IV. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 25 juin 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport d'information de MM. Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin sur la Mission d'information état des lieux de la santé mentale depuis la crise du covid-19.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous abordons à présent l'état des lieux de la santé mentale depuis la crise du covid-19. Les travaux de Jean Sol, Céline Brulin et Daniel Chasseing s'inscrivaient dans le programme de contrôle de notre commission de la session 2023-2024, mais avaient dû être reportés en raison de notre forte charge de travail. Nous avons entendu, dans ce cadre, en audition plénière, M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie le 26 mars dernier.

M. Jean Sol, rapporteur. - Depuis quelques semaines, nous entendons beaucoup parler de la santé mentale des Français sur un ton alarmiste. Ces discours ne sont pas galvaudés : psychiatres, psychologues, infirmiers et médecins scolaires, agences régionales de santé (ARS), associations, hôpitaux psychiatriques, maires et administrations : tous les témoignages recueillis lors de nos auditions et de nos déplacements vont dans ce sens. Manifestement, et contrairement à ce que nous espérions, la santé mentale des Français ne s'est pas améliorée une fois la crise du covid-19 terminée.

Nous éviterons de vous assommer de chiffres, mais voici quelques données, tout de même, pour mieux appréhender ce que nous qualifions de « dégradation » de la santé mentale. En 2023, 16 % des Français étaient touchés par un syndrome dépressif ; près d'un quart présentaient des signes d'anxiété et plus de 70 %, des problèmes de sommeil. Pour tous ces indicateurs, on constate une nette augmentation par rapport à 2017. Nous reviendrons plus en détail sur la situation des jeunes, mais j'aimerais souligner que nous avons été particulièrement sensibles, au cours de nos travaux, à la situation des personnes âgées. Du fait principalement de leur isolement, elles sont très vulnérables sur le plan psychologique. Le dire est important, car leur souffrance psychique est souvent minimisée.

Maintenant que le constat est dressé, comment expliquer que les Français vont de plus en plus mal ? Bien sûr, la crise sanitaire a laissé des traces. Mais il existe des causes plus profondes, comme l'isolement social, qui gagne de plus en plus de Français, et la précarité, qui constitue sans surprise l'un des principaux facteurs de vulnérabilité aux troubles dépressifs. Nous constatons aussi que l'oeuvre de déstigmatisation produit des effets, en améliorant la détection des troubles. Cette dynamique devrait continuer de prendre de l'ampleur : cette année, la santé mentale a été consacrée grande cause nationale. Le sujet est massivement investi dans les médias, ce qui est très positif. Toutefois, tout l'enjeu réside dans la réponse qui est apportée aux personnes qui osent enfin pousser la porte du cabinet médical.

La situation de notre jeunesse est très préoccupante. Tous les indicateurs sont au rouge : pour ne citer que quelques exemples, les troubles anxiodépressifs touchent près de 30 % des jeunes âgés de 11 à 24 ans. En 2024, un quart des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours de l'année écoulée. Le nombre de passages aux urgences et d'hospitalisations de mineurs pour tentative de suicide, scarification et crise grave sont aussi en hausse et les lignes d'écoute sont de plus en plus sollicitées. Le nombre de refus scolaires anxieux progresse aussi et entraîne des décrochages scolaires. Tous les acteurs auditionnés constatent que la dégradation de la santé mentale est beaucoup plus sévère chez les jeunes filles. En 2022, la prévalence du risque de dépression atteint 31 % chez les collégiennes et les lycéennes, contre 21 % chez les garçons.

Ce tableau est sombre et il nous oblige à rechercher les causes - je dis bien « les » causes, car elles sont multiples. Il y a bien sûr, nous l'avons tous en tête, l'impact des réseaux sociaux. Au cours de nos travaux, ils ont systématiquement été mentionnés comme facteur de mal-être. Les écrans déconnectent les jeunes du réel, réduisent leurs interactions sociales et leur activité physique. Mais les réseaux sociaux vont plus loin encore, en exposant les jeunes à des contenus violents et au harcèlement en ligne. L'enfant n'est plus en sécurité nulle part, puisque via le téléphone, il est exposé jusque dans sa chambre aux déchaînements de haine. Là encore, il faut noter que l'usage des réseaux sociaux affecte plus massivement les jeunes filles. Elles les consultent plus que la population générale et sont surtout plus exposées à des contenus qui stigmatisent certains critères physiques, à la vengeance pornographique et aux challenges dangereux. Certaines vidéos accessibles sur les réseaux sociaux vont jusqu'à encourager les troubles alimentaires, l'automutilation et le suicide.

Les troubles anxieux et dépressifs s'expliquent également par l'inquiétude que suscitent le contexte économique, les conflits armés et le dérèglement climatique. Tout cela participe à une sorte de morosité ambiante et donne aux jeunes le sentiment d'un lendemain trop difficile, d'enjeux insurmontables.

Il faut, à tout cela, ajouter les difficultés subies sur le plan individuel. L'école, par exemple, peut être source d'angoisse. Les infirmières et les médecins scolaires ont insisté auprès de nous sur le stress qu'éprouvent les élèves au sujet de leur orientation professionnelle, notamment pendant la période des candidatures sur Parcoursup. Enfin, n'oublions pas que les violences intrafamiliales ont progressé depuis 2020, et que dans leur enfance, 13 % des femmes et 5,5 % des hommes ont subi des violences sexuelles. Autant de traumatismes qui concourent à l'apparition de troubles psychiques.

Un dernier mot sur le rôle des substances addictives. Les addictions et les troubles psychiques sont intimement liés et s'alimentent mutuellement : les addictions peuvent favoriser l'apparition des troubles et inversement, la souffrance psychique peut pousser à la consommation de drogue, qui est vue comme une échappatoire. Or nous savons qu'une part non négligeable de jeunes est exposée à la consommation de drogues. Une étude de 2022 de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) établit que 16 % des élèves de seconde et 31 % des élèves de terminale ont expérimenté le cannabis. Il nous semble important que le Gouvernement prenne la mesure de cet enjeu, en renforçant, sous l'angle des comorbidités réciproques, le volet addictologie de la feuille de route.

La dégradation de la santé mentale s'accompagne d'une augmentation des besoins en soins, ce qui met à rude épreuve notre système de santé.

Nous nous sommes penchés sur le rôle de la médecine de ville, qui assure la prise en charge de premier niveau. Médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens, psychologues et autres professionnels de santé qui exercent en ville sont en effet le point d'entrée de nombreux patients dans le parcours de soins. Ils ont donc un rôle tout particulier dans le repérage et l'orientation des patients atteints de troubles psychiques. Il faut rappeler, et j'insiste là-dessus, que la santé mentale fait partie intégrante de la santé au sens large : elle ne doit pas être traitée à part et doit mobiliser tous les acteurs du soin.

