B. INSCRIRE LA RÉUSSITE DES ÉLÈVES AU CoeUR DU MAILLAGE TERRITORIAL
1. Faire de l'enseignement en classe à niveaux multiples un axe important de la nouvelle formation initiale des professeurs des écoles
Les classes à niveaux multiples ne sont plus - depuis de nombreuses années - limitées aux écoles rurales. En France, neuf écoles sur dix ont au moins une classe regroupant des élèves de différents niveaux d'enseignement.
Ces classes représentent près de la moitié des classes (44 %) et accueillent près de la moitié des élèves du primaire (45 %)13(*). Cette proportion atteint 70 à 75 % dans certains départements.
Proportion de classes à niveaux multiples
par département ( %)
(DEPP, note 23.39)
Les classes à plusieurs niveaux sont devenues dans tous les départements une organisation pédagogique courante des écoles. La baisse démographique et ses conséquences en termes de fermeture de classe sont de nature à accentuer cette modalité d'organisation.
Aussi, les rapporteurs souhaitent que la conduite simultanée de deux niveaux d'enseignement soit l'un des axes importants de la nouvelle formation initiale des enseignants qui entrera en vigueur à la rentrée 2026. Ils rappellent également la volonté de la commission que les futurs enseignants suivent un stage pratique dans une classe à niveaux multiples14(*) au cours de leur formation.
Recommandation n° 4 : Afin de prendre en compte l'augmentation du recours aux classes à niveaux multiples, faire de la conduite simultanée de plusieurs niveaux d'enseignement un axe à part entière de la nouvelle formation initiale des enseignants.
2. Trouver l'équilibre nécessaire entre temps de transport et taille critique de l'établissement
Pour les rapporteurs, le maillage territorial scolaire doit être élaboré avec un impératif : la réussite des élèves.
Aussi, au regard du manque d'ambition scolaire par manque d'émulation mais aussi pour lutter contre toute assignation à résidence, le maintien d'un établissement scolaire avec de très faibles effectifs peut se poser.
Les rapporteurs soulignent également la situation particulière de l'enseignant d'une classe unique, seul adulte présent dans l'établissement scolaire que ce soit en cas d'incident ou d'accident, ainsi que sa solitude pédagogique : il ne peut pas confronter son point de vue et échanger avec un collègue sur une difficulté rencontrée par un élève dans ses apprentissages ou au quotidien avec la classe. Les rapporteurs notent d'ailleurs que le groupe de travail « pour une école cantalienne de qualité accessible à tous »15(*) regroupant l'ensemble des acteurs de l'école estime que « l'isolement est une difficulté reconnue comme majeure pour les élèves comme pour les enseignants. Aussi le groupe souhaite qu'aucune école ne fonctionne avec un seul enseignant ».
À la rentrée 2021, 7,2 % des écoles primaires et élémentaires ont une classe unique, leur nombre étant en forte diminution depuis les années 1970 (29,5 % des écoles étaient alors à classe unique)16(*).
Les rapporteurs sont convaincus que la fermeture d'une école n'est pas la mort d'une commune. En revanche, certains territoires ne doivent pas forcément devenir des « déserts scolaires ». L'important est de pouvoir scolariser les enfants à proximité, même si ce n'est pas dans leur commune de résidence.
Un maillage scolaire dense issu des grandes lois
visant à renforcer
la scolarisation des enfants
La France se caractérise par un maillage d'établissements scolaires particulièrement dense. Celui-ci est le résultat de l'histoire de notre pays et de sa politique de scolarisation des enfants, notamment en milieu rural. L'ordonnance du 29 février 1816 impose à toutes les communes de pourvoir à ce que les enfants reçoivent l'instruction primaire et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement. Le maillage communal est réalisé dès 1863, tandis que le maillage infra-territorial à l'échelle du hameau se développe à partir de 1863 et entre dans la loi en 1883 avec l'école de hameau.
La loi Goblet de 1886 prévoit que toute commune doit être pourvue au moins d'une école primaire publique. Le décret du 7 avril 1887 rend obligatoire la création d'une école de hameau, dès lors que celui-ci accueille 20 élèves, même contre l'avis des communes. Le tissu scolaire est ainsi à son maximum au début du XXe siècle. Cette représentation du maillage territorial scolaire qui correspond au nombre d'élèves et aux difficultés de transport d'il y a 140 ans imprègne encore fortement les discussions sur la carte scolaire.
Or, depuis le début du XXe siècle, un certain nombre de départements ruraux connaissent une baisse du nombre de leurs élèves, ainsi que la fermeture de premières écoles.
La loi du 12 février 1933 transformant les écoles spéciales rurales en écoles mixtes à une ou deux classes conduit à la fermeture de 3 000 écoles. Le IXe décret-loi du 30 octobre 1935 prévoit la fermeture des écoles de moins de 6 élèves. La circulaire n° 75-120 du 12 mars 1975 abaisse le seuil de fermeture des écoles à classe unique de 16 élèves à 12 élèves. Il est à nouveau abaissé par la circulaire du 16 décembre 1977 à 9 élèves.
