Échanges entre panélistes et avec le public

Laurence Rossignol : Merci beaucoup à toutes pour vos interventions. Nous allons maintenant passer aux échanges avec le public.

J'aimerais que nous commencions par entendre Lídia Guinart Moreno, députée espagnole, présidente de la commission parlementaire de suivi et d'évaluation des dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes.

Lídia Guinart Moreno, députée espagnole : Nous sommes une délégation du Congrès des députés d'Espagne. Plusieurs députés de différents partis politiques ont travaillé à la rénovation et à la mise à jour du Pacte d'État contre les violences faites aux femmes, au sein d'une commission parlementaire que j'ai présidée. Le Pacte, que nous avons adopté à l'unanimité en 2017 et que nous avons maintenant actualisé, intègre différentes formes de violences, y compris les cyberviolences, la violence économique et les violences exercées contre les enfants et les adolescents.

Compte tenu de la gravité du problème, nous avons inclus des dispositions pour prévenir l'accès des mineurs à la pornographie. À cet égard, nous abordons la réglementation de l'accès aux sites pornographiques avec vérification d'âge et nous promouvons des mesures législatives et de sensibilisation pour éviter que des plateformes comme Sugardaddy, Oliphant et d'autres similaires ne deviennent des outils de recrutement des enfants pour l'exploitation sexuelle. Nous souhaitons aussi engager la responsabilité des entreprises qui hébergent ces contenus.

Le Pacte d'État contre les violences faites aux femmes est un outil unique en Espagne qui montre l'engagement de tous les partis démocratiques, à l'exception de l'extrême-droite. Il comprend 470 mesures allant de la prévention et la sensibilisation à la répression de la violence et à la réparation des victimes.

Nous savons que la pornographie est un passage vers la violence et l'exploitation sexuelle. C'est pourquoi nous sommes convaincus que, alors que nous commémorons le vingtième anniversaire de la loi espagnole contre la violence générale, pionnière en la matière, le Pacte d'État contre les violences faites aux femmes, tel qu'actualisé en y intégrant des mesures contre les cyberviolences basées sur le genre, est extrêmement important.

Merci beaucoup pour cette possibilité d'échanges sur ce sujet !

Laura Castel Fort, sénatrice espagnole, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : Félicitations pour cet important événement ! Je suis membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et rapporteure d'un rapport très important qui sera consacré aux violences pornographiques. Je suis donc très heureuse de pouvoir échanger avec vous. Encore merci pour le rapport du Sénat français, particulièrement éclairant. Vous avez évoqué des études très intéressantes, sur lesquelles je m'appuierai dans mon rapport.

Parlementaire danoise : Je suis membre du Parlement danois et du réseau parlementaire transpartisan pour la santé et les droits sexuels et reproductifs.

Le Danemark a légalisé la pornographie il y a des années mais c'était un autre monde. Nous constatons que des enfants, de plus en plus jeunes, regardent de la pornographie. Je suis tout à fait d'accord avec les perspectives qui ont été partagées aujourd'hui et sur la nécessité de se coordonner pour agir.

Au Danemark, nous avons adopté, l'année dernière, une loi sur le consentement. Il y a eu un débat important sur la définition du viol car, pendant des années, la police a ignoré des faits de viol alléguant qu'il y avait eu consentement. Désormais, il faut qu'il y ait un « oui » pour indiquer que l'on consent à une relation sexuelle. Cela change les mentalités des hommes et des garçons. Je ne sais pas si ce type de dispositif juridique existe dans d'autres pays mais je voulais partager cela avec vous.

Il faut aussi bien sûr parler de la responsabilité de l'industrie pornographique mais aussi de celle des grandes entreprises de la tech.

Annick Billon, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat : Je souhaite remercier la délégation aux droits des femmes du Sénat d'avoir organisé cet événement, qui s'inscrit dans la continuité des travaux sur les violences pornographiques que nous avions lancés lorsque j'étais présidente de cette délégation. Nous étions alors quatre rapporteures : Alexandra Borchio-Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Pendant six mois, nous avons été plongées dans l'horreur. Lors de notre première audition avec des associations dont certaines sont parmi nous ce matin, nous avons toutes été extrêmement choquées par les témoignages de la violence de l'industrie pornographique. Dans notre rapport, nous avons démontré les liens entre prostitution, proxénétisme et pornographie.

Les intervenantes l'ont dit : il faut une réglementation forte. Il faut notamment toucher au porte-monnaie car l'industrie pornographique génère des milliards de dollars.

Sur ce sujet financier, il faut par ailleurs savoir que faire retirer une vidéo coûte aux femmes quatre fois plus cher que les quelques 400 euros qu'elles ont pu toucher pour un tournage.

Notre rapport a permis une prise de conscience lors de sa publication. Tout le monde est concerné. Aujourd'hui il y a urgence à porter ce sujet. La manifestation de soi-disant « travailleurs du sexe » qui nous a accueillis ce matin, à l'entrée du bâtiment, le démontre.

