N° 816

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la mise en place
des
directions départementales de la police nationale sur la filière investigation,

Par Mme Nadine BELLUROT et M. Jérôme DURAIN,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

L'ESSENTIEL

La réforme de la gouvernance de la police nationale portée entre 2020 et 2024 par l'ancien ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a suscité nombre d'inquiétudes, principalement liées à ses effets potentiels sur la police judiciaire. La création annoncée de nouvelles directions départementales ou interdépartementales de la police nationale (DDPN/DIPN) organisées par filières métiers et rassemblant, sous l'autorité d'un seul directeur, l'essentiel des services opérationnels de la police nationale a en effet alimenté les craintes d'un déport des enquêteurs spécialisés de la police judiciaire (PJ) vers des missions de voie publique. La pertinence de l'échelon départemental pour lutter contre une criminalité dite « du haut du spectre » qui ne connaît pas de frontières est par ailleurs apparue discutable.

Dans ce contexte, la commission des lois s'est une première fois emparée du sujet à l'automne 2022. Sans remettre en cause l'opportunité d'une réorganisation, ses rapporteurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain dressaient le 1er mars 2023 un constat sévère sur les premiers pas particulièrement chaotiques de cette réforme. Considérant que les conditions de réussite d'une réorganisation aussi ambitieuse n'étaient dès lors pas réunies, ils ont préconisé de la soumettre à un moratoire jusqu'à l'achèvement de la période olympique. Cette option a néanmoins été immédiatement écartée par le ministre de l'intérieur, qui s'en est tenu au calendrier initial en dépit des nombreuses alertes émises par la commission sur les risques d'un déploiement précipité d'une réforme elle-même inaboutie.

Près d'un an et demi après l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation, force est de constater que la plupart des inquiétudes formulées étaient fondées. Le déploiement à marche forcée des nouveaux organigrammes, particulièrement complexes si ce n'est illisibles, s'est ainsi traduit par un double phénomène d'affaiblissement de l'ancienne « PJ » au sein de la police nationale et de marginalisation de l'investigation spécialisée dans la filière.

Au terme de leurs travaux, incluant deux déplacements effectués dans les directions interdépartementales de la police nationale de Nantes et Nancy, les rapporteurs, dans le cadre de ce « droit de suite », maintiennent leur analyse et considèrent que la réforme n'aurait pas dû être menée dans ces conditions. Ils estiment néanmoins que son annulation risquerait de déstabiliser encore davantage une institution qui ne l'a pas encore totalement absorbée. À court terme, ils invitent donc à privilégier des correctifs concrets visant à atténuer les principales incohérences de la nouvelle organisation et formulent 15 propositions en ce sens.

I. UNE RÉFORME DÉPLOYÉE À MARCHE FORCÉE ET DANS LA CONFUSION, MALGRÉ LES NOMBREUSES ALERTES

A. UNE RÉFORME DÉPLOYÉE DANS LA PRÉCIPITATION, ALORS QUE LES CONDITIONS DE SA RÉUSSITE N'ÉTAIENT PAS RÉUNIES

Alors que les faiblesses de l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale étaient identifiées de longue date, l'ancien ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, reprenant une idée née au début des années 1990, a entendu mettre en oeuvre un ambitieux projet de réorganisation. L'objectif était de mettre fin au cloisonnement historique de la police nationale par l'installation de nouvelles DDPN ou DIPN réunissant au niveau départemental l'ensemble des filières, qui disposaient auparavant chacune de leur propre organisation.

Les conséquences de cette nouvelle organisation étaient particulièrement importantes s'agissant de la police judiciaire, dès lors qu'elle supposait de mettre fin à la césure traditionnelle entre les services traitant de la petite et de la moyenne délinquance (rattachés à la direction centrale de la sécurité publique - DCSP) et ceux de la police judiciaire « historique », compétente pour le haut du spectre et intervenant pour l'essentiel à un niveau supra-départemental (rattachés à la direction centrale de la police judiciaire - DCPJ).

Loin de faire consensus, ce projet a au contraire agrégé contre lui d'importantes oppositions, tant au sein de la police nationale que du monde judiciaire. Comme l'avait démontré le rapport d'information précité sur le sujet, la préparation du projet s'était caractérisée par de graves insuffisances. Sur le fond, les contours du projet sont longtemps restés flous, tandis que, sur la forme, un manque manifeste de concertation et une communication erratique pouvaient être relevés. Particulièrement préjudiciables, ces manques ont contribué à alimenter les inquiétudes :

- les inquiétudes de la police judiciaire avaient notamment trait au risque de dilution de cette filière hautement spécialisée dans une structure unique « noyée » sous le flot de la délinquance du quotidien. Partant, le risque d'un affaissement de la compétence spécialisée d'une police judiciaire par ailleurs déjà en crise était régulièrement évoqué ;

- les inquiétudes de l'autorité judiciaire tenaient notamment au risque de remise en cause du libre choix du service d'investigation que recelait l'institution d'un interlocuteur unique au niveau départemental, au potentiel amoindrissement de son pouvoir de direction et de contrôle des enquêtes ainsi qu'au risque d'affaiblissement de l'indépendance des enquêtes les plus sensibles et du secret des investigations.

Dans ce contexte, la commission avait considéré que les conditions de réussite de la réorganisation n'étaient pas réunies, qui plus est à moins de deux ans d'une échéance olympique particulièrement sensible en termes de sécurité, et a appelé à un moratoire sur sa mise en oeuvre jusqu'à l'automne 2024.

B. UNE NOUVELLE ORGANISATION PEU LISIBLE, À REBOURS DE L'OBJECTIF DE SIMPLIFICATION

Cette proposition a été immédiatement écartée par le ministère de l'intérieur, qui a maintenu le calendrier initial. La généralisation des DDPN a été mise en oeuvre à marche forcée pour aboutir au 1er janvier 2024 et au prix d'une grande confusion.

Alors que l'ancien directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, estimait que la nouvelle organisation serait « plus simple, plus lisible et plus efficace »1(*), force est de constater que c'est plutôt l'inverse qui est advenu concernant la police judiciaire. Concrètement, la nouvelle organisation se décompose en cinq strates distinctes :

- un échelon central repositionné sur un rôle essentiellement stratégique : la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) est chargée de l'animation et de la coordination de l'ensemble de la filière ainsi que des investigations sur la criminalité dite du très haut du spectre ;

un échelon zonal principalement dédié à la coordination : le service zonal de police judiciaire (SZPJ), dirigé par un directeur zonal adjoint (DZA-PJ) en charge de la police judiciaire assure, au niveau de la zone, des fonctions de coordination et d'arbitrage. Il exerce une autorité fonctionnelle sur l'ensemble des services de police judiciaire de la zone ;

- un échelon départemental et interdépartemental dédié à l'opérationnel : les services départementaux et interdépartementaux de la police judiciaire (SIPJ et SDPJ) rassemblent des unités d'investigation qui relevaient précédemment à la fois de la police judiciaire - via les divisions de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS) traitant des affaires dites de niveau 3 (pour les SIPJ) - et de la sécurité publique - via les divisions de la criminalité territoriale (DCT) ou de l'action judiciaire compétentes pour les affaires dites de niveau 2. Placé sous l'autorité hiérarchique du DDPN ou du DIPN et fonctionnelle du DZA-PJ, il exerce lui-même une autorité fonctionnelle sur tous les services locaux de police judiciaire (SLPJ) implantés dans le département. Dans 49 départements, la direction locale de la police nationale est dite « interdépartementale » (DIPN) : elle exerce une autorité sur un service interdépartemental de la police judiciaire (SIPJ), comportant systématiquement une DCOS ainsi que des services spécifiques dont le champ d'action dépasse le ressort du département (telles que les brigades de recherches et d'intervention) ;

un échelon local d'investigation qui réplique cette autorité duale : les SLPJ sont hiérarchiquement rattachés au chef de circonscription de police nationale (CPN) dépendant lui-même du DDPN/DIPN, mais sous l'autorité fonctionnelle du chef du SDPJ/SIPJ.

Schéma simplifié de la nouvelle architecture de la filière judiciaire
dans la police nationale

Source : commission des lois

Les rapporteurs constatent que cette nouvelle organisation, particulièrement complexe voire à la limite de la lisibilité, a en pratique créé au moins autant de difficultés qu'elle en a résolues. La coexistence systématique de l'autorité fonctionnelle et hiérarchique s'est notamment révélée particulièrement perturbante pour des personnels de la police nationale qui ne connaissaient traditionnellement qu'une autorité hiérarchique.

C. UNE NOUVELLE ORGANISATION INSTALLÉE SUR DES FONDATIONS QUI N'ÉTAIENT PAS STABILISÉES

Au-delà des limites intrinsèques de la nouvelle organisation, la réussite de son déploiement supposait un important travail de fond en matière numérique et de ressources humaines. Le calendrier imposé par le ministre de l'intérieur n'a pas permis de le réaliser dans les délais, fragilisant d'emblée le processus. Les travaux de rapprochement numérique nécessaires à la nouvelle organisation ne seront achevés qu'au 1er semestre 2026, soit deux ans après son déploiement. D'ici là, les incohérences des systèmes d'information continueront à gêner les enquêteurs. Les conséquences de la réforme n'ont également pas été suffisamment anticipées sur la gestion des ressources humaines. À titre d'exemple, la perte du bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté qu'elle pouvait induire pour certains personnels a empêché la création d'une division de la criminalité organisée dans près de 16 départements.

II. DES CRAINTES POUR LA FILIÈRE INVESTIGATION QUI SE SONT MALHEUREUSEMENT RÉVÉLÉES FONDÉES

Près d'un an et demi après son entrée en vigueur, le bilan de la réforme de la gouvernance de la police nationale est malheureusement sans ambiguïté. Cette réforme a certes eu quelques effets positifs qu'il ne s'agit pas de minimiser. On peut citer à cet égard une amélioration de la communication entre les différentes filières de la police nationale, auparavant trop cloisonnées, et une allocation des moyens ponctuellement optimisée. Ces quelques gains demeurent toutefois bien trop modestes pour justifier l'importante mise sous tension imposée à la police pour les obtenir. Surtout, les conséquences dommageables de la réforme sur la filière judiciaire sont, elles, d'ores et déjà perceptibles.

La mission d'information est malheureusement contrainte de conclure que les inquiétudes qu'elle avait exprimées dans son précédent rapport du 1er mars 2023 étaient fondées, et ce tout particulièrement dans trois domaines.

Premièrement, la filière investigation est aujourd'hui exposée aux arbitrages des DDPN et DIPN : si la crainte d'un déport des enquêteurs spécialisés vers des affaires de voie publique a pu être écartée dans la majorité des cas, certaines difficultés ponctuelles et le risque que cette « discipline » des DDPN et DIPN ne s'étiole avec le temps justifieraient que les principes de répartition des affaires au sein de la filière investigation soient fermement rappelés par le DGPN. Du reste, les anciens membres de la DCPJ bénéficient aujourd'hui d'un positionnement hiérarchique moins favorable et d'une visibilité moindre que par le passé, ce qui se manifeste notamment par leur absence aux réunions de sécurité organisées par le préfet. Les rapporteurs ont ensuite pu constater que la doctrine de la DNPJ n'était pas appliquée de manière uniforme, les enquêteurs continuant parfois localement à assumer des tâches périphériques qui devraient revenir à d'autres services (en particulier les défèrements). Si la « libéralisation » des échanges d'informations au sein de la filière est enfin un point positif, elle trouve néanmoins ses limites pour les affaires du haut du spectre, qui requièrent une grande confidentialité. Pour mettre un terme à l'accroissement des fuites d'informations généré par la réforme, la mission d'information appelle à clarifier les modalités d'échanges internes d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, au besoin en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement ;

Deuxièmement, l'unification de la filière investigation a entraîné une dilution de la compétence de l'ancienne police judiciaire : aux silos des directions centrales, se sont en effet substitués les « îlots » des directions départementales. Cette organisation a dégradé les conditions du partage d'informations sur la criminalité organisée, pour l'appréhension de laquelle l'échelon départemental s'avère totalement inadapté. Si des échanges peuvent aujourd'hui subsister de manière informelle, les rapporteurs estiment qu'il est urgent d'agir pour structurer des circuits d'information sur le haut du spectre et éviter que ce savoir-faire ne se perde, au gré des départs d'agents expérimentés. De manière plus générale, le risque est aujourd'hui réel d'une disparition du savoir-faire historique de la police judiciaire, tant celle-ci est exposée à des arbitrages défavorables de DDPN ou DIPN qui souhaiteraient prioriser le traitement des affaires d'une moindre gravité.

Troisièmement, les nouvelles instances de pilotage de la filière judiciaire sont marquées par une grande complexité, qui nuit à leur efficacité : au-delà de la complexité intrinsèque d'un nouvel organigramme faisant coexister autorité hiérarchique et fonctionnelle, la pertinence de l'échelon zonal ne semble pas acquise. De nombreuses personnes interrogées par les rapporteurs ont émis des réserves à son encontre, jugeant cette nouvelle strate « technocratique » et pointant un effet d'absorption d'effectifs d'enquêteurs hautement qualifiés à son profit alors même qu'elle n'a pas d'activité opérationnelle stricto sensu. Dans ce contexte, il serait a minima opportun de préciser, par voie d'instruction du DGPN, les modalités d'exercice de l'autorité fonctionnelle à chaque échelon territorial de la filière judiciaire et de clarifier, auprès de l'autorité judiciaire, les protocoles de saisine des services spécifiques interdépartementaux en cas d'affaires dépassant le ressort d'un département.

III. UNE CRISE D'ATTRACTIVITÉ DE LA POLICE JUDICIAIRE QUI N'EST TOUJOURS PAS RÉSOLUE

Si l'objectif premier de la réforme n'était pas de répondre à la crise d'attractivité dont souffre la filière judiciaire, force est de constater qu'elle ne l'a en rien enrayé, voire l'a aggravée. Les causes de cette perte d'attractivité de la filière judiciaire sont connues de longue date et ne se résument pas à des questions d'organigramme : complexité de la procédure pénale, cycles horaires exigeants, insuffisance du régime indemnitaire, responsabilité et la charge mentale pesant sur les enquêteurs, excessive lenteur de la réponse judiciaire ou encore obsolescence des outils informatiques, etc.

L'ensemble des indicateurs pertinents se sont dégradés depuis la précédente mission d'information et les rapporteurs ont, à nouveau, été systématiquement interpellés par les personnes auditionnées sur les difficultés structurelles de la filière, en particulier en matière de lutte contre la criminalité économique et financière. À titre d'exemple, on dénombrait un peu moins de 3,4 millions de procédures en stock à la fin de l'année 2024, tandis qu'à peine plus d'un élève gardien de la paix sur dix a obtenu la qualification d'officier de police judiciaire cette année-là (11 %).

Dans ce contexte, les rapporteurs ne peuvent que réitérer les recommandations précédemment formulées en mars 2023 et tendant, notamment, à rééquilibrer la répartition des effectifs entre la voie publique et l'investigation, à renforcer les effectifs dédiés à la lutte contre la délinquance financière ou à développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires.

LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 - Réaliser au plus vite les ajustements des fonctions support imposés par la réforme, en particulier dans le domaine numérique.

Proposition n° 2 - En vue d'achever la mise en place des services interdépartementaux de la police judiciaire (SIPJ), prévoir un mécanisme de compensation lorsque celle-ci entraîne une perte de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA).

Proposition n° 3 - Réaffirmer, par voie d'instruction du directeur général de la police nationale (DGPN), le principe selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Proposition n° 4 - Veiller à la diversité des profils dans les prochaines nominations des directeurs départementaux et interdépartementaux de la police nationale (DDPN/DIPN).

Proposition n° 5 - Garantir l'application uniforme de la doctrine de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) sur l'ensemble du territoire national, en particulier en matière de défèrements.

Proposition n° 6 - Clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

Proposition n° 7 - Tirer pleinement les conséquences des évaluations réalisées par les procureurs généraux et les procureurs de la République dans le cadre des décisions affectant la carrière des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

Proposition n° 8 - Adapter l'organisation locale des parquets à la nouvelle architecture de la police nationale, en désignant dans chaque département un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale auprès des directeurs interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

Proposition n° 9 - Mettre en place un cadre d'échanges d'informations opérationnelles supra-départemental centré sur le haut du spectre de la criminalité organisée.

Proposition n° 10 - Transmettre systématiquement les notes produites par le Sirasco aux enquêteurs des divisions de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS).

Proposition n° 11 - Conforter la ligne budgétaire nationale pilotée par la DNPJ dédiée à la lutte contre la criminalité organisée.

Proposition n° 12 - Préciser, par voie d'instruction du DGPN, les modalités d'exercice de l'autorité fonctionnelle dans à chaque échelon territorial de la filière judiciaire.

Proposition n° 13 - Définir des protocoles permettant de garantir une répartition interdépartementale des moyens des services spécialisés adaptée aux besoins des territoires et éviter leur absorption par le DIPN détenteur de l'autorité hiérarchique.

Proposition n° 14 - Clarifier, auprès de l'autorité judicaire, les protocoles de saisine des services enquêteurs en cas d'affaires dépassant le ressort d'un département.

Proposition n° 15 - Mettre en oeuvre les recommandations du rapport d'information du 1er mars 2023 visant à augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et à mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale.

AVANT-PROPOS

Si l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale était de l'aveu général profondément insatisfaisante, la réforme engagée entre 2020 et 2024 par Gérald Darmanin, alors ministre de l'intérieur, pour décloisonner sa gouvernance ne s'est pas faite sans heurts. Il s'agissait, dans le sillage des recommandations du livre blanc sur la sécurité intérieure, d'unifier les différents silos de la police nationale à l'échelle départementale, autour d'une logique de « filière métier ». Concrètement, cette réforme s'est traduite par la création de directions départementales ou interdépartementales de la police nationale (DDPN/DIPN) rassemblant, sous l'autorité d'un directeur unique rattaché au préfet, l'essentiel des services opérationnels de la police nationale.

