- AVANT-PROPOS
- LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR
SPÉCIAL
- LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
- I. L'ÉDUCATION PRIORITAIRE, UNE POLITIQUE
ESSENTIELLEMENT URBAINE
- A. DES RÉSEAUX D'ÉDUCATION
PRIORITAIRE FIGÉS DEPUIS 2015
- B. UN CINQUIÈME DES ÉLÈVES
SCOLARISÉS DANS DES ÉTABLISSEMENTS DE L'ÉDUCATION
PRIORITAIRE
- C. DES ÉTABLISSEMENTS LOCALISÉS QUASI
EXCLUSIVEMENT DANS LES ZONES URBAINES
- A. DES RÉSEAUX D'ÉDUCATION
PRIORITAIRE FIGÉS DEPUIS 2015
- II. LES MOYENS CONSACRÉS À
L'ÉDUCATION PRIORITAIRE MULTIPLIÉS PAR 2,5 EN MOINS DE
10 ANS
- III. UNE CARTE DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE
À REVOIR
- A. DES EFFETS PEU SIGNIFICATIFS DE LA POLITIQUE DE
L'ÉDUCATION PRIORITAIRE SUR LES RÉSULTATS DES
ÉLÈVES
- B. UNE CARTOGRAPHIE DE L'ÉDUCATION
PRIORITAIRE PEU ADAPTÉE AUX ENJEUX TERRITORIAUX
- 1. Une localisation des établissements de
l'éducation prioritaire en inadéquation avec certains indicateurs
sociodémographiques
- 2. Les territoires ruraux, oubliés de
l'éducation prioritaire
- 3. La nécessité d'une allocation
progressive des moyens aux établissements dans le cadre de la politique
de l'éducation prioritaire
- 1. Une localisation des établissements de
l'éducation prioritaire en inadéquation avec certains indicateurs
sociodémographiques
- A. DES EFFETS PEU SIGNIFICATIFS DE LA POLITIQUE DE
L'ÉDUCATION PRIORITAIRE SUR LES RÉSULTATS DES
ÉLÈVES
- I. L'ÉDUCATION PRIORITAIRE, UNE POLITIQUE
ESSENTIELLEMENT URBAINE
- TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES
N° 575
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mai 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) pour suite
à donner à l'enquête
de la
Cour des comptes, transmise
en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur
l'éducation
prioritaire, une politique
publique à
repenser,
Par M. Olivier PACCAUD,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
M. Claude Raynal, président ;
M. Jean-François Husson, rapporteur général
; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel
Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de
Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli,
vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu,
Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé
Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin,
Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée,
MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent
Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin,
Mme Nathalie Goulet,
MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric
Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine
Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon,
Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges
Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée,
MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet,
M. Jean Pierre Vogel.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes, par un courrier daté du 16 février 2024, la réalisation d'une enquête sur la politique publique d'éducation prioritaire, au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).
En effet, la politique de l'éducation prioritaire constitue un enjeu majeur de rattrapage des inégalités scolaires, qui concerne un cinquième des élèves scolarisés. L'objectif est de doter de moyens complémentaires les établissements situés dans les zones les plus défavorisées du territoire, notamment en termes de rémunération des enseignants ou encore de financement des projets pédagogiques.
Toutefois, malgré l'engagement initial du gouvernement, la carte de l'éducation prioritaire n'a pas été revue depuis 2015. Les équilibres sociodémographiques ont pourtant été profondément modifiés en dix ans. Ainsi, suite à la révision de la carte des quartiers prioritaires de la ville (QPV) en 2024, seuls 20 % des actuels QPV ont des contours similaires à 2015. La définition des réseaux d'éducation prioritaire, qui repose partiellement sur la proximité du collège avec un QPV, n'est donc plus adaptée à la réalité du territoire, conduisant à une allocation sous-optimale des moyens. L'éducation prioritaire représente pourtant un enjeu financier majeur pour les finances publiques, puisque près de 2,6 milliards d'euros y sont consacrés chaque année. Une réallocation des moyens entre les établissements, plus adaptée aux réalités sociales des territoires, est indispensable et urgente, au vu de la situation actuelle des finances publiques.
Par ailleurs, la qualification en REP ou en REP + d'établissements scolaires repose sur des critères essentiellement urbains. Les problématiques spécifiques de la ruralité en termes d'inégalités sociales, conduisant à des difficultés scolaires, ne sont que très partiellement prises en compte par la politique de l'éducation prioritaire. Une meilleure prise en compte de la ruralité dans la définition des réseaux d'éducation prioritaire est indispensable pour permettre de résorber les inégalités scolaires.
Au vu de l'importance de la politique d'éducation prioritaire pour la qualité de l'enseignement français, l'enquête conduite par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances doit permettre de bénéficier d'une vision territorialisée des financements apportés à la politique de l'éducation prioritaire. Elle permet de tirer un bilan de la mise en oeuvre de la politique d'éducation prioritaire depuis sa refondation dix ans plus tôt, et témoigne de la mise en oeuvre d'une logique de moyens, alors que les inégalités de résultats entre les élèves ne se résorbent que peu.
Pour donner suite à la remise de cette enquête, la commission des finances a organisé, le 6 mai 2025, une audition réunissant Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l'enseignement scolaire, Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil et Patrick Haddad, maire de Sarcelles et président de l'association des maires Ville et Banlieue de France.
LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
Recommandation n° 1 : mettre à jour la carte de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 2 : intégrer des critères propres aux difficultés de la ruralité dans la future redéfinition de la cartographie de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 3 : mettre en oeuvre une véritable progressivité des moyens consacrés à la politique d'éducation prioritaire pilotée au niveau académique, en refondant l'ensemble des dispositifs existants (cités éducatives, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux, REP et REP +) en un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 4 : en vue d'une allocation plus ciblée des moyens, passer d'une logique de réseau à une logique d'établissement pour définir les établissements du premier degré relevant de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 5 : renforcer le pilotage concerté entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère chargé de la politique de la ville, les préfectures, les collectivités territoriales et les acteurs locaux de l'insertion concernant la politique de l'éducation prioritaire, sur le modèle des cités éducatives (ministère de l'éducation nationale, ministère chargé de la politique de la ville, collectivités, préfecture).
Recommandation n° 6 : étendre la liste des postes « à profil » de l'éducation prioritaire pouvant faire l'objet d'une procédure d'affectation spécifique par les académies (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 7 : revoir les modalités de définition de la quantité d'heures libérées pour les enseignants des REP + et renforcer la participation de ces enseignants au temps de travail collectif de l'établissement (ministère de l'éducation nationale).
Recommandation n° 8 : revoir les effectifs des classes dédoublées en grande section, CP et CE1, en vue de passer le nombre maximum d'élèves de 12 à 15 élèves par classe (ministère de l'éducation nationale).
LES PRINCIPALES
OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
I. L'ÉDUCATION PRIORITAIRE, UNE POLITIQUE ESSENTIELLEMENT URBAINE
A. DES RÉSEAUX D'ÉDUCATION PRIORITAIRE FIGÉS DEPUIS 2015
1. Les réseaux d'éducation prioritaire, une réponse devenue permanente à un besoin de pilotage de la politique de l'éducation prioritaire
L'éducation prioritaire est une politique du gouvernement, qui répond à l'un des objectifs décrits à l'article L.111-1 du code de l'éducation. Elle a ainsi « pour but de renforcer l'encadrement des élèves dans les écoles et établissements d'enseignement situés dans des zones d'environnement social défavorisé et des zones d'habitat dispersé ». Comme l'indique la circulaire1(*) du 1er juillet 1981, l'éducation prioritaire vise à « corriger l'inégalité par le renforcement sélectif de l'action éducative dans les zones et les milieux sociaux où le taux d'échec scolaire est le plus élevé ». En ce sens, la politique de l'éducation prioritaire permet de mobiliser des moyens supplémentaires dans les établissements considérés comme les plus socialement défavorisés, en vue de diminuer les inégalités scolaires subies par les élèves de ces établissements.
La politique de l'éducation prioritaire est née en 1982, avec la création de 363 zones d'éducation prioritaire, qui étaient conçues comme provisoires. Les zones d'éducation prioritaire ont pourtant été révisées et leur nombre a été augmenté à la rentrée 1990, passant à 558 zones.
Le modèle est revu à la rentrée 2006, où le collège devient « l'unité du réseau qu'il crée avec les écoles élémentaires et maternelles d'où proviennent les élèves »2(*). La moitié environ des anciennes zones d'éducation prioritaire deviennent des réseaux « ambition réussite » (RAR), le reste des réseaux de « réussite scolaire » (RRS).
À la rentrée 2011, l'essentiel des établissements relevant de l'éducation prioritaire intègrent le programme « écoles, collèges, lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite » (programme ECLAIR). L'objectif en est de donner davantage d'autonomie aux établissements et aux réseaux, en créant un professeur coordonnateur par niveau au collège, chargé des liens avec le premier degré et les parents. Ce programme permet de développer également la notion de poste à profil, soit des postes recrutés via une procédure spécifique requérant des compétences prédéfinies.
Entre 2014 et 2015, la politique de l'éducation prioritaire est refondée grâce à la circulaire3(*) du 4 juin 2014, en redéfinissant les critères de l'appartenance des établissements au réseau de l'éducation prioritaire. Le collège demeure « tête de réseau », les écoles primaires bénéficiant de la politique d'éducation prioritaire lorsque le collège de leur réseau est éligible. Les moyens alloués ont été davantage concentrés sur les réseaux d'éducation prioritaire renforcée (REP +). Les lycées ont été supprimés du dispositif.
De plus, un référentiel pédagogique a été redéfini, en lien avec la redéfinition des objectifs de la politique d'éducation prioritaire dans le code de l'éducation (article L.111-1).
La réforme avait également pour but de renforcer le pilotage de l'éducation prioritaire, que formalise une circulaire4(*) du 3 mai 2017, avec la création d'un référent académique placé auprès du recteur, ainsi que d'un comité de pilotage. L'objectif du référent est d'accompagner les équipes de terrain, et d'assurer des formations adaptées aux besoins. Le comité de pilotage se réunit deux à trois fois dans l'année, sous la présidence du recteur. C'est l'instance qui définit les moyens alloués et qui dresse un bilan des actions engagées.
Ainsi, près de 81 % des établissements scolaires classifiés « RAR » à la rentrée 2006 étaient labellisés « réseaux d'éducation prioritaire renforcés » (REP +) en 2015. Plus de 200 collèges, qui étaient absents précédemment de la géographie de l'éducation prioritaire, bénéficient de la labellisation de 2015, tandis que 189 collèges ne profitent plus de cette politique.
La politique de l'éducation prioritaire, initialement conçue comme provisoire, est devenue un outil permanent de résorption des inégalités scolaires.
2. La carte de l'éducation prioritaire n'a pas été révisée depuis 10 ans, contrairement aux engagements pris
L'intention initiale du gouvernement en 2015 était de procéder à des évolutions de la carte de l'éducation prioritaire tous les quatre ans, afin de se rapprocher de la réalité des territoires. Déjà à la rentrée 2015, certaines académies auraient pu bénéficier de réseaux plus nombreux, comme à Amiens ou en Guadeloupe, alors que d'autres académies auraient pu supprimer des réseaux d'éducation prioritaire, comme Bordeaux ou la Corse. À la rentrée 2023, les établissements classés REP ou REP + et non localisés dans l'un des QPV défini en 2015 scolarisaient 574 622 élèves.
Toutefois, comme le note la Cour des comptes, « la refonte de la carte de l'éducation prioritaire s'est avérée délicate », mettant en jeu des équilibres locaux subtils. La carte de l'éducation prioritaire n'a pratiquement pas été revue depuis dix ans. Les dynamiques territoriales des dix dernières années ne sont donc pas prises en compte, au détriment des territoires dont la situation socio-économique s'est dégradée.
Une telle inefficience dans l'allocation des moyens consacrés à l'éducation prioritaire est particulièrement regrettable.
B. UN CINQUIÈME DES ÉLÈVES SCOLARISÉS DANS DES ÉTABLISSEMENTS DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE
1. Une concentration des réseaux d'éducation prioritaire dans certaines académies
Lors de la création des zones d'éducation prioritaire en 1982, seuls 8,3 % des écoliers et 10 % des collégiens étaient scolarisés dans des établissements de l'éducation prioritaire. Désormais, depuis 1999, cette politique bénéficie à environ un cinquième des écoliers et des collégiens.
Évolution de la proportion
d'élèves scolarisés
dans les réseaux
d'éducation prioritaire, entre 1982 et 2015
(en pourcentage)
Note : ZEP signifie zone d'éducation prioritaire, RAR veut dire « réseaux ambition réussite », RRS « réseaux de réussite scolaire », REP « réseau d'éducation prioritaire » et REP + « réseau d'éducation prioritaire renforcée ».
Source : commission des finances d'après la note n° 6 de juillet 2022 de la DEPP.
Une telle hausse du nombre d'élèves scolarisés dans les réseaux de l'éducation prioritaire soulève quelques interrogations. Comme le relevait déjà le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique5(*) en 2014, « est-ce qu'une politique est encore prioritaire quand elle concerne 20 % d'une population ? » L'ampleur du nombre d'élèves concernés témoigne en tout cas de l'importance des enjeux éducatifs et budgétaires associés.
Proportion d'élèves
scolarisés dans les réseaux d'éducation prioritaire
par région académique en 2023
(en pourcentage)
Source : commission des finances d'après la DEPP
La répartition des réseaux d'éducation prioritaire est hétérogène sur le territoire. Ainsi, dans certaines régions, près d'un tiers des élèves sont scolarisés dans un réseau d'éducation prioritaire, par exemple en Île-de-France, dans les Hauts de France et en Corse. Dans les départements et régions d'outre-mer, c'est près de 50 % des élèves qui sont scolarisés dans le réseau de l'éducation prioritaire en Martinique ou à la Réunion, et presque tous le sont en Guyane ou à Mayotte.
Inversement, certaines régions comptent moins de 10 % d'élèves dans les réseaux de l'éducation prioritaire, comme la Bretagne ou les Pays de la Loire. Au total, 31 départements ne comptent aucun collège REP +, comme par exemple la Nièvre, le Lot ou encore la Haute-Savoie.
Une telle répartition témoigne de la concentration des difficultés socio-économiques dans certaines académies.
2. Une population essentiellement défavorisée dans les réseaux de l'éducation prioritaire
Les réseaux de l'éducation prioritaire scolarisent une population essentiellement défavorisée. Ainsi, à la rentrée 2023, 70 % des élèves scolarisés dans les réseaux de l'éducation prioritaire renforcée (REP +) sont issus d'un milieu social défavorisé. Cette proportion est de 56 % dans les REP, et de 34,6 % dans les établissements publics hors éducation prioritaire. Ces élèves concentrent des difficultés scolaires spécifiques. En REP +, 61,3 % des élèves de sixième ont un niveau faible en mathématiques, contre 49,3 % des élèves des REP et 30,6 % des élèves de l'enseignement public hors éducation prioritaire.
