COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. FRANÇOIS-NOËL BUFFET, MINISTRE AUPRÈS DU MINISTRE D'ÉTAT, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

MERCREDI 21 MAI 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Cette audition viendra clôturer les six mois de travaux de notre mission d'information transpartisane sur les polices municipales, conduite par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, et auxquels ont été spécifiquement associés des membres de l'ensemble des groupes de la commission.

Monsieur le ministre, vous connaissez ce sujet mieux que personne, ne serait-ce que parce que le principe de cette mission d'information avait déjà été évoqué sous votre présidence.

Les polices municipales et les gardes champêtres sont un maillon absolument essentiel du continuum de sécurité. Je crois que chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître le rôle pivot de ces agents pour garantir la tranquillité de nos concitoyens.

Pour autant, la police municipale d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui. D'un point de vue quantitatif tout d'abord, la France compte aujourd'hui plus de 28 000 agents de police municipale répartis dans plus de 3 800 communes. Ce nombre ne devrait d'ailleurs faire que s'accentuer sur la période à venir, avec 11 000 agents supplémentaires qui pourraient être recrutés d'ici aux prochaines élections municipales.

De la même manière, les missions des polices municipales ont considérablement évolué ces dernières années. Dans de nombreuses communes, celles-ci tendent à devenir des forces primo-intervenantes, avec toutes les questions que cela soulève en termes de traitement des infractions ou de protection des agents.

Malheureusement, force est de constater que ce développement accéléré des polices municipales sur le territoire ne s'est pas accompagné d'une évolution de leur régime juridique, inchangé depuis 1999. Dans ce contexte, le statu quo n'est plus tenable. Vous l'aviez d'ailleurs déjà relevé, Monsieur le ministre, dans le rapport d'information de notre commission relatif aux émeutes de juin 2023.

L'initiative transpartisane d'ampleur que nous avons engagée ambitionne d'accompagner la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre du « Beauvau des polices municipales », et ses propositions viendront directement nourrir les débats législatifs prévus pour l'automne. Nous nous réjouissons en effet de votre annonce, hier, du dépôt d'un projet de loi avant l'été, pour un examen à la reprise de la session parlementaire.

Plusieurs sujets devront être tranchés par le Parlement à cette occasion. Je pense notamment à la question de l'octroi - ou non - du statut d'officier de police judiciaire (OPJ) aux policiers municipaux, de la possibilité de prononcer des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), de procéder à des inspections visuelles de coffres ou encore à des relevés d'identité étendus. De la même manière, nous ne pourrons faire l'impasse sur le sujet du recrutement, de la formation, de la carrière ou de la valorisation des policiers municipaux.

Le rapport et les recommandations issus de nos travaux seront examinés dès la semaine prochaine par la commission. Ils permettront, du moins nous l'espérons, de poser les jalons d'un débat serein et éclairé.

Dans cette perspective, il nous paraissait en tout état de cause indispensable que vous puissiez, avant cette échéance, nous éclairer sur les travaux de ce « Beauvau des polices municipales » et, le cas échéant, les pistes de réflexion ouvertes dans ce cadre.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Monsieur le ministre, à mon tour de vous remercier de votre disponibilité pour échanger sur ce sujet majeur qu'est l'avenir de nos polices municipales. Je tiens également à remercier les autres membres de la mission d'information qui ont été à mes côtés tout au long de mes nombreux travaux, à savoir Hervé Reynaud, Isabelle Florennes, Hussein Bourgi, Daniel Wattebled, Ian Brossat, Patricia Schillinger, Guy Benarroche et Sophie Briante Guillemont.

Les recommandations que nous formulerons dans notre rapport pourront, nous l'espérons, nourrir utilement le projet de loi annoncé par vos soins pour l'automne prochain.

Nos interrogations ne vous surprendront probablement pas, car les principaux points en débat sont connus et ont largement été abordés dans le cadre du « Beauvau des polices municipales » piloté par votre ministère. Je souhaiterais donc recueillir votre analyse sur quatre points en particulier.

Tout d'abord, quelle est la position du ministère de l'intérieur sur le débat relatif à l'attribution ou non d'un statut d'OPJ aux policiers municipaux, ou du moins à certains d'entre eux ? Sans préempter nos échanges, nous avons constaté au cours de nos travaux que cette proposition suscitait une certaine unanimité contre elle. Il me semble donc important de clarifier sans tarder ce point.

