II. PLANIFIER DÈS AUJOURD'HUI LE MAILLAGE SCOLAIRE DE 2035
A. CO-BÂTIR LE MAILLAGE TERRITORIAL DE DEMAIN
1. L'urgence d'un partage des informations
L'ensemble des auditions a fait apparaître un constat partagé : il est urgent de mettre fin à une élaboration de la carte scolaire « en silo » et de renforcer le partage d'informations pour permettre l'élaboration d'un diagnostic partagé de la situation scolaire du territoire et de son évolution à court terme.
Or, le rôle des élus locaux est aujourd'hui cantonné à faire remonter les effectifs scolaires. Certaines mairies en ont d'ailleurs tiré les conséquences : à Versailles, les inscriptions ont été avancées à début février pour disposer de plus d'informations possibles au moment du CDEN de fin février/début mars élaborant la carte scolaire.
Lancés par Élisabeth Borne, alors Première ministre, dans le cadre du plan ruralité, les observatoires des dynamiques rurales ont vocation à renforcer les échanges entre les acteurs concernés - rectorat et élus locaux - mais aussi entre les services déconcentrés. Comme le soulignait en avril 2023 Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, il s'agit « par exemple qu'un maire venant de lancer la rénovation de son école ne découvre pas un mois plus tard qu'une ou des classes vont fermer ». Les rapporteurs partagent la nécessité d'une meilleure coordination entre les services de l'État, et notamment entre les crédits attribués à une commune au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou du fonds vert pour rénover une école et la carte scolaire, soulignée par plusieurs de nos collègues lors de l'examen de ce rapport en commission.
Ces observatoires des dynamiques rurales, qui selon le ministère de l'éducation nationale sont des instances de dialogue et de coordination en amont d'un conseil départemental de l'éducation nationale, ont été mis en place à la rentrée 2023-2024. Co-présidé par le préfet et l'inspecteur d'académie, il a vocation à « partager avec les élus locaux et en lien avec les autres services de l'État, une vision anticipée de ce que pourraient être les ouvertures ou les fermetures de classes en zone rurale. Cette instance doit en outre favoriser la cohérence des politiques publiques en termes d'aménagement du territoire éducatif en partageant une visibilité à moyen terme sur les évolutions démographiques attendues dans ces territoires ruraux et leurs implications potentielles en termes de carte scolaire »10(*).
Les appréciations sur ces observatoires varient selon les élus locaux rencontrés par les rapporteurs. Jean-Paul Carteret, premier vice-président de l'association des maires ruraux de France (AMRF), a indiqué qu'à la question posée lors de leur assemblée générale sur la mise en place de ces observatoires, un tiers des mains se sont levées pour indiquer une absence de mise en oeuvre ou, à tout le moins, l'absence de convocation cette année.
Dans certains territoires où ces observatoires ont été mis en place, ils sont perçus par les élus locaux, davantage comme des chambres d'enregistrement permettant à l'éducation nationale de justifier les suppressions de classe. D'autres élus locaux saluent au contraire cette initiative qui a permis de renouer le dialogue avec le préfet et le rectorat.
Les rapporteurs appellent à une mise en oeuvre effective de ces observatoires, non seulement dans la forme, mais aussi dans les objectifs qu'ils doivent poursuivre.
Ils estiment également nécessaire que cette démarche soit étendue aux territoires urbains qui eux aussi connaissent de fortes variations de démographie scolaire.
Par ailleurs, les rapporteurs souhaitent un meilleur partage des informations. Les élus locaux ont une connaissance fine de leurs territoires et de leurs dynamiques.
C'est le cas par exemple des projets de construction ou de réhabilitation de logements. D'une part, l'éducation nationale n'est souvent pas associée en amont lors des projets de construction de nouveaux quartiers.
D'autre part, les prévisions d'occupation ne sont pas les mêmes. Notre collègue Béatrice Gosselin indique ainsi que lors de la construction d'un nouveau lotissement, l'éducation nationale l'intégrait dans ses prévisions sur le principe d'un enfant en âge scolaire par pavillon. Or, si cette moyenne est sans doute vraie à l'échelle nationale, elle ne tient pas compte de la réalité à l'échelle territoriale et des cycles d'occupation des maisons. Le maire est le mieux à même de connaître la future population qui sera amenée à y habiter à court terme.