Toutefois, les élèves issus des populations défavorisées ne sont pas tous scolarisés dans les réseaux de l'éducation prioritaire. Comme le note la Cour des comptes, « 70 % des élèves appartenant à des familles des catégories défavorisées sont scolarisés hors éducation prioritaire ». Toutefois, au vu du grand nombre de réseaux d'éducation prioritaire, une telle situation ne peut être corrigée que via une révision de la carte scolaire.
C. DES ÉTABLISSEMENTS LOCALISÉS QUASI EXCLUSIVEMENT DANS LES ZONES URBAINES
1. La qualification en établissement d'éducation prioritaire déterminée par la proximité avec un QPV
La carte de l'éducation prioritaire a été refondue en 2015, sur le fondement d'un « indice social unique » affecté à chaque collège, qui comprenait :
- la proportion d'élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées ;
- la proportion d'élèves boursiers ;
- la proportion d'élèves en retard à l'entrée en sixième ;
- le nombre d'élèves résidant à moins de 300 mètres d'un quartier prioritaire de la ville (QPV).
En utilisant cet indice, les recteurs ont ensuite interrogé les acteurs locaux, afin d'établir la carte de l'éducation prioritaire au niveau de l'académie. Or d'après la Cour, « la carte théorique correspondant à ces critères nécessitait 350 réseaux entrants et 350 réseaux sortants ». Au regard des spécificités locales, les recteurs ne sont parvenues qu'à faire sortir 195 établissements de l'éducation prioritaire, contre 206 entrées dans le réseau.
Il est justifié de laisser les recteurs d'académie conduire un dialogue au niveau local pour définir les établissements concernés par l'éducation prioritaire, tout en utilisant des critères définis au niveau national. Les spécificités locales peuvent ainsi être prises en compte, tout en limitant les inégalités de définition au niveau national.
Toutefois, la méthode de labellisation des établissements utilisée en 2015 présente plusieurs limites.
D'une part, elle conduit à favoriser les zones urbaines, au détriment de la ruralité, marquée pourtant par des difficultés propres génératrices d'inégalités scolaires. Le dialogue conduit par les recteurs a pu engendrer la classification de certains établissements ruraux dans l'éducation prioritaire, mais uniquement à la marge. Ainsi, seul un collège rural est classé en REP +, le collège de Bohain-en-Vermandois dans l'académie d'Amiens. Exclure la ruralité de la politique de l'éducation prioritaire n'est pourtant pas justifié, au regard de l'objectif de rattrapage des inégalités scolaires et des difficultés rencontrées par les élèves éloignés des grands centres urbains.
Par ailleurs, un tel indice n'était disponible qu'au niveau des collèges. Les écoles n'ont été classées en REP et en REP + qu'en fonction de leur proximité avec un collège marqué par des difficultés sociales spécifiques. Pour autant, en particulier dans les zones urbaines très denses, la sociologie d'un quartier peut changer du tout au tout sur quelques centaines de mètres. De plus, les données d'indice de position sociale sont maintenant disponibles au niveau de chaque école primaire. Il serait donc souhaitable de sortir d'une logique de réseau d'éducation prioritaire concernant les écoles, et de leur attribuer les moyens propres à l'éducation prioritaire grâce à une étude par établissement. Une telle méthode permettrait de se rapprocher des réalités du terrain, tout en favorisant une allocation efficiente des moyens.
Recommandation : en vue d'une allocation plus ciblée des moyens, passer d'une logique de réseau à une logique d'établissement pour définir les établissements du premier degré relevant de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
2. Des dispositifs complémentaires indispensables pour pallier les angles morts de la politique d'éducation prioritaire
a) Les cités éducatives
La politique de l'éducation prioritaire ne permettait toutefois pas de répondre à toutes les problématiques d'inégalités scolaires. D'autres dispositifs ont été lancés par le ministère de l'éducation nationale pour pallier certains manques.
En particulier, les cités éducatives ont été lancées en 2018, en partenariat avec le ministère de la ville. Le dispositif, copiloté par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) et le rectorat, a pour objectif de favoriser la réussite scolaire des jeunes entre 0 et 25 ans, dans une démarche associant l'ensemble des acteurs locaux (caisse d'allocation familiales, collectivités territoriales, établissements scolaires etc.). Chaque quartier prioritaire de la ville peut se porter candidat à un projet de cité éducative, qui entraine une contractualisation sur trois ans entre la préfecture, le rectorat et la collectivité. Aujourd'hui, 208 cités éducatives ont été lancées.
Comme le relève la Cour des comptes, les cités éducatives constituent un « exemple intéressant d'approche interministérielle et concertée avec les collectivités ». Elles permettent d'inclure des jeunes en-dessous des trois ans et après 16 ans, qui ne bénéficient pas de la politique de l'éducation prioritaire au vu de leur âge. L'implication d'un grand nombre d'acteurs différents, en particulier des élus locaux, autour de la politique prioritaire constitue une approche à privilégier.
Recommandation : renforcer le pilotage concerté entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère chargé de la politique de la ville, les préfectures, les collectivités territoriales et les acteurs locaux de l'insertion concernant la politique de l'éducation prioritaire, sur le modèle des cités éducatives (ministère de l'éducation nationale, ministère chargé de la politique de la ville, collectivités, préfecture).
b) Les contrats locaux d'accompagnement
Les contrats locaux d'accompagnement, lancés en 2021, concernant dix académies hexagonales (notamment Versailles ou Lyon) et les cinq académies ultramarines, visent à apporter des moyens supplémentaires aux établissements qui ne font pas partie de l'éducation prioritaire, mais dont les indicateurs sociaux sont fortement dégradés. Il s'agit d'une expérimentation de trois ans, qui permet notamment de financer certaines missions supplémentaires des enseignants ou des postes supplémentaires dans le premier degré. Toutefois, la Cour regrette concernant ce dispositif que « la réflexion porte essentiellement sur la périphérie de la classe et peu sur les pratiques enseignantes et la prise en charge directe des difficultés des élèves ».
Par ailleurs, il est difficile pour les établissements d'engager des projets et une organisation de long terme avec les contrats locaux d'accompagnement, au vu du caractère expérimental du dispositif.
c) Les territoires éducatifs ruraux
Pour répondre aux problématiques de la ruralité, exclue de la politique de l'éducation prioritaire, le ministère de l'Éducation nationale a lancé le dispositif des territoires éducatifs ruraux (TER) en 2021 dans les académies de Normandie, Nancy-Mets et Amiens. Le dispositif a été étendu en 2024 à l'ensemble des départements, pour un budget de 5,5 millions d'euros. L'objectif des TER est de renforcer les synergies entre l'éducation nationale et les collectivités locales. Toutefois, les moyens mobilisés ont été très restreints, à hauteur de 90 000 par TER, contre par exemple 1 million d'euros par cité éducative. La Cour des comptes regrette également la « dispersion des moyens » ainsi que l'absence d'une politique de gestion des ressources humaines attractive dans les territoires ruraux.
Les TER, s'ils constituent une initiative intéressante, ne permettent pas de répondre aux enjeux scolaires des territoires ruraux.
Par ailleurs, il faut noter le manque de lisibilité de l'ensemble de ces politiques, trop enchevêtrées les unes aux autres. Chacune d'entre elles implique de plus la rédaction d'un projet par les établissements scolaires, source de lourdeur administrative, au détriment d'un temps consacré plus utilement aux élèves.
II. LES MOYENS CONSACRÉS À L'ÉDUCATION PRIORITAIRE MULTIPLIÉS PAR 2,5 EN MOINS DE 10 ANS
A. UN COÛT DE 2,6 MILLIARDS D'EUROS EN 2023
1. L'Éducation nationale, principal ministère financeur de la politique d'éducation prioritaire
Le ministère de l'Éducation nationale constitue le principal financeur de la politique de l'éducation prioritaire. Elle représente à la rentrée 2023 un coût pour les finances publiques évalué à 2,6 milliards d'euros, en hausse de 86 % par rapport à 2016.
L'essentiel des coûts de la politique de l'éducation nationale provient de la politique d'encadrement renforcé des élèves dans l'éducation prioritaire, à hauteur de 83 %, les classes ayant une taille plus petite que dans les établissements hors éducation prioritaire. Une part importante des coûts provient également des indemnités spécifiques versées aux personnels des REP et REP +, pour un montant de 483 millions d'euros en 2023 (CAS Pensions inclus). Enfin, Les décharges d'enseignement spécifiques aux établissements REP et REP + représentent un coût de 65,7 millions d'euros dans le premier degré, et de 88,9 millions d'euros dans le second degré.
Les dépenses hors titre 2 ne représentent que 0,7 % des coûts de la politique d'éducation nationale, essentiellement pour les dispositifs spécifiques tels que les cités éducatives (10,5 millions d'euros) et la formation des enseignants (7 millions d'euros). La Cour des comptes estime qu'il existe également des coûts connexes pour le ministère de l'Éducation nationale, liés aux dispositifs annexes tels que « devoirs faits » pour 6,5 millions d'euros et « école ouverte » pour 19,9 millions d'euros, qui existent également dans l'éducation prioritaire.
Évolution du coût de la politique de
l'éducation prioritaire
pour le ministère de
l'Éducation nationale
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après la Cour des comptes
La forte hausse des dépenses liées à l'éducation prioritaire, multipliées par 2,5 en 10 ans, est liée essentiellement :
- à la hausse des indemnités versées aux personnels des établissements classés REP + à partir de 2022, pour un montant de 291 millions d'euros ;
- à la politique de dédoublement des classes de CP, CE1 et grande section de maternelle mise en oeuvre progressivement à partir de 2017, qui représente un surcoût de près de 800 millions d'euros. Près de 16 000 équivalents temps plein (ETP) ont été mobilisés pour la mise en oeuvre du dédoublement ;
- à une baisse du temps de travail devant élèves des enseignants, pour prendre en compte le travail en équipe. Ainsi, les enseignants du premier degré bénéficient de 18 demi-journées de décharge ; quant aux enseignants du second degré, leur temps de service hebdomadaire a été diminué de 1h38. Cette réforme représente un surcoût annuel de plus de 200 millions d'euros.
Décomposition de la hausse des coûts de la politique de l'éducation prioritaire pour le ministère de l'Éducation nationale entre 2016 et 2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après la Cour des comptes
Au vu de l'ampleur des coûts de la politique de l'éducation prioritaire, une évaluation de l'efficience de la politique, ainsi qu'une révision des modes d'allocation des moyens, est indispensable.
2. La politique de la ville, une source supplémentaire de financements
La politique de la ville contribue également à l'amélioration de la réussite scolaire des élèves scolarisés dans les QPV, relevant très souvent de l'éducation prioritaire. Le budget total consacré par le ministère de la ville aux élèves de l'éducation prioritaire est de 152 millions d'euros en 2022, dont 61,3 millions d'euros pour le programme réussite éducative instauré par la loi6(*) de programmation du 18 janvier 2005 pour la cohésion sociale afin d'offrir aux enfants les plus en difficulté le soutien d'une équipe pluridisciplinaire, et 80,9 millions d'euros pour le volet éducation des contrats de ville.
3. Les collectivités territoriales, une contribution élevée mais difficile à évaluer
Les collectivités territoriales contribuent également à la politique de l'éducation prioritaire en finançant les bâtiments afférents. En particulier, la politique de dédoublement des classes a entrainé une hausse des besoins en termes d'espace, génératrice de surcoûts élevés pour les collectivités. Toutefois, comme le relève la Cour des comptes, « la contribution des collectivités territoriales ne peut être chiffrée, faute de données ».
Les coûts pour les collectivités territoriales pourraient toutefois être estimés à 1 milliard d'euros. En effet, les dépenses locales représentent au total 22,8 % de la dépense intérieure d'éducation, alors que l'État prend en charge 54,8 % de la dépense, ici évaluée à 2,6 milliards d'euros.
B. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DE LA RÉMUNÉRATION DES PERSONNELS DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE
1. Une revalorisation des enseignants et des autres personnels de l'éducation prioritaire
En vue de renforcer l'attractivité des établissements classés REP et REP +, des revalorisations ont été opérées ces dernières années, d'abord en 2015 puis en 2018 et en 2021. Ainsi, l'indemnité de sujétion pour les personnels exerçant en REP + est de 5 114 euros bruts par an, soit 426,17 euros bruts par mois, en plus d'une part modulable selon l'investissement des équipes éducatives, instaurée en 2021, et qui peut représenter jusqu'à 702 euros bruts versés en juillet.
Pour les personnels exerçant en REP, l'indemnité de sujétion est de 1 734 euros bruts par an, soit 114,5 euros bruts par mois.
En moyenne, un enseignant du secteur public perçoit un salaire brut mensuel de 3 444 euros, dont 2 906 euros de traitement indiciaire. La prime REP + représente une hausse de salaire de 15 % par rapport au traitement indiciaire pour un enseignant. La prime REP représente chaque mois une hausse de 4 % par rapport au traitement indiciaire.
L'indemnité a par ailleurs été étendue en 2021 à l'ensemble des personnels exerçant en éducation prioritaire renforcée, notamment les assistants d'éducation (AED), les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), les conseillers pédagogiques de circonscription du premier degré, les inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) du premier degré et les inspecteurs d'académies-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). Le nombre de bénéficiaires de l'indemnité REP + a été multiplié par 2,7 entre 2015 et 2023.
La revalorisation des personnels exerçant dans l'éducation prioritaire renforcée s'est accompagnée de mesures de bonification nationale du barème de mutation, pour les personnels ayant exercé au moins cinq ans en éducation prioritaire ou dans un QPV. Des mesures de bonification académique ont également été mises en oeuvre, par exemple dans les académies de Montpellier ou d'Amiens.
Un effort significatif a été accompli par le ministère de l'Éducation nationale ces dernières années pour revaloriser les personnels de l'éducation prioritaire et renforcer l'attractivité des emplois. Ces mesures représentent un coût élevé, de 483 millions d'euros, dont 279 millions d'euros pour le programme 140 (enseignement scolaire du premier degré), 170 millions d'euros pour le programme 141 (enseignement scolaire du second degré) et 34 millions d'euros pour le programme 230 (vie de l'élève).
2. Une amélioration bienvenue de l'attractivité des postes d'enseignants, permettant de recruter des profils plus adaptés
L'effort de revalorisation des personnels de l'éducation prioritaire a eu le mérite de renforcer l'attractivité des postes, notamment en REP +.