Ensuite, une demande très forte est exprimée par les acteurs locaux pour que les policiers municipaux puissent, dans certains cas, prononcer des AFD, y compris sans être OPJ. Si cette perspective soulève plusieurs difficultés, les échanges que nous avons menés ont mis en exergue la nécessité de doter les policiers municipaux d'outils nouveaux pour faire face à la progression de l'insécurité sur le territoire. Cela est d'autant plus important qu'ils sont souvent les seuls agents opérationnels dans les villes en journée, la police nationale étant accaparée par d'autres tâches.

Sur le plan juridique, leur accorder une telle prérogative n'irait pas sans difficulté, mais sans doute y avez-vous réfléchi. Rien n'étant impossible au Sénat, nous pourrons sans doute avancer pour définir les infractions concernées et encadrer le dispositif. J'ajoute que le défi est ici de préserver l'autorité du maire, le lien l'unissant à la police municipale étant essentiel : les équipes de policiers municipaux sont souvent très attachées au maire, qu'ils surnomment « le patron » ou « la patronne ». Il importe donc de préserver ce lien, nos concitoyens s'étant appropriés ces polices municipales, qui sont des polices de proximité et doivent le rester.

D'autres questions pragmatiques se posent, que ce soit sur la possibilité de faire ouvrir les coffres de véhicules afin de procéder à des inspections visuelles ou bien d'étendre le champ des situations permettant de procéder à des contrôles d'identité. Au niveau de l'armement, la question d'autoriser l'usage de grenades de désencerclement pourrait peut-être être étudiée, car les policiers municipaux doivent parfois affronter des situations périlleuses et ces matériels seraient précieux pour leur permettre de s'en extraire.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Le cadre législatif des polices municipales date de 1999 et celui qui s'applique aux gardes champêtres de 1994, et ce alors que la nature des interventions des agents a profondément évolué. Les policiers municipaux sont désormais souvent les primo-intervenants. À titre d'exemple, ils ont ainsi récemment arrêté des criminels à Mulhouse.

Le « Beauvau des polices municipales » a été lancé dans le prolongement du rapport d'information de la commission des lois du Sénat relatif aux émeutes de juin 2023. Celui-ci a mis en lumière la disparité des interventions des forces de police municipale au cours de ces épisodes violents, ainsi que la nécessité de renforcer la complémentarité entre la police nationale et la police municipale. Le processus a pris du retard en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale avant de reprendre à la fin de l'année 2024, d'être à nouveau stoppé en raison de la censure du gouvernement de Michel Barnier et enfin de reprendre en janvier 2025, sous mon égide.

L'objectif consistait à avancer suffisamment rapidement pour disposer d'un texte à la fin du mois de juin. Il eût été idéal qu'il puisse être débattu à cette date, mais il ne pourra vraisemblablement être soumis au Parlement qu'à l'automne.

Ce « Beauvau des polices municipales » s'inscrit dans le respect d'une série de principes, à commencer par celui de la libre administration des collectivités territoriales. La police municipale reste placée sous l'autorité du maire et ne se substitue pas à la police nationale. Le principe de complémentarité entre les différents acteurs du continuum de sécurité doit donc se traduire par des conventions entre les maires et les préfectures, de manière à préciser clairement le rôle de chacun. Enfin, le fait de confier davantage de responsabilités à la police municipale implique d'améliorer la formation et de s'assurer du respect de règles déontologiques.

Afin de faciliter l'intervention des polices municipales et d'adapter la réponse opérationnelle à la diversité des territoires, il convient de lever les freins juridiques et techniques existant aujourd'hui. Les besoins sont en effet variables et les maires doivent pouvoir décider d'armer ou non leurs effectifs, y compris d'équipements létaux.

J'en viens à quelques données : 3 812 collectivités employaient des polices municipales en 2023. Parmi elles, 1 905 collectivités emploient un à deux agents, 1 382 collectivités emploient trois à dix agents, 525 collectivités emploient plus de dix agents, et 24 communes emploient plus de 100 agents, soit 0,6 % du total. Il s'agit bien entendu des grandes métropoles.

