la République tchèque. Dans le même temps, l'Inde, puissance spatiale déjà bien établie, développe un programme autonome et prévoit de placer une station en orbite terrestre d'ici 2035.
Un autre phénomène devrait transformer bientôt le modèle de l'orbite basse. La Station spatiale internationale s'approche de la fin de sa vie active et il est vraisemblable qu'elle sera remplacée par des stations privées commerciales à partir des années 2030. Ceci permettrait aux États-Unis de libérer certains de leurs financements institutionnels au profit des objectifs plus lointains que sont la Lune à court ou moyen terme et Mars à plus long terme. Ce nouveau paradigme entraînera nécessairement des pratiques nouvelles et fera apparaître de nouveaux enjeux.