COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATIION

Jeudi 23 janvier 2025 Audition de M. Jérémie BOROY, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) 135

Jeudi 6 février 2025 Tables rondes sur la politique du handicap à La Réunion - les représentants d'institutions 149

Jeudi 6 février 2025 Tables rondes sur la politique du handicap à La Réunion - les représentants d'associations 167

Jeudi 20 mars 2025 Tables rondes consacrée à la Polynésie française 177

Jeudi 20 mars 2025 Tables rondes consacrée à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna 191

Mardi 8 avril 2025 Tables rondes consacrée au handisport 203

Mardi 20 mai 2025 Tables rondes consacrée à la Guyane 219

Mardi 20 mai 2025 Tables rondes consacrée à la Martinique 237

Mardi 27 mai 2025 Tables rondes consacrée à Mayotte 249

Mercredi 18 juin 2025 Audition de Mme Charlotte PARMENTIER-LECOCQ, ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l'Autonomie et du Handicap 271

Jeudi 23 janvier 2025

Audition de M. Jérémie BOROY, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)

Mme Micheline Jacques, président. - Nous reprenons aujourd'hui nos travaux après la suspension de fin d'année, reprise que nous avons dû décaler pour tenir compte de l'agenda des travaux du Sénat.

Je saisis l'occasion de cette rentrée pour vous présenter mes meilleurs voeux.

Je salue l'arrivée d'un nouveau collègue ultramarin, à la suite des élections du 8 décembre 2024 : Jean-Marc Ruel, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon qui va intégrer le bureau de la délégation en qualité de vice-président, au titre du groupe RDSE.

L'année 2025 sera chargée, avec plusieurs rapports en projet sur la vie chère, sur la politique du handicap dans les outre-mer et sur la coopération régionale (avec le deuxième volet sur le bassin Atlantique). À cet égard, je vous informe du dépôt cette semaine d'une proposition de résolution européenne, cosignée par nos collègues Christian Cambon, Stéphane Demilly, Georges Patient et moi-même, relative à l'intégration régionale des RUP de l'Union européenne. Cette PPRE met en oeuvre les recommandations de notre premier rapport « coopération régionale dans le bassin Indien », sur les aspects européens. Il s'agit d'une suite concrète à nos travaux et je tiens à les en féliciter.

Nous démarrons donc nos auditions ce matin par l'étude sur le handicap dans les outre-mer avec nos trois rapporteurs : Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne.

Je me félicite de leur choix en vue d'un rapport prévu pour le mois de juin. Il s'agit du premier travail de notre délégation sur ce thème. Il portera notamment sur la perception du handicap dans les territoires ultramarins et sur les politiques publiques à mener pour le quotidien des personnes concernées.

Comme beaucoup d'entre vous, j'ai participé au Duoday organisé au Sénat le 21 novembre 2024 et je suis fière que notre institution, le Sénat, se mobilise autour du président Larcher en cette année anniversaire des 20 ans de la loi du 11 février 2005. Nous comptons travailler étroitement avec le groupe d'études sur le handicap, présidé par notre collègue Marie-Pierre Richer, qui organise un grand colloque avec la Commission des affaires sociales le 11 février prochain au Sénat sur ce sujet.

Les problématiques sont nombreuses sur le sujet du handicap outre-mer : l'éducation, l'emploi et la formation, la santé, sans oublier le sport.

Nous accueillons notre premier invité, Monsieur Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées dont l'expertise est reconnue. Nous vous remercions vivement pour votre disponibilité, afin de nous aider à dresser un état des lieux de la situation. Vous connaissez bien le Sénat : vous avez participé au Duoday et, le 16 janvier 2025, à la table ronde organisée par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat qui visait à dresser un bilan des bonnes pratiques des collectivités, 20 ans après la promulgation de la loi Handicap.

Nous vous avons adressé un questionnaire pour préparer votre exposé liminaire. Je laisserai ensuite les rapporteurs vous interroger et demander les précisions qu'ils souhaitent. Les autres membres de la délégation pourront également intervenir.

M. Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des Personnes handicapées (CNCPH). - Madame la Présidente, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je vous remercie pour votre accueil et pour votre mobilisation sur ce sujet à l'occasion du 20e anniversaire de la loi du 11 février 2025. Nous avons des préoccupations communes et je suis ravi que nous en débattions ce jour.

Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a pour mission de s'assurer de la participation et de la représentation des personnes handicapées, de leurs familles et des professionnels qui contribuent à leur autonomie, dans la coconstruction des politiques publiques qui les concernent. L'ensemble des politiques publiques les concerne : par définition, l'autonomie des personnes handicapées, l'accessibilité et l'accès au droit commun sont des sujets éminemment transversaux qui trouvent leur réponse dans tous les domaines d'intervention de la puissance publique et des acteurs, publics et privés.

Notre mission consiste d'abord à interpeller, accompagner et éclairer tous les acteurs pour que chacun se mobilise, à son niveau, pour assurer l'accessibilité et l'accès au droit commun. Il y a quelques mois, lorsque le gouvernement Barnier a été désigné, certains contributeurs au débat public s'étaient émus de constater qu'il n'y avait pas de ministre directement en charge du handicap, donnant lieu à une mobilisation sur les réseaux sociaux. Le CNCPH a indiqué que sa priorité consistait à savoir ce que le Premier ministre entendait réaliser sur le sujet, quelle place il entendait accorder à la politique du handicap, dans la feuille de route du Gouvernement et quelle serait la mobilisation de la ministre de l'Éducation nationale, du ministre de la Santé, de la ministre de la Culture et du ministre des Transports.

Une ministre a finalement été nommée : néanmoins, la mobilisation interministérielle doit bien l'emporter sur le sujet. Ce sujet préoccupe aussi tous ceux qui travaillent sur la question. La discussion que nous aurons contribuera à définir comment deux sujets transversaux doivent en faire un seul.

Le CNCPH participe également aux travaux du comité interministériel du handicap, créé en 2009 : il prévoit la participation de l'ensemble des ministres, autour du Premier ministre, pour mettre à jour la feuille de route du Gouvernement à partir de la loi de 2005 et, surtout, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. Cette convention a été ratifiée par la France peu de temps après la promulgation de la loi du 11 février 2005. Il nous semble parfois que la France a ratifié cette convention sans prendre le temps de mesurer les écarts entre notre législation et le cadre posé par la Convention. Ces écarts ont posé problème, notamment en ce qui concerne la définition du handicap, pour que nous puissions aborder les questions sous l'angle du droit commun, avec une approche par le droit, en posant d'abord la question de l'accessibilité de nos environnements.

La priorité est bien l'autonomie par l'accessibilité, et non la vision médicale de la question du handicap qui supposerait de n'aborder le sujet que par l'entrée de la déficience des personnes. Nous ne nions pas ces déficiences : néanmoins, la réponse de la société doit d'abord s'articuler autour du principe de l'accessibilité de nos environnements physiques, numériques ou en termes d'accès aux services publics.

Dans les travaux que vous mènerez sur l'évaluation et l'impact de la loi du 11 février 2005, il sera crucial que vous preniez en compte le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. Cette dernière prévoit l'audition des pays signataires par le Comité des droits de l'ONU, pour un examen périodique de la mise en oeuvre de la Convention. La dernière audition de la France remonte à 2021. Le Comité des droits a ensuite publié ses observations générales : il constate que la France n'a pas de problèmes de moyens, mais continue à faire de la ségrégation, et demande à la France de s'engager dans la voie de la désinstitutionnalisation et de garantir une réelle participation des personnes concernées à la vie en société et aux débats sur les questions qui les concernent. Ces observations finales sont la boussole des travaux du CNCPH qui visent à évaluer les actions réalisées et à contribuer à la mise à jour de la feuille de route des acteurs publics.

Notre priorité concerne la question de l'accessibilité des environnements, des établissements, des moyens de transport, des lieux de travail, des services numériques (sites Internet, audiovisuel public) et de tous les processus de participation démocratique, dont les processus électoraux. Sur le sujet de l'accessibilité, nous avons certes avancé, mais nous accusons toutefois encore un certain retard et ne sommes pas du tout au rendez-vous des échéances fixées, particulièrement dans les territoires ultramarins. Il est souvent indiqué que telle n'est pas la priorité : j'affirme que si. Nous devons, quels que soient les endroits où nous sommes, garantir partout, sur tous les territoires, que l'accessibilité est la première règle.

Avec le contexte actuel à Mayotte, la situation est exacerbée : l'accessibilité doit être un des piliers du programme de reconstruction. La situation actuelle est, en quelque sorte, une opportunité : nous pouvons faire de l'accessibilité le sujet de tous et non des seules personnes confrontées à un handicap.

L'accès à l'éducation constitue le deuxième axe prioritaire de la mobilisation et des travaux du CNCPH. Il s'agit du plus grand bouleversement depuis la loi de 2005 : je m'en réjouis, même si la situation bouscule encore les acteurs (communauté éducative, familles, services publics), puisque ce changement était nécessaire. Nous devons nous assurer que l'école soit bien celle de tous les enfants, sous la responsabilité du ministère de l'Éducation nationale, et qu'elle assure la scolarisation de tous les enfants. Cela ne signifie pas qu'un seul modèle d'école doit s'appliquer à tous les enfants, mais que tous les environnements nécessaires aux besoins des uns et des autres soient disponibles, sous la responsabilité de l'Éducation nationale. Ceci est particulièrement vrai dans les outre-mer.

Un certain nombre d'engagements ont été pris ces dernières années, notamment à l'occasion de la dernière conférence nationale du handicap, puis du comité interministériel, notamment sur le plan financier. Ces engagements visent ainsi à mettre en place de nouvelles solutions, avec des renforts budgétaires conséquents. Si ces derniers visent uniquement à reconduire l'existant, ils ne servent à rien. J'ai un peu le sentiment que des crédits supplémentaires sont alloués auxoutre-mer, sans prendre le temps de reposer le cadre et de s'interroger sur ce que nous voulons faire et sur les conditions de la transformation de l'offre médico-sociale.

Notre raison d'être est celle de la participation des personnes et de la prise en compte du choix de toutes les personnes. Nous en sommes encore très loin. Nous considérons encore souvent que certaines personnes n'ont pas les moyens de s'exprimer : nous supposons alors, à leur place, ce qui leur convient le mieux. Nous devons cesser d'agir ainsi et changer nos pratiques, y compris en tant que responsables politiques, élus, services publics et professionnels du droit commun. Les outils de communication alternative et améliorée permettent désormais de faire en sorte que chacune et chacun ait voix au chapitre. Cela est encore plus vrai dans les territoires ultramarins.

Au CNCPH, nous avons une priorité : faire en sorte que les personnes concernées puissent contribuer aux discussions qui les concernent. Nous n'y arrivons pas encore en ce qui concerne les outre-mer au CNCPH. J'en appelle donc à votre aide et à votre mobilisation. A l'occasion d'une récente réforme du CNCPH, nous avons accordé une place accrue à la participation et à la représentation des personnes elles-mêmes concernées. Pour la première fois, nous avons lancé un grand appel à candidatures pour que les associations gouvernées et administrées par des personnes concernées candidatent et participent à nos travaux. Nous avons le souci de la plus grande participation, dans toute la diversité des personnes concernées, en intégrant les outre-mer. Nous voulons que les personnes concernées soient associées au CNCPH. Parmi les centaines de candidatures reçues, une seule venait cependant d'un territoire ultramarin, ce qui nous a interrogés sur les moyens que nous nous étions donnés pour susciter ces candidatures.

Une seconde évolution est intervenue dans les travaux du CNCPH : depuis notre renouvellement, nous avons mis l'accent sur la question des territoires, avec une nouvelle délégation dédiée au suivi territorial des politiques. Nous avons organisé une première conférence des territoires pour croiser les points de vue, les pratiques et les recommandations sur les territoires. Cette première conférence des territoires a été organisée avec le département des Landes en décembre 2024. Nous comptons organiser deux conférences des territoires en 2025 : la première avec la Seine-Saint-Denis et la seconde avec les outre-mer. J'espère que nous pourrons travailler ensemble dans cette démarche en 2025 qui nous ouvrira de nouvelles perspectives.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour cette analyse à laquelle j'adhère pleinement. Les politiques publiques ne sont pas adaptées aux réalités des territoires ultramarins, et pas seulement celles en matière de handicap. Nous présentons tout à l'heure les conclusions d'un rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État aux réalités des territoires.

De l'argent est injecté sans mettre en place les dispositifs adéquats. Vous pouvez compter sur la délégation.

Je cède la parole aux rapporteurs puis aux membres de la délégation.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous remercie pour cette présentation et ces propos introductifs. Il est toujours extrêmement intéressant que des non-ultramarins confirment ce que nous pensons. Nous devons continuer à améliorer les politiques publiques dont nous avons besoin sur nos territoires.

Je ne reviendrai pas sur le questionnaire puisque vous aurez l'occasion de nous transmettre vos réponses.

Il est triste d'apprendre qu'il n'existe pas de données vous permettant de travailler sur la question du handicap dans les territoires ultramarins. De quels outils auriez-vous besoin pour travailler avec nos territoires qui n'ont pas tous de diagnostic ? De quelles données auriez-vous besoin pour élargir le réseau ?

Nous avons, dans nos territoires, un lien étroit entre les services de l'État, par le biais du rectorat, et ceux des conseils départementaux, via la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), dans l'objectif d'avoir une école inclusive. Malheureusement, nous constatons de nombreux défauts et observons de nombreuses situations injustes. À la rentrée 2024, 2 000 enfants handicapés n'ont pas pu rentrer à l'école, à La Réunion, parce qu'ils n'avaient pas reçu de notification MDPH leur permettant d'obtenir éventuellement un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) pour entrer à l'école et être accompagnés. Nos enfants restent donc à la maison, dans les familles, ce qui est extrêmement douloureux. Lorsque des enfants se trouvent en situation scolaire, le nombre d'AESH est insuffisant, comme dans de nombreux départements. Nous avons des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) à tous les niveaux : très souvent, quand les AESH n'ont pas suffisamment d'heures en école primaire, nos ATSEM doivent gérer les temps de repas, alors qu'elles ne sont pas formées et que cela ne relève pas de leurs missions. Cela fait également peser une responsabilité sur elles alors qu'elles dépendent du maire et non du conseil départemental, du rectorat ou de la MDPH. Quelles sont vos préconisations pour améliorer l'accueil des enfants dans ces territoires ?

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Je me joins aux propos de ma collègue Audrey Bélim. Je me sens ultramarin puisque les outre-mer sont la France : quand on défend la France, on défend les outre-mer. Nous sommes donc tous ultramarins.

Élaborerez-vous des rapports pour vos conférences territoriales ? Disposez-vous des données d'accessibilité et d'aménagements en milieu scolaire en outre-mer ? À Mayotte, seule 15 % de la population se déclare, contre 50 % en France. Il conviendra de tenir compte de l'accessibilité dans la reconstruction puisque l'accessibilité est une obligation.

Je souhaite également parler de l'accessibilité à la culture, mais aussi au sport. En France, 5 % des personnes sont en situation de non-mobilité, contre 8 % dans les outre-mer. Si les médailles pleuvaient aux Jeux olympiques sur nos compatriotes ultramarins, elles étaient peu nombreuses aux Jeux paralympiques : cela signifie-t-il que l'accès aux équipements sportifs est plus compliqué, dans les territoires ultramarins ?

Disposez-vous d'une feuille de route pour les outre-mer ? Si elle n'existe pas, pouvons-nous la construire ensemble ?

M. Jérémie Boroy. - Je tiens à préciser que je dispose, pour cette réunion, d'une transcription simultanée de vos interventions, assurée par une vélotypiste : j'en parle puisqu'il s'agit d'un élément d'accessibilité, me permettant de suivre nos échanges en toute autonomie. J'en profite pour saluer la présence dans la salle de Monsieur Philippe Bas, ancien ministre en charge des personnes handicapées, à un moment clé, au moment de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005.

Vous indiquez que 2 000 enfants n'ont pas pu entrer à l'école, à La Réunion, faute de notification de la MDPH. Je tiens à rappeler que la loi prévoit que tous les enfants ont accès à l'école : nous devons cesser de penser que l'enfant, parce qu'il est handicapé, a besoin de l'autorisation de la MDPH pour aller à l'école. Tous les enfants doivent être inscrits à l'école : c'est la loi. Il n'existe aucune raison valable pour demander une procédure particulière pour l'admission à l'école des enfants en situation de handicap. Les parents, les enseignants, les professionnels et la communauté éducative doivent sortir de cette logique. La MDPH assure une mission : garantir aux personnes l'accès à la compensation dont elles ont besoin. La MDPH doit faciliter l'accès au droit commun. Nous avons aujourd'hui l'impression qu'il faut demander à la MDPH une autorisation pour aller à l'école ou pour travailler, mais ce n'est pas le cas.

Si 2 000 enfants se sont retrouvés en difficulté parce que les aménagements n'étaient pas disponibles au moment où ils en auraient eu besoin, le problème diffère. J'entends que, comme les structures spécialisées n'offrent pas suffisamment de places, les écoles se retrouvent à faire de la garderie. Nous devons véritablement faire en sorte que l'école constitue bien la porte d'entrée naturelle, privilégiée et prioritaire de tous les enfants. La loi du 11 février 2005 prévoit bien que les enfants sont inscrits dans leur école de référence. À partir de cette inscription, il convient ensuite de regarder les dispositifs à mettre en place : il faudrait disposer de la palette de solutions la plus large possible, en privilégiant la scolarisation dans le milieu ordinaire de l'école, avec tous les aménagements nécessaires.

Vous avez évoqué le sujet des AESH qui nous mobilise tous depuis des années. Je souhaite revenir aux fondamentaux de la loi. Comme l'école doit être privilégiée, il convient d'envisager l'accessibilité de l'école, ce qui suppose l'accessibilité du lieu, des équipements et de la pédagogie - ce qui requiert une formation des enseignants, et parfois un accompagnement des enseignants eux-mêmes dans leur mission, face à la classe et aux apprentissages. Tout enfant est en capacité d'apprendre et de progresser. En 2005, face à cette grande ambition, les auxiliaires de vie scolaire (AVS) ont été sollicités pour accompagner la transition qui était alors nécessaire. Nous sommes ensuite collectivement tous entrés dans une spirale inflationniste : à chaque rentrée, des milliers d'AVS et d'AESH supplémentaires sont annoncés pour répondre à une demande accrue. Le ministère de l'Éducation nationale indique maintenant que le métier d'AESH est le deuxième métier du ministère. Les AESH n'ont pas vocation à être la solution de la scolarité des enfants handicapés : nous devons garder l'accessibilité de l'école, la formation des enseignants et leur accompagnement et les aménagements nécessaires dans l'école pour que les enfants en situation de handicap bénéficient de l'environnement qui leur convient, en fonction de leurs contraintes. Toutes les ressources actuellement disponibles dans le secteur médico-social doivent venir en appui du droit commun de l'école et donc des enseignants. Ce travail est en cours et cette mutation doit s'opérer pour que les ressources médico-sociales soient au service des enseignants et de la communauté éducative.

Depuis la rentrée de septembre 2024, cinq départements comptent des pôles d'appui à la scolarité (PAS). Ils concrétisent les évolutions de la loi du 11 février 2005 qui restent nécessaires pour que l'école soit ouverte à tous. Ces PAS sont en place dans l'Aisne, l'Eure et Loire, le Var et la Côte d'Or. Nous devons nous mobiliser pour la généralisation de ces PAS dans les départements ultramarins.

Alors que la loi prévoit que tous les enfants doivent être inscrits à l'école, beaucoup d'élèves n'ont pas encore leur identifiant national étudiant (INE), 20 ans après la loi, parce que cet identifiant n'est pas attribué aux enfants qui ne sont pas physiquement présents dans l'école. L'identification de tous les enfants doit être assurée avec cet INE puisque des droits et politiques publiques sont ouverts grâce à cet identifiant. Il serait intéressant de disposer de ces données pour les territoires ultramarins.

L'accès à la culture est un axe fondamental de notre mobilisation. C'est historiquement un des premiers sujets de mobilisation en France sur les questions d'accessibilité, avant même la loi du 11 février 2005. Avant cette loi, le ministère de la Culture prenait en compte l'enjeu de l'accessibilité dans la conception des bâtiments et il disposait déjà d'une commission dédiée, la commission nationale Culture et Handicap qui met régulièrement à jour la feuille de route du ministère sur l'accès à la culture des personnes handicapées. Cette commission s'est un peu essoufflée ces derniers mois, mais nous poussons à sa dynamisation. Au-delà du spectacle vivant et de la pratique culturelle dans les établissements culturels, se pose la question de l'audiovisuel. D'énormes progrès ont été réalisés ces dernières années, grâce à la loi, pour que les programmes audiovisuels soient accessibles, particulièrement sur les chaînes publiques. Depuis le mois de novembre 2024, France Info assure le sous-titrage intégral de ses programmes, de 6 heures 30 à minuit, avec une qualité remarquable. Une exception à la loi du 11 février 2005 doit être levée, dès que possible : elle prévoit des obligations d'accessibilité pour les chaînes de télévision, avec une exception pour les télévisions locales. Je crois que le législateur craignait alors d'être dépassé par les coûts que cette accessibilité pouvait engendrer. Aujourd'hui, les progrès techniques permettent de lever cette exception : il est donc impératif que les télévisions locales soient aussi accompagnées pour s'engager dans la voie de l'accessibilité, afin que l'accès à l'information de proximité, nécessaire à l'autonomie et à la participation au débat public, soit possible sur tous les territoires.

Sur la question du sport et l'effet jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), je suis sans voix quand je constate la vitesse à laquelle nous avons refermé la parenthèse des JOP, avec la promesse d'une meilleure pratique sportive et d'un plus grand soutien à la performance sportive pour celles et ceux qui le souhaitent, dans les établissements et dans les clubs sportifs. La promesse de l'accessibilité qui accompagnait les JOP s'est concrétisée, mais s'est vite essoufflée. Les débats récents sur le budget montrent bien que ces enjeux s'effritent. La pratique sportive est absolument nécessaire et fondamentale pour tout le monde.

Je constate une amélioration des données depuis deux ou trois ans. Je salue la démarche de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) qui met à jour et réunit l'ensemble des données actuellement disponibles sur la situation des personnes handicapées en France. Je peux vous transmettre cette publication, très intéressante, qui reprend les chiffres clés du handicap, si vous ne l'avez pas.

Le CNCPH réclame par ailleurs la mise en place d'un observatoire des besoins, au-delà de la connaissance de la situation déclarée des personnes, quand elle est déclarée, puisque de nombreuses personnes ne déclarent pas leur situation et n'accèdent pas à leurs droits, notamment dans les territoires ultramarins. Des écarts extrêmement importants sont observés dans les territoires ultramarins. Nous souhaitons également connaître précisément les besoins des personnes : quelques acteurs y contribuent, comme la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Nous devons néanmoins disposer de cette connaissance fine, avec la participation des personnes concernées.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - La loi est réinterprétée pour justifier certaines choses, notamment sur la rentrée scolaire.

Les diagnostics sont peu actualisés sur les territoires alors que certains, comme le mien, sont extrêmement dynamiques. Nous avons appelé de nos voeux cette mission : dans les territoires, le handicap était auparavant tabou, caché. Les enfants restaient dans les maisons, par honte ou gêne. Ces politiques publiques ont donc mis du temps à se déployer dans nos territoires. La Réunion compte aujourd'hui un centre de ressources pour l'autisme (CRA) et un centre ressources des troubles du spectre de l'alcoolisation Foetale (TSAF). Des initiatives existent, mais tout reste extrêmement cloisonné. Quelle serait votre préconisation lorsque les territoires n'ont pas de schéma départemental ? Qui pourrait organiser la remontée de ces données nécessaires ? Ces données pourraient alimenter un observatoire et permettraient de préconiser des mesures correspondant à nos territoires et à nos difficultés, sensiblement différentes de celles de l'Hexagone.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Vous avez parlé de la parenthèse des JOP qui s'est refermée. Les athlètes ultramarins doivent venir très jeunes dans l'Hexagone s'ils veulent s'entraîner.

Disposez-vous d'une cartographie des réseaux associatifs et des acteurs associatifs dans les territoires ultramarins ? Le CNCPH s'est-il déjà prononcé sur l'outre-mer ? Dans ce cas, quels sont les retours et les remontées ? Quelles sont les mesures pertinentes qui existent dans l'Hexagone et pourraient être déployées dans ces territoires et départements d'outre-mer ?

M. Jérémie Boroy. - Une des premières actions à engager, sur chacun des territoires ultramarins, consiste à nous assurer collectivement de la participation directe des personnes dans les instances qui existent. Chaque département compte un conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie : il doit être pleinement investi, en s'assurant que les personnes et leur famille se trouvent bien autour de la table pour évoquer leur situation et échanger sur les préconisations, les priorités et les politiques à mettre en place.

En Ile-de-France, l'ARS a mis en place un comité des usagers pour que les personnes concernées se prononcent sur les besoins et sur l'évaluation des solutions mises en place. La même démarche doit être initiée partout. Pour déterminer les priorités, les territoires demandent souvent aux organisations gestionnaires ce dont elles ont besoin, ce qui n'est pas du tout la même chose. Pour répondre à la question de la visibilité, nécessaire pour que nous soyons davantage à l'aise pour parler du handicap, il convient de rendre visible la participation et de rendre les personnes légitimes. J'invite les élus de tous les territoires ultramarins à être associés à ces instances et à vérifier la réalité de la représentation des personnes.

Le réseau des hauts fonctionnaires au handicap et à l'inclusion a été institué dans chaque ministère pour assurer une permanence dans le travail interministériel. Le ministère des Outre-mer participe à ce réseau. Ce dernier est un partenaire privilégié du CNCPH et je vous propose donc que nous programmions un échange avec ce réseau.

Enfin, dans chaque département, un sous-préfet référent est désigné pour le handicap et l'accessibilité. Ce dispositif est récent et n'est pas toujours très visible. Ces référents traitent souvent d'autres sujets, mais ils sont aussi à la disposition des élus pour mobiliser les cadres de droit commun disponibles et veiller à la bonne application des lois.

J'ai été auditionné cette semaine par la commission des lois du Sénat. Une sénatrice soulignait qu'il était illusoire de penser que les droits pouvaient s'appliquer de la même manière partout. Je souhaiterais appeler à la vigilance de tous les élus et de tous les sénateurs : cela ne peut pourtant être illusoire. Nous devons au contraire corriger tous les écarts qui existent dans l'égalité d'accès aux droits, quels que soient les territoires.

Ces sujets demandent une connaissance par tous les élus des canaux de référence. Il serait opportun de regarder comment les commissions et délégations du Sénat peuvent faciliter l'accès des élus à la connaissance des enjeux de la Convention des Nations Unies qui s'impose à nous.

Mme Jocelyne Guidez. - Je vous remercie pour ce débat intéressant. Le sujet du handicap est large et recouvre différentes formes de handicap, qui requièrent des accompagnements différents. Est-il réellement possible d'inclure tous les enfants dans l'école ? Je ne veux choquer personne, mais j'ai, dans mon entourage, une personne atteinte du syndrome de Rett : il est très compliqué, voire impossible, d'inclure ces enfants dans les écoles.

Quand la France a voulu inclure tous les enfants dans ses écoles, elle a arrêté de construire des instituts médico-éducatifs (IME). Or, il faut absolument continuer à construire des IME pour accueillir dans de bonnes conditions les enfants lourdement handicapés qui deviendront ensuite des adultes. Je suis évidemment favorable à l'école inclusive, mais un accompagnement des enseignants et des AESH me paraît indispensable. Les enfants avec un trouble du développement neurologique (TND) ne sont pas si bien inclus dans nos écoles et ne sont pas si bien acceptés : ils dérangent. Selon le handicap, il convient de définir le meilleur accompagnement des enfants. L'inclusion n'est pas toujours la solution. Je suis favorable à un travail autour des IME pour mieux accompagner les enfants lourdement handicapés.

Sur l'emploi, l'inclusion par le travail me semble constituer un levier central pour améliorer l'insertion des personnes en situation de handicap. Je parrainais la semaine dernière un colloque, organisé au Sénat : une intervenante en situation de handicap nous indiquait combien de détermination était nécessaire pour affronter les difficultés liées au handicap au travail. Le CNCPH dispose-t-ile d'un état des lieux précis du taux d'emploi des personnes en situation de handicap dans les différents territoires ultramarins ? Propose-t-il des dispositifs spécifiques pour favoriser l'emploi dans ces territoires ?

Je n'oublie pas les aidants qui jouent un rôle crucial, en particulier dans les territoires où les structures médico-sociales sont les plus saturées, comme en outre-mer. Quels droits essentiels vous semblent prioritaires pour répondre aux besoins ultramarins spécifiques ?

M. Philippe Bas. - Je connais de longue date Jérémie Boroy dont vous avez pu constater la compétence sur toutes les questions d'insertion des personnes handicapées, de soutien aux personnes handicapées et de citoyenneté des personnes handicapées. J'avais coutume de qualifier, de manière abusive, l'institution qu'il préside de « Parlement du handicap », même s'il n'existe qu'un seul Parlement. Dans la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 sur la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et le droit à la compensation du handicap, le CNCPH a été saisi de plus de 80 décrets en 18 mois, a fait des propositions de modification de tous les projets, a parfois réexaminé des textes qui révélaient des lacunes à l'usage, très rapidement. Je suis heureux que la délégation aux outre-mer manifeste son intérêt et sa considération pour cette institution qui a accompli un important travail.