En outre, le nombre de policiers municipaux a augmenté de plus de 45 % en dix ans : on recensait 5 641 agents en 1984, 19 405 policiers en 2012 et 28 161 personnels en 2023, avec une prévision de l'ordre de 10 000 à 11 000 policiers municipaux supplémentaires à l'horizon 2026.

En revanche, le nombre de gardes champêtres a chuté de moitié en dix ans, passant de 1 240 agents en 2012 à 602 agents en 2023.

Les dépenses de fonctionnement de la police municipale représentent environ 2,2 milliards d'euros, soit 36,5 euros par habitant. Par ailleurs, 216 communes ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont dotés d'une brigade cynophile. J'ajoute que 75 conventions locales de sûreté des transports collectifs ont été signées et que 181 communes font appel à des assistants temporaires de police municipale.

S'agissant de l'équipement, enfin, 80 % des polices municipales sont armées, dont 59 % d'armes létales.

Depuis le début de l'année, je me suis rendu dans des communes de toutes tailles, qu'il s'agisse de métropoles telles que Lyon ou d'une petite commune de l'Hérault qui venait de créer un poste de police doté de trois agents et de signer une convention avec les communes voisines.

Cinq axes structurent la démarche du Beauvau, à commencer par l'élargissement des prérogatives des polices municipales : l'objectif consiste à donner une boîte à outils aux maires, une fois encore avec l'idée que la police municipale demeure une police de proximité.

Ce premier axe implique d'envisager la possibilité de prononcer des AFD, mesure qui suscite des interrogations et des inquiétudes, dont celle de voir les polices municipales redevenir des éléments de police judiciaire sur lesquels l'État pourrait s'appuyer et se décharger, et ce alors même que des difficultés de recrutement existent sur le plan national pour la police judiciaire.

Le deuxième axe a trait à la capacité d'agir sur le terrain, notamment en termes d'accès aux fichiers, y compris en mobilité. S'y ajoute la possibilité de contrôler l'identité et de recourir à des drones.

Le troisième axe concerne une meilleure reconnaissance de la montée en compétences et une plus grande valorisation des forces de police municipale, ce qui passe par la création d'une médaille. Certes, la mesure est symbolique, mais cette médaille existait par le passé, avant d'être préemptée par la police nationale. En outre, les polices municipales pourront être associées à différentes cérémonies républicaines.

Surtout, une revalorisation salariale devra intervenir, avec l'ouverture d'une discussion sur le régime indemnitaire.

Le quatrième axe a trait à la coordination et à la mutualisation des polices municipales, une modification du cadre réglementaire étant nécessaire pour réviser les conventions de coordination.

Enfin, le cinquième axe a trait à la formation : il fallait déterminer si elle serait confiée à une académie nationale, ou si nous conservions le dispositif actuel du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), cette seconde option étant actuellement retenue par le Gouvernement. Le débat porte plus précisément sur la durée de cette formation, qui doit être adaptée aux profils : lorsqu'un maire recrute un policier déjà expérimenté, il devrait être possible d'alléger sa formation afin d'accélérer son arrivée dans les services.

J'en viens aux questions de Jacqueline Eustache-Brinio, à commencer par l'étendue de la compétence judiciaire des polices municipales. De nombreux maires réclamant un élargissement, nous envisageons de laisser la liberté aux maires d'attribuer ou non à leurs agents la faculté de délivrer des AFD.

Sur le plan juridique, deux décisions du Conseil constitutionnel - en 2011 et en 2021 - ont écarté la possibilité d'étendre les compétences judiciaires de la police municipale sans les placer sous l'autorité du procureur de la République.

L'inquiétude principale porte sur une substitution de la police nationale par la police municipale, ce que personne, le Gouvernement au premier chef, ne souhaite. Nous pensons qu'une voie de passage pourra être trouvée, en permettant à un policier municipal - devenant OPJ - de délivrer une AFD, sans aller à l'encontre de la jurisprudence que je mentionnais.

À ce stade, nous considérons qu'une identification claire des compétences nouvelles, qui relèveraient normalement du domaine judiciaire, devrait permettre de trouver cette voie de passage, mais dans un cadre très limitatif.

Comment le traduire concrètement dans les textes ? Deux possibilités existent, en choisissant soit les dispositions de l'article 15 du code de procédure pénale, qui définit les personnes capables de concourir à la police judiciaire, soit celles de l'article 16 du même code, qui vise les catégories d'OPJ. Nous n'avons pas encore tranché, mais cette piste devrait permettre d'éviter une censure du Conseil constitutionnel.