Cette ambition de rationaliser l'organisation de la police nationale, qui n'est au demeurant pas nouvelle puisque Pierre Joxe avait porté un projet comparable dans les années 1990, n'était pas nécessairement illégitime. La conduite désordonnée d'un projet aux contours flous a néanmoins rapidement alimenté les doutes vis-à-vis d'une réforme manifestement très mal préparée. Ceux-ci se sont cristallisés sur les conséquences de la nouvelle organisation sur la police judiciaire, ici entendue au sens des missions de lutte contre la grande criminalité relevant des services de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Ces craintes, exprimées de plus en plus bruyamment à partir de l'été 2022, tenaient, d'une part, à l'hypothèse d'un déport des enquêteurs spécialisés de la DCPJ vers le traitement de la délinquance du quotidien et, d'autre part, à l'inadaptation de l'échelon départemental pour lutter contre une délinquance dite « du haut du spectre » qui ne connaît pas de frontières. Dans un même mouvement, l'autorité judiciaire a également fait part de nombreuses inquiétudes vis-à-vis d'une réorganisation territoriale perçue comme potentiellement de nature à remettre en cause le libre-choix du service enquêteur, à amoindrir le pouvoir de direction et de contrôle des enquêtes ou à mettre en péril l'indépendance et le secret des investigations.

Constatant la montée en puissance des oppositions à la généralisation d'une réforme qui n'avait été que timidement expérimentée, la commission des lois s'est emparée du sujet à l'automne 2022, en créant une mission d'information conduite par Nadine Bellurot et Jérôme Durain. Sans remettre en cause le bien-fondé de cette réforme, le rapport publié le 1er mars 20232(*) dressait un constat sévère sur les conditions particulièrement chaotiques de sa mise en oeuvre. La commission a considéré que les conditions de la réussite d'une départementalisation de la police nationale en général et de la création d'une nouvelle filière d'investigation unifiée en particulier n'étaient pas réunies. Afin de la préparer dans les meilleures conditions possibles et sans mettre en péril la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (JOP), elle préconisait donc un moratoire jusqu'à l'achèvement de la période olympique.

Cet avertissement a néanmoins été largement ignoré par le ministère de l'intérieur, qui n'a que très marginalement modifié son projet initial. Aucune évaluation de cette réforme pourtant structurante de la gouvernance de la police nationale n'ayant été conduite par la suite, la commission des lois a souhaité à nouveau faire usage de ses prérogatives de contrôle sur le sujet et a à nouveau désigné Nadine Bellurot et Jérôme Durain pour conduire des travaux d'évaluation.

Cette seconde mission d'information a auditionné 35 personnes et procédé à deux déplacements au sein des DIPN de Nantes et de Nancy. Ses travaux confirment que la plupart des craintes soulevées par la commission en 2023 étaient fondées.

On peut certes se réjouir que le choix délibéré de l'ancien Gouvernement d'ignorer les recommandations parlementaires n'ait pas eu de conséquences immédiates sur la sécurisation des JOP 2024. De la même manière, certaines inquiétudes préalables à la généralisation des DDPN ne se sont pas (ou peu) matérialisées. Les enquêteurs spécialisés n'ont notamment pas été significativement réorientés vers des missions de voie publique. De la même manière, le libre-choix du service enquêteur et l'indépendance des enquêtes ont été préservés.

Il n'en demeure pas moins que la mise en oeuvre à marche forcée de la réforme s'est traduite par une fragilisation de la police judiciaire au sein de la police nationale. Les quelques gains qui peuvent aujourd'hui être discernés dans la nouvelle organisation, notamment en matière de circulation de l'information entre les filières, sont trop marginaux pour justifier l'importante mise sous tension imposée à la police nationale sur les cinq dernières années pour la mettre en place. A contrario, ses conséquences dommageables sur la filière judiciaire sont d'ores et déjà perceptibles et alarmantes. L'unification du commandement à l'échelle départementale s'est faite au prix d'une marginalisation de la police judiciaire, d'une dilution de son expertise et de la mise en place d'organigrammes complexes, si ce n'est illisibles, entraînant des dysfonctionnements opérationnels.

Les rapporteurs, maintiennent l'analyse qu'ils avaient formulée dans le cadre de la première mission d'information et considèrent que la réforme n'aurait pas dû être menée dans ces conditions. Ils estiment néanmoins que son annulation risquerait de déstabiliser encore davantage une institution qui ne l'a pas encore totalement absorbée. À court terme, ils invitent donc à privilégier des correctifs concrets visant à atténuer les principales incohérences de la nouvelle organisation.

I. UNE RÉFORME DE LA POLICE NATIONALE MISE EN oeUVRE DANS LA PRÉCIPITATION, EN DÉPIT DES ALERTES ÉMISES PAR LA COMMISSION DES LOIS

A. LA GENÈSE DE LA RÉFORME : UNE VOLONTÉ DE RATIONALISATION ANCIENNE DE L'ORGANISATION DE LA POLICE NATIONALE

Loin d'être une idée nouvelle, la réforme de l'organisation de la police nationale mise en oeuvre entre 2020 et 2024 est l'aboutissement d'un processus de réflexion entamé dès le début des années 1990, sous l'impulsion de Pierre Joxe, alors ministre de l'intérieur. Il s'agissait alors de créer des directions départementales qui, sous l'autorité du préfet, auraient rassemblé l'ensemble des services opérationnels de la police nationale, à l'exclusion de la police judiciaire. Une expérimentation en ce sens avait été lancée à partir d'avril 1990 dans plusieurs départements avant d'être progressivement étendue puis généralisée. Comme le rappelait la commission des lois dans son rapport précité du 1er mars 2023, « l'objectif affiché était, d'une part, d'être plus efficace dans la lutte contre la petite et moyenne délinquance et, d'autre part, d'unifier des services dont le morcellement était perçu comme une entrave à l'efficacité des politiques de sécurité ». Cette réorganisation des services de la police nationale a néanmoins été interrompue par le ministre de l'intérieur Charles Pasqua en avril 1993, près de trois ans après son lancement.

Dans ce contexte, la commission des lois avait rappelé en 2023 que la réforme proposée par Gérald Darmanin n'était « pas nouvelle », qu'elle avait été « plusieurs fois envisagée mais jamais conduite à son terme », concluant que le « projet de départementalisation de la police nationale [alors] porté par le ministère de l'intérieur s'apparent[ait] davantage à une nouvelle version d'une réforme défendue antérieurement par différents ministres de l'intérieur ».

De fait, les faiblesses de l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale avaient été identifiées de longue date. Pour rappel, antérieurement à la réforme, l'ensemble de ses directions opérationnelles3(*) travaillaient en « silos », chacune des directions centrales disposant de son propre schéma d'implantation territoriale. Alors que la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) reposait sur une organisation départementale4(*), la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) combinait des échelons zonaux et interdépartementaux5(*) et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) des directions régionales et zonales (elles-mêmes décomposées en directions territoriales6(*)). Au-delà de son caractère difficilement lisible, cette organisation complexe était à l'origine d'importants coûts de coordination, voire de rivalités entre les services, avec, à la clé, des pertes d'efficacité opérationnelles avérées.

Une organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale à l'origine d'une perte d'efficacité opérationnelle

Sénat, rapport d'information n° 384 (2022-2023) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain
sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023

Chacune des directions de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire dispose d'une grande autonomie de fonctionnement, tant en termes opérationnels que de gestion des ressources humaines ou de gestion budgétaire. À titre d'exemple, la DCPAF et la DCPJ sont organisées aux niveaux interdépartementaux et zonaux, tandis que la DCSP est principalement organisée autour de l'échelon départemental, l'échelon zonal constituant un simple niveau de coordination.

Cette organisation fragmentée apparaît peu lisible et inadaptée. Cela s'ajoute à un mode de fonctionnement fortement centralisé et vertical, chacun des services déconcentrés ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale sans qu'il y ait suffisamment d'interactions avec les autres services au niveau local, ce qui pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale.

Comme le soulignait le livre blanc pour la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2021, « la police nationale d'aujourd'hui s'est constituée progressivement par la création de structures spécialisées qui ont été conçues pour accomplir des missions particulières (police aux frontières, police judiciaire, police technique et scientifique, renseignement, maintien de l'ordre, protection des hautes personnalités, intervention spécialisée) ». Elle est ainsi « marquée par sa verticalité qui, au fil du temps, a juxtaposé des services aux compétences croisées ». Le livre blanc indiquait également que « l'état des lieux a confirmé une attente partagée d'un pilotage renforcé et affirmé, d'une plus grande lisibilité, de décloisonnement, de déconcentration et donc de conjuguer une fierté d'appartenance à une grande et puissante maison avec une agilité retrouvée ».

Le fonctionnement de la police nationale, souvent qualifié de fonctionnement en silos ou en tuyaux d'orgue, ne permet pas une approche globale et pluridisciplinaire dans la compréhension et le traitement des problématiques de sécurité intérieure.

Ce constat s'appliquait de manière identique aux services exerçant des missions de police judiciaire. Exercée sous l'autorité de magistrats, celle-ci a pour mission de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs7(*). Avant la réforme, les missions de police judiciaire relevaient dans leur grande majorité de la compétence de deux directions centrales de la direction générale de la police nationale (DGPN)8(*), selon le degré de complexité des affaires. La DCSP traitait premièrement plus de 90 % des infractions enregistrées sur le territoire par l'intermédiaire des directions départementales de la sécurité publique et, au niveau local, des sûretés départementales ou urbaines réparties dans les circonscriptions de sécurité publique. Les infractions visées relevaient pour l'essentiel de la petite et de la moyenne délinquance - dites de « niveaux 1 et 2 », et notamment de la délinquance de voie publique. En termes quantitatifs, près de 15 000 des 65 000 personnels de la DCSP étaient en charge du traitement de cette délinquance de masse (23 %).

Les 5 640 personnels et 3 800 enquêteurs de la DCPJ étaient, deuxièmement, compétents pour le traitement des infractions les plus graves - dites de « niveau 3 » -, en particulier la criminalité organisée, le terrorisme ou la cybercriminalité. Elle regroupait neufs offices centraux et quatre sous directions opérationnelles au niveau central, ainsi que sept directions zonales ou régionales, 18 directions territoriales et 34 services de police judiciaire.

De la même manière que pour la police nationale, l'organisation antérieure de la police judiciaire - entendue ici comme la DCPJ - n'était pas exempte de défauts, largement documentés. La commission des lois en mettait notamment deux en avant dans son rapport précité du 1er mars 2023 :

- une organisation complexe, cloisonnée et peu efficiente : la commission relevait à ce titre l'existence de nombreux conflits de compétences entre les services ainsi qu'une circulation de l'information sous-optimale, ces faiblesses ne permettant pas « l'appréhension globale d'un phénomène tant à l'échelle d'un territoire qu'à l'échelon national ». Elle concluait que « chacun des services de police travaillait dans sa logique propre sur son territoire, sans nécessairement interagir avec les autres composantes de la police nationale » et au détriment de l'efficacité d'ensemble ;

- une organisation qui n'était plus adaptée à la criminalité du XXIème siècle : celle-ci se caractérise en effet par le développement de réseaux internationaux de criminalité organisée parfaitement structurés, avec des « têtes de réseaux » le plus souvent établies à l'étranger et de nombreuses ramifications locales. Dans ce contexte, la lutte contre la criminalité organisée et celle contre la criminalité du quotidien constituent les deux faces d'une même médaille. Cette imbrication est particulièrement prononcée en matière de trafic de stupéfiants, comme l'a démontré la commission d'enquête du Sénat de mai 20249(*) sur le sujet.

L'efficacité de l'action de la police nationale suppose dès lors une communication étroite entre les services de police judiciaire spécialisés, chargés de traiter le haut du spectre, et ceux de la sécurité publique, en première ligne face aux conséquences de l'action de ces réseaux criminels sur le terrain. Force était de constater que l'organisation antérieure de la police nationale, où subsistait une relative étanchéité entre ces deux versants, ne satisfaisait pas pleinement cette condition. Si la qualité des relations interpersonnelles entre les différents acteurs permettait un tant soit peu de pallier ce déficit de communication, il n'en demeure pas moins que les différents services exerçant des missions de police judiciaire étaient structurellement trop cloisonnés, voire rivaux, pour autoriser un partage d'information efficient. La multiplication des conflits de compétence, des structures transversales10(*) ou des protocoles de coopération - dont l'existence même pouvait sembler incongrue au sein d'une police nationale supposément unique - n'en étaient que les illustrations les plus flagrantes.

Au-delà de la question de l'organisation de la police nationale en général et de la police judiciaire en particulier, il doit être relevé que le projet de réforme porté par le ministre de l'intérieur est intervenu dans un contexte de crise aigüe pour la police judiciaire. Les causes de cette perte d'attractivité de la filière judiciaire sont connues de longue date et loin de se résumer à des questions d'organigramme. La complexité de la procédure pénale, les cycles horaires exigeants, l'insuffisance du régime indemnitaire, la responsabilité et la charge mentale pesant sur les enquêteurs, l'excessive lenteur de la réponse judiciaire ou encore l'obsolescence des outils informatiques sont autant d'éléments qui entretiennent la désaffection dont elle souffre aujourd'hui. Cette situation ne s'est malheureusement pas améliorée au cours des dernières années. De la même manière qu'en 2023, les rapporteurs ont été systématiquement interpellés par les personnes auditionnées sur l'ampleur des difficultés de la filière judiciaire et du désarroi des enquêteurs, et ce tant au sein de la police nationale que de l'autorité judiciaire11(*).

B. LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉFORME : UN DÉPLOIEMENT DANS LA PRÉCIPITATION, EN DÉPIT DES INQUIÉTUDES SUR SES EFFETS SUR LA POLICE JUDICIAIRE

1. Au-delà de la police judiciaire, une volonté de décloisonner l'ensemble de la gouvernance de la police nationale

Afin de remédier à ces insuffisances, le ministère de l'intérieur a mis en place à partir de 2020 un projet de réorganisation de la police nationale. Celui-ci était directement inspiré des conclusions du livre blanc sur la sécurité intérieure, qui appelait à une réforme d'ampleur de la police nationale autour de deux ensembles : une réorganisation à tous les niveaux territoriaux autour de filières métiers et le rassemblement, dans une entité unique au niveau départemental - la DDPN - de l'ensemble des directions actives. L'objectif était de mettre fin au cloisonnement de la police nationale en harmonisant les différentes structures existantes à tous les échelons territoriaux et en plaçant, au niveau départemental, l'ensemble des filières sous l'autorité d'un directeur unique rattaché au préfet.

Le projet était ainsi décrit dans le livre blanc sur la sécurité intérieure : « le modèle d'évolution envisagé préconise d'unifier la gouvernance de la Police nationale en regroupant les métiers au sein de filières animées à chaque échelon territorial par un directeur. ; cela se traduira par une réorganisation au niveau central de la DGPN autour de directeurs nationaux chargés d'animer chacun des métiers de la police ; un mouvement de déconcentration résolu du modèle de gouvernance ainsi rénové sera par ailleurs engagé ; les directeurs départementaux de la police nationale se subsisteraient aux actuels directeurs territoriaux (sécurité publique, police judiciaire, police aux frontières, etc.) »12(*).

La réforme de la gouvernance de la police nationale présentée
dans le livre blanc de la sécurité intérieure13(*)

« Instituer des directeurs territoriaux uniques de la police nationale : Dans les territoires, des directions territoriales de la police nationale seraient créées au niveau départemental et au niveau zonal, regroupant les effectifs de police de chacune des filières sur le modèle des 3 directions territoriales de la police nationale qui sont expérimentées depuis janvier 2020 en Outre-mer.

« Les modalités de répartition des compétences s'établiraient comme suit :

« - les directions départementales de la police nationale disposent de l'autorité hiérarchique et assurent la gestion « opérationnelle » des personnels et des moyens (en lien avec les SGAMI) ;

« - les directions « filières » nationales jouent un rôle d'animation et de coordination sur les agents relevant de leurs filières respectives.

« Ce projet ambitieux permettrait de conforter l'échelon territorial et notamment l'autorité des préfets de zone et de départements, tout en favorisant le rôle d'animation des filières par les directions nationales elles-mêmes dégagées des contraintes de gestion, sur le modèle de celui du SCRT.

« Eu égard au poids des contraintes territoriales et au risque de dilution des spécialités au profit des missions généralistes, il est impératif, comme c'est le cas pour le RT, que les règles d'emploi de chacun des filières ainsi que les modalités de régulation et d'arbitrage soient codifiées dans des doctrines écrites dont la DGPN serait garante en dernier ressort. »

Les conséquences de cette nouvelle organisation sur la police judiciaire étaient particulièrement importantes, dès lors qu'elle supposait de mettre fin à la césure traditionnelle entre les services traitant de la petite et de la moyenne délinquance - rattachés à la DCSP - et ceux de la police judiciaire « historique », compétente pour le haut du spectre et intervenant pour l'essentiel à un niveau supra-départemental - rattachés à la DCPJ. Si la nouvelle organisation projetée ne constituait pas nécessairement un bouleversement pour d'autres filières, son application à la filière judiciaire posait en revanche des défis organiques et géographiques inédits.

2. Une réforme mal préparée à l'origine de vives contestations

Loin de faire l'unanimité, la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation de la police nationale portée à partir de 2020 par le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a attiré contre elle de virulentes critiques, tant sur le fond que sur la forme. Sans remettre en cause le bien-fondé d'une réforme, la commission des lois avait ainsi dressé en mars 2023 un constat sévère sur la conception et les conditions de mise en oeuvre de ce projet.

a) De nombreuses défaillances dans la préparation de la réforme, sur la forme comme sur le fond

De premières insuffisances avaient été relevées dès les prémices de la réforme. Si la mise place d'une expérimentation préalable de la nouvelle organisation à partir de 2020 dans sept territoires d'outre-mer et dans huit départements hexagonaux14(*) procédait d'une intention louable, force est de constater que celle-ci était trop limitée pour pouvoir en tirer de réels enseignements. Les expérimentations hexagonales s'étant notamment déroulées à droit constant et à partir d'une « lettre de mission » relativement sibylline, les marges de manoeuvre des DDPN préfigurateurs étaient structurellement limitées. Il en a résulté des modèles extrêmement disparates, la mise en oeuvre concrète de l'expérimentation reposant de facto sur la seule bonne volonté des acteurs locaux. Si l'expérimentation pouvait être assimilée à une « coquille vide » dans certains départements, d'autres s'en sont saisis de manière plus volontariste. Ainsi, les rapporteurs avaient considéré « qu'au vu des limites intrinsèques de ces expérimentations, il n'était pas possible d'en tirer des conclusions définitives sur l'opportunité d'une généralisation immédiate ; [ces dernières ayant] néanmoins le mérite de mettre en évidence les bénéfices qui peuvent être attendus de la réforme autant que l'ampleur des défis qui devront être surmontés pour la mener à bien ».