Comme le relève la Cour des comptes, « toutes les académies interrogées ont fait part de changements structurels notables dans le profil et les parcours des équipes enseignantes en éducation prioritaire, sous l'effet cumulé des mesures de revalorisation nationales et des stratégies locales d'affectation et de recrutement ». Ainsi, la part des enseignants avec une ancienneté d'affectation dans les écoles en éducation prioritaire renforcée de la Seine-Saint-Denis inférieure à 2 ans a baissé de 48 % à 28 % des enseignants entre 2017 et 2022. Inversement, la part des enseignants avec une ancienneté supérieure à 8 ans est passée de 22 % à 26 %.
Évolution de la part des enseignants avec
une ancienneté inférieure à 2 ans
(graphique de
gauche) et supérieure à 8 ans (graphique de droite) en
Seine-Saint-Denis entre 2017 et 2022
(en pourcentage)
Source : Cour des comptes
Le renforcement de l'attractivité des postes en éducation prioritaire est bénéfique au fonctionnement des établissements, les équipes de personnels étant plus stables et plus engagées dans la dynamique de progression des élèves.
Un système intéressant de recrutement des enseignants, en particulier en REP +, existe depuis 2022. Il s'agit d'un système de profilage : les académies peuvent proposer chaque année une liste de postes d'enseignement requérant des compétences particulières, qui fait l'objet d'un contrôle par la direction générale des ressources humaines et qui sont pourvus via le mouvement national ou par des procédures ad hoc. Au vu des spécificités de l'éducation prioritaire, et des opportunités offertes aux enseignants en termes d'innovation pédagogique, la procédure de profilage parait particulièrement adaptée aux établissements REP et REP +. La liste des postes offerts, pour l'instant concentrée sur les chefs d'établissement, les coordonnateurs de réseau et les enseignants auprès d'élèves handicapés, pourrait être utilement augmentée dans ces établissements.
Recommandation : étendre la liste des postes « à profil » de l'éducation prioritaire pouvant faire l'objet d'une procédure d'affectation spécifique par les académies (ministère de l'éducation nationale).
3. Un cadre des demi-journées libérées pour les enseignants en REP + à redéfinir
Comme vu supra, depuis la circulaire7(*) du 4 juin 2014, les enseignants des établissements de l'éducation prioritaire renforcée bénéficient d'une décharge d'enseignement, à hauteur de 18 demi-journées par an dans le premier degré, et d'1 heure et 38 minutes par semaine dans le second degré. L'objectif en est de favoriser le temps de travail dans les équipes interdisciplinaires et entre premier et second degré notamment.
Or si dans le premier degré, les demi-journées de décharge sont effectivement utilisées pour des temps de travail ou de rencontre avec des partenaires extérieurs, il semble que ce soit moins le cas dans le second degré. Comme le relève la Cour des comptes, « dans le second degré, de nombreux chefs d'établissement expriment leurs difficultés à mobiliser l'ensemble des équipes lors des réunions de coordination et d'échange sur le projet d'établissement ». À l'usage, ces heures sont souvent utilisées dans le cadre du remplacement de courte durée, ce qui n'est pas l'objectif du dispositif.
En ce sens, une révision du dispositif de décharge des enseignants en REP + est nécessaire, afin de permettre la mobilisation effective de ce temps de travail au profit des échanges au sein de l'établissement scolaire.
Recommandation : revoir les modalités de définition de la quantité d'heures libérées pour les enseignants des REP + et renforcer la participation de ces enseignants au temps de travail collectif de l'établissement (ministère de l'éducation nationale).
C. LE DÉDOUBLEMENT DES CLASSES, UN POIDS SIGNIFICATIF POUR LES DÉPENSES D'ÉDUCATION
Le dédoublement des classes est considéré par la recherche en éducation comme une politique bénéfique pour la diminution des inégalités scolaires entre élèves. Cette politique a été mise en oeuvre à partir de 2017 avec le dédoublement des classes de CP, dont le nombre d'élèves a été plafonné à 12, suivi par le dédoublement des classes de CE1 et de grande section de maternelle en 2020.
Cette politique, coûteuse, a entrainé la mobilisation de 15 987 ETP supplémentaires, tandis que la proportion d'enseignants affectés dans l'éducation prioritaire dans le premier degré est passé de 21,7 % en 2015 à 24,7 % en 2022, d'après la Cour des comptes. Par ailleurs, elle a entrainé des travaux bâtimentaires pour les collectivités territoriales, afin d'augmenter le nombre de classes.
Enfin, une telle politique assèche le vivier des enseignants disponibles, alors que la profession subit des problèmes d'attractivité. Comme le relève la Cour des comptes, « si les postes en éducation prioritaire, et surtout en REP +, ont connu un gain important en matière d'attractivité, d'autres établissements connaissent quant à eux un déficit de candidatures », surtout en zone rurale.
Par ailleurs, une expérimentation pourrait être conduite au niveau du collège afin de déterminer s'il existe des effets bénéfiques d'une éventuelle politique de dédoublement des classes au niveau de la 6ème par exemple. La littérature ne permet pas en effet à ce stade de conclure quant à ces potentiels effets.
III. UNE CARTE DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE À REVOIR
A. DES EFFETS PEU SIGNIFICATIFS DE LA POLITIQUE DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE SUR LES RÉSULTATS DES ÉLÈVES
1. Une efficacité mitigée de la politique d'éducation prioritaire sur les résultats des élèves français
Les politiques de l'éducation prioritaire ont une efficacité mitigée sur le rattrapage des inégalités scolaires subies par les élèves français. Ainsi, à 15 ans, les 25 % des élèves français les plus défavorisés ont un niveau moyen en mathématiques inférieur à celui de la moyenne de l'OCDE, mais aussi de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Italie ou de la Pologne. À l'inverse, le niveau moyen en mathématiques des élèves les plus favorisés est supérieur à celui de l'Italie par exemple, d'après les résultats du test PISA conduit par l'OCDE en 2022.
Comme le relève la Cour des comptes, « dans la série générale du brevet, en 2023, 17 points séparent le taux de réussite des candidats d'origine sociale défavorisée de celui des candidats d'origine sociale très favorisée ». Ainsi, 58,7 % des élèves de troisième de l'éducation prioritaire renforcée ont une note inférieure à 8, contre 28,7 % dans l'ensemble de la population française.
Répartition des élèves selon leur note écrite au diplôme national du brevet en 2022
(en pourcentage)
Source : Cour des comptes
L'impact sur les décisions d'orientation de ces résultats est fort. Comme le note la Cour des comptes, « alors que les élèves scolarisés en éducation prioritaire demandent davantage la voie professionnelle que les autres, les conseils de classe donnent encore plus d'avis vers cette voie aux élèves scolarisés dans des collèges labellisés ». Ainsi, seuls 54,7 % des élèves de l'éducation prioritaire s'orientent vers la voie générale et technologique, contre 62,5 % de l'ensemble des élèves scolarisés de France.
L'incapacité de la politique de l'éducation prioritaire à résorber totalement les inégalités scolaires, même si elle contribue à les atténuer, est à interroger au regard de l'importance des enjeux budgétaires qu'elle représente.
2. En particulier, des effets à long terme du dédoublement des classes difficiles à discerner
Les effets du dédoublement des classes sur la réussite des élèves sont difficiles à distinguer à moyen terme, même s'ils sont évidents à court terme. Comme le relève la Cour des comptes, « le dédoublement a amélioré le climat scolaire et l'attention consacrée aux élèves les plus en difficulté ». Toutefois, si des progrès en mathématiques et en français sont constatés en primaire, ceux-ci « semblent s'estomper à l'entrée au collège ». Au vu des coûts représentés par cette politique, ses modalités de mise en oeuvre sont à interroger.
En particulier, la fixation d'un plafond à 12 élèves par classe dans les classes dédoublées ne fait pas l'objet d'une justification particulière en termes de résultats dans la littérature. L'Inspection générale des finances a ainsi proposé dans une revue8(*) de dépense récente, de passer le plafond de 12 à 15 élèves par classe en grande section, CP et CE1, ce qui permettrait de fermer 839 classes, soit autant de postes qui se libéreraient pour les zones en tension. Au vu des tensions de recrutement d'enseignants dans certaines zones rurales en particulier, ainsi que du coût pour les finances publiques, le relèvement du nombre plafonné d'élèves par classe est bienvenu.
De plus, dans certaines disciplines, la pertinence de la politique de dédoublement n'est pas complètement évidente, comme par exemple en sport. Il pourrait être utile de ne pas appliquer strictement la politique de dédoublement des classes pour certaines disciplines bien particulières.
Recommandation : revoir les effectifs des classes dédoublées en grande section, CP et CE1, en vue de passer le nombre maximum d'élèves de 12 à 15 élèves par classe (ministère de l'éducation nationale).
3. Une prise en charge pédagogique des élèves à améliorer
L'une des clés de l'amélioration de l'efficience de la politique de l'éducation prioritaire est le renforcement de la prise en charge pédagogique des élèves de l'éducation prioritaire. Ainsi, en 2014, un référentiel commun aux enseignants permet de fixer un cadre et des repères communs en termes de pratiques pédagogiques. Toutefois, ce référentiel n'a plus été mis à jour depuis sa création, et souffre ainsi selon la Cour d'un « manque d'opérationnalité directe ». Il est dommageable que les enseignants ne bénéficient pas de l'ensemble des outils pédagogiques dont ils ont besoin.
De même, si le nombre global de formations dans l'éducation prioritaire a augmenté depuis 2014, cette augmentation ralentit sensiblement depuis 2021. Une forme de lassitude des équipes peut être constatée, impliquant la nécessité de renouveler les programmes de formation pour relancer la dynamique.
Évolution du nombre de stagiaires
présents en formation continue
en éducation prioritaire dans
le premier et le second degré entre 2013 et 2023
Source : Cour des comptes
Par ailleurs, l'importance du rôle du chef d'établissement est à souligner, en termes d'amélioration de la qualité de la prise en charge pédagogique des élèves. Celui-ci a une fonction de mobilisation des équipes pédagogiques particulièrement importante pour permettre les innovations pédagogiques contribuant à la réussite des élèves. Pourtant, comme le relève la Cour des comptes, ce rôle a été très peu évalué.
B. UNE CARTOGRAPHIE DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE PEU ADAPTÉE AUX ENJEUX TERRITORIAUX
1. Une localisation des établissements de l'éducation prioritaire en inadéquation avec certains indicateurs sociodémographiques
La non révision de la carte scolaire depuis 2015 conduit à une labellisation des établissements dans l'éducation prioritaire qui n'est plus adaptée à la réalité du territoire, alors que les indicateurs socio-économiques ont fortement évolué. Les inégalités se sont accentuées entre les territoires en dix ans d'après l'INSEE et la ségrégation spatiale s'est accentuée dans certaines villes et atténuée dans d'autres. Elle est particulièrement forte à Marseille, Lille ou encore Angers.
Comme le relève la Cour des comptes, « cinq collèges avec un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110 sont classés en éducation prioritaire ; à l'inverse, seize collèges avec un IPS inférieur à 80 sont situés hors éducation prioritaire, dont le 104ème collège qui présente un IPS le plus bas (70,5) ». De même, 48 écoles de l'éducation prioritaire ont un IPS supérieur à 110 en 2022 et 174 écoles un IPS compris entre 100 et 110, alors que l'IPS moyen en France est de 105.5.
Nombre d'écoles de l'éducation prioritaire par décile d'IPS en 2022
Source : commission des finances d'après la DEPP
La géographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) a par ailleurs été remise à jour en 2024 dans l'hexagone, et au 1er janvier 2025 dans la métropole. Elle témoigne de l'évolution des situations territoriales.
Localisation des écoliers en fonction du périmètre de QPV retenu
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale et l'ANCT
Ainsi, au sens des QPV définis en 2015, plus de 450 000 collégiens en REP/REP + étaient scolarisés dans un établissement localisé en dehors d'un QPV. Suite à la refonte du périmètre des QPV, ce nombre a diminué de 18 % pour s'établir à 373 000 collégiens. Près de 700 000 écoliers en REP/REP + étaient scolarisés dans un établissement localisé en dehors d'un QPV. Suite à la refonte du périmètre des QPV, ce nombre a diminué de près de 20 % pour s'établir à 564 000 écoliers. De façon surprenante, la nouvelle géographie de l'éducation prioritaire parait plus adaptée que la précédente aux dynamiques territoriales de l'éducation prioritaire.
Une révision de la carte de l'éducation prioritaire est toutefois absolument urgente et indispensable, pour garantir une meilleure adéquation des moyens aux réalités territoriales et pour permettre la prise en compte de territoires laissés de côté par la politique de l'éducation prioritaire dans la ruralité.
Recommandation : mettre à jour la carte de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
2. Les territoires ruraux, oubliés de l'éducation prioritaire
Les territoires ruraux sont en particulier les « oubliés » de l'éducation prioritaire, au vu du critère de proximité avec un QPV utilisé pour la labellisation d'un établissement dans l'éducation prioritaire.
Pour autant, les difficultés de la ruralité sont très importantes. Ainsi, les résultats au diplôme national du brevet des territoires ruraux sont inférieurs de 10 points à ceux de la moyenne nationale. De même, comme le relève la Cour des comptes, « les élèves résidant dans les communes rurales ont un taux de passage en seconde générale et technologique de 10 points inférieur aux élèves des communes urbaines très denses ». En effet, les décisions d'orientation dépendent fortement également de la proximité géographique des lycées généraux et technologiques avec le foyer des élèves. En zone rurale, les élèves subissent ainsi une difficulté complémentaire liée à l'isolement géographique.
Ainsi, dans la redéfinition de la carte de l'éducation prioritaire, il faut utiliser des critères permettant d'intégrer les difficultés propres à la ruralité. Par exemple, le critère de l'indice d'éloignement constituerait un apport bénéfique pour prendre en compte la ruralité. De plus, un critère de mobilité résidentielle pourrait être intégré à la redéfinition de l'éducation prioritaire. En effet, le fait de changer souvent de domicile caractérise les populations fragiles.
Recommandation : intégrer des critères propres aux difficultés de la ruralité dans la future redéfinition de la cartographie de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
Par ailleurs, les départements disposent de capacités d'aménagement de la carte scolaire, dont ils se sont très peu saisis. Pourtant, il pourrait s'agit d'une opportunité bénéfique pour rapprocher la carte de l'éducation prioritaire des réalités et spécificités locales, avec une implication des élus. De telles initiatives sont à encourager pour améliorer l'efficience de l'allocation des moyens.
3. La nécessité d'une allocation progressive des moyens aux établissements dans le cadre de la politique de l'éducation prioritaire
Enfin, il serait opportun de revoir dans sa globalité la politique d'allocation des moyens. Comme le relève la Cour des comptes, « la logique de zonage, par nature binaire, apparaît mal adaptée pour rendre compte de la difficulté sociale et scolaire dispersée ou en évolution ». En effet, certains établissements classés REP + ont pourtant des difficultés sociales moindres par rapport à d'autres établissements classés de la même manière, par exemple.