Nous observons, dans tous les domaines de l'action publique, que nos services publics sont souvent submergés, particulièrement dans certains départements d'outre-mer. C'est vrai pour l'école, en Guyane, à Mayotte et dans les Antilles. C'est vrai pour l'hôpital. C'est vrai pour les transports publics. C'est vrai parfois pour l'accès aux réseaux d'eau et d'assainissement, en Guadeloupe. Tout ceci n'est pas sans impact sur les causes du handicap et sur les difficultés particulières que peuvent ressentir les personnes handicapées. Il paraît donc important à la délégation d'adapter les modes d'action à des réalités parfois très différentes de celles observées dans l'Hexagone. Nous pourrions sans doute réfléchir en commun à des stratégies alternatives, au lieu de rechercher systématiquement la pleine application des règles que nous mettons en oeuvre dans l'Hexagone. Nous pourrions ainsi aborder la situation avec un autre regard, pour regarder les situations avec réalisme et pragmatisme. Nous traiterions alors ces questions dans le cadre d'une fraternité agissante qui permet d'espérer des prises en charge humaines reposant sur la famille et sur la communauté qui ne sont pas de même nature que dans l'Hexagone.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je souhaite appuyer le propos courageux et réaliste de notre collègue. Il existe effectivement des limites : les enseignants ne sont pas toujours formés à tous les handicaps, puisque ceux-ci sont multiples. Il ne faut pas que l'inclusivité serve d'excuse à l'État pour éviter de construire suffisamment de structures qui manquent pourtant cruellement, comme les IME. Nous avons voté à l'unanimité une loi sur les AESH, pour la prise en charge de la pause méridienne par l'État, mais les crédits manquent, sur le terrain. J'ai vérifié auprès de mon directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), la semaine dernière : il a reçu l'équivalent de six postes et doit se débrouiller. La loi ne peut donc être appliquée parce que les financements ne sont pas suffisants.

Les sous-préfets s'occupent de nombreux sujets, alors que leurs moyens diminuent. Il convient que les moyens soient donnés pour appliquer les lois votées par le Parlement.

M. Jérémie Boroy. - Je vous remercie pour vos questions. Je souhaite d'abord répondre à la préconisation de Monsieur le ministre sur la manière d'aborder le sujet, avec davantage de pragmatisme et avec la connaissance la plus précise de la réalité de chacun des territoires, notamment pour les territoires ultramarins. J'y adhère, à condition que nous ne renoncions en aucun cas à faire de l'accès aux droits des personnes l'objectif. Cela suppose également de planifier et d'organiser les choses, ce que nous n'avons pas suffisamment fait depuis 2005. L'autre condition, ou critère de réussite, de cette démarche est celle de la participation directe des personnes à la définition d'une stratégie à mettre en place au niveau territorial.

Madame la sénatrice, j'ai entendu votre propos sur l'école et je souhaite y apporter quelques nuances : il n'est plus possible de dire aujourd'hui qu'il y a des enfants pour lesquels l'école doit être proposée dans des modalités différentes. L'évaluation de la mise en place de la convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies en France a amené l'observation suivante : nous continuons à faire de la ségrégation. Aujourd'hui, rien ne justifie que nous puissions considérer que des personnes, parce qu'elles auraient tel ou tel handicap, devraient être à part. Être à part n'est en aucun cas une réponse à leurs besoins. La construction d'IME n'est pas une réponse à ce que nous souhaitons mettre en place. Les environnements adaptés et spécialisés dans les IME doivent être disponibles dans l'environnement de l'école. Un des axes de la dernière conférence nationale du handicap vise à ce que les IME puissent trouver leur place dans les écoles. Avec le CNCPH, j'adhère totalement à cet axe. De nombreuses opportunités existent, y compris sur le plan foncier. Nous devons sortir de cette vision qui voudrait que l'école inclusive inclût des élèves au milieu de tout le monde, sans prendre en compte les besoins des uns et des autres. Ce n'est pas du tout cela : il n'existe pas de catégorie de handicap qui requiert des orientations différentes. Tous les enfants, y compris ceux qui supportent les handicaps les plus contraignants, doivent avoir la réponse à leur droit à l'éducation sous la responsabilité de l'école, sur tous les territoires et pour tous les publics. C'est indispensable.

Mme Micheline Jacques, président. - À Saint-Barthélemy, dans une école, nous avions prévu une salle pour recevoir des enfants autistes. Les parents ont refusé cet aménagement et préféreraient que leurs enfants aillent dans une structure spécifique, considérant que le niveau sonore de l'école n'était pas compatible avec les besoins des enfants et les mettait en situation de stress. Ce débat existe également au sein des familles, quand elles sont intégrées dans les projets.

Nous vous remercions pour votre intervention. Vous avez soulevé des points très intéressants. Le sujet du handicap est interministériel. Vous avez rappelé les obligations de l'école : ce n'est pas à l'enfant de s'adapter à l'école, mais à l'école de s'adapter à l'enfant. Vous avez demandé la mise en place d'un observatoire des besoins et avez avancé des pistes d'évolutions législatives, notamment pour les chaînes de télévision locales.

Vous avez souligné l'adaptation aux réalités des territoires. Il est vrai que La Réunion a ses spécificités, mais la Polynésie française en a également, avec des îles extrêmement éloignées. L'ouverture d'une classe unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis) est refusée lorsque trop peu d'enfants peuvent intégrer cette classe. Certains dispositifs fonctionnent en silos : il conviendrait de regarder la manière de les adapter à de petits territoires qui n'ont que 10 enfants concernés, relevant d'adaptations différentes. Nous travaillerons avec plaisir avec vous sur ces sujets.

Je vous annonce une bonne nouvelle : grâce au Duoday, un jeune ayant témoigné à cette occasion a été embauché par une de nos collègues sénatrice et est devenu son collaborateur. Nous pourrons le rencontrer puisqu'il a travaillé sur un projet d'inclusion sportive, dans le tennis. Il s'est rendu compte de la difficulté de faire venir des jeunes ultramarins pour participer à des compétitions handisports nationales. Ces belles histoires existent et doivent être valorisées.

Jeudi 6 février 2025

Tables rondes sur la politique du handicap à La Réunion - les représentants d'institutions

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la politique du handicap outre-mer, nous nous focalisons ce jour sur la situation à La Réunion, avec deux tables rondes réunissant, d'une part, des représentants de différentes institutions et, d'autre part, des représentantes de plusieurs grandes associations.

Aux côtés de nos trois rapporteurs, Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne, je suis heureuse d'accueillir pour notre première séquence : Sabrina Tionohoué, élue à la mairie de Saint-Pierre, déléguée du Conseil départemental de La Réunion aux politiques inclusives des personnes en situation de handicap et à la vie éducative, accompagnée de Nathalie Anoumby, directrice générale adjointe des services du Conseil départemental, responsable du pôle des solidarités, et Aurélie Nativel, directrice de l'autonomie au pôle des solidarités, Rostane Mehdi, recteur de l'académie de La Réunion et Déva Radakichenin, directeur de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de la Réunion.

Nous vous avons adressé un questionnaire pour préparer votre exposé liminaire.

À la suite de vos présentations respectives, nos rapporteurs vous interrogeront, suivis des autres membres de la délégation.

Mme Sabrina Tionohoué, déléguée du Conseil départemental de La Réunion aux politiques inclusives des personnes en situation de handicap et à la vie éducative. - Je suis très heureuse d'être parmi vous pour cette table ronde dédiée au handicap à La Réunion.

L'accompagnement des personnes en situation de handicap constitue une priorité essentielle pour notre département, qui oeuvre quotidiennement au soutien des familles investies dans ce parcours exigeant afin d'offrir à leurs proches un cadre de vie adapté.

La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de La Réunion joue un rôle central dans cet engagement par son accueil, écoute et orientation des bénéficiaires dans l'élaboration de leur projet de vie et la formulation de leur demande de compensation. Aider les personnes en situation de handicap et garantir leur autonomie représente un défi politique, humain, et territorial d'une ampleur considérable. Avec l'État, l'agence régionale de santé (ARS), le rectorat et les associations, le département travaille à l'amélioration continue de l'offre médico-sociale afin de répondre aux évolutions des besoins.

En 2024, le nombre de personnes en situation de handicap recensées à La Réunion atteint 72 000 bénéficiaires, soit une hausse de 5 % depuis 2021. Depuis 2006, cette augmentation évolue de manière soutenue, avec une population concernée représentant aujourd'hui 8 % des Réunionnais, soit deux fois plus qu'il y a douze ans.

Cette progression est amenée à s'intensifier sous l'effet de la croissance démographique, d'un meilleur accès aux droits et d'une amélioration du dépistage néonatal.

Cette évolution met également en évidence un sous-équipement préoccupant, qui ne permet pas d'assurer un accompagnement optimal. En effet, La Réunion accuse un retard significatif dans le déploiement des structures adaptées : maisons d'accueil spécialisées (MAS) : 0,5 place pour 1 000 adultes âgés de 20 à 59 ans, contre 1 place en moyenne nationale ; foyers de vie : 1,2 place pour 1 000 adultes, contre 2,1 au niveau national.

Une étude de l'ARS chiffre les besoins supplémentaires à 350 places en Service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) et 250 places en foyers d'accueil médicalisés.

En tant que chef de file de l'action sociale, le département se saisit de cette situation qui ne reflète pas toute la vigueur de la solidarité réunionnaise.

Il nous appartient, collectivement, de garantir une réponse adaptée aux attentes des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Cette exigence implique une augmentation des capacités d'accueil et une diversification de l'offre, afin d'assurer un accompagnement respectueux des choix de vie.

À cet égard, l'action départementale s'oriente vers deux axes principaux : l'augmentation des capacités en établissements médico-sociaux ; le développement d'alternatives intermédiaires entre le domicile et les établissements spécialisés.

Afin de structurer cette évolution, le département a lancé en 2021 un appel à manifestation d'intérêt général pour favoriser l'émergence de réponses innovantes telles que : une plateforme de répit pour les aidants dans l'Est de l'île ; un foyer d'accueil occupationnel « hors les murs » ; un projet d'hébergement séquentiel « hors les murs » ; un projet de répit-repos pour les jeunes déficients intellectuels et TSA ; un projet d'accompagnement à la vie adulte pour les grands adolescents.

L'enjeu pour le Conseil départemental consiste à proposer un mode de financement qui favorise la pérennisation de ces structures nouvelles. Ces initiatives s'intègrent dans le cadre de la convention « Khattabi » (du nom de l'ancienne ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées) en faveur de l'inclusion des personnes vivant avec un handicap, signée en 2023 entre l'État, l'ARS et le département, visant à moderniser et transformer l'offre médico-sociale. Ce programme prévoit la création de nouvelles places entre 2024 et 2030, avec un accent mis sur l'inclusion et la diversification des parcours.

Les familles d'accueil constituent un levier essentiel pour favoriser l'intégration des personnes en situation de handicap. À La Réunion, 1 800 places sont actuellement mobilisées, facilitant l'inclusion et le lien social. Parallèlement, les initiatives Pass Loisirs et Pass Transport permettent à près de 20 000 bénéficiaires d'accéder à une offre de loisirs et de transport en milieu ordinaire. Par ailleurs, entre 2022 et 2024, les demandes de prestation de compensation du handicap (PCH) ont augmenté de 16 %, entraînant une hausse des dépenses de 24 %.

Toutefois, le concours de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) n'évolue que trois fois moins vite que les besoins réels, laissant le département avec un reste à charge de 70 %. L'ampleur des besoins exige un engagement renforcé de la solidarité nationale, afin d'assurer des conditions de vie dignes et adaptées à toutes les personnes concernées.

L'accès à un logement adapté demeure un enjeu fondamental. Sur 40 000 demandes en attente, de nombreuses personnes en situation de handicap se retrouvent contraintes d'accepter des logements inadaptés. Le Département intensifie son action via l'aide à l'amélioration de l'habitat, avec pour ambition de porter de 3 000 à plus de 4 000 le nombre d'adaptations réalisées chaque année.

Afin de mieux répondre aux besoins des publics vulnérables, le département mise sur des dispositifs d'accompagnement innovants, comme les caravanes d'accès aux droits et à l'information parcourant les zones isolées de l'île. Le soutien aux aidants constitue également une priorité renforcée. Le groupement d'intérêt public des services à la personne de La Réunion (GIP SAP Réunion), actif depuis 2010, leur propose diverses solutions : numéro vert (7 200 appels annuels), dispositif répit-repos, formations, café des aidants, accompagnement psychosocial, ainsi qu'une caravane.

Concernant le volet emploi, La Réunion compte 40 000 travailleurs handicapés. Si la loi impose un quota de 6 % d'embauches, le respect de cette obligation varie selon les entreprises. Les 11 établissements et services d'accompagnement par le travail (Esat) existants offrent 979 places, mais leur taux d'équipement reste inférieur à la moyenne nationale (2,2 places pour 1 000 adultes, contre 3,6 dans l'Hexagone).

Le déficit d'infrastructures médico-sociales entrave lourdement le parcours des jeunes en situation de handicap. En 2022, La Réunion comptait 2 400 places dédiées aux enfants et adolescents - hors centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) et centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) --, soit 9,7 places pour 1 000 jeunes de 0 à 19 ans, contre 10,6 au niveau national. Malgré le suivi de 4 500 enfants par les CAMSP et CMPP en 2020, l'offre reste nettement insuffisante, notamment en instituts médico-éducatifs (IME) et en services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD).

L'école inclusive s'impose comme un droit fondamental, pourtant sa mise en oeuvre à La Réunion se heurte à de multiples obstacles. De nombreux parents expriment leur mécontentement, confrontés à des difficultés récurrentes dans l'accompagnement de leur enfant. En tant qu'élus de proximité, nous constatons les écueils du parcours scolaire, souvent chaotique, des élèves en situation de handicap.

Lorsque la MDPH oriente un enfant vers un établissement spécialisé ou un SESSAD, cette orientation s'avère fréquemment inapplicable, faute de place disponible. Dans ces conditions, l'enfant intègre l'enseignement ordinaire, sans bénéficier d'un cadre réellement adapté. Ce constat alimente une demande croissante d'accompagnement humain, les familles attendant avec espoir la mise en place d'IME intégré aux établissements scolaires, comme le prévoit l'ARS.

Sur les 218 000 élèves scolarisés dans l'île, 9 500 relèvent d'un parcours en milieu ordinaire avec compensation, l'AESH constituant l'élément central de cet accompagnement. La croissance des notifications en témoigne : en 2006, 171 droits d'AESH étaient accordés, contre 4 000 en 2024. Malgré cet effort, la réalité de l'école inclusive ne se traduit pas toujours par une expérience positive pour les familles.

L'instruction d'un dossier implique un temps d'attente excessivement long, retardant la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement. Lorsque la notification est finalement accordée, l'orientation cible ne peut pas toujours être suivie, tandis que les quotas horaires attribués pour l'accompagnement par un AESH ne correspondent pas toujours aux besoins évalués par la MDPH.

« L'après 16 ans » constitue un autre point critique. Une coordination insuffisante entre les établissements scolaires et les missions locales entraîne un risque majeur d'isolement pour les jeunes en situation de handicap. Lorsqu'aucun dispositif d'accompagnement spécifique n'est prévu, la charge du suivi repose entièrement sur les familles, qui se retrouvent démunies face à cette transition. L'absence d'un suivi structuré affecte également les enfants instruits à domicile, pour lesquels aucun cadre précis ne permet de garantir un diagnostic complet et un accompagnement adapté.

Le traitement des demandes à la MDPH constitue une autre difficulté majeure. Conscient des retards accumulés, le Département a soutenu financièrement la démarche « Prisme délai », visant à réduire le temps d'instruction. Cette initiative a permis d'optimiser le traitement des dossiers adultes, désormais instruits en trois mois en moyenne.

Cependant, l'engorgement persiste pour les demandes liées à la scolarisation des enfants. La pression sur les services et le volume croissant des demandes nécessitent un réajustement des moyens, afin de garantir un traitement rapide et équitable des dossiers.

Face à ces défis, la responsabilité collective de l'ensemble des acteurs s'impose. L'amélioration des délais de traitement, la coordination renforcée des dispositifs et le suivi post-scolaire doivent constituer des priorités absolues.

Seule une mobilisation conjointe permettra de répondre aux attentes des familles, de garantir un parcours éducatif structuré et d'assurer un accompagnement digne aux enfants en situation de handicap.

C'est ensemble que nous relèverons ce défi.

M. Rostane Mehdi, recteur de l'académie de La Réunion.  - Le handicap réside au coeur des préoccupations de l'académie de La Réunion, dont j'ai pris la direction il y a trois mois. J'ai rapidement perçu l'ampleur des enjeux et la nécessité impérieuse d'une mobilisation forte. Les données illustrent cette réalité : 9 500 élèves en situation de handicap identifiés, soit une augmentation annuelle de 10 % depuis cinq ans. Cette évolution traduit également une meilleure identification des situations, révélant des besoins jusque-là restés dans l'ombre. Si l'engagement de l'académie dans la prise en charge de ces élèves ne fait aucun doute, il convient de reconnaître avec lucidité les marges d'amélioration qui demeurent. Nous avons d'ores et déjà déployé des moyens humains, et nous nous efforçons d'innover en tenant compte des spécificités géographiques et sociales du territoire.

L'accessibilité des infrastructures demeure une question cruciale à La Réunion, où le relief et la dispersion des zones rurales rendent l'organisation des parcours scolaires particulièrement complexe. Mes prédécesseurs ont ainsi opté pour une cartographie des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) permettant aux élèves de suivre l'ensemble de leur scolarité au sein d'un même dispositif.

L'éloignement des services constitue un autre frein à la pleine application de la loi de 2005. Pour y remédier, l'académie déploie 14 coordonnateurs PIAL à temps plein, chargés de faciliter l'accès à l'information et aux services d'accompagnement humain des élèves notifiés par la MDPH. Un personnel spécifique assure également le recensement, la mise à disposition et le suivi du matériel pédagogique adapté dans un délai maximal de 72 heures, garantissant une réactivité appréciable.

Afin d'optimiser la gestion des accompagnements, l'académie a développé des outils numériques de suivi en temps réel. Sous l'autorité du service académique de l'école inclusive, ils assurent une coordination efficace des adaptations nécessaires.

Si ces dispositifs facilitent l'intégration scolaire, ils ne suffisent pas à garantir une école inclusive pleinement fonctionnelle. La fragilité sociale du territoire, caractérisée par des inégalités persistantes, complique encore davantage la situation des élèves en situation de handicap. J'ai rapidement perçu, en prenant mes fonctions, que le handicap tend à aggraver ces vulnérabilités préexistantes. Ainsi, il m'a semblé fondamental de placer la question de l'école inclusive au coeur des priorités pour les années à venir.

Force est de constater que l'organisation actuelle des dispositifs inclusifs souffre d'incohérences manifestes. Des enfants sans besoin avéré d'accompagnement spécialisé occupent des places dans les structures dédiées, tandis que des centaines d'élèves exprimant un réel besoin restent sans solution adaptée et se retrouvent en classe ordinaire, générant des situations de tension dont la fréquence suscite une véritable inquiétude.

Il semble essentiel d'engager une refonte complète du dispositif. Cette démarche concerne en premier lieu le traitement des demandes par l'Éducation nationale et le rectorat, tant pour les premières demandes que pour les renouvellements. Il convient d'évaluer l'adéquation des protocoles existants, vérifier leur mise en oeuvre harmonisée dans l'ensemble des établissements, et examiner la pertinence de la formation des enseignants. Avec Cyrille Melchior, président du Conseil départemental, nous partageons une vision commune sur la nécessité d'améliorer les procédures. Dans cet esprit, je veillerai à ce que nous assumions pleinement notre part de responsabilité dans les dysfonctionnements actuels, en particulier ceux qui entravent la fluidité de la gestion des dossiers et compliquent l'accès aux dispositifs d'accompagnement.

Placer l'école inclusive au coeur des priorités académiques implique des engagements concrets, notamment le renforcement de nos ressources humaines spécialisées. À ce jour, nous disposons de : trois inspecteurs spécialisés sur les questions en lien avec l'école inclusive ; 30 enseignants référents, dont l'action se partage avec les collectivités ; un conseiller technique dédié à cette question auprès de mon cabinet ; un service académique de l'école inclusive ; 300 enseignants spécialisés sur l'ensemble du territoire.

Malgré cet effectif, nous devons accroître le nombre d'enseignants certifiés au titre du certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'école inclusive (CAPPEI). Au-delà de la spécialisation, la formation de l'ensemble du corps enseignant revêt une importance capitale. Les enseignants du cadre ordinaire seront inévitablement confrontés à des situations complexes liées à l'absence de prise en charge adaptée pour certains élèves.

Aujourd'hui, de nombreux établissements font face à des crises d'une intensité préoccupante : violences verbales et physiques, dégradations du matériel scolaire, comportements perturbateurs nécessitant une intervention rapide. Il nous faut ainsi renforcer la formation de la communauté éducative afin qu'elle puisse identifier les signes avant-coureurs d'une crise et adopter les protocoles appropriés pour garantir une prise en charge immédiate. Nous avons engagé une réflexion sur un plan de formation spécifique, qui s'appuiera sur les dispositifs nationaux, mais également sur l'expertise des 300 enseignants spécialisés de l'académie. Ces professionnels constituent une ressource précieuse et compétente, que nous devons mobiliser pleinement.

L'insuffisance des structures dédiées sur notre territoire impose d'engager des projets d'envergure. En partenariat avec l'ARS, nous travaillons à la création d'un IME supplémentaire, indispensable pour accueillir les élèves concernés.

Par ailleurs, nous avons obtenu un soutien significatif de la direction générale de l'enseignement scolaire : 28 nouveaux équivalent temps plein (ETP) d'enseignants spécialisés, 28 éducateurs mis à disposition par l'ARS, un budget de 7,9 millions d'euros consacré par l'ARS à l'école inclusive, 10 ETP supplémentaires financés par l'académie, malgré un contexte budgétaire contraint.

Ainsi, l'académie se mobilise, tout en assumant sa part de responsabilité en cas de dysfonctionnement. Une collaboration étroite avec les collectivités, en particulier avec le Département, nous permet d'adopter une vision stratégique de long terme sur ces sujets prioritaires.

M. Déva Radakichenin, directeur de la MDPH.  - Le handicap représente un enjeu majeur de notre territoire et concerne toutes les générations, des nouveau-nés aux personnes vieillissantes.

La MDPH de La Réunion figure parmi les plus sollicitées au rang national, avec 27 000 dossiers déposés chaque année, soit une nouvelle demande toutes les quatre minutes. Concernant la scolarisation des jeunes en situation de handicap, la MDPH enregistre un nouveau dossier toutes les quinze minutes.

Depuis sa création en janvier 2006, la MDPH a traversé quatre cycles quinquennaux, chacun reflétant des évolutions notables dans les attentes des personnes en situation de handicap. Après de premières années marquées par une montée progressive de la demande, de nouvelles pressions se sont exercées sur l'activité de compensation du handicap à partir de 2021, modifiant profondément le paysage de l'accompagnement des personnes concernées.

Parmi les évolutions récentes, deux tendances se dessinent : une hausse significative des demandes des seniors, notamment au-delà de 50 ans, ainsi qu'une explosion des demandes chez les jeunes, avec une progression de 70 % depuis 2010. L'ampleur de ces dynamiques se traduit par une évolution sans précédent du nombre de bénéficiaires. À l'horizon 2025, la population reconnue en situation de handicap aura triplé par rapport à 2005, passant de 25 000 à plus de 75 000 personnes. Cette croissance touche toutes les tranches d'âge, y compris les plus de 60 ans, qui formulent des besoins accrus en matière de compensation afin de préserver leur autonomie. Par ailleurs, chaque année, 12 % des nouveaux bénéficiaires sont inconnus des services de compensation. Ce flux constant témoigne d'une évolution structurelle du champ du handicap, qui impose une adaptation continue des dispositifs d'accompagnement.

Face à cette réalité, la MDPH a démontré sa capacité à ajuster ses modes d'intervention aux spécificités du territoire. Cependant, plusieurs défis persistent : la pression exercée par l'afflux des demandes, l'inadéquation entre les ressources disponibles et les objectifs fixés, ainsi que la nécessité de contenir l'allongement des délais d'instruction.

Je partage également l'analyse de Sabrina Tionohoué : la MDPH évolue dans un écosystème contraint, au carrefour d'une chaîne d'actions et de responsabilités, sans pour autant disposer d'un levier direct sur l'effectivité des droits. En amont des dispositifs d'accompagnement, elle se voit confier une mission essentielle d'information et de formation, afin de garantir l'accessibilité des démarches pour les usagers.

L'évolution de nos missions s'est structurée autour d'étapes déterminantes, directement issues des stratégies nationales. Je m'attacherai ici à exposer quelques éléments clés qui ont contribué à renforcer la qualité de service, ambition au coeur de notre projet institutionnel.

Le premier jalon repose sur l'instauration du référentiel des missions de qualité de service, élaboré à l'échelle nationale. Il aura fallu attendre dix ans après la promulgation de la loi de 2005 pour que chaque mission des MDPH, inscrite dans le code de l'action sociale et des familles, soit précisément définie en matière d'objectifs, d'attendus et d'indicateurs qualitatifs mesurables. Ce travail substantiel a été porté par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Un autre chantier d'envergure a concerné l'évolution du système d'information des MDPH. Depuis cinq ans, l'ensemble des structures s'appuie sur un dispositif harmonisé, garantissant un accès équitable aux droits sur l'ensemble du territoire national. Ce système, conçu et validé sur le plan national, assure une uniformisation des procédures. La MDPH de La Réunion s'est pleinement inscrite dans cette dynamique et applique ces nouvelles modalités depuis leur mise en place.

Par ailleurs, la feuille de route MDPH 2022, proposée par l'État, a impulsé un changement de pratiques dans l'ensemble des départements, en articulant des chantiers prioritaires adaptés aux réalités locales. À La Réunion, cette feuille de route a mis en exergue deux enjeux fondamentaux : la qualité d'accueil et d'accompagnement des usagers et de leurs aidants, ainsi que la réduction des délais de traitement, question particulièrement sensible sur notre territoire.

L'impact de ces évolutions se mesure notamment au travers de l'enquête annuelle de satisfaction des usagers, mise en place pour recueillir leurs retours et ajuster nos pratiques en conséquence. Depuis l'instauration de ce dispositif, nous avons fait le choix de maximiser la participation du public. En 2024, avec 3 500 réponses recensées, La Réunion se positionne parmi les huit départements de France affichant le taux de réponse le plus élevé.

Les résultats de cette enquête, disponibles sur le site de la CNSA, indiquent clairement que l'accueil, l'écoute, l'information et le conseil obtiennent une évaluation moyenne de 80 sur 100, traduisant une reconnaissance des efforts engagés. En revanche, la question des délais de traitement suscite une insatisfaction majoritaire, témoignant d'un constat que nous partageons pleinement.

Face à ce défi, la commission exécutive de la MDPH a pris la décision d'entreprendre une opération spécifique visant à enrayer l'allongement des délais de traitement, accompagnée par un soutien financier du Département. À titre d'illustration, en janvier 2024, nous avions statué sur près de 3 000 situations et enregistré un délai de traitement moyen de 6,3 mois pour l'ensemble des demandes. Un an plus tard, à l'issue d'un travail rigoureux d'optimisation et de rationalisation de nos processus, le délai moyen de traitement s'établit désormais à 3,7 mois. Cette évolution illustre, de manière tangible, l'impact positif d'un engagement collectif, porté par la confiance et le soutien des membres fondateurs de la MDPH, pour proposer des réponses structurantes sur le territoire.

Toutefois, une lecture affinée de ces données met en lumière une réalité contrastée. Pour les adultes, les délais de traitement se révèlent aujourd'hui très satisfaisants. Sabrina Tionohoué l'a souligné avec justesse : pour les personnes de plus de 20 ans, le traitement des dossiers s'effectue désormais en 3 mois en moyenne, réduisant même à moins de 2,5 mois pour les plus de 60 ans. En revanche, les demandes concernant les jeunes, en particulier celles liées à la scolarisation, connaissent encore des délais préoccupants. En 2024, le traitement des dossiers scolaires a atteint près de 8 mois, soit le double du délai légal de 4 mois. Il convient désormais de mobiliser les ressources nécessaires pour garantir des évaluations de qualité et structurer des parcours adaptés aux besoins spécifiques de ces jeunes.

Cette problématique s'inscrit dans le cadre plus large du parcours médico-social, évoqué avec pertinence par Rostane Mehdi. Environ 15 % des bénéficiaires, enfants et adultes confondus, se situent à un niveau élevé de perte d'autonomie et nécessitent, en conséquence, un accompagnement médico-social en service ou en établissement. Or, l'équation réunionnaise se révèle préoccupante : le territoire dispose d'environ 5 300 places médico-sociales, toutes catégories confondues, tandis que la MDPH enregistre 11 000 personnes orientées vers ces structures. Ce déséquilibre structurel pèse sur l'ensemble du parcours de vie des bénéficiaires, tant au sein du système scolaire qu'au moment de l'insertion professionnelle. Il conduit, par manque de solutions adaptées, à des parcours contraints, fondés sur des choix par défaut, éloignés des orientations qui répondraient pleinement aux besoins des personnes concernées.