En dépit de ces éléments d'alerte, le ministère de l'intérieur a entendu généraliser les DDPN à l'ensemble du territoire national à compter du 1er janvier 2023, soit à moins de deux ans de l'échéance olympique de Paris 2024. Or, cette annonce manifestement prématurée s'est doublée d'une préparation défaillante.

Sur le fond, en effet, les contours précis du projet sont longtemps restés flous, contribuant à alimenter les inquiétudes des services ne disposant d'aucun élément pour apprécier ses conséquences potentielles sur leur quotidien. Ce point apparaît d'autant plus surprenant qu'un courrier du DGPN en date du 28 août 202115(*) présentait pourtant bien une esquisse de la nouvelle organisation.

Sur la forme, la commission avait relevé dans son rapport d'information précité du 1er mars 2023 l'existence d'un important déficit de concertation dans la première phase de mise en oeuvre de la réforme, tant vis-à-vis des personnels de la police judiciaire que de l'autorité judiciaire. La stratégie de communication peu lisible du ministère de l'intérieur et les réajustements successifs du projet, annoncés par voie de lettre ou d'interview, ont par ailleurs grandement renforcé le sentiment d'improvisation qui entourait cette première phase du projet.

La généralisation des DDPN : une préparation défaillante
et une mise en oeuvre désordonnée

Sénat, rapport d'information n° 384 (2022-2023) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023

· Sur le fond, un projet encore inabouti : « Compte tenu du calendrier très ambitieux de la généralisation, cette insuffisance originelle des travaux préparatoires n'a pu être surmontée en temps utile. Les rapporteurs ne peuvent que constater que le modèle dont la généralisation était proposée posait plus de questions qu'il n'apportait de réponses. L'absence de tout document écrit et exhaustif de présentation de la réforme est à cet égard révélatrice. Si le DGPN a présenté les grandes lignes de la réorganisation devant la commission des lois le 28 septembre 2022, le détail du projet est longtemps resté nébuleux. Les personnes entendues par les rapporteurs ont quasi-systématiquement regretté cette asymétrie d'information, à l'instar du procureur général près la Cour de cassation qui a indiqué que « le projet étant toujours en cours de construction il restait délicat d'apprécier ses contours exacts et ses effets concrets » ou du syndicat Unité SGP Police/FSMI-FO de la police nationale qui a insisté sur le fait que cette réforme n'était, à date, « basée que sur des annonces et de l'oralité ».

« Cette situation a alimenté les spéculations sur les objectifs réels de la réforme et a d'emblée joué en sa défaveur auprès des personnels. De fait, ces derniers ne disposaient pas des éléments requis pour apprécier les répercussions de la réorganisation sur leur situation individuelle - que ce soit en termes d'affectation, de missions ou de rémunération - et l'acceptabilité du projet en a fortement pâti ».

· Sur la forme, un déficit de concertation et une communication erratique : « la stratégie de communication déployée par le ministère de l'intérieur n'a fait que renforcer la confusion et les inquiétudes autour de la réforme. Les rares informations disponibles sur la teneur de la réforme ont ainsi été distillées par voie de presse ou par l'intermédiaire de lettres relativement laconiques, le tout sans cohérence évidente. [...] Les rapporteurs jugent ce choix initial de communication, descendant et en dehors des canaux officiels, discutable si ce n'est contreproductif. Combinée au flou persistant sur le fond de la réforme, cette communication plaçant les personnels devant le fait accompli a indubitablement favorisé le développement des oppositions ».

· Une conduite peu lisible du projet de réorganisation : « Au-delà des erreurs initiales, la mise en oeuvre du projet de réorganisation a manqué de cohérence et de lisibilité. Si la phase d'expérimentation est marquée par une relative continuité, la conduite de la généralisation s'est révélée beaucoup moins fluide. De fait, elle s'apparente plus à une succession d'ajustements en réaction aux contestations qu'au déroulé d'une stratégie claire suivant un calendrier prédéterminé ».

b) Une réforme à l'origine de nombreuses inquiétudes et d'une contestation croissante

Dans ce contexte, les oppositions à la réforme sont progressivement montées en puissance, en particulier au sein de la police judiciaire. Une association nationale de la police judiciaire (ANPJ) a tout d'abord été créée en août 2022 en réaction au projet de généralisation des DDPN. De nombreuses actions de protestation ont ensuite été conduites par les effectifs de la DCPJ, dont l'ampleur s'est révélée d'autant plus surprenante que ceux-ci sont traditionnellement réputés pour leur discrétion. Dans une rare unanimité, l'autorité judiciaire s'est jointe à la contestation avec, par exemple, des prises de position remarquées de l'ancien procureur général près la Cour de cassation François Molins16(*) ou du Conseil supérieur de la magistrature17(*).

De fait, les inquiétudes soulevées par la réforme et retranscrites dans le rapport d'information de la commission du 1er mars 2023 étaient nombreuses. S'agissant de la police judiciaire, elles avaient trait notamment au risque de dilution de cette filière hautement spécialisée dans une structure unique « noyée » sous le flot de la délinquance du quotidien. La crainte d'un déport des enquêteurs de la DCPJ vers le traitement de la petite et moyenne délinquance était à cet égard particulièrement prononcée. Ainsi, le risque d'un affaissement de la compétence spécialisée d'une police judiciaire par ailleurs déjà en crise était régulièrement évoqué. Le choix du département comme échelon de référence de la nouvelle organisation a par ailleurs suscité nombre d'incompréhensions, la criminalité organisée s'étendant de facto sur des ressorts géographiques bien plus étendus.

Du point de vue de l'autorité judiciaire, les inquiétudes tenaient notamment à ce que l'institution d'un interlocuteur unique au niveau départemental puisse remettre en cause le libre choix du service d'investigation, à un potentiel amoindrissement du pouvoir de direction et de contrôle des enquêtes ainsi qu'à un risque pour la préservation de l'indépendance des enquêtes les plus sensibles et du secret des investigations.

En réaction à ces oppositions, plusieurs garanties avaient été apportées par le ministre de l'intérieur comme le législateur. Dans une lettre adressée aux personnels de son ministère le 9 octobre 2022, Gérald Darmanin avait ainsi affirmé, d'une part, qu'il ne serait « pas demandé aux enquêteurs de PJ de mener les enquêtes actuellement dévolues à la sécurité publique » et, d'autre part, que « la cartographie de l'actuelle DCPJ ne sera pas modifiée ». Répondant aux craintes exprimées par l'autorité judiciaire, il y précisait par ailleurs que « les enquêtes continueront de s'effectuer sous la direction du procureur de la République, et pendant la phase d'instruction, du juge d'instruction ». Le rapport annexé à la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) mentionnait quant à lui quatre garanties de même nature :

- la prise en compte des particularités de la police judiciaire (« au niveau départemental, le pilotage en fonction des priorités sera affirmé par la généralisation des DDPN, sous réserve des spécificités de la police judiciaire ») ;

- la préservation du coeur de métier des agents de la DCPJ (« aucun policier affecté à la DCPJ ne sera conduit, par cette réforme, à changer de direction ou de mission sans son accord ») ;

- la prise en compte des conclusions des trois missions administratives et parlementaires alors en cours sur le sujet (« la réforme sera mise en oeuvre en s'appuyant sur les conclusions de la mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire menée par la commission des lois du Sénat, de la mission d'information sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale menée par la commission des lois de l'Assemblée nationale et de la mission confiée à l'inspection générale de l'administration, à l'inspection générale de la police nationale et à l'inspection générale de la justice relative au bilan des expérimentations déjà menées dans les territoires ») ainsi que l'association des personnels (« Les représentants du personnel de la police nationale, issus des élections professionnelles de décembre 2022, seront obligatoirement consultés ») ;

- la préservation du libre choix du service enquêteur (« conformément aux articles 12 et 12-1 du code de procédure pénale, les magistrats conserveront le libre choix du service enquêteur »).

Si ces éléments ont, dans une certaine mesure, contribué à atténuer les tensions liées à la généralisation des DDPN, ils n'ont pas effacé les difficultés structurelles auxquelles celle-ci se heurtait. Par conséquent, la commission a considéré en mars 2023 que le calendrier annoncé le 14 février 2023 par Gérald Darmanin n'était « ni réaliste ni raisonnable ». Sans remettre en cause le bien-fondé de la réforme, elle a alors appelé à la mise en place d'un moratoire jusqu'à l'automne 2024, afin de ne pas mettre en péril la sécurisation des JOP 2024. Ce moratoire aurait permis de poser en temps masqué les jalons indispensables à la réussite de la réforme, à savoir la mise en place de réelles préfigurations, la préparation des 180 textes règlementaires nécessaires à son déploiement, la mise en cohérence de l'architecture numérique des différents services amenés à se rassembler ou encore les opérations de rapprochement immobiliers nécessaires à la nouvelle organisation.

3. En dépit des alertes, une réforme mise en oeuvre à marche forcée et dans une certaine confusion

Cette proposition de moratoire a été immédiatement écartée par le ministère de l'intérieur, qui a maintenu le calendrier initial. Loin de remettre en cause le principe même de la réforme de la réorganisation de la police nationale, l'objectif de cette proposition était pourtant bien de lui donner toutes les chances de réussite. Au-delà du fait que des engagements avaient été pris dans le cadre de la LOPMI pour prendre en compte les conclusions des missions parlementaires sur le sujet, le choix de l'ancien ministre de l'intérieur de maintenir coûte que coûte le calendrier fixé s'est avéré particulièrement regrettable. Comme l'ont confirmé la majorité des personnes auditionnées, la généralisation des DDPN a de fait été mise en oeuvre à marche forcée et dans une grande confusion.

Selon les données communiquées par la DGPN18(*), plusieurs phases de préfiguration distinctes peuvent être identifiées, selon l'échelon territorial concerné :

- l'installation des nouvelles directions nationales s'est faite au premier semestre 2023 : les directeurs nationaux préfigurateurs ont été nommés le 1er février tandis que les projets de doctrine d'organisation et de fonctionnement des filières métiers ont été diffusés le 19 avril. Cette phase s'est achevée avec l'entrée en vigueur du décret n° 2023-530 du 29 juin 2023 portant organisation de l'administration centrale de la DGPN. Les anciennes directions centrales sont officiellement devenues des directions nationales à cette date19(*) ;

- la préfiguration de l'organisation zonale est intervenue dans un second temps : elle n'a débuté qu'au 15 mai 2023 avec la prise de fonction de six préfigurateurs. Ces derniers ont livré leur projet définitif d'organisation zonale au 30 juin 2023. Leurs adjoints ont quant à eux été nommés le 27 juillet 2023, deux mois après la diffusion des fiches de poste et pour des prises de fonction à compter du 1er septembre 2023. Conformément à l'article 21 du décret n° 2023-1013 du 2 novembre 2023 relatif aux services déconcentrés et à l'organisation de la police nationale, cette nouvelle architecture zonale est entrée en vigueur au 1er décembre 2023, quelques semaines avant l'échelon départemental ;

- la mise en place des DDPN n'a quant à elle débuté qu'au second semestre 2023 : l'installation des DDPN et DIPN a respecté le même calendrier que pour les directeurs zonaux adjoints. La nouvelle organisation est toutefois entrée en vigueur de manière différée au niveau départemental, au 1er janvier 2024. Cette date a marqué l'entrée en vigueur définitive de la nouvelle organisation de la police nationale.

Ce calendrier resserré n'a pas permis d'accompagner la réforme des démarches pédagogiques indispensables à son acceptation par les personnels. Cela est d'autant plus regrettable que cette condition avait été identifiée dès l'été 2021, le courrier précité de Frédéric Veaux au ministre de l'intérieur du 28 août 2021 étant sans ambiguïté sur ce point : « la réforme nécessitera beaucoup d'explications et d'accompagnement auprès du corps

préfectoral, de l'autorité judiciaire, mais également des personnels et de leurs représentants ;
au-delà de ce très important aspect pédagogique, des considérations règlementaires imposent un délai de réalisation incompressible ».

Des efforts supplémentaires de concertation ont fini par être consentis par le ministère de l'intérieur à partir de l'été 2022. Selon les données publiées par la DGPN, près de 150 rencontres ont été organisées avec les organisations syndicales pendant la période de mise en oeuvre de la réforme et 19 avec les services de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice. Outre le fait que ce surcroît de pédagogie n'est intervenu que tardivement et en réaction à des oppositions déjà cristallisées, force est de constater qu'il n'a pas permis de mettre en place les conditions nécessaires à un déploiement fluide de la nouvelle organisation.

S'il n'est pas anormal en soi que le déploiement d'une réorganisation de cette ampleur nécessite une période d'adaptation, la plupart des personnes auditionnées par les rapporteurs ont fait état d'une transition particulièrement désordonnée. À titre d'exemple, le syndicat Alternative Police-CFDT a souligné une mise en oeuvre de la nouvelle organisation « trop abrupte », la cessation d'activité précoce des anciennes directions centrales ayant « privé les services de l'ancienne PJ de toute communication et coordination, d'où des loupés opérationnels ». Un constat similaire a été établi par l'ANPJ au cours de son audition, qui a relevé que « la mise en oeuvre de cette réforme, outre l'impréparation flagrante, s'est heurtée au timing contraint lié à l'organisation des jeux Olympiques ». Selon ses estimations, « la mise en place effective de la réforme a entraîné une perte moyenne de 10 à 15 % des effectifs allant parfois jusqu'à 33 % dans certains départements ; la réorganisation des divers services administratifs s'est faite dans la douleur et sur une période assez longue ».

Des observations similaires ont été présentées par les acteurs du monde judiciaire auditionnés, à l'instar de la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) qui a relevé une association « disparate » des parquets et « souvent tributaire des relations interpersonnelles entretenues localement, voire des démarches proactives des procureurs pour être informés ». Plus préoccupant encore, la CNPR mentionne le fait, à la décharge des DDPN, « qu'ils aient eux-mêmes peiné à obtenir des informations précises sur la réforme, dans des conditions permettant un partage efficient de l'information ». Le constat est plus catégorique dans le cas du syndicat de la magistrature, qui a considéré devant les rapporteurs que « le ministère de la Justice, ni aucune instance judiciaire n'ont accompagné ce changement, obligeant chaque parquet et service d'instruction à se rapprocher de ses interlocuteurs habituels en zone police afin d'obtenir les organigrammes et cartes actualisées - et de recréer de nouveaux circuits sécurisés ».

C. L'ORGANISATION ISSUE DE LA RÉFORME : UN ORGANIGRAMME QUI N'EST PAS MOINS COMPLEXE QU'AUPARAVANT

La nouvelle organisation de la filière judiciaire au sein de la police nationale instituée par les décrets n° 2023-530 du 29 juin 2023 portant organisation de l'administration centrale de la DGPN et n° 2023-1013 du 2 novembre 2023 relatif aux services déconcentrés et à l'organisation de la police nationale est décrite comme suit dans la doctrine de la DNPJ, formalisée dans un document daté du 6 février 2024 transmis aux rapporteurs :

- un échelon central repositionné sur un rôle essentiellement stratégique : le DNPJ est chargé, sous l'autorité du DGPN, de l'animation et de la coordination de l'ensemble de la filière judiciaire. En cette qualité, il fixe les instructions nationales et détermine la doctrine de la filière dont il est le garant de l'application uniforme sur l'ensemble du territoire national. Il exerce une autorité hiérarchique sur les services centraux opérationnels de la DNPJ20(*), chargés de lutter contre les menaces criminelles du très haut du spectre, et une autorité fonctionnelle sur les autres services de la filière ;

- un nouvel échelon zonal principalement dédié à la coordination : s'agissant de la filière judiciaire, celui-ci relève du service zonal de police judiciaire (SZPJ), dirigé par un directeur zonal adjoint de la police nationale en charge de la police judiciaire (DZA-PJ)21(*). Selon la doctrine de la DNPJ, cet échelon « est dédié à l'animation, la coordination et au contrôle de l'activité de la filière police judiciaire » dans l'ensemble de la zone. Le DZA-PJ est en outre décrit comme « le garant de l'application des instructions nationales et de la doctrine métier ; il apporte conseil, aide et assistance aux directeurs départementaux et interdépartementaux de la zone en matière de police judiciaire ; il veille à l'adaptation de la répartition des moyens humains et matériels pour la filière ». Lui-même sous l'autorité hiérarchique du DZPN et fonctionnelle du DNPJ, il exerce une autorité fonctionnelle sur les services de police judiciaire relevant de sa zone de compétence ;

- un niveau départemental dédié à l'opérationnel : les missions de police judiciaire sont exercées par l'un des 49 services interdépartementaux de police judiciaire (SIPJ) ou des 43 services départementaux de police judiciaire (DSPJ). Les chefs des SIPJ sont à la fois les responsables de la filière judiciaire sur le département siège de leur implantation et du dispositif de lutte contre la criminalité organisée et spécialisée à l'échelle interdépartementale, tandis que le SDPJ est compétent sur des affaires strictement départementales Dans le détail, ces services comprennent une division du pilotage opérationnel (DPO) chargée de l'animation de la filière et plusieurs divisions opérationnelles. En premier lieu, les SIPJ comportent systématiquement en leur sein une division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS), composée de brigades d'enquêtes spécialisées par thématiques et chargées de traiter les affaires du haut du spectre ou d'une sensibilité particulière (dites « de niveau 3 »), ainsi que des services spécifiques dont l'action dépasse le champ du département, telles que les brigades de recherches et d'intervention (BRI). Les SDPJ et les SIPJ comportent également, en principe une division de la criminalité territoriale (DCT), organisée de la même manière et chargée de traiter les affaires de dimension départementale (dites « de niveau 2 »), ainsi qu'une division de l'action judiciaire (DAJ). Les SDPJ et SIPJ sont respectivement placés sous l'autorité hiérarchique du DDPN ou du DIPN, et sous l'autorité fonctionnelle du DZA-PJ. Il. Les SIPJ et SDPJ exercent une autorité fonctionnelle sur tous les services locaux de police judiciaire (SLPJ) implantés dans le département ;

- au niveau local, des SLPJ hiérarchiquement rattachés au chef de circonscription de police nationale (CPN) dépendant lui-même du DDPN/DIPN, mais sous l'autorité fonctionnelle du chef du SDPJ/SIPJ : il existe un SLPJ par CPN, soit 306. Ils sont chargés du traitement des affaires commises sur le territoire de la circonscription, correspondant à la délinquance du quotidien (affaires dites « de niveau 1 ») et en général composés d'une division de l'enquête et d'une division de l'action judiciaire.