Dolores Gonzalez-Hayes, Women Graduates US : Tout d'abord, un grand merci pour ce panel incroyable. C'est une problématique très importante.

J'ai travaillé pendant des années à soutenir des organisations qui aident des femmes victimes de la traite des êtres humains, surtout des Africaines. Je travaille désormais dans le domaine de l'éducation depuis dix ans.

J'ai découvert un outil numérique très utile, développé par l'Union européenne, à destination des écoliers, collégiens et lycéens, concernant les tactiques des recruteurs en ligne. Je suis intéressée par tout autre outil de ce type dont vous pourriez avoir connaissance et que je pourrais partager avec des enseignants et avec des parents pour qu'ils informent les jeunes de cette problématique.

Barbara Sessa, vice-présidente senior de la division produits grand public pour l'Europe chez Mastercard, Responsable du réseau des femmes de Mastercard : Je travaille pour Mastercard, service international de paiement, et je voulais apporter le regard d'une entreprise privée qui déploie en permanence des actions contre les contenus illégaux en ligne.

Notre annonce la plus récente concerne l'application des exigences en matière d'enregistrement des commerçants spécialisés aux commerçants de contenus pornographiques. Cela signifie que nous demandons aux banques qui connectent les commerçants à nos réseaux de certifier que le vendeur de contenu pornographique a mis en place des contrôles efficaces pour surveiller, bloquer et, si nécessaire, retirer tout contenu illégal. Si les banques ne mettent pas en place ces actions de contrôle, elles ne sont pas autorisées à effectuer des transactions dans le cadre du contrat qui les lie à Mastercard.

Nous parlions tout à l'heure des intérêts économiques. C'est cela qu'il faut faire : toucher les intérêts économiques est la seule façon d'avancer.

Stéphanie Caradec, directrice générale du Mouvement du Nid : Merci beaucoup pour l'organisation de cet événement. Je suis la directrice générale du Mouvement du Nid, une association de soutien aux personnes en situation de prostitution. Nous sommes partie civile dans l'affaire French Bukkake, aux côtés d'Osez le féminisme (OLF).

Je voulais appuyer ce qu'a dit Maïna Cerniawsky d'OLF sur l'importance de donner la parole aux victimes de la pornographie, que nous qualifions de prostitution filmée.

Cela fait plus d'une quinzaine d'années que, dans nos permanences, nous avons de plus en plus de personnes qui sont victimes à la fois de prostitution et de pornographie. La porosité entre ces deux milieux augmente : avec l'utilisation du téléphone portable, les clients demandent à filmer les actes et, dans le même temps, les personnes qui sont dans la pornographie se voient proposer des activités prostitutionnelles plus classiques.

Je voudrais revenir sur la manifestation qui s'est déroulée en bas du bâtiment ce matin. Il ne faut pas imaginer qu'il y aurait une binarité entre d'un côté des personnes qui se diraient travailleurs ou travailleuses du sexe, seraient concernées et connaîtraient la réalité, et d'un autre côté des personnes qui, de façon idéologique et hors sol, proposeraient d'interdire la prostitution et la pornographie.

Au quotidien, nous rencontrons des victimes et nous portons leur parole. Je vous invite à aller regarder notre podcast La vie en rouge dans lequel des victimes parlent de ce qu'elles ont vécu dans la pornographie.

Il faut faire attention à une instrumentalisation par des lobbies qui sont là pour protéger des intérêts financiers très forts.

Je vous remercie donc d'avoir porté la parole des survivantes. Nous attendons, avec impatience mais aussi fébrilité, le procès French Bukkake. Il y a soixante victimes qui ont toujours leurs vidéos en ligne et qui seront surexposées à l'occasion du procès.

Élise Pereira Nunes, adjointe au maire de Tours déléguée à l'égalité des genres et aux relations internationales, présidente de la dynamique Genre de Cités Unies France : Je représente ici différents réseaux de collectivités territoriales et de gouvernements locaux : Cités Unies France et Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU). Nous travaillons avec des collectivités du monde entier sur les enjeux d'égalité femmes-hommes et de lutte contre les violences.

Dans la lutte contre les violences, nous constatons la difficulté à prévenir les comportements. Il existe des freins, en France comme ailleurs, dès lors qu'il s'agit d'aborder avec les enfants et les adolescents les questions du corps, du consentement, du respect et de la vie affective dans les organes d'éducation publique. Il faut réussir à empêcher l'attirance des jeunes gens pour les contenus pornographiques qu'ils vont ensuite décliner dans leur vie privée. Au-delà du contrôle, il faut insister sur la prévention.

Laurence Rossignol : Merci beaucoup à toutes et tous pour ces interventions très riches. Je laisse la parole, pour la conclusion de cet événement, à Delphine O, ambassadrice, secrétaire générale du Forum Génération Égalité.

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