C'est d'ailleurs le sens de la mise en oeuvre des contrats locaux d'accompagnement, des cités éducatives ou encore des territoires éducatifs ruraux. Ces politiques contribuent pourtant à brouiller la lisibilité des politiques publiques. Elles complexifient par ailleurs la tâche administrative des directeurs d'établissement.
Une politique d'allocation progressive des moyens serait donc bienvenue, les établissements recevant plus ou moins de financements en fonction d'un indice national et d'un dialogue local, qui serait reconduit chaque année. L'allocation progressive permettrait une allocation plus efficiente des crédits budgétaires entre les établissements. Elle pourrait s'accompagner d'une contractualisation unique entre les établissements et le rectorat, mise à jour chaque année. L'objectif serait d'impulser une dynamique pédagogique commune aux équipes, tout en limitant le nombre de projets d'établissement à rédiger, par la suppression des politiques de cités éducatives par exemple.
Recommandation : mettre en oeuvre une véritable progressivité des moyens consacrés à la politique d'éducation prioritaire pilotée au niveau académique, en refondant l'ensemble des dispositifs existants (cités éducatives, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux, REP et REP +) en un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques (ministère de l'éducation nationale).
Un effet de bord bénéfique serait en plus de supprimer la labellisation d'un établissement en REP ou en REP +, qui peut faire office de repoussoir pour les familles et les encourager à des phénomènes d'évitement. Ainsi, la mixité sociale pourrait s'en trouver renforcée plus largement, avec des effets bénéfiques en termes de réduction des inégalités scolaires et de cohésion sociale à l'échelle du territoire.
TRAVAUX DE LA
COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le mardi 6 mai 2025, sous la présidence de M. Bruno Belin, vice-président, la commission des finances à procéder à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'éducation prioritaire, une politique publique à repenser.
M. Bruno Belin, président. - Nous procédons cet après-midi à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur le bilan et l'efficacité de la politique de l'éducation prioritaire.
La politique de l'éducation prioritaire, après la réforme de 2015, a en effet des incidences budgétaires majeures, son coût étant estimé à 2,6 milliards d'euros. Il paraissait donc pertinent de demander à la Cour des comptes un bilan dix ans après la refondation de cette politique aux incidences budgétaires fortes. De plus, cette politique a un fort impact sur le schéma d'emplois, notamment en raison de la politique de dédoublement des classes mise en oeuvre entre 2017 et 2020 en grande section, au CP et au CE1.
La Cour des comptes, après avoir constaté l'ampleur des crédits budgétaires consacrés à la politique de l'éducation prioritaire, montre dans son rapport d'enquête les résultats encore trop peu importants de cette politique sur les résultats scolaires des élèves.
Pour aborder tous ces sujets, nous recevons M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui va nous présenter l'enquête qui a été réalisée. Je remercie toutes les personnes qui l'accompagnent et, plus globalement, toutes celles qui ont travaillé sur le sujet.
Le rapporteur spécial de la mission, Olivier Paccaud, prendra ensuite la parole pour indiquer les principaux enseignements qu'il retient de ce travail et pour exposer son analyse des améliorations à apporter à la politique de l'éducation prioritaire. Pour prolonger nos échanges, nous éclairer et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial, je donnerai ensuite la parole à MM. Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil, Christophe Géhin, chef de service à la direction générale de l'enseignement scolaire, et Patrick Haddad, maire de Sarcelles et vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France. La parole sera ensuite donnée à M. le rapporteur général et à l'ensemble des collègues qui souhaitent vous interroger.
À l'issue de notre réunion, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes ainsi que sur les recommandations proposées par le rapporteur spécial, M. Paccaud qui vous ont été distribuées.
Je vous indique enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Mesdames, messieurs les sénateurs, la Cour des comptes a effectivement réalisé, à la demande de votre commission, au titre de l'alinéa 2 de l'article 58 de la Lolf, une enquête sur l'éducation prioritaire, politique lancée en 1981, et qui concerne aujourd'hui 21 % des élèves.
J'ai le plaisir de vous présenter brièvement les grandes lignes de ce travail, qui vous a été adressé le 18 mars dernier et qui résulte d'une enquête conduite par la chambre que j'ai l'honneur de présider, en particulier par l'équipe dont une partie est ici présente.
Tout d'abord, je rappellerai le périmètre de cette enquête. Celle-ci porte sur la politique d'éducation prioritaire depuis sa refonte en 2015 jusqu'en 2024, à l'école et au collège en France métropolitaine. Elle vise à mesurer l'efficacité et l'efficience de cette politique en examinant les objectifs de l'éducation prioritaire, le pilotage et l'évaluation de cette politique, les moyens qui lui sont dévolus, sa mise en oeuvre territoriale, son impact sur les résultats des élèves et sur le climat scolaire.
Lors du lancement de l'enquête, il avait été convenu avec vous que les problématiques de l'outre-mer, de la scolarisation des élèves allophones et de l'école inclusive, qui ont fait l'objet de travaux récents de la Cour, ne seraient pas traitées en tant que telles. Un rapport de 2020, traitant de la médecine et de la santé scolaire, et une large enquête sur l'école primaire, réalisée en collaboration avec des chambres régionales des comptes, paraîtra le 20 mai prochain.
Ensuite, je présenterai brièvement notre méthode. L'instruction s'est déroulée de la fin mars à la mi-octobre 2024. Des entretiens avec des responsables du ministère de l'éducation nationale, de la direction du budget, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ainsi qu'avec des chercheurs ont été conduits après une étude approfondie de la littérature académique internationale et administrative consacrée à l'éducation prioritaire. L'équipe de contrôle a également analysé plusieurs bases de données de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), avec l'aide d'un data scientist de la Cour.
Pour l'enquête sur place, un échantillon de trois académies a été retenu, une attention particulière ayant été portée à trois départements du fait de leur diversité sociale et géographique : Créteil, département de la Seine-Saint-Denis, département urbain de la région parisienne ; Amiens, département de la Somme, département du nord de la France classé comme rural selon la nomenclature de l'Insee ; Montpellier, dans l'Hérault, département mixte du sud de la France.
Dans le but de recueillir le point de vue de l'ensemble des acteurs de l'éducation prioritaire, les entretiens menés au rectorat avec les services académiques et départementaux ont été complétés par des échanges avec les services du préfet et des collectivités territoriales impliquées, à savoir les départements, les villes chefs-lieux de département et, le cas échéant, la direction diocésaine.
Des visites d'établissements scolaires ont également été menées, permettant à l'équipe d'échanger avec des directeurs et chefs d'établissement, des enseignants et personnels de vie scolaire, des élèves et des familles.
La sollicitation de votre commission concerne un sujet sensible et majeur pour l'équité et la performance de notre système éducatif, mais aussi pour l'avenir de notre jeunesse. L'éducation prioritaire avait été évaluée par la Cour des comptes en 2018. Il convenait de la réexaminer à la lumière des récentes réformes. Comme vous le savez, la France fait partie des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où le niveau scolaire des élèves issus de milieux plus défavorisés est en baisse depuis vingt ans et où les inégalités sociales pèsent de plus en plus sur les destins scolaires.
À titre d'exemple, à 15 ans, les compétences des élèves français sont davantage liées au milieu social que dans le reste des pays de l'OCDE, ce qui pose question. Tous les rapports du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) le montrent bien.
Je structurerai mon propos en quatre points.
Premier point : l'éducation prioritaire est un dispositif conçu comme transitoire, qui s'est sédimenté au fil des années. La France mène sans discontinuité depuis 1981 une politique d'éducation prioritaire contemporaine de la politique de la ville, dont les objectifs sont restés stables : donner plus à ceux qui ont moins, selon un principe d'équité et de compensation, miser sur un encadrement renforcé, administratif et pédagogique, des élèves pour les faire progresser.
Ailleurs, en Europe et aux États-Unis, les politiques d'éducation prioritaire ont fait leur mue depuis leur émergence, beaucoup plus tôt qu'en France, dans les années 1960. Elles sont passées d'une optique de compensation pour lutter contre les inégalités à une optique d'inclusion, de gestion des risques et de promotion de l'excellence individuelle.
Sous l'influence de la Commission européenne, la perception de la vocation d'éducation prioritaire évolue. Il s'agit moins de réduire les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales et culturelles que de permettre à chaque élève et à chaque groupe à risque de maximiser son développement, ses chances de réussite et d'intégration, compte tenu de ses caractéristiques. Ainsi, les programmes d'éducation prioritaire des pays de l'Union européenne ciblent de plus en plus des individus ou des groupes plutôt que des territoires.
En France, le dispositif d'éducation prioritaire créé par voie réglementaire en 1981, avant d'être consacré par la loi en 2013, cible certaines zones du territoire national et est conçu comme transitoire. J'insiste sur son caractère transitoire. D'ailleurs, la circulaire de 1981 est très explicite. Elle indique qu'il « serait peu souhaitable d'envisager une assistance permanente qui risquerait d'aboutir à la constitution de ghettos scolaires ». C'était très clair, dès le départ. Le périmètre de cette politique a plus que doublé au gré de ses relances : alors que 10 % des élèves étaient concernés en 1981, ils sont 21 % aujourd'hui.
La présente enquête analyse les effets de la dernière relance de l'éducation prioritaire, appelée « Refondation », et amorcée en 2015. Cette relance a consisté à revoir la carte de l'éducation prioritaire sur la base d'un indice social national pour labelliser 1 093 réseaux de deux types : les réseaux d'éducation prioritaire (REP) composent un second cercle autour des réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP +), qui, parce qu'ils présentent davantage de difficultés sociales et scolaires, concentrent les moyens.
La refondation a enfin réaffirmé le rôle du collège comme tête de réseau et visait à renforcer le pilotage national et académique. L'évaluation de l'éducation prioritaire conduite par la Cour des comptes en 2018, qui couvrait la période de 2006 à 2016, a montré la faiblesse des résultats de l'éducation prioritaire. Elle soulignait l'usage mal ciblé des leviers d'action, la difficulté de stabiliser les équipes en REP et REP + ainsi que le manque d'outils d'évaluation. La Cour recommandait alors de concentrer les moyens sur les premières années de l'enseignement primaire et sur les REP +, d'adapter la gestion des enseignants et de fortifier l'autonomie, la responsabilité et l'évaluation des réseaux.
Deuxième point : depuis dix ans, la logique de moyens a prévalu au détriment des autres mesures en faveur de la réussite des élèves. Les REP + ont bénéficié, depuis 2015, de mesures ciblées bien plus favorables qu'en REP, comme les indemnités spécifiques, rehaussées en plusieurs étapes, dans le but d'attirer et de fidéliser le personnel ou les heures libérées pour favoriser la collaboration et la formation des équipes. Ce temps a bien été mis à profit dans les écoles, mais trop diversement dans les collèges. L'impact national de la hausse des indemnités REP + n'a pas été mesuré par le ministère de l'éducation nationale. Pourtant, cette mesure se révèle coûteuse. En 2022, elle a représenté 291 millions d'euros pour 49 000 emplois en équivalent temps plein concernés.
Les indicateurs des académies de Créteil et de Montpellier, par exemple, montrent que les effets positifs de cette mesure sur les voeux et sur la fidélisation des personnels en REP + se sont parfois produits au détriment d'autres postes, notamment situés en REP ou hors éducation prioritaire, dans des territoires isolés.
La dynamique de la refondation de 2015, qui associait l'attribution de nouveaux moyens à l'ambition de modifier les pratiques pédagogiques et de renforcer le travail en réseau, s'est essoufflée. En témoigne le ralentissement de la formation et le caractère souvent limité de la collaboration entre l'école et le collège. Les partenariats locaux avec les autres services de l'État, les collectivités territoriales, les associations et les familles, au coeur du projet de l'éducation prioritaire, sont essentiels à la continuité éducative. Or ils apparaissent très variables selon les territoires et trop dépendants des relations entre les acteurs.
À partir de 2017, dans le but de renforcer le taux d'encadrement et d'assurer la maîtrise des savoirs fondamentaux, le dédoublement des classes de CP, de CE1, puis de grande section de maternelle a été progressivement mis en place dans les écoles de l'éducation prioritaire, mobilisant près de 16 000 emplois supplémentaires en équivalent temps plein et près de 800 millions d'euros par an.
Très consommateur de ressources, le dédoublement s'est substitué au programme « Plus de maîtres que de classes » lancé en 2012, sans que ce dernier soit évalué. Il était prévu que le dédoublement de classes s'accompagne d'une modification des pratiques pédagogiques afin de tirer pleinement parti d'un enseignement s'adressant à des effectifs réduits. Or, cette inflexion, au départ soutenue par des programmes de formation, semble aujourd'hui peu suivie par le ministère et diversement par les académies. Au final, le pilotage national et local de la politique d'éducation prioritaire, quoique structuré, est aujourd'hui centré sur l'attribution et la gestion des moyens et, dans une moindre mesure, sur l'animation des réseaux. Les approches stratégiques, pédagogiques et évaluatives sont beaucoup moins développées et peu centrées sur les élèves, ce qui est tout de même paradoxal.
Troisième point : les écarts de résultats entre les élèves de l'éducation prioritaire et les autres peinent à se résorber, alors même que le coût de cette politique n'a cessé de croître. L'objectif fixé à l'éducation prioritaire depuis 2006 est de réduire à moins de 10 % les écarts de niveau entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et les autres, sans abaisser le niveau général. Cet objectif n'a pas été atteint, malgré le renforcement important des moyens. En effet, le coût de la politique de l'éducation prioritaire a été multiplié pour l'État par 2,5 en près de dix ans. Alors que ce coût s'élevait à 1,1 milliard d'euros en 2014, il est évalué à 2,6 milliards d'euros en 2023. C'est éloquent.
Les contributions financières des collectivités territoriales ne peuvent être chiffrées, faute de données, mais elles sont nécessairement importantes, compte tenu des investissements bâtimentaires nécessaires au dédoublement des classes. Je ne sais pas à quel montant nous aboutirions si nous étions capables d'additionner l'ensemble d'entre elles.
Plébiscité par les enseignants comme par les familles, le dédoublement des classes a amélioré le climat scolaire et l'attention portée aux élèves les plus en difficulté. Cependant, ses résultats sur la réussite des élèves sont plus nuancés. En effet, si des progrès en mathématiques et, de façon plus modeste, en lecture et en écriture sont mesurables à court terme, ceux-ci semblent s'estomper à l'entrée du collège.
Le dédoublement en tant que tel, appliqué à l'ensemble des matières traitées en classe, avec un plafond de douze élèves, devrait être questionné au profit d'une réflexion plus globale et plus large sur les effectifs et sur les pratiques professionnelles les plus adaptées à un contexte de baisse démographique. En effet, le nombre d'élèves a diminué de 231 000 entre 2017 et 2024. Selon les prévisions, on devrait perdre 400 000 élèves d'ici à 2028.