Les médecins généralistes ont une responsabilité toute particulière, puisque 30 % de leur patientèle présente un trouble de santé mentale et qu'ils sont à l'origine de 90 % des prescriptions de psychotropes. Pour autant, de l'avis de nombreux acteurs, leur rôle dans la détection et la prise en charge des patients n'est pas optimal, soit par manque de temps médical, soit en raison d'une formation lacunaire sur les enjeux de santé mentale. Pour y remédier, nous avons identifié quelques pistes. La première consiste à développer la coopération entre médecins généralistes, infirmiers et psychiatres. Un modèle de soins collaboratif expérimenté en Île-de-France semble faire ses preuves. Il place auprès de chaque patient atteint d'un trouble psychique une équipe pluridisciplinaire : le médecin, qui détecte le trouble ; une infirmière, qui prend en charge le patient et assure son suivi régulier ; et un psychiatre référent, disponible pour apporter son expertise. Une deuxième piste, qui nous semble très prometteuse, consiste à placer des infirmiers en pratique avancée (IPA) spécialisés en psychiatrie et santé mentale (PSM) au sein des maisons et des centres de santé. Nos déplacements sur le terrain nous ont permis de constater que des hôpitaux, comme celui du Rouvray, mettent à disposition leurs IPA au sein de ces structures pour y réaliser des consultations avancées, ou pour assister le médecin généraliste. Cela montre qu'il est possible de mettre en place des stratégies de synergie entre l'hôpital public et les professionnels libéraux, qui sont très efficaces pour réduire les inégalités d'accès aux soins et, dans le même temps, rationaliser le recours aux soins spécialisés.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Les psychologues concourent aussi à la prise en charge des patients atteints de troubles légers à modérés. L'accès à cette profession s'est élargi grâce au dispositif Mon soutien psy, lancé en 2022 : près de 600 000 patients en ont bénéficié et 3,1 millions de séances ont été prises en charge. Des améliorations ont été apportées en 2024, comme la suppression de l'adressage préalable, ce qui va dans le bon sens.

Toutefois, ce n'est pas la solution miracle : le dispositif ne mobilise que 15 % des psychologues libéraux et certains territoires restent très peu couverts. Nous avons également été alertés sur le risque sérieux de rupture de prise en charge qui se présente, pour les patients, au bout des douze séances remboursées. Par ailleurs, les représentants des psychologues ne sont pas unanimes sur le bien-fondé de ce dispositif. Certains estiment que l'argent qui lui est consacré, 660 millions d'euros sur la période 2022-2026, devrait revenir prioritairement aux services publics exsangues.

Enfin, la première ligne, ce sont aussi toutes les professions au contact des publics vulnérables et, plus largement, tous les citoyens. Comme l'a exposé le délégué ministériel Frank Bellivier en audition plénière, le déploiement des formations aux premiers secours en santé mentale se poursuit. Nous saluons cette démarche et pensons qu'il serait utile de systématiser cette formation auprès des travailleurs sociaux, des forces de l'ordre et des enseignants. Nous plaidons aussi pour encourager la pair-aidance, qui donne de très beaux résultats en matière de réinsertion sociale et professionnelle. Je pense à l'association que nous avons visitée à Saint-Étienne-du-Rouvray, le Clubhouse, qui propose une grande variété d'activités à ses membres, atteints de troubles psychiques, pour les accompagner vers le milieu professionnel.

Nous avons également ciblé trois institutions en contact avec la jeunesse, qui nous paraissent déterminantes.

La première est la santé scolaire. Elle occupe, sur le papier, une position centrale dans le repérage des vulnérabilités psychiques et dans l'accompagnement des enfants. Pourtant, ce rôle stratégique contraste cruellement avec les moyens qui lui sont alloués. Nous ne reviendrons pas longuement sur le constat tristement connu de l'insuffisance des effectifs : seuls 57 % des postes de médecins scolaires sont aujourd'hui pourvus. Cette pénurie massive compromet la réalisation de nombreuses missions essentielles. Par exemple, la mise en oeuvre des bilans de santé, légalement obligatoires, se révèle en réalité très incomplète et très inégale selon les départements. Moins de 20 % des enfants bénéficient de la visite médicale de la sixième année. Certes, les annonces récentes d'Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, sont très largement axées sur la santé mentale. Toutefois, ces mesures resteront vaines, à défaut de s'atteler au chantier de l'attractivité des professions concernées.

En outre, les médecins et infirmiers de l'éducation nationale souffrent d'un isolement institutionnel préjudiciable à la bonne prise en charge des enfants en souffrance psychique. Il ressort de nos auditions que les médecins scolaires sont peu inclus dans les instances locales de coopération que sont les conseils locaux de santé mentale et les projets territoriaux de santé mentale. Cette coordination n'est pourtant pas difficile à mettre en place et nous recommandons aux ARS et aux élus locaux de mieux intégrer la médecine scolaire dans ces instances.

Nous nous sommes également penchés sur les maisons des adolescents (MDA), structures pluridisciplinaires utiles pour répondre aux spécificités de cette période charnière qu'est l'adolescence. Il faut leur reconnaître l'avantage d'être un lieu moins stigmatisant que les structures de la psychiatrie pour un public peut-être plus sensible encore aux a priori sur les troubles psychiques. Les 123 maisons des adolescents sont donc en première ligne pour accueillir les jeunes en détresse psychologique : 72 % des 100 000 adolescents qui s'y rendent abordent un sujet en lien avec la santé mentale. Malheureusement, elles non plus ne sont pas exemptes de difficultés : près de 25 % ne disposent pas de médecin en leur sein. En outre, si leur nombre a augmenté et permet désormais de couvrir tous les départements, leur accessibilité territoriale est vraiment perfectible. Il convient dorénavant d'encourager le développement d'antennes locales ou d'unités interdépartementales. Surtout, il est indispensable de sécuriser la part de leur budget allouée par les ARS, alors que les finances des collectivités territoriales permettent difficilement d'envisager des efforts supplémentaires. Enfin, il faut bien admettre que les maisons des adolescents ne sont pas la solution miracle, leur file active étant bien moindre que celle des centres médico-psychologiques (CMP). Elles ont plutôt vocation à agir en complémentarité.

La troisième institution est l'aide sociale à l'enfance (ASE). Il ressort de nos travaux une nette impression de délaissement des enfants qui lui sont confiés, alors qu'ils sont plus sujets que les autres aux troubles psychiques en raison de leur parcours de vie souvent très chaotique. Nous avons eu le sentiment que, par manque de coopération, les différents acteurs se renvoient la responsabilité de la prise en charge psychiatrique de ces enfants. Les directeurs des établissements psychiatriques témoignent des difficultés de la protection de l'enfance à accueillir les enfants, ce qui accroît la durée de leur hospitalisation. À l'inverse, certains services d'urgences refusent des prises en charge, ou n'accueillent les enfants que de manière transitoire, laissant les équipes de l'ASE en très grande difficulté.