Bien qu'il s'agisse d'un cas particulier, la comptabilisation de la population en âge scolaire du 12e arrondissement de Paris illustre de manière symptomatique les divergences entre les statistiques des effectifs de l'éducation nationale à partir desquels la carte scolaire est élaborée et la réalité scolaire. En effet, chaque année, les écoles de l'arrondissement accueillent des enfants des forains de la Foire du Trône à partir de mars, qui ne sont pas inclus dans les effectifs de l'année en cours mais viennent pourtant grossir les classes.
Certaines villes disposent d'ailleurs d'une expertise particulière. La ville de Lyon a recours à plusieurs prévisionnistes. Quant à la ville de Versailles, ses services disposent d'indicateurs spécifiques sur le taux de natalité - et de l'autre côté du spectre sur celui du vieillissement. Or, Claire Chagnaud-Forain, adjointe au maire de Versailles, regrette que ces informations ne soient pas partagées avec l'éducation nationale et intégrées par celle-ci.
L'une des personnes auditionnées a indiqué sous forme de boutade qu'il existait trois chiffres des effectifs scolaires prévisionnels pour l'année à venir : celui transmis par les directeurs d'école, celui transmis par les mairies et celui donné par le rectorat. Elle a précisé que dans neuf cas sur dix, celui des directeurs d'école était celui qui s'approchait le plus des effectifs constatés le jour de la rentrée scolaire du fait de leur connaissance des familles et des fratries, ou les projets de déménagement, suivi par celui des collectivités territoriales.
Ces écarts dans les chiffres peuvent avoir des conséquences importantes. Le maire du 18e arrondissement de Paris a indiqué que le nombre d'inscriptions dans ses écoles au printemps 2025 est beaucoup plus important que celui prévu par le rectorat et pris en compte dans l'élaboration de la carte scolaire : « depuis le mois d'avril, nous savons que le rectorat devra rouvrir quatre classes dans trois écoles ». Se pose la question de savoir dans quelles conditions seront réouvertes ces classes : via le maintien de l'enseignant actuellement en place dans le cas où il n'a pas déjà été affecté sur un autre poste, le recours à des contractuels, via un puisement sur le vivier des remplaçants, ou encore via une modification de la carte scolaire parisienne touchant alors d'autres écoles.
Recommandation n° 1 : Afin de permettre une convergence de vue et d'améliorer l'acceptabilité des modifications de la carte scolaire, renforcer le partage d'informations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'éducation nationale. Créer des observatoires des dynamiques scolaires dans les zones urbaines sur le modèle des observatoires des dynamiques rurales. Veiller à un fonctionnement effectif de ces derniers.
De manière plus générale, c'est la co-construction du service public de l'éducation nationale qui est à revoir. En effet, si le ministère de l'éducation nationale est compétent sur les programmes scolaires, le recrutement et la gestion des équipes pédagogiques et administratives, les collectivités territoriales sont responsables du bâti scolaire ainsi que de l'équipement des établissements scolaires. Or, trop souvent, le ministère annonce des décisions qui, dans les faits, ont des conséquences directes sur l'exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences. C'est notamment le cas du dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 où dans certaines écoles les communes ont dû en quelques mois « pousser les murs » pour permettre la création d'une ou plusieurs classes supplémentaires. Il en est de même pour l'équipement numérique des salles de cours ou des élèves par les collectivités territoriales, pour lequel celles-ci ne disposent d'aucun retour sur leur utilisation effective.
2. La nécessité d'une meilleure connaissance des objectifs de l'éducation nationale à l'échelle territoriale
L'éducation nationale fonctionne de manière cloisonnée. L'élaboration de la carte scolaire est perçue par les élus locaux comme étant uniquement à la main de l'éducation nationale et conduite de manière opaque, ou sans autre critère que celui de la démographie.