Le déficit d'offres, en particulier dans les IME et les SESSAD, perturbe profondément les parcours des jeunes concernés. Ceux dont la nature du handicap et les conséquences sur leur quotidien devraient les orienter vers un accompagnement médico-social spécialisé se retrouvent, par défaut, maintenus en milieu ordinaire. Ce réajustement contraint engendre des parcours chaotiques, marqués par des ruptures et des adaptations précaires. Ce déséquilibre se traduit également par une sollicitation accrue des aides humaines, ces jeunes nécessitant souvent un accompagnement renforcé pour être maintenus en classe ordinaire.

Concernant la connaissance du territoire, il convient de rappeler que la MDPH de La Réunion a été, en 2011, la première de France à entreprendre une estimation populationnelle du handicap à l'échelle départementale. Cette mission d'observatoire, développée depuis plusieurs années, permet aujourd'hui une cartographie précise de l'ensemble des bénéficiaires d'un droit actif. Nous disposons de données détaillées sur les types de déficiences, et sommes en mesure de caractériser cette population avec une finesse statistique croissante. Un travail est en cours, nécessitant validation et consolidation, afin d'intégrer des dimensions supplémentaires telles que le mode de vie, le type d'hébergement et les ressources des personnes concernées. Cet approfondissement repose sur l'exploitation du système d'information harmonisé, qui enrichit considérablement la connaissance des publics en situation de handicap.

Toutefois, ce progrès se heurte à une limite persistante : l'absence de flux entrants de données. En effet, si l'interopérabilité a permis de créer des connexions sortantes avec des institutions comme la CAF, Pôle emploi ou encore le système national de gestion des identifiants (SNGI), aucun retour en temps réel ne permet de mesurer l'effectivité des droits ouverts par la MDPH. Combien d'enfants disposent réellement d'un accompagnement éducatif effectif après une orientation vers une aide humaine ? Combien d'allocataires perçoivent concrètement leur prestation, après validation administrative ? Combien de personnes reconnues en qualité de travailleurs handicapés ont pu accéder à un emploi ? En l'absence de données consolidées en retour, ces interrogations demeurent sans réponse précise.

Aucune école inclusive ne peut fonctionner sans un maillage efficace avec la MDPH, qui constitue le pivot de la reconnaissance du handicap et de l'organisation des dispositifs d'accompagnement. Or, l'une des principales problématiques réside dans le nombre croissant de dossiers déposés pour des difficultés scolaires isolées, sans qu'un véritable travail préalable d'adaptation pédagogique ait été mis en place. Avant toute saisine de la MDPH, une analyse approfondie s'impose : la compensation par le handicap constitue-t-elle réellement la réponse la plus appropriée ?

Par ailleurs, la difficulté du diagnostic précoce représente un autre enjeu majeur. Certaines situations font apparaître des difficultés évidentes dans le parcours scolaire, dans l'insertion sociale ou professionnelle, mais l'absence de diagnostic formel empêche d'objectiver la reconnaissance du handicap et d'en mesurer les impacts concrets.

Enfin, les évolutions des déficiences déclarées sur les cinq dernières années font état de résultats édifiants : les troubles du langage et de la parole enregistrent une hausse de 100 %, représentant aujourd'hui la catégorie en plus forte progression parmi les jeunes reconnus par la MDPH ; les troubles psychiques connaissent également une augmentation de près de 40 %.

À cet égard, il convient de souligner que la MDPH dispose des ressources statistiques permettant d'éclairer les politiques publiques dans la construction d'une réponse adaptée aux besoins spécifiques de La Réunion.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Je tiens à saluer l'engagement de La Réunion qui se distingue par des avancées notables en matière d'accès aux soins, surpassant certaines régions métropolitaines. Nous ne pouvons qu'espérer que notre rapport sur la politique du handicap outre-mer suscite des vocations dans d'autres territoires.

Toutefois, aucune donnée précise ne permet d'évaluer l'accessibilité réelle du Pass Loisirs et du Pass Transport ni d'identifier les obstacles éventuels à leur utilisation. De même, le handisport souffre d'un manque de suivi sur l'offre disponible et le nombre de bénéficiaires.

Par ailleurs, quels sont les dispositifs mis en place sur l'accès des étudiants en situation de handicap aux études universitaires, tant sur l'île que dans l'Hexagone ?

M. Rostane Mehdi.  - Actuellement, nous ne disposons pas de statistiques sur la question de l'accès des étudiants en situation de handicap à l'université à La Réunion ou dans l'Hexagone. Cette lacune mobilise toute notre attention.

Concernant le sport, l'analyse des licences parasportives s'avère complexe en raison de l'affiliation des clubs à deux fédérations distinctes : la Fédération française handisport (FFH), dédiée aux personnes atteintes de handicaps moteurs, visuels ou de troubles du spectre autistique, et la Fédération française de sport adapté (FFSA), destinée aux personnes présentant un handicap mental ou psychique.

Cependant, ces structures ne sont pas les seules à accueillir des pratiquants en situation de handicap. À ce jour, 26 fédérations sportives délégataires intègrent des disciplines parasportives à La Réunion. Actuellement, 25 associations sportives réunionnaises sont affiliées à la FFH et à la FFSA. Les chiffres disponibles, issus du diagnostic territorial de la Conférence régionale du sport (CRdS), supervisée par la DRAJES, font état de 528 licenciés en situation de handicap sur l'île : 305 sous la FFH et 223 sous la FFSA, soit une moyenne de 21 licenciés par club, contre 27 dans l'Hexagone.

La CRdS a fait de l'inclusion des personnes en situation de handicap une priorité stratégique, mettant en évidence un retard important en matière d'accessibilité des équipements sportifs.

Mme Aurélie Nativel, directrice de l'autonomie au pôle des solidarités du Conseil départemental de La Réunion.  - Le Pass Loisirs, mis en place en 2007, permet aux bénéficiaires d'accéder à une offre variée, incluant des activités de bien-être et de tourisme du quotidien. Ce programme dénombre 463 organismes actuellement affiliés avec un taux de consommation qui avoisine 80 %, témoignant ainsi d'un succès constant. De plus, le nombre d'offres affiliées continue de croître, ce qui renforce son attractivité.

Depuis 2010, le Pass Transport repose exclusivement sur un service de taxi à la demande, venant compléter l'offre de transport en commun mise en place par les autorités organisatrices de transport. Son taux de consommation demeure inférieur, atteignant 60 %, ce qui souligne un potentiel d'amélioration, notamment en matière d'accessibilité des véhicules adaptés. Par ailleurs, les critères d'éligibilité du Pass Transport n'incluent pas les ressources financières des demandeurs, garantissant ainsi un accès plus vaste que le Pass Loisirs, basé sur l'allocation adultes handicapés (AAH).

Enfin, il convient de souligner que ces dispositifs représentent un engagement financier significatif du Département, avec une enveloppe annuelle d'environ 6 millions d'euros.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous remercie pour vos présentations sincères et détaillées, qui permettent d'établir un diagnostic clair sur la question du handicap dans nos territoires. Ce sujet, lourd et profondément émouvant, mérite une analyse approfondie.

Vous avez souligné des délais préoccupants. Pourriez-vous détailler le processus depuis l'instruction du dossier jusqu'à l'accompagnement ? Quel effectif idéal permettrait d'améliorer cette prise en charge ? Le numérique (visioconférences, automatisation) pourrait-il accélérer l'instruction ? Disposez-vous de références nationales pour situer nos délais et identifier des pratiques à mutualiser avec d'autres territoires ?

Par ailleurs, le statut des AESH repose-t-il exclusivement sur le volontariat des enseignants ou existe-t-il des mécanismes d'affectation en cas de besoin non pourvu ?

Enfin, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), bien que mobilisés, ne disposent pas de la formation nécessaire pour assurer l'accompagnement des élèves en situation de handicap. Comment renforcer la coordination avec les mairies, afin d'éviter une prise en charge inadaptée ?

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Merci à nos invités pour ces explications éclairantes. Mes questions sont les suivantes : quel est le délai moyen d'attente pour une prise en charge en CAMSP dans nos territoires ultramarins ?

Face à la dématérialisation croissante des services publics, les outils numériques et plateformes administratives sont-ils suffisamment accessibles aux personnes en situation de handicap à La Réunion ?

Mme Sabrina Tionohoué.  - Permettez-moi de revenir un instant sur la pratique du handisport. L'intervention départementale couvre l'ensemble des niveaux de la pratique sportive, y compris les associations dédiées au handisport et au sport adapté. En 2024, 52 associations et le comité régional handisport ont bénéficié d'un soutien départemental de 120 000 euros pour leur fonctionnement et l'organisation de leurs activités en faveur des personnes en situation de handicap.

Par ailleurs, quatre athlètes handisports ont obtenu une aide financière via le dispositif « Prime Jeux paralympiques de Paris 2024 » et l'aide à la mobilité des sportifs de haut niveau, pour un montant total de 24 000 euros.

Plus généralement, la pratique du handisport demeure limitée, notamment en raison du manque d'infrastructures accessibles, de matériel adapté et d'encadrement spécialisé. Le taux d'inactivité sportive des personnes en situation de handicap atteint 34 %, contre 20 % dans la population générale.

Le projet sportif territorial de la CRdS (2024-2029) prévoit les actions suivantes : la mise en accessibilité des équipements sportifs prioritaires ; l'organisation de temps d'échange et de partage d'expérience pour faire émerger des collaborations ; le soutien aux collectivités sur les dispositifs d'aides à la mobilité, notamment la mise à disposition de véhicules adaptés ; le développement d'un réseau de clubs inclusifs.

Mme Nathalie Anoumby, directrice générale adjointe des services du Conseil départemental de La Réunion, responsable du pôle des solidarités. - La prise en charge des jeunes enfants en situation de handicap relève principalement des CAMSP, dispositifs pilotés par l'ARS, avec une complémentarité assurée par le département via la protection maternelle et infantile (PMI). Toutefois, le manque de visibilité sur les délais d'attente rend difficile une évaluation précise de l'accessibilité à ces structures.

Les besoins de prise en charge apparaissent particulièrement marqués, notamment au sein de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Environ 10 % des enfants accompagnés ne bénéficient pas d'un accueil adapté à leur handicap et sont orientés par défaut vers des assistantes familiales, qui assurent leur prise en charge sans disposer de toutes les ressources nécessaires. Le Département intervient en leur attribuant des indemnités de sujétion, mais cette réponse demeure insuffisante pour garantir un accompagnement pleinement adapté.

Ces constats mettent en lumière la nécessité d'une meilleure articulation entre l'ASE, les CAMSP et les structures médico-sociales afin d'orienter plus efficacement les enfants concernés vers des dispositifs spécialisés et d'éviter des parcours inadaptés.

M. Rostane Mehdi.  - De notre côté, l'amélioration de la gestion des flux constitue une priorité. L'enjeu consiste à garantir que les dossiers transmis à la MDPH soient correctement instruits dès leur dépôt, afin d'éviter un gaspillage de ressources dans la correction de dossiers mal renseignés ou incomplets. Cet axe de travail concentre une partie substantielle de nos efforts.

Sur la question du volontariat des enseignants, il convient de préciser que la mise à disposition de la MDPH repose exclusivement sur une démarche volontaire. Aucune contrainte ne peut être imposée aux enseignants concernés. Afin d'élargir ce vivier, nous relancerons un appel à candidatures avant le mouvement du premier degré. Concernant les AESH, nous comptons actuellement 3 000 accompagnants, soit 12 à 13 % de la masse salariale académique.

Enfin, un chantier visant à intégrer des outils numériques et l'intelligence artificielle a été lancé afin de mieux accompagner les élèves souffrant de troubles dyslexiques ou dyscalculiques. Une équipe dédiée supervise cette initiative, dont nous attendons des résultats prometteurs.

M. Déva Radakichenin.  - Pour les familles, le délai de traitement s'étend bien au-delà des chiffres annoncés, celui-ci incluant l'ensemble des échanges inter-institutionnels.

Un enjeu essentiel réside dans la première étape de la démarche auprès de la MDPH, notamment l'accompagnement et la préparation des demandes. Il apparaît nécessaire de renforcer la formation des accompagnateurs, afin de garantir des conseils plus pertinents et d'éviter des demandes incomplètes ou inadaptées. Trop souvent, des demandes d'aide humaine sont déposées sans même avoir été signalées à l'école, révélant des parcours administratifs erratiques qui génèrent confusion et frustration.

La réduction des délais de traitement demeure une priorité absolue, en particulier pour les enfants, afin d'éviter qu'une attente de huit mois ne se traduise par une année scolaire perdue. Il arrive même qu'après une attente prolongée, la demande soit rejetée pour non-conformité aux critères du handicap.

Malgré la pression sur les dossiers jeunes, nous appliquons un principe de priorité pour traiter en urgence les cas les plus critiques, notamment : les enfants non scolarisés ou en scolarisation partielle ; les jeunes présentant des troubles du comportement impactant leur vie sociale et relationnelle ; les enfants en première scolarisation nécessitant un accompagnement spécifique.

L'évolution des pôles d'appui à la scolarité (PAS) qui remplaceront les PIAL, l'intégration d'éducateurs spécialisés et le repositionnement du rôle du médico-social dans le système scolaire constituent des avancées prometteuses, bien que leur pleine mise en oeuvre nécessite vraisemblablement deux années d'ajustements. Dans cet intervalle, nous devons garantir une réponse rapide et efficace aux besoins identifiés.

Nous constatons une augmentation des demandes d'aide humaine en maternelle, en raison de la difficulté des ATSEM à accompagner certains enfants. Un travail spécifique doit être engagé pour renforcer leurs compétences et leur permettre d'assurer un premier niveau d'accompagnement facilitant la scolarisation. La prise en charge des diagnostics chez les jeunes et très jeunes souffre de délais d'attente excessifs, un problème structurel sur notre territoire.

Toutefois, en matière d'accès aux soins, La Réunion conserve une situation relativement plus favorable que d'autres régions de l'Hexagone, comme l'a souligné l'enquête Handifaction réalisée dans le cadre de la Charte Romain Jacob.

Mme Viviane Malet. - Je vous remercie pour vos exposés si pertinents. Vos propos mettent en lumière un enjeu majeur : l'insuffisance de logements adaptés pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants, dans un contexte où l'accès au logement représente déjà un défi à La Réunion.

Serait-il opportun d'affecter un quota de logements adaptés via la ligne budgétaire unique (LBU) et d'instaurer une gestion partiellement décentralisée en partenariat avec le Département ?

Mme Jocelyne Guidez. - Je tiens tout d'abord à saluer vos initiatives à l'attention des aidants.

Une réflexion s'impose quant à la complexité de la demande auprès de la MDPH qui représente un véritable parcours du combattant. Il convient de rendre cette procédure résolument plus accessible et moins éprouvante.

Par ailleurs, le coût des bilans médicaux, souvent indispensables avant toute démarche auprès de la MDPH constitue un frein considérable pour de nombreuses familles.

Enfin, tous les enfants en situation de handicap peuvent-ils être scolarisés en milieu ordinaire dans de bonnes conditions ? Le manque de formation des enseignants et des AESH, ainsi que l'insuffisance des places en IME, créent des situations où certains enfants se retrouvent en milieu scolaire inadapté, tandis que d'autres, qui pourraient être inclus en classe ordinaire, sont orientés vers des structures spécialisées par manque d'accompagnement et, parfois, d'écoute des parents, pourtant en première ligne.

Finalement, de quel handicap parlons-nous, et jusqu'où peut-on aller dans l'intégration du handicap ?

M. Jean-Gérard Paumier. - Une école véritablement inclusive implique des moyens accrus, comme l'illustre une expérimentation menée actuellement en Eure-et-Loir sur le renforcement de l'accompagnement éducatif par des éducateurs spécialisés, en soutien aux enseignants et AESH dont le rôle ne couvre pas les besoins spécifiques aux différents handicaps.

À cet égard, je salue particulièrement l'approche ultramarine, lucide et courageuse, qui met en lumière la nécessité d'une réponse adaptée à chaque forme de handicap.

Mme Micheline Jacques, président. - Madame la déléguée au Conseil départemental, avez-vous évalué le coût nécessaire à la mise en place des infrastructures permettant une prise en charge complète des personnes en situation de handicap, notamment dans le milieu scolaire ?

Monsieur le recteur, vous avez évoqué la cartographie. Aujourd'hui, le travail en silo demeure prépondérant et la diversité des handicaps dans les zones rurales complique l'ouverture de classes spécialisées. Certaines familles refusent également l'éloignement de leur enfant, ce qui crée des ruptures. Avez-vous envisagé des dispositifs innovants pour répondre à ces défis ? Que pensez-vous de l'inclusion du personnel médico-social dans les établissements scolaires, notamment orthophonistes et ergothérapeutes ? Quelles adaptations législatives vous semblent-elles nécessaires pour lever certains freins et améliorer la prise en charge ?

Monsieur le directeur de la MDPH, une audition sur les étudiants hexagonaux en situation de handicap a révélé des difficultés dans le transfert des dossiers entre MDPH, avec parfois des variations de droits selon les territoires. Comment assurez-vous le suivi des étudiants ultramarins ?

Mme Sabrina Tionohoué.  - Concernant l'évaluation des coûts liés aux infrastructures, notre stratégie d'hébergement départementale s'élève à plus de 30 millions d'euros par an. Toutefois, nous sommes conscients que ce budget ne suffira pas à couvrir l'ensemble des ambitions que nous portons pour la création de nouvelles places et infrastructures.

Mme Nathalie Anoumby. - Le Département de La Réunion prévoit la création de 800 à 1 000 places sur une période quinquennale, avec ce budget initial de 30 millions d'euros. Lors de la signature de la convention « Khattabi », le Département et l'ARS ont décidé de mettre l'accent sur les amendements « Creton », visant à réorienter le public dans des structures inadaptées. Une dotation de 5 millions d'euros de l'ARS et un engagement gouvernemental de 10 millions d'euros ont été annoncés pour soutenir cet effort.

Cependant, l'attractivité des métiers médico-sociaux et la formation des professionnels constituent des défis majeurs, tandis que le besoin évalué par les services spécialisés s'avère presque deux fois supérieur aux estimations initiales, avoisinant 1 000 places supplémentaires. Si l'on applique cette projection aux coûts départementaux déjà estimés à 30 millions d'euros, il faudrait prévoir un budget oscillant entre 70 et 100 millions d'euros pour répondre aux besoins réels.

Enfin, en raison du manque d'établissements spécialisés, le Département s'appuie largement sur les accueillants familiaux, dont le financement repose exclusivement sur les ressources départementales. Une intégration de ce coût permettrait d'affiner l'évaluation budgétaire globale.

Mme Aurélie Nativel.  - L'offre actuelle s'élève à 1 500 places pour un coût de près de 80 millions d'euros. Face à une demande croissante, le Département doit renforcer l'offre médico-sociale institutionnelle, aujourd'hui insuffisante, tout en développant des services inclusifs et des dispositifs de proximité.

Cette double approche représente une contrainte financière et organisationnelle, mais également une opportunité d'innovation. L'absence de recours à des départements limitrophes impose de structurer une prise en charge locale, adaptée aux spécificités géographiques et aux ressources limitées du territoire.

Mme Nathalie Anoumby. - Un enjeu majeur réside également dans la disponibilité foncière pour la construction d'établissements sociaux et médico-sociaux. Le département de La Réunion met à disposition des terrains pour les opérateurs retenus et collabore étroitement avec les municipalités disposant de foncier. Cette stratégie facilite la mise en oeuvre des politiques publiques et constitue un levier essentiel pour répondre aux besoins croissants du territoire.

Mme Micheline Jacques, président. - Ces échanges passionnants illustrent l'engagement de La Réunion dans la prise en charge du handicap. Afin de poursuivre cette réflexion, je vous saurais gré de nous transmettre vos contributions écrites en réponse aux différentes questions soulevées, en vue d'enrichir nos travaux, consacrés à formuler des recommandations concrètes pour améliorer l'accompagnement des personnes en situation de handicap en outre-mer.

Jeudi 6 février 2025

Tables rondes sur la politique du handicap à La Réunion - les représentants d'associations

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la politique du handicap outre-mer, avec notre seconde séquence réunissant plusieurs représentantes d'associations. Nous accueillons ainsi : Claude Brard, présidente de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de La Réunion ; Camille Coulombel, fondatrice de l'association La Réunion Pour Tous ; Danielle Payet, présidente de l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) de La Réunion, accompagnée de Pauline Levy, directrice générale ; Francette Tsiaranga, présidente de l'association pour la reconnaissance du droit à la différence (APRDD) consacrée à l'autisme et autres troubles.

Comme pour vos prédécesseurs, nous vous avons adressé, Mesdames, un questionnaire pour préparer votre propos liminaire.

À la suite de vos présentations respectives, nos rapporteurs vous interrogeront, suivis des autres membres de la délégation.

Mme Claude Brard, présidente de l'APAJH. - Concernant la question des données statistiques sur le handicap à La Réunion, il convient de souligner le travail remarquable de la MDPH en matière de typologies et d'accès aux droits. Cependant, un manque de suivi persiste après la notification des décisions : de nombreuses personnes, faute de prise en charge rapide, deviennent invisibles.

La perception du handicap à La Réunion se distingue par une intégration sociale forte, reflet de l'histoire et de la culture locale. Toutefois, les institutions demeurent cloisonnées, enfermant les bénéficiaires dans des circuits administratifs rigides, sans prise en compte d'un accès prioritaire aux dispositifs de droit commun. Cette rigidité freine l'inclusion et limite la participation citoyenne des personnes en situation de handicap.

Concernant les instances consultatives, l'APAJH, à l'instar d'autres acteurs institutionnels, a développé des dispositifs tels que les conseils à la vie sociale et le comité local d'éthique favorisant l'expression des personnes accompagnées et de leurs familles. Néanmoins, la participation au sein de la société civile demeure insuffisante, entravée par des obstacles logistiques (accès, documents inadaptés, absence d'invitations claires). Par ailleurs, l'idée que seuls des représentants du handicap concerné peuvent défendre leur cause crée des clivages et limite la représentation.

Sur le plan de l'innovation, La Réunion fait preuve d'une indéniable créativité. Notre dispositif DETAK, destiné à prévenir les ré-hospitalisations, a prouvé son efficacité, tout comme l'habitat accompagné, représentant une alternative intéressante à l'institutionnalisation. Une résidence « la Canopée », située à Saint-André, accueille plusieurs personnes en situation de handicap pouvant à tout moment avoir accès aux services d'un éducateur spécialisé ou d'un veilleur de nuit. À cet effet, nous travaillons main dans la main avec les bailleurs sociaux. Cependant, les projets conservent souvent un caractère expérimental et demeurent inégalement répartis sur le territoire.

Le foncier constitue un enjeu majeur. Si le Département met à disposition des terrains, les cahiers des charges imposés favorisent des infrastructures lourdes, inadaptées aux besoins actuels. Une approche plus souple, adaptée aux réalités locales, permettrait d'innover tout en optimisant les ressources.

Par ailleurs, la scolarisation des enfants en situation de handicap se révèle chaotique, créant des tensions et violences que l'Éducation nationale ne saurait ignorer. La mutualisation des AESH réduit l'efficacité des accompagnements, aggravant les difficultés des élèves et des enseignants.

Enfin, l'attractivité des métiers du médico-social et de l'éducation représente un enjeu critique. Le territoire réunionnais souffre déjà d'un déficit de professionnels et peine à recruter. Face à un taux de chômage élevé, une meilleure articulation entre formation et besoins du secteur s'impose pour assurer une prise en charge de qualité à long terme.

Mme Camille Coulombel, fondatrice de l'association La Réunion Pour Tous. - L'accès aux loisirs pour les personnes en situation de handicap sur le territoire réunionnais repose sur un tissu associatif actif et des initiatives d'inclusion croissante. Certaines associations spécialisées proposent des activités spécifiques, tandis que d'autres favorisent une intégration au sein de groupes mixtes, renforçant ainsi l'inclusion sociale. Plusieurs expérimentations émergent dans ce cadre, notamment DI & Sport, Autisme et Sports, La Case Oxygène, ou encore la plateforme Répit Est, facilitant l'accès aux loisirs pour les familles.

Ces dispositifs démontrent un impact positif sur l'épanouissement, l'autodétermination et la santé des bénéficiaires. Cependant, les familles doivent naviguer dans un maquis administratif complexe, rendant l'accompagnement à l'accès au droit commun essentiel.

Concernant la pratique du handisport, les Jeux olympiques et paralympiques ont contribué à sensibiliser le public et à promouvoir la diversité des disciplines accessibles. Toutefois, l'information relative aux associations et clubs disponibles reste perfectible.

Enfin, l'accès aux loisirs pose l'enjeu fondamental de la mobilité des personnes en situation de handicap.

Mme Danielle Payet, présidente de l'Adapei. - L'analyse des notifications MDPH met en lumière une non-effectivité préoccupante des droits. Ainsi, 56 % des personnes orientées en maisons d'accueil spécialisées (MAS) ne trouvent pas de place, tandis que 52 % des adultes en situation de handicap se voient refuser l'accès aux établissements adaptés faute de disponibilité. Ce phénomène se traduit par des parcours de vie désorganisés et des solutions de fortune qui ne répondent pas aux besoins réels des personnes concernées.

Si La Réunion bénéficie d'un « vivre ensemble » inclusif et bienveillant, l'acceptation sociale ne se traduit pas toujours par des pratiques institutionnelles adaptées, comme en témoignent les difficultés d'intégration scolaire. Le harcèlement des élèves en situation de handicap constitue encore une réalité préoccupante, soulignant la nécessité d'une sensibilisation accrue au sein des établissements scolaires et des espaces publics.

Par ailleurs, l'organisation actuelle des structures d'accueil et d'accompagnement repose sur un système rigide où chaque individu est assigné à une « case » déterminée, sans solution transversale.

Notre association propose des dispositifs innovants, tels que les accompagnements « hors les murs », qui permettent aux personnes en situation de handicap d'accéder aux services du droit commun avec un encadrement adapté. Cependant, ces expérimentations souffrent d'un manque de pérennisation financière, malgré une efficacité démontrée depuis deux ans. Ce climat d'incertitude pèse sur les familles, qui ne savent pas si les solutions mises en place pour leurs enfants seront maintenues d'une année sur l'autre.

Parallèlement aux efforts axés sur l'amélioration de l'accessibilité physique, notamment le Pass Transport, il convient de souligner le faible développement de l'accessibilité cognitive. Peu de documents administratifs sont disponibles en facile à lire et à comprendre (FALC), ce qui limite l'autonomie des personnes en situation de handicap intellectuel dans l'accès aux services publics. Si les établissements médico-sociaux se mobilisent en ce sens, les administrations et collectivités disposent encore d'une réelle marge de progression avant de garantir une véritable inclusion.

Par ailleurs, chaque rentrée scolaire met en évidence les difficultés d'intégration des élèves en situation de handicap, renforçant le sentiment d'isolement des familles. Or, l'inclusion ne se limite pas à l'accès aux services : elle exige la participation active des personnes concernées aux instances. Si les conseils de la vie sociale offrent un espace d'expression aux personnes accompagnées, leur représentation demeure absente des principales instances de concertation et d'élaboration des politiques publiques.

Enfin, l'inclusion des parents aux discussions sur le handicap apparaît indispensable afin de mieux répondre aux attentes et aux réalités qu'ils rencontrent.

Mme Francette Tsiaranga, présidente de l'APRDD. - Mon association, dédiée aux parents, agit au plus près du terrain et connaît la réalité des difficultés rencontrées. Le constat est sans équivoque : un travail d'envergure reste à accomplir. Cependant, en unissant nos efforts, je suis convaincue que nous y parviendrons.

L'école constitue une priorité. Forte de mon expérience d'AESH depuis plus de quinze ans, j'observe quotidiennement la souffrance d'élèves nécessitant un accompagnement, et le désarroi des familles. L'implication des parents s'avère essentielle dans les décisions, car ils apportent une vision intime et précieuse des besoins de leurs enfants. Leur participation aux réunions de concertation permettrait de faire entendre leurs attentes et de participer aux solutions.

Mère d'un enfant autiste, désormais adulte, je constate que les difficultés persistent au fil des années. La Réunion, en raison de ses infrastructures limitées, doit bénéficier d'une attention renforcée. Si l'accès aux loisirs s'améliore, l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap demeure un défi majeur. De nombreuses entreprises hésitent encore à les recruter, par crainte d'un manque de rentabilité ou d'une adaptation trop complexe.

Mon fils, âgé de 24 ans, se prépare à intégrer le marché du travail. Quels dispositifs pourraient faciliter son insertion ? Il convient impérativement de sensibiliser les entreprises afin de lever les freins à l'embauche.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Comment l'amendement « Creton » est-il vécu sur le territoire ? Il s'agit d'un sujet sensible, qu'il me semble crucial d'aborder ensemble.

J'aimerais également recueillir le point de vue des AESH qui, à La Réunion comme ailleurs, doivent accompagner plusieurs enfants, réduisant ainsi le nombre d'heures attribuées à chaque élève. Comment l'enfant perçoit-il cette situation ?

Enfin, si une intervention législative était envisageable, quel point jugeriez-vous prioritaire ?