Nous n'avons pas de solution à tous ces problèmes, qui sont actuellement étudiés plus en détail par la mission d'information sur la protection de l'enfance. En revanche, nous attirons votre attention sur les équipes mobiles qui interviennent directement au sein des structures et qui peuvent contribuer à sortir l'ASE de son isolement. Des projets intéressants ont déjà vu le jour, portés par des établissements psychiatriques à La Réunion, en Loire-Atlantique ou dans le Doubs. Les résultats sont tout à fait concluants et nous recommandons de généraliser ces équipes mobiles, qui sont efficaces pour prévenir les hospitalisations.

Comme vous le voyez, répondre à l'accroissement des besoins en soins psychiques demande une impulsion politique ambitieuse. Pour cela, les pouvoirs publics se sont dotés d'une programmation de la politique de santé mentale. Depuis 2001, les différents plans se succèdent. La feuille de route actuelle, lancée en 2018, nous paraît plutôt positive. Ses priorités et ses mesures témoignent d'une réelle prise de conscience. Des financements ont été mobilisés, quoique insuffisants pour répondre à l'explosion de la demande de soins psychiatriques.

Toutefois, depuis 2018, les gouvernements successifs ont fait un usage immodéré d'annonces programmatiques. Sans être exhaustifs, rappelons les assises de la santé mentale et de la psychiatrie en 2021, la consécration de la santé mentale en grande cause nationale pour 2025 ou la présentation, il y a quelques jours, d'un plan psychiatrie. Il semble que cet empilement de programmes masque, en réalité, une impuissance réformatrice.

Plusieurs critiques peuvent être formulées sur la gouvernance. Premièrement, trop de mesures s'ajoutent sans nécessairement trouver de concrétisation. Cela ne peut qu'alimenter la frustration des professionnels comme des usagers. Je ne donnerai que l'exemple de la grande cause nationale. Entre les premières annonces volontaristes d'octobre 2024 et le lancement officiel de cette démarche ce mois-ci, une drôle de guerre s'est poursuivie pendant laquelle tous les acteurs sont restés dans l'expectative. Aux campagnes de sensibilisation devront succéder des mesures financées.

Deuxièmement, certains sujets fondamentaux, au premier rang desquels figure l'attractivité des métiers de la psychiatrie, peinent à s'imposer comme des priorités stratégiques.

Sans doute l'amélioration de la prise en charge psychiatrique passe-t-elle également par une meilleure coordination territoriale des acteurs. Les instances spécifiques de coopération dans le champ de la santé mentale répondent à cette nécessité et ont prouvé leur utilité. Toutefois, les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et les conseils locaux de santé mentale (CLSM) souffrent tous deux d'une grande hétérogénéité territoriale.

Les PTSM, pilotés par les ARS, sont parfois perçus par les soignants comme trop théoriques, voire trop technocratiques, en décalage avec les besoins du territoire. En parallèle de certaines réussites, comme dans le département de la Seine-Saint-Denis, les acteurs de terrain peuvent reprocher aux ARS de ne pas honorer, dans leurs différents arbitrages, les axes prioritaires validés dans le cadre du projet territorial. La seconde vague d'élaboration de ces projets territoriaux devra répondre à ces écueils.

Il convient bien sûr de promouvoir les CLSM auprès des élus locaux. Ils répondent à une vraie nécessité de concertation, à échelle communale ou intercommunale, entre tous les acteurs investis dans le champ de la santé mentale : élus, acteurs du secteur social et médico-social, du logement, services compétents de l'État... Néanmoins, ces conseils doivent demeurer des instances à l'initiative des collectivités. Nous ne pouvons donc que rester vigilants sur les tentatives de l'État d'uniformiser les modes d'action des CLSM : une instruction administrative de 2025, longue de seize pages, fixe par exemple un référentiel national. Il ne faudrait pas que celui-ci devienne opposable aux élus locaux.

M. Daniel Chasseing, rapporteur. - Aux difficultés éprouvées en première ligne s'ajoutent les faiblesses de la prise en charge spécialisée. Là aussi, vous ne serez pas surpris d'entendre que la rareté des ressources humaines dirige toute la réflexion sur le sujet.

En premier lieu, la discipline de la psychiatrie souffre d'un manque d'attractivité qui conduit à ce qu'un tiers des postes de psychiatres soient vacants au sein de l'hôpital public. La situation est plus alarmante encore en pédopsychiatrie : le nombre de salariés hospitaliers a diminué de 40 % entre 2010 et 2025, et un quart des départements sont complètement dépourvus de pédopsychiatre.

Cette désertification médicale empêche la prise en charge des patients dans des délais raisonnables, ce qui concourt à la chronicisation des troubles et, à terme, à la saturation des services d'hospitalisation et d'urgences psychiatriques. Ces difficultés concernent plus particulièrement les zones rurales et semi-rurales : dans le champ de la psychiatrie, les inégalités territoriales sont frappantes.

Nos échanges avec les équipes soignantes et dirigeantes de sept établissements psychiatriques nous ont permis d'objectiver la situation. Le taux d'occupation des hôpitaux psychiatriques dépasse très souvent le seuil recommandé de 85 %. Depuis la crise sanitaire, il atteint même, dans plusieurs établissements comme celui de Thuir, des taux avoisinant les 100 %.

Au sein de la psychiatrie publique, une attention particulière doit être portée aux 2 900 centres médico-psychologiques recensés en France. Comme vous le savez, ces centres ont été conçus comme le pivot du dispositif de soins du secteur, chargé de coordonner l'ensemble des activités ambulatoires sur le territoire. En accueillant aussi bien les patients qui entrent dans le parcours de soins que ceux en sortie d'hôpital, ils sont le relais entre la prise en charge de premier niveau, réalisée en ville, et la prise en charge spécialisée.

Or les CMP ne parviennent plus à assurer leurs missions. Leur saturation est telle que les patients doivent attendre jusqu'à six mois avant d'obtenir un rendez-vous auprès d'un psychiatre. Loin de leur logique de prise en charge universelle, les CMP sont contraints de réaliser un tri entre les patients, en ciblant les situations urgentes.

Après cette sombre présentation de la réalité, quels sont les motifs d'espoir ? Quels sont les axes de réforme prioritaires que notre rapport vous propose ? Ils sont au nombre de trois.

Premièrement, nous plaçons de grandes attentes dans le déploiement des IPA mention psychiatrie et santé mentale. Leurs compétences élargies, sous la coordination d'un médecin, et leur spécialisation en font des professionnels précieux pour tous les lieux de prise en charge. Leur compétence pour renouveler des prescriptions, suivre l'observance des traitements et coordonner les parcours permet de libérer du temps médical et d'éviter les ruptures de suivi.