N'oublions pas, par ailleurs, qu'une partie des maires s'oppose à cette extension de prérogatives, d'où notre souhait de leur laisser la liberté de décider d'y recourir ou non.

J'ajoute que nous envisageons d'aligner les prérogatives des policiers municipaux et des gardes champêtres en matière de dépistage d'alcoolémie et de stupéfiants.

Pour en revenir aux AFD, elles pourraient être prononcées pour les infractions de vente à la sauvette, de vol simple, de mendicité agressive, d'installation en réunion sans titre sur le terrain d'autrui, de destruction et de détérioration du bien d'autrui, de port d'armes de catégorie D ou encore des infractions à la circulation routière, dont la conduite sans assurance et les rodéos motorisés.

Pour ce qui concerne l'accès de la police municipale aux fichiers, un principe est retenu, à savoir celui de l'interdiction d'accéder aux fichiers de renseignement, exclusivement destinés à la police nationale. En revanche, ils pourraient accéder aux fichiers des assurances, des cartes grises et des voitures volées, un aspect technique encore à régler portant néanmoins sur la possibilité de les consulter en mobilité. Nous proposerons également de renforcer la traçabilité des actions des différents policiers via le référentiel des identités et de l'organisation (RIO).

S'agissant de la discussion relative au régime indemnitaire, le chantier avancera en lien avec mon collègue Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. La prudence prévaudra en la matière, car toute décision aura des conséquences directes sur les budgets municipaux.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Les policiers municipaux gagneraient à pouvoir consulter la liste des personnes interdites de séjour, même si j'entends bien les réserves liées aux fichiers contenant des informations relevant du renseignement.

Quant aux AFD, la liberté laissée aux maires d'accorder ou non ce pouvoir pourrait poser problème. Il ne s'agit pas d'une demande des associations d'élus que nous avons reçues, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) elle-même étant divisée sur le sujet. Les maires pourraient s'inquiéter de ce nouveau lien entre leur police avec le procureur et redouter de voir leurs agents échapper à leur autorité.

S'agissant de la possibilité d'ouvrir les coffres, je note par ailleurs que seule la douane est autorisée à les ouvrir en toutes circonstances, ce qui pose problème pour l'action de la police nationale en Guyane.

Mme Agnès Canayer. - À l'occasion des auditions consacrées aux jeux Olympiques, les gardes champêtres avaient demandé à être équipés en caméras-piétons. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question ?

Sur un autre point, la vidéoprotection algorithmique, expérimentée dans certaines communes, est-elle abordée par le Beauvau ?

M. Hervé Reynaud. - Les nombreuses auditions menées ont révélé une forte attente quant à l'extension des prérogatives des policiers municipaux, afin de les adapter aux réalités de terrain, mais sans que ces changements amènent à ce qu'ils basculent sous l'autorité du procureur de la République. Vous avez clarifié les choses alors que le Président de la République lui-même a semblé, lors de son intervention télévisée du 13 mai, envisager un tel rattachement des agents au parquet. Je m'en réjouis.

Les policiers, qu'ils soient nationaux ou municipaux, éprouvent des difficultés à pénétrer dans les locaux de certaines amicales et associations douteuses puisque la présence de la douane est alors requise, à la différence des interventions dans les débits de boissons. Pourtant, ces associations gangrènent parfois nos villes en dissimulant des activités de blanchiment et des jeux illégaux : une modification législative devrait donc être envisagée.

Mme Patricia Schillinger. - Monsieur le ministre, nous avons auditionné le président de la brigade verte alsacienne dans le cadre de notre mission d'information. Ces gardes champêtres jouent un rôle essentiel de proximité en zone rurale en assumant des missions de protection de l'environnement, de garantie de la tranquillité publique et d'appui direct aux élus, notamment dans les endroits dépourvus de police nationale et de police municipale. Cette audition a mis en lumière un certain nombre de décalages entre leurs missions de terrain et les moyens - ou statuts - dont ils disposent.

Tout d'abord, les gardes champêtres appellent à une révision de leur statut afin de pouvoir accéder à la catégorie B de la fonction publique. Certes, un concours interne existe pour devenir chef de service de police municipale, mais cela implique de renoncer à leurs spécificités, ancrées dans la ruralité et les compétences environnementales.