Quatrième et dernier point : la politique actuelle est complexe et peu lisible et ne répond pas à la diversité des besoins. Toute politique de zonage ou de labellisation comporte des effets de seuil et exige une actualisation régulière. La carte des quartiers prioritaires de la politique de la ville, les QPV, a ainsi été mise à jour en 2023 et présente une convergence assez forte avec celle de l'éducation prioritaire, notamment pour les établissements situés en REP +. En effet, 99 % des collèges en REP + et 81,5 % des collèges en REP sont situés à moins de 1 000 mètres d'un QPV. C'est édifiant !
En revanche, la carte de l'éducation prioritaire, qui devait être revue tous les quatre ans, ne l'a pas été depuis dix ans, alors même que la pauvreté, les inégalités sociales et la ségrégation spatiale se sont accrues en France. À défaut de réviser la carte, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a créé depuis 2018 des dispositifs additionnels, comme les contrats locaux d'accompagnement (CLA), et les territoires éducatifs ruraux (TER), dotés de moyens moindres, pour tenter de traiter les situations dégradées d'établissements situés hors éducation prioritaire. Ces dispositifs, d'abord expérimentaux, ont été généralisés sans être évalués. L'ensemble apparaît désormais complexe, peu lisible et peine à répondre à la diversité des besoins.
Réviser la carte de l'éducation prioritaire est devenu d'autant plus délicat que cette carte s'est figée sous l'effet des dédoublements, qui ont souvent nécessité des travaux de réaménagement dans les écoles, et des avantages indemnitaires associés à l'enseignement en REP +. En effet, la prise en compte des seules caractéristiques du collège pour la labellisation des écoles du même secteur a conduit à laisser de côté environ 500 écoles, aux publics plus fragiles que leur collège de secteur, ou au contraire, à intégrer à l'éducation prioritaire des écoles qui ne le nécessitaient pas.
Au regard des carences mises en évidence, il s'agit de revoir la logique d'action de la politique de l'éducation prioritaire. Une première étape pourrait consister à actualiser la carte de l'éducation prioritaire à partir d'un indicateur socio-économique révisé, permettant de disposer d'une information fiable et directe concernant l'ensemble des établissements scolaires, écoles maternelles et élémentaires, intégrés dans ce dispositif.
Il serait également pertinent de réviser les mécanismes d'allocation des ressources afin d'introduire davantage de progressivité dans la répartition des moyens et de réduire les effets de seuil. L'éducation prioritaire apparaît aujourd'hui comme une politique publique qui segmente le service public de l'éducation, qui s'éloigne des objectifs initiaux en termes de réussite des élèves et aboutit à un système peu lisible et peu efficient.
La non-actualisation de la carte, associée à une logique de moyens ayant pris le pas sur les enjeux pédagogiques, conduit à un constat de rigidification et de non-adéquation grandissante de cette politique publique aux besoins des élèves et des territoires. Si le principe d'équité, c'est-à-dire l'allocation de moyens supplémentaires aux élèves qui en ont davantage besoin, doit rester central et n'a pas vocation à être mis en cause, il apparaît aujourd'hui nécessaire de repenser la manière de mettre en oeuvre ce principe. Il conviendrait désormais de faire évoluer l'éducation prioritaire dans le cadre d'une réflexion plus globale, qui doit conjuguer les efforts de différentes politiques publiques ciblant les objectifs de mixité, d'équité et d'accompagnement des publics vulnérables.
Il apparaît également nécessaire d'évaluer de manière systématique l'efficience de la dépense et de mettre en place des outils de suivi de la performance, notamment en matière de réussite scolaire et de parcours des élèves. L'éducation prioritaire doit aujourd'hui être incluse dans une logique d'action plus globale, plus efficiente et davantage intégrée, au service de la réussite des élèves. C'est pourquoi la Cour préconise que cette politique soit réformée sans délai en tenant compte de deux orientations.
Premièrement, il faut mettre en cohérence l'ensemble des moyens concourant à la mixité sociale et à l'égalité des chances au sein même de la politique scolaire de l'éducation nationale, tout en veillant à une bonne adéquation avec l'action des autres acteurs, ceux de la politique de la ville, du secteur médico-social, etc.
Deuxièmement, il faut simplifier les mécanismes d'allocation des moyens pour permettre une meilleure lisibilité et davantage de progressivité dans la mise en oeuvre de cette politique tout en veillant à faire évoluer les pratiques professionnelles au bénéfice de la réussite des élèves.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter les précisions sur cette enquête que vous avez bien voulu nous confier.
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - L'enquête conduite par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances a pour but de tirer un bilan de la politique de l'éducation prioritaire, dix ans après sa refondation. Je tiens tout d'abord à remercier tant la Cour pour son enquête que le président de la commission des finances, qui a permis que la demande en soit faite à la Cour.
En premier lieu, je souligne qu'il était prévu en 2015, au moment où la politique de l'éducation prioritaire a été réformée et où ont été créés les REP et les REP +, que la carte de l'éducation prioritaire soit revue tous les quatre ans. Nous devrions en être à la troisième révision, mais il n'y en a pas eu une seule, en raison d'un manque de volonté de la part des ministres qui se sont succédé à l'éducation nationale ou peut-être parce qu'il y en a eu beaucoup trop en peu de temps. L'un d'entre eux a été en poste durant cinq ans, mais il n'a pas lancé cette indispensable révision.
Il en résulte que la carte actuelle de l'éducation prioritaire n'est plus adaptée à la réalité des territoires. En effet, comme le note la Cour des comptes, au moins cinq collèges de l'éducation prioritaire et quarante-huit écoles ont un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110, quand la moyenne nationale est de 105,5. À l'inverse, seize collèges ayant un IPS inférieur à 80 ne relèvent pas d'un réseau d'éducation prioritaire. Les dynamiques socio-économiques ont en effet entraîné des modifications profondes dans certains territoires et même dans certains quartiers.
Par ailleurs, la carte des quartiers prioritaires de la ville a été revue en janvier 2024 pour l'Hexagone et en janvier 2025 pour les départements et régions d'outre-mer. De telles modifications peuvent contribuer à une redéfinition des établissements relevant de l'éducation prioritaire plus proche des réalités territoriales. Il est donc absolument nécessaire, pour ne pas dire urgent, de revoir la carte de l'éducation prioritaire. C'est ma première recommandation.
J'en viens maintenant aux critères qui ont fondé l'inclusion d'un établissement dans l'éducation prioritaire. Le ministère de l'éducation nationale a ainsi constitué un indice social unique pour chaque collège, qui comprenait la proportion d'élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées, la proportion d'élèves boursiers, la part d'élèves en retard à l'entrée en sixième et le nombre d'élèves résidant à moins de 300 mètres d'un QPV. Sur la base de cet indice, les recteurs ont ensuite engagé un dialogue avec les acteurs locaux pour déterminer quels établissements devaient relever de l'éducation prioritaire.
Cette méthode présente plusieurs mérites, notamment parce qu'elle permet de tenir compte de spécificités locales en laissant de la souplesse et de l'agilité aux recteurs dans la définition des établissements de l'éducation prioritaire. L'usage d'un indicateur défini selon des critères nationaux garantit également une forme d'harmonisation entre les territoires de la labellisation en REP ou REP +.
Toutefois, le défaut principal de cette méthodologie est qu'elle accorde trop de poids aux zones urbaines par rapport à la ruralité, qui subit pourtant des difficultés propres importantes. Ainsi, le taux de passage des élèves de communes rurales en seconde générale et technologique est inférieur de dix points à celui des élèves de zones urbaines très denses. La faible densité limitant l'accès à la culture, les indicateurs socioéconomiques dégradés des zones rurales sont autant de raisons des difficultés des élèves ruraux.
Il serait donc souhaitable d'intégrer des critères propres à la ruralité dans la définition des indicateurs conduisant à l'attribution des moyens spécifiques de l'éducation prioritaire. Il faudrait prendre en compte par exemple l'indice d'éloignement. De même, intégrer un critère de mobilité résidentielle des élèves serait pertinent, dans la mesure où le fait de changer fréquemment de domicile est une caractéristique des populations fragiles.
L'existence de « trous dans la raquette » de la politique de l'éducation prioritaire a bien été identifiée par les ministères successifs et a conduit à la conception de dispositifs spécifiques visant à pallier ces manques. On peut citer les territoires éducatifs ruraux, qui permettent de mobiliser quelques 90 000 euros par TER. Leur objectif est de renforcer les synergies entre l'éducation nationale et les collectivités locales dans les zones rurales.
Un autre exemple caractéristique est celui des cités éducatives, qui ont pour objet de favoriser la réussite des jeunes entre 0 et 25 ans, en associant l'ensemble des acteurs concernés, y compris les caisses d'allocations familiales et les collectivités. Ce dispositif est à saluer, car il favorise les synergies entre les différents acteurs, et doit donc inspirer la politique d'ensemble de l'éducation prioritaire.
Le cas des contrats locaux d'accompagnement peut également être cité. Si ces dispositifs ont vocation à répondre à des manques identifiés de la politique de l'éducation prioritaire, ils en augmentent en réalité l'illisibilité. Il est difficile pour les chefs d'établissement de traiter l'ensemble de ces dispositifs, d'autant qu'ils nécessitent en général la rédaction d'un projet d'établissement propre, source de complexité administrative. Si une forme de contractualisation de l'État avec les établissements de l'éducation prioritaire est souhaitable, il serait préférable de refondre l'ensemble des dispositifs en une seule et unique politique, conduisant à la rédaction d'un seul projet d'établissement. La refonte de l'ensemble de ces dispositifs en une seule politique correspond à une exigence de simplification et de rationalisation administrative.
Sur la carte de l'éducation prioritaire, je voudrais évoquer le sujet spécifique des écoles primaires. Comme l'indice de position sociale n'était pas disponible en 2015 au niveau des écoles, celles-ci ont été classées dans l'éducation prioritaire en fonction de leur proximité avec un collège classé REP ou REP +. Pourtant, en particulier dans les zones urbaines très denses, la sociologie d'un quartier peut changer du tout au tout sur quelques centaines de mètres. Dans la mesure où il est aujourd'hui possible d'établir un indice de position sociale au niveau de chaque école, il serait souhaitable d'en finir avec la logique de réseau. L'attribution des moyens propres à l'éducation prioritaire doit être évaluée au niveau de chaque école, afin de renforcer l'efficience des moyens alloués.
J'en viens maintenant aux enjeux budgétaires, qui nous concernent plus spécifiquement à la commission des finances. La politique de l'éducation prioritaire représente un enjeu budgétaire particulièrement considérable. Un total de 2,6 milliards d'euros lui est désormais consacré par le ministère de l'éducation nationale chaque année. Par ailleurs, les financements des collectivités territoriales alloués à l'éducation prioritaire n'ont pu être évalués, même s'ils sont, sans aucun doute, considérables.
Le budget consacré par l'éducation nationale à l'éducation prioritaire a été multiplié par deux et demi en dix ans, pour trois raisons.
Première raison, la politique de dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 conduite entre 2017 et 2020 entraîne un surcoût supplémentaire annuel de 800 millions d'euros. La littérature recommande en effet de diminuer le nombre d'élèves par classe dans certaines classes bien spécifiques. Toutefois, la détermination du seuil utilisé d'élèves par classe n'a pas fait l'objet d'études spécifiques. Or l'inspection générale des finances a recommandé dans une revue de dépenses faite en avril 2024 de passer le nombre maximal d'élèves par classe de 12 à 15. Une telle politique permettrait de réaffecter utilement près de 850 enseignants ailleurs, par exemple à des missions de remplacement, dont j'aurais l'occasion de vous reparler dans quelques semaines. Je pense donc opportun de recommander d'élever le seuil des classes dédoublées à 15 élèves par classe.
Deuxième raison, les indemnités spécifiques dont bénéficient les personnels de l'éducation prioritaire ont été significativement augmentées entre 2018 et 2021. Ces augmentations représentent un surcoût annuel de 291 millions d'euros. Ainsi, un personnel enseignant en REP est revalorisé à hauteur de 114,5 euros bruts par mois et un personnel en REP + à hauteur de 426,17 euros bruts par mois. Il s'agit d'une augmentation importante des revenus, surtout au regard de la rémunération mensuelle moyenne brute d'un enseignant du public, qui s'élève à 3 444 euros. Cette revalorisation permet de renforcer l'attractivité des postes en éducation prioritaire et surtout en éducation prioritaire renforcée, au bénéfice des élèves. Ce sont ainsi des enseignants et, plus généralement, des personnels plus expérimentés qui les encadrent. Cet effort important consenti par le ministère de l'éducation nationale doit être souligné.
Troisième raison, ont été mises en place dix-huit demi-journées de décharge pour les enseignants du premier degré et la diminution du temps devant élèves d'une heure et trente-huit minutes pour les enseignants du second degré de l'éducation prioritaire renforcée. L'objectif en est que les enseignants puissent effectuer un temps de travail en équipe et avec des partenaires extérieurs. Toutefois, si, dans le premier degré, les temps de décharge paraissent bien utilisés à des fins pédagogiques, c'est moins le cas dans le second degré, où la durée de travail « déchargée » sert parfois à accomplir des remplacements de courte durée, ce qui n'est pas l'objectif du dispositif. Il serait donc opportun de revoir les modalités de définition des heures hebdomadaires libérées pour les enseignants, afin de renforcer la participation des enseignants au temps de travail collectif de l'établissement.
Plus globalement, les modalités d'affectation des moyens aux établissements classés REP ou REP + doivent être refondues en vue d'une plus grande progressivité, afin d'éviter les effets de seuils. Il serait pertinent de fusionner l'ensemble des dispositifs de l'éducation prioritaire en une seule politique. Un continuum de moyens pourrait être alloué à un établissement en fonction d'un indice national et d'une négociation locale. En effet, certains établissements classés REP + bénéficient de moyens très importants alors que leur situation est intermédiaire entre celle des établissements REP et des REP + par exemple. Une allocation progressive des moyens permettrait une adéquation plus fine de la politique de l'éducation prioritaire aux réalités territoriales. Ce serait de plus un moyen de rendre la dépense publique plus efficiente et d'éviter des dépenses trop élevées par rapport à la situation sociale réelle de certains établissements.
Par ailleurs, il serait pertinent de conduire une expérimentation dans certains territoires ; les établissements de l'éducation prioritaire n'y seraient pas catégorisés comme tels, même s'ils bénéficieraient des moyens afférents. Cela permettrait de constater et d'éviter les effets d'évitement provoqués par la labellisation d'un établissement en REP ou REP +. La mixité sociale, favorable à la réussite des élèves, s'en trouverait améliorée.