À rebours de certaines réticences des médecins concernant les IPA en général, un large consensus prévaut dans le corps médical, notamment chez les psychiatres, sur la plus-value des IPA mention PSM. Il convient dès lors d'encourager leur recrutement dans les services psychiatriques, les CMP, mais également au sein de l'éducation nationale ou de l'ASE puisque cette possibilité a récemment été ouverte par la loi sur la profession d'infirmier.

Il s'agit également d'augmenter leur nombre, puisque seuls 548 IPA mention PSM sont recensés actuellement. Le développement de cette profession achoppe sur les modalités de formation à la pratique avancée des infirmières : celle-ci a un coût et suppose un remplacement. Nous enjoignons les ARS à mieux accompagner les établissements de santé sur ce plan.

Plus généralement, la rémunération des IPA ne rend pas cette profession attractive. Il conviendra de fixer des grilles indiciaires appropriées dans la fonction publique et de refonder leur modèle économique en libéral.

Deuxièmement, nous pensons qu'il convient de renforcer en priorité les CMP, pour qu'ils redeviennent le lieu privilégié de l'accès aux soins psychiatriques et qu'ils soient clairement identifiés par les patients.

Concernant les moyens, il est indispensable d'allouer plus de personnel à ces structures, en priorisant les territoires les plus en tension et les CMP infanto-juvéniles. Le renfort en IPA mention PSM serait particulièrement utile, puisqu'il permettrait aux patients en attente d'un rendez-vous médical de bénéficier d'un premier suivi spécialisé.

À cette occasion, nous pouvons d'ailleurs déplorer qu'une part importante des financements accordés par les ARS intervienne dans le cadre du fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (Fiop). Comme certains établissements nous l'ont signalé, il est regrettable que des dispositifs, qui ont pourtant fait leurs preuves, ne puissent bénéficier d'un soutien budgétaire des ARS au motif de ne pas être assez innovants. Pour reprendre les mots du Dr Louis Tandonnet, chef de service au centre hospitalier de La Candélie : « Désormais, pour obtenir des moyens, il faut innover - ou donner le sentiment à l'ARS d'innover - alors qu'on pourrait juste renforcer les missions des CMP. » Pierre angulaire de la prise en charge des soins spécialisés, le CMP a du mal à se départir de son image désuète. Pourtant, il est nécessaire de conforter son rôle comme porte d'entrée dans le parcours de soins.

Troisièmement, la priorité donnée au renforcement des CMP doit leur permettre de retrouver leur vocation naturelle à intervenir à domicile, en complémentarité des équipes mobiles spécialisées. Il s'agit là de réunir les conditions pour permettre les visites sur le lieu de vie, à domicile, mais aussi dans les structures médico-sociales comme les Ehpad.

Les équipes mobiles peuvent intervenir pour des situations spécifiques : c'est notamment le cas des équipes mobiles de psychiatrie de la personne âgée (EMPPA) ou des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP). Ces dispositifs, qui reposent notamment sur des IPA et des infirmières, présentent des résultats concluants pour prévenir les hospitalisations, éviter les ruptures de prise en charge et assurer l'observance des traitements. Ils se heurtent toutefois au manque de ressources humaines dans les services de psychiatrie, alors que ce type d'organisation mobilise beaucoup de personnel. Espérons, là encore, que la levée des freins au déploiement des IPA tiendra ses promesses. En parallèle, les financements apportés aux établissements pour ce mode d'organisation ne doivent pas se tarir.

Mes chers collègues, il ne faudrait pas que notre mission d'information ait comme conséquence de décourager les parlementaires face à l'ampleur de la tâche. Pour briser le cercle vicieux de la déconsidération de la psychiatrie, il nous revient de témoigner dans nos territoires de l'engagement des soignants, en dépit des désillusions provoquées par des annonces sans lendemain.

À nous, également, d'être vigilants sur les plans successifs qui nous sont présentés. À mi-parcours de cette année où la santé mentale a été érigée grande cause nationale, il est encore temps pour le Gouvernement de redresser la barre et de capitaliser sur la vraie réussite de ce début d'année : la déstigmatisation des troubles de santé mentale.

Bien sûr, la période est rendue complexe par le contexte financier contraint, mais un budget, c'est l'expression de choix politiques. Si les deux derniers gouvernements ont fait de la santé mentale une grande cause nationale, et si nous avons applaudi à cette décision, alors il est impératif d'en tirer toutes les conséquences, y compris en matière de moyens.

M. Philippe Mouiller, président. - Vous avez réalisé un important travail, qui a duré de nombreux mois et qui s'est appuyé sur plus de vingt-cinq auditions, deux déplacements et plusieurs tables rondes. Mes chers collègues, je vous invite à consulter les vingt-deux recommandations des rapporteurs.

Mme Florence Lassarade. - Je m'inquiète que votre rapport aborde si peu le sujet de la prévention et des écrans.

Lorsque je suis devenue sénatrice, en 2017, tous les maires de Gironde se félicitaient du déploiement des tableaux numériques dans les écoles maternelles. Il est crucial que nous envoyions un signal aux parents et aux enfants en sanctuarisant une école sans écran.

Par ailleurs, les troubles psychiatriques peuvent être prévenus par un accompagnement dès le plus jeune âge. C'est le rôle des pédiatres. Alors qu'ils ont un savoir-faire dans le dépistage précoce des troubles psychiatriques, ces professionnels ne sont inclus dans aucune forme de coopération. Pourquoi se priver d'une spécialité qui coûte peu et qui rapporte beaucoup ?

Je suis particulièrement préoccupée par les quantités de psychotropes prescrits aux enfants et aux adolescents. On dit que la France est fortement consommatrice de ces médicaments, mais il s'agit aussi d'une voie de facilité, employée par manque de connaissances.

Déplorons, enfin, qu'il ne soit pas prévu de former plus d'internes en psychiatrie...

Mme Laurence Rossignol. - Je félicite mes collègues pour ce rapport bienvenu, dont la publication intervient dans une actualité fortement marquée par la question de la santé mentale. Le constat qui en ressort est assez accablant.

Permettez-moi de présenter quelques éléments qui auraient pu être intégrés à votre rapport.

Concernant les écrans, vous auriez pu mentionner la consommation de contenus pornographiques chez les jeunes. L'hôpital Marmottan, spécialisé dans l'accompagnement des pratiques addictives, ouvre une consultation spécifiquement dédiée à l'addiction au porno. Il est donc admis qu'il s'agit d'une question de santé mentale. Le Sénat a un peu d'avance sur ce sujet, depuis la publication du rapport Porno : l'enfer du décor de la délégation aux droits des femmes.