L'approche uniquement démographique pour la définition du nombre d'ETP ouvert dans le budget a également été dénoncée par la commission de la culture lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Le nombre d'ETP supprimés dans le primaire public dans le texte initial répondait davantage à une logique mathématique qu'à une réflexion sur l'organisation du maillage territorial scolaire : les services statistiques du ministère de l'éducation nationale avaient prévu une diminution de 74 258 élèves au primaire entre les rentrées 2024 et 2025. Cela correspond à 3 155 classes de 24 élèves en moins - soit exactement le nombre d'ETP dont la suppression était prévue dans la version initiale du budget.
Lors de son audition, Claire Chagnaud-Forain, adjointe au maire de Versailles, a dressé le constat d'une élaboration « sans processus ni organisation, et en l'absence de toute norme ».
La définition de la carte scolaire pour 2025 a été symptomatique d'un manque de dialogue entre l'éducation nationale et les collectivités locales - en raison des attentes de celles-ci après l'annonce de la non-suppression des 4 000 postes.
Comme l'a souligné Frédéric Leturque, co-président de la commission « éducation » de l'Association des maires de France (AMF), « en octobre dernier nous nous attendions à une rentrée 2025 difficile avec l'annonce de la suppression de 4 000 postes ; d'où notre grand bonheur lorsque le gouvernement est revenu sur cette décision. Et puis arrive la carte scolaire et le couperet est tombé dans beaucoup de départements de manière aussi violente que les années précédentes » ; et de conclure sans appel : « au niveau de la façon dont on reçoit ces mesures, c'est difficile de faire pire ». Les élus rencontrés ont tous fait part de leur incompréhension sur la carte scolaire proposée dans leur département, notamment au regard des annonces budgétaires de non-suppressions de postes.
Les choix des recteurs d'académie ou des DASEN d'utiliser certains de ces postes pour des politiques éducatives transversales expliquent un différentiel parfois important entre l'annonce politique de non-suppression, la baisse des effectifs de dotation pour la rentrée 2025 et le nombre de classes supprimées. À Paris, le nombre d'ETP est en baisse de 110 pour la rentrée 2025. Or, 176 classes font l'objet d'une fermeture pour 22 ouvertures, soit l'équivalent de 154 ETP. Aucun élément d'information n'a été communiqué aux équipes pédagogiques et aux élus locaux pour expliquer cette différence de 44 ETP.
Les rapporteurs ne remettent pas en cause cette prérogative du recteur qui est de piloter les politiques éducatives en tenant compte des moyens attribués par l'administration centrale. Bernard Beignier, ancien recteur d'Aix-Marseille puis de Paris, compare ce rôle à celui d'un metteur en scène qui dispose d'une certaine liberté pour monter une pièce dont le texte est imposé. À titre d'exemple, en Mayenne, le DASEN a fait le choix, dans le cadre de la convention signée avec le département, de mettre en place un réseau de « titulaires remplaçants ruralité » apprécié par les écoles qui en bénéficient11(*).
Toutefois, ils appellent à plus de transparence et de prévisibilité dans les axes de pilotage de la politique éducative à l'échelle des territoires. Cette objectivation des critères ainsi qu'une projection à moyen terme sont de nature à renforcer l'acceptabilité des mesures de la carte scolaire.
Aussi, et sans remettre en cause les priorités nationales ou académiques de politiques éducatives, ils appellent à la présentation de manière périodique - par exemple tous les 6 ans, soit le mandat d'un maire - des grands axes de politiques éducatives territoriales sur lesquels sont ensuite définies les ouvertures et fermetures de classe. Le mandat local est en effet une temporalité structurante pour lancer des projets d'investissement importants : rénovation énergétique de l'école, regroupement pédagogique, école du socle, ...
L'obligation de rénovation
énergétique des bâtiments publics,
un investissement
conséquent pour les bâtiments scolaires
Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire fixe un objectif de neutralité carbone en 2050 pour les bâtiments publics de plus de 1 000 mètres carrés. La majorité des collèges et des lycées sont concernés, tout comme environ 40 % des écoles (en moyenne les écoles de 6 classes et plus).