En outre, ils sollicitent l'allongement de la formation initiale de trois à six mois afin de mieux se préparer à des missions qui ne cessent de s'élargir, de la police de l'environnement aux contrôles routiers. Une autre demande porte sur la reconnaissance de leur véhicule comme étant d'intérêt général prioritaire, ce qui permettrait de l'équiper de gyrophares et d'avertissements sonores. Il s'agit à la fois d'une mesure de sécurité et d'une reconnaissance de leur rôle dans le maintien de l'ordre.

Ils attendent aussi la pérennisation de l'usage des caméras individuelles, dont l'expérimentation s'est achevée fin 2024. Ces caméras sont en effet perçues comme un outil précieux pour désamorcer les tensions et apporter des garanties de preuves en cas d'incident. Enfin, leur accès à certains fichiers comme le système d'immatriculation des véhicules (SIV) est encore trop limité, ce qui freine leur efficacité, notamment dans les enquêtes environnementales ou les contrôles routiers.

Monsieur le ministre, dans un contexte où l'on promeut un véritable continuum de sécurité, quelles réponses concrètes le Gouvernement envisage-t-il pour accompagner l'évolution des missions des gardes champêtres, mieux les reconnaître et adapter leurs moyens aux réalités des territoires ruraux ?

M. Guy Benarroche. - Monsieur le ministre, j'approuve les principes que vous avez exposés au début de votre exposé.

Sans être un laudateur des AFD, 80 % des personnes auditionnées, qu'elles soient maires ou policiers, ont exprimé le souhait qu'elles puissent être prononcées par la police municipale, mais tout en refusant que les agents deviennent des OPJ. Nous sommes donc confrontés à un dilemme : il ne faudrait pas que des maires souhaitant garder la maîtrise de leur police choisissent de lui donner la faculté de prononcer des AFD sous la pression de syndicats de police ; de la même façon, il ne faudrait pas qu'ils se privent de la possibilité de recourir à des AFD parce qu'ils ne disposeraient d'aucun OPJ dans leurs effectifs.

Partant de ce constat, faudrait-il renoncer aux AFD et trouver une autre solution ? J'ai tendance à le penser. Une autre solution consisterait à conférer le statut d'OPJ à tous les policiers municipaux des villes qui souhaitent utiliser ces amendes, au risque de gêner nombre de mairies.

Dans un certain nombre d'endroits, des actions sont menées conjointement par la police nationale et la police municipale. Pour apporter un début de réponse à Agnès Canayer, à Marseille, la vidéoprotection est régie par une convention, ce qui permet un partage d'images entre la police municipale et la police nationale.

Par ailleurs, la ville organise des opérations pour réprimer la vente à la sauvette avec ses policiers municipaux, tout en s'assurant qu'un OPJ de la police nationale soit présent.

M. François-Noël Buffet, ministre. - L'AFD, par définition, vise à sanctionner un délit, alors que les polices municipales n'ont de pouvoir qu'en matière contraventionnelle. La poursuite d'infractions délictuelles s'effectue sous le contrôle du procureur de la République, qui peut parfaitement exiger du maire un compte rendu retraçant les détails de l'intervention de la police municipale. En l'état de notre droit, nous ne pouvons donc pas échapper à un contrôle du procureur dès lors qu'un policier municipal pourrait être autorisé à délivrer des amendes délictuelles.

C'est pourquoi le Conseil constitutionnel avait rejeté, en 2022, l'attribution d'un pouvoir général de cette nature à la police municipale. L'idée consiste cette fois-ci à définir le pouvoir octroyé très précisément dans les textes, afin d'en garantir la clarté. Cela signifie que le policier municipal concerné ne pourrait pas intervenir sur tous les sujets délictuels et qu'il se limiterait à des AFD sur des infractions prédéterminées : nous devons donc suivre une ligne de crête.

Par ailleurs, notre réflexion consiste, à ce stade, à ne pas laisser la possibilité à tous les policiers municipaux d'infliger des AFD, mais seulement à une partie d'entre eux. De ce fait, le risque de voir la police municipale engagée dans une pure affaire de police judiciaire serait écarté, ce qui évitera une nouvelle décision négative du Conseil constitutionnel.