Par ailleurs, il est important d'évoquer le désarroi et la solitude des familles des personnes atteintes de troubles mentaux. Elles-mêmes nécessiteraient un dispositif d'accompagnement spécifique...

En outre, d'immenses trous dans la raquette demeurent sur la prise en charge des troubles mentaux chez les auteurs de délinquance et chez les détenus. Or les conséquences sont nombreuses, notamment au moment de la sortie d'incarcération, puisque les troubles n'ont pas été soignés et qu'ils se sont parfois aggravés.

Enfin, il me semble que le temps est venu d'intégrer les psychologues à la coopération entre les médecins généralistes, les infirmiers et les psychiatres que M. Sol a évoquée. La France compte 80 000 psychologues, qui ont des expériences différentes, malgré une formation unique, à laquelle ils sont d'ailleurs fortement attachés.

Les situations sont très hétérogènes. Dans certains hôpitaux, les psychologues sont parfaitement intégrés aux équipes médicales, mais ce n'est pas toujours le cas. Par ailleurs, le dispositif Mon soutien psy s'est imposé comme le sujet majeur dès qu'il est question des psychologues, alors que d'autres questions demeurent. Nous faisons face à une pénurie de psychiatres qui devrait s'inscrire dans la durée. Je n'ai jamais compris quelles étaient les causes de la désaffection pour cette profession. La raison ne peut être uniquement financière : les psychiatres qui exercent en libéral sont correctement payés, et, à l'hôpital, ils touchent le même salaire que les autres médecins hospitaliers. Désormais, c'est le dernier poste demandé au concours d'internat : les étudiants y sont donc affectés par défaut, ce qui est assez dramatique !

Nous devrions inventer un équivalent des IPA pour les psychologues, afin d'augmenter le volume démographique de professionnels chargés de la santé mentale. Bien sûr, cela supposerait de bousculer un peu les médecins. C'est peut-être au Sénat d'ouvrir cette piste.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je remercie les trois rapporteurs pour leur excellent travail sur un sujet aussi préoccupant qu'urgent.

La consommation de cannabinoïdes de synthèse, notamment le PTC, pour « Pète ton crâne », vendu quasi exclusivement sur internet comme substitut du cannabis, entraîne des complications aiguës et des effets psychoactifs jusqu'à deux-cents fois plus puissants que ceux du tétrahydrocannabinol (THC). Il provoque des troubles psychiatriques aigus de panique, de paranoïa et une accélération de la schizophrénie. Cette drogue est particulièrement répandue en milieu rural, sans doute parce qu'il est facile de s'en procurer en ligne.

La prise en charge tardive de la santé mentale chez les jeunes conduit à des drames familiaux. Lorsque le jeune adulte, devenu majeur, méconnaît son état de santé psychiatrique, il refuse les soins, ce qui peut susciter un grand désarroi chez ses proches. Les hospitalisations d'office ne donnent pas lieu à des résultats probants, le traitement de l'addiction pouvant masquer de réels troubles psychiatriques, avec une violence accélérée.

Votre rapport doit donc mentionner ce phénomène grandissant. Les procureurs et les préfets sont fortement préoccupés.

Mme Anne Souyris. - Je vous remercie pour ce rapport, qui est attendu. Certes, la santé mentale est la grande cause nationale de cette année, mais le Gouvernement parle beaucoup sans réellement agir. Il est donc important que le Sénat se saisisse de cette question.

Mme Rossignol l'a dit : les psychologues ne sont pas inclus dans le parcours de soins. À l'exception du parcours Mon soutien psy, qui, selon moi, est un bon début, ces professionnels ne bénéficient pas d'un mécanisme de remboursement de leurs consultations ni d'une intégration automatique dans les équipes de soins.

On s'interroge sur les causes de la désaffection pour la psychiatrie. C'est sans doute en partie parce qu'il manque un élément dans le maillage. J'ignore si un équivalent des IPA pour les psychologues serait une bonne idée. Les psychologues suivent cinq années d'études : on n'en est plus à la simple licence, comme autrefois. Des spécialités hospitalières pourraient même être envisagées.

À Paris, au sortir du covid, les psychologues des centres de santé pouvaient prendre en charge directement les jeunes, qui avaient beaucoup souffert de l'enfermement. Cela a été un succès complet. Nous avions voulu faire le lien avec le circuit Mon soutien psy, qui peine à démarrer, mais cela n'avait pas été possible à l'époque.

C'est finalement la question du rapport au service public qui mériterait réflexion. Les psychologues libéraux ne devraient pas être les seuls à être inclus dans Mon soutien psy.

Concernant la prison, il n'y a pas de soins en détention. Ce qu'on y observe reflète en réalité ce qui se passe en France : dès qu'un détenu souffre d'un problème de psychiatrie, on lui donne des médicaments. Dans la dernière prison que j'ai visitée, 80 % des détenus étaient sous neuroleptiques lourds, sans suivi. C'est inquiétant.

À ce titre, je m'inquiète de votre recommandation concernant les équipes mobiles : les IPA risquent en effet de se contenter de prescrire des médicaments, sans proposer de réel suivi. Est-ce vraiment la solution ?

Mme Nadia Sollogoub. - Vos conclusions font écho aux travaux de la mission d'information sur les politiques de prévention en santé. En ressort la même impression de cacophonie, avec des actions qui se télescopent, sans réelle stratégie coordonnée ni vision globale, en particulier sur le long terme.

Qu'en est-il du partage des données en santé mentale ? La montée en puissance du dossier médical partagé (DMP) est une avancée. Les psychologues ont-ils accès au DMP ? Ce levier serait-il utile ?

M. Jean Sol, rapporteur. - Madame Lassarade, nous n'avons pas oublié les pédiatres dans nos travaux. Ils font partie de l'équipe pluridisciplinaire mentionnée.

Une mission d'information est en cours sur la prévention. Nous avons centré notre mission sur l'évolution des problématiques en santé mentale et ses conséquences sur le système de prise en charge depuis la crise sanitaire.

Quant aux prescriptions de psychotropes aux enfants, ce problème soulève un enjeu de formation des généralistes que nous soulignons dans le rapport. Un dialogue doit être mené avec les psychiatres, qui peuvent apporter une aide à la prescription.

Madame Rossignol, nous avons évoqué, certes de manière succincte, la question de la pornographie dans notre rapport.

Je vous rejoins dans vos propos sur l'accompagnement des familles. Les parents ne sont pas toujours accueillis dans les CMP ou les maisons des adolescents, faute de personnel compétent disponible. Il est nécessaire de renforcer cet accompagnement.

Les délinquants sont malheureusement fréquemment assommés de médicaments. La question de leur suivi et de leur accompagnement, en particulier lors de la sortie de détention, doit se poser.

Concernant la création d'un équivalent des IPA pour les psychologues, il me semble que la voie des psychologues cliniciens est celle qui doit être privilégiée. Deux positions ont émergé lors de nos auditions : certains psychologues sont assez favorables au dispositif Mon soutien psy et ont rapidement conventionné, d'autres y restent assez réfractaires. Cependant, de plus en plus de psychologues semblent enclins à conventionner, ce qui devrait permettre une avancée.

Les causes de la désaffection pour le métier de psychiatre sont multifactorielles. Nous en avons largement discuté lors des auditions et nous avons émis quelques recommandations en ce sens.

Madame Romagny, nous avons pointé le problème des addictions et de l'accès de plus en plus facile aux drogues. Alors que nous avons voté une loi pour interdire la consommation de protoxyde d'azote, nous continuons à voir des contenants traîner dans nos rues : on ne peut que s'en inquiéter. Nous recommandons donc de renforcer les CMP infanto-juvéniles et les moyens qui leur sont affectés, ainsi que les maisons des adolescents. À ce titre, pourquoi ne pas créer des maisons dédiées aux plus jeunes ? Parmi nos recommandations, nous suggérons aussi de mieux évaluer les effets des drogues sur la santé mentale.

Mme Céline Brulin. - Mme Lassarade a évoqué les écrans et la prévention. Le caractère multifactoriel des problèmes de santé mentale rend en réalité nécessaire une politique de prévention elle-même multifactorielle. Il y a un lien évident entre la précarité des populations et leur état de santé mentale. Une politique de prévention efficace consisterait donc tant à former au bon usage des écrans qu'à résorber la précarité !

La santé mentale des détenus mériterait sans doute un rapport à part entière. Nous avons tenu à délimiter le contenu de notre rapport.

Mme Laurence Rossignol. - Le rapport de la délégation aux droits des femmes et de la commission des lois Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes a largement exploré la question de la prise en charge des troubles mentaux des auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Pour notre part, nous nous sommes intéressés à l'action des équipes mobiles en milieu pénitentiaire, qui représente une partie importante de la réponse.

La désaffection pour la profession de psychiatre est un problème important, qui est en partie lié à la stigmatisation de ce métier. Nous avons rencontré de jeunes psychiatres qui parlaient avec grand enthousiasme de leur profession. Reconnaissons que les conditions de travail actuelles ne contribuent pas à susciter des vocations. Nous devons prendre cet élément en compte pour redonner envie aux jeunes d'exercer ce métier.

Concernant le partage de données, nous pensons qu'une piste d'amélioration consiste à donner aux médecins scolaires un accès au DMP, car la santé scolaire est actuellement très isolée. La loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap) a ouvert la possibilité juridique de rendre le DMP accessible à différents professionnels, mais les développements informatiques et les décrets se font attendre.

M. Daniel Chasseing, rapporteur. - Concernant la prévention, à laquelle la santé scolaire est censée contribuer, je rappelle que seuls 800 des 1 600 postes de médecins scolaires budgétés sont pourvus.

La consommation de psychotropes est en effet importante en France. Nous avons recommandé que, durant leurs études, les médecins généralistes suivent un stage en psychiatrie pour mieux se familiariser avec les traitements.

La question de la consommation des contenus pornographiques n'a pas été approfondie, car notre rapport concerne, de manière plus large, les enjeux de santé mentale.

Lors de notre déplacement à Perpignan, nous avons observé comment les services hospitaliers prenaient en charge les troubles mentaux des détenus. Le centre hospitalier du pays d'Eygurande, en Corrèze, a développé des équipes mobiles qui se rendent en prison. Certes, cela ne résout pas tout, mais des projets sont en cours pour que les détenus en situation d'urgence psychiatrique puissent être hospitalisés dans des services spécifiques.

La désaffection pour le métier de psychiatre s'explique, en partie, par le niveau inférieur des salaires dans le public.

Nous ne nous sommes pas penchés sur la création d'un équivalent des IPA pour les psychologues, car cette idée ne nous a pas été suggérée lors des auditions.

Il me semble que les équipes mobiles des CMP qui se déplacent en prison peuvent jouer un rôle très important pour remédier à la forte prescription de neuroleptiques en détention.

Madame Sollogoub, nous avons proposé de renforcer les CMP pour y intégrer plus de psychiatres. Face à la pénurie de ces personnels, l'inclusion d'IPA mention PSM apparaît comme une solution pour libérer du temps pour les psychiatres.

Mme Annie Le Houérou. - Je vous remercie à mon tour pour votre travail, qui souligne très clairement l'ampleur du désastre.

Vous avez dépeint la situation : seuls 800 postes de médecin scolaire sont pourvus, sur 1 600 postes budgétés. Les équipes mobiles sont présentes, mais elles peinent à intervenir, faute de moyens suffisants. Il y a un problème de recrutement des psychiatres. Les professionnels soulignent un décalage entre la théorie et la pratique : les structures existent, mais les ressources humaines manquent. En effet, la prise en charge de la santé mentale repose certes sur des médicaments, mais avant tout sur un accompagnement humain.

Des élus locaux m'ont interpellée à plusieurs reprises, car ils sont en première ligne pour gérer la situation qui précède la crise aiguë, laquelle est prise en charge par les urgences psychiatriques et les centres médico-psychologiques. Mais comment faire, lorsqu'il y a six mois d'attente pour accéder à ces services ? Il manque peut-être un maillon - IPA, infirmiers, psychologues.

Le premier problème est le déficit de démographie médicale. J'ignore si l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) se penchera sur cette question essentielle.

Mme Marion Canalès. - Le coût économique direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 100 milliards d'euros. Au travers de ce rapport, vous posez la question suivante : avec quelles équipes, quelles structures et quelle approche politique pourrons-nous répondre à ces enjeux ?

Comme vous, j'ai de grandes attentes vis-à-vis de l'élargissement des compétences des IPA. Vous avez souligné la pénurie de médecins scolaires, avec seulement 57 % des postes pourvus. Et on ne compte qu'un psychologue de l'éducation nationale pour 1 500 élèves...

Si la psychiatrie est moins choisie par les étudiants en médecine, c'est peut-être parce qu'il y a moins de réussites thérapeutiques à mettre en avant dans ce domaine, contrairement à la cardiologie, par exemple. Et avec l'envolée de la pharmacopée, on pourrait croire que tout se traite avec des médicaments, tandis que la dimension relationnelle est laissée de côté.

De nombreuses feuilles de route ont été lancées. Aujourd'hui, des financements ont été mobilisés, mais ils sont insuffisants. La France peut-elle continuer à organiser les soins sans consentement dans les conditions actuelles ?

Depuis le début de l'année, on constate des tensions d'approvisionnement et des ruptures de stocks sur quatorze médicaments utilisés en psychiatrie. Les conséquences sont dramatiques.

Enfin, pourrions-nous imaginer une loi de programmation, comme dans le domaine militaire, avec une mobilisation collective et intersectorielle, sur dix ans ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je remercie mes collègues pour leur rapport. Il est difficile d'en parler en quelques minutes, tant il y a de choses à dire sur la santé des jeunes. Je suis atterrée par vos conclusions, car quand la jeunesse va mal, c'est le reste de la société qui ne se porte pas très bien...

Vous avez évoqué la précarité. Des chiffres de l'Insee montrent que le nombre de tentatives de suicide est beaucoup plus important chez les jeunes des milieux modestes que chez ceux qui vivent dans de bonnes conditions.

Le dispositif Mon soutien psy est positif, mais quel suivi est proposé au terme des douze séances remboursées ?

J'ai appris avec étonnement que les médecins et les infirmiers scolaires ne sont pas inclus dans les instances de coordination. Ils sont pourtant les premiers, avec les assistantes sociales, à qui les élèves peuvent se confier. Comment faire pour que les ARS s'emparent de cette question ?

Dans mon département, on comptait six pédopsychiatres il y a deux ans : il n'y en a plus un seul. Alors que 2 400 enfants étaient suivis, ils ne sont plus que 1 200 aujourd'hui. C'est fort inquiétant. Les équipes sont très mobilisées : elles réunissent 63 professionnels, mais sans médecin, aucune prescription n'est possible : ces soignants eux-mêmes commencent à être à bout... Nous avons bien deux médecins étrangers, diplômés en pédopsychiatrie, mais ils n'ont pas validé leurs épreuves de vérification de connaissances. Le ministre de la santé a annoncé qu'il allait simplifier les conditions d'exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Les pédopsychiatres seront-ils concernés ?

Mme Anne-Marie Nédélec. - Je salue à mon tour le travail de mes collègues sur ce sujet si sensible.

Parmi les causes de la dégradation de la santé mentale, notamment chez les jeunes, vous avez identifié les multiples addictions, qui entraînent une déconnexion par rapport au réel. Vous soulignez, à raison, que l'enfant n'est plus en sécurité nulle part, à cause de son téléphone, tant il est exposé à des contenus quotidiens de haine, de violence, de pornographie et d'appel à l'automutilation ou au suicide.

Il faudrait donc mieux former aux écrans. On commence d'ailleurs à rétropédaler sur ce point : la tendance n'est plus aux écrans partout. Il est aussi nécessaire de mieux coordonner l'action des généralistes, des infirmiers et des psychiatres.

Cependant, à l'exception de quelques belles expériences, la prise en charge globale du patient, dans le domaine de la santé mentale comme de la santé physique, reste insuffisante, faute de moyens.

Devons-nous nous résigner à l'impuissance ? Ne pourrions-nous pas agir sur les causes profondes - autrement dit, sur les sites, les réseaux et les contenus ? Sans une telle approche, je vois peu de raisons d'espérer. Nous entrons dans une spirale infernale, où il faudra toujours plus de centres, de psychologues, de médecins scolaires - alors que tout cela ne se fait pas du jour au lendemain.

M. Jean-Luc Fichet. - Je vous félicite pour votre rapport. Il est en effet urgent que nous nous saisissions de cette question.

Pour apporter des solutions, la question des moyens reste importante, comme celle des professionnels de santé et du social. En effet, la maladie mentale, au quotidien, c'est aussi beaucoup de souffrance et de violences, susceptibles de retarder la guérison.

Dans le cas des maladies mentales, on a parfois le sentiment qu'il n'y a pas d'urgence. Or quand les familles cherchent à prendre rendez-vous avec un psychiatre pour leur enfant, il leur faut parfois attendre un an... Pourtant, la souffrance est bien présente. Et dès lors qu'un individu a connu une séquence psychiatrique, il est considéré comme porteur d'un passé psychiatrique. Il est très difficile de définir clairement quand la guérison est atteinte. Le trouble mental semble enkysté dans le milieu familial et dans l'environnement social du jeune.

Quand quelqu'un dit qu'il ne se sent pas bien, on a tendance à lui conseiller de se reprendre en main : mais avant d'admettre qu'il est peut-être malade et qu'il a besoin d'être accompagné pour guérir, toute une démarche doit être accomplie par son environnement...

Nous sommes encore bien maladroits pour apporter des réponses à ces questions. Cependant, les professionnels du médico-social ont un rôle très important à jouer. Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? Sans doute parce qu'ils accompagnent des patients dans une maladie qui n'est pas toujours gratifiante : on ignore quand la guérison est effective, les familles ne témoignent pas toujours leur reconnaissance et les rémunérations ne sont sans doute pas toujours au rendez-vous, alors que le rapport aux malades est assez particulier.

Nous devons donc avancer sur le sujet. Comme cela a été dit, la précarité est certainement un facteur aggravant de la maladie mentale.

Il y a urgence, donc, à identifier les causes et, surtout, à mobiliser l'ensemble des professionnels. Les psychologues ont un rôle très important à jouer dans un service public, afin de réduire les troubles de santé mentale.

M. Alain Milon. - Je salue le travail de nos rapporteurs.

Il me paraît important de distinguer les problèmes de santé mentale liés à un sentiment d'anxiété collective croissant et les maladies psychiatriques - schizophrénie, trouble bipolaire, dépression psychotique -, qui, pour leur part, n'ont pas augmenté ces dernières années. C'est bien cette angoisse collective qu'il faut prendre en charge, tout en continuant à soigner les personnes atteintes de maladies mentales.

Mettons-nous à la place des jeunes. Tout leur est présenté comme dangereux pour leur santé : la drogue, le tabac, le soda, et même l'eau, à cause des nanoparticules, ou toute une série d'aliments, parce qu'ils sont bourrés d'hormones ! Puis ces jeunes allument la télé, ils sont confrontés à la guerre en Ukraine, à Gaza, en Iran... On leur envoie sans arrêt des messages négatifs. Or vers qui peuvent-ils se tourner pour obtenir du soutien ? Leurs parents travaillent, leurs grands-parents sont parfois absents, leurs enseignants sont débordés - et il n'y a plus de curé ! Il ne leur reste plus que leurs camarades, qui, eux-mêmes, sont en état d'angoisse...

Vous émettez des recommandations sur les CMP. Les psychiatres ont accompli un travail considérable dans les années 1960 en mettant en place la territorialisation.

Concernant les IPA, je demande depuis des années que soit rétablie la formation des infirmières spécialisées en psychiatrie - si des IPA mention PSM sont formées, tant mieux. Par ailleurs, la validation des acquis de l'expérience (VAE) pourrait être pertinente dans le domaine psychiatrique.

Je veux ajouter deux remarques. Lors de l'audition de Santé publique France, ses représentants ont évoqué la dépression de la femme enceinte, pour parler de la dépression du post-partum : ce sont deux choses différentes !

Par ailleurs, la société européenne, dans son ensemble, va mal. C'est sans doute un peu moins le cas dans les pays du sud du continent, où l'attachement familial reste plus fort. Dans vos recommandations, vous ne pouvez finalement que demander à l'État de suppléer aux insuffisances de la société...

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Les élus locaux sont en effet en première ligne : la gestion des crises et les demandes d'hospitalisations sous contrainte représentent une charge, notamment mentale, très importante. Il n'existe pas de solution magique. Cependant, il faut développer les premiers secours en santé mentale, en s'appuyant sur différents acteurs au contact du public, ainsi que les IPA mention PSM dans les structures de proximité et les conseils locaux de santé mentale, car ceux-ci permettent une meilleure circulation des informations.

Pourquoi ne pas envisager une loi de programmation en santé mentale ? Même si les réponses dans ce domaine font appel à des acteurs très divers, je me méfie des mesures qui tendent à isoler la santé mentale du reste de la santé. Les professionnels de la santé ont un rôle à jouer : 30 % des patients consultent un généraliste pour des problèmes qui relèvent de la santé mentale.

Mon soutien psy a un intérêt, certes, mais c'est une réponse incomplète. Les plus précaires n'ont pas plus recours à ce dispositif que les autres catégories de la population, et il ne saurait remplacer une réponse coordonnée des différents professionnels : il doit être intégré à une réponse publique plus globale.

Madame Apourceau-Poly, nous manquons bien entendu de pédopsychiatres, mais il y a aussi un problème de répartition territoriale de ces professionnels de santé, comme dans l'ensemble des spécialités.

Nous avons été interpellés par de nombreux Padhue : je vous rejoins sur ce point.

M. Milon l'a bien dit : prenons conscience, malgré ce tableau très sombre, que tous les Français ne sont pas atteints de maladies mentales. Certains troubles, même s'ils sont très inquiétants et qu'ils se développent fortement, restent précisément à l'état de trouble : s'ils sont pris en charge rapidement, ils ne donnent pas lieu à des maladies.

Les écrans et les réseaux sociaux jouent un rôle dans le développement de ces troubles, mais ils ne sont pas le seul problème. Les perspectives auxquelles sont confrontés les jeunes, comme M. Milon l'a dit, ne sont pas faciles. Le chemin des adolescents n'est pas bordé de roses ! En revanche, les interactions sociales représentent une réponse. Mais il est certain que tous les jeunes ne sont pas égaux dans cette situation...

M. Daniel Chasseing, rapporteur. - Madame Le Houérou, le CMP est une brique indispensable entre l'hospitalisation et le domicile, et inversement. Il faut renforcer ce dispositif. Et puisqu'il n'y a pas assez de psychiatres, les IPA ont un rôle essentiel à jouer. Au centre hospitalier du Rouvray, en Seine-Maritime, douze IPA mention PSM rendent des services très importants. Les CMP doivent pouvoir recevoir les patients de manière urgente. Actuellement, ce n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle nous préconisons leur renforcement.

Le professeur Zagury, de l'hôpital Sainte-Anne, a indiqué que pour éviter les réhospitalisations, il faut aller vers les personnes qui ne sont pas revenues en consultation, grâce à des équipes mobiles.

Madame Canalès, il est vrai que certains médicaments sont en rupture. Le ministre de la santé a indiqué qu'il tenterait d'y remédier.

Pourquoi ne pas envisager une loi de programmation en santé mentale ?

Vous avez aussi évoqué la question des élus qui demandent une hospitalisation sans consentement. Les psychiatres connaissent également des problèmes liés à la judiciarisation croissante : lorsque des personnes sont hospitalisées sous contrainte, elles ne se considèrent pas malades et peuvent intenter des actions en justice à leur sortie.

La détection des troubles est effectivement un enjeu majeur. L'une des personnes que nous avons auditionnées a indiqué que la mère de l'élève qui a poignardé l'une de ses camarades à Nantes l'avait accompagné six fois à la maison des adolescents. Cependant, ces structures sont très hétérogènes en fonction des territoires : certaines ne sont pas dotées de psychologues. Aussi, le trouble de cet adolescent n'avait-il pas été détecté.

Madame Nédélec, il ne faut pas forcément « toujours plus » de structures : selon nous, la pierre angulaire reste le renforcement des CMP, pour que les rendez-vous puissent être obtenus très rapidement.

Monsieur Fichet, il est vrai qu'il est difficile de déterminer à quel moment le patient est guéri. Quand un malade souffrant de troubles psychotiques ne revient pas en consultation, il est nécessaire de le suivre, grâce aux équipes mobiles.

Enfin, monsieur Milon, tout le monde n'est pas malade, c'est vrai. Cependant, la première cause de mortalité chez les 15-25 ans reste le suicide, qui est intimement lié à l'angoisse que vous avez bien décrite.

Tous les psychiatres que nous avons auditionnés ont insisté sur la nécessité de conserver la sectorisation et de renforcer les CMP.

M. Jean Sol, rapporteur. - La problématique relative aux élus nous a en effet été remontée. Certains départements, au travers de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), ont développé des partenariats avec des structures comme les CMP ou les hôpitaux.

Monsieur Milon, certains chefs de service nous ont en effet dit que les infirmiers en psychiatrie leur étaient d'une grande aide. Cependant, le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur cette spécialisation infirmière.

Concernant la formation, nous avons constaté que certains jeunes infirmiers étaient complètement perdus dans les services de psychiatrie. Il faut favoriser dans leur cursus une présence un peu plus importante en stage dans ces services, de préférence dans des hôpitaux non universitaires. Certains médecins, de même, nous ont indiqué qu'il serait utile d'intégrer un tel stage au cours de leur formation.

Le manque de moyens pour la médecine scolaire, dont le rôle dans la détection des troubles est pourtant fondamental, est criant. L'absence de travail en équipe pluridisciplinaire a été évoquée par un grand nombre des personnes auditionnées, qui ont appelé de leurs voeux ce travail coopératif.

Certains dispositifs qui concourent à la prévention n'ont pas été évoqués. Je pense aux groupes d'entraide mutuelle, à Un chez-soi d'abord ou à la pair-aidance, qui fonctionnent très bien, et qui doivent être pérennisés.

Par ailleurs, nous avons constaté un manque d'information quant aux dispositifs existants. Les parents ignorent parfois la possibilité d'accéder à des structures qui pourraient grandement les aider. Une meilleure coordination est donc nécessaire, avec un plus grand travail en équipe pluridisciplinaire et un renforcement du partage d'informations.

J'espère que le Gouvernement, loin de se contenter d'avoir fait de la santé mentale la grande cause nationale de l'année 2025, donnera plus de moyens à ce domaine.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, je mets aux voix les recommandations de nos rapporteurs, ainsi que le rapport d'information.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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