Je terminerai en évoquant les résultats des élèves bénéficiant de la politique de l'éducation prioritaire. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, les effets de la politique de l'éducation prioritaire sur le niveau scolaire des élèves français sont mitigés, même si on peut supposer que la situation serait pire en l'absence de cette politique. Ainsi, à 15 ans, les 25 % des élèves français les plus défavorisés ont un niveau moyen en mathématiques qui est inférieur à celui de la moyenne de l'OCDE. Près de 60 % des élèves de troisième de l'éducation prioritaire renforcée ont une note au brevet inférieure à 8 sur 20.
De tels constats illustrent bien les progrès qui restent à accomplir pour favoriser la réussite scolaire de l'ensemble des élèves français, quel que soit leur niveau social d'origine. Il est temps d'apporter des améliorations substantielles à la politique de l'éducation prioritaire en vue d'atteindre cet objectif.
M. Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil. - Le rapport qui justifie notre présence devant vous ce soir a retenu toute mon attention, non seulement en tant que recteur récemment nommé dans l'académie de Créteil, mais aussi en tant qu'ancien recteur ayant participé aux travaux de la mission dirigée par Ariane Azéma et Pierre Mathiot, dont les conclusions ont été mentionnées à plusieurs reprises, et en tant qu'historien de l'éducation.
À ce titre, je voudrais exprimer un petit regret. Si vous vous êtes appuyés sur des travaux scientifiques, d'autres auraient pu éclairer et nourrir vos analyses et propositions. Je pense en particulier au récent numéro de la revue scientifique Histoire de l'éducation, où sont réunis des regards historiques sur quarante ans de politique de l'éducation prioritaire en France. L'un de mes maîtres et amis, Antoine Prost, disait en plaisantant : « L'éducation nationale, c'est Pénélope. » Ce n'est pas une bonne raison pour négliger ce que les historiennes et les historiens peuvent apporter à la connaissance et à la compréhension de nos politiques publiques de l'éducation, surtout celles dont la durée approche le demi-siècle.
La proportion d'élèves de l'académie de Créteil scolarisés dans l'éducation prioritaire, soit 36 % - cela représente 246 000 élèves -, est supérieure à la moyenne nationale, c'est-à-dire 21 %. Mais, en l'occurrence, les moyennes n'ont guère de sens tant les contrastes sont grands. La proportion pour le second degré, qui est de 13 % en Seine-et-Marne, passe à 24 % dans le Val-de-Marne, pour atteindre 62 % en Seine-Saint-Denis. Elle est à peu près la même dans le premier degré. Les 135 réseaux que compte l'académie se répartissent en 99 collèges et 552 écoles en REP et, respectivement, 36 et 256 en REP +. Ainsi, 32 % des écoles publiques et 36 % des collèges publics sont en éducation prioritaire.
Conformément à ce qui est indiqué dans le rapport, les indices de position sociale et les proportions de boursiers sont en cohérence avec les caractéristiques de l'éducation prioritaire. Entre 2022 et 2024, l'IPS pour le niveau collège hors sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa) est passé de 100,1 à 112,4 hors éducation prioritaire, tandis qu'il passait de 85,6 à 86 en REP et de 77,7 à 78,2 en REP +. En 2023, le taux de boursiers, de 19,7 % hors éducation prioritaire, s'élevait à 42,7 % en REP et à 54,3 % en REP +.
Le rapport met par ailleurs l'accent, à juste titre, sur la concentration de difficultés qui caractérisent ces réseaux, où les dispositifs Segpa, les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) et les autres unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants ont tendance à être majoritairement implantés. Les cités éducatives ont fait l'objet de quatre campagnes de labellisation, échelonnées entre 2019 et 2024. Au total, l'académie de Créteil en compte aujourd'hui 25, soit 6 en Seine-et-Marne, 14 en Seine-Saint-Denis et 5 dans le Val-de-Marne.
Ces ajouts successifs de dispositifs ont réclamé un renforcement du pilotage et un accroissement des moyens d'ingénierie, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d'ajustement des dynamiques attendues au cadre administratif préexistant, voire au mode habituel de gestion et aux cultures héritées.
Un centre académique de ressources pour l'éducation prioritaire (Carep), observatoire des pratiques pédagogiques, a pour responsable une inspectrice d'académie, inspectrice pédagogique régionale du second degré, qui travaille avec les directeurs académiques adjoints, pilotes départementaux, eux-mêmes entourés de copilotes, inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) pour le premier degré et principaux de collège pour le second degré.
Nous avons aussi des coordonnateurs de réseaux : l'IEN de circonscription, le chef d'établissement et l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) référent, ainsi que des formateurs éducation prioritaire. Cette organisation permet une animation féconde des réseaux, grâce notamment au site ressources du Carep, avec des séminaires et des webinaires visant au partage de pratiques.
Tout cela mobilise assurément des moyens considérables, mais ceux-ci ont permis, entre autres, deux progrès incontestables : l'amélioration des taux d'encadrement et la fidélisation relative des ressources humaines, particulièrement en Seine-Saint-Denis, comme le souligne le rapport.
Dans le premier degré, le nombre d'élèves par classe, de 23,88 hors éducation prioritaire, descend à 17,15 en REP et à 17,07 en REP +. Dans le second degré, le nombre d'élèves par division est respectivement de 26,1 hors éducation prioritaire, 22,6 en REP et 22,1 en REP +. Les dotations sont par ailleurs renforcées en moyens de vie scolaire et de personnels médico-sociaux, même si nous ne parvenons pas à en recruter assez pour faire face à des besoins criants. Ainsi, 1 506 équivalents temps plein (ETP), 489 en maternelle et 1 017 en école élémentaire, ont été consacrés au dédoublement et 100 % des classes de grande section de maternelle, CP et CE1, en REP et REP +, sont dédoublées depuis la rentrée scolaire 2023.
J'en viens au plafonnement à 24. À la rentrée scolaire 2024, hors éducation prioritaire, sur 570 classes de grande section, 305 respectaient ce repère, soit 53 %, et 747 sur 943 classes de CP et de CE1 faisaient de même, soit 79 %.
L'exemple de la Seine-Saint-Denis est particulièrement cité pour ce qui touche à l'attractivité et à la fidélisation des ressources humaines. Dans le premier degré, la part des enseignants avec une ancienneté inférieure à deux ans recule sur toute la période 2015-2023. Et c'est en REP + qu'elle a le plus reculé de 2017 à 2023 et qu'elle est à présent la moins importante : moins vingt points contre huit points en REP et hors éducation prioritaire. Réciproquement, c'est aussi en REP + que la part des enseignants avec les anciennetés les plus fortes est la plus élevée. Ainsi, 26,7 % ont plus de huit ans d'ancienneté, contre 22,5 % en éducation prioritaire et 18,9 % en REP, ce qui interroge en effet sur la différence entre REP et REP +.
Mais le rapport fait état d'une inversion dans l'appréciation de ce qui, avant les hausses de rémunération, primes et indemnités diverses, était tenu pour un double inconvénient : l'inexpérience et l'instabilité. Aujourd'hui, on en vient à parler d'effet cliquet rendant difficile une sortie du système.
Dans l'état de crise identitaire que traversent les métiers de l'enseignement et de l'encadrement, et eu égard aux compétences, convictions et dévouements si nombreux et si variés que l'on trouve dans nos établissements, reconnaissons que cette appréciation, légitime à certains égards, peut aussi heurter certaines sensibilités.
J'en viens aux effets. L'effet attendu sur les résultats scolaires, avant tout dans les deux disciplines fondamentales que sont le français et les mathématiques, pour n'être ni aussi net ni aussi durable qu'on le souhaiterait, ne couvre pas, tant s'en faut, tout le spectre des apports possibles de ces dispositifs. L'effet des évolutions les plus récentes, en particulier l'accueil élargi de huit heures à dix-huit heures, est sensible sur le climat scolaire, ce qui en fait un enjeu d'importance face aux violences multifactorielles dont nous nous efforçons de préserver nos écoles et établissements. Rappelons que cet accueil élargi a été généralisé à la rentrée 2024 à tous les collèges en éducation prioritaire.
Enfin, il importe d'être vigilant et ferme pour réduire la tendance qu'ont les conseils de classe à surorienter vers la voie professionnelle les élèves de troisième en éducation prioritaire par rapport à ceux qui sont scolarisés hors éducation prioritaire. Entre deux collèges présentant des intentions et des demandes proches de la part des familles, on constate que les propositions et les décisions finales varient de près de douze points selon qu'on est dans ou hors de l'éducation prioritaire.
Ces constats nous renvoient à ce qui est l'un des thèmes centraux du rapport : la mixité sociale. L'expérience nous enseigne que, dans l'état actuel des compétences des conseils départementaux, celle-ci nécessite un effort patient et souvent déçu de persuasion pour préparer et accompagner les changements dans la sectorisation des collèges.
M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l'enseignement scolaire. - À titre liminaire, le ministère de l'éducation nationale rappelle son engagement constant en faveur des politiques d'égalité des chances, dont la politique de l'éducation prioritaire fait partie, même si ce n'est pas le seul axe de travail.
Sans négliger les marges de progrès réelles qui existent, nous souhaitions revenir sur quelques actions qui ont été menées au cours des dernières années.
Je pense d'abord au dédoublement des classes de CP et de CE1 et à l'extension du dédoublement aux classes de grande section depuis 2017, avec la mobilisation - vous l'avez rappelé - de près de 16 000 emplois. Cela traduit la priorité donnée au premier degré.
Je mentionne également les travaux en matière de gestion des ressources humaines pour essayer de stabiliser nos enseignants en éducation prioritaire, avec une revalorisation importante du régime indemnitaire en éducation prioritaire et, à plus forte raison, en éducation prioritaire renforcée. Cela a des résultats concrets. La stabilité des équipes en éducation prioritaire est plus forte qu'en 2017. La part des personnels exerçant en éducation prioritaire au sein d'un même réseau depuis au moins cinq ans a significativement augmenté.
Nous avons aussi mis en place des outils plus performants en matière d'évaluation et de suivi de nos élèves, avec le déploiement des évaluations à différents stades de la scolarité.
Et nous avons mené un travail sur l'ensemble des temps de l'enfant : temps scolaire, mais aussi temps périscolaire et temps de vacances, par exemple avec les vacances apprenantes.
Toutes ces actions ont été conduites, structurées et renforcées depuis 2017 et 2018.
Nous avons 1 093 réseaux, dont un tiers en REP + et deux tiers en REP, soit autant de collèges et près de 6 500 écoles publiques. Ce maillage important implique des capacités à adapter les dispositifs à des cadres très différents : les 6 500 écoles publiques n'ont évidemment pas toutes le même contexte socioéconomique ou géographique.
Les proportions varient énormément d'une académie à l'autre. Le taux d'élèves en éducation prioritaire est de 7 % dans l'académie de Rennes, mais de 100 % en Guyane et à Mayotte.
L'éducation prioritaire n'a pas et ne peut pas avoir pour vocation de traiter l'ensemble de la difficulté socioéconomique. Son objectif est de répondre à la concentration de ces difficultés socioéconomiques et de lutter contre leurs effets sur la réussite des élèves. Nous devons traiter la concentration des difficultés dans certains quartiers, en majorité dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais aussi, de façon plus marginale, dans certaines zones rurales.
Mais l'éducation prioritaire ne peut pas couvrir l'ensemble de la difficulté socioéconomique, qui est évidemment en partie diffuse : même dans les écoles, collèges ou lycées « favorisés », il y a des familles plus défavorisées. Pour traiter 100 % des familles défavorisées, il faudrait donc que 100 % de l'éducation nationale soit en éducation prioritaire ! L'enjeu est donc de réussir à articuler les dimensions individuelle et territoriale.
Si l'éducation prioritaire ne peut pas traiter l'ensemble de la difficulté socioéconomique, elle ne peut pas non plus être la seule réponse pour traiter cette dernière. Nous déployons donc un ensemble de moyens, avec une logique d'adaptation. Pour cela, nous avons des dispositifs spécifiques : CLA, TER, cités éducatives, etc.
Notre logique d'allocation progressive des moyens est en partie heurtée par celle, binaire, de l'éducation prioritaire. Les modèles d'allocation sont déterminés à l'échelon national, et partagés avec les académies. Dans le premier degré, on intègre les revenus des familles dans l'équation. Dans le second degré, nous avons un ensemble d'indicateurs : IPS, taux de boursiers, indice d'éloignement, etc. L'idée est de partager ces outils et les données qui les sous-tendent avec les académies. Mais le ministère ne fixe pas depuis Paris de cadre d'utilisation de ce modèle par les académies. Nous l'utilisons en administration centrale pour répartir les moyens entre académies. Nous laissons ensuite la main aux autorités académiques, bien plus proches du terrain que nous.
Il y a aussi une modulation dans la mise en oeuvre des grands dispositifs d'égalité des chances, afin qu'ils bénéficient non seulement aux élèves de l'éducation prioritaire, mais qu'ils puissent également servir pour accompagner les élèves des territoires ruraux isolés ou les élèves issus de milieux défavorisés scolarisés dans des collèges intermédiaires ou plus favorisés.
Je souhaite évoquer l'amélioration des taux d'encadrement. Dans le premier degré, ceux-ci ont concerné non seulement l'éducation prioritaire et les trois niveaux dédoublés, mais aussi les autres niveaux et les zones hors éducation prioritaire.
L'une de nos orientations est d'inscrire la politique de l'éducation prioritaire dans le cadre plus global des politiques d'égalité des chances et de mixité sociale. Nous essayons donc de traiter tout le parcours de l'élève, de l'école maternelle jusqu'au lycée, et d'agir sur les différentes dimensions où doit s'appliquer l'égalité des chances, c'est-à-dire agir sur tous les âges et sur tous les temps.
Je pense par exemple à l'accueil de huit heures à dix-huit heures et aux vacances apprenantes, qui visent à essayer de limiter l'effet de perte d'apprentissage ; les études montrent qu'il est plus fort chez les élèves issus de familles socialement défavorisées pendant les grandes vacances.
Nous jouons sur les conditions d'apprentissage dans la classe. C'est là que l'on retrouve l'éducation prioritaire, avec le dédoublement des classes, le dispositif Devoirs faits, qui s'applique sur l'ensemble du territoire, les internats d'excellence, destinés à offrir un cadre plus propice à l'étude à des élèves n'ayant pas forcément chez eux les meilleures conditions, et l'allocation progressive des moyens.
Nous jouons aussi sur les conditions d'apprentissage en dehors de la classe, avec par exemple les petits déjeuners gratuits qui bénéficient à près de 240 000 élèves, l'objectif étant de les mettre dans les meilleures conditions d'apprentissage possibles.
Les aides à la scolarité ont connu une évolution structurante à la rentrée 2024, grâce à l'automatisation de l'examen du droit à bourse, qui est une démarche à la fois de simplification pour les familles et de lutte contre le non-recours au droit.