Mme Claude Brard. - L'amendement « Creton » soulève des enjeux majeurs à La Réunion, tant pour les jeunes adultes concernés que pour leurs familles et les établissements médico-sociaux. D'un point de vue individuel, il est difficile pour une personne de près de 30 ans d'évoluer dans un établissement conçu pour des enfants. Les activités et le cadre ne sont pas adaptés à son âge, et progressivement, le temps d'accompagnement se réduit. Sous la pression des structures médico-sociales, les familles doivent souvent prendre le relais, réorganisant leur quotidien et, bien souvent, leur vie professionnelle. Cette contrainte pèse d'autant plus lourdement dans un contexte où de nombreuses familles sont monoparentales, avec un aidant principal - souvent une mère - assumant seul cette charge.

Un autre phénomène préoccupant réside dans l'accumulation des responsabilités pour ces aidants, notamment lorsqu'ils doivent également s'occuper de parents vieillissants en perte d'autonomie. Cette double charge génère une détresse profonde et met en évidence l'urgence de solutions adaptées.

Les établissements médico-sociaux font également face à des dilemmes éthiques majeurs. Tant que de jeunes adultes en amendement « Creton » occupent des places, l'accès des enfants à une éducation précoce est limité, générant des tensions avec l'Éducation nationale. Ces enfants, faute de solution adaptée, restent dans des structures ordinaires qui ne peuvent répondre pleinement à leurs besoins, amplifiant les inégalités d'accès à un accompagnement approprié.

À La Réunion, cette situation fragilise l'ensemble du parcours de prise en charge et compromet le développement des jeunes enfants en attente d'une place. L'éducation précoce étant essentielle pour favoriser l'autonomie future, cette lacune engendre des conséquences lourdes sur le long terme. Ce constat souligne la nécessité d'une action urgente pour adapter l'offre médico-sociale aux réalités du territoire et alléger la pression sur les familles et les institutions.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Quel rôle jouent les associations dans l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap ?

Concernant le handisport, que proposent les associations pour accueillir et accompagner les personnes en situation de handicap ?

Mme Danielle Payet. - Le sport adapté et le handisport sont bien développés sur l'île, avec plusieurs associations et structures spécifiques proposant une diversité de disciplines. Toutefois, l'inclusion dans les clubs ordinaires reste limitée selon les pratiques sportives.

Concernant l'emploi, des établissement et service d'accompagnement par le travail (ESAT) et quelques entreprises adaptées offrent des opportunités, notamment dans des secteurs comme la blanchisserie, l'entretien d'espaces verts ou encore la production artisanale. Toutefois, la transition vers le milieu ordinaire s'avère difficile. Si certaines personnes parviennent à s'y intégrer, beaucoup rencontrent des obstacles, notamment en raison du manque d'adaptations.

L'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés demeure inégalement respectée, avec des taux de 2,4 % dans le privé et 5,5 % dans le public. Plutôt que d'envisager de nouvelles dispositions législatives, il conviendrait de garantir l'application effective de la loi de 2005 qui prévoit déjà de vastes dispositifs d'action, notamment en matière d'accessibilité aux soins, aux loisirs ou à l'emploi. À l'approche des 20 ans de cette loi, un bilan collectif s'impose afin d'identifier les leviers concrets d'amélioration.

Quoi qu'il advienne, tant que les financements ne seront pas à la hauteur des ambitions, l'inclusion des personnes en situation de handicap restera un défi majeur.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Merci pour ce temps d'échange sur cette thématique si importante pour nous, au niveau national, mais plus encore en outre-mer.

Comment garantir une meilleure représentativité et une mobilisation plus efficace des personnes en situation de handicap dans la défense de leurs droits ?

On observe une forte mobilisation pour les enfants en situation de handicap, notamment grâce à l'engagement des parents, tandis qu'à l'âge adulte, la prise en compte de leurs besoins semble se diluer. Partagez-vous ce point de vue ?

Mme Jocelyne Guidez. - Pour commencer, je salue ces associations qui accomplissent un travail remarquable dans les territoires ultramarins.

Concernant l'école, quelles mesures ont été mises en place pour lutter contre le harcèlement des élèves en situation de handicap ?

Ensuite, comment améliorer et simplifier le dossier MDPH, le délai actuel de traitement avoisinant les huit mois ?

Enfin, les plateformes de coordination et d'orientation (PCO) existent-elles à La Réunion et fonctionnent-elles efficacement ?

Mme Camille Coulombel. - Permettez-moi de revenir brièvement sur la question de l'insertion professionnelle. En tant que formatrice sensibilisant les entreprises à cette thématique, j'ai constaté que les initiatives d'envergure comme la semaine européenne dédiée à l'emploi des personnes handicapées (SEPH) ou le DuoDay jouent un rôle déterminant. Ces événements incitent les entreprises à s'intéresser à l'insertion et au maintien en emploi des personnes en situation de handicap, en organisant des actions spécifiques.

Mme Claude Brard. - La citoyenneté des enfants en situation de handicap nécessite une attention particulière, notamment pour ceux relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), souvent marginalisés et insuffisamment représentés.

Par ailleurs, en tant que mère d'une fille en situation de handicap et militante associative depuis 25 ans, je constate l'émergence d'une forme de violence chez les parents, exaspérés par l'écart entre les droits théoriques de leurs enfants et la réalité des prises en charge. La notification de 20 heures d'AESH sans mise en application effective illustre cette frustration croissante, conduisant à un climat de plus en plus conflictuel face à des institutions débordées.

Concernant la participation des adultes en situation de handicap, un apport législatif pourrait garantir leur présence dans les instances citoyennes, en garantissant des outils adaptés (documents FALC, horaires aménagés, accessibilité renforcée).

Enfin, la question des délais à la MDPH demeure critique : alors que huit mois semblent déjà excessifs, l'attente peut atteindre une année. Les dispositifs pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE) et Communauté 360, bien implantés sur le territoire, voient leur efficacité limitée par le manque de places disponibles. Orientées vers ces PCO, les familles multiplient les démarches, répètent inlassablement leur histoire et fournissent des documents sans qu'aucune solution concrète leur soit proposée.

Cette saturation du système engendre une profonde détresse tant pour les familles que pour les enfants, confrontés à un territoire où l'offre demeure largement insuffisante face aux besoins croissants.

Mme Danielle Payet. - En effet, les délais de traitement des dossiers restent longs, malgré une légère amélioration récente. La principale difficulté concerne les dossiers des enfants, qui nécessitent la présence d'un enseignant au sein de la commission pluridisciplinaire de la CDAPH. Or, le manque d'enseignants ralentit considérablement l'instruction des demandes. Une action concertée avec l'Éducation nationale apparaît nécessaire afin d'assurer une participation suffisante des enseignants et ainsi réduire ces délais.

Mme Micheline Jacques, président. - La diversité et le foisonnement culturels de La Réunion, riche de multiples origines et confessions, favorisent un « vivre ensemble » harmonieux. Toutefois, avez-vous observé des tabous ou des formes de rejet spécifiques liés au handicap ? Comment accompagner favoriser une meilleure acceptation du handicap dans les différentes communautés ?

Par ailleurs, en tant qu'ancienne directrice d'école, j'ai conscience de la délicatesse nécessaire à la communication avec les parents sur des sujets sensibles. Parfois murées dans une forme de déni, certaines familles nécessitent un accompagnement sourcilleux. Vos associations interviennent-elles sur cet aspect pédagogique ?

Enfin, les étudiants en situation de handicap qui quittent La Réunion rencontrent souvent des complications administratives dans le transfert de leur dossier MDPH. Avez-vous des retours d'expérience sur ces obstacles et des pistes pour améliorer leur accompagnement ?

Je tiens également à vous témoigner mon profond respect pour votre engagement, tant associatif que parental, auprès des enfants en situation de handicap. Je suis admirative de la force et la détermination dont vous faites preuve au quotidien.

Mme Claude Brard. - Les structures sociales, médico-sociales et plateformes comme les CMPP ou les CAMSP rassemblent des professionnels confrontés à la question de l'accompagnement du soutien culturel, où se mêlent superstitions, religion et spiritualité. Certains choix familiaux, comme ne pas couper les cheveux d'un enfant, s'imposent et doivent être compris. Sur notre territoire, cette question ne semble pas poser de difficulté majeure. Si certaines familles perçoivent un handicap comme une punition, les professionnels assurent un accompagnement adapté.

S'agissant du transfert des dossiers MDPH, de La Réunion à l'Hexagone ou inversement, la difficulté subsiste et ne concerne pas uniquement les étudiants. La procédure demeure d'une lenteur et d'une complexité injustifiées. Une notification validée devrait s'imposer partout, ce qui n'est pas le cas. Sur notre territoire, des référents éducatifs témoignent régulièrement de décisions de la MDPH de Paris non appliquées localement. Un enfant bénéficiant de 20 heures d'AESH ou d'un matériel spécifique peut se voir refuser ces droits et devoir refaire une demande à La Réunion. Ce manque de cohérence est incompréhensible.

Je vous remercie pour votre reconnaissance de l'engagement associatif. Une part essentielle de l'offre repose sur des bénévoles qui, en plus de leur activité professionnelle, investissent temps et énergie. Ce type d'engagement nécessite un soutien au-delà des aspects financiers, notamment par des aménagements du temps de travail et un accès renforcé à la formation. Assumer la présidence d'une association exige des compétences en gestion d'établissements, de patrimoine et de personnel. En outre, recruter des bénévoles devient de plus en plus difficile.

Plus qu'une reconnaissance, nous avons besoin d'un cadre structurant garantissant les moyens d'exercer ces fonctions. Pour ma part, je souhaite porter cette présidence avec l'assurance de pouvoir pérenniser les établissements pour lesquels nous oeuvrons.

Mme Francette Tsiaranga. - Avant 2005, reconnaître le handicap d'un enfant relevait encore du tabou : on parlait de folie, de maladie, et la honte pesait sur les familles. L'esprit de la loi nous a ensuite incités à ne plus cacher ces enfants, à les montrer sans crainte. Pourtant, malgré ces avancées, certains parents restent enfermés dans des schémas de honte, tandis que d'autres estiment qu'ils doivent assumer seuls la responsabilité de leur enfant.

Ce repli empêche nombre de familles de s'engager dans des associations, de briser l'isolement et de revendiquer leurs droits. Cette attitude tient sans doute à notre histoire, à une manière de vivre ancrée dans notre culture. Mais le temps passe, ces enfants deviennent adultes, puis seniors, et il faut sans cesse accompagner les familles, les encourager à avancer. Des communautés venues d'ailleurs s'intègrent et font progresser leurs enfants. Dans les écoles, je constate la différence entre celles qui se cachent et celles qui choisissent d'agir, en faisant confiance aux associations, aux IME et aux structures spécialisées.

Il est urgent de lever ces tabous et de repenser notre approche. Peut-être est-il temps d'innover, d'imaginer des solutions nouvelles ? Ensemble, nous pourrions construire une approche adaptée à La Réunion, à son histoire et à sa culture.

Concernant la MDPH, certains attendent encore une prise en charge deux ans après leur demande. Avec le PIAL, un enfant nécessitant 20 heures d'accompagnement se voit attribuer seulement 6 heures, afin de répartir les AESH entre plusieurs élèves en difficulté. Une solution s'impose, d'autant que la situation s'est aggravée ces deux dernières années.

Je fais confiance aux instances pour prendre la mesure de ce retard : des enfants perdent leur scolarité faute d'accompagnement, et trop de familles souffrent en attendant inlassablement des notifications qui n'arrivent jamais.

En tant que représentante réunionnaise et actrice de terrain, je plaide pour une action collective. Faisons avancer La Réunion, afin qu'elle devienne un véritable modèle de « vivre ensemble », où chaque enfant trouve sa place.

Pour l'avenir de notre île, nous devons agir dès aujourd'hui.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie infiniment pour votre témoignage. Partout, le regard de la société constitue un frein pour de nombreuses familles, et notre mission vise précisément à identifier des solutions efficaces en faveur des personnes en situation de handicap.

Permettez-moi également de relever la forte présence féminine parmi nos rapporteurs, ainsi que dans cette assemblée. La solidarité des femmes est de tout coeur avec vous.

Jeudi 20 mars 2025

Tables rondes consacrée à la Polynésie française

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la politique du handicap outre-mer, après le focus sur La Réunion, nous abordons ce jour la situation dans le Pacifique avec deux tables rondes : l'une dédiée à la Polynésie française, et l'autre à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Nous adressons nos vifs remerciements à nos invités pour leur disponibilité - en visioconférence - compte tenu notamment du décalage horaire. Aux côtés de nos trois rapporteurs - Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne -, j'inaugure notre première séquence en accueillant : Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du gouvernement de la Polynésie française et Henriette Kamia, présidente de la fédération Te Niu O Te Huma. Minarii Galenon, ministre des Solidarités, vice-présidente du Conseil du handicap du gouvernement de la Polynésie française, a également été conviée mais nous a informés de son impossibilité à se connecter, en vous priant de l'excuser. Nous espérons qu'elle pourra nous faire parvenir sa contribution par écrit.

Nous vous avons fait parvenir, Mesdames, un questionnaire pour préparer votre exposé liminaire. Ainsi, vous disposerez d'une dizaine de minutes pour vous présenter et nous faire part de votre témoignage sur la politique du handicap sur votre territoire. Dans un second temps, nos rapporteurs vous interrogeront et solliciteront des précisions complémentaires. Enfin, nos autres collègues pourront également vous soumettre leurs questions.

Madame la Ministre, vous avez la parole.

Mme Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du Gouvernement de la Polynésie française. - Je vous remercie chaleureusement pour votre invitation. C'est à la fois un honneur et un plaisir de pouvoir échanger avec vous sur cette thématique. Le handicap fait l'objet de nombreuses discussions, toutefois il apparaît désormais essentiel d'accélérer le mouvement en faveur d'une inclusion véritable.

En Polynésie française, nous disposons de deux institutions : la Commission territoriale d'éducation spécialisée (CTES), compétente pour les enfants et jeunes de 0 à 20 ans, et, au-delà de cet âge, la COTOREP. Il m'est toutefois difficile de fournir des données précises concernant les personnes de plus de 20 ans, faute de visibilité suffisante.

Depuis quelques années, la question du handicap occupe une place croissante dans le débat public. Cependant, cette mobilisation reste, à mon sens, encore insuffisante. Des avancées sont possibles, mais il convient de faire évoluer les modalités d'action. Je fais de ce combat un véritable « cheval de bataille » au sein de ce gouvernement.

Dans cette perspective, il me semble fondamental de déconstruire les préjugés : briser les cadres rigides, s'attaquer aux sous-entendus et aux croyances ancrées. Cette lutte s'avère exigeante : elle se joue au quotidien, à toute heure, dans tous les espaces.

Mme Henriette Kamia, présidente de la Fédération Te Niu O Te Huma. - Je préside la fédération Te Niu O Te Huma ainsi que la fédération polynésienne des sports adaptés handisport, que j'ai fondée. J'occupe également un siège au sein du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie (CESEC), où je représente le monde du handicap.

J'ai perdu la vue à l'âge de vingt ans. Cet événement marque le début de mon combat, rejoint peu à peu par d'autres, eux aussi touchés par un handicap. Ensemble, nous nous sommes organisés pour faire entendre notre voix, en particulier celle des adultes, car à l'époque, en Polynésie française, la prise en charge du handicap reposait sur une délibération datant de 1982. Or les adultes ne bénéficiaient d'aucun dispositif spécifique.

La perte soudaine de la vue fut un choc douloureux, d'autant plus brutal que je venais d'obtenir mon diplôme d'institutrice. J'étais jeune diplômée, et tout s'effondrait. Pourtant, j'ai eu la chance d'être soutenue par les responsables de l'époque au ministère de l'Éducation nationale, qui m'ont permis de partir à Marseille, au centre « Arc-en-ciel », une structure spécialisée pour personnes déficientes visuelles.

Ce séjour a constitué une chance inestimable. Si j'étais restée en Polynésie, choyée et protégée par ma famille, je ne me serais pas battue pour cette vie. Ce départ m'a donné l'élan nécessaire pour reprendre pied, me reconstruire, et envisager une vie active malgré le handicap. Grâce à la formation reçue dans l'Hexagone, j'ai pu reprendre une activité professionnelle à mon retour, dans le domaine de l'éducation. Deux classes pour enfants déficients visuels ont alors été ouvertes. Je ne saurais dire pourquoi, mais après la perte de ma vue, les choses se sont enchaînées naturellement.

Malheureusement, à mon départ à la retraite, le centre a fermé. Ce lieu regroupait les enfants atteints de déficiences sensorielles, qu'il s'agisse de troubles de l'ouïe ou de la vue. Il constituait un repère précieux pour les familles, les proches, tous ceux qui cherchaient des informations ou un accompagnement. L'un de nos voeux les plus chers est de voir renaître un tel lieu.

Quand je suis entrée dans la vie active, le handicap faisait déjà partie de mon quotidien. J'ai refusé de me résigner à dépendre d'un homme. Il m'était également inconcevable de compter sur une allocation dérisoire pour vivre. Ce séjour dans l'Hexagone m'a donné la force d'agir, de devenir autonome, et m'a permis d'intégrer la vie professionnelle dès mon retour en Polynésie. J'ai exercé comme professeure de braille jusqu'à ma retraite en 2010. Depuis, je n'ai jamais autant travaillé. Si mon handicap visuel ne figurait pas dans l'intitulé du centre de l'éducation de l'ouïe et de la parole (CEDAP), j'y avais néanmoins toute ma place. Il n'a pas toujours été simple de faire coexister les deux types de handicaps, mais nous avons réussi, dans l'harmonie, à faire fonctionner cet espace d'apprentissage.

Ma vie personnelle fut elle aussi marquée par le handicap : mon mari étant paraplégique, j'évoluais ainsi dans un environnement où les défis liés aux différents handicaps se rencontraient quotidiennement, que ce soit au travail ou à la maison.

En 2015, toutes les associations polynésiennes oeuvrant dans le champ du handicap ont décidé de se fédérer. Nous avons choisi l'unité pour bâtir un partenariat constructif avec les pouvoirs publics, convaincus qu'il vaut mieux collaborer que s'opposer. Cette démarche nous a permis de porter des propositions concrètes aux gouvernements successifs. Notre slogan est sans équivoque : « Rien sans nous ». Nous souhaitons rester une force de proposition, ancrée dans le dialogue et la co-construction. Lorsqu'une difficulté survient, nous établissons un diagnostic, que nous soumettons ensuite au ministère concerné, à la déléguée ou au président du pays. Nous avons également tissé des liens solides avec les communes, créant un véritable réseau en Polynésie.

Je peux affirmer que, malgré les difficultés persistantes et les améliorations encore nécessaires, vivre en Polynésie reste une fierté. Nous ne disposons peut-être pas des ressources considérables de la France hexagonale - vous êtes 68 millions, contre 270 000 habitants en Polynésie française -, mais cette échelle réduite nous permet parfois d'aller plus vite, car ici, tout le monde se connaît.

Sur 270 000 habitants, environ 16 000 à 17 000 sont des personnes en situation de handicap, tous âges confondus. Il semble sans doute plus complexe de faire évoluer les choses dans un territoire comme la France hexagonale que dans une île, mais j'assume pleinement cette double appartenance : je suis française, et profondément fière d'être polynésienne.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie infiniment pour ce dynamisme remarquable. Vous représentez, sans nul doute, une figure de référence en Polynésie, mais également un exemple inspirant pour l'ensemble des territoires ultramarins.

Sans plus attendre, je cède la parole à nos rapporteurs.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Madame la Ministre a évoqué le travail mené autour de la déconstruction des préjugés, en particulier à travers l'éducation. Or j'ai observé que la fédération Te Niu O Te Huma mène, depuis plusieurs années, un grand nombre d'actions dans cette perspective. Cette année marque d'ailleurs la septième édition de vos initiatives en Polynésie française, dont l'objectif est précisément de favoriser les échanges et de permettre une meilleure compréhension du handicap.

Ces actions ont-elles contribué, selon vous, à une évolution tangible dans la prise de conscience et la prise en compte des personnes en situation de handicap au sein de la société polynésienne ?

Par ailleurs, quels dispositifs avez-vous mis en place pour favoriser l'accès aux pratiques sportives, notamment en matière de sensibilisation, d'aménagement des espaces et d'accueil des personnes handicapées ? Disposez-vous d'infrastructures adaptées ? Constatez-vous une évolution dans la participation sportive de vos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap ?

Mme Henriette Kamia. - Le sport occupe une place centrale dans notre démarche. En l'an 2000, nous avons fondé la fédération polynésienne du sport adapté handisport, dont je suis l'une des présidentes fondatrices. Cette création a été rendue possible grâce à un événement marquant : la venue de Zinedine Zidane en Polynésie, à l'occasion d'un match de football organisé localement. Sa participation a permis de collecter quatre millions de francs CFP une somme considérable pour nous, même si elle peut paraître modeste à l'échelle européenne.

Notre fédération regroupe aujourd'hui de nombreux clubs, souvent adossés à nos associations locales dans chaque commune. Dès l'origine, nous avons conçu le sport comme un levier d'insertion, de bien-être et d'inclusion. L'un de nos sports emblématiques est le va'a - la pirogue polynésienne. Dans cette pratique, le handicap s'efface, c'est pourquoi tous nos membres en sont passionnés. Nous oeuvrons intensivement pour que l'un de nos rameurs de canoë-kayak intègre l'équipe de France, dans l'espoir de le voir concourir aux Jeux paralympiques de 2028.

Dès la création de la fédération, nous avons fait le choix de privilégier un sport accessible à tous, dans une logique de sport de masse, avec un accent particulier sur l'activité physique adaptée. Il s'agit d'être bien dans son corps et dans son esprit, malgré le handicap. Or, le sport a joué, et continue de jouer, un rôle fondamental dans cet équilibre.

Pour mettre en oeuvre ces actions, nous avons engagé des partenariats étroits avec les communes dans lesquelles nos associations sont implantées. Ces liens prennent la forme de conventions, que nous appelons « chartes de l'accessibilité et du handicap ». À ce jour, plusieurs communes ont signé ces chartes : Mahina, Arue, Pîra'e, Papeete, et nous sommes en négociation avec Paea, Punaauia et Fa'a'â. Ce maillage territorial autour de la capitale nous permet de bénéficier d'un soutien logistique, notamment pour l'accès aux salles, aux équipements et à l'organisation de manifestations.

Par ailleurs, nous sommes régulièrement sollicités, tant par les communes que par les services du pays, pour intervenir comme référents en accessibilité. Notre fédération dispose en effet d'une chargée d'accessibilité qui intervient pour réaliser des audits sur les bâtiments publics, les équipements sportifs, et même sur des sites hôteliers.

Cette expertise, de plus en plus reconnue, concerne également les établissements de luxe, comme certains grands hôtels de Bora Bora. Nous recevons des demandes croissantes, ce qui témoigne de la prise de conscience progressive. Cependant, nos moyens financiers demeurent limités. Pour répondre à ces sollicitations, je suggère un modèle équilibré : nous proposons nos audits gratuitement, à condition que nos frais de déplacement et d'hébergement soient pris en charge !

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - En effet, on observe aujourd'hui une véritable évolution, passant d'une logique de sport de masse à celle d'un sport de haut niveau. Or la fédération Handisport ne peut, à elle seule, couvrir l'ensemble des disciplines ; c'est pourquoi nous oeuvrons à sensibiliser chaque fédération sportive, en respectant leurs spécificités et leur approche, afin qu'elles encouragent l'inclusion des personnes en situation de handicap. Notre engagement vise à promouvoir une pratique sportive réellement inclusive, portée collectivement.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Qu'en est-il de la prise en charge des tout-petits, jusqu'à l'âge de six ans ? Les structures telles que les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) ou les instituts médico-éducatifs (IME) disposent-elles de capacités suffisantes pour assurer un accompagnement précoce, ou constate-t-on au contraire des délais d'attente importants ?

Par ailleurs, les entreprises et les administrations remplissent-elles leurs obligations et accueillent-elles effectivement des personnes en situation de handicap ?

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Nous recensons actuellement 1 482 enfants en situation de handicap. Toutefois, ce chiffre doit être interprété avec prudence, car la CTES ne reconnaît officiellement un enfant handicapé qu'à partir d'un taux d'invalidité de 50 %. Ce seuil, à mon sens, reste particulièrement élevé, et de nombreux enfants en situation de handicap ne bénéficient d'aucune reconnaissance officielle.

Notre situation géographique complique considérablement l'organisation : nous ne sommes pas simplement une petite île, nous sommes un archipel immense - aussi vaste que l'Europe. La Polynésie française couvre un territoire de 5 millions de kilomètres carrés répartis sur cinq archipels. Cette configuration rend la mise en oeuvre d'une politique éducative cohérente et équitable extrêmement difficile.

Il convient également de rappeler que la scolarisation des enfants en situation de handicap est relativement récente sur notre territoire : elle n'a véritablement débuté qu'en 2005. Pour ma part, je fais partie de cette génération d'enfants pris en charge uniquement par des associations, car les établissements scolaires refusaient mon admission, estimant que mon handicap était trop lourd, malgré mes capacités intellectuelles.

Aujourd'hui, nous comptons 43 Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) réparties sur l'ensemble du territoire, ce qui reste insuffisant au regard des besoins. La volonté politique, bien réelle, fait toutefois face à des défis colossaux, notamment logistiques et structurels.

S'agissant de l'accompagnement humain, nous disposons actuellement de 152 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour 347 enfants. Le ministère de l'Éducation nationale a procédé, dès 2003, au recrutement de 26 AESH afin de pallier les manques. Malgré ces efforts, 16 % des enfants nécessitant un accompagnement quotidien demeurent sans soutien.

Voici quelques données plus précises : 130 élèves sont scolarisés en école maternelle ; 398 en école élémentaire ; 9 en centre pour jeunes adolescents (CJA) ; 342 au collège ; 152 au lycée ; 10 en post-bac ; 13 en Maisons familiales et rurales (MFR), où l'accompagnement dépasse le simple cadre scolaire pour inclure un véritable soutien global.

L'Éducation nationale demeure centrée sur une logique de diplôme, sans toujours prendre en compte les besoins d'un public qui devrait être davantage accompagné vers l'employabilité. De nombreux élèves en situation de handicap réussissent brillamment dans les filières professionnelles, mais échouent à valider les matières générales - telles que la grammaire ou l'orthographe - ce qui les prive d'une certification officielle. Ils quittent le système scolaire sans diplôme, munis d'une simple attestation sans réelle valeur sur le marché du travail.

Nous nous retrouvons ainsi face à une jeunesse qualifiée sur le terrain, mais écartée de l'emploi faute de reconnaissance administrative. Je peux, à titre personnel, témoigner de cette injustice : lors de nombreux entretiens d'embauche, mon CV a été discrètement écarté au profit d'un examen minutieux de ma notification de COTOREP. Cette attitude témoigne d'un biais profond, symptomatique d'un regard encore trop souvent focalisé sur le handicap plutôt que sur les compétences.

Or le changement de mentalité implique de reconnaître l'individu derrière le handicap, de voir le chemin parcouru plutôt que le diagnostic. Pardonnez-moi de m'être éloignée légèrement du sujet, mais je suis convaincue que ce débat s'impose.

Mme Henriette Kamia. - En tant que professeure des écoles, j'ai pu constater que la prise en charge des enfants débutait généralement vers l'âge de cinq ans, notamment au sein des CAMSP. Ensuite, les enfants étaient orientés soit vers le milieu ordinaire, soit vers des structures spécialisées. Il convient de reconnaître que l'Éducation nationale a accompli de réels progrès en mettant en place un classement systématique des différents types de handicaps à travers les maîtres d'application - catégories A, B, C, D, E, F - afin de mieux répondre à la diversité des situations rencontrées dans les établissements.

D'autres structures, telles que les IME, les Service d'Orientation Professionnelle (SEDOP), ou encore les dispositifs Ulis (anciennement CLIS) participent à cette dynamique. Ces dispositifs fonctionnent plutôt bien, grâce aux partenariats que nous avons noués avec eux, notamment dans le cadre des activités sportives. Nous collaborons étroitement sur ces volets.

Les données que je possède font état de 930 enfants reconnus par la CTES en 2023. Là encore, ce chiffre ne concerne que les enfants dont le taux d'invalidité atteint ou dépasse 50 %, ce qui constitue un seuil élevé. En Polynésie, ce pourcentage conditionne l'attribution de l'allocation ASH, versée jusqu'à l'âge de 20 ans. Je déplore que les enfants dont le handicap est évalué à moins de 50 % ne perçoivent aucune allocation. Pourtant, leur situation justifie souvent un accompagnement spécifique et des adaptations pédagogiques. Malgré certaines tensions avec la CTES, nous ne céderons pas : tous les enfants en situation de handicap doivent pouvoir bénéficier des mêmes prestations, quel que soit leur taux d'invalidité.

Par ailleurs, à partir de 20 ans, l'allocation ASH cesse. Pour bénéficier d'une prise en charge par la COTOREP, il faut atteindre un taux d'invalidité de 80 %. Nous dénonçons depuis longtemps cette rupture dans les droits, mais les évolutions sont lentes, même si les ministres successifs tentent d'apporter leur contribution. Toutefois, les progrès accomplis ne répondent pas encore à l'urgence des besoins.