S'agissant de l'ouverture des coffres, les agents de police municipale peuvent d'ores et déjà procéder à une inspection visuelle du contenu du véhicule, sans pénétrer dans l'habitacle : ils peuvent donc faire ouvrir le coffre, mais uniquement le regarder, et il faudrait donc évaluer s'il convient d'aller plus loin.

Pour ce qui est des caméras-piétons, il est effectivement question de pérenniser l'expérimentation. S'ils avaient exprimé des réticences dans un premier temps, les agents demandent désormais à disposer de ces équipements qui, en réalité, les protègent.

En ce qui concerne la vidéoprotection, la mutualisation se règle par voie de convention entre la police nationale et la police municipale, aucun problème particulier n'étant à signaler dans ce domaine.

Nous souhaitons aussi proroger l'expérimentation relative à l'intelligence artificielle (IA) au travers du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.

S'agissant des gardes champêtres, leurs demandes ne sont pas exorbitantes et nous essaierons d'y répondre. Dans le texte en préparation, il s'agira de conforter leur place et de consolider leurs prérogatives, notamment sur les points soulevés par Patricia Schillinger.

D'une part, il faudra prévoir la révision de leur statut pour qu'ils puissent accéder à la catégorie B. Pour l'instant, en effet, ils doivent quitter leur statut de garde champêtre et intégrer celui de policier municipal pour accéder à cette catégorie, ce qui n'est pas satisfaisant.

D'autre part, nous engagerons également une réforme de la formation initiale, avec un allongement de sa durée de trois à six mois.

Sur la question de la sérigraphie des véhicules et du matériel, aucune difficulté particulière ne se pose. Nous avons prévu d'ouvrir aux gardes champêtres l'accès à certains fichiers, tout en restant prudents. Nous entendons aussi généraliser pour eux l'usage des caméras-piétons.

On oublie souvent que le garde champêtre dispose, à ce jour, de prérogatives plus étendues que celles du policier municipal. Cela mérite d'être souligné.

M. Louis Vogel. - Le Sénat a engagé, avec cette mission, un travail ambitieux, que je tiens à saluer. Je remercie tout particulièrement sa rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio, ainsi que l'ensemble des membres de la commission.

Cette mission vient compléter utilement les réflexions issues du « Beauvau des polices municipales ». Tous les éléments semblent aujourd'hui réunis pour permettre un véritable changement et une réforme d'ampleur.

En tant que maire de Melun, j'ai renforcé ma police municipale et mis en place une police intercommunale. Dans ce cadre, j'ai pu observer sur le terrain les ferments d'une concurrence, voire d'une rivalité, entre police municipale et police nationale, Melun étant située en zone police.

Monsieur le ministre, quelles garanties comptez-vous apporter pour assurer une complémentarité réelle, plutôt qu'une concurrence, entre police municipale et forces de sécurité intérieure ? Comment éviter que, dans certains territoires, la police municipale ne vienne prendre la place de la police nationale ou celle de la gendarmerie en zone gendarmerie ?

Mme Catherine Di Folco. - En matière de recrutement, vous avez évoqué le chiffre de 11 000 agents supplémentaires.

Dans ma commune, j'ai moi-même rencontré des difficultés pour recruter un policier municipal. Peut-être que le poste n'est pas jugé suffisamment attractif dans une petite commune, je ne saurais le dire. Nous avons finalement recruté un ancien gendarme, qui a changé de statut pour devenir policier municipal. Et je crois que ce cas de figure se répète fréquemment.

J'aimerais vous faire part de mon inquiétude : il ne faudrait pas, comme on dit, déshabiller Paul pour habiller Pierre. Si trop de gendarmes quittent leur corps pour rejoindre les polices municipales, nous risquons de finir par manquer de gendarmes. Comment envisagez-vous de rendre le métier de policier municipal plus attractif de manière à ce que les candidats soient plus nombreux ?

Mme Sophie Briante Guillemont. - Nous arrivons à la fin des auditions de cette mission d'information et je tiens à souligner l'excellent travail de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.

Monsieur le ministre, vous avez dit que plus de responsabilité impliquait plus de contrôle. Nous nous apprêtons à rendre les conclusions de notre mission et le travail que nous avons réalisé le confirme : il n'y aura donc aucun sujet de désaccord sur ce point.