Il convient de faciliter l'orientation des élèves, car nous savons que les facteurs socio-économiques jouent encore trop lourdement quand les élèves doivent déterminer leurs ambitions, tout simplement parce qu'ils n'ont pas forcément accès à l'information et que leurs réseaux familiaux ne leur permettent pas d'avoir suffisamment d'ouverture sur la diversité des métiers. Tel est l'objet des cordées de la réussite que nous souhaitons développer non seulement dans l'éducation prioritaire, mais aussi de façon plus diffuse, pour récupérer, si vous me permettez l'expression, les élèves qui pourraient être en difficulté dans des établissements intermédiaires.
Enfin, dans une logique transversale, la mixité sociale reste incontestablement un enjeu majeur. Toutefois, le ministère ne peut pas travailler seul sur cette priorité, compte tenu des compétences des collectivités territoriales en matière de sectorisation pour les collèges et les lycées. Il s'agit donc d'un travail de longue haleine nécessitant des échanges, de la conviction et une explicitation auprès des familles.
La Cour des comptes a également relevé - et le ministère partage ce constat - que, au-delà de la mise en cohérence, l'enjeu était celui de la possibilité d'un travail partenarial associant l'ensemble des services de l'État. Il est incontestable que nous devons encore progresser pour développer une approche interministérielle sur certains sujets et, j'y insiste, le travail partenarial avec les collectivités territoriales est essentiel.
D'ailleurs, nous souscrivons à l'analyse de la Cour des comptes sur les cités éducatives : même si les résultats peuvent être relativement hétérogènes, certaines d'entre elles montrent toute la réussite que permet ce travail partenarial. Nous considérons, nous aussi, qu'il faut progresser en la matière et que cela dépend très souvent de la capacité des acteurs à s'entendre sur le terrain. C'est un critère qui peut paraître trivial, mais qui compte énormément. Il faut que nous arrivions à mieux structurer et mieux organiser ces partenariats.
M. Patrick Haddad, maire de Sarcelles et vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France (AMVBF). - Lorsque la politique de l'éducation prioritaire a été conçue, en 1981, il y avait sans doute une forme de naïveté qui consistait à croire que, en ciblant des moyens temporairement, on pourrait résoudre des problèmes qui étaient en réalité structurels. En effet, la concentration des difficultés dans les mêmes quartiers n'a fait qu'augmenter, de sorte que les moyens n'étaient jamais suffisants.
De plus, quand on calibre des dispositifs, il est toujours difficile de les évaluer ensuite parce que les populations qu'ils visent sont changeantes. Dans une ville comme Sarcelles, un quart de la population actuelle n'était pas là il y a cinq ans. Compte tenu de la vitesse des changements, il n'est pas simple de mesurer l'efficacité des dispositifs mis en place, même en utilisant une méthode de cohorte.
Il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain, car les dispositifs dont nous parlons sont largement plébiscités. Certes, ils peuvent être retravaillés, mais supprimer des moyens ne serait pas la solution, alors que les problèmes sont en augmentation. En effet, dans la plupart des communes, les résultats scolaires dans les QPV, qui correspondent assez bien à la carte de l'éducation prioritaire, sont globalement en baisse, malgré le travail effectué sur la rénovation urbaine, dont les résultats sont visibles. L'enjeu est moins d'éducation que de mixité sociale, dans la mesure où chaque famille qui part de la commune est remplacée par une autre, encore plus en difficulté. Cela a des répercussions en matière scolaire : les populations allophones sont de plus en plus nombreuses ainsi que les familles logées par le 115, de sorte que l'on compte parfois jusqu'à quatre élèves par classe qui sont issus de ces familles et qui nécessitent davantage d'attention. Forcément, les familles qui ont un peu de moyens préfèrent quitter ces quartiers. Même s'il est difficile de mesurer l'efficience des politiques publiques, il faut évidemment les renforcer et continuer de mieux les cibler.
Je souscris à l'analyse selon laquelle les effets de seuil sont visibles. Dans une même ville, les moyens attribués à un collège en REP et à un autre en REP + peuvent être très différents. Ainsi, ma commune compte quatre collèges REP et deux collèges REP +. Même quand ils sont voisins et qu'ils sont confrontés aux mêmes difficultés, leur traitement diffère, ce qui est difficilement compréhensible. Il faudrait faire évoluer le dispositif pour le rendre plus progressif, en procédant établissement par établissement ou école par école, sans pour autant perdre la dynamique de territoire. En effet, qu'il s'agisse des cités éducatives ou des projets éducatifs de territoire, les collectivités sont parvenues à créer un écosystème où les gens travaillent ensemble. Il faudrait donc éviter d'individualiser trop le dispositif jusqu'à perdre la logique globale sur le territoire.
Les communes qui bénéficient du dispositif des classes dédoublées, prévu dans le cadre de l'éducation prioritaire, en sont satisfaites. Les effets sont positifs tant sur le climat scolaire que sur le parcours des élèves. Ce dispositif a un coût, mais je ne sais pas ce que serait la situation s'il n'existait pas, compte tenu de l'accroissement de la pauvreté. Dans ma ville, les classes peuvent aller jusqu'à 15 élèves, plutôt que 12 élèves, et cette tolérance existe. Le retour est plutôt bon, car l'effet positif reste concret. Cela pourrait permettre de libérer un certain nombre de postes.
Je souscris à ce que vous avez dit sur les besoins spécifiques de la ruralité : ce pays a besoin de cohésion et il faut traiter cette problématique, notamment l'éloignement des lieux de culture qui caractérise le milieu rural beaucoup plus que le milieu urbain, même si les situations peuvent varier. Dans ma commune limitrophe du département de la Seine-Saint-Denis, il y a une médiathèque qui est un vrai atout pour les élèves. Toutefois, il ne faudrait pas que la prise en compte des problèmes de la ruralité se fasse au détriment de l'urbain, milieu qui est lui aussi confronté à des difficultés spécifiques. En effet, plus de 80 % de la population vit dans une aire urbaine, de sorte que les villes pauvres concentrent les problèmes. Le taux de pauvreté de la population est parfois très alarmant dans les villes, qui doivent continuer de bénéficier d'un effort soutenu, même s'il faut réfléchir à mieux l'organiser.
Notre pays souffre d'un problème de mixité sociale. L'école ne peut pas résoudre à elle toute seule le fait que certaines villes concentrent plus de 50 % de logements sociaux et les populations qui vont avec. Il faut donc développer une réflexion sur ce sujet, qui est intimement lié à celui de l'école. Tout ce qui détricote ou affaiblit la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, amplifie de manière mécanique les problèmes en matière d'éducation. Pour lutter contre les difficultés concentrées dans certains quartiers, il faut utiliser les mécanismes qui, en favorisant une dynamique de population, permettent de diluer la pauvreté plutôt que de la concentrer.
L'attractivité du métier d'enseignant est une autre problématique sociétale liée à l'éducation. La baisse du pouvoir d'achat et l'affaiblissement du statut social des enseignants sont des facteurs importants. Le dispositif REP + garantit une meilleure rémunération qui favorise la fidélisation des enseignants, d'où l'importance de le conserver, mais il ne devrait pas être une exception. Autrement dit, notre système éducatif, à l'instar de celui des autres pays européens, devrait rémunérer correctement ses enseignants. Sinon, malgré les primes prévues en REP et en REP +, ils risquent de manquer de motivation face à des élèves très en difficulté. La réflexion doit s'élargir au-delà de l'éducation prioritaire.
Enfin, si la baisse de la démographie n'est pas forcément une bonne nouvelle au niveau national, elle devrait permettre de dégager des moyens pour retravailler sur l'attractivité du métier d'enseignant, sur l'affectation des personnes, notamment des plus expérimentées, là où il y a les difficultés les plus importantes, et sur les méthodes d'enseignement qui ont le plus fait leur preuve. Il faut y réfléchir, en mettant l'accent sur les savoirs fondamentaux, comme les mathématiques et le français.
Il convient aussi de travailler à développer la dynamique des projets éducatifs de territoire. Nous avons constaté que, en liant le scolaire et le périscolaire, il était possible de mettre en place des initiatives qui fonctionnent bien, comme le club Coup de Pouce, où l'on apprend les maths et le français en petits groupes, à travers le jeu, le sport ou la culture. Nous avons lancé, avec la Fondation Vareille, un programme qui vise à apprendre le violon à 80 % des élèves de l'école publique, ce qui améliore leur capacité à se concentrer et leurs capacités d'apprentissage. Il ne faut pas fermer le débat sur les méthodes pédagogiques et le côté pluridisciplinaire que l'on peut développer à l'échelle d'un territoire, en particulier dans les quartiers qui en ont le plus besoin.
M. Bruno Belin, président. - La baisse de la démographie est une réalité incontestable, dont il faut mesurer l'impact.
Je représente un territoire rural par excellence, avec seulement 22 habitants au kilomètre carré. Les élèves dépendent des transports scolaires, ce qui rend l'accès au sport et à la culture impossible physiquement, en raison du regroupement pédagogique, de la géographie du territoire rural et de l'éloignement. Un enfant en milieu rural passe plus d'une heure dans les transports, le matin et le soir. C'est là ce qui crée l'injustice. Pour éviter cette discrimination, les cartes scolaires en cours de révision devraient prendre en compte les besoins des territoires ruraux, qui devraient être considérés comme territoires prioritaires. J'ai été témoin de ces situations et je connais la souffrance de ceux qui les vivent.
M. Pascal Savoldelli. - Je me pose toujours la question politique de savoir pourquoi l'État a refusé pendant dix ans de revoir la carte de l'éducation prioritaire. Si on nous l'expliquait, cela éviterait d'envisager les réponses les plus folles.
On ne peut pas juger l'école comme une institution imperméable à un environnement qui s'est dégradé. Je l'ai vérifié dans mon département du Val-de-Marne. Le fait de ne pas avoir changé la carte scolaire pendant dix ans a participé à l'évitement vers le privé. Or quand des parents issus de milieux très modestes décident librement de mettre leurs enfants dans le privé, cela a des conséquences sur l'établissement et sur les équipes pédagogiques.
Il faut creuser la question de la carte scolaire en déterminant quelles sont les fragilités sociales. En effet, notre société n'est pas la même qu'il y a trente ou quarante ans et, en plus des inégalités sociales qui se sont creusées, il y a désormais des fragilités sociales. Elles se manifestent par exemple dans la manière dont l'enfant se sent considéré ou perçoit son environnement familial. Or l'accompagnement médical a presque disparu des écoles. Une psychologue m'a encore récemment dit que cela faisait dix ans qu'elle ne faisait plus de prévention à l'école ; désormais, elle suit des enfants. Il faudrait donc faire évoluer la situation en se fondant sur une documentation précise des fragilités sociales et territoriales.
La question des mobilités est pertinente, mais se pose aussi dans les départements. Dans le grand département du Val-de-Marne, qui représente 1,4 million d'habitants, ce n'est pas la même chose d'habiter à Ivry-Charenton ou à Villeneuve-Saint-Georges. Les réalités sont différentes selon les communes. Il ne faut pas se voiler la face.
On constate un empilement des dispositifs qui donne lieu à des effets de seuil incompréhensibles pour les maires, pour les équipes pédagogiques et pour les parents. Faut-il être rivé à la notion d'égalité ou à celle d'universalité de l'éducation publique ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. Mieux vaut valoriser une progressivité des moyens et en finir avec la multiplicité des dispositifs qui, d'ailleurs, ne valorisent pas l'éducation publique.
Enfin, il faut mettre fin aux contrats précaires dans les établissements dits prioritaires. Je ne critique pas les personnes, mais à force de changer de postes, elles n'ont plus aucune mémoire pédagogique. Je fais partie d'une génération qui a rencontré des enseignants qui avaient une mémoire pédagogique et qui la transmettaient. Il y avait un patrimoine de l'enfant, de l'éducation, des savoirs et de l'acquisition des savoirs. Désormais, les personnes changent sans cesse de poste et il n'y a plus de mémoire ni d'expérience. Il n'y a qu'une gestion de la classe et du temps scolaire, sans créativité ni innovation.
M. Grégory Blanc. - J'avais mené, il y a quelques années, dans ma commune, une étude sur la rotation des populations : en huit ans, 40 % de la population avait changé. Cet élément est fondamental, car les études sur les politiques de la ville omettent souvent la mobilité des populations. Or, si nos quartiers prioritaires sont des « lessiveuses », autrement dit des lieux de passage pour accueillir des personnes qui rencontrent des difficultés temporaires, en réalité les dispositifs qui sont mis en place produisent des résultats pour une partie de la population, qui quitte ensuite ces quartiers. Il faut intégrer cela dans les analyses : les politiques de la ville ne sont pas un échec, mais elles ne changent pas structurellement la situation des quartiers concernés. Ce point est fondamental pour évaluer l'efficacité de l'argent public investi.
Votre constat sur l'accumulation des dispositifs, qui ont des périmètres et des pilotages différents, est tout à fait juste, puisque nous nous heurtons à un problème de lisibilité, donc de coordination et de pilotage. Mais lorsque vous dites qu'il faut renforcer le pilotage, vous n'allez pas jusqu'à employer les termes de « décentralisation » ou de « déconcentration » approfondie dans le fonctionnement de l'éducation nationale. Cela me semble tout à fait paradoxal. Des dispositifs différents peuvent fonctionner à l'échelle des communes pour les écoles, mais pas à celle du département pour le collège. Pourquoi donc n'allez-vous pas plus loin ?
Par ailleurs, je n'ai pas entendu, ni lu dans le rapport, le terme de « parentalité ». Dans les QPV des communes, les dispositifs associent les parents, comme le club Coup de Pouce qui fait entrer les parents à l'école. Ce n'est plus le cas au niveau du collège où le lien n'est pas fait entre ce qui se passe dans l'établissement et en dehors de celui-ci. Or dans les territoires de la politique de la ville, la présence des adultes est déficiente - Patrice Vergriete l'avait rappelé au moment des émeutes urbaines -, car le taux de familles monoparentales est plus important qu'ailleurs et les services publics sont moins développés qu'ailleurs. Il faudrait donc plus d'adultes. Mais, comme le disait mon collègue, ceux qui sont en poste dans l'enseignement ne font que passer sans pouvoir constituer une mémoire, de sorte que les problèmes sont encore plus aigus.
En l'occurrence, il faudrait plus d'adultes pour pouvoir travailler sur la notion de parentalité. Il y a moins de policiers, moins d'éducateurs et moins d'enseignants, si l'on rapporte leur nombre à la population. Il y a également moins d'emplois économiques. Pourquoi donc le terme de parentalité n'est-il pas employé ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je voulais revenir sur la recommandation de mise à jour de la carte de l'éducation prioritaire. En tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis, je citerai la commune de Dugny, qui détient le record de France du nombre de logements sociaux, avec 75 % de logements sociaux et 11 000 habitants. Entourée de communes souvent éligibles à l'éducation prioritaire, Dugny fait partie des zones prioritaires de la politique de la ville mais ne voit pas toutes ses écoles classées en REP ou REP +, alors qu'elle connaît des difficultés, même si elle a aussi des potentialités.