Cette nouvelle organisation était décrite en des termes élogieux par l'ancien DGPN Frédéric Veaux dans sa lettre précitée du 28 août 2021 : « La nouvelle organisation proposée cumulerait l'autorité fonctionnelle de directions nationales spécialisées et l'autorité hiérarchique complète du directeur général et des chefs territoriaux en s'attachant à rendre le dispositif plus simple, plus lisible et plus efficace ». À rebours de cette présentation résolument optimiste, la mission d'information ne peut que constater que l'organigramme mis en place depuis un an et demi n'est pas moins complexe que le précédent, loin s'en faut. La coexistence systématique de l'autorité fonctionnelle et hiérarchique rend l'ensemble difficilement lisible, y compris pour les intéressés. Si le principe de cette nouvelle organisation pouvait légitimement sembler satisfaisant d'un point de vue intellectuel, sa mise en pratique a en réalité créé au moins autant de difficultés qu'elle n'en a résolues. Outre la complexité intrinsèque de cet organigramme et sa mise en place dans des délais contraints, il s'est en effet révélé relativement perturbant pour des personnels de la police nationale qui ne composaient traditionnellement qu'avec l'autorité hiérarchique.

Schéma simplifié de la nouvelle architecture de la filière judiciaire
dans la police nationale

* Office anti-stupéfiants (Ofast), sous-direction anti-terroriste (SDAT), sous-direction de la criminalité organisée et de la délinquance spécialisée (SDCODS), sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF), office anti-cybercriminalité, service central des courses et des jeux (SCCJ), service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco), service interministériel d'assistance technique (Siat).

** Division de la criminalité organisée et spécialisée, division de la criminalité territoriale, division du pilotage opérationnel.

*** Antenne Sirasco, antenne ou détachement Siat, brigade de recherche et d'intervention (BRI), groupe interministériel de recherche (GIR), centre de coopération policière et douanière (CCPD).

Source : commission des lois du Sénat

D. UNE RÉORGANISATION DES FONCTIONS SUPPORT QUI N'EST PAS INTERVENUE EN TEMPS UTILE

Compte tenu du choix du ministère de l'intérieur de précipiter l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation, ce déficit de pédagogie était malheureusement prévisible. Sa volonté de s'en tenir au calendrier initialement fixé en dépit des alertes formulées par la commission des lois n'a pas été sans conséquence. Outre les tensions provoquées parmi les personnels, ce calendrier accéléré n'a pas permis de poser les fondations nécessaires à l'installation de nouvelles directions, en particulier en termes informatiques et de ressources humaines.

L'impact de la réforme a été limité sur le plan immobilier. Celle-ci a toutefois eu quelques effets sur les services centraux de la DNPJ, avec la création en 2024 de la sous-direction de la stratégie et du pilotage territorial, qui a notamment accueilli sur le site de Nanterre des agents de la DNSP chargés de l'investigation en complément de recrutements menés par ailleurs. En mai 2025, la DNPJ a également accueilli à Nanterre l'état-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), doté de 19 agents en provenance d'administrations centrales réunis sur un même plateau technique (open-space).

Au niveau des directions zonales, les réorganisations territoriales se sont faites, dans l'ensemble, à effectifs et structures immobilières constants. Au sein de nombreuses CPN, à l'instar d'Angers, les locaux de la police judiciaire et de la sécurité publique étaient de fait déjà réunis sur un même site géographique, ce qui a facilité les réorganisations lorsqu'elles étaient nécessaires. Quelques manoeuvres ont été effectuées à la marge, à l'instar de la centralisation des effectifs du SIPJ en charge de l'Artois (DIPN 62) au sein du commissariat d'Avion. Ces réorganisations ont pu conduire à la mise en oeuvre de travaux de réaménagement ou d'amélioration des conditions de travail qui ont généré des frais contenus, compris entre quelques milliers d'euros et 40 000 euros selon les opérations concernées.

S'agissant du numérique, le principal enjeu lié à la réforme consiste à adapter l'environnement numérique des agents aux nouvelles configurations. Compte tenu de l'interfaçage de nombreux systèmes d'information (SI) entre eux, des opérations de mise à jour ont été menées sur un total de 54 SI. Cette manoeuvre représente un budget prévisionnel global de 1,4 million d'euros. L'achèvement complet de ce chantier numérique doit intervenir au cours du 1er semestre 2026. S'il s'agit certes de la plus importante migration informatique de l'histoire du ministère de l'intérieur, avec 145 000 agents concernés, force est de constater que son achèvement interviendra bien après la mise en oeuvre de la réforme, signe supplémentaire de la précipitation dans laquelle celle-ci a été engagée.

L'inadaptation des outils numériques constitue un irritant important pour les enquêteurs, eu égard à ses conséquences pratiques directes sur leur travail quotidien. À titre d'exemple, en l'état, des enquêteurs co-saisis exerçant dans deux départements distincts ne peuvent travailler sous le même numéro de procédure, ce qui conduit à alourdir inutilement leur tâche administrative. Il n'est plus possible non plus de consulter les procédures archivées d'un autre service.

En termes de gestion des ressources humaines, la principale difficulté concerne la conciliation de la réorganisation territoriale avec le dispositif de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA). Non anticipée, cette problématique apparemment sans lien avec l'objet de la réforme a dans la pratique constitué un obstacle dirimant à sa mise en oeuvre.

Pour mémoire, l'ASA est une mesure de bonification de traitement liée à une affectation de fonctionnaires, notamment de la police nationale, dans des quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles22(*). Ainsi, lorsqu'ils justifient de trois ans au moins de services continus accomplis dans un quartier éligible, les intéressés ont droit, pour l'avancement, à une bonification d'ancienneté d'un mois pour chacune de ces trois années et à une bonification d'ancienneté de deux mois par année de service continu accomplie au-delà de la troisième année.

Pour ce qui concerne la police judiciaire, le bénéfice de l'ASA est attaché à une affectation au sein d'une CPN déterminée, et donc à un SLPJ. Aussi, une mutation au sein de l'une des directions du SIPJ a pour effet la perte du bénéfice de l'ASA.

La nécessité de préserver la rémunération des agents concernés a ainsi empêché la création d'une division de la criminalité territoriale (DCT) chargée de traiter les affaires d'envergure départementale (dits « de niveau 2 ») au sein des SIPJ dans pas moins de 16 DIPN. C'est notamment le cas de la DIPN de Nantes, comme les rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement. Dans cette DIPN, l'enjeu de l'ASA a d'ailleurs également empêché la création d'une DPO, de telle sorte que le SIPJ se trouve formellement privé d'une grande part des capacités que la réforme visait à lui conférer. Le problème est donc loin d'être marginal, alors même que la création des DCT occupe une place centrale dans l'économie générale de la réforme et dans la nouvelle architecture de la filière (voir II, B).

Les rapporteurs estiment qu'une solution doit rapidement être trouvée à ces différents enjeux. Si elle ne résout pas l'ensemble des problèmes structurels qui la précédaient, il paraît légitime d'attendre qu'une réponse puisse être apportée aux difficultés strictement pratiques qu'elle a engendrées.

Proposition n° 1 - Réaliser au plus vite les ajustements des fonctions support imposés par la réforme, en particulier dans le domaine numérique.

Proposition n° 2En vue d'achever la mise en place des services interdépartementaux de la police judiciaire (SIPJ), prévoir un mécanisme de compensation lorsque celle-ci entraîne une perte de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA).

De manière plus générale, dans l'hypothèse de nouvelles réformes de structures d'autres administrations, la commission ne peut que réitérer ses préconisations émises en 2023, à savoir la nécessité de prévoir systématiquement une phase d'expérimentation préalable, un temps de travail « masqué » pour poser les jalons matériels, juridiques et financiers indispensables à sa réussite ainsi qu'un dispositif de concertation et d'accompagnement robuste de l'ensemble des parties prenantes.

II. LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉFORME A CONFIRMÉ DE NOMBREUX RISQUES POURTANT IDENTIFIÉS DE LONGUE DATE

Les rapporteurs ne peuvent que regretter le choix fait par le ministère de l'intérieur au début de l'année 2023 de persévérer dans le déploiement accéléré d'une réforme mal conçue, et ce alors qu'aucune urgence ne le justifiait. Ils prennent acte de l'achèvement de la réforme, en dépit de ses conditions d'entrée en vigueur particulièrement chaotiques.

On peut certes reconnaître que l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation n'a pas porté atteinte à la sécurisation des JOP 2024 et que certaines erreurs initiales ont pu être corrigées au cours du processus. Le ministère de l'intérieur a en effet fini par consentir un surcroît de pédagogie pour expliquer la réforme aux acteurs et rassurer les agents quant à ses conséquences sur leurs situations individuelles. Dans la pratique, les agents de l'ancienne DCPJ n'ont effectivement pas été conduits, sauf exceptions, à traiter des affaires relevant de la petite ou de la moyenne délinquance. La commission sera néanmoins vigilante à ce qu'il en reste ainsi.

Du reste, certaines des craintes exprimées par les acteurs n'étaient pas conformes aux réalités des pratiques administratives - à l'instar des supposées velléités préfectorales d'intervention dans les enquêtes - ou fondées sur une mauvaise compréhension des objectifs de la réforme. Contrairement à la présentation qui en a été faite par Gérald Darmanin dans son courrier précité du 9 octobre 2022, son objectif premier n'était en rien de réduire les stocks d'enquêtes.

De la même manière, la nouvelle organisation a entraîné des effets positifs qu'il ne s'agit pas d'ignorer, quand bien même ils demeurent marginaux. On peut citer à cet égard une amélioration de la communication entre les différentes filières de la police nationale et une allocation des moyens ponctuellement optimisée.

Ces quelques gains demeurent toutefois d'une portée trop limitée pour justifier l'importante mise sous tension imposée à la police nationale ces cinq dernières années pour les obtenir. Du reste, la commission ne saurait se satisfaire d'une telle réorganisation au seul motif qu'elle n'a pas immédiatement et manifestement dégradé la situation de la police nationale.

A contrario, ses conséquences dommageables sur la filière judiciaire en particulier sont d'ores et déjà perceptibles. Près d'un an et demi après la généralisation des DDPN et DIPN, les rapporteurs sont malheureusement forcés de constater que les principales inquiétudes soulevées en 2023 sur ce point étaient fondées. Le rassemblement à marche forcée des différentes filières s'est traduit, dans le cas de la police judiciaire, par la mise en place d'une organisation particulièrement complexe, par une dilution des compétences de cette filière hautement spécialisée et par sa marginalisation dans l'édifice de la police nationale.

Dans ce contexte, les rapporteurs, maintiennent l'analyse qu'ils avaient formulée deux ans plus tôt et considèrent que la réforme n'aurait pas dû être menée dans ces conditions. Ils estiment néanmoins que son annulation risquerait de déstabiliser encore davantage une institution qui ne l'a pas encore totalement absorbée. À court terme, ils invitent donc à privilégier des correctifs concrets visant à atténuer les principales incohérences de la nouvelle organisation.

A. LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE : UN AFFAIBLISSEMENT DE LA « PJ »

1. Une filière judiciaire exposée aux arbitrages des DDPN et DIPN

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs considèrent que la nouvelle organisation a provoqué un affaiblissement de la police judiciaire pour au moins quatre raisons.

En premier lieu, la police judiciaire est désormais davantage exposée au primat bien souvent accordé au maintien de l'ordre et à la lutte contre la délinquance de voie publique dans le département. Il est certes vrai que la crainte d'un déport des enquêteurs spécialisés de la DCPJ vers des missions de voie publique ne s'est pour l'essentiel pas matérialisée, en application de la doctrine de la DNPJ reproduite ci-dessous.

L'emploi de la filière investigation

Doctrine de la DNPJ du 6 février 2024

Principe : « Les services de police judiciaire sont exclusivement employés sur des missions de police judiciaire, telles qu'explicitées à l'article 14 du Code de procédure pénale (CPP). L'ensemble de la chaîne hiérarchique de la police nationale est garant de l'application et du respect du corpus doctrinal de la filière police judiciaire ; tout manquement constaté est signalé à la direction nationale de police judiciaire ».

Exception : « Si nécessaire, l'autorité hiérarchique d'un service de police judiciaire doit solliciter l'emploi non conforme des personnels de la filière auprès de la DNPJ, via le directeur zonal adjoint en charge de la police judiciaire, notamment pour faire face à un évènement programmé hors normes pour lequel la participation de toutes les filières est requise.

« Lorsqu'il est autorisé, l'emploi non conforme ne dure que le temps strictement nécessaire à la substitution des agents de la filière par ceux de la filière compétente pour accomplir la mission.

Les services de police judiciaire ne peuvent être employés sur des services d'ordre, des opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public, hormis naturellement pour l'exercice de missions habituelles de police judiciaire11. Il en est de même pour les opérations de sécurisation de l'espace public ».

La vigilance reste néanmoins de mise. Si les travaux des rapporteurs ont démontré que la spécificité de la police judiciaire était respectée dans la majorité des cas, des difficultés ponctuelles ont pu être observées dans certains territoires. C'est par exemple le cas à Strasbourg, où des effectifs de la DCOS auraient été sollicités au soir du nouvel an pour gérer des placements en garde à vue de personnes impliquées dans des affaires dites de niveau 1 ou dans le cadre d'une visite présidentielle pour pallier l'absence des effectifs de la DCT, déployés sur le terrain. De la même manière, des effectifs de la DCOS de Dijon ont pu intégrer des patrouilles pédestres pour sécuriser le passage du relai de la flamme olympique dans la ville. Le syndicat de la magistrature a en outre indiqué au cours de son audition avoir eu connaissance « d'affectations de services d'enquête judiciaire spécialisés à des enquêtes relevant auparavant des services locaux ». Selon ce dernier, « il apparait à ce stade que les anciens PJistes ont pu être affectés à des opérations de sécurité publique ».

De surcroît, une ambiguïté de la doctrine de la DNPJ précitée pourrait ouvrir la voie à un usage détourné des effectifs de la DCPJ à des fins de sécurisation de la voie publique, dès lors qu'elle prévoit que la filière judiciaire est « associée aux dispositifs d'ordre public dans le cadre de la judiciarisation du maintien de l'ordre ». Si la contestation ayant entouré la réforme a en outre probablement contribué à ce que la filière judiciaire soit préservée par les DDPN du primat de la voie publique, il ne peut par ailleurs être exclu que cette discipline ne vienne ensuite progressivement s'étioler au gré des besoins opérationnels. Dans ce contexte, la commission considère qu'il ne serait pas superflu qu'une instruction du DGPN vienne réaffirmer le principe d'emploi selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Au-delà de cette question, l'exposition croissante des anciens agents de la DCPJ aux enjeux de voie publique peut se manifester de manière plus subtile mais non moins préoccupante. Selon les informations recueillies par les rapporteurs, l'application de méthodes de management inspirées de la sécurité publique a pu exposer des enquêteurs spécialisés à une certaine pression pour traiter plus rapidement les dossiers, à rebours de la culture de la police judiciaire et au détriment de leur qualité procédurale.

Cet affaiblissement de la police judiciaire se manifeste en deuxième lieu par une perte d'influence notable au sein de la police nationale. Comme l'on pouvait s'y attendre, la majorité des DDPN sont issus de la filière sécurité publique. Si la DGPN n'a pas communiqué de données précises sur ce point, elle a néanmoins admis que « la plupart des DDSP avaient été nommés DDPN puisque ces nouvelles directions avaient été constituées avec les moyens exclusifs des ex-DDSP ». La même tendance est observée s'agissant des DIPN. Selon le décompte effectué par l'ANPJ, seuls quatre des DDPN et DIPN initiaux étaient issus de la DCPJ. La DGPN a néanmoins indiqué aux rapporteurs qu'un rééquilibrage était en cours dans les nouvelles nominations, avec des profils « tendant à être plus variés ». Les rapporteurs estiment indispensable de garantir la pluralité des profils à ces postes et appellent à poursuivre cet effort de diversification dans les prochaines nominations.

Cette perte d'influence résulte également d'un positionnement hiérarchique moins favorable - dans la mesure où le chef du SIPJ ou du SDPJ est désormais sous l'autorité hiérarchique de DDPN ou de DIPN qui ne disposent pas tous de la même sensibilité pour les enjeux d'investigation - ainsi que d'un manque de visibilité. Alors que les directeurs de l'ex-« PJ » étaient systématiquement présents aux réunions de sécurité conduites par les préfets, ils en sont aujourd'hui exclus. La mission d'information considère cette absence comme profondément dommageable, en ce qu'elle peut conduire à faire passer au second plan les affaires de long terme liées à la criminalité du haut du spectre. Ce changement de positionnement a pu être vécu comme une rétrogradation par les anciens directeurs de la police judiciaire, qui voient en outre leurs perspectives de carrière amoindries.

En troisième lieu, les services d'investigation ont, selon les informations recueillies par les rapporteurs, pu connaître localement des pertes d'effectifs. L'existence d'un effet d'absorption d'effectifs expérimentés par le nouvel échelon zonal a, à cet égard, régulièrement été évoquée par les personnes auditionnées (cf. supra).

Ces variations d'effectifs peuvent être d'autant plus préoccupantes que les effectifs d'investigation spécialisés n'ont pas été systématiquement déchargés des tâches périphériques, en particulier les défèrements. Si l'attribution de ces opérations aux effectifs de l'ancienne sécurité publique a régulièrement été citée comme l'un des principaux progrès de la réforme, les travaux des rapporteurs ont démontré que ce principe pourtant clairement énoncé dans la doctrine de la DNPJ n'était pas appliqué dans tous les départements. La mission d'information estime donc indispensable qu'une instruction du DGPN vienne rappeler le principe établi dans la doctrine de la DNPJ selon lequel la filière sécurité publique assure, d'une part, « la garde et la surveillance des personnes retenues » et, d'autre part, « le défèrement, la garde hospitalière et la conduite en établissement pénitentiaire des mis en cause ».

En quatrième lieu, la mission d'information a constaté que la création d'une filière d'investigation unifiée avait eu des effets ambivalents en termes de circulation de l'information. Ce décloisonnement a incontestablement permis une meilleure circulation des informations entre les filières de la police nationale. Pour autant, cette « libéralisation » des échanges d'information trouve ses limites s'agissant des affaires du haut du spectre, qui nécessitent par nature la plus grande discrétion. Si l'existence de fuites d'informations n'est pas nécessairement une nouveauté, les rapporteurs ont été régulièrement alertés sur leur augmentation à la suite de la réforme, et ce tant par des membres de la police nationale que de l'autorité judiciaire. De fait, l'intégration des services de l'ancienne DCPJ dans une filière d'investigation de grande envergure démultiplie les échanges et, par conséquent, les risques de fuite. En conséquence, la mission d'information appelle à clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

Proposition n° 3 Réaffirmer, par voie d'instruction du DGPN, le principe selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Proposition n° 4 Veiller à la diversité des profils dans les prochaines nominations des DDPN et DIPN.