Toutefois, nous avons reçu les syndicats et entendu l'une des directions du ministère de la fonction publique. La question de la rémunération sera extrêmement sensible, car plus de responsabilités impliquera aussi plus de revendications salariales, les intéressés se comparant davantage à la police nationale qu'à la fonction publique territoriale. Nous connaissons la situation budgétaire actuelle, qui limitera les marges de manoeuvre. Mais l'audition avec les représentants des syndicats nous a laissé peu d'espoir sur les possibilités de négociation, ces derniers se montrant assez intransigeants. Comment comptez-vous aborder le sujet avec le ministre de la fonction publique ?

M. François-Noël Buffet, ministre. - Les trois questions que vous venez de poser convergent autour d'un même enjeu : celui de la complémentarité entre les forces, des risques de concurrence et, surtout, des disparités liées à la rémunération et au statut.

Il est vrai que les régimes indemnitaires sont très variables selon que l'on exerce dans une petite ou une grande commune. Il n'est pas rare de voir des policiers municipaux changer de commune pour une différence de traitement qui peut se révéler déterminante pour un agent. D'autres logiques peuvent aussi intervenir : ainsi, des agents des forces de sécurité intérieure choisissent de quitter certains territoires, parfois parce que les conditions de vie y sont plus difficiles et qu'ils voient dans la mutation vers la police municipale l'opportunité de choisir leur lieu d'affectation. Il serait sans doute illusoire d'imaginer encadrer ces dynamiques de manière rigide, car il existe une part de liberté individuelle dans ces trajectoires.

Toutefois, pour vous répondre plus précisément sur la question de la rémunération, plusieurs mesures de revalorisation ont été mises en oeuvre depuis 2023. Dans l'ensemble de la fonction publique, on note notamment la réduction de la durée des six premiers échelons en catégories B et C, ainsi que des revalorisations indiciaires. Concernant plus spécifiquement la filière de la police municipale, le décontingentement de l'échelon spécial a été opéré pour la catégorie C. La catégorie A a quant à elle bénéficié d'un alignement indiciaire sur les deux premiers grades des attachés. Ce sont des éléments très techniques, mais qui ont un effet certain.

Le nouveau régime indemnitaire des policiers municipaux, issu du décret du 26 juin 2024, est entré en vigueur le 1er janvier dernier. Il introduit une indemnité spéciale de fonction et d'engagement, composée d'une part fixe et d'une part variable. Cette dernière permet de tenir compte de l'engagement professionnel et de la manière de servir. Le plafond a été relevé et une clause de sauvegarde garantit aux agents le maintien d'un montant minimal.

S'agissant de la formation, des avancées notables ont été portées par le CNFPT. Une réorganisation administrative a été mise en oeuvre afin de mieux répartir les stagiaires sur le territoire national. Depuis l'automne 2023, quatre centres régionaux dédiés à la formation des policiers municipaux ont ouvert. En 2024, le délai d'entrée en formation était inférieur à quatre mois pour 93 % des stagiaires. Ces chiffres traduisent une amélioration tangible.

Pour répondre aux difficultés, il est envisagé de permettre au CNFPT d'accorder des dispenses ciblées de formation, justifiées par les besoins du cadre d'emplois des agents de police municipale. Il sera également possible de recruter directement des policiers municipaux en tant que formateurs.

Le CNFPT pourra faire appel à d'autres administrations, notamment les établissements agricoles, pour la formation des chiens de police municipale. Il existe, en effet, une réelle difficulté sur ce sujet, car tous les chiens ne réussissent pas les épreuves de certification, ce qui rend l'organisation des formations complexe.

Nous travaillons également à l'instauration d'un tronc commun de formation pour les policiers municipaux et les gardes champêtres. L'objectif est d'aligner la durée de formation initiale à six mois pour les deux cadres d'emploi, avec, pour les gardes champêtres, une formation continue obligatoire désormais calquée sur celle des policiers municipaux.

Il est aussi prévu de faciliter l'acquisition et le stockage de l'armement, ainsi que l'instruction simultanée des demandes de port d'armes, afin de gagner en efficacité.

Tous ces travaux sont engagés et les pistes de solution sont sur la table. Pour autant, elles ne règlent pas totalement la question, centrale, de la concurrence.