On y constate souvent des effets de bord : certains enseignants fidélisés dans la commune, qui connaissent le territoire, rassurent les familles et construisent un travail partenarial, ont parfois intérêt à quitter cette commune, même s'ils y habitent, pour partir dans les communes voisines où les conditions notamment salariales sont différentes, du fait de l'éducation prioritaire, les enseignants de l'éducation prioritaire bénéficiant d'une prime.
La ville de Dugny demande depuis des années qu'on examine ce sujet. M. Attal avait promis de le faire, et je profite de la présence de M. le recteur pour l'inviter à se pencher sur la question. Je lui transmettrai des éléments sur le cas spécifique de Dugny.
M. Patrick Haddad. - Je ne peux que souscrire à vos propos sur la nécessité d'élargir le spectre de nos travaux et sur le fait que l'éducation prioritaire ne peut pas résoudre tous les désordres de la société, notamment la concentration de la pauvreté.
Un accompagnement plus global de l'élève et des familles est également nécessaire, en tenant compte de la variable de la monoparentalité et d'un accompagnement à la parentalité. C'est pourquoi il est important de développer des projets éducatifs de territoire.
Il faut travailler plus efficacement avec les établissements pour éviter les effets de seuil, en affectant les moyens en fonction des réalités de chaque établissement. Il faut également renforcer les logiques collectives au sein des territoires et tenir compte du niveau de moyens en fonction du niveau des besoins, qu'ils soient liés à la pauvreté ou à l'éloignement, comme c'est le cas en milieu rural.
Puisque le débat a vocation à s'élargir, il est important d'intégrer deux éléments de contexte fondamentaux : la nécessité de revaloriser le métier d'enseignant et la nécessité d'une plus grande mixité dans nos villes.
M. Christophe Géhin. - La baisse démographique a commencé depuis une dizaine d'années dans le premier degré et devrait se poursuivre avec une baisse de 80 000 élèves attendue dans le secteur public, à la rentrée 2025. Il est difficile d'envisager les conséquences de cette baisse démographique dans la mesure où nous ne savons pas ce que seront les projets de loi de finances pour les années à venir. Ce qui est certain, c'est que cela représentera 470 postes en moins, c'est-à-dire une reprise ou une suppression de postes qui est sans commune mesure avec ce qu'aurait permis théoriquement la démographie fortement orientée à la baisse. Le ministère s'attache dans les discussions budgétaires à ce que la baisse démographique ne soit jamais intégralement reportée sur les moyens dont nous disposons en emplois et sur les territoires ruraux.
La première réponse de l'éducation nationale, c'est le réseau de 43 000 écoles maternelles et élémentaires, sans équivalent en Europe, car pour arriver à ce chiffre, il faudrait cumuler les écoles d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne. C'est un effort justifié de la Nation.
M. Olivier Paccaud. - C'est un héritage.
M. Bruno Belin. - Cela ne répond pas à la question de la souffrance de la ruralité.
M. Christophe Géhin. - Ce réseau de 43 000 écoles est une première réponse, puisqu'un tiers d'entre elles compte entre une et trois classes, et qu'il s'agit majoritairement d'écoles situées dans les zones rurales.
La deuxième réponse, plus ciblée sur la ruralité, est de renforcer le volet concertation. C'est notamment l'objet des observatoires des dynamiques rurales que la ministre d'État a appelé chaque directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) à mettre en place dans son département, pour partager les perspectives démographiques et les possibilités d'évolution du réseau.
Les enjeux sont aussi pédagogiques. Quand on parle avec les recteurs et les Dasen, il ressort qu'il est très difficile d'animer pédagogiquement, par exemple, un collège de 60 ou 70 élèves. Or il en existe un certain nombre. Il faudrait donc s'interroger sur le service que nous rendons aux élèves en les accueillant dans ce type de collège.
Dans l'ensemble des dispositifs que je vous ai présentés, il y a toujours une attention sociale spécifique portée à la ruralité. C'est le cas pour les internats d'excellence, avec notamment les internats d'excellence ruraux qui ont été déployés sur l'initiative de la ministre d'État. Cette attention existe aussi à travers le dispositif des cordées de la réussite qui peuvent servir à lutter contre le manque d'ambition de nos jeunes en milieu rural.
L'absence de révision de la carte de l'éducation prioritaire est sans doute un élément essentiel. Je ne peux qu'insister sur la très forte sensibilité du sujet et sur sa dimension éminemment politique vis-à-vis des personnels, des organisations syndicales, des familles et des élus. Jusqu'à présent, nos autorités successives n'ont pas considéré que la fenêtre de tir était la bonne pour revoir la carte de l'éducation prioritaire. Cependant, nous souscrivons aux conclusions de la Cour des comptes sur cette carte qui est en partie décalée par rapport aux réalités des quartiers.
Sur l'empilement de dispositifs, j'ai montré que nous nous efforcions de faire système sur un ensemble d'actions à mener pour répondre à des problèmes particuliers. Il est donc difficile de fondre tout ce panorama dans un seul dispositif. En revanche - et nous rejoignons la position de la Cour sur ce point -, l'enjeu est l'articulation entre l'éducation prioritaire, les territoires éducatifs ruraux, les contrats locaux d'accompagnement et les cités éducatives.
M. Bruno Belin, président. - Si les collèges de 60 ou 70 élèves sont maintenus, c'est par le fait des conseils départementaux, pas de l'éducation nationale. J'ai présidé un conseil départemental et lorsque l'on m'a conseillé de fermer un collège, je m'y suis opposé. Ces collèges, qui comptent une centaine d'élèves, sont essentiels pour les territoires ruraux. Ils existent grâce aux différents conseillers départementaux, quels que soient leurs engagements politiques.
M. Jean-François Chanet. - Pour faire écho à vos propos, peut-être avez-vous en mémoire le beau film de Nicolas Philibert intitulé Être et avoir, qui a connu un succès considérable, qualifié par sa productrice de « plus grand succès d'un documentaire non animalier ». Ce film commençait par la scène des enfants filmés dans un car au milieu d'un paysage d'hiver, allant rejoindre leur école. J'ajoute ce détail du paysage d'hiver car ceux qui, comme moi, ont exercé dans un territoire montagneux et enneigé, verglacé l'hiver, savent que le transport scolaire est dangereux.
Vous avez raison de dire que le tissu scolaire français est un héritage. Il est l'héritage d'une France qui était et qui est restée longtemps très majoritairement rurale. Il est l'héritage du temps où Ferdinand Buisson voulait qu'il y ait des écoles de hameau pour qu'il n'y ait aucun petit paria qui n'ait pas accès à l'école, à une époque où les enfants faisaient parfois plusieurs kilomètres à pied jusqu'au bourg pour aller rejoindre l'école.
L'optimum dans la couverture territoriale a été atteint dans l'entre-deux-guerres. Puis, les raisons que nous connaissons - la saignée démographique et les classes creuses de la guerre et de l'après-guerre - ont conduit à une extraordinaire accélération de l'urbanisation, comme l'a rappelé M. Haddad. L'héritage du XIXe siècle a été la couverture du territoire et celui du siècle dernier, ou des 90 dernières années, a été cette extraordinaire accélération de l'urbanisation. Beaucoup des problèmes que nous traitons aujourd'hui résultent de ces phénomènes et de cette concentration de la difficulté, apparente et visible, dans des territoires urbains, ce qui ne doit pas nous faire oublier les problèmes d'éloignement et de mobilité.
S'y ajoute l'enjeu de l'attractivité des postes. Je reste attaché à la formule de l'un des vôtres, le sénateur Alain Duran, qui avait été chargé d'une mission sur l'école rurale. Il disait : « Ce qui m'importe, c'est d'avoir une bonne école pour les enfants de ma commune, pas nécessairement dans ma commune ».
Cet enjeu doit être traité avec les maires ruraux, en s'inspirant du modèle que j'ai observé en Haute-Saône dans lequel des pôles éducatifs avaient été constitués autour des collèges, à des distances raisonnables des communes rurales, ce qui permettait d'avoir l'assentiment des élus.
Je suis également sensible à l'enjeu des inégalités et des fragilités. En particulier, prendre soin des enfants ne relève certes pas des missions traditionnelles de l'école, mais cette tâche s'est de fait ajoutée à son périmètre : donner un petit déjeuner s'inscrit dans ce cadre et alourdit sa charge.
Concernant la parentalité, la frontière entre le premier et le second degré reste très marquée, les familles étant moins présentes dès le collège, et encore davantage ensuite. De réels efforts sont entrepris dans ce domaine, par exemple avec le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » : au sein de l'académie de Créteil, ce dernier représente 163 ateliers, dont 121 ateliers sont situés dans les zones d'éducation prioritaire, avec un budget de 620 000 euros par an. Il est cependant exact que les bénéficiaires sont mobiles et que nous avons à faire face à cette instabilité.
L'instabilité des personnels est un autre enjeu, même si je tiens à nuancer la dichotomie entre des titulaires qui seraient stables et des contractuels qui seraient précaires et itinérants. Si nos problèmes de remplacement sont particulièrement aigus, je pense qu'il faut changer le regard que nous portons sur ceux qui nous rejoignent à la suite d'une réorientation professionnelle : il s'agit souvent de personnes de qualité, qui peuvent être de bons enseignants.
L'accumulation des dispositifs, quant à elle, est un révélateur de cette césure entre le premier et le second degré, et nous pose des problèmes de pilotage : les liens entre le niveau académique et le niveau départemental ne s'établissent pas si naturellement, les départements considérant le premier degré comme leur domaine réservé.
M. Nacer Meddah. - Les différentes interventions des sénateurs nous confortent dans le travail d'analyse que nous avons conduit. Vous avez pointé à juste titre, monsieur le président, les évolutions démographiques et les changements qui doivent en découler au niveau de l'éducation nationale afin de veiller à l'équité dans la répartition des moyens et dans la répartition territoriale.
L'éducation prioritaire avait vocation à être un dispositif transitoire permettant de corriger les inégalités, mais force est de constater, malheureusement, que celles-ci n'ont pas été résorbées et qu'elles se sont au contraire amplifiées, en dépit d'une multiplication des moyens par deux et demi.
De surcroît, l'éducation prioritaire devait faire l'objet d'évaluations et de révisions régulières, afin de tenir compte des changements à l'oeuvre dans les territoires. Tel n'a pas été le cas, ce que nous dénonçons : il y a urgence à conduire ce travail d'évaluation.
Par ailleurs, la ruralité soulève des enjeux spécifiques. Même si les jeunes ruraux ne se destinent pas aux mêmes études que les jeunes urbains et accèdent dans une moindre mesure à l'enseignement supérieur, ils réussissent mieux, ce qui doit nous inciter à poursuivre la réflexion sur l'équilibre territorial.
Pour ce qui est de la place de la famille, nous rappelons qu'elle est un acteur absolument indispensable. L'une de nos principales orientations consiste à affirmer qu'une approche plus globale s'impose, la politique de l'éducation prioritaire n'étant que l'une des composantes de la politique de l'éducation nationale - et plus largement de la politique visant à assurer l'égalité des chances. Un travail de coordination de l'ensemble des acteurs est donc nécessaire, à commencer par un travail de proximité avec les familles et avec le personnel éducatif.
Par ailleurs, les problématiques de rotation dans les logements sociaux posent des difficultés en termes d'allocation des moyens entre les établissements scolaires, la situation de chaque réseau évoluant rapidement, d'où l'importance de la seconde orientation du rapport, qui est selon moi déterminante. Nous devrions introduire de la progressivité dans l'allocation des moyens aux établissements scolaires de l'éducation prioritaire et garantir davantage l'équité, car nous souffrons aujourd'hui d'une forme de sédimentation et de rigidification dans la carte de l'éducation prioritaire, au détriment de certains établissements. Si ce phénomène comporte quelques aspects positifs en termes de fidélisation des équipes, d'autres écoles et collèges ne sont pas nécessairement dotés à hauteur de leurs besoins.
Afin de procéder à cet ajustement permanent, il faut - j'y insiste - se doter d'une culture d'évaluation : les dispositifs d'éducation prioritaire sont en place depuis un demi-siècle et ont été réformés en profondeur en 2015, mais n'ont toujours pas fait l'objet d'une évaluation !
J'espère que notre travail vous aidera à argumenter sur le fait qu'il conviendra d'agir sur plusieurs politiques publiques en même temps et qu'il faudra peut-être faire des choix plus ambitieux et volontaristes.
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. - Pascal Savoldelli s'est interrogé sur les causes de l'absence de révision de la carte scolaire et je questionnerai la ministre à ce sujet.
Plus globalement, s'il ne faut pas opposer la ville à la campagne, la carte de 2015 a elle-même alimenté cette fracture en faisant sortir 190 territoires situés en milieu rural de l'éducation prioritaire pour y faire entrer 200 territoires situés en milieu urbain : cela montre à quel point la révision des critères s'impose, peut-être en introduisant un critère d'éloignement.
Pour ce qui est des enjeux de décentralisation et de souplesse, des moyens sont à la disposition des académies et des collectivités, dont la re-sectorisation. Pour prendre un exemple, dans mon département, une zone est dépourvue de lycée et les élèves mettent plus de deux heures pour se rendre dans leur établissement. Nous allons, dans le cadre d'un partenariat entre le conseil départemental, le rectorat et le conseil régional, transformer un collège proche qui a vu ses effectifs baisser en collège-lycée. Certes, le ministère a été sollicité, mais ce sont bien les acteurs locaux qui se sont mobilisés pour créer un outil territorialement adapté.
En conclusion, la base de la refonte de la politique de l'éducation prioritaire réside dans la progressivité de l'allocation des moyens, afin qu'elle bénéficie au plus grand nombre d'élèves possible.
M. Bruno Belin, président. - Je remercie les intervenants.
La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Olivier Paccaud. Elle a adopté également les recommandations du rapporteur spécial qui figureront dans le rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- M. Pierre Moya, recteur de l'académie d'Amiens
- M. Julien Grenet, directeur adjoint de l'Institut des politiques publiques (IPP)
ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION
DES FINANCES
Consultable uniquement au format PDF
* 1 Circulaire n° 81-238 du 1er juillet 1981.
* 2 Circulaire n° 2006-058 du 30 mars 2006.
* 3 Circulaire n° 2014-077 du 4 juin 2014.
* 4 Circulaire n° 2017-090 du 3 mai 2017.
* 5 Rapport du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique de mai 2014, Refondation de la politique de l'éducation prioritaire - Rapport final de l'évaluation.
* 6 Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
* 7 Circulaire n° 2014-077 du 4 juin 2014.
* 8 Les dépenses en faveur de la jeunesse, Inspection générale des finances, avril 2024.