10 départements ont moins d'élèves en 2023 qu'en 1833 : les Hautes-Alpes, les Ardennes, l'Aube, le Jura, la Haute-Marne, la Meuse, la Haute-Saône, la Somme, les Vosges et l'Yonne.
Il convient ainsi de trouver le bon équilibre proximité géographique, et taille de l'établissement, au regard notamment de la possibilité de maintenir une émulation entre élèves, de porter une véritable ambition scolaire pour ceux-ci et d'assurer la qualité de l'offre éducative.
La question du temps de transport tout comme les conditions - notamment climatiques - dans lequel il se déroule, doivent aussi être prises en compte au regard de l'âge des enfants.
Ainsi au regard de la distance entre deux collèges en zone très rurale, même avec de petits effectifs, ceux-ci doivent être maintenus si le temps de transport pour les élèves augmente significativement en cas de fermeture de l'un d'eux.
En 2018, 33 % des écoliers ruraux de 3 à 10 ans étaient scolarisés en dehors de leur commune de résidence et parcourent en moyenne 9,5 kilomètres. Quant aux collégiens, les trois quarts des jeunes ruraux sont scolarisés dans un établissement qui n'est pas situé dans leur commune de résidence et parcourent en moyenne 11 kilomètres. Cette distance atteint en moyenne 13,9 kilomètres pour les communes rurales très peu denses17(*). Toutefois, ces données recouvrent des réalités territoriales différentes, notamment en raison de la géographie : parcourir 14 kilomètres en plaine prend moins de temps qu'en zone de montagne.
Il n'existe actuellement pas d'études du ministère de l'éducation nationale sur le temps de transport et ses conséquences sur les résultats scolaires des enfants. Toutefois, les acteurs auditionnés s'accordent pour considérer qu'un temps de transport pour un collégien ne doit pas excéder 30 à 35 minutes par trajet.
L'indice d'éloignement des
collèges : une évolution
de la méthodologie de
calcul bienvenue
Depuis 2018, la DEPP calcule l'indice d'éloignement des collèges, constitué de différentes variables telles que la distance entre la résidence des élèves et le collège, la densité de collège dans un rayon défini, la distance à la Segpa, l'Ulis, l'Upe2a, la section sportive, la section linguistique la plus proche, mais aussi intégrant une variable de nature sportive et culturelle, à savoir la distance au gymnase, à la piscine, au cinéma, au théâtre ou à la bibliothèque la plus proche.
En 2022 est intervenue une évolution dans le calcul de ces variables : la notion de durée routière s'est substituée à la distance « à vol d'oiseau ».
Les rapporteurs saluent cette évolution du mode de calcul qui correspond à la réalité quotidienne des collégiens, particulièrement pour les zones de montagne. Ainsi dans l'exemple donné dans le rapport de la DEPP justifiant ce changement de calcul, la distance entre le village de Granile et Nice passe de 20 kilomètres à vol d'oiseau à 40 kilomètres soit 45 minutes par la route18(*).
Outre des collèges situés en Guyane et sur les îles du Ponant, les établissements scolaires disposant de l'indice d'éloignement les plus élevés sont situés à la Guadeloupe, dans les Alpes-Maritimes, en Haute-Provence et en Corse.
Les rapporteurs ont également la conviction que les limites administratives des collectivités territoriales ne doivent pas constituer des frontières infranchissables pour la carte scolaire, notamment pour les collèges, lorsque la situation géographique le justifie. C'est le parti pris par le DASEN pour le collège de La Chaise-Dieu en Haute-Loire, qui y a facilité la scolarisation des élèves du département voisin. De même, à Valréas dans le sud de la Drôme, territoire pour lequel Bernard Beignier a indiqué aux rapporteurs avoir travaillé avec ses équipes pour faciliter les dérogations avec le département voisin des Bouches-du-Rhône.
Par ailleurs, près d'un enfant sur cinq se rend dans son établissement scolaire en transport scolaire. Or, il s'agit d'une compétence dont les régions se sont saisies à la suite de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Lors de son audition, Jérôme Dumont, président du conseil départemental de la Meuse et président de la commission « éducation » de l'Assemblée des départements de France (ADF), a souligné la difficulté d'élaborer la carte scolaire des collèges sans la compétence transports : certaines régions imposent la présence d'au moins 20 élèves pour ouvrir une ligne de ramassage scolaire. Cette imbrication d'acteurs plaide pour un partage d'informations et une concertation renforcée entre l'ensemble des acteurs du service public de l'éducation.
