EXAMEN EN COMMISSION
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport d'information de notre collègue Anne Chain-Larché sur les contournements de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 en matière de vente de chiens et de chats, présenté au terme d'une mission « flash ».
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure. - Revenons, si vous le voulez bien, trois ans en arrière. La loi dite « maltraitance animale » a été adoptée fin 2021, au terme de débats disputés avec les députés en commission mixte paritaire. Les raisons de ces désaccords relevaient autant de la philosophie que de la méthode. Fondamentalement, en tant que rapporteure, je ne partageais pas - et ne partage toujours pas - la croyance qu'en retirant les animaux de nos vies, ou du moins en mettant toujours plus de distance entre eux et nous par des barrières réglementaires, on améliorerait automatiquement leur bien-être. Je rappelle au passage que, lors de l'examen du texte au Sénat, nous en avions complété le titre pour y ajouter « le lien entre les animaux et les hommes ».
La plupart des objectifs pratiques étaient cependant partagés : augmenter les sanctions pénales en cas de sévices graves, dont font partie les abandons ; mieux encadrer certaines pratiques et ainsi créer la base légale pour davantage de contrôles - ces contrôles étant véritablement la clé pour améliorer le bien-être animal ; et, enfin, responsabiliser nos concitoyens par un certificat d'engagement et de connaissance pour réduire les « achats d'impulsion » de chiots et de chatons, réputés sources d'abandons.
Comme je vous l'indiquais lors de la présentation du bilan de l'application des lois de notre commission, le ministère de l'agriculture a pris le sujet au sérieux, en publiant rapidement les décrets d'application sur le volet « animaux de compagnie ». À l'inverse, ce n'est pas le cas du ministère de la transition écologique sur le volet « animaux sauvages ». Celui-ci a trop tardé à fixer le cadre pour les cirques itinérants et, surtout, pour les parcs aquatiques accueillant des mammifères marins - dauphins et orques -, ce qui plonge aujourd'hui ces professionnels passionnés dans de graves difficultés.
Mais ce n'est pas le sujet du jour. La question de cette mission « flash » lancée il y a moins d'un mois, dont je vous présente les conclusions et les sept recommandations, est l'encadrement des modalités de vente des chiens et chats. Les associations de protection animale ont interpellé à ce sujet la ministre de l'agriculture, Annie Genevard, qui a souhaité que j'investigue cette question dans la mesure où j'avais été rapporteure de cette loi.
Pour rappel, l'article 15 de la loi dite « maltraitance animale », entrée en vigueur le 1?? janvier 2024, interdit la vente de chiens et de chats - et d'eux seuls - dans les animaleries. L'article 18 autorise les professionnels, dont ces mêmes animaleries, à poursuivre la vente en ligne d'animaux de compagnie, pour autant qu'elles respectent un certain nombre de conditions : rubrique spécifique aux animaux pour éviter de les banaliser comme n'importe quel article de commerce, identification des animaux obligatoire, messages de sensibilisation.
Par conséquent, la vente dans les animaleries est impossible, mais la vente par les animaleries est possible en ligne, quand bien même les clients viendraient ensuite récupérer l'animal en magasin - la vente, en droit civil, étant une opération abstraite : l'accord sur la chose et le prix. C'est le fameux « click and collect », que les associations de protection animale dénoncent comme un contournement de la loi.
Il est vrai que le régime résultant de la loi est bancal et que nous sommes un peu au milieu du gué. Faut-il pour autant se précipiter vers l'autre rive, en interdisant le « click and collect », qui concerne « une cinquantaine » d'animaleries, soit 0,5 % des ventes de chats et 0,05 % des ventes de chiens en France ?
Pour vous donner de but en blanc mon analyse de la situation, je vois plutôt dans la vente en ligne par les animaleries un moindre mal par rapport à la vente en ligne non adossée à un réseau physique, car au moins les animaleries sont un point de vente déclaré, identifié et contrôlable par les services vétérinaires. C'est d'ailleurs pourquoi je continue de regretter l'interdiction de la vente physique en animalerie qui s'est traduite, évidemment, par un report vers la vente en ligne, souvent en dehors de tout contrôle.
Je la regrette d'autant plus que, deux ans après son entrée en vigueur, j'attends toujours un indicateur fiable démontrant une diminution du nombre d'abandons en lien avec la fin de la vente en rayons. Nous avons légiféré sans étude d'impact et continuons de discuter sur des supputations. C'est pourquoi une première recommandation consiste, tout simplement, à ce que l'observatoire de la protection des carnivores domestiques, l'Ocad, mis en place en parallèle de la loi, établisse des statistiques précises sur le nombre d'abandons - on parle de 200 à 300 000 par an, toutes espèces confondues -, permettant de relier ces abandons aux différents canaux d'acquisition. Cela permettrait de mettre un peu de nuance et de rationalité dans le débat sur l'abandon, notion fourre-tout qu'il conviendrait de définir, dans laquelle on range aussi des séparations liées à des circonstances malheureuses de la vie - décès, départ en maison de retraite, divorce.
Les achats coups de coeur, réalisés sans que soient bien mesurées les implications financières et obligations de soins pour une quinzaine d'années, sont certes une réalité, que j'ai voulu prendre à bras-le-corps. La solution évidente que j'ai proposée avait été d'introduire un délai de sept jours avant l'acquisition d'un animal, pour forcer les acheteurs potentiels à réfléchir à deux fois avant d'acheter.
Or, faute d'outil d'un formalisme suffisant, ce certificat est parfois illégalement antidaté par les vendeurs. Par ailleurs, en raison d'une décision du Conseil d'État de mars 2025, à la demande d'animaleries, le délai ne court plus depuis la signature du certificat d'engagement et de connaissance, qui atteste de sa connaissance, mais depuis sa délivrance, que l'acheteur en ait conscience ou non, ce qui affaiblit sa portée.
Ma deuxième recommandation est donc d'imposer, par simple instruction ministérielle, la délivrance numérique, horodatée, du certificat sur l'interface de l'I-CAD, organisme chargé de l'identification des carnivores domestiques. La procédure serait ainsi incontournable et harmonisée.
Cela ne signerait pas la fin de tout abandon, car il s'agit d'un phénomène multifactoriel dont le mode d'acquisition n'est qu'une dimension. C'est une raison de plus de penser, pour filer la métaphore animalière, que les animaleries ont joué le rôle de bouc émissaire...
Faudrait-il donc admettre qu'avec l'interdiction nous avons largué les amarres pour un voyage incertain ? Et faudrait-il donc revenir au port, en allant jusqu'à réautoriser la vente dans les animaleries ? Je crains que cela ne nous conduise à nouveau à des débats stériles.
Je préconise plutôt - c'est là une troisième recommandation - d'aller au plus efficace, et de rapprocher les normes réglementaires d'hébergement de ces animaux de celles imposées aux élevages, sans aller jusqu'à un alignement complet, qui ne serait pas compatible avec le modèle économique des animaleries, et en leur laissant un délai de six mois pour les mises aux normes. Il y va du bien-être des animaux, mais aussi de l'équité avec les éleveurs, qui sont soumis à des normes plus strictes, par exemple en termes de surface par animal, aux termes d'un arrêté de 2014 qu'il conviendrait donc d'actualiser. C'est aussi une façon d'assurer la longévité des animaleries.
Cela doit bien sûr aller de pair avec des contrôles renforcés. Sur les animaux de compagnie, les services vétérinaires des directions départementales de la protection des populations n'interviennent souvent plus que sur signalement, par manque de moyens. Il y a aussi un manque de formation, sur ces enjeux spécifiques, d'agents plutôt spécialisés dans la sécurité sanitaire de l'alimentation. Refaire place à des plans de contrôle et, en leur sein, cibler davantage les animaleries est une quatrième recommandation. Trop souvent, faute de pouvoir contrôler, on a tendance en France à prononcer des interdictions...
Une cinquième recommandation a évidemment trait aux sanctions. Le « décret-sanctions » du 24 octobre 2022 punit le non-respect de la plupart des dispositions de la loi « maltraitance animale »... sauf une : l'interdiction de la vente de chiens et chats en animalerie. Je n'appellerais certes pas à faire preuve de zèle sur cette interdiction que je juge contre-productive... Mais force est d'admettre que, si une interdiction est actée, il convient, par cohérence, d'en assurer l'application. Le champ du décret-sanctions devrait être élargi à ces deux aspects : violation de l'interdiction de vente physique d'une part, et non-respect des normes d'hébergement renforcées pour la vente en ligne d'autre part.
Enfin, deux dernières recommandations n'ont pas trait aux animaleries, mais à des modalités de vente alternatives, qui me semblent être trop passées sous les radars. Mon souhait n'est pas de pointer du doigt tel ou tel canal plutôt qu'un autre, mais, précisément, d'assurer un encadrement homogène de la cession d'animaux, sans laisser prospérer des espaces de non-droit.
Sur les plateformes de petites annonces comme Leboncoin et les réseaux sociaux comme les groupes Facebook, le contrôle systématique de l'identification préalablement à la mise en ligne de l'annonce, pourtant exigé par la loi, n'est toujours pas une réalité. Une sixième recommandation serait que les sanctions, aujourd'hui dérisoires, soient rehaussées pour ces acteurs majeurs et, en cas d'absence de contrôle, véritablement prononcées.
J'en viens à ma septième et dernière recommandation : nous avons été alertés par bon nombre d'acteurs lors des auditions - et par certains d'entre vous - sur les ventes dans les foires et salons, événements éphémères où toutes les conditions de l'achat impulsif semblent réunies ; j'appelle donc la ministre Annie Genevard à lancer une inspection pour évaluer l'opportunité de mesures supplémentaires, en plus du délai de sept jours que je veux rendre incontournable.
Pour conclure, je veux redire à quel point il me semble important que l'éthique de responsabilité et le pragmatisme guident nos décisions dans ce dossier où les sentiments l'emportent souvent sur la raison. Et je crois que, avec nos sept recommandations, la ministre Annie Genevard dispose d'une feuille de route permettant d'améliorer la situation sur le terrain.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci d'avoir mené cette mission dans un temps très contraint et de continuer à suivre l'application de cette loi.
M. Daniel Salmon. - Merci pour ce travail nécessaire. Nous devons rester vigilants face aux achats impulsifs, qui entraînent des abandons, même si nous manquons en la matière de statistiques fiables. Les contrôles demeurent malheureusement insuffisants.
Se pose aussi la question des animaux « hypertypes », sélectionnés pour une caractéristique particulière et qui souffrent tout au long de leur vie. Les vétérinaires s'en inquiètent de plus en plus.
J'approuve les recommandations du rapport.
M. Yannick Jadot. - Si ces chiens ou chats sélectionnés à l'excès correspondent à une réalité, la société protectrice des animaux signale aussi régulièrement des abandons d'animaux, pour la seule raison qu'ils ne seraient pas suffisamment photogéniques pour des applications comme Instagram ou TikTok, au motif par exemple que leur pelage serait trop sombre...
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure. - Je suis heureuse que l'esprit transpartisan qui avait présidé en 2021 à l'examen de la proposition de loi prévale toujours. Pour mémoire, le Sénat avait alors réécrit à 85 % le texte transmis par l'Assemblée nationale. Comme je l'ai dit le 14 mai dernier lors de notre réunion de bilan de l'application des lois, nous devons désormais nous assurer que les mesures réglementaires attendues sont bien prises. À cet égard, nous regrettons les retards pris par le ministère de la transition écologique. Le combat n'est pas terminé.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à tous pour vos interventions sur ce sujet qui, loin d'être anecdotique, a des répercussions dans la société tout entière.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 11 h 45.