En ce qui concerne l'accès à l'emploi, la loi instaurant une obligation d'embauche des personnes reconnues travailleurs handicapés a été adoptée en 2007. Ce texte fixait un quota de 4 %, qui n'a jamais été pleinement appliqué. Aujourd'hui encore, nous plafonnons à 2 %. Néanmoins, cette loi a tout de même permis des avancées significatives.

Je préside, depuis 1984, une autre association dédiée aux adultes en situation de handicap. Nous menons des actions de formation professionnelle, en lien avec le Service de l'Emploi, de la Formation et de l'Insertion professionnelle (SEFI) et le Groupement des établissements de Polynésie pour la formation continue (GREPFOC). Dès 2006, nous avons mis en place des préparations d'un an en vue de l'obtention d'un baccalauréat professionnel en secrétariat. Malgré le scepticisme initial, nos stagiaires ont fait preuve d'une volonté admirable. Je suis très fière d'avoir pu les accompagner dans ce parcours. Grâce à l'obligation d'emploi instaurée en 2007, toutes ont été recrutées et demeurent en poste aujourd'hui.

Cependant, les entreprises, notamment les employeurs privés, nous ont parfois reproché cette pression réglementaire. Pour surmonter les incompréhensions, nous avons pris l'initiative de rencontrer le MEDEF et d'autres représentants du monde économique afin d'expliquer notre démarche, et de construire un dialogue.

Ainsi, nous restons convaincus que cette obligation a permis de faire évoluer les mentalités et d'ouvrir des opportunités professionnelles. Il reste encore beaucoup à faire, et chaque gouvernement y contribue. Je crois sincèrement que notre avenir peut encore s'améliorer, grâce à l'engagement de tous.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Concernant les enfants porteurs de handicaps dans les écoles, selon vous, le taux d'inclusion observé aujourd'hui est-il réellement satisfaisant au regard des ambitions affichées ? L'Éducation nationale assure-t-elle une prise en charge suffisante et adaptée ?

À La Réunion, nous rencontrons des difficultés importantes, notamment concernant le nombre d'AESH, bien en deçà des besoins. Cette lacune entraîne des ruptures dans le parcours scolaire de nombreux enfants, qui se trouvent parfois privés d'un accompagnement continu.

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Nous disposons du CAMSP et de l'IME, qui accomplissent un travail remarquable. Peut-on dire pour autant que l'éducation des enfants en situation de handicap est suffisante ? Bien sûr que non. Mon souhait, c'est que tous les enfants, quelle que soit la nature de leur handicap, puissent être scolarisés à l'école. Lorsqu'on parle d'humain, il n'existe pas de réponse pleinement satisfaisante.

Nous rencontrons, comme à La Réunion, une difficulté majeure liée au manque d'AESH. Ces personnels, recrutés par concours, sollicitent généralement une mutation au terme de leur affectation de trois ans sur un même poste. Ce fonctionnement engendre une instabilité dans l'accompagnement des élèves et révèle le manque d'attractivité de ces fonctions.

C'est pourquoi nous réévaluons l'ensemble du dispositif de prise en charge. L'un des plus grands défis consiste à garantir une politique d'inclusion homogène sur l'ensemble du territoire, que ce soit à Tahiti ou dans les zones les plus isolées. Ce travail s'annonce colossal.

Si, à Tahiti, certains parents déclarent leur enfant en situation de handicap, cette démarche n'est pas systématique. Ce matin encore, une mère me confiait qu'elle avait honte du handicap de son enfant. En outre, nous recensons encore 121 enfants maintenus à domicile, faute de solution d'accueil. Ces familles, isolées, restent livrées à elles-mêmes.

Je pense notamment à l'île d'Anaa, l'une des plus éloignées de l'archipel. Lors d'une mission gouvernementale, j'ai demandé à rencontrer des personnes en situation de handicap. Aucune n'est venue. Pourtant, je disposais des chiffres : quarante personnes y sont officiellement reconnues comme handicapées. Là-bas, la honte reste profondément ancrée.

Ce combat contre l'invisibilisation constitue mon engagement quotidien. En tant que personne porteuse d'un handicap lourd, je veux transmettre ce message : il est possible de vivre pleinement avec un handicap lourd. Cette démarche relève d'un choix, d'un combat, d'une volonté.

La distance entre Tahiti et certaines parties de l'archipel équivaut à un Paris-Tunis. Dans ces conditions, l'accès au personnel spécialisé devient extrêmement difficile. Faute d'aéroport, les trajets se font en bateau, et les moyens restent particulièrement limités. Nous menons ici une vie communautaire, loin des structures classiques. Et dans ces territoires, affirmer que l'inclusion fonctionne relèverait d'un optimisme déconnecté de la réalité.

Mme Henriette Kamia. - Soyons pragmatiques : un enjeu financier persiste. Nous manquons cruellement d'AESH. Ces postes, peu attractifs sur le plan salarial, peinent à être pourvus durablement. Beaucoup abandonnent après quelques mois, préférant se tourner vers d'autres secteurs mieux rémunérés. Seuls ceux qui n'ont véritablement aucune autre option passent le concours, suivent la formation, puis acceptent le poste. Néanmoins, une fois confrontés aux conditions de travail et à la rémunération, ils finissent souvent par renoncer. Or, sans moyens, il devient impossible de répondre efficacement aux besoins.

En 2023, nous comptions environ 900 enfants en situation de handicap. Parmi eux, certains cas très lourds nécessitent des accompagnements spécifiques, des aides au transport, et des adaptations scolaires.

Je tiens à rappeler que la fédération Te Niu O Te Huma a joué un rôle pionnier dans l'instauration des auxiliaires de vie scolaire (AVS). Bien avant moi, d'autres se sont battus ici pour faire entrer ces enfants à l'école. Ce sont les associations qui, les premières, ont accompagné ces parcours, formé les intervenants, soutenu les familles.

Je souhaitais également partager avec vous une conviction forgée au fil de plus de quarante années d'engagement associatif : si l'on souhaite que les choses avancent, il convient de travailler aux côtés des décideurs. Il fut un temps où je m'épuisais à interpeller, à manifester, à contester. On entrait dans les ministères, on nous faisait sortir aussitôt. C'est pourquoi j'ai décidé de m'engager en politique. Auparavant, je gesticulais, en vain. À l'Assemblée polynésienne, je pouvais réellement agir. Car, pour changer les choses, les personnes concernées doivent prendre la parole et participer à l'élaboration des politiques. Trop souvent, des lois sont votées sans lien réel avec nos besoins.

J'ai moi-même porté plainte contre l'Assemblée polynésienne, car on m'avait refusé un accompagnement spécifique, alors même que cette aide existait en métropole. Aujourd'hui, j'ai choisi de poursuivre mon engagement dans le tissu associatif. Je privilégie la collaboration à l'affrontement. Lorsque nous repérons des difficultés, nous réalisons des audits, que nous présentons ensuite aux institutions concernées. Ce travail est apprécié, tant par les services du pays que par les communes ou les partenaires privés. Il nous demande beaucoup d'efforts, mais il est utile, concret, et surtout bénéfique pour les personnes handicapées.

Ce combat, nous le menons également pour les personnes âgées. Car même si toutes les personnes ne deviennent pas handicapées en vieillissant, un certain nombre rencontrent des fragilités importantes.

M. Teva Rohfritsch. - C'est une fierté de vous entendre, Madame la Ministre, ainsi que vous, Henriette. Nous avons mené ensemble de nombreux combats, notamment autour de la question de l'emploi. Merci d'avoir rappelé les avancées obtenues depuis le vote de la loi de 2007, malgré les obstacles rencontrés.

Je tiens également à saluer notre vice-présidente, Minarii Galenon, dont l'engagement constant sur ces sujets mérite d'être souligné.

Vous incarnez toutes les deux une source d'inspiration et de courage, et vos témoignages renforcent notre détermination à agir concrètement, chaque jour.

La question du vieillissement des personnes en situation de handicap prend en effet une importance croissante, y compris dans l'Hexagone. Comment cette problématique est-elle aujourd'hui appréhendée en Polynésie ? Comment pourrions-nous, depuis l'Hexagone, vous accompagner ou nous inspirer de vos démarches, au bénéfice de tous les outre-mer et du pays tout entier ?

Mme Lana Tetuanui. - Ia ora na à vous, présidente Henriette. Vous déployez toujours autant d'énergie et d'engagement sur ce sujet fondamental. Ia ora na également à notre ministre Nathalie Salmon-Hudry, que je salue chaleureusement.

Vous avez dressé un panorama très complet de la situation du handicap en Polynésie française, et je tenais à vous dire combien j'ai été fière de vous écouter ce matin. La Polynésie dispose d'une compétence propre, contrairement aux autres territoires ultramarins. Or, malgré les difficultés, vous avez accompli un travail colossal, à travers la méthode la plus efficace : travailler avec l'ensemble des partenaires.

Il convient de s'inspirer de ce modèle, et je pense que mes collègues sénateurs des autres départements gagneraient beaucoup à observer ce qui fonctionne au fenua.

Je souhaite attirer votre attention sur une problématique émergente : celle de l'autisme. Constituant un handicap à part entière, il vient aujourd'hui s'ajouter à nos priorités d'action.

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Il me semble difficile de parler aujourd'hui d'une politique du vieillissement lorsque la prise en charge des personnes en situation de handicap demeure profondément lacunaire. Une fois adulte, il faut justifier d'un taux de 80 % pour percevoir une allocation. Plutôt que d'adopter une approche cloisonnée par tranche d'âge, il conviendrait d'harmoniser l'accompagnement sur l'ensemble du parcours de vie.

En Polynésie, nous ne disposons d'aucun EHPAD. Notre modèle repose sur un capital humain exceptionnel, ancré dans les solidarités familiales. Le dispositif « aidant feti'i » illustre cette philosophie, permettant à un proche de bénéficier d'un soutien du pays pour accompagner un membre de sa famille en situation de dépendance. Instaurer des établissements de type EHPAD reviendrait, en quelque sorte, à rompre cette dynamique profondément transgénérationnelle. La présence d'une personne âgée au sein du foyer, sa parole et son expérience s'avèrent essentielles à la transmission des valeurs polynésiennes.

Ainsi, dans un contexte où nous peinons déjà à structurer une prise en charge cohérente entre l'enfance et l'âge adulte, il m'est difficile de vous présenter des propositions concrètes. Toutefois, je reste convaincue que les politiques publiques doivent répondre, au-delà de l'âge, à l'enjeu de la dépendance.

Quant à l'autisme, il représente un sujet de plus en plus prégnant. Il a fallu livrer une véritable bataille pour que les troubles du spectre de l'autisme (TSA) soient reconnus dans le champ du handicap. Aujourd'hui, les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) sont enfin identifiés comme tels, tandis que 46 cas d'autisme ont été officiellement recensés en Polynésie française. Une fois encore, ce chiffre doit être appréhendé avec précaution, les enfants au comportement atypique étant rapidement qualifiés d'« enfants terribles ». Dès lors, le diagnostic reste sous-développé, les outils encore insuffisants, et la reconnaissance du trouble souvent tardive.

Face à ce constat, un projet d'unité spécifique pour les enfants autistes est en cours, destiné à accueillir ceux qui ne parviennent pas à s'épanouir dans le cadre de l'école ordinaire. Il s'agit là d'un pas nécessaire vers une meilleure prise en charge, que nous entendons poursuivre et approfondir.

Mme Henriette Kamia. - Trois associations prennent en charge les enfants autistes aujourd'hui sur notre territoire. Malheureusement, elles ne parviennent pas toujours à collaborer de manière harmonieuse. Pourtant, il apparaît indispensable de remettre l'enfant au centre des préoccupations et de bâtir collectivement les solutions autour de ses besoins.

Les enfants autistes, « dys », ou ceux présentant des troubles du comportement, s'avèrent bien plus nombreux que ne le laisse penser le chiffre officiel. La plupart d'entre eux ne sont pas reconnus par la CTES, témoignant ainsi d'une sous-évaluation manifeste de ce phénomène.

Dans bien des cas, je laisse les services de l'Éducation et de la Direction des affaires sociales gérer, comme ils peuvent, les conflits ou les demandes urgentes. En outre, l'association Tama Ora assure à cet égard un travail remarquable depuis plusieurs années. Deux autres structures plus récentes ayant vu le jour, il convient désormais de créer un climat de coopération au service des enfants.

Je souhaite également attirer l'attention sur les difficultés récurrentes liées à l'obtention d'un extrait de casier judiciaire depuis la recentralisation de cette compétence en France en 2022. Dans le cadre du renouvellement de l'agrément de nos centres dédiés aux personnes en situation de handicap, la production de ce document est désormais exigée pour l'ensemble des membres du conseil d'administration. Or, malgré une demande effectuée selon la procédure en ligne, mon dossier n'apparaissait dans aucun registre. Plusieurs courriers ont été adressés à Nantes, sans réponse satisfaisante. Ce dysfonctionnement touche également de nombreux jeunes du territoire. Il serait opportun d'envisager une restitution de cette compétence sur le plan local, afin de garantir la continuité administrative de nos structures.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Madame Kamia. Madame la Ministre, vous avez évoqué la situation des enfants vivant dans les archipels les plus éloignés, où leur reconnaissance en tant que personnes en situation de handicap reste parfois difficile. Les familles rencontrent-elles des obstacles particuliers pour faire établir les bilans nécessaires à cette reconnaissance (orthophoniques, psychomoteurs, etc.) ? Au-delà de leur coût, l'absence de professionnels spécialisés sur place semble compliquer ces démarches.

Par ailleurs, votre cadre institutionnel spécifique vous permet-il de mettre en oeuvre des dispositifs innovants dans le champ du handicap ? Quels sont, selon vous, les principaux freins auxquels vous faites face ? Et enfin, quelles évolutions législatives ou réglementaires seraient, à votre sens, nécessaires pour adapter plus finement la politique du handicap aux réalités de votre territoire ?

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Vous soulevez des points essentiels. En effet, l'un des freins majeurs que nous rencontrons demeure l'insuffisance de personnel spécialisé, ainsi que l'absence de plateaux techniques capables d'intervenir de manière itinérante dans les archipels. Cette difficulté ne concerne pas uniquement les enfants, mais touche également les adultes, notamment en matière d'orientation professionnelle. Aujourd'hui, les parcours sont souvent définis uniquement à travers le prisme du handicap, ce qui conduit à enfermer les personnes dans leurs propres limites perçues. À mes yeux, il conviendrait d'évaluer le potentiel de chaque individu - enfant ou adulte - avant de s'intéresser à ses limitations. Cette approche valorisante apparaît d'autant plus pertinente que nous faisons face à un manque de main-d'oeuvre qualifiée.

Notre statut d'autonomie, bien qu'il nous confère une certaine liberté de décision, présente également des limites. Le régime du handicap appliqué en Polynésie reste largement calqué sur celui de la métropole, sans tenir compte de notre capacité financière beaucoup plus restreinte pour assurer une prise en charge équivalente. Cette inadéquation constitue un obstacle majeur.

La force de notre statut réside cependant dans notre capacité à définir nos priorités. À ce titre, plusieurs projets sont en cours. Nous travaillons notamment à la mise en place de dispositifs pour accompagner les jeunes qui, faute de recours ou de solutions adaptées, sont sortis précocement du système. Nous souhaitons les former et leur offrir une réelle insertion professionnelle. Nous menons également une étude sur l'accessibilité, qui reste encore trop marginalisée sur notre territoire.

Par ailleurs, il nous faut dépasser le cadre associatif, certes remarquable, pour inscrire le handicap comme un axe transversal de la politique publique. Il s'agit de dépasser les représentations encore trop stigmatisantes et de faire émerger une société réellement inclusive, qui reconnaisse la différence comme une composante de la richesse collective.

Le handicap, lorsqu'il n'est pas reconnu ni intégré, produit un sentiment d'inutilité sociale profond. J'en ai moi-même fait l'expérience, ayant passé dix années en retrait, persuadée de ne pouvoir contribuer à mon pays. Un jour, le président est venu me dire : « Tu as des capacités. » Tel est le pouvoir de l'inclusion : donner à chacun la chance de se lever pour donner du sens à sa journée. Aujourd'hui, je milite pour que le handicap soit perçu comme une richesse.

Mme Micheline Jacques, président. - Je salue cette formidable leçon de vie et d'engagement que vous nous offrez. Cette audition marquera un temps fort, non seulement pour la Polynésie, mais également pour l'ensemble des territoires ultramarins. Votre témoignage incarne un véritable espoir pour toutes les personnes en situation de handicap.

Je remercie également Mme Kamia, dont l'intervention nous a profondément touchés et motivés. Nous sommes honorés d'avoir pu mener cette audition à vos côtés et de contribuer à mettre en lumière le travail remarquable que vous accomplissez.

À très bientôt, et mauruuru roa.

Jeudi 20 mars 2025

Tables rondes consacrée à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, après la Polynésie française, nous poursuivons nos travaux sur la politique du handicap outre-mer, avec notre seconde séquence sur la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Nous accueillons à présent, toujours en visioconférence : Marie-Laure Mestre, directrice des Affaires sanitaires et sociales (DASS) de la Nouvelle-Calédonie ; Karen N'G, conseillère auprès de Thierry Santa, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de la politique du handicap ; Jean Saussay, président, et Ugo Klinghofer, responsable du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie et Telesia Keletaona, présidente de l'Association d'aide aux personnes handicapées et défavorisées de Wallis-et-Futuna.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et d'être disponibles pour répondre à nos questions. Comme pour vos prédécesseurs, nous vous avons adressé un questionnaire pour préparer votre propos liminaire, limité à une dizaine de minutes. Ensuite, nos rapporteurs vous interrogeront, suivis de nos autres collègues.

Mme Marie-Laure Mestre, directrice de la DASS de la Nouvelle-Calédonie. - En Nouvelle-Calédonie, l'organisation en matière de handicap et de dépendance diffère sensiblement de celle en vigueur en métropole. Depuis 2009, le territoire s'est doté d'une politique publique spécifique en la matière, accompagnée d'un corpus juridique novateur, qui s'est progressivement consolidé au cours des quinze dernières années. Ce cadre a permis une reconnaissance croissante du handicap et de la dépendance, tant au sein des institutions que du système scolaire et du monde du travail.

Dès l'origine, cette politique s'est articulée autour de quatre axes majeurs : une gouvernance dédiée (en cours de réévaluation), l'accès plein et entier à la société pour les personnes handicapées et les personnes âgées (le dispositif étant unifié en Nouvelle-Calédonie), l'insertion dans le monde du travail, ainsi que le soutien renforcé aux aidants.

Ce dispositif juridique comprend un volet réglementaire structurant, inspiré en partie de l'organisation métropolitaine, mais adapté aux spécificités locales. Il couvre à la fois le secteur public et le secteur privé. En 2009, la Nouvelle-Calédonie a mis en place le Conseil du handicap et de la dépendance (CHD), tandis que la DASS joue un rôle opérationnel, en coordination avec les trois provinces du territoire, via des commissions dédiées aux enfants, aux adultes et aux personnes âgées.

La DASS a pour mission de mettre en oeuvre le service public du handicap et de la dépendance : accueil des usagers, accompagnement dans les démarches de reconnaissance et transmission des dossiers au CHD, seul habilité à prendre les décisions. La DASS gère également la base de données relative aux personnes reconnues en situation de handicap et a publié en 2022 un rapport sanitaire contenant les dernières données statistiques disponibles pour les publics adultes et enfants. Ces éléments pourront être mis à votre disposition.

En parallèle, la DASS travaille en lien étroit avec la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT), organisme de protection sociale, auquel a été confiée la gestion financière des décisions du CHD. Le financement de la politique du handicap repose sur la fiscalité locale. Chaque année, la Nouvelle-Calédonie adopte un budget dédié, dont la mise en oeuvre est confiée à l'Agence sanitaire et sociale. Cette dernière alimente un fonds d'aide destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées, permettant de financer diverses allocations et prestations spécifiques, qui pourront également vous être communiquées.

En résumé, la DASS assure le pilotage administratif et opérationnel du dispositif, tandis que le CHD en constitue l'organe décisionnaire.

Mme Karen N'G, conseillère auprès de Thierry Santa, membre du gouvernement de la Nouvelle Calédonie en charge de la politique du handicap. - La politique du handicap et de la dépendance en Nouvelle-Calédonie s'appuie sur un schéma directeur, décliné en plans d'action et en objectifs opérationnels. Elle vise notamment une clarification de la gouvernance, ainsi qu'un pilotage plus lisible et cohérent de la stratégie en matière de handicap et de dépendance. Un autre objectif essentiel concerne la simplification des démarches pour les usagers.

Le CHD opère auprès du monde associatif, des institutions et des employeurs, traitant les demandes d'aides pour les personnes en situation de handicap (enfants et adultes), ainsi que pour les travailleurs handicapés.

Les missions du CHD incluent notamment :

- un rôle décisionnel, en matière d'attribution des aides relevant des régimes handicap et perte d'autonomie, ainsi que des dispositifs d'insertion professionnelle ;

- un rôle consultatif, pour émettre des avis sur les projets de réglementation ou de convention, notamment ceux relatifs à la gestion des fonds délégués à la CAFAT ;

- un rôle de proposition, en formulant des recommandations pour faire évoluer les politiques publiques et en entreprenant des études, comme cela a été le cas récemment sur la reconnaissance des entreprises adaptées -- une catégorie de structures qui ne bénéficie pas encore de statut juridique en Nouvelle-Calédonie.

S'agissant de l'offre de services, elle demeure inégalement répartie sur le territoire : la province Sud concentre l'essentiel des structures d'accompagnement, d'hébergement et d'accueil, au détriment des provinces Nord et des Îles. À titre d'illustration, la province Sud regroupe environ 75 % de la population reconnue en situation de handicap. Cette part représente environ 4 % de la population calédonienne, un taux bien inférieur à celui observé en métropole (autour de 18 %), principalement en raison du caractère non obligatoire de la démarche de reconnaissance du handicap, et de l'absence de dispositifs systématiques de repérage.

En réponse à cette situation, le Collectif Handicaps a formulé une proposition visant à intégrer une question spécifique sur le handicap dans le prochain recensement général.

M. Jean Saussay, président du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie. - Nous intervenons en tant qu'acteurs de terrain. Le Collectif regroupe une quarantaine d'associations et de membres engagés directement auprès des personnes en situation de handicap. Nous travaillons en collaboration étroite avec les services du gouvernement qui nous proposent des orientations stratégiques que nous déclinons en actions concrètes sur le terrain.

Parmi les volets que nous souhaitons mettre en avant, celui de l'insertion professionnelle reste aujourd'hui primordial. En lien avec la DASS et le Fonds d'insertion professionnelle, nous avons élaboré un ensemble de référentiels destinés à accompagner les travailleurs handicapés dans leur parcours. Parmi les 4 500 personnes reconnues en situation de handicap aptes au travail, seulement 600 exercent une activité professionnelle.

Ainsi, nous entendons renforcer l'inclusion professionnelle et permettre à ces personnes de participer pleinement au tissu économique du territoire. Des actions ont été engagées en ce sens et des avancées notables ont été observées. Malheureusement, les événements survenus l'an dernier ont fortement impacté l'économie locale. De nombreuses entreprises ont été détruites, ce qui a freiné brutalement les dynamiques enclenchées. L'élan amorcé en matière d'insertion se trouve aujourd'hui ralenti, mais la volonté de le relancer demeure entière.

Par ailleurs, le régime en vigueur prévoit plusieurs aides à l'égard des personnes n'étant pas en situation d'insertion professionnelle. À partir de 50 % de reconnaissance de handicap, des solutions d'hébergement peuvent être proposées. Pour celles dont le taux dépasse 67 %, une allocation spécifique est versée : environ 95 000 francs CFP par mois pour les personnes sans activité, et 52 000 francs CFP pour celles qui disposent d'une capacité de travail.

Depuis l'instauration des lois de pays en 2009, le secteur du handicap bénéficie d'un encadrement réglementaire plus structuré, et la situation progresse.

M. Ugo Klinghofer, responsable du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie. - La première loi de 2009 instaure un régime d'aide et de perte d'autonomie pour les personnes en situation de handicap. Elle regroupe l'ensemble des dispositions relatives aux prestations, à l'aide au transport, à l'hébergement, ainsi qu'aux aides financières, à partir d'un certain taux de reconnaissance du handicap.

La seconde transpose, avec des spécificités locales, le principe de l'obligation d'emploi applicable aux entreprises de plus de 20 salariés, fixant un taux de 2,5 % de travailleurs handicapés en Nouvelle-Calédonie. Lorsqu'elles ne remplissent pas cette obligation, les entreprises versent une contribution alimentant le Fonds pour l'insertion professionnelle, destiné à financer divers dispositifs favorisant l'embauche de personnes en situation de handicap. Un travail conséquent a été réalisé pour structurer les aides tant à destination des employeurs que des employés.

Le Collectif Handicaps, en tant qu'acteur de terrain, mène deux missions principales :

- la sensibilisation auprès des entreprises, des collectivités et des établissements scolaires sur les réalités du handicap ;

- le dialogue institutionnel, en tant qu'interlocuteur des associations auprès des pouvoirs publics ou des services de la DASS, afin de faire avancer les projets structurants autour de la mobilité, du transport, du logement, etc.

À cet égard, beaucoup de progrès ont été accomplis. Il convient également de relever une spécificité de la Nouvelle-Calédonie. En effet, alors que la politique nationale repose principalement sur le principe de compensation du handicap, la Nouvelle-Calédonie a développé une logique fondée sur l'aide sociale, avec des prestations ciblées.

Sur le plan scolaire, le Collectif siège dans les commissions relatives à l'inclusion scolaire. En primaire, les classes pour l'inclusion scolaire (CLIS) permettent l'accueil d'élèves dans des dispositifs spécialisés intégrés à des écoles ordinaires. Au collège, les Ulis, également incluses dans des établissements du secondaire, assurent une forme de scolarisation semi-inclusive.

Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie dispose d'une Ligue calédonienne de sport adapté et handisport (LCSAH), soutenue par plusieurs associations réparties sur l'ensemble du territoire. Récemment, huit athlètes calédoniens ont participé aux Jeux paralympiques organisés à Paris, représentant diverses disciplines. Cette implication témoigne de la vitalité du secteur et de l'engagement local en faveur du sport inclusif.

Mme Telesia Keletaona, présidente de l'Association d'aide aux personnes handicapées et défavorisées de Wallis-et-Futuna. - Je souhaite témoigner exclusivement de la situation à Wallis, l'île-soeur Futuna disposant de sa propre structure dédiée aux personnes en situation de handicap. Mon association se sent quelque peu lésée, à l'écoute de vos précédents échanges. En effet, depuis le début de notre mandat - le 6 mai 2024 -, mon équipe et moi-même rencontrons de grandes difficultés dans nos relations avec les institutions, élus, préfecture, inspection du travail, et avec les lois sociales. À Wallis, nous ne disposons d'aucun dispositif équivalant aux lois de pays instaurées en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, les personnes en situation de handicap perçoivent une aide mensuelle de 400 euros, versée aux familles. S'agissant du handisport, il n'existe aucun cadre structuré. Les personnes handicapées restent à leur domicile, sans accès à des activités adaptées.

Lors de mon arrivée, nous avons tenté d'organiser la distribution de paniers de première nécessité à destination des familles les plus en difficulté. Avec les moyens dont nous disposons - une simple voiture et deux ou trois femmes de notre bureau -, nous nous rendons directement au domicile des bénéficiaires. Juste avant les fêtes de fin d'année, j'ai rencontré pour la première fois un jeune homme vivant avec un handicap lourd, alité sur une planche, sans aucun équipement médical. Une commerçante a répondu à notre appel aux dons en offrant, par un heureux hasard, un lit médicalisé, que nous avons aussitôt remis à ce jeune homme.

Ce que je souhaite souligner, Madame le Président, c'est l'absence de coordination entre les acteurs responsables du handicap à Wallis. En écoutant les témoignages venus de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie, je ne peux qu'exprimer mon admiration et mon envie. À Wallis, les personnes handicapées restent livrées à elles-mêmes.

Je souhaite également évoquer la situation des aidants. Ceux-ci perçoivent leur rémunération via le Service de l'inspection du travail et des affaires sociales (SITAS), mais seulement trois mois sur douze. Malgré mes démarches répétées auprès de l'inspecteur du travail, il m'a été répondu que les crédits disponibles ne permettaient pas d'assurer un paiement régulier sur l'ensemble de l'année.

Lorsque je dépose des dossiers afin de favoriser l'insertion professionnelle de personnes en situation de handicap, on m'oppose systématiquement l'absence de base légale à Wallis. Tant qu'aucune loi locale n'aura été adoptée, rien ne pourra être engagé, malgré la loi du 11 février 2005 applicable dans l'Hexagone.

Par ailleurs, notre association ne dispose d'aucun local. Nous sommes contraints de travailler dans des conditions particulièrement précaires. Nous assurons néanmoins chaque jour le transport de onze élèves en situation de handicap inscrits en classe Ulis dans le primaire. Pour cela, nous avons récupéré un autocar ancien, avec lequel nous assurons les trajets matin et soir. Aucun accompagnateur n'est formé pour cette mission, et aucune formation n'est proposée.