Or ces travaux ont un coût important : la mission d'information sur le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique12(*) l'évalue à 1 100 à 1 700 euros du mètre carré pour atteindre l'objectif de 2050 visant une réduction de 60 % de la consommation finale.
Recommandation n° 2 : Afin de penser le maillage des établissements scolaires à moyen terme et de renforcer la transparence dans l'élaboration de la carte scolaire, faire établir par les services déconcentrés de l'éducation nationale, en association avec les observatoires des dynamiques scolaires et rurales, une stratégie éducative territoriale sur six ans qui préciserait notamment les critères et orientations en matière d'ouvertures et de fermetures de classe.
3. Une demande accrue de prévisibilité dans l'évolution du maillage territorial
Qu'il s'agisse d'une fermeture d'établissement scolaire, d'un regroupement pédagogique ou d'une nouvelle carte scolaire, ces évolutions ont des conséquences parfois lourdes sur les élèves, l'organisation familiale ainsi que sur les communes concernées et doivent donc être accompagnées et anticipées.
En avril 2023, dans le cadre du plan France ruralités, Élisabeth Borne, alors Première ministre et Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale, ont indiqué envisager une carte scolaire pluriannuelle sur 3 ans.
Le 8 avril dernier, David Lisnard, président de l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, et Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative, ont signé un protocole d'accord relatif à l'école. Celui-ci prévoit pour l'élaboration de la carte scolaire, d'une part, une concertation renforcée avec les maires afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de chaque école et, d'autre part, le partage par les services de l'éducation nationale « d'une projection à trois ans sur l'évolution des effectifs scolaires ».
Pour les rapporteurs, ce partage d'informations s'impose. Toutefois, ils estiment nécessaire d'aller plus loin en prévoyant l'élaboration d'une carte scolaire sur trois ans, avec le cas échéant, à la marge, des modifications en cas d'évolution forte et non prévue des effectifs, tant à la hausse qu'à la baisse.
Bernard Beignier, ancien recteur, estime qu'il n'est pas nécessaire de remettre à plat tous les ans la carte scolaire : « on peut raisonnablement dire à des élus qu'il n'y a pas de raisons que les prévisions démographiques varient fortement dans les trois ans à venir ou si c'est le cas les services du ministère reviendront rapidement vers eux. Il faut qu'un élu puisse dire à sa population que la carte scolaire est stable pendant trois ans ».
Cette prévisibilité est importante pour les familles, les élus locaux mais aussi pour les équipes pédagogiques. La capacité de se projeter à moyen terme participe à la qualité de vie au travail des enseignants et à l'attractivité des postes. Certains d'entre eux se retrouvent plusieurs années de suite dans un poste menacé et potentiellement soumis au mouvement de mutation avec les implications que cela peut avoir sur leur vie personnelle. Les rapporteurs rappellent que la fermeture d'une classe peut concerner plusieurs enseignants, notamment si celle-ci entraîne un changement du temps de décharge du directeur d'école. Les conséquences de la fermeture d'une classe se répercutent sur toute l'école. Il s'agit, pour reprendre les propos de l'une des personnes auditionnées, « de mettre fin aux détestables mois de mai et juin » pour les enseignants.
Recommandation n° 3 : Afin de donner davantage de sérénité aux équipes pédagogiques et de rétablir la confiance de l'ensemble des partenaires de l'école (enseignants, parents, élus locaux, rectorats), élaborer une carte scolaire pluriannuelle sur trois ans.
* 10 Réponse du Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse du 25 avril 2024 à la question d'Anne-Marie Nédélec.
* 11 Il s'agit d'enseignants à 50 % ou à temps plein, qui interviennent sur une ou deux écoles, soit pour un renfort dans les classes en plus de l'enseignant déjà présent, soit pour alléger les effectifs quelques jours par semaine en « ouvrant temporairement » une classe.
* 12 « Transition écologique du bâti scolaire : mieux accompagner les élus locaux », Rapport d'information n° 800 (2022-2023), Jean-Marie Mizzon, président, Nadège Havet, rapporteure.