Deux options s'offrent à nous. La première consisterait à instaurer un statut national rigide, une sorte de « jardin à la française » applicable à toutes les collectivités. Mais dans ce cas, certaines communes, faute de moyens, ne pourraient suivre, et le système serait rapidement mis en difficulté. La seconde consiste à maintenir une certaine souplesse, laissant à chaque commune la liberté d'adapter son modèle de recrutement.

Il faut avoir en tête que la majorité des policiers municipaux exercent dans des communes de petite ou moyenne taille. Les grandes communes, au nombre d'environ 100, entrent souvent en concurrence les unes avec les autres. Elles tendent plutôt à perdre des policiers municipaux, car ces derniers préfèrent rejoindre des communes plus calmes, où les tensions et les violences sont moindres. Formellement, il est difficile de limiter cette concurrence.

En outre, il faut tenir compte de la liberté du maire de fixer la rémunération de ses agents, dans le cadre fixé par la loi. Tant que ce principe prévaudra, nous ne pourrons probablement pas résoudre la difficulté que représente la concurrence entre collectivités.

En revanche, des améliorations sont possibles, notamment sur les volets de la formation et des conditions matérielles.

Monsieur Vogel, l'objectif de renforcement du rôle des conventions de coordination reste fondamental et nous y travaillons.

Enfin, vous avez évoqué les grenades de désencerclement. À ce stade, nous ne sommes pas enthousiastes à l'idée de pouvoir autoriser leur usage. Nous nous interrogeons fortement sur leurs conditions d'usage et sur la doctrine d'emploi. En tout cas, cela ne figurera pas dans le texte que le Gouvernement proposera.

Mme Marie Mercier. - Lorsque j'étais maire de Châtenoy-le-Royal, une commune de 6 200 habitants, nous disposions d'une gendarmerie en zone police et d'une police municipale. Un jour, depuis mon bureau, j'ai entendu ce qui ressemblait à un rodéo urbain sous mes fenêtres : j'ai découvert une course-poursuite engagée par la police municipale de la commune...

Cet événement nous a conduits à organiser une réunion pour faire le point sur les compétences de chacun, dans le cadre de l'exercice de la liberté du maire en matière de sécurité locale.

Nous avons alors décidé de recentrer les missions de la police municipale autour de la prévention, du repérage et du recueil de renseignements. Car, à vouloir aller trop loin, nos agents finissaient par devenir eux-mêmes une source de danger. Les policiers et les gendarmes souhaitaient travailler ensemble, ce qui était parfaitement légitime, notamment pour échanger des informations, mais pas forcément pour le reste.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Je ne ferai que compléter vos propos, Monsieur le ministre, si vous le permettez.

Il semble que tous les maires n'aient pas eu connaissance du décret que vous avez évoqué et qui est entré en vigueur au 1er janvier 2025, de sorte que les mesures qu'il prévoyait ne sont pas appliquées partout. Il nous appartiendra de les rappeler, afin de garantir leur mise en oeuvre effective dans l'ensemble des collectivités concernées et d'évaluer l'impact de ces dispositions.

Concernant les agents issus de la police ou de la gendarmerie nationales qui rejoignent les collectivités locales, il est indispensable de maintenir un temps de formation, même s'il est moins long que pour d'autres profils. Être policier municipal n'est pas la même chose qu'être policier national ou gendarme - tous les intervenants que nous avons entendus l'ont souligné. Le policier municipal agit aussi sous l'autorité du maire, ou du moins lui rend compte. Cela suppose une manière différente de concevoir le métier.

Enfin, s'agissant des revendications salariales, de nombreuses demandes ont été formulées, mais nous sommes éminemment conscients des implications financières du sujet pour les collectivités et pour l'État, dans un contexte budgétaire contraint. La principale revendication portait sur l'intégration des primes dans le calcul des retraites. Nous avons indiqué à vos interlocuteurs que cette mesure, si elle devait être mise en oeuvre pour les policiers municipaux, devrait alors probablement l'être pour d'autres catégories d'agents, ce qui soulèverait d'importantes questions budgétaires.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions de cette audition, qui a permis de mettre en valeur une assez grande convergence de vues entre notre mission d'information et le ministère, à quelques détails près, ce qui nous permettra d'alimenter le débat parlementaire.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

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