J'ai entendu évoquer, à plusieurs reprises, l'existence d'un dispositif d'aide à domicile. Encore faut-il savoir vers qui se tourner pour l'activer, car, dans les faits, personne ne nous oriente, ni au sein de l'Agence de santé ni ailleurs. Tel est le quotidien dans lequel nous tentons d'agir, au mieux, avec des moyens rudimentaires. Il nous arrive souvent d'être découragés.

J'ai rassemblé l'ensemble de ces éléments dans un écrit que je vous ai fait parvenir. Je vous remercie très sincèrement de m'avoir invitée à cette rencontre, et de m'avoir permis de partager ce que nous vivons concrètement sur le terrain.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour ce témoignage, qui illustre l'objectif de nos travaux : porter attention à la réalité de tous les territoires, sans exception.

Vous avez fait remonter un grand nombre d'informations concrètes et essentielles, et nous vous en remercions très sincèrement.

Sans plus tarder, je cède la parole à nos rapporteurs.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - En consultant les sites officiels de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, on constate un accès limité à l'information, contrairement à ceux de la Polynésie française, particulièrement riches à cet égard.

S'agit-il d'une difficulté partagée localement ? Existe-t-il d'autres moyens d'informer les usagers, en particulier les plus éloignés ou isolés ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le handisport de haut niveau, avec la participation récente de plusieurs athlètes calédoniens aux Jeux paralympiques, ce qui est remarquable.

Qu'en est-il du sport de proximité, notamment pour les enfants en situation de handicap, dans le cadre scolaire ou périscolaire ? Existe-t-il des dispositifs concrets pour favoriser leur accès au sport ? Travaillez-vous, comme cela a été mentionné pour la Polynésie, en partenariat avec les communes pour développer l'accessibilité des espaces sportifs ? Enfin, rencontrez-vous un manque d'infrastructures sportives accessibles ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, la production et la centralisation des données constituent un véritable enjeu pour la Nouvelle-Calédonie. À ce jour, il n'existe pas d'observatoire unique rassemblant les informations disponibles, qui demeurent éparses. Certaines données sont accessibles sur le site de la DASS, ou relayées par les provinces, qui jouent un rôle actif de proximité, notamment à travers les commissions de reconnaissance du handicap.

Des relais d'information existent également au niveau des centres médico-sociaux (CMS) et des services sociaux communaux. Par ailleurs, le site Handicap.nc a vocation à devenir un guichet unique pour les personnes en situation de handicap et les personnes âgées.

S'agissant de l'accès au sport, 95 % des enfants reconnus en situation de handicap sont scolarisés et bénéficient d'un accompagnement par des AVS, y compris pour certaines activités extrascolaires. Des aides spécifiques peuvent être octroyées à cet effet. La Fédération des oeuvres laïques (FOL) propose également des centres de vacances, avec une offre adaptée, bien qu'elle reste concentrée sur Nouméa.

De nombreux établissements de la petite enfance intègrent désormais l'inclusion d'enfants en situation de handicap, notamment via des activités sportives. La Nouvelle-Calédonie dispose de plateaux sportifs accessibles, et bénéficie de l'engagement d'un champion du monde, Pierre Fairbank, pour promouvoir le handisport. Ces équipements sont toutefois en nombre limité et leur accès a été partiellement perturbé depuis les événements de mai dernier.

Enfin, cet accompagnement à la pratique sportive peut être intégré directement dans les reconnaissances de handicap, sur demande des familles.

Mme Karen N'G. - La centralisation des actions et des données concernant le handicap et le « bien vieillir » constituent précisément l'objectif du projet de Maison calédonienne de l'autonomie, conçu comme un guichet unique. Cette structure visera à regrouper l'ensemble des informations et des services relatifs à l'accompagnement et à l'accueil des personnes concernées, tout en simplifiant les démarches administratives et en fluidifiant les parcours usagers.

Dans ce cadre, une refonte complète des systèmes d'information est prévue, avec la mise en place d'un outil permettant une interconnexion entre les différents acteurs du secteur. Cette approche permettra également de disposer d'une base de données centralisée, indispensable pour un pilotage efficace des politiques publiques. Par ailleurs, le site Handicap.nc fera l'objet d'une amélioration significative, afin d'offrir davantage de contenus sur les parcours « senior » et « handicap ».

Ce travail s'accompagnera d'un renforcement des liens avec les provinces et les centres médico-sociaux, grâce à la désignation de référents locaux qui assureront le relais territorial avec le guichet unique. Il s'agit de réduire les inégalités d'accès à l'information, en particulier dans les zones éloignées.

M. Ugo Klinghofer. - Si les installations existantes sont effectivement de qualité, la pratique du sport adapté en Nouvelle-Calédonie s'appuie également sur une histoire ancienne et structurée. La première association dédiée au sport adapté remonte à 1929, et la Ligue calédonienne de sport adapté a été créée en 1991, disposant ainsi de plus de trente ans d'existence.

Cette longévité a permis de développer une véritable expertise, notamment dans plusieurs disciplines comme l'athlétisme, la natation, ou encore le basketball en fauteuil. La pratique concerne différents types de handicaps : mental, psychique et moteur.

Il existe ainsi un tissu associatif solide, expérimenté, qui permet une offre sportive adaptée et inclusive, avec des résultats concrets sur le terrain.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Un point a particulièrement retenu mon attention : il semble qu'en Nouvelle-Calédonie, des aides ou indemnités au logement soient attribuées aux personnes en situation de handicap, en fonction de leur taux d'invalidité. C'est une mesure remarquable, qui, à ma connaissance, reste encore rare dans les autres territoires ultramarins.

Par ailleurs, disposez-vous, en Nouvelle-Calédonie, d'un circuit fluide pour l'accès aux structures comme les CAMSP ou les IME ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d'un Dispositif d'action médico-sociale précoce (DAMSP), installé au sein du Médipôle, c'est-à-dire du Centre Hospitalier Territorial Gaston-Bourret. Cette structure, en place depuis de nombreuses années, assure un accompagnement global des enfants en situation de handicap sur l'ensemble du territoire. Sa localisation au Médipôle, qui regroupe également une des trois maternités du territoire, facilite la détection et la prise en charge dès la naissance.

Cependant, comme partout, l'efficacité du dispositif dépend fortement de la présence de professionnels de santé spécialisés. L'attractivité de ces métiers reste un défi majeur, d'autant plus accentué depuis les événements récents qui ont fragilisé l'organisation générale du système de soins. Si la centralisation à Nouméa permet une prise en charge cohérente et rapide pour ceux qui y résident, elle révèle toutefois des inégalités géographiques majeures.

Par ailleurs, le territoire dispose d'un IME, et, depuis février 2024, d'une classe maternelle spécialisée pour enfants autistes, intégrée au sein d'une école ordinaire. Cette nouvelle structure vise à accompagner les tout-petits dans un cadre inclusif, tout en leur offrant un environnement pédagogique adapté à leurs besoins spécifiques.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Concernant l'inclusion des enfants en situation de handicap au sein des établissements scolaires, rencontrez-vous des difficultés liées à la reconnaissance des droits des enfants, avec des délais longs pour l'évaluation et des retards dans les notifications d'accompagnement ?

Avez-vous le sentiment qu'un nombre significatif d'enfants se retrouvent sans solution, parfois sans accompagnement adapté, voire en dehors du système scolaire ?

Ressentez-vous également un manque d'établissements ou de structures capables d'accueillir les enfants dont le handicap ne permet pas une scolarisation en milieu ordinaire ?

Mme Karen N'G. - L'un des freins identifiés tient à la multiplicité des commissions qui interviennent actuellement : au-delà de la commission de reconnaissance du handicap, d'autres instances, propres au secteur de l'enseignement, sont également sollicitées en amont, ce qui allonge considérablement les délais de traitement des dossiers.

C'est précisément l'un des objectifs du projet de guichet unique que nous portons : mettre en place une commission unique, composée d'une équipe pluridisciplinaire, capable de traiter à la fois les situations de handicap et de dépendance, et d'en fluidifier l'évaluation.

S'agissant de l'accompagnement en milieu scolaire, les crédits consacrés aux AVS ont fortement augmenté : quelques années plus tôt, ils s'élevaient à environ 500 millions de francs CFP, contre plus d'un milliard aujourd'hui. Cet effort témoigne de l'engagement en faveur de l'inclusion scolaire.

Enfin, pour ce qui est des structures d'accueil spécialisées, en plus de l'IME, il existe d'autres dispositifs portés par des associations comme l'Institut spécialisé autisme (ISA), que le Collectif Handicaps pourra présenter plus en détail.

M. Ugo Klinghofer. - Il existe effectivement un IME en Nouvelle-Calédonie depuis les années 1970, ainsi qu'une structure spécifique, l'ISA, qui accueille des enfants avec des troubles du spectre autistique.

Concernant l'inclusion scolaire, les retours que nous recevons de la part des familles font état de délais de traitement parfois longs, notamment pour l'instruction des dossiers liés à l'accompagnement des enfants. Le projet de guichet unique, évoqué par Karen N'G, devrait permettre d'améliorer ces délais en simplifiant les procédures et en assurant une meilleure coordination entre les acteurs.

Il convient également de souligner l'impact des événements récents sur la scolarisation. En province Sud, compétente pour l'enseignement primaire, six écoles ont été détruites. Cette perte d'infrastructures a entraîné une réorganisation d'urgence des effectifs, avec des difficultés supplémentaires pour maintenir l'accueil des enfants en situation de handicap dans des conditions adaptées, notamment au sein des CLIS.

Mme Telesia Keletaona. - Permettez-moi d'insister sur un point particulièrement préoccupant concernant le transport scolaire à Wallis. L'autocar actuellement utilisé pour transporter les onze élèves en situation de handicap dans le sud de l'île est en état de déliquescence. En période de pluie, la situation devient particulièrement inconfortable, voire risquée, pour les élèves.

Sur le plan scolaire, ces enfants sont accueillis dans la seule classe Ulis située à Mala'etoli.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour cette alerte, et pour la photo que vous nous avez transmise, illustrant la gravité de la situation. Il ne fait aucun doute qu'un tel dysfonctionnement constitue un risque avéré pour la sécurité des enfants. Nous lançons un appel aux autorités compétentes afin qu'une solution rapide soit envisagée.

M. Georges Naturel. - Vous avez mis en lumière le rôle central du monde associatif dans nos collectivités, les inégalités territoriales persistantes, ainsi que la complexité institutionnelle qui peut freiner l'efficacité des politiques publiques. Je tiens à souligner également l'importance des commissions communales d'accessibilité, souvent méconnues, mais cruciales pour garantir l'inclusion.

Deux points d'alerte méritent toute notre attention : d'une part, l'insertion professionnelle, dans un contexte où le passage à l'âge adulte induit une rupture de l'accompagnement, malgré quelques initiatives comme l'association Handijob ; d'autre part, le risque pesant sur le tissu associatif, dans un contexte budgétaire contraint, alors que ces structures sont au coeur de la mise en oeuvre des politiques du handicap.

M. Ugo Klinghofer. - En matière d'insertion professionnelle, la Nouvelle-Calédonie dispose de plusieurs acteurs engagés, parmi lesquels l'association Handijob, spécialisée dans l'accompagnement des personnes en situation de handicap intellectuel, ainsi qu'une entreprise sociale s'apparentant à un Centre d'aide par le travail (CAT), qui accueille des publics aux profils variés. Malgré ces dispositifs, un écart important subsiste : sur les 4 500 personnes reconnues comme travailleurs handicapés, seules environ 600 ont actuellement un emploi, soit un taux d'insertion de 13 %, témoignant des difficultés persistantes.

Le tissu associatif calédonien, historiquement l'un des plus dynamiques de France, joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques, notamment dans le champ du handicap. Toutefois, les difficultés budgétaires actuelles et les conséquences des récents événements ont fragilisé un grand nombre d'associations, en particulier celles qui assurent des missions de service public ou d'intérêt général, et qui sont également employeuses. Or ces structures n'ont pas pu bénéficier des dispositifs d'aide d'urgence mis en place pour les entreprises, bien qu'elles remplissent les mêmes obligations fiscales et sociales. Cette situation crée une inquiétude réelle quant à leur pérennité, alors même qu'elles constituent un maillon essentiel de l'offre médico-sociale sur le territoire.

Mme Marie-Laure Mestre. - Le passage des jeunes en situation de handicap vers le monde du travail constitue un axe fort du Fonds d'insertion pour les personnes handicapées (FIPH), qui a permis, en lien avec la direction du travail, les partenaires institutionnels et les employeurs, de renforcer la visibilité des dispositifs existants et de favoriser une approche inclusive de l'emploi. Des efforts importants ont été déployés pour faire connaître les aides à l'employabilité et encourager l'accueil des jeunes issus du système scolaire, même si le chantier reste ouvert.

Les difficultés rencontrées par le tissu économique, notamment les petites entreprises et artisans touchés par les événements récents, fragilisent cependant les perspectives d'embauche. La nécessité de renforcer les entreprises adaptées et de structurer l'offre d'insertion s'avère plus que jamais d'actualité. Le Collectif Handicaps joue à cet égard un rôle précieux, aux côtés des acteurs publics.

S'agissant de l'accompagnement des jeunes durant leur parcours scolaire, le fonctionnement local diffère de celui observé en métropole. En Nouvelle-Calédonie, il n'existe pas d'AESH, mais un système de reconnaissance du handicap géré par la DASS, qui s'articule avec le secteur éducatif. Cette dualité de compétences, entre santé et enseignement, nécessite un travail de coordination, encore en cours de structuration, pour fluidifier les parcours et garantir une meilleure continuité.

La question du basculement à l'âge adulte est récurrente : nombre de jeunes accompagnés durant toute leur scolarité se retrouvent, à 18 ans, face à un vide institutionnel. L'enjeu porte sur leur autonomisation et leur insertion dans le monde professionnel, avec un accompagnement encore trop limité à ce stade. De nombreux dispositifs existent déjà, notamment des structures de type CAT, mais ceux-ci demeurent concentrés en province Sud. Il apparaît nécessaire de poursuivre le développement d'initiatives plus largement réparties sur le territoire.

Enfin, un projet d'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) avait été envisagé afin de renforcer les capacités d'inclusion, notamment pour les jeunes présentant des troubles du comportement. L'idée d'un ITEP mobile, souple et déployé au plus près des territoires, notamment dans les provinces, avait suscité un intérêt marqué. Faute de moyens humains et du fait des départs dans le secteur sanitaire et social, ce projet n'a pu avancer comme prévu en 2024, mais reste une priorité inscrite à l'agenda des prochaines actions de la DASS.

Mme Micheline Jacques, président. - Avez-vous évalué, ou du moins envisagé, les conséquences de la crise actuelle sur deux volets essentiels : d'une part, la prise en charge financière du handicap ; d'autre part, l'intégration des personnes concernées, notamment dans le monde du travail ?

Dans ce contexte de fragilisation sociale généralisée, il est à craindre que les personnes en situation de handicap soient parmi les plus durement touchées.

Avez-vous pu mesurer cette dégradation de leur situation sociale ? Et, au-delà du constat, avez-vous engagé une réflexion sur les leviers à mobiliser pour en limiter les effets et mieux accompagner cette population dans les mois à venir ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, il s'agit d'une évaluation particulièrement complexe. Concernant le financement du régime, la Nouvelle-Calédonie a sécurisé pour l'année 2025 la pérennité de la prise en charge du handicap, par l'intermédiaire de l'Agence sanitaire et sociale. Le gouvernement a exprimé une volonté forte de maintenir ce régime, en l'inscrivant clairement dans les priorités budgétaires, malgré un contexte économique très contraint. Ce régime, en constante évolution, connaît une dynamique importante, notamment sur la prise en charge des jeunes. Des éléments complémentaires pourront vous être transmis à ce sujet à l'issue de cette audition.

S'agissant de l'impact de la crise sur l'emploi, les personnes en situation de handicap qui étaient en activité ont pu bénéficier, comme les autres travailleurs, des dispositifs de chômage partiel ou total mis en place dans le cadre exceptionnel des exactions. Il s'agit de régimes dérogatoires, spécifiques au contexte calédonien. À ce jour, la DASS ne dispose pas d'un suivi individualisé de ces travailleurs handicapés, mais les associations ont clairement fait remonter les difficultés rencontrées sur le terrain.

Un autre volet a été ouvert concernant la vulnérabilité des personnes handicapées en situation de crise. Un projet de géolocalisation a été amorcé, en lien avec la sécurité civile et la CPS, afin de mieux identifier les personnes concernées, notamment en cas de catastrophes naturelles.

Mme Micheline Jacques, président. - Une partie de la communauté wallisienne vivant en Nouvelle-Calédonie est retournée à Wallis-et-Futuna à la suite des événements récents.

Madame Telesia Keletaona, avez-vous observé parmi ces retours des situations de précarité sociale, et plus précisément, des difficultés touchant des personnes en situation de handicap ? Ces retours ont-ils eu un effet tangible sur les capacités locales d'accompagnement et de prise en charge ?

Mme Telesia Keletaona. - À ce stade, je peux simplement confirmer que certaines familles wallisiennes et futuniennes sont revenues s'installer définitivement sur le territoire. En ce qui concerne plus spécifiquement les personnes en situation de handicap, seuls deux enfants, auparavant suivis à Nouméa, ont rejoint le groupe d'élèves actuellement transportés chaque matin.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci à vous pour cette audition, riche en enseignements et en échanges constructifs. Nous restons bien entendu à votre disposition pour recevoir vos contributions écrites au questionnaire transmis, ainsi que toute remarque complémentaire que vous souhaiteriez nous faire parvenir. Merci encore pour votre mobilisation, malgré l'heure tardive.

Mardi 8 avril 2025

Tables rondes consacrée au handisport

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous reprenons aujourd'hui nos travaux sur la politique du handicap outre-mer après l'adoption la semaine dernière de notre rapport sur la vie chère dans les outre-mer. Je voudrais vous redire ma satisfaction pour le travail collectif réalisé sur ce sujet essentiel. Ce rapport a reçu un large écho dans la presse et sur les réseaux. Je vous annonce que nous auditionnerons le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, le 15 mai à 10 heures. Nous pouvons sincèrement espérer que les recommandations sénatoriales, qui ont été nombreuses ces derniers temps, nourriront le projet de loi en cours de préparation.

Nous abordons donc cette après-midi la thématique du handisport. Au côté de nos rapporteurs, Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir trois personnalités emblématiques dans ce domaine : Gaël Rivière, président de la Fédération française handisport (FFH) ;  Cédrick Plaideur, membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté (FFSA), exerçant en Guadeloupe et Mandy François-Élie, triple médaillée paralympique en athlétisme.

Madame, Messieurs, merci beaucoup d'avoir répondu à l'invitation de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Les Jeux paralympiques de Paris de l'année dernière ont suscité un engouement considérable. Nous souhaitons aujourd'hui dresser un état des lieux en termes de pratiques, d'infrastructures, d'accompagnement et de logistique. Quelles sont les perspectives de développement à court et moyen terme ?

Conformément à notre usage, je vous propose d'intervenir à tour de rôle pour un propos liminaire de présentation générale. Ensuite, nos rapporteurs auront l'opportunité de vous demander des compléments et des précisions. Monsieur le Président Rivière, je vous cède la parole.

M. Gaël Rivière, président de la Fédération française handisport (FFH). - Je vous remercie de l'opportunité qui m'est offerte de m'exprimer devant vous sur ce sujet crucial. J'envisage le sujet du handisport en outre-mer non pas comme une problématique, mais comme une véritable source de potentiel et d'ambition.

Permettez-moi de commencer par un bref état des lieux, étayé par quelques données chiffrées essentielles. La Fédération Française Handisport compte actuellement cinq comités locaux de développement au sein de La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. Le nombre de licenciés varie considérablement selon les territoires : La Réunion en tête avec 200 licenciés, suivie de la Martinique avec 149, la Nouvelle-Calédonie avec 99, la Guadeloupe avec 67, et la Guyane avec 8. Ces chiffres, bien que modestes, ne reflètent pas l'intégralité de la pratique sportive, car de nombreuses activités se déroulent sans que les participants ne soient nécessairement licenciés. Il convient de noter que la prise de licence est souvent liée à la perspective de compétition. Or, l'offre compétitive dans les territoires ultramarins demeure limitée. Cela explique en partie le décalage entre la réalité de la pratique et les statistiques de licenciés. Au total, les licenciés ultramarins représentent environ 2 % de l'ensemble des licenciés de la Fédération Française Handisport.

Concernant la pratique des jeunes, nous observons des proportions similaires à celles constatées au niveau national, oscillant entre 10 et 20 % selon les territoires. Les disciplines les plus populaires sont l'athlétisme, la boccia et le basket-fauteuil. Malheureusement, le cécifoot ne figure pas parmi ces sports, principalement en raison des difficultés à organiser des compétitions locales.

Quant au haut niveau, le nombre de sportifs de haut niveau inscrits dans les territoires ultramarins reste limité. Nous comptons actuellement un seul athlète en Nouvelle-Calédonie, bénéficiant d'une structure locale d'accompagnement à la performance. Il est important de souligner que de nombreux sportifs ultramarins de haut niveau évoluent désormais en métropole. Cette situation soulève des questions importantes, tant sur le plan personnel pour les athlètes concernés que sur le plan collectif, en termes de transmission de l'expérience et d'émulation locale.

Les principaux défis auxquels nous sommes confrontés concernent les coûts et la mobilité. Ces problématiques, déjà présentes dans l'Hexagone, sont exacerbées dans les territoires ultramarins. La question de l'accessibilité aux infrastructures sportives adaptées se pose avec encore plus d'acuité, compte tenu de leur rareté et de leur dispersion géographique. La participation aux compétitions en métropole est considérablement limitée par les coûts élevés de déplacement. Ces frais ne sont pas systématiquement pris en charge par les dispositifs d'accompagnement locaux, particulièrement dans le cadre associatif. Nous constatons également une pénurie de personnel formé, résultant d'un cercle vicieux : le manque de pratiquants entraîne une réduction des moyens alloués, ce qui à son tour limite les possibilités de formation et, par conséquent, l'offre disponible pour les personnes en situation de handicap souhaitant pratiquer un sport.

Il est notable que les territoires ayant mis en place une structure solide, notamment avec des emplois dédiés à l'accompagnement concret des pratiques parasportives, enregistrent le plus grand nombre de pratiquants. À l'inverse, des territoires comme Mayotte ou la Guyane, dépourvus d'emplois spécifiques dans ce domaine, affichent des niveaux de pratique très faibles, voire quasi nuls.

Le coût du matériel sportif constitue un obstacle supplémentaire. Souvent importé de l'Hexagone, ce matériel spécifique engendre des frais additionnels significatifs.

Malgré ces défis, les territoires ultramarins présentent un potentiel considérable. Leur jeunesse dynamique et la présence importante de personnes en situation de handicap offrent des opportunités de développement. Le sport peut jouer un rôle crucial dans l'évolution de la perception du handicap dans ces territoires, où la solidarité, bien que forte, peut parfois conduire à une surprotection des personnes handicapées. Le parasport pourrait ainsi devenir un vecteur d'émancipation essentiel.

Pour favoriser ce développement, il est impératif d'adopter une approche basée sur la compensation du handicap et de l'inaccessibilité. Prenons l'exemple de La Réunion, où le choix d'investir dans une route onéreuse plutôt que dans des transports en commun fiables a eu des répercussions sur la mobilité des personnes handicapées. Ce type de décision politique nécessite des mesures compensatoires pour pallier les difficultés d'accessibilité qui en découlent.

Il incombe à la collectivité et à l'État de remédier à ces problèmes d'accessibilité et de mobilité en élargissant le principe de compensation du handicap à la pratique sportive, à l'instar de ce qui se fait partiellement dans le domaine professionnel. Il est important que le sport soit pleinement intégré dans les dispositifs de compensation pour surmonter les obstacles actuels.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie vivement pour ce témoignage éclairant. L'objectif principal de nos travaux au sein de la délégation est précisément de promouvoir une meilleure prise en compte du handicap à tous les niveaux dans les territoires ultramarins. Nous considérons la pratique sportive comme un élément clé de l'intégration sociale. Je tiens à souligner que, outre votre rôle de Président de la Fédération française handisport, vous êtes également champion olympique, médaillé d'or aux Jeux paralympiques de 2024 à Paris, ce qui confère une valeur particulière à votre présence parmi nous. Je cède maintenant la parole à Monsieur Cédrick Plaideur.

M. Cédrick Plaideur, membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté (FFSA). - Je suis membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté, présidée par Marc Truffaut. Je vous remercie sincèrement de nous associer à cette étude. La question du handicap, et plus spécifiquement celle de la pratique des parasports en outre-mer, constitue un enjeu majeur pour l'ensemble du territoire français. Elle concerne toutes les générations et touche toutes les familles.

Je commencerai par dresser un panorama du contexte du sport adapté dans les territoires ultramarins, puis j'évoquerai brièvement les missions de notre fédération, les modalités de pratique du sport adapté en Hexagone, avant de me concentrer sur la situation spécifique des outre-mer. Je conclurai par quelques perspectives et recommandations.

Il convient de préciser que mon propos sur la pratique du sport adapté concerne plus spécifiquement la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion. Ces territoires, souvent fragilisés par des crises sociales ou climatiques et confrontés à un coût de la vie élevé, accusent un retard de développement par rapport à l'Hexagone. Néanmoins, ils sont porteurs d'une richesse humaine indéniable : une population française fière, résiliente, capable d'adaptation, dotée de talents et d'une énergie remarquables.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de citer quelques exemples de sportifs de haut niveau en sport adapté originaires des outre-mer : Thierry Washetine, para-athlète adapté de Nouvelle-Calédonie ; Nicolas Virapin et Lucas Tandrayen, para-athlètes adaptés de La Réunion ; Delphine André, para-nageuse adaptée de Nouvelle-Calédonie ; Grégory Séjor, para-basketteur adapté, également de La Réunion.

Ces athlètes, parmi tant d'autres que je n'aurai malheureusement pas le temps de citer aujourd'hui, incarnent l'excellence sportive et représentent une source d'inspiration précieuse pour notre fédération.

La Fédération française du sport adapté a pour mission d'offrir à toute personne en situation de handicap mental ou psychique, ou présentant des troubles neurodéveloppementaux - notamment les troubles du spectre autistique - la possibilité de pratiquer le sport de son choix, quels que soient ses capacités et ses besoins. Notre fédération s'efforce de créer un environnement favorisant le plaisir, la performance, la sécurité et l'exercice de la citoyenneté. Nous nous adressons à un public majoritairement non solvable, bénéficiant principalement d'allocations destinées aux personnes en situation de handicap.

Nos modalités de pratique englobent le haut niveau, avec huit disciplines reconnues, ainsi qu'un programme compétitif comportant des classifications AB, BC et CD. Notre programme non compétitif inclut les activités motrices, le sport santé, le sport adapté jeune, le sport éducatif et la santé mentale. Nos programmes sont conçus pour répondre aux besoins spécifiques de chaque personne en situation de handicap, et favorisent l'évolution et le développement de nos pratiquants.

Sur l'ensemble du territoire, ces modalités de pratique sont déclinées à travers les organes déconcentrés de la Fédération française du sport adapté, à savoir les ligues, les comités départementaux et les clubs sportifs. Ces derniers peuvent être des clubs ordinaires ouverts à tous les publics, des associations sportives d'établissements sociaux ou médico-sociaux, ou des clubs accueillant exclusivement un public sportif adapté.

Pour illustrer l'activité du sport adapté en métropole et en outre-mer, et permettre à la délégation d'apprécier l'ancrage et l'évolution de la pratique entre les saisons 2018-2019 et 2023-2024, voici quelques chiffres comparatifs. Dans l'Hexagone, nous comptons plus de 65 000 licenciés, un chiffre relativement stable d'une année à l'autre, 1 250 associations, et une offre sportive diversifiée comprenant 21 disciplines. Le maillage associatif y est structuré, avec un volume de licences dense, mais proportionnel à la superficie du territoire et à sa population.

En outre-mer, si l'on inclut la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, nous recensons en moyenne 450 licenciés bénéficiant de l'accompagnement d'un cadre fédéral, 35 associations dont trois ligues, un comité départemental et 31 associations affiliées. L'offre sportive y est plus limitée, avec environ huit disciplines en moyenne.

Parmi les disciplines pratiquées en outre-mer, on trouve les activités motrices pour les personnes lourdement handicapées, la natation et la para-natation adaptée, le para-athlétisme adapté, le para-tennis adapté, le basket, le football, le cyclisme, le VTT, les sports de boules et le tennis de table. Il est important de souligner que toutes ces disciplines sont adaptées à notre public spécifique, d'où l'appellation « para-adapté ».

Le maillage associatif en outre-mer reste à développer. Le volume de licences y est relativement faible, même en tenant compte de la superficie des territoires et de leur population. Un classement par territoire place La Réunion en tête en termes de licenciés, suivie par la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Guyane. Les chiffres demeurent relativement similaires d'une année à l'autre.

Les pourcentages de la pratique sportive varient selon les territoires : environ 24 % de pratiquants en Guadeloupe, 33 % en Martinique et à La Réunion, et 43 % en Nouvelle-Calédonie. Pour la Guyane et Mayotte, nous ne disposons malheureusement pas de données précises.