3. Accompagner davantage les établissements scolaires disposant d'une organisation spécifique et les personnels qui y travaillent
Les travaux des rapporteurs ont porté sur des établissements disposant d'une organisation spécifique. C'est notamment le cas d'écoles du socle qui regroupent au sein d'un même établissement cycle du primaire et collège, ou encore du collège des Îles du Ponant.
Le collège des îles du Ponant
Les enfants des îles de Batz, Ouessant, Molène, Sein, Groix, Houat-Hoëdic étaient jusqu'en 1974 scolarisés sur le continent, en internat à partir du collège. À la suite d'une tempête à la veille des vacances de Noël en 1974, ne leur permettant pas de rentrer chez eux, est né le collège public des îles du Ponant. Il s'agit d'un établissement scolaire dont le siège administratif se situe à Brest, et qui possède une antenne sur chacune des îles pour accueillir les élèves - souvent dans le même bâtiment que les élèves de l'école primaire.
Les enseignants se déplacent sur les différentes îles, les emplois du temps variant en fonction des marées et des horaires des bateaux. Les cours sont également assurés en visioconférence, avec un système de roulement de la présence de l'enseignant entre les îles. Des projets communs réunissent les élèves de ces îles d'un même niveau.
Le rectorat s'est engagé à maintenir chacune des antennes ouvertes tant qu'il reste un enfant à scolariser.
Pour les rapporteurs, l'école du socle ne doit pas uniquement répondre à une problématique démographique réunissant sur un même site un nombre plus important d'enfants, mais a tout son intérêt lorsqu'elle apporte une valeur ajoutée dans les apprentissages des élèves.
À cet égard, la mise en oeuvre de l'école du socle à Jussey jusqu'à l'année dernière en est un exemple intéressant puisqu'elle visait à faciliter la liaison « CM2-6ème » en créant des moments de vie commune entre les élèves du cours moyens et ceux du collège. Outre l'accès aux équipements du collège (CDI, laboratoire de SVT), la dernière heure de cours des CM1 et des CM2 se passait au collège en lien avec les enseignants du second degré.
Si cette expérimentation a été encouragée et accompagnée par l'académie lors de son lancement et jusqu'à l'année scolaire 2023-2024, la fin des dotations spécifiques accordées à l'établissement a remis partiellement en cause ce dispositif pédagogique - les infrastructures du collège restant toutefois ouvertes aux écoliers. Les rapporteurs regrettent cet abandon du soutien de ce projet qui porte pourtant ses fruits : les résultats aux évaluations nationales de collège ainsi qu'au diplôme national du brevet sont en augmentation.
Pour sa part, le DASEN de la Vienne a indiqué que les écoles du socle présentes dans sa circonscription permettent des interventions des enseignants du second degré, en sciences par exemple, dans le cycle 3 (CM1-CM2) et inversement, une intervention des enseignants du primaire au collège pour le renforcement des enseignants fondamentaux.
De manière générale, les rapporteurs appellent à mettre en place un suivi renforcé des établissements scolaires présentant une organisation atypique ou de petite taille. Ils pensent notamment aux écoles regroupant plus de trois niveaux scolaires au sein d'une même classe. Pour celles-ci, une formation spécifique et un accompagnement renforcé de l'enseignant par l'IEN de circonscription sont nécessaires dès la première année.
Ce suivi renforcé de ces établissements atypiques doit aussi permettre de s'assurer que cette organisation pédagogique particulière se fasse dans l'intérêt des élèves, dans la recherche d'un équilibre entre réussite scolaire des élèves et établissements de proximité, au nom de l'égalité des chances.
Recommandation n° 5 : Afin de garantir le bien-être et la réussite des élèves ainsi que la qualité de vie au travail des équipes pédagogiques, mettre en place un accompagnement et un suivi renforcés pour les écoles de petite taille (notamment celles disposant d'une classe regroupant au moins trois niveaux scolaires) ou disposant d'une organisation spécifique.
* 13 Un recours très répandu aux classes à niveaux multiples dans les écoles, note n° 23.39, DEPP, septembre 2023.
* 14 « Formation initiale et continuée des professeurs : au-delà des effets d'annonce, bâtir sur la durée une formation de qualité fondée sur la simultanéité des apprentissages académiques et des pratiques professionnelles », Max Brisson, Annick Billon, rapport d'information n° 683, 2023-2024.
* 15 Ce groupe de travail est constitué de l'association des maires du Cantal, de la FCPE, du directeur départemental de l'éducation nationale, de la FSU, de l'UNSA, de la CGT et de la FAL (février 2025).
* 16 Un recours très répandu aux classes à niveaux multiples dans les écoles, note n° 23.39, DEPP, septembre 2023.
* 17 Entre ville et campagne, les parcours des enfants qui grandissent en zone rurale, Insee, 18 janvier 2022.
* 18 Indice d'éloignement des collèges, actualisation 2022, Document de travail n° 2023-M02, DEPP, novembre 2023.