Proposition n° 5 Garantir l'application uniforme de la doctrine de la DNPJ sur l'ensemble du territoire national, en particulier en matière de défèrements.

Proposition n° 6 Clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

2. Au travers de la police judiciaire, une fragilisation de la politique pénale

Au travers de la police judiciaire, c'est ensuite la politique pénale dans son ensemble que la réforme fragilise.

La réorganisation tend, en effet, à renforcer le déséquilibre existant entre les autorités administrative et judiciaire, au détriment de la seconde, ce qui est susceptible de mettre à mal l'exercice, par le procureur de la République, de la prérogative de mise en oeuvre de la politique pénale qu'il tient de l'article 39-1 du code de procédure pénale.

Ce risque avait été bien identifié par le rapport d'information précité de la commission du 1er mars 2023, qui avait ainsi préconisé de « rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire » et ainsi de « mettre en place un dialogue entre préfets et procureurs de la République pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire »23(*).

À ce titre, la mission avait notamment relevé que la mise en place d'une procédure de notation des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux par les procureurs généraux et par les procureurs de la République constituait « un élément essentiel de la mise en oeuvre de la réforme ».

Désormais prévue par décret24(*), la mise en oeuvre de cette évaluation a donné lieu à la diffusion de deux dépêches aux procureurs par la DACG, les 17 octobre 2024 et 21 mars 2025, qui en précisent les modalités et le contenu (voir encadré). Parmi les critères susceptibles d'être pris en compte figurent la capacité à appliquer et faire respecter les instructions de politique pénale des procureurs et, de manière générale, les priorités de politique pénale définies par l'autorité judiciaire. La première campagne d'évaluation portant sur l'année 2024 est en cours de réalisation, de telle sorte que les rapporteurs ne peuvent pas en tirer de bilan à ce stade. Il appartiendra au ministre de l'intérieur, en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination, de tenir pleinement compte de ces évaluations dans le cadre des décisions relatives à la carrière des DZPN, DDPN et DIPN.

L'évaluation des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux
de la police nationale par les procureurs

Direction des affaires criminelles et des grâces, Dépêche relative aux modalités d'évaluation des directeurs territoriaux de la police nationale par les procureurs généraux et les procureurs de la République, CRIM-BOL N° 2023-00065, 17 octobre 2024

L'évaluation des directeurs zonaux (DZPN), interdépartementaux (DIPN) et départementaux de la police nationale (DDPN) est prévue par l'article R. 2-17-1 du code de procédure pénale, issue du décret n° 2023-1013 du 2 novembre 2023 relatif aux services déconcentrés et à l'organisation de la police nationale. Cette évaluation, qui prend la forme d'appréciations littérales, se distingue de la notation des officiers de police judiciaire (OPJ) réalisée par les procureurs généraux sur le fondement des articles 19-1 et D. 44 à D. 46-1 du même code, et porte sur l'action des directeurs territoriaux de la police nationale en matière de police judiciaire.

S'agissant des DZPN, elle est effectuée par les procureurs généraux près les cours d'appels où sont situés les sièges de la direction, après consultation des procureurs généraux de la zone de défense et de sécurité.

S'agissant des DDPN et DIPN, elle est effectuée par les procureurs de la République près les tribunaux judiciaires dont relève leur direction, après consultation des procureurs de la République du ressort de la direction et après avoir recueilli les observations éventuelles des juges d'instruction.

L'évaluation ne doit pas conduire l'autorité judiciaire évaluatrice à porter une appréciation sur l'organisation ou l'affectation des moyens de la direction territoriale de la police nationale qui relèvent de la compétence exclusive de son directeur. En outre, cette évaluation ne porte pas sur l'activité de police judiciaire dont sont en charge les chefs des services interdépartementaux (SIPJ) et départementaux de police judiciaire (SDPJ) et qui doit être prise en compte dans le cadre de la notation OPJ.

En revanche, celle-ci portant sur l'action des directeurs territoriaux de la police nationale en matière de police judiciaire, plusieurs critères sont susceptibles d'être pris en compte, selon la nature des fonctions exercées, pour fonder l'appréciation littérale et notamment :

- la qualité de l'animation de la filière police judiciaire qui comprend notamment : la capacité à intégrer la filière police judiciaire dans une stratégie d'ensemble ; l'engagement dans le traitement de la délinquance générale ou du quotidien et notamment le suivi des stocks de procédure au regard des moyens dont ils disposent et la capacité à en rendre compte à l'autorité judiciaire ; l'engagement et la capacité à entretenir des contacts fréquents avec l'autorité judiciaire ; l'engagement et la capacité à faire respecter le libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire ; l'attention portée à une organisation adaptée permettant un traitement de qualité des procédures ;

- la préservation de la capacité de traitement judiciaire de la criminalité organisée et spécialisée en veillant notamment à ce que ces services soient préservés du traitement des stocks de procédures judiciaires de la délinquance générale et ou du quotidien ;

- la préservation de la capacité d'initiative des services d'enquête et la capacité du ou des services interdépartementaux ou départementaux de police judiciaire à intervenir sur l'ensemble de leur ressort.

- la capacité à appliquer et faire respecter les instructions de politique pénale des procureurs territorialement compétents et de manière générale les priorités de politique pénale définies par l'autorité judiciaire.

- la capacité à veiller à une communication maîtrisée.

En tout état de cause, l'existence de cette évaluation annuelle constitue un maigre contrepoids face à l'autorité hiérarchique quotidienne du préfet sur les DDPN et DIPN. L'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) a ainsi signifié aux rapporteurs qu'en pratique, « la priorité est toujours donnée à l'ordre public, d'autant que les liens avec les préfets se sont accentués dans le cadre de la nouvelle organisation ; l'influence du procureur de la République est quasi inexistante. »

En matière de police judiciaire, la judiciarisation du maintien de l'ordre et la lutte contre la délinquance du quotidien, dont les résultats sont les plus immédiats et tangibles pour la population, constituent en pratique le plus souvent les objectifs prioritaires des préfets. À l'inverse, la lutte contre le haut du spectre de la criminalité organisée dont la portée excède largement le département, qui repose sur un travail d'investigation de longue haleine et qui emporte ainsi des effets plus diffus, risque fortement d'être reléguée au second plan.

Si elles ne datent pas de la réforme, les opérations de type « place nette » sont symptomatiques de ce glissement. Amorcées en septembre 2023 et accentuées au printemps 2024 (« place nette XXL »), ces opérations consistent en des actions visibles et régulières menées dans les territoires difficiles et ayant pour principal objectif d'intensifier la lutte contre toutes les formes de délinquance, au premier rang desquelles le trafic de stupéfiants, dans le but de produire des effets visibles et immédiats. Pour autant, comme l'avait relevé la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France25(*), l'efficience de ces opérations interroge, eu égard à leur faible efficacité au plan judiciaire26(*). Celle-ci avait déploré le défaut d'association de l'autorité judiciaire à la préparation de ces opérations, qui ne permet pas de s'assurer qu'elles sont compatibles avec les stratégies judiciaires développées dans le cadre des procédures en cours.

Ce constat a été confirmé aux rapporteurs par les membres de l'autorité judiciaire entendus dans le cadre de leurs travaux, qui craignent que, sous l'effet de la réforme, les procureurs ne soient encore davantage « à la remorque » des préfets.

À cet égard, les auditions ont mis en évidence que la dispersion des procureurs de la République d'un même département est de nature à fragiliser leur position dans le rapport de force qui les « oppose » au préfet sur ces questions. Il serait opportun que le parquet adapte son organisation interne à la réforme, en désignant, au niveau de chaque département, un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale dans le cadre des relations stratégiques avec le préfet et le DIPN ou le DDPN. Le procureur de la République près les tribunaux judiciaires dont relève leur direction, qui sont déjà chargés de les évaluer, paraît indiqué pour jouer ce rôle. En tout état de cause, le fait pour l'autorité judiciaire, à l'instar de l'autorité administrative, d'être en capacité de s'exprimer d'une seule voix lui donnerait assurément plus de poids.

Proposition n° 7 - Tirer pleinement les conséquences des évaluations réalisées par les procureurs généraux et les procureurs de la République dans le cadre des décisions affectant la carrière des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

Proposition n° 8 - Adapter l'organisation locale des parquets à la nouvelle architecture de la police nationale, en désignant dans chaque département un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale auprès des directeurs interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

B. L'UNIFICATION DE LA FILIÈRE INVESTIGATION : UNE DILUTION DE LA « PJ »

1. Une suppression des « silos » nationaux qui présente d'indéniables avantages

La réforme a incontestablement atteint l'un de ses buts : mettre fin à l'organisation en silos qui caractérisait jusqu'ici la filière investigation, dont les différentes composantes sont désormais réunies sous une même autorité hiérarchique (celle du DDPN ou du DIPN) et sous une même autorité fonctionnelle (celle de la DNPJ, du DZA-PJ, du SIPJ ou du SDPJ). La précédente mission d'information de la commission des lois consacrée à cette réforme avait approuvé la philosophie de cette mesure de rationalisation.

Cette évolution présente un avantage indéniable pour le préfet qui, par l'intermédiaire du DDPN ou du DIPN, peut ainsi disposer d'une vision d'ensemble des enjeux répressifs sur l'ensemble du département. Plusieurs magistrats auditionnés par les rapporteurs ont également salué cette simplification. Les procureurs de la République et les juges d'instruction disposent désormais, avec le chef du SDPJ ou du SIPJ, d'un interlocuteur unique. Auparavant, en effet, les conflits de compétences entre la DCPJ et la DCSP étaient susceptibles de complexifier leur saisine et de retarder le début des enquêtes.

Cela étant, comme l'a relevé l'Association française des magistrats instructeurs lors de son audition par les rapporteurs, la réforme n'a pas entièrement mis fin à ces difficultés. Il arrive en effet que, dans la pratique, des conflits de compétences se reportent à l'échelle des services, entre les DCOS et les DCT. Lorsque la DCT n'a pas pu être créée en raison de la problématique liée à l'ASA27(*), des conflits récurrents sont même susceptibles d'intervenir entre la DCOS et le SLPJ concernant l'attribution des affaires de niveau 2.

De surcroît, l'unification de la filière reste imparfaite puisque l'office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim) continue de relever de la filière PAF, laissant ainsi subsister certains coûts de coordination.

2. La création d'« îlots » départementaux, source d'importantes difficultés opérationnelles pour le traitement du haut du spectre

En revanche, comme cela était à craindre, aux silos des directions centrales, se sont substitués les « îlots » des directions départementales.

Comme la mission d'information de 2023 l'avait souligné, et comme l'ensemble des acteurs auditionnés l'a rappelé avec force aux rapporteurs, cet échelon territorial, pertinent pour les enjeux de la sécurité publique et de la criminalité territoriale, est totalement inadapté à la lutte contre la criminalité organisée, dont l'action revêt une dimension a minima régionale, quand elle n'est pas nationale ou internationale.

Les zones, qui correspondent à des circonscriptions administratives d'origine militaire, ne reflètent d'ailleurs pas davantage la réalité des bassins de criminalité. À titre d'exemple, le rattachement de la DIPN de Dreux à la zone Ouest est incohérent au plan fonctionnel, alors que la criminalité de l'Eure-et-Loir est essentiellement tournée vers la région parisienne. Les zones ne recoupent pas non plus le ressort territorial des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), compétentes sur le haut du spectre de la criminalité organisée.

Certes, la réforme a permis une amélioration de la circulation de l'information entre les différentes composantes de la filière au sein du département, ce qui constitue naturellement une évolution positive, puisque des ponts peuvent être établis entre la délinquance territoriale et la criminalité organisée.

Toutefois, dans le même temps, la réforme a entraîné une dégradation significative des échanges interdépartementaux d'informations opérationnelles. Il s'agit là, assurément, de l'un de ses effets négatifs les plus préoccupants.

Les réunions qui sont organisées au niveau de la zone, dont l'objet embrasse l'ensemble du champ de la police judiciaire et concernent les affaires de tous niveaux, ne constituent pas un cadre propice à l'échange d'informations concrètes et opérationnelles sur le haut du spectre. Ces échanges, qui permettaient l'enrichissement collectif de la connaissance des groupes criminels, de leurs réseaux et de leurs modes opératoires, étaient extrêmement précieux pour les enquêteurs et faisaient la force de l'ex-DCPJ.

Ce constat est partagé par l'ensemble des acteurs locaux interrogés par les rapporteurs. À Nantes, le chef du SIPJ a ainsi rapporté un exemple symptomatique de ces évolutions : alors que les auteurs d'une fusillade ayant eu lieu à Rennes dans le cadre d'un règlement de compte étaient Nantais, cette information n'est parvenue à ce SIPJ que 48 heures plus tard, par l'intermédiaire du service départemental de renseignement territorial. Or, une information immédiate aurait été indispensable, notamment pour permettre, le cas échéant de procéder aux perquisitions pertinentes à Nantes.

De même, de nombreux services interrogés ont indiqué que les notes produites par le Sirasco n'étaient pas systématiquement transmises aux enquêteurs des DCOS, ce qui induit une perte de connaissance d'autant plus dommageable qu'elle est aisément évitable. La formalisation d'un « besoin d'en connaître » que les rapporteurs appellent de leurs voeux28(*), serait vraisemblablement de nature à sécuriser les conditions de leur transmission systématique aux agents concernés.

Les rapporteurs considèrent qu'il est indispensable de définir, au niveau de la DNPJ un cadre d'échange d'informations opérationnelles supra-départemental, centré sur le haut du spectre. Ce cadre doit s'adapter à l'agilité des organisations criminelles ; aussi, il a vocation à ne pas être contraint par les frontières des circonscriptions administratives, qu'elles soient départementales ou zonales.

Aujourd'hui, de tels échanges peuvent subsister de manière informelle, grâce aux relations interpersonnelles des enquêteurs de l'ex-DCPJ. Il est donc urgent d'agir pour structurer des circuits d'échanges d'information sécurisés et éviter que ce savoir ne se perde, au gré des départs d'agents expérimentés.

Proposition n° 9 - Mettre en place un cadre d'échanges d'informations opérationnelles supra-départemental centré sur le haut du spectre de la criminalité organisée.

Proposition n° 10 - Transmettre systématiquement les notes produites par le Sirasco aux enquêteurs des divisions de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS).

3. À terme, le risque d'une disparition du savoir-faire historique de la « PJ »

Au sein des DIPN, nombre de services interdépartementaux interrogés par le biais de l'ANPJ ont indiqué aux rapporteurs que les enquêteurs de leur DCOS étaient confrontés à une hausse des saisines concernant des affaires de niveau 1 ou 2, en raison d'arbitrages défavorables liés à l'engorgement des SLPJ et DCT. Les rapporteurs insistent sur le fait qu'au vu de la nécessité impérieuse de renforcer la lutte contre la criminalité organisée, la mobilisation des agents de l'ex-DCPJ ne saurait constituer une réponse adaptée à la problématique structurelle de l'explosion du stock de procédures non traitées liées à la délinquance du quotidien, et relevant de l'ancienne sécurité publique.

Il convient cependant de relever que ce constat n'est pas unanimement partagé, et que plusieurs SIPJ interrogés n'ont pas fait état de telles saisines indues. À l'échelle nationale, la DGPN assure qu'il n'y a pas eu de déport massif de la gestion du stock de procédures des services d'enquête généralistes vers les DCOS. Elle a ainsi indiqué que le ratio de dossier par enquêteur est passé de 14 à 10 entre le 31 décembre 2023 (18 861 dossiers) et le 31 décembre 2024 (18 287 dossiers).

En outre, la DNPJ a conservé un dernier levier d'action directe au niveau local, avec la préservation d'une ligne budgétaire spécifique à la criminalité organisée, permettant la prise en charge de dépenses d'intérêt national spécifiques et dépassant la gestion courante des services centraux et territoriaux de la filière. Cette enveloppe permet de garantir notamment l'exercice des missions de police judiciaire par la filière en dehors de la zone (déplacements hors zone, équipements spécifiques...). En 2024, elle s'élevait à 9,5 millions d'euros. Les rapporteurs considèrent qu'il est nécessaire, pour préserver les capacités d'action des DCOS, de préserver cet acquis de la réforme dans le cadre des budgétisations futures. La doctrine de la DNPJ rappelle cependant bien que les chefs territoriaux de la police nationale restent « garants de la préservation des moyens de lutte contre la criminalité organisée et spécialisée » et qu'il leur revient de « veiller à ce que les effectifs qui y sont dédiés soient préservés du traitement des stocks de procédures de la délinquance du quotidien ».

Proposition n° 11 - Conforter la ligne budgétaire nationale pilotée par la DNPJ dédiée à la lutte contre la criminalité organisée.

En tout état de cause, l'ensemble des anciens agents de la DCPJ auditionnés par les rapporteurs ont le sentiment que la réforme a provoqué une « dilution » de ce qui faisait leur spécificité au sein d'une filière judiciaire élargie à la petite délinquance, elle-même marginalisée dans une organisation territoriale tournée vers les besoins de la sécurité publique.

Ils soulèvent ainsi le risque d'une disparition de leur savoir-faire, patiemment construit au fil des décennies, depuis les « Brigades du Tigre » instituées par Georges Clemenceau au début du siècle dernier. L'un des chefs de SIPJ auditionnés indiquait ainsi que « la disparition du métier est « déjà là », ajoutant même « qu'il serait peut-être bon pour la réforme que les gens comme [lui] s'en aillent même s'il continue de penser que ce n'est pas la bonne manière de lutter contre la criminalité organisée, car ils sont devenus des freins à l'histoire en marche ».

C. LES NOUVELLES INSTANCES DE PILOTAGE : UNE COMPLEXIFICATION DE LA « PJ »

1. Les limites de l'autorité fonctionnelle

L'autorité fonctionnelle constitue une innovation importante de la réforme. Sa traduction concrète était source d'importantes incertitudes, qui n'ont pas véritablement été levées à ce jour.

Celle-ci n'est pas définie juridiquement par les textes réglementaires applicables à l'organisation du ministère de l'intérieur. Elle se traduit concrètement par l'établissement annuel, au niveau de la DNPJ, d'une feuille de route nationale des priorités de la filière intégrant les priorités de politiques pénales du garde des sceaux et les objectifs assignés par le DGPN. Selon les termes de la doctrine de la DNPJ, celle-ci est « déclinée » à l'échelle locale par les DDPN et les DIPN, par l'intermédiaire des DZPN. Le document formalisant cette doctrine transmis aux rapporteurs ne fournit pas davantage d'informations sur les modalités concrètes de cette déclinaison locale.

Aussi, les SIPJ et SDPJ éprouvent d'importantes difficultés à cerner les contours de leur autorité fonctionnelle sur les SLPJ, source de confusions pour l'ensemble des agents.

L'ANPJ, qui n'hésite pas affirmer que l'« autorité fonctionnelle est une chimère », considère à titre d'exemple que « le principe d'autorité fonctionnelle de la DNPJ, décorrélée de l'autorité hiérarchique, est vicié ; dans une structure profondément hiérarchisée, en concentrant l'essentiel des leviers de contrôle au plus petit échelon territorial, l'idée de filière n'a aucune chance de devenir une structure solide et réellement intégrée ».

La notion même d'autorité fonctionnelle semble en effet mal adaptée à la culture de la police nationale. Comme le résume l'un des chefs de SIPJ auditionnés par les rapporteurs : « on est dans la police, les agents ont besoin d'un chef clair ; ce n'est pas le cas quand la personne qu'ils voient au quotidien n'est pas la même que celle qui les note et qui influe sur leur carrière ».

Pour pallier ces difficultés, il a été indiqué aux rapporteurs lors de leur déplacement qu'au sein de la DIPN de Nantes, le chef du SIPJ assumait en pratique des prérogatives hiérarchiques vis-à-vis des agents du SLPJ. Toutefois, l'inspection générale de la police nationale (IGPN) est intervenue pour rappeler que l'autorité hiérarchique appartenait au chef de la CPN de Nantes, soit le DIPN adjoint.

L'échelon zonal est quant à lui censé jouer un rôle essentiel pour l'exercice de cette autorité, eu égard à ses missions centrées sur l'animation, la coordination, l'orientation et le contrôle de l'action des DDPN et DIPN. Au niveau des zones, cette fonction est assumée par le DZA-PJ, chef du SZPJ, qui est placé sous l'autorité hiérarchique du DZPN et sous l'autorité fonctionnelle du DNPJ. Dans la pratique, les agents des DDPN et DIPN interrogés par les rapporteurs font état de pratiques disparates, essentiellement imputables à la personnalité des directeurs zonaux.

La plupart d'entre eux ont fait part aux rapporteurs de leurs interrogations sur l'utilité de cet échelon jugé « technocratique », duquel émane un flot continu de demandes de remontées d'informations et de statistiques (reporting).

Ils déplorent d'autant plus cette situation que la mise en oeuvre de la réforme s'est accompagnée d'une absorption d'effectifs d'enquêteurs hautement qualifiés au profit des SZPJ, ce qui a pu être perçu comme une mauvaise allocation de la ressource humaine alors même que ces services ne jouent pas de rôle directement opérationnel. De fait, les conditions d'exercice potentiellement moins contraignantes à l'échelon zonal ont probablement contribué à accélérer la « fuite » des personnels les plus expérimentés de la police judiciaire vers ses services.

En revanche, concernant l'activité quotidienne des services, les situations locales sont susceptibles de différer fortement. Certains services départementaux indiquent que la DZPN se tient plutôt en retrait, tandis que d'autres soulignent, souvent pour le déplorer, son caractère interventionniste. Non sans humour, un DIPN auditionné par les rapporteurs a confié avoir bien souvent « l'impression d'habiter chez [son] voisin ».

Il existe cependant des situations dans laquelle la zone joue un rôle utile sur certains sujets stratégiques. Peut être citée en exemple, à cet égard, l'initiative lancée par le procureur général près la cour d'appel de Nancy, où les rapporteurs se sont déplacés, tendant à la mise en place de « comités de lutte contre la criminalité organisée en détention », aux travaux desquels le directeur zonal participe directement.

Proposition n° 12 - Préciser, par voie d'instruction du DGPN, les modalités d'exercice de l'autorité fonctionnelle dans à chaque échelon territorial de la filière judiciaire.

2. Les difficultés de l'interdépartementalité
a) L'épineuse question de l'autorité sur les services spécifiques

La départementalisation de la police nationale a laissé en suspens la question de l'autorité sur les services spécifiques supra-départementaux de l'ex DCPJ. En pratique, il s'agit des antennes Sirasco, des antennes ou détachements du Siat, des brigades de recherche et d'intervention (BRI), des groupes interministériels de recherche (GIR), et des centres de coopération policière et douanière (CCPD).

L'implantation d'une antenne au sein d'un département fait du DIPN compétent le responsable administratif de cette antenne, disposant à ce titre d'une autorité hiérarchique sur ses personnels.

Au plan fonctionnel cependant, les instructions du DNPJ29(*) rappellent que les attributions, le ressort de compétence et l'articulation sur le territoire national de ces services sont définis dans leurs doctrines d'emploi respectives, et non par le DIPN.

Ainsi, en théorie, la mobilisation de ces moyens s'effectue à l'échelle zonale, selon les arbitrages rendus par le DZA-PJ.

L'un des DZPN auditionnés par les rapporteurs a d'ailleurs proposé de supprimer la notion de DIPN, décrite comme « fictive ». Il relève en effet que « tous les directeurs départementaux sont des DDPN. Aucun n'a une compétence propre sur les départements voisins. Seuls leurs services interdépartementaux ont une compétence étendue à plusieurs départements. L'appellation unique et généralisée de DDPN aurait pour mérite d'exprimer clairement le principe suivant : le DDPN qui a un SIPJ sous son autorité ne dispose pas de l'exclusivité de son activité opérationnelle. Il partage la disponibilité et les compétences de ce service avec les départements concernés ».

Toutefois, dans la pratique, la décorrélation de l'autorité hiérarchique et de l'autorité fonctionnelle est source de crispations. Ainsi, plusieurs acteurs interrogés ont relevé que les DIPN avaient tendance à tirer parti de leur autorité hiérarchique pour faire en sorte d'orienter prioritairement l'action de « leurs » services spécialisés sur leur département d'implantation.

Une solution à cette difficulté pourrait être de rattacher hiérarchiquement ces services à la DZPN, afin de garantir leur mobilisation interdépartementale. Cette option est préconisée par les responsables zonaux auditionnés. Les rapporteurs soulignent néanmoins que l'échelon zonal, vaste et peu adapté à la lutte contre la criminalité organisée, n'a pas pleinement fait la preuve de sa pertinence opérationnelle.

En définitive, cette situation est révélatrice des défauts de conception de la réforme, qui a enserré l'action de la « PJ » dans des carcans territoriaux peu pertinents. À court terme, la priorité est donc de définir des protocoles permettant de garantir une répartition interdépartementale des moyens des services spécialisés adaptée aux besoins des territoires et d'éviter leur absorption par le DIPN détenteur de l'autorité hiérarchique.

Proposition n° 13 - Définir des protocoles permettant de garantir une répartition interdépartementale des moyens des services spécialisés adaptée aux besoins des territoires et éviter leur absorption par le DIPN détenteur de l'autorité hiérarchique.

b) L'enjeu de la saisine des services d'enquête sur les affaires dépassant le ressort d'un unique département

Plusieurs magistrats auditionnés ont déploré le caractère peu lisible de l'architecture de la filière issue de la réforme.

Si le principe de liberté du choix du service enquêteur30(*) n'a pas été remis en cause, ses conditions d'exercice se sont néanmoins complexifiées.

Auparavant, en effet, il suffisait pour le magistrat, procureur de la République ou juge d'instruction, d'adresser sa réquisition ou sa commission rogatoire à la DCPJ, ce qui donnait la qualité pour agir à tous ses enquêteurs. Une telle faculté, comme l'a relevé le Syndicat de la magistrature, était particulièrement utile dans le cas d'un « go fast », qui peut s'étendre sur plusieurs départements et même sur plusieurs zones.

L'Association française des magistrats instructeurs (AFMI) a indiqué aux rapporteurs que les juges d'instruction souhaitant procéder à des interpellations multi-sites et coordonnées sur le territoire se voyaient contraints de multiplier les commissions rogatoires auprès de plusieurs DDPN et DIPN, entraînant un accroissement important de leur charge administrative.

En principe, il revient au DZA-PJ de jouer le rôle d'interface pour l'autorité judiciaire. Cette fonction est précisée au V de l'article 2 du décret n° 2023-1013 du 2 novembre 2023 relatif aux services déconcentrés et à l'organisation de la police nationale, qui dispose : « le directeur zonal de la police nationale représente la direction générale de la police nationale auprès de l'autorité judiciaire. Il agit en concertation étroite avec les procureurs généraux près les cours d'appel dont le ressort relève de la zone de défense et de sécurité ou avec le procureur général désigné par eux, notamment pour la mise en oeuvre des politiques de sécurité intérieure qui comportent une dimension judiciaire ».

Pourtant, force est de constater que cette disposition ne s'est pas pleinement traduite dans les faits. L'AFMI a indiqué aux rapporteurs que « l'échelon zonal n'est en général pas un interlocuteur quotidien des magistrats instructeurs au titre de la conduite des investigations ».

Il apparaît donc nécessaire de clarifier, auprès de l'autorité judicaire, les protocoles de saisine des services enquêteurs en cas d'affaires dépassant le ressort d'un département.

Proposition n° 14 - Clarifier, auprès de l'autorité judicaire, les protocoles de saisine des services enquêteurs en cas d'affaires dépassant le ressort d'un département.

III. UNE RÉFORME QUI N'APPORTE PAS DE RÉPONSE AUX PROBLÉMATIQUES STRUCTURELLES DE LA FILIÈRE INVESTIGATION

Si l'objectif premier de la réforme n'était pas de répondre à la crise d'attractivité dont souffre la filière judiciaire, force est de constater qu'elle ne l'a en rien enrayée, voire l'a aggravée. Plus que d'une réorganisation, c'est de formation et de moyens que les services avaient (et ont encore) le plus besoin, ainsi que l'avaient démontré plusieurs rapports tant de la Cour des comptes que du Sénat31(*).

A. UNE RÉFORME CONDUITE À MOYENS CONSTANTS QUI N'A PAS PERMIS LES RECRUTEMENTS ET AFFECTATIONS NÉCESSAIRES

1. Des effectifs encore insuffisants pour assurer l'encadrement et la prise en charge des affaires du milieu de spectre

Comme l'avait souligné le rapport d'information de la commission précité du 1er mars 2023, plusieurs des acteurs de terrain engagés dans la réforme de l'organisation de la gouvernance de la police nationale en attendaient non seulement une réallocation des moyens, mais une augmentation permettant notamment de traiter le « milieu de spectre » des affaires et d'augmenter le taux d'encadrement des personnels d'investigation de l'ancienne DCSP.

Les affaires dites de « milieu de spectre » sont en effet celles qui sont trop complexes pour être gérées au sein de commissariats, mais qui ne concernent pas la criminalité complexe. À ce titre, elles n'entraient pas parmi les priorités de la police judiciaire, et étaient donc parfois insuffisamment prises en charge. C'est donc naturellement elles qui devaient être les premières bénéficiaires de l'unification de la filière investigation. Les rapporteurs avaient cependant été alertés à plusieurs reprises sur le fait que cette amélioration ne pouvait se faire par la simple addition des moyens de la DCSP et la DCPJ, mais nécessitait le recrutement et la formation d'agents dédiés.

Le rapport d'information de la commission précité du 1er mars 2023 considérait en conséquence nécessaire d'augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et de mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale. Or, malgré la trajectoire prévue par la LOPMI32(*), qui prévoit la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027, ces espoirs paraissent devoir être remis en cause, notamment du fait de la dégradation de la situation budgétaire33(*).

De même, l'idée selon laquelle les difficultés de la filière investigation au sein de l'ex-DCSP tenaient pour partie à l'absence d'un encadrement intermédiaire suffisamment développé avait plusieurs fois été évoquée devant les rapporteurs. De fait, la présence de personnels gradés ayant une expérience nourrie en matière d'investigation permet d'améliorer tant la forme des actes d'enquête que le respect des règles de procédure. En l'absence d'un tel encadrement, c'est aux magistrats, au premier rang desquels les substituts, qu'il incombe de jouer ce rôle de relecture, voire de garant du respect du droit. À plusieurs reprises, l'idée que des officiers de police judiciaire pourraient venir renforcer l'encadrement des agents de la filière investigation issus de l'ex-DCSP avait été mise en avant comme une des conséquences bénéfiques de la réforme.

La réalité n'est toutefois pas celle-là. Malgré l'unification de la filière, les anciens services se mélangent relativement peu et les fonctionnaires des services de police judiciaire ne sont que faiblement venus renforcer l'encadrement des services relevant de l'ancienne DCSP. Aucun renforcement de cet encadrement ne semble par ailleurs prévu.

Si la réforme de la filière investigation pouvait in fine paraître comme un levier permettant potentiellement une amélioration du recrutement et de l'investissement dans des segments essentiels de la chaîne pénale, elle n'a, pour le moment du moins, n'a pas eu cet effet.

2. La réforme n'a pas freiné l'augmentation tendancielle du stock de procédures

L'une des difficultés structurelles de la police est l'accroissement constant du stock de procédures, qui ralentit considérablement les enquêtes et, partant, entrave fortement la manifestation de la vérité. Dans certains cas extrêmes dont ont été informés les rapporteurs, aucun acte d'enquête n'est ainsi effectué avant plusieurs années, certains dossiers pouvant même être classés sans suite faute d'actes d'enquêtes initiés en temps utile ou avant l'échéance du délai de prescription. S'il s'agit majoritairement d'affaires de bas de spectre, certains crimes, dont des viols, ont néanmoins pu être identifiés parmi ces dossiers. Cette situation, qui aboutit de fait à un déni de justice pour les victimes, alimente la défiance des Français envers la justice et dans une certaine mesure le sentiment d'impunité des auteurs d'infractions.

Si l'unification de la filière investigation n'avait pas non plus pour objectif premier de résorber ces stocks, force est de constater qu'elle n'a absolument pas interrompu leur augmentation tendancielle. Pour rappel, 2 638 979 procédures en stock étaient recensées par les parquets généraux et les parquets, tous services confondus, au 31 mai 202134(*). Les chiffres transmis par la DACG ne sont guère encourageants, une augmentation du stock ayant de nouveau été constatée sur les dernières années.

Une évolution préoccupante du stock de procédures en cours - DACG

Au 31 décembre 2023, les stocks de procédure de la DGPN, hors procédures de « vaines recherches » étaient de 1 894 679 et ceux de la DGGN de 605 962 procédures, soit un total de 2 500 641 procédures. Ces chiffres ne comprennent pas les stocks des services de la préfecture de police de Paris.

Au 31 décembre 2024, les stocks de procédure de la DGPN (hors procédures de « vaines recherches ») étaient de 1 929 642 et ceux de la DGGN de 644 164, soit un total de 2 573 806 procédures. Ces chiffres ne comprennent pas les stocks des services de la préfecture de police de Paris.

Les stocks de procédure de la préfecture de police de Paris ont été communiqués à la DACG en novembre 2024. Il était alors fait état d'un stock de 818 348 procédures.

Paradoxalement, selon l'IGPN, l'augmentation du stock depuis la mise en place de la réforme découlerait de la tentative de rendre plus attractives les conditions de travail au sein de la police judiciaire. L'expérimentation d'un nouveau cycle de travail, dont la semaine de quatre jours, lancée en mars 2024 a ainsi été écourtée et s'est achevée en février 202535(*). Cette problématique est l'une des manifestations les plus flagrantes de la désaffection structurelle dont souffre la filière investigation et à laquelle la réforme n'a apporté aucune réponse, malgré la promesse d'une plus grande fluidité des carrières grâce à l'unification de la filière investigation.

B. LE MANQUE D'ATTRACTIVITÉ DE LA POLICE JUDICIAIRE

1. Un problème ancien à laquelle aucune solution satisfaisante n'a encore été trouvée

La crise d'attractivité de la police judiciaire est antérieure à la réforme. Les causes de cette crise, exposées précédemment, sont connues de longue date. Peuvent notamment être cités la complexité de la procédure pénale, les cycles horaires exigeants, l'insuffisance du régime indemnitaire, la responsabilité et la charge mentale pesant sur les enquêteurs, l'excessive lenteur de la réponse judiciaire ou encore l'obsolescence des outils informatiques.

Le rapport d'information de la commission précité du 1er mars 2023 notait ainsi que « la perte de sens, complexification de la procédure et charge mentale forte conduisent à une désaffection pour le judiciaire qui entraîne, comme le soulignait auprès de la commission François Molins, procureur général près la Cour de cassation, un déficit des vocations et d'attractivité et, par suite, de nombreuses vacances de postes au sein de ces métiers augmentant d'autant la charge de travail sur les personnels en poste. Le rapport annexé à la LOPMI indique ainsi qu'il y avait 17 000 officiers de police judiciaire au niveau national, pour 19 262 cartographiés et un besoin estimé à 22 000 ».

Pour autant, la police nationale se trouve également dans une situation qui découle de ses propres choix d'organisation. Alors que la gendarmerie a depuis longtemps intégré le passage de l'examen d'officier de police judiciaire au déroulement de carrière de ses agents, il n'en est pas de même au sein de la police nationale. Les tentatives pour intégrer les compétences en matière de police judiciaire à la formation initiale des gardiens de la paix pour augmenter les compétences et les vocations, notamment en intégrant le « bloc OPJ » aux examens obligatoires, n'ont ainsi pas rencontré le succès escompté. En janvier 2025, le caractère obligatoire de cette formation semble avoir été abandonné, seuls 11 % des élèves gardiens de la paix ayant effectivement obtenu cette qualification mi-2024.

Aux termes de leurs travaux, les rapporteurs ne peuvent que constater l'aggravation continue de cette crise de la police judiciaire, sur laquelle ils ont été régulièrement alertés. Dans ce contexte, ils ne peuvent que réitérer les recommandations précédemment formulées en mars 2023 et tendant, notamment, à rééquilibrer la répartition des effectifs entre la voie publique et l'investigation, à renforcer les effectifs dédiés à la lutte contre la délinquance financière ou à développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires.

Propositions formulées par la commission des lois le 1er mars 2023 visant à augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire ainsi qu'à mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale

Sénat, rapport d'information n° 384 (2022-2023) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023

Proposition n° 14 : Rééquilibrer les effectifs dans la police nationale entre investigation et voie publique, en se concentrant notamment sur le taux d'encadrement du corps de conception et d'application dans l'investigation.

Proposition n° 15 : Créer des équipes supplémentaires dédiées au traitement de certains contentieux aujourd'hui délaissés, comme par exemple les affaires en matière économique et financière.

Proposition n° 16 : À court terme, développer des procédures de traitement en masse des stocks d'affaires judiciaires par le bais de :

- l'adoption par les Parquets d'instructions permanentes permettant aux services de police et de gendarmerie de classer certaines procédures d'initiative ;

- le développement des opérations de traitement en temps réel sur site, y compris dans le cadre de la mise en place d'équipes policières dédiées à l'apurement des stocks de procédure dans des circonscriptions en difficulté.

Proposition n° 17 : Dans le cadre de la loi annoncée de programmation pour la justice, prévoir une augmentation du nombre de magistrats afin d'assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale dans son ensemble.

Proposition n° 18 : Remplacer le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) par un logiciel plus ergonomique et plus adapté aux défis actuels de la filière judiciaire de la police nationale. Prévoir une interconnexion entre les bases utilisées par les différents services.

Proposition n° 15 - Mettre en oeuvre les recommandations du rapport d'information du 1er mars 2023 visant à augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et à mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale.

2. Une filière économique et financière fragilisée

Si elle touche l'ensemble des segments de la police judiciaire, cette crise d'attractivité atteint néanmoins un niveau particulièrement dramatique dans un domaine qui a constitué l'un des points importants de discussion de la réforme : les infractions économiques et financières. La récente commission d'enquête du Sénat sur la délinquance financière a ainsi démontré l'ampleur des travaux à fournir pour y remédier36(*).

Les rapporteurs partagent pleinement l'analyse de cette commission d'enquête sénatoriale, dont ils reprennent les principaux constats. Ils constatent qu'il n'existe pas de chiffres consolidés des effectifs de police dédiés aux infractions économiques et financières. Les chiffres donnés par le ministère mélangent souvent effectifs de police et de gendarmerie, agents formés ou mobilisables et agents en poste. La commission d'enquête a relevé que, selon Frédéric Ploquin, journaliste spécialisé dans la matière, 860 policiers enquêteurs sont suffisamment compétents pour comprendre les systèmes de blanchiment contemporains, chiffre qui apparaît dérisoire compte tenu des enjeux.

Les remontées du terrain, appréciées par la commission d'enquête, permettent de dresser un constat alarmant37(*). Celle-ci conclut que la filière investigation de police judiciaire est exsangue, en particulier en matière économique et financière. Au sein de la DNPJ, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière ne parvient ainsi pas à recruter. Le chiffre de 30 % de postes vacants dans les offices centraux dédiés à la criminalité financière, avancés par les journalistes entendus par la commission d'enquête, n'a quant à lui pas été démenti par les agents de ces services. De plus, 85 % des faits de criminalité organisée commis sur notre territoire sont traités par la DNPJ, ce qui permet de supposer une surexposition de ses services.

L'échelon central n'est pas le seul touché et les rapporteurs ont été systématiquement interpellés lors de leurs déplacements sur l'atrophie des services régionaux de police judiciaire.

Face à ces difficultés, des outils de formation en matière économique et financière existent et doivent être renforcés. La plupart des formations économiques et financières au ministère de l'intérieur interviennent dans le cadre de la formation continue, chez des personnes parfois en reconversion professionnelle après un début de carrière en sécurité publique ou d'autres services spécialisés. Pour professionnaliser encore ces agents, la DGPN a intégralement refondu, en 2024, la formation de ses policiers à l'investigation financière. Celle-ci s'adresse à tous les enquêteurs nationaux ou territoriaux, avec trois niveaux : la sensibilisation, l'approfondissement et la spécialisation. Le niveau 1 s'adresse prioritairement aux enquêteurs des services locaux de police judiciaire et se déroule en deux étapes : un module de vingt heures en distanciel et un module d'une semaine en présentiel dans les territoires. Le niveau 2, d'une durée de cinq semaines, vise à former les policiers se trouvant dans les brigades de lutte contre la criminalité financière et les policiers des offices spécialisés. Enfin, le niveau 3 regroupe différents modules de spécialisation thématique (corruption, blanchiment, avoirs criminels).

Sur des enjeux aussi fondamentaux, la question de l'intégration de formations dédiés à la lutte contre le blanchiment dès la formation initiale, par exemple pour des profils sélectionnés, voire recrutés dans cette optique, doit être davantage posée. Le retour annoncé au « volontariat » pour présenter, dès la formation de gardien de la paix, le bloc OPJ peut être l'occasion de cette nouvelle approche. À défaut, seules des mesures ambitieuses de recrutement de profils issus du privé, ayant par exemple exercé dans les cabinets d'audit ou d'expertise comptable, seront de nature à apporter la compétence nécessaire, si elles s'appuient sur une grille indiciaire adaptée. Les services judiciaires réussissent par exemple à s'adjoindre le précieux concours d'assistants spécialisés, représentant des profils d'experts qui permettent d'assister les magistrats dans certains actes d'enquête complexe. Le recours aux contractuels dans les services d'enquête est une piste déjà utilisée, mais il conviendrait également envisager une solution plus pérenne d'accès à la fonction publique par concours, à la manière par exemple de ce qui existe pour les techniciens et ingénieurs de police technique et scientifique.

D'une manière générale, l'éclatement des formations au sein même du ministère de l'intérieur interroge : on comprend que les formations de gendarmerie et de police nationales ne soient pas entièrement mutualisées ; cependant les techniques d'enquête économique et financière, d'analyse cyber et en crypto ou de recherche en sources ouvertes, qui sont des éléments communs et déterminants d'une lutte efficace contre la criminalité organisée, mériteraient d'être mutualisée ou au moins décloisonnées.

De façon plus immédiate, comme le préconisait la mission d'information de 2023, le principal axe d'amélioration réside dans la valorisation des carrières économiques et financières.

La commission d'enquête note à cet égard que, « trop souvent, les agents qui tentent l'expérience en groupe interministériel de recherche (GIR) le font au détriment de leur promotion à leur retour dans leur administration d'origine. Afin de rompre avec cette logique, un passage dans de telles structures pourrait constituer un prérequis à l'accession aux postes dédiés à la lutte contre la criminalité organisée, que ce soit du côté des enquêteurs ou des magistrats ». Les rapporteurs partagent cet avis.

Le parquet national financier plaide d'autre part pour la création d'un fonds de concours qui permettrait de réinvestir un pourcentage des amendes d'intérêt public issues des CJIP (actuellement 5,5 milliards d'euros) dans la formation et la fidélisation des enquêteurs financiers. Cette proposition mérite d'être approfondie. Cette possibilité de financement permet néanmoins de constater que la formation d'enquêteurs en matière économique et financière rapporte plus à l'État qu'elle ne lui coûte.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 2 JUILLET 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nos collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain vont nous présenter leur rapport d'information sur le bilan de la mise en place des directions départementales de la police nationale sur la filière investigation.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Madame la présidente, mes chers collègues, nous vous présentons ce matin, avec mon collègue Jérôme Durain, les conclusions de notre rapport d'information sur le bilan de la mise en place des directions départementales et interdépartementales de la police nationale - les DDPN et les DIPN - pour la filière investigation.

Nous nous réjouissons que la commission des lois nous ait confié cette mission, deux ans après notre premier rapport d'information sur l'impact de la réforme de la gouvernance de la police nationale sur la police judiciaire. Bien que notre préconisation principale de l'époque - un moratoire sur l'application de la réforme jusqu'à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 - soit restée lettre morte, cela nous a permis d'assurer un suivi de nos travaux de contrôle. L'exercice nous paraît à la fois utile et vertueux.

Cette réforme a été conduite entre 2020 et 2024 par l'ancien ministre de l'intérieur Gérald Darmanin et s'articule autour de deux grands principes : d'une part, réorganiser la gouvernance de la police nationale selon une logique de filières métiers ; d'autre part, décloisonner les services à l'échelle départementale.

Cette réforme a eu pour principal effet de regrouper l'ensemble - ou presque - des services effectuant des missions de police judiciaire dans une nouvelle filière investigation unique. Auparavant, ces missions étaient en effet éparpillées entre deux directions. La direction centrale de la police judiciaire, qu'on appelait « la PJ », descendante des célèbres « brigades du Tigre » créées par Clemenceau au début du siècle dernier, était spécialisée dans les enquêtes complexes et la lutte contre la criminalité organisée. En parallèle, la direction centrale de la sécurité publique, en plus d'assurer l'ensemble des missions de voie publique et de maintien de l'ordre, traitait également les affaires judiciaires de moindre ampleur.

Désormais, l'ensemble de la filière judiciaire est placé sous l'autorité fonctionnelle d'une nouvelle direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), tandis que la nouvelle direction nationale de la sécurité publique (DNSP) est recentrée sur son coeur de métier.

Le décloisonnement des différentes filières - investigation, sécurité publique, police aux frontières, renseignement territorial - a ensuite été opéré à l'échelle départementale. Les services concernés ont été regroupés sous l'autorité d'un unique directeur départemental de la police nationale, rattaché au préfet. Dans les départements abritant des services dont le champ d'action dépasse le territoire d'un département, comme les brigades de recherche et d'intervention (BRI), cette direction est dite « interdépartementale ». La mise en place de ces nouvelles directions a été généralisée à compter du 1er janvier 2024.

Le niveau départemental devient ainsi l'échelon opérationnel par excellence. Contrairement à l'ancienne « PJ », la DNPJ est désormais cantonnée à un rôle essentiellement stratégique d'animation de la filière, sauf pour ce qui concerne les offices centraux tels que l'Office antistupéfiants (Ofast), chargés des enquêtes d'envergure nationale, voire internationale.

Entre les deux, le niveau zonal a été investi d'une mission de coordination, sous l'autorité d'un directeur zonal de la police nationale, secondé, pour ce qui concerne la filière investigation, par un directeur zonal adjoint chargé de la police judiciaire (DZA-PJ).

Dans ce nouveau contexte, la réforme introduit une innovation, à savoir la distinction entre l'autorité dite « hiérarchique » et l'autorité « fonctionnelle ». Il en découle que les services départementaux ou interdépartementaux de police judiciaire sont placés sous l'autorité hiérarchique du DDPN ou du DIPN - concrètement, c'est lui qui dirige leur action au quotidien et qui évalue leurs agents. Mais ces services sont également placés sous l'autorité fonctionnelle du DNPJ et du DZA-PJ, qui veillent à ce que leur action s'inscrive dans le cadre des priorités définies pour l'ensemble de la filière.

Comme vous pouvez le constater, cette nouvelle organisation ne frappe pas par sa simplicité.

Dans le cadre de notre rapport d'information de 2023, nous mettions en lumière certains risques importants que recelait pour la filière judiciaire cette réforme qui, à l'évidence, a été pensée en fonction des besoins de la sécurité publique.

D'abord, nous avions alerté sur le fait que l'échelon départemental était totalement inadapté à la lutte contre la criminalité organisée, dont les réseaux se déploient à l'échelle nationale et internationale.

Ensuite, nous relevions un risque de déport des agents très spécialisés de l'ex-« PJ » sur des missions relevant de la sécurité du quotidien, qui sont bien plus au coeur des priorités des préfets. Il s'agirait pour nous d'une bien mauvaise allocation des ressources humaines de la police.

C'est la raison pour laquelle, comme je l'indiquais, notre proposition centrale était de reporter l'entrée en vigueur de cette réforme, menée à marche forcée. Nous n'étions pas opposés par principe à toute réforme, et jugions même que le décloisonnement des services et l'unification de la filière judiciaire constituaient des pistes intéressantes.

Nous considérions cependant qu'il était indispensable de se donner le temps de concilier ces objectifs avec la nécessité de garantir la préservation des compétences et des méthodes de travail de la PJ, qui ont fait la preuve de leur efficacité pour lutter contre la criminalité organisée.

De surcroît, il nous paraissait pour le moins risqué de bouleverser ainsi le fonctionnement de la police nationale à la veille du défi sécuritaire que représentait l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Nous avions donc proposé un moratoire, le temps de poser les jalons indispensables à la réussite de la réforme.

Cette proposition pourtant raisonnable de la commission des lois est restée lettre morte, et le ministre de l'intérieur s'en est tenu au calendrier initial.

Il résulte des travaux que nous avons menés que, près d'un an et demi après son entrée en vigueur, la mise en oeuvre qui en a été faite a largement confirmé les risques que nous avions identifiés. C'est d'autant plus regrettable que, dans le même temps, la lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic a été érigée en priorité de l'action des forces de sécurité intérieure.

Si nous maintenons notre analyse et considérons que la réforme n'aurait pas dû être menée dans ces conditions, nous admettons cependant que son annulation pourrait déstabiliser encore davantage une institution qui ne l'a pas encore totalement absorbée.

C'est la raison pour laquelle nous avons fait le choix, pour le court terme, de formuler une série de propositions très concrètes et directement opérationnelles pour corriger certains effets négatifs de la réforme.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Le fait que nous nous réunissions dans la salle Clemenceau me conduit à constater que les crocs et les griffes des brigades du Tigre sont malheureusement bien élimés !

Je m'attacherai à vous présenter les principaux leviers d'amélioration que nous avions identifiés, qui sont principalement inspirés par notre détermination à préserver, autant qu'ils peuvent l'être, le savoir-faire et les méthodes de la PJ.

Tout d'abord, signe de la précipitation avec laquelle la réforme a été menée, nous avons constaté que certaines fonctions supports n'avaient pas été adaptées à la nouvelle organisation. Notre première proposition est donc bien sûr d'y remédier, car cela a des conséquences très concrètes sur le travail quotidien des enquêteurs. Je pense en particulier à l'adaptation de l'environnement numérique à la nouvelle organisation, qui ne devrait être effectif qu'à compter de 2026. Il faut également trouver une solution au problème, qui n'avait clairement pas été anticipé, de l'allocation spécifique d'ancienneté (ASA), un dispositif indiciaire attribué sur une base géographique. C'est un point très important : dans plusieurs départements, la réorganisation territoriale n'a pu être menée à son terme car elle aurait impliqué la perte du bénéfice de l'ASA pour certains agents.

La mise en oeuvre de la réforme, pour le reste, a malheureusement confirmé nos craintes.

Au terme des auditions que nous avons conduites, comme lors des déplacements que nous avons effectués sur le terrain, à Nantes et à Nancy, nous pouvons affirmer que la PJ spécialisée que nous connaissions se trouve à la fois affaiblie dans la police nationale ; diluée dans la nouvelle filière investigation unifiée ; et enfin complexifiée par le nouvel organigramme.

Si la PJ se trouve affaiblie dans la police nationale, c'est parce qu'elle est désormais exposée aux arbitrages des DDPN et DIPN.

À ce stade, nous n'avons certes pas observé de mobilisation massive des agents de l'ex-PJ sur des missions de voie publique ou sur de la délinquance de faible gravité, même si cela a pu ponctuellement arriver.

La vigilance reste de mise sur le long terme. Ce résultat, qui n'a rien d'acquis, n'aurait sans doute pas été obtenu sans le « tir de barrage » des anciens de la PJ au moment du lancement de la réforme. En effet, la grande majorité des agents des DDPN et des DIPN sont issus de l'ancienne direction centrale de la sécurité publique et ils ont d'ores et déjà tendance à appliquer les méthodes de management inspirées de la sécurité publique, exposant les enquêteurs spécialisés à une certaine pression pour traiter plus rapidement les dossiers, à rebours de la culture de la police judiciaire et au détriment de leur qualité procédurale.

In fine, la compréhension des enjeux et des nécessités de la PJ devient dépendante de l'appétence plus ou moins forte des préfets et des DDPN pour la matière, qui s'avère variable. Nous considérons que le sujet est trop important pour être laissé à l'aléa. C'est la raison pour laquelle, outre le fait que nous plaidons en faveur de davantage de diversité dans les profils des directeurs nommés, nous appelons à ce que les instructions du DGPN affirment le principe de « sanctuarisation » des agents de la PJ sur leur coeur de métier.

La réforme a également eu pour effet d'affaiblir le pouvoir de direction de l'autorité judiciaire. La dispersion des procureurs de la République d'un même département fragilise leur position dans le rapport de force qui les « oppose » au préfet, interlocuteur quotidien du DDPN. Nous invitons donc les parquets à adapter leur organisation locale à la réforme et ainsi peser davantage dans le dialogue stratégique, afin de s'assurer que les priorités de la politique pénale puissent être relayées efficacement.

Par ailleurs la PJ spécialisée s'est trouvée quelque peu diluée dans la filière investigation unifiée.

Certes, la réforme a permis une communication plus fluide entre les différentes composantes de la filière. Mais, aux « silos » des anciennes directions centrales se sont substitués des « îlots » départementaux. Les divisions de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS), qui reprennent au sein des DIPN les attributions de l'ex-« PJ », parlent davantage aux autres divisions, mais elles se parlent moins entre elles. Auparavant, des échanges très opérationnels, centrés sur la connaissance des réseaux criminels et de leur mode d'action sur le territoire, étaient organisés par la direction centrale de la police judiciaire. Désormais, les échanges se font au niveau zonal et sont noyés dans la masse d'informations liées à la délinquance de moindre gravité.

À Nantes, le chef du service interdépartemental de la police judiciaire a rapporté un exemple symptomatique de cette dégradation de la communication. Alors que les auteurs d'une fusillade ayant eu lieu à Rennes dans le cadre d'un règlement de comptes étaient Nantais, cette information ne lui est parvenue que quarante-huit heures plus tard, par l'intermédiaire du service départemental de renseignement territorial. Dans l'ancienne DCPJ, une telle désinvolture aurait été impensable. En effet, une information immédiate était indispensable, notamment pour permettre de procéder à des perquisitions à Nantes.

Il est donc indispensable, à nos yeux, de restructurer un cadre d'échanges d'informations opérationnelles à un niveau supra-départemental, centré sur le haut du spectre de la criminalité organisée. Ce cadre doit se détacher du carcan départemental, ou même zonal, en prenant pour base les bassins de criminalité réellement existants, car les organisations criminelles n'ont pas la courtoisie d'inscrire leur action dans le cadre de nos circonscriptions administratives. L'exemple de la DDPN de Dreux, rattachée à la zone Ouest alors que la criminalité locale est résolument tournée vers la région parisienne, peut être cité en exemple.

Enfin, les nouvelles instances de pilotage complexifient lourdement l'organisation de la police judiciaire.

Dans une organisation imprégnée de culture hiérarchique comme la police, la notion d'« autorité fonctionnelle », décorrélée de la notation et du management quotidien, est peu comprise. Un haut cadre de la police nationale a admis devant nous, en audition, que l'exercice de cette autorité « lui coûtait beaucoup de salive »...

Dans ce contexte, l'utilité de l'échelon zonal a régulièrement été mise en cause par les agents que nous avons auditionnés. Plus encore, ils déplorent que cet échelon de pilotage, dédié à l'exercice de l'autorité fonctionnelle, mais sans moyens opérationnels, ait « absorbé » un grand nombre d'enquêteurs très qualifiés.

De même, nous avons constaté que la réforme n'a pas tranché de façon satisfaisante la question de la doctrine d'emploi des services de police judiciaire interdépartementaux, comme les BRI. Si leur mobilisation est en principe décidée par la zone, ils sont de fait sous l'autorité hiérarchique des DIPN, qui tendent à orienter leur action au profit de « leur » département. Dans ce contexte, nous considérons que des protocoles nationaux doivent être adoptés pour garantir une répartition interdépartementale efficace des moyens des services spécialisés.

Voilà, mes chers collègues, les principales pistes que nous proposons pour corriger certains aspects néfastes de la réforme.

Si nous avons délibérément centré nos travaux sur ces questions, nous avons également tenu à rappeler que la réforme n'a pas apporté de réponse aux problématiques structurelles dont souffre la filière judiciaire, au premier rang desquelles la crise d'attractivité de ses métiers. Ses causes sont connues de longue date : complexité de la procédure pénale, cycles horaires, insuffisance du régime indemnitaire, charge mentale pesant sur les enquêteurs, excessive lenteur de la réponse judiciaire, obsolescence des outils informatiques, etc.

La filière souffre également fortement de la croissance insoutenable du stock de procédures, dont le nombre est passé de 2,8 millions à 3,3 millions depuis notre précédent rapport.

Ces difficultés, nous tenions à le souligner, sont particulièrement prégnantes en matière de lutte contre la criminalité économique et financière, comme l'a récemment mis en évidence une commission d'enquête du Sénat.

Sur ces sujets, les constats et propositions que nous avions formulés lors de notre précédent rapport d'information restent valables et nous ne pouvons que les reconduire.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous pouvons agir sur la complexité de la procédure pénale, mais je crains que notre action n'aille pas toujours dans le bon sens.

Mme Catherine Di Folco. - Merci aux deux rapporteurs pour cet exposé parfois édifiant. La mise en oeuvre de vos préconisations devra-t-elle être effectuée de manière essentiellement réglementaire, ou nécessite-t-elle une action législative ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci pour ce rapport. Nous avions déjà identifié une série de craintes par le passé, dont la moindre priorité accordée aux enquêtes en matière financière, craintes qui se sont confirmées ; nous avions aussi dressé une série de constats, dont la perte d'attractivité de la filière de la police judiciaire.

En 2023 également, Philippe Dominati avait remis un rapport d'information intitulé « La direction centrale de la police judiciaire : des brigades du Tigre bientôt mises en cage ? », dans lequel il s'était montré sévère à l'égard de la réforme. En janvier 2025, enfin, le procureur de Versailles avait évoqué une « catastrophe » lors d'une audition solennelle devant le garde des Sceaux.

J'aimerais toutefois comprendre votre position définitive : le bilan est-il « globalement positif » ou bien « globalement négatif » ? En outre, quel est l'avis du ministre de l'intérieur sur le sujet ?

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Madame Di Folco, la plupart des recommandations pourront être mises en oeuvre par le biais de mesures réglementaires.

Mme Catherine Di Folco. - Est-ce le cas pour l'ASA ?

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Ce sujet revêt un caractère financier et devra donc être traité, en premier lieu, dans le cadre du budget. Un décret sera également nécessaire pour corriger cette lacune.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Imaginer une remise à plat complète de la réforme, aussi discutable soit-elle, est sans doute de mauvaise politique et vraisemblablement impossible en pratique.

Il n'en reste pas moins que nous n'avons pas soigné les maux profonds de l'investigation, puisque nous n'avons pas progressé sur la résorption du stock de procédures, ni sur les rémunérations et les conditions de travail.

Nous avions voté, dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur - portée à l'époque par Gérald Darmanin - la création d'un « bloc OPJ » destiné à orienter les jeunes policiers vers l'investigation dès le début de leur carrière. Or lors des derniers concours, les élèves policiers s'organisent massivement pour ne pas réussir ce bloc, soit en ne se présentant pas à l'épreuve, soit en rendant copie blanche, et être ainsi certains de ne pas être orientés vers l'investigation.

Faute de pouvoir remettre en cause la totalité de la réforme, il faut donc apporter quelques correctifs, notamment pour mieux définir les conditions d'exercice de l'autorité fonctionnelle. La place de la zone, échelon complètement déconnectée de la réalité de la criminalité, doit également être réinterrogée.

Si certaines craintes pour l'indépendance des enquêtes relatives aux atteintes à la probité ou sur le dévoiement de l'investigation au profit du maintien de l'ordre n'ont pas été confirmées, il importe, malgré tout, de rétablir le métier de police judiciaire et de donner à cette filière de l'investigation les moyens d'exister pleinement.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Il n'est pas question de repartir de zéro, mais de réinsuffler de l'énergie à la PJ, la réforme n'ayant pas permis - loin s'en faut - de redonner un élan aux vocations. Par ailleurs, il faut donner davantage de visibilité à la police judiciaire au sein de la nouvelle organisation.

Le ministre de l'intérieur, quant à lui, a indiqué qu'une inspection de ses services consacrée aux conditions de mise en oeuvre de la réforme était en cours.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Le sujet de l'investigation est suffisamment important pour justifier une audition du ministre de l'intérieur lorsque ce rapport d'inspection aura été rendu.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je rappelle le titre proposé pour ce rapport : « La police judiciaire dans la police nationale (II) : une réforme imposée à marche forcée, des correctifs à apporter. »

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale de la police municipale (DGPN)

M. Louis Laugier, directeur général

Mme Virginie Brunner, directrice générale adjointe

Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ)

M. Christian Sainte, directeur national

M. Aymeric Saudubray, directeur national adjoint en charge de la stratégie et du pilotage territorial

Direction nationale de la sécurité publique (DNSP)

M. Philippe Tireloque, directeur national

M. Christophe Allain, directeur zonal de la police nationale de la zone Sud

M. Jean-François Papineau, directeur zonal de la police nationale de la zone Ouest

M. Fabrice Finance, directeur zonal adjoint en charge de la police judiciaire au sein de la direction zonale de la police nationale de la zone Est

Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

Mme Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale

M. Jean-Baptiste Bougerol, adjoint à la cheffe du bureau de la police judiciaire

Table ronde des syndicats de police

UNSA-FASMI

Mme Ingrid Lecoq, secrétaire nationale

M. Bertrand Bonnaud, délégué départemental

Un1té Police

M. Yann Bastière, délégué national

M. Alain Pissard, délégué national

Alternative police-CFDT

M. Benjamin Camboulives, porte-parole

M. Dominique Chertemps, expert Police judiciaire

M. David Gras, expert Police judiciaire

Table ronde des syndicats de cadres de la police nationale

Synergie officiers

M. Jean-François Faivre, secrétaire zonal Alsace-Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté, Champagne-Ardennes

M. Christophe Ambel, secrétaire zonal région Provence-Alpes-Côte d'Azur

Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT)

M. Antoine Peltier, secrétaire zonal adjoint

M. Romain Lecalier, chargé de mission

Association nationale de la police judiciaire (ANPJ)

M. Yann Bauzin, président

M. Franck Nicol, secrétaire général adjoint

Mme Valérie Giot, vice-présidente

Union syndicale des magistrats

Mme Alexandra Vaillant, secrétaire générale

M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint

Unité Magistrats - SNM FO

Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale

M. Thomas Pison, délégué national

Syndicat de la magistrature

Mme Judith Allenbach, présidente

Mme Justine Probst, secrétaire nationale

Table ronde de représentants de magistrats

Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)

M. Christophe Barret, procureur général près la Cour d'appel de Grenoble, vice-président

Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

M. Raphaël Balland, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bézier, vice-président

M. Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon

Association française des magistrats instructeurs (AFMI)

M. Frédéric Macé, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Bordeaux, président

M. Sébastien Colombet, juge d'instruction au tribunal judiciaire du Mans, vice-président, trésorier

LISTE DES DÉPLACEMENTS

DÉPLACEMENT À NANTES (5 JUIN 2025)

Tribunal judiciaire de Nantes

M. Franck Bielitzki, président

M. Olivier Weisphal, premier vice-président chargé des fonctions de juge d'instruction

M. Antoine Leroy, procureur de la République

Direction interdépartementale de la police nationale de Loire-Atlantique

M. Philippe Jos, contrôleur général, directeur interdépartemental de la police nationale

M. Éric Eudes, commissaire divisionnaire, directeur interdépartemental adjoint, chef de la circonscription de la police nationale de Nantes

M. Marc Perrot, commissaire divisionnaire, chef du service interdépartemental de police judiciaire

Mme Anne Serrado, commissaire de police, première adjointe au chef du service local de police judiciaire

Mme Mathilde Lechauve, commissaire divisionnaire, cheffe du service départemental de sécurité publique

M. Florent Boue, commissaire divisionnaire, chef du service départemental du renseignement territorial

M. Pierre-Yves Collin, commandant de police, chef du service interdépartemental de police aux frontières

DÉPLACEMENT À NANCY (12 JUIN 2025)

Préfecture de Meurthe-et-Moselle

Mme Françoise Souliman, préfet

M. Christophe Antoni, directeur de cabinet

Cour d'appel de Nancy

M. Jean-Marc Talon, premier président

M. Hugues Berbain, procureur général

Mme Béatrice Bossard, avocate générale

Mme Nora N'Hari, secrétaire générale du parquet général

Tribunal judiciaire de Nancy

Mme Claude Doyen, présidente

Mme Sandrine Ribeiro-Fernandes, première vice-présidente chargée des fonctions de juge d'instruction

M. Amaury Lacôte, procureur de la République adjoint

Direction interdépartementale de la police nationale de Meurthe-et-Moselle

M. Frédéric Laissy, contrôleur général, directeur interdépartemental de la police nationale

M. Maurice Alibert, commissaire général, directeur interdépartemental adjoint

Mme Carole Despres, commissaire divisionnaire, cheffe du service interdépartemental de la police judiciaire

M. Stéphane Houot, commandant divisionnaire chargé du renseignement territorial

Mme Magalie Bullet, commandant de police, chef des unités opérationnelles du service départemental de la sécurité publique

M. Alain Behr, commandant de police chargé de la police aux frontières

M. Laurent Bridey, commandant de police, chef d'état-major départemental

M. David Lega, attaché principal chargé du service de soutien opérationnel

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

Proposition n° 1 - Réaliser au plus vite les ajustements des fonctions support imposés par la réforme, en particulier dans le domaine numérique.

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2025-2026

Tout moyen

Proposition n° 2 - En vue d'achever la mise en place des services interdépartementaux de la police judiciaire (SIPJ), prévoir un mécanisme de compensation lorsque celle-ci entraîne une perte de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA).

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2025

Décret

Proposition n° 3 - Réaffirmer, par voie d'instruction du DGPN le principe selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

DGPN

2025

Instruction

Proposition n° 4 - Veiller à la diversité des profils dans les prochaines nominations des DDPN et DIPN.

DGPN

-

Mesure administrative

Proposition n° 5 - Garantir l'application uniforme de la doctrine de la DNPJ sur l'ensemble du territoire national, en particulier en matière de défèrements.

DGPN

2025

Instruction

Proposition n° 6 - Clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2026

Décret

Proposition n° 7 - Tirer pleinement les conséquences des évaluations réalisées par les procureurs généraux et les procureurs de la République dans le cadre des décisions affectant la carrière des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

DGPN

-

Mesure administrative

Proposition n° 8 - Adapter l'organisation locale des parquets à la nouvelle architecture de la police nationale, en désignant dans chaque département un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale auprès des directeurs interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

Ministère de la justice

2026-2027

Tout moyen

Proposition n° 9 - Mettre en place un cadre d'échanges d'informations opérationnelles supra-départemental centré sur le haut du spectre de la criminalité organisée.

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2025-2026

Tout moyen

Proposition n° 10 - Transmettre systématiquement les notes produites par le Sirasco aux enquêteurs des divisions de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS).

DGPN

2025

Tout moyen

Proposition n° 11 - Conforter la ligne budgétaire nationale pilotée par la DNPJ dédiée à la lutte contre la criminalité organisée.

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2025

Loi de finances

Proposition n° 12 - Préciser, par voie d'instruction du DGPN, les modalités d'exercice de l'autorité fonctionnelle dans à chaque échelon territorial de la filière judiciaire.

DGPN

2025

Instruction

Proposition n° 13 - Définir des protocoles permettant de garantir une répartition interdépartementale des moyens des services spécialisés adaptée aux besoins des territoires et éviter leur absorption par le DIPN détenteur de l'autorité hiérarchique.

DGPN

2025

Instruction

Proposition n° 14 - Clarifier, auprès de l'autorité judicaire, les protocoles de saisine des services enquêteurs en cas d'affaires dépassant le ressort d'un département.

Ministère de l'intérieur

-

DGPN

2025

Tout moyen

Proposition n° 15 - Mettre en oeuvre les recommandations du rapport d'information du 1er mars 2023 visant à augmenter les effectifs de l'investigation et du monde judiciaire et à mieux reconnaître l'exercice des missions judiciaires au sein de la police nationale.

Ministère de l'intérieur

2026-2027

Tout moyen

LE CONTRÔLE EN CLAIR

POUR CONSULTER LA PAGE DE LA MISSION D'INFORMATION

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/bilan-de-la-mise-en-place-des-directions-departementales-de-la-police-nationale-sur-la-filiere-investigation-1.html


* 1 Courrier à destination du ministre de l'intérieur du 28 août 2021.

* 2 Sénat, rapport d'information n° 384 (2022-2023) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023.

* 3 En l'espèce la direction centrale de la sécurité publique et son service central du renseignement territorial, la direction centrale de la police judiciaire ainsi que la direction centrale de la police aux frontières.

* 4 Décret n° 2008-633 du 27 juin 2008.

* 5 Décret n° 2012-328 du 6 mars 2012.

* 6 Décret n° 2020-1776 du 30 décembre 2020.

* 7 Article 14 du code de procédure pénale.

* 8 Les effectifs de la police aux frontières exercent également, dans une moindre mesure, des missions de police judiciaire.

* 9 Sénat, Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y

remédier, Rapport n° 588 (2023-2024), 7 mai 2024.

* 10 À l'instar des cellules de renseignement opérationnel en matière de stupéfiants, ou des groupes interministériels de recherche.

* 11 Voir la partie III du présent rapport.

* 12 Livre blanc de la sécurité intérieure, p. 7.

* 13 Livre blanc de la sécurité intérieure, p. 174.

* 14 Quatre vagues d'expérimentations ont été lancées au 1r janvier 2020 (Guyane, Mayotte et Nouvelle-Calédonie), au 1er janvier 2021 (Pas-de-Calais, Pyrénées-Orientales et Savoie), au 1er janvier 2022 (généralisation à l'ensemble des territoires ultra-marins) et au 1er mars 2022 (Calvados, Hérault, Oise, Puy-de-Dôme et Haut-Rhin).

* 15 Non communiqué à la première mission d'information sénatoriale de 2022-2023.

* 16 Auditionné par la commission des lois le 9 novembre 2022, celui-ci avait néanmoins pris acte des garanties apportées postérieurement par le Gouvernement, tout en maintenant ses réserves sur certains aspects de la réforme (compte rendu disponible à cette adresse : http://www.senat.fr/compte-

rendu-commissions/20221107/lois.html)

* 17 Communication du 26 octobre 2022.

* 18 Pour une présentation exhaustive du calendrier de la réforme, se référer à la frise chronologique transmise par la DGPN et figurant en annexe 1.

* 19 Leurs directeurs ont été nommés au conseil des ministres du 13 juillet 2023.

* 20 À savoir l'office anti-stupéfiants, la sous-direction anti-terroriste, la sous-direction de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, l'office anti-cybercriminalité et le service central des courses et des jeux.

* 21 Lui-même sous l'autorité hiérarchique du directeur zonal de la police nationale qui, à l'instar du DDPN ou du DIPN, a compétence pour l'ensemble des filières métiers au niveau de la zone.

* 22 Décret n°95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'État affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles.

* 23 Recommandation n° 20.

* 24 Article R. 2-17-1 du code de procédure pénale.

* 25 Sénat, rapport n° 588 (2023-2024) fait par Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et sur les moyens pour y remédier, présidée par Jérôme Durain, 7 mai 2024.

* 26 D'après les données de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France, les opérations « place nette XXL » du printemps 2024 ont mobilisé près de 62 000 effectifs des forces de l'ordre (police et gendarmerie nationales confondues), pour environ 3 200 personnes en garde à vue, mais seulement 451 personnes déférées, dont 128 avec un mandat de dépôt.

* 27 Voir supra partie I, D.

* 28Proposition n° 5.

* 29 Instruction DNPJ n° 03/2024, 17 juillet 2024.

* 30 Article 12-1 du code de procédure pénale.

* 31 Formation initiale et continue des personnels de la police et de la gendarmerie nationales : rendre opérationnel ce qui est essentiel, Rapport d'information n° 410 (2022-2023) de Catherine Di Folco et Maryse Carrère, déposé le 8 mars 2023.

L'efficacité de l'appareil de formation de la gendarmerie, appuyé sur un esprit de corps solide et la capacité à recruter les talents et à leur offrir des formations de base solides et des formations spécialisées d'excellence, forme, comme le montre ce rapport, un contrepoint à la situation de la police nationale.

* 32 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 33  Avis n° 150 (2024-2025) du 21 novembre 2024 de Henri Leroy sur les crédités de la mission « Sécurités » pour la loi de finances pour 2025.

* 34 Rapport d'information de la commission précité du 1er mars 2023.

* 35 AEF Police judiciaire : le sévère audit de l'IGPN qui a entraîné la fin de l'expérimentation de la semaine de quatre jours, 18 mars 2025.

* 36 Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société : Rapport n° 757 (2024-2025) de Nathalie Goulet au nom de la commission d'enquête.

* 37 Qui corrobore les constats de la Cour des comptes de 2019 et de 2023, qui alertaient alors sur la crise de la filière économique et financière.

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