Quant à la présence d'un référent du Comité paralympique sportif français sur ces territoires ultramarins - dont le rôle est d'animer et de renforcer le mouvement paralympique, de dresser un état des lieux de la pratique sportive et de mobiliser les acteurs - seule La Réunion dispose actuellement d'un référent désigné. Les autres territoires n'en sont pas encore pourvus.

Pour expliquer les disparités observées entre la métropole et les outre-mer, ainsi qu'entre les différentes régions ultramarines, plusieurs facteurs entrent en jeu. Au cours des cinquante dernières années, certaines associations affiliées au sport adapté ont connu des périodes d'instabilité dans leur gouvernance, ce qui a pu impacter l'offre sportive proposée. Parallèlement, nous avons constaté un développement significatif du sport adapté en métropole, notamment grâce aux aides publiques allouées à l'emploi sportif qualifié (ESQ).

La stratégie fédérale en matière d'emploi et de professionnalisation a consisté à déployer 15 emplois sportifs qualifiés dans les organes déconcentrés pour soutenir la situation en métropole. Les ligues nationales disposent, quant à elles, de sept emplois sportifs qualifiés et ont également généré deux emplois de développement, d'animation ou administratifs. Des postes de directeurs de ligue ont également vu le jour depuis l'an dernier. À ce jour, 154 emplois destinés au sport adapté bénéficient d'aides de l'Agence nationale du sport (ANS).

Cependant, depuis 2021, les emplois sportifs qualifiés ne bénéficient plus de l'aide allouée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce qui représente une perte de 8 000 euros par an et par poste. Cette situation fragilise les comités départementaux et les ligues, impactant directement l'organisation et le développement du sport adapté.

Le cas de La Réunion illustre parfaitement cette situation. La ligue réunionnaise a bénéficié d'un emploi sportif qualifié pendant 15 ans, ce qui a permis de stimuler le développement du sport adapté sur l'île. Cependant, la crise sanitaire a entraîné un renouvellement de l'organisation, un turn over et une baisse de l'activité, suite au départ de cet agent. À l'instar des autres régions, La Réunion bénéficie depuis peu d'un conseiller technique sportif fédéral (CTSF), chargé d'animer et de renforcer le mouvement parasportif sur le territoire, ce qui constitue un atout majeur pour le développement du sport adapté.

En Nouvelle-Calédonie, l'accès au sport adapté est plus complexe, principalement en raison d'un maillage associatif insuffisant et de déséquilibres territoriaux importants. Les opportunités sportives varient considérablement selon le lieu de résidence. Les habitants de Nouméa et du Grand Nouméa bénéficient d'un accès privilégié par rapport à ceux des territoires de la brousse et du Nord. Cette disparité s'explique notamment par la concentration des établissements sociaux et médico-sociaux à Nouméa et dans sa périphérie.

Des défis similaires se manifestent en Guadeloupe et en Guyane. Dans certains territoires, la pratique sportive fédérale proposée par le sport adapté peine à s'imposer face à des besoins socio-économiques plus urgents. De plus, la méconnaissance de cette pratique au sein de la population, ainsi que la persistance de tabous concernant le handicap dans certaines couches de la société, constituent des freins supplémentaires.

À Mayotte, l'accès au parasport s'est complexifié suite au passage du dernier cyclone, la plupart des équipements sportifs ayant été durement impactés.

En termes de points forts pour les outre-mer, nous pouvons noter la mise en place d'actions de sensibilisation auprès des scolaires, pour faire évoluer le regard sur le handicap. Les établissements sociaux et médico-sociaux s'ouvrent davantage sur leur environnement. Le maillage associatif est développé à La Réunion, avec des clubs répartis sur l'ensemble du territoire.

Un événement sportif international organisé en juin 2023 a grandement contribué à vulgariser la pratique du sport adapté et à faire évoluer les mentalités. Concernant les Jeux olympiques et paralympiques, les compétitions, diffusées en direct sur Internet, ont été bien suivies en outre-mer. La stratégie Sport Identity, initiée par le Gouvernement en amont des Jeux, a eu des retombées positives dans les territoires ultramarins. Au contact de la population, nous constatons une meilleure connaissance de l'offre handisportive, du sport adapté et de la pratique du parasport.

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont constitué un événement marquant en outre-mer, offrant un bel exemple d'inclusivité. Nous constatons une augmentation notable des pratiques sportives adaptées, notamment suite à la mise en place de nouvelles réglementations. Certaines collectivités locales ont rapidement adopté ces pratiques et mis aux normes leurs équipements sportifs. Cependant, des inégalités persistent dans l'accès aux infrastructures sportives selon les lieux de résidence. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie, on observe des disparités significatives.

Nous manquons de données précises sur le nombre d'éducateurs formés au sport adapté. Les structures sportives généralistes sont souvent peu équipées pour accueillir les sportifs en situation de handicap, contrairement aux structures spécialisées. Plusieurs problématiques se posent : quelle part de la population est réellement concernée par les sports adaptés ? Quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les personnes en situation de handicap pour pratiquer un sport dans un cadre fédéral ?

Le coût du transport aérien entre les régions métropolitaines et ultramarines constitue un obstacle majeur à la participation aux compétitions nationales ou internationales. Les subventions actuelles demeurent insuffisantes. La charge administrative pèse lourdement sur les bénévoles qui gèrent les associations. Les structures dédiées au sport adapté ne disposent pas toujours de budgets de fonctionnement pérennes et dépendent souvent d'appels à projets annuels, ce qui fragilise leur action.

Dans certains contextes culturels, la perception du handicap peut être influencée par des croyances traditionnelles. Par exemple, le handicap psychique peut être associé à des phénomènes surnaturels dans certaines sociétés. En Nouvelle-Calédonie, le risque existe de considérer le handicap comme un état stationnaire, avec peu de possibilités d'évolution. La pratique sportive peut alors être perçue par l'entourage comme non essentielle pour la personne en situation de handicap.

Le développement du sport adapté est relativement récent dans les territoires ultramarins. Des initiatives locales ont été portées par des personnes en situation de handicap, des bénévoles, des professionnels engagés et des familles. Ces actions visent à structurer des associations sportives dont l'objectif est double : permettre la pratique d'une activité physique adaptée et favoriser la participation citoyenne des personnes en situation de handicap. Le sport adapté contribue ainsi à l'estime de soi, à la socialisation et à la santé.

La situation dans les territoires ultramarins présente des spécificités par rapport à l'Hexagone, avec des réalités parfois complexes qui influencent l'évolution du sport adapté. Néanmoins, l'enjeu fondamental reste le même au sein de la Fédération : permettre aux personnes en situation de handicap de s'épanouir, de participer pleinement à la vie sociale et de faire évoluer le regard porté sur le handicap.

Mme Micheline Jacques, président. - Je donne la parole à François-Élie, originaire de la Martinique, un territoire qui me tient particulièrement à coeur. Vous étiez un espoir de l'athlétisme français avant qu'un accident vasculaire cérébral ne bouleverse votre vie. Vous avez fait preuve d'une remarquable résilience en devenant triple médaillée paralympique, ce dont nous sommes extrêmement fiers. Vous avez d'ailleurs été décorée de la médaille de chevalier de la Légion d'honneur, et vous incarnez un modèle inspirant pour la jeunesse ultramarine.

Je vous invite à nous présenter votre parcours et à nous indiquer comment nous pourrions mieux vous accompagner dans votre pratique sportive au sein de votre territoire.

Mme Mandy François-Élie, triple médaillée paralympique en athlétisme. - J'éprouve des difficultés à m'exprimer clairement. Ma situation actuelle n'est pas simple. J'ai dû réduire mes entraînements et faire une pause dans ma carrière sportive après mon accident vasculaire cérébral.

Malgré les obstacles, j'ai persévéré, encouragée et soutenue par Jocelyn Nienat, mon entraîneur. J'ai ensuite dû me rendre en métropole pour recevoir les soins médicaux dont j'avais besoin. Ce déplacement a représenté un tournant majeur dans ma vie. Je suis aujourd'hui à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP). En métropole, les structures existent, mais en Martinique, les moyens restent limités.

Mme Micheline Jacques, président. - Je comprends que vous n'avez pas accès à des structures adaptées pour pratiquer votre sport dans votre région d'origine.

Mme Mandy François-Élie. - Effectivement, j'ai dû m'éloigner de chez moi pour recevoir les soins nécessaires. La distance était considérable, ce qui compliquait mes déplacements, surtout en étant seule. Bien que ma famille m'ait soutenue, la situation reste difficile au quotidien.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Merci à nos invités pour leurs contributions à cette mission.

J'aimerais connaître vos recommandations spécifiques pour La Réunion. J'entends beaucoup d'éléments positifs concernant mon territoire, ce qui me réjouit. Cependant, il existe de fortes disparités selon les zones géographiques de l'île. Même au sein du territoire, la pratique sportive reste compliquée, qu'il s'agisse de handisport ou de sport adapté. Il est vrai que les choix politiques influencent grandement le développement de ces pratiques d'une zone à l'autre.

Quelles seraient, selon vous, les mesures essentielles à intégrer dans les politiques publiques, que ce soit au niveau municipal, départemental ou régional, pour véritablement soutenir la pratique sportive des personnes en situation de handicap ? Comment pouvons-nous garantir un accès effectif au sport pour toutes les personnes concernées, sans qu'elles soient contraintes de quitter leur territoire ou de parcourir de longues distances ? À La Réunion, par exemple, le trajet entre Saint-Denis et Saint-Pierre peut prendre jusqu'à une heure et demie - ce qui n'est pas négligeable.

Vous avez évoqué, Gaël Rivière, les problèmes de mobilité, et je partage entièrement votre constat. Les transports en commun ne sont pas le point fort de nos territoires. Quelles politiques publiques fondamentales font aujourd'hui défaut pour mieux accompagner les pratiquants ?

M. Gaël Rivière. - Les problématiques liées au développement du handisport et du parasport sur l'ensemble du territoire français sont similaires, mais prennent une dimension particulière dans les territoires ultramarins. Pour résoudre ces difficultés, il est nécessaire de mettre en place des moyens dédiés, notamment la formation d'encadrants compétents dans l'accueil et la pratique sportive des personnes en situation de handicap. Ces professionnels pourraient ensuite revenir dans nos collectivités pour proposer des activités adaptées ou accompagner les clubs dans l'accueil de ce public spécifique.

Concernant la mobilité, il est essentiel d'intégrer l'accessibilité dans la conception des transports en commun. À défaut, des aides économiques doivent être mises en place pour permettre aux personnes en situation de handicap d'accéder à des moyens de transport adaptés. L'accessibilité des infrastructures sportives est également primordiale, tant en ce qui concerne les équipements eux-mêmes que leur accessibilité depuis les différentes zones du territoire.

La mobilité entre les territoires ultramarins et la métropole soulève des enjeux similaires à ceux rencontrés dans d'autres domaines, notamment la « fuite des cerveaux ». Dans le domaine sportif, cela se traduit par le départ de talents vers la métropole, où les perspectives sont souvent plus prometteuses. Bien que cette mobilité puisse être enrichissante, il est préférable qu'elle ne soit pas contrainte.

Il est également pertinent d'envisager une mobilité entre les territoires ultramarins eux-mêmes. Cela permettrait d'organiser des compétitions et des rencontres dédiées, favorisant ainsi les synergies et le partage de bonnes pratiques. La Fédération française handisport a d'ailleurs organisé, il y a deux ans, les Jeux d'outre-mer déficients visuels (JOM DV), qui ont rencontré un franc succès grâce au soutien d'un partenaire pour couvrir les frais de transport.

Un autre aspect crucial est l'évolution des mentalités. Il est nécessaire de modifier la perception collective des personnes en situation de handicap, notamment dans le domaine sportif. Les Jeux paralympiques contribuent à cette évolution en montrant que ces athlètes sont capables de performances remarquables. Sur nos territoires, des progrès sont déjà observés, avec des sportifs handisport de haut niveau régulièrement reconnus comme sportifs de l'année, en concurrence avec des athlètes qui ne sont pas en situation de handicap.

Cependant, il est essentiel que cette évolution ne se limite pas à la haute performance. Il faut également encourager la pratique sportive des personnes en situation de handicap pour le loisir et le bien-être, à tous les niveaux de performance.

En résumé, les efforts doivent porter sur la formation, la mobilité, l'accessibilité des infrastructures et la sensibilisation pour faire évoluer les mentalités. L'objectif est d'ancrer durablement dans l'imaginaire collectif l'idée que les personnes en situation de handicap peuvent pratiquer le sport, que ce soit en compétition ou pour leur loisir.

M. Cédrick Plaideur. - Dans la continuité des propos de mon collègue, il est essentiel de mettre l'accent sur l'information et la formation. Il serait judicieux d'intégrer au programme de l'Éducation nationale une sensibilisation au handisport et au sport adapté dès le plus jeune âge. Cette formation devrait également s'étendre aux enseignants, aux animateurs et au personnel encadrant dans le domaine de l'animation.

La formation devrait également inclure les travailleurs sociaux et le personnel médical. En effet, au-delà de l'aspect inclusif, le sport représente un enjeu de santé publique. Former les professionnels du secteur sanitaire, comme les médecins et les infirmiers, sur le handisport pourrait grandement faciliter les choses.

Il serait bénéfique de désigner des agents des Comités départementaux des services aux familles (CDSF) dédiés dans l'ensemble des territoires. L'expérience montre que cette approche fonctionne.

Enfin, il serait utile de développer un outil permettant de collecter des données sur la pratique sportive des personnes en situation de handicap. Actuellement, nous manquons souvent d'éléments pour quantifier le travail accompli, notamment pour celles et ceux qui pratiquent en dehors du cadre fédéral. Un tel outil nous permettrait de mieux suivre et évaluer les actions menées sur chaque territoire ultramarin.

Mme Mandy François-Élie. - Il est urgent de faire évoluer les choses. Les encadrements et les infrastructures ne sont pas aussi performants qu'en métropole.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous travaillons sur ces questions. Votre expérience est précieuse, notamment lorsque vous retournez en Martinique pour partager votre vécu et animer des stages.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - C'est avec une émotion particulière que je participe à cette table ronde consacrée à la pratique du handisport dans les outre-mer. En tant qu'élue de Saint-Martin, je suis profondément attachée à notre bassin caribéen, à ses forces, à ses talents, mais aussi à ses défis, souvent invisibilisés.

Les territoires ultramarins regorgent de sportifs de haut niveau, et l'expression « Guadeloupe, terre de champions » est pleinement justifiée. Cependant, en ce qui concerne le handisport, la situation est plus contrastée. En Guadeloupe, par exemple, le sport adapté fédéral reste très peu développé, avec moins de 100 licenciés, alors même que 12 % de la population vit avec un handicap. Les infrastructures véritablement accessibles sont rares : à peine 2,5 % des équipements sportifs sont adaptés à l'accueil des personnes à mobilité réduite.

Pourtant, des initiatives porteuses d'espoir émergent, comme la tenue des Jeux d'Outre-mer des Déficients Visuels en Martinique en 2023. Ces dynamiques positives sont précieuses, mais ne doivent pas occulter une réalité persistante : la Caraïbe reste encore trop souvent reléguée en marge des grandes politiques nationales.

Aujourd'hui, je souhaite que nous lui accordions pleinement sa place, et que nous prêtions attention à la voix de celles et ceux qui veulent pratiquer un sport, malgré les obstacles et les silences. Ma question est la suivante : quelles bonnes pratiques, observées localement ou ailleurs, pourraient être généralisées en matière d'infrastructures, de formation, d'accompagnement des sportifs et de visibilité médiatique ?

M. Gaël Rivière. - Là où le développement du handisport est plus avancé dans les territoires ultramarins, une constante apparaît : la présence d'au moins un ou deux personnels qualifiés, travaillant à plein temps au développement de la pratique sportive.

Pour combler le retard observé, il est essentiel d'investir dans la compétence et la transmission de connaissances. Une interface humaine dédiée - capable d'apporter son expertise, de faire pratiquer, et de structurer les dynamiques locales - constitue un préalable incontournable. Je suis particulièrement attaché à l'idée que seules des personnes présentes sur le terrain, formées et engagées, peuvent créer les conditions d'un véritable essor de la pratique. Cela passe par un accompagnement des structures ordinaires, tout en soutenant les structures spécialisées.

L'investissement dans l'humain est fondamental : ces professionnels sont en mesure de dialoguer avec les collectivités locales, de les sensibiliser à l'enjeu de l'accessibilité des infrastructures sportives, et de mobiliser leur soutien pour l'organisation de compétitions nationales.

M. Cédrick Plaideur. - Pour compléter les propos de mon collègue, je souhaite évoquer le dispositif du pass Sport, une aide publique mise en place depuis trois ans. Ce dispositif permet aux personnes souhaitant pratiquer une activité sportive de bénéficier d'un soutien financier pour l'acquisition de l'assistance nécessaire. En matière de bonnes pratiques, il me semble essentiel de pérenniser ce dispositif, aujourd'hui encore limité dans le temps. Sa continuité permettrait de renforcer durablement l'accès au sport pour tous, en particulier dans les territoires ultramarins.

Je recommande donc la poursuite de ce type d'aide en outre-mer, couplée à une communication renforcée. Nous avons observé une montée en puissance progressive de l'impact de cette aide : peu d'effets la première année, et une augmentation notable des demandes d'information et d'inscription la troisième année.

Il est clair que l'appropriation de tels dispositifs nécessite du temps. Il est donc indispensable de leur donner une continuité, afin de permettre une imprégnation durable et d'en faire de véritables leviers d'inclusion par le sport.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - J'ai constaté, s'agissant de l'effet des Jeux paralympiques, que sur 237 athlètes paralympiques, seuls 14 proviennent des outre-mer, soit 5,91 %. À titre de comparaison, lors des JO, 76 athlètes sur 621 étaient issus des territoires ultramarins, soit 12,24 % des sportifs. Nous observons donc une proportion deux fois moindre pour les athlètes paralympiques.

La répartition géographique est également révélatrice du volontarisme : trois athlètes proviennent de la Nouvelle-Calédonie et un est originaire de Wallis-et-Futuna. Un athlète en développé couché est Guadeloupéen. Les neuf autres, bien qu'issus des outre-mer, s'entraînent tous dans des clubs métropolitains. Cela soulève des questions sur les possibilités d'entraînement et d'accompagnement dans les territoires d'origine.

On constate également une faible proportion de femmes dans la pratique du handisport et du sport adapté. Quelles seraient, selon vous, les causes de cette sous-représentation ? 

Par ailleurs, concernant le coût des licences handisport, bien qu'elles restent abordables en valeur absolue, elles doivent être mises en perspective avec le coût de la vie moyen. Ne faudrait-il pas envisager une réévaluation des tarifs ou bien la mise en place de solutions alternatives pour éviter que le coût de la vie en outre-mer ne soit un frein à la pratique sportive des personnes en situation de handicap ?

Enfin, je souhaiterais savoir si la Fédération française handisport (FFH) et la Fédération française du sport adapté (FFSA) ont mis en place des actions spécifiques dans les établissements scolaires ultramarins, pour faire découvrir et promouvoir la pratique du sport adapté auprès des jeunes.

Quelles sont, selon vous, les pistes d'amélioration pour renforcer l'accessibilité des stades et autres infrastructures sportives dans nos territoires ?

M. Gaël Rivière. - La pratique sportive féminine constitue effectivement un axe prioritaire national. Nous constatons un déficit de pratiquantes féminines, probablement dû à des freins culturels et à l'imaginaire collectif. Paradoxalement, les athlètes parasportives féminines les plus connues véhiculent une image forte qui transcende leur discipline sportive. Malgré cette visibilité médiatique, nous peinons à observer une réelle croissance du nombre de pratiquantes féminines. Cette situation nécessite probablement du temps pour évoluer au sein de la société.

Concernant nos actions dans les écoles, elles se déclinent en deux catégories. Premièrement, nous menons de nombreuses initiatives de sensibilisation au handicap auprès des jeunes non handicapés. Ces actions, qui consistent à les mettre en situation de handicap dans un contexte sportif, s'avèrent efficaces pour faire évoluer les mentalités en profondeur.

La seconde catégorie d'actions, plus complexe à mettre en oeuvre, concerne l'intervention pendant les cours d'éducation physique et sportive pour faciliter la pratique du sport par les élèves en situation de handicap. Cette démarche nécessite une coordination avec l'Éducation nationale, ce qui peut s'avérer difficile. Trop souvent, ces élèves sont dispensés de pratique sportive. Nous pourrions envisager des collaborations entre nos fédérations et les professeurs d'éducation physique pour favoriser la pratique sportive en milieu scolaire des personnes en situation de handicap. Cependant, cela nécessiterait une formation adéquate des enseignants et des accompagnants.

L'école inclusive a modifié la donne : de nombreux enfants et jeunes adultes en situation de handicap ne sont plus dans des établissements spécialisés, ce qui complique leur identification et leur accompagnement vers une pratique sportive adaptée. Nous pourrions envisager une collaboration plus étroite entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les fédérations sportives spécifiques comme la nôtre. Cela permettrait d'identifier les besoins et de proposer des activités sportives adaptées aux personnes en situation de handicap recensées par les MDPH. L'Éducation nationale pourrait jouer un rôle de passerelle, facilitant l'identification des besoins et la mise en relation avec les structures sportives adaptées.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Nous avons abordé la question des infrastructures, mais ne devrions-nous pas également nous pencher sur la simplification des démarches administratives pour les parents d'enfants en situation de handicap ? Une collaboration renforcée avec les MDPH pourrait constituer une piste intéressante. Trop souvent, notre attention se porte sur les athlètes déjà reconnus, alors qu'il est essentiel de recenser et d'accompagner ceux qui débutent leur parcours sportif. 

Mme Micheline Jacques, président. - J'aurais deux questions. Premièrement, concernant l'éloignement géographique, les sportifs de haut niveau bénéficient-ils d'une aide spécifique pour la pratique de leur activité ? Je pense notamment au matériel adapté, qui évolue en fonction de l'âge et du niveau de compétence. Deuxièmement, lorsque vous devez vous déplacer pour vous entraîner et participer à des compétitions, disposez-vous d'aides spécifiques ? Les familles n'ont pas toujours les moyens de subvenir à ces changements dans leur vie.

Mme Mandy François-Élie. - Oui, je bénéficie effectivement d'aides, bien que minimes.

M. Gaël Rivière. - Actuellement, la licence à la Fédération du Sport Adapté s'élève à 16 euros, un tarif délibérément bas. Je ne pense pas que ce prix d'accès soit rédhibitoire. Les véritables obstacles pour une personne en situation de handicap sont davantage liés aux aspects logistiques, comme le transport vers le lieu de pratique, qui peut s'avérer bien plus coûteux que la licence elle-même.

Concernant les aides, je tiens à souligner que les territoires ultramarins sont volontaires dans ce domaine. Ils continuent à soutenir leurs athlètes originaires de ces territoires, même lorsque ceux-ci ne sont plus licenciés localement. J'ai personnellement bénéficié de cette expérience en tant qu'originaire de La Réunion. Tout au long de mon parcours, j'ai continué à recevoir des aides liées à mon statut de sportif de haut niveau, même lorsque je résidais dans l'Hexagone et que je n'étais plus en activité professionnelle.

À titre de comparaison, je réside actuellement en France métropolitaine, et je n'ai pas reçu de bourse spécifique de mon département. Cela démontre que nous bénéficions d'un accompagnement relativement satisfaisant dans les territoires ultramarins. Certes, lorsqu'on met en perspective le coût de la vie en métropole, notamment pour ceux qui doivent envisager un retour annuel chez eux, les dépenses peuvent être conséquentes. Il existe néanmoins des dispositifs, comme celui permettant aux sportifs réunionnais de bénéficier d'un billet d'avion annuel pris en charge pour rentrer chez eux. Je tiens à souligner l'existence de ces aides, même si elles ne couvrent évidemment pas l'intégralité des frais liés à la pratique sportive ou à d'autres activités.

M. Cédrick Plaideur. - Je souhaite brièvement confirmer que les institutions proposent et accompagnent effectivement les associations par le biais de dispositifs d'aides, notamment pour aider à réduire le coût des déplacements. Les collectivités territoriales répondent également fréquemment aux sollicitations des acteurs du sport adapté concernant des projets de compétition. Le bilan actuel du parasport est encourageant. Bien que des aspects restent à développer, on perçoit une réelle volonté des institutions et des acteurs militants de faire progresser la situation. Je tenais à souligner ce point.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Avant de clôturer cette audition, j'aimerais aborder la question du sport dans les écoles, notamment l'UNSS. Pensez-vous qu'il serait pertinent de développer le parasport à l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) ?

M. Gaël Rivière. - Je suis tout à fait favorable à cette approche. Sa mise en oeuvre nécessite deux éléments essentiels : une véritable volonté politique et l'inscription de cet objectif comme une obligation, assortie d'indicateurs d'évaluation pour les professeurs et les encadrants du sport en milieu scolaire. Cela implique un investissement conséquent en termes de formation, nécessitant l'intervention de formateurs qualifiés capables de transmettre des compétences spécifiques. Cette solution pourrait être porteuse, mais elle doit s'accompagner d'une volonté forte et d'un cadre contraignant. En réalité, une politique n'est véritablement mise en place que lorsqu'on accepte d'être évalué sur ses résultats, ce qui inciterait probablement les professeurs à s'y investir davantage.

Concrètement, il ne suffit pas d'inclure l'accompagnement du parasport dans la lettre de mission d'un professeur d'EPS ou d'un encadrant. Sans une volonté marquée et une évaluation spécifique de cet aspect, il risque d'être relégué au second plan face à d'autres priorités. J'insiste sur ce point, car il est nécessaire de passer des déclarations d'intentions à des actions concrètes. Cela suppose des investissements humains et financiers, ainsi qu'un suivi rigoureux et une véritable volonté politique dans l'évaluation des indicateurs mis en place.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Nous pouvons conclure sur ces mots. Vous incarnez l'espoir et vous êtes des exemples inspirants pour les territoires ultramarins, démontrant qu'il est possible de surmonter les difficultés liées à un handicap et d'atteindre l'excellence. Néanmoins, il reste du chemin à parcourir pour permettre à tous les talents ultramarins de s'épanouir.

Vos témoignages ont mis en lumière les défis majeurs à relever : changer les mentalités, améliorer la mobilité, l'accessibilité aux infrastructures et à la formation, que ce soit dans le domaine sportif, éducatif ou médical.

Je vous remercie pour tous ces éclairages précieux.

Mardi 20 mai 2025

Tables rondes consacrée à la Guyane

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, mesdames, messieurs, nous poursuivons cet après-midi nos travaux consacrés à la politique du handicap dans les outre-mer, avec une première table ronde dédiée à la Guyane, suivie par une seconde séquence consacrée à la Martinique.

Je remercie vivement nos rapporteurs Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne.

Cette audition s'inscrit dans le cadre de notre format dit « audition-rapporteur », en raison de la concomitance avec l'examen en séance publique du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte. À ce titre, je vous prie par avance de bien vouloir excuser mon départ anticipé, étant rapporteur pour la commission des affaires économiques du Sénat sur ce texte. Les échanges font toutefois l'objet d'une captation et un compte-rendu en sera annexé à notre rapport, à l'instar de ce qui prévaut pour une réunion plénière.

Nous avons le plaisir d'accueillir en présentiel : le Dr Alexandre Boichon, directeur de l'autonomie de l'Agence régionale de santé (ARS) Guyane ; Gildas Le Guern, directeur général de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) Guyane ; et Blaise Joseph-François, directeur général de l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Guyane.

Nous entendrons également en visioconférence : Aminata O'Reilly, directrice de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) Guyane ; et Sylviane Erepmoc, inspectrice de l'Éducation nationale, représentant Guillaume Gellé, recteur de l'académie de la Guyane.

Comme à l'accoutumée, un questionnaire préparatoire vous a été adressé afin de nourrir votre propos liminaire. Nos rapporteurs vous interrogeront ensuite pour approfondir certains points.

M. Alexandre Boichon, directeur de l'autonomie de l'ARS Guyane. - Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde.

Trois notions fondamentales structureront nos échanges : la déficience, l'incapacité et le handicap. La déficience désigne une altération des fonctions physiologiques, anatomiques ou psychiques, renvoyant au registre lésionnel. Elle peut générer une incapacité, c'est-à-dire une réduction des capacités fonctionnelles. Le handicap, enfin, correspond à une limitation d'activité ou à une restriction de participation à la vie sociale. Pour illustrer ce triptyque : une lésion médullaire rachidienne provoquant une paralysie des membres inférieurs constitue une déficience ; l'incapacité en résultant se traduit par l'impossibilité de marcher ; le handicap s'exprime, quant à lui, par une restriction dans les pratiques sportives ou professionnelles.

Avant d'aborder le coeur du sujet, il importe de rappeler brièvement les spécificités de la Guyane. Contrairement à une idée reçue persistante au sein de l'administration centrale, la Guyane ne fait pas partie de l'ensemble Antilles-Guyane. Ce point n'est pas anecdotique : nombre de politiques publiques continuent d'être conçues et déployées à partir de dispositifs pensés pour la Guadeloupe ou la Martinique, alors même que 1 440 kilomètres séparent la Guyane de la Martinique.

Ce territoire se distingue également par sa superficie - équivalente à celle de la Nouvelle-Aquitaine - et par une densité démographique très faible : environ 300 000 habitants répartis sur un espace immense. Cette configuration implique le développement d'une offre médico-sociale déclinée par bassin de vie. À titre d'exemple, une heure sépare Cayenne de Kourou, tandis que le trajet jusqu'à Saint-Laurent-du-Maroni nécessite entre trois et trois heures trente. La commune de Saint-Georges-de-l'Oyapock, située à la frontière brésilienne, impose des délais similaires. Pour les communes de l'intérieur, l'accès se fait le plus souvent par voie fluviale ou aérienne, avec des contraintes majeures : faible fréquence des vols, interruptions dues à des mouvements sociaux ou à des difficultés techniques, isolement prolongé de certaines zones.

Cette complexité géographique se double d'une réalité multiculturelle et plurilinguistique : on recense en Guyane une quarantaine de langues, dont certaines ne sont parlées que par de très petits groupes. La proximité avec le Brésil et le Suriname accentue cette diversité. En matière de handicap, cette pluralité culturelle se traduit par des représentations variées, un déficit de sensibilisation persistant, voire une tendance à dissimuler certaines situations de handicap dans plusieurs communautés.

Sur le plan de l'offre médico-sociale, je laisserai à Mme O'Reilly le soin de présenter les données relatives à la demande. Toutefois, il me revient de souligner l'inadéquation criante entre l'offre actuelle et les besoins du territoire. Pour les moins de 20 ans, la Guyane compte environ 7,6 places en établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour 1 000 habitants, contre 10,6 au niveau national. Pour les adultes, ce taux chute à 4,1 pour 1 000, alors qu'il atteint 10,5 dans l'Hexagone.

Ces écarts, déjà préoccupants, doivent être analysés à la lumière de plusieurs facteurs aggravants : sous-détection massive des situations de handicap, absence de caractérisation précise du taux de handicap, prévalence probable des déficiences intellectuelles et des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, souvent liés à des expositions environnementales. Le centre régional d'études d'actions et d'informations (CREAI) en faveur des personnes en situation de vulnérabilité de Guyane a recensé en 2022 entre 1 400 et 1 900 orientations vers des ESMS qui n'ont pu être mises en oeuvre, faute de places disponibles.

Le profil démographique constitue un autre élément structurant : en 2025, près de 40 % de la population a moins de 20 ans, soit environ 120 000 enfants et adolescents, tandis que 53 % relèvent de la tranche 20-65 ans. Les projections de l'INSEE annoncent, d'ici 2050, une augmentation de plus de 25 % de ces deux catégories, soit 30 000 enfants et 40 000 adultes supplémentaires. Ces chiffres impliquent non seulement une nécessité urgente de rattrapage de l'offre, mais également une anticipation d'un engorgement structurel, notamment dans le passage des structures pédiatriques vers l'accompagnement adulte.

La répartition territoriale de l'offre reste inégale : elle se concentre principalement sur le centre littoral - Cayenne et sa communauté d'agglomération - ainsi que sur Kourou. À Saint-Laurent-du-Maroni, qui recense 50 000 habitants, dont une majorité de jeunes, certaines structures essentielles - maisons d'accueil spécialisées, instituts médico-éducatifs (IME) - demeurent absentes. L'offre existante reste insuffisante ou sous-dotée, notamment dans les domaines du polyhandicap, du handicap moteur ou psychique, de la déficience sensorielle, ou encore des troubles du neurodéveloppement (TND).

Les causes environnementales pèsent lourdement sur cette situation. Les études disponibles font état d'un taux de saturnisme très élevé : près de 20 % des enfants seraient concernés, avec des taux de plombémie préoccupants, y compris chez les femmes enceintes. Le mercure constitue une autre source d'exposition, concentrée dans les communes du fleuve. À ces facteurs s'ajoute un taux de syndrome d'alcoolisation foetale dix fois supérieur à celui de la France hexagonale : un cas pour 100 naissances contre 1,3 pour 1 000. Ces expositions entraînent un large éventail de troubles (déficiences intellectuelles, troubles du langage, trouble du spectre de l'autisme (TSA)...), qui nécessitent une prise en charge spécialisée et diversifiée.

En matière de financement, la dotation régionale limitative consacrée au secteur du handicap s'élève à 74,7 millions d'euros. La Guyane a bénéficié d'un effort significatif dans le cadre du plan des 50 000 solutions, avec une enveloppe supplémentaire de 28 millions d'euros à déployer d'ici 2030, soit une augmentation de 37 %. Cependant, cette dynamique reste insuffisante au regard des besoins du territoire. Du point de vue de l'investissement, l'enveloppe actuelle de 2,6 millions d'euros demeure très modeste et ne permet pas d'engager une politique de création d'établissements à la hauteur des enjeux.

Concernant la mesure 24 du Comité interministériel des outre-mer (CIOM) de juillet 2023, il semble qu'aucune déclinaison spécifique n'ait été réalisée en Guyane. Un protocole d'accord avait pourtant été signé début 2023 entre la ministre déléguée, l'ARS, la MDPH, la collectivité territoriale, la préfecture et l'Éducation nationale, avec une enveloppe d'un million d'euros destinée au repérage précoce. Toutefois, aucun plan d'action n'a été élaboré et aucun crédit complémentaire n'a été délégué à ce titre.

Enfin, j'aimerais évoquer les limites structurelles qui contraignent l'action de l'ARS Guyane. Il s'agit d'une agence de petite taille, dotée des missions cumulées de siège et de délégation départementale, contrairement à l'organisation dans l'Hexagone. Cette double charge, à effectif constant, rend très difficile la conduite simultanée des missions de pilotage stratégique, de suivi national, de programmation, de lancement d'appels à projets, d'instruction, de tarification, de contrôle qualité, de gestion des événements indésirables et de coordination territoriale.

L'ARS Guyane assure le suivi de plus de 40 ESMS autorisés, répartis entre une dizaine d'organismes gestionnaires, auxquels s'ajoutent environ 30 dispositifs non autorisés au sens strict du code de l'action sociale et des familles (CASF). Pour assurer ces missions, les effectifs mobilisés représentent à peine deux équivalents temps plein (ETP). Cette organisation, aussi limitée soit-elle, implique un engagement constant des équipes sur l'ensemble du spectre, allant de la stratégie à la proximité. En comparaison, la collectivité territoriale de Guyane, qui partage la compétence médico-sociale, dispose de 4 à 5 ETP sur ce champ.

M. Gildas Le Guern, directeur général de l'APAJH Guyane. - Je vous remercie sincèrement, au nom du conseil d'administration de l'APAJH de Guyane, de nous offrir l'opportunité de nous exprimer aujourd'hui. Cette reconnaissance s'adresse également aux collaborateurs de l'association, aux personnes accompagnées ainsi qu'à leurs proches aidants.

Depuis 2006, l'APAJH Guyane, structure à la fois militante et gestionnaire, oeuvre sur l'ensemble du territoire guyanais - de Maripasoula à Saint-Georges-de-l'Oyapock, de Régina à Mana - et accompagne près de 900 personnes en situation de handicap (PSH) tous âges et toutes typologies confondues. Plus de 210 professionnels interviennent quotidiennement auprès des enfants, adolescents et adultes sur leurs lieux de vie, de formation, de travail, à domicile, à l'école, en établissements scolaires ou spécialisés.

Les PSH subissent, de manière exacerbée, les fragilités structurelles bien connues de notre territoire : enclavement géographique, isolement, insuffisance des réseaux routiers et de transports, accès limité aux soins, pénurie de logements, couvertures téléphone et internet lacunaires, absence de restauration scolaire dans certaines communes, difficultés d'accès à l'eau potable, offre de formation réduite, coût de la vie élevé, etc.

Si la transformation de l'offre médico-sociale, portée au niveau national, constitue une évolution que nous saluons et partageons, cette dynamique ne saurait occulter les retards considérables que connaît la Guyane en matière d'accompagnement des PSH, comparativement aux autres régions de la République.

L'étude réalisée en 2022 par le CREAI fait état de 1 400 à 1 900 orientations prononcées par la MDPH restées sans effet faute de places disponibles. Sur le secteur enfant, 400 places supplémentaires seraient nécessaires pour atteindre le taux national. Le taux d'équipement en IME demeure deux fois inférieur à celui observé dans l'Hexagone. S'agissant des adultes, plus de 850 places supplémentaires seraient requises. L'offre d'hébergement pour adultes en situation de handicap est quant à elle quatre fois moins élevée que la moyenne nationale.

Au sein de nos établissements, services et dispositifs, nous constatons que 80 % des enfants en situation de polyhandicap ne bénéficient d'aucun accès à l'école de la République ; 50 enfants porteurs de trisomie 21 se trouvent en attente de solution. Par ailleurs, 107 adultes, âgés de 20 à 60 ans, diagnostiqués déficients visuels et orientés en service départemental d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), figurent sur liste d'attente, faute de réponse adaptée. Si 77 PSH sont actuellement pris en charge dans le cadre d'un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), 94 autres attendent encore un accompagnement.

Il devient impératif de résorber rapidement ce déficit structurel, en développant des solutions concrètes et adaptées : services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS), SAMSAH, foyers de vie, dispositifs d'hébergement pour adultes, mais aussi créations de places en établissement et service d'accompagnement par le travail (ESAT). À cette fin, il nous paraît essentiel de lever le moratoire financier qui s'applique en Guyane, à l'instar de ce qui a été réalisé pour Mayotte.

La crise nationale de l'attractivité des métiers du soin affecte particulièrement la Guyane. La concurrence exercée par les trois fonctions publiques, conjuguée au régime de sur-rémunération de 40 %, place les opérateurs associatifs à but non lucratif dans l'incapacité de recruter durablement du personnel paramédical, éducatif et rééducatif.

Concernant l'emploi des PSH, la Guyane présente le plus faible taux de places en ESAT de tout le territoire national. En 2022, le CREAI évaluait à 320 le nombre de places manquantes. Cinq entreprises adaptées, dont une portée par l'APAJH, emploient aujourd'hui moins de 50 salariés handicapés. Dans ce contexte déjà contraint, les services de l'État nous ont récemment informés - en amont du dernier dialogue de gestion - du gel de l'enveloppe d'aides aux postes pour 2025. Cette mesure compromet toute possibilité de création d'emplois en entreprise adaptée pour l'année à venir.

Malgré ces obstacles, notre association reste fermement engagée. Depuis plusieurs années, et pour pallier les carences de l'offre, nous avons développé une organisation souple et réactive, articulée autour de la mutualisation des moyens, de l'optimisation des ressources humaines, de démarches innovantes, notamment en matière d'approche interculturelle, et du déploiement de dispositifs mobiles et d'« aller vers ». Nous mobilisons l'ensemble des leviers disponibles pour faire progresser la compétence et l'expertise de nos équipes, dans le souci constant de garantir un accompagnement de qualité.

Le projet de Centre de Ressources Multihandicap, porté par l'APAJH Guyane depuis 2011, illustre concrètement le dynamisme du tissu associatif gestionnaire. Ce centre, à caractère expérimental, propose sur l'ensemble du territoire des actions d'accueil, d'information et d'orientation pour tous publics et tous types de handicap. Il délivre des conseils pour l'adaptation du logement des PSH ou en perte d'autonomie, ainsi que des prestations de soutien à l'insertion ou au maintien dans l'emploi, dans le cadre de marchés conclus avec l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).

Ce centre met également à disposition une plateforme d'essai et de prêt d'aides techniques, habilite les personnes à l'utilisation de fauteuils roulants électriques, et pilote, en lien avec le réseau Yepi Timoun, un dispositif d'inclusion pour les enfants de 0 à 6 ans dans les structures de la petite enfance et de loisirs. Il porte enfin un pôle de compétences et de prestations externalisées destiné aux personnes sans solution ou en attente d'une orientation.

Alors que le déploiement du plan des 50 000 solutions prévoit 1 500 solutions pour la Guyane, il nous paraît fondamental de transformer cette initiative en un véritable plan de rattrapage, construit à partir de l'expertise des opérateurs locaux. Pour éviter la dispersion ou l'empilement de dispositifs, une gouvernance cohérente et un fléchage rigoureux des moyens doivent présider à cette mise en oeuvre. L'accès des associations gestionnaires au foncier conditionne également la concrétisation de ces projets.

M. Blaise Joseph-François, directeur général de l'Adapei Guyane. - Je vous remercie à mon tour pour l'attention que vous portez à la politique du handicap dans les territoires ultramarins.

Je représente une association de parents investie depuis plus de quarante ans au service des PSH sur l'ensemble du territoire. Notre engagement porte principalement sur l'accompagnement des personnes déficientes intellectuelles, des personnes porteuses de troubles du spectre de l'autisme, ainsi que des adultes en emploi, puisque nous gérons un ESAT et plusieurs entreprises adaptées. Nous intervenons également dans le champ de l'autonomie via des structures de type SAMSAH, SAVS et des services d'aide à domicile.

Je vous présenterai ici l'analyse de notre association, enrichie des contributions nombreuses et engagées de nos administrateurs et familles adhérentes, avec l'espoir qu'elle vous éclaire sur la réalité dans laquelle nous évoluons en matière de handicap.

La perception du handicap en Guyane varie considérablement selon les appartenances culturelles. Cette diversité impose une adaptation constante, tant au niveau du diagnostic que de l'accompagnement médico-social. Les équipes doivent ajuster leur posture sur les plans linguistique, culturel et relationnel, afin de garantir la compréhension et l'adhésion des familles aux actes réalisés. Il leur faut aussi intégrer l'existence de pratiques traditionnelles, y compris le recours à des guérisseurs, car ces réalités influencent fortement la relation au soin et à l'accompagnement.

Plus de quarante langues sont pratiquées en Guyane, dont certaines ne sont parlées que par de très petites communautés. De plus, les dynamiques communautaires imposent parfois des médiations spécifiques : dans certaines zones, il demeure nécessaire de rencontrer les autorités coutumières, tels les capitaines ou les anciens, avant de pouvoir intervenir auprès des familles.

L'isolement géographique génère une autre conséquence : l'invisibilité du handicap. Dans les zones reculées de l'Est et de l'Ouest guyanais, l'absence de structures et de dispositifs de diagnostic empêche l'identification des situations. Les enfants ou les adultes concernés restent invisibles aux yeux de l'institution, échappent à toute prise en charge et se retrouvent dans une forme de marginalisation silencieuse.

À ces constats s'ajoutent des freins majeurs dans l'accès aux droits. Les situations administratives précaires - sans-papiers, demandeurs d'asile - limitent l'accès à certaines aides telles que l'Allocation adultes handicapés (AAH) ou la prestation de compensation du handicap (PCH). Par ailleurs, la complexité des démarches administratives et la méconnaissance des droits constituent des obstacles récurrents.

Des avancées notables doivent toutefois être soulignées : des actions de sensibilisation dans les écoles, des campagnes d'information dans plusieurs langues, des initiatives visant à valoriser les capacités des PSH. Des efforts ont également été déployés pour améliorer l'accès aux soins grâce à des équipes mobiles et à des structures spécialisées. Toutefois, ces dispositifs restent essentiellement concentrés sur le littoral, éloignant ainsi l'offre des populations qui en auraient le plus besoin.

La médiation culturelle joue un rôle central dans nos pratiques. Elle permet d'établir un lien de confiance entre les familles et les institutions, et constitue un levier indispensable pour favoriser un accompagnement adapté.

Concernant la loi du 11 février 2005, force est de constater que ses quatre piliers - droit à compensation, accessibilité, scolarisation et insertion professionnelle - peinent à se traduire concrètement en Guyane. Bien que ces principes fassent consensus, leur mise en oeuvre demeure contrariée par l'isolement, la diversité culturelle, la faiblesse des moyens, le déficit de professionnels, et la complexité des démarches administratives.

Le service public de l'autonomie, en cours de déploiement au niveau national, repose sur un modèle de guichet unique. Tous les acteurs ont été consultés ou associés à sa mise en oeuvre. Toutefois, à ce stade, il reste prématuré d'en dresser un bilan.

S'agissant du CIOM signé en juillet 2023 entre l'État, l'ARS et la Collectivité territoriale de Guyane, sa déclinaison reste partielle. Du point de vue de l'Adapei, il s'apparente davantage à une politique de saupoudrage, inadaptée à l'ampleur des besoins. Quelques mesures ont vu le jour, mais sans effet structurel significatif.

Notre association accompagne actuellement environ 750 PSH, tandis que notre file d'attente comptait, au 31 décembre 2024, près de 950 orientations en attente de solution.

Par ailleurs, le coût de fonctionnement des établissements appelle une révision en profondeur. L'inflation générale, combinée à la vie chère en Guyane, impacte directement les budgets des structures médico-sociales. Les référentiels nationaux, notamment dans le cadre de la réforme SERAFIN-PH, s'avèrent inadaptés à nos réalités économiques : les charges salariales, les coûts logistiques, les dépenses de fonctionnement s'avèrent structurellement plus élevés. À cela s'ajoute le coût de construction, nettement supérieur à celui de la métropole, ce qui freine la concrétisation de nombreux projets.

L'accès au foncier constitue un autre obstacle majeur. Malgré l'étendue du territoire - équivalent à celui du Portugal -, les terrains réellement mobilisables pour des équipements médico-sociaux demeurent rares. Même lorsque le foncier est identifié et les financements trouvés, l'absence de garanties d'emprunt constitue un verrou supplémentaire. De nombreux dispositifs existants dans l'Hexagone ne s'appliquent pas en Guyane, ce qui complique considérablement les montages financiers.

Le sous-équipement du territoire est bien documenté. La Guyane affiche un taux de 0,7 place en maisons d'accueil spécialisées (MAS) pour 1 000 habitants, contre 1,7 dans l'Hexagone. En ESAT, le ratio est de 1,2 pour 1 000, contre 3,6 en France hexagonale. Ces chiffres traduisent une incapacité manifeste à répondre aux besoins, y compris en matière de services comme les SAMSAH ou service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS), pourtant essentiels dans un territoire aussi vaste.

Les efforts réalisés dans le secteur de l'enfance ont permis des avancées notables ces dernières années. Toutefois, le secteur adulte se trouve aujourd'hui en situation de saturation. Les enfants accompagnés jusqu'à 25 ans dans le cadre de l'amendement Creton se retrouvent sans solution à leur sortie. Certaines structures les maintiennent jusqu'à 28 ans faute d'alternative. Cette absence de continuité constitue une source de détresse pour les familles, qui peinent à comprendre cette rupture brutale.

Les familles membres de notre association réclament prioritairement une augmentation significative des capacités d'accueil en ESAT. Les gels de places doivent cesser. Il convient également de procéder à une répartition géographique plus équilibrée de l'offre. Aujourd'hui, l'essentiel reste concentré sur l'île de Cayenne. Une extension vers Saint-Laurent ou Saint-Georges apparaît indispensable.

Si les plans Autisme et les dispositifs dédiés aux TND ont permis certains progrès, les besoins demeurent criants. Nos listes d'attente concernent de nombreuses personnes TSA, mais aussi des personnes atteintes de maladies rares, dont les droits ne sont pas toujours reconnus, et pour lesquelles l'offre fait également défaut.

L'accessibilité globale constitue un autre point d'alerte : accessibilité aux lieux de vie, au transport, au logement, mais également à la vie sociale. Malgré des efforts ponctuels portés par les établissements, les PSH demeurent trop souvent exclues des événements culturels ou citoyens. Les infrastructures inadaptées, l'insuffisance des aménagements, entravent encore leur pleine participation.

L'implication des entreprises vers l'inclusion progresse, mais reste limitée par la structure même du tissu économique : seulement 10 % des entreprises dépassent le seuil de 20 salariés, conditionnant l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Par conséquent, l'accès à l'emploi en milieu ordinaire demeure très restreint. Le secteur privé reste peu impliqué, les dispositifs sont méconnus, et les contrats en alternance ou de professionnalisation particulièrement rares.

Le nombre d'entreprises adaptées et de postes aidés demeure très inférieur aux besoins. Le développement de l'inclusion par le travail, qu'il s'agisse du milieu ordinaire ou protégé, se heurte à l'insuffisance des structures d'accueil et à l'absence d'un tissu économique suffisamment dense.

Même lorsque l'emploi est obtenu, encore faut-il garantir les conditions de sa pérennité. L'environnement global doit accompagner l'insertion. Les marchés publics ou privés réservés constituent un levier efficace, mais restent très peu mobilisés. La Guyane compte pourtant de grandes entreprises, qui pourraient ouvrir davantage de marchés réservés aux structures employant des travailleurs handicapés.

Mme Aminata O'Reilly, directrice de la MDPH Guyane. - Je vous remercie également pour l'attention que vous portez à la situation du handicap dans les territoires ultramarins, et plus particulièrement en Guyane.

Je souhaiterais évoquer certains éléments structurels complémentaires, notamment en lien avec l'organisation géographique et administrative de la Guyane, qui conditionne fortement les modalités d'action de la MDPH et de l'ensemble des acteurs du champ du handicap.

La Guyane se divise en quatre intercommunalités : la communauté d'agglomération du centre littoral (CACL), qui regroupe la majorité de la population ; la Communauté de communes de l'Ouest Guyanais (CCOG) ; la Communauté de communes de l'Est Guyanais (CCEG) ; et la Communauté de communes des Savanes (CCDS). Cette répartition inégale de la population, conjuguée à l'étendue du territoire, exerce une influence directe sur le déploiement des dispositifs, sur les politiques publiques et sur l'accès effectif aux services.

La MDPH de Guyane est implantée à Cayenne, au sein de la CACL. Une antenne a également été ouverte dans l'ouest, à Saint-Laurent-du-Maroni. Ces deux zones concentrent la majorité des dossiers déposés et, par conséquent, la majorité des reconnaissances administratives du handicap.

La diversité culturelle du territoire influence profondément la manière dont le handicap est perçu. Les représentations varient d'une communauté à l'autre, chaque perception étant façonnée par les références culturelles et les trajectoires personnelles. Une composante reste toutefois sous-estimée : l'ampleur de la population issue de l'immigration. Cette hétérogénéité induit une pluralité de rapports à l'administration, selon que les personnes proviennent d'un pays doté d'un système public structuré ou, au contraire, d'un espace institutionnel plus incertain. Le rapport à l'institution s'en trouve profondément modifié.

La jeunesse de la population guyanaise ne doit pas occulter la faiblesse des taux de scolarisation. Selon les données de l'INSEE pour l'année 2021, 87 % des jeunes de 15 à 17 ans demeuraient scolarisés, contre seulement 33 % chez les 18-24 ans. Près de 45 % de la population ne détient aucun diplôme. Ce socle éducatif fragile pèse lourdement sur les perspectives d'insertion, sur les dynamiques de formation et sur le recrutement dans les secteurs sanitaires et sociaux.

La localisation de la MDPH à Cayenne permet de traiter prioritairement les demandes provenant de la CACL et de l'Ouest. L'Est et les Savanes ne sont pas exclus de notre champ d'intervention, mais l'intensité et la nature de l'action y diffèrent. Dans l'Est guyanais, par exemple, les dossiers déposés représentent à peine 2 % de l'ensemble des demandes, pour un total annuel d'environ 4 000 dossiers enregistrés par la MDPH, dont près de la moitié concerne des adultes. Ce déséquilibre résulte de plusieurs facteurs structurels : une offre médicale et paramédicale quasi inexistante dans certaines communes, l'absence prolongée de travailleurs sociaux, et une très forte dépendance à l'égard d'un accompagnement spécialisé pour l'accès aux droits. L'enclavement accentue ces difficultés, en limitant les possibilités de diagnostic, de repérage précoce et d'évaluation.

Face à cette situation, la MDPH a développé une stratégie fondée sur des partenariats locaux et sur la logique d'« aller vers ». Cette approche repose sur la mutualisation des moyens logistiques, techniques et humains, afin de permettre l'intervention dans des zones très isolées, où vivent des populations vulnérables, souvent éloignées de l'accès aux droits.

Dans l'Ouest également, bien que nous soyons présents physiquement à Saint-Laurent-du-Maroni, de nombreuses communes restent difficiles d'accès. Là encore, les déplacements nécessitent une organisation lourde : plusieurs jours de mobilisation pour un temps d'intervention effectif souvent réduit, avec des trajets parfois intégralement réalisés en pirogue. Ces missions impactent la disponibilité des agents pour d'autres fonctions essentielles, comme l'évaluation, l'instruction des droits ou l'accompagnement administratif.

La MDPH de Guyane, constituée en groupement d'intérêt public (GIP), regroupe la Collectivité Territoriale de Guyane, l'ARS, la Caisse Générale de Sécurité Sociale, la CAF et l'Éducation nationale. Elle exerce l'ensemble des missions prévues par la loi, à savoir l'information des usagers, l'évaluation pluridisciplinaire des besoins de compensation, l'organisation des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), et surtout, le suivi de la mise en oeuvre effective des décisions rendues.

Depuis la loi de 2005, les missions des MDPH n'ont cessé de s'élargir, sans que les moyens humains et matériels évoluent à la même hauteur. En Guyane, cette asymétrie s'exacerbe, car chaque action requiert des ressources plus importantes : déplacements longs, logistique complexe, accompagnement renforcé des publics.

Concernant les prestations, la MDPH instruit l'ensemble des droits nationaux : allocation adulte handicapé (AAH), allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), orientations vers les ESMS pour enfants et adultes, prestation de compensation du handicap (PCH), etc.

En Guyane, une part importante de la population réside dans des habitats informels ou atypiques : squats, carbets, maisons sur pilotis, toitures spécifiques... Or, lorsqu'il s'agit d'adapter ces logements pour une personne en perte d'autonomie, la réglementation encadrant la PCH ne permet pas toujours de proposer des solutions pertinentes ou réalisables. Ce décalage appelle un regard adapté à la réalité locale.

La question de la régularité du séjour constitue une autre problématique centrale. La réglementation exige, pour l'ouverture des droits MDPH, que les personnes justifient de leur situation régulière sur le territoire. Ce principe général du droit administratif s'applique aux MDPH comme à toutes les institutions publiques. Néanmoins, en Guyane, où la part de personnes en situation administrative précaire est significative, cette exigence suscite de fortes incompréhensions. Il conviendrait peut-être, à terme, d'envisager un cadre de communication harmonisé à l'échelle nationale sur cette question. En revanche, s'agissant des enfants en situation de handicap, la réglementation autorise le traitement de leur demande, même en l'absence de régularité, dans le cadre de la scolarité obligatoire. Cette dérogation nous permet d'accompagner de nombreux enfants dans leur parcours éducatif.

En matière d'emploi, les contraintes géographiques et structurelles évoquées précédemment produisent des effets multiplicateurs. Les dispositifs existants restent peu connus, mais surtout, leur déploiement est entravé par le manque de moyens de transport collectif. Selon les données de l'INSEE, plus de 75 % des actifs utilisent une voiture, une fourgonnette ou un camion pour se rendre au travail. L'absence d'alternative en matière de transport en commun limite fortement les perspectives d'insertion, a fortiori pour les personnes handicapées, souvent en situation de vulnérabilité sociale et économique. Le cumul de ces difficultés constitue un frein majeur à l'inclusion professionnelle.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Madame O'Reilly, veuillez m'excuser, mais le temps nous fait malheureusement défaut. Nous reviendrons bien entendu vers vous pour échanger. Je vous remercie de votre compréhension. Nous allons à présent donner la parole à Sylviane Erepmoc.

Mme Sylviane Erepmoc, inspectrice de l'Éducation nationale, représentant Guillaume Gellé, recteur de l'académie de la Guyane. - Je vous remercie pour l'attention portée à la question du handicap en Guyane.

Pour ce qui concerne l'académie, nous nous attachons à garantir l'effectivité du principe de scolarisation en milieu scolaire ordinaire pour les élèves en situation de handicap.

En 2019, l'ensemble des niveaux, du premier au second degré, comptait 2 228 élèves bénéficiant d'une notification de la CDAPH. En mars 2025, cet effectif s'élève à 2 998 élèves disposant d'une notification d'accompagnement par un accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ou d'une orientation vers un dispositif unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis). Cette progression représente une augmentation de plus de 25 % de la population scolaire concernée.

Toutefois, la mise en oeuvre de ces notifications se heurte à des obstacles persistants. Sur 2 820 élèves notifiés pour une scolarisation en Ulis, seuls 1 545 disposent effectivement de cette orientation. Parmi eux, 1 496 fréquentent actuellement le dispositif. En parallèle, 178 élèves demeurent sans solution : 49 en raison de refus parentaux, souvent liés à des perceptions culturelles du handicap, et 129 en attente d'un accompagnement par un AESH, dont 50 pour un accompagnement individuel. Cette situation souligne la place centrale de l'accompagnement humain dans le parcours de scolarisation des élèves concernés.

Au total, 859 personnels physiques assurent l'accompagnement de ces élèves, représentant 554 équivalents temps plein (ETP), dont 5,20 relevant de l'Éducation nationale. Entre septembre 2019 et mars 2025, les effectifs d'AESH ont ainsi progressé de 20,95 %.

Cette dynamique doit néanmoins s'intensifier, notamment à la lumière de la loi dite « loi Vial », qui impose désormais un accompagnement sur les temps de pause méridienne pour les élèves concernés. À ce jour, 48 élèves nécessitent un tel accompagnement ; seuls 28 en bénéficient effectivement, pour un volume horaire de 138 heures hebdomadaires. Les 20 autres élèves demeurent sans accompagnement sur ces temps, faute de ressources humaines disponibles. Il conviendrait, pour répondre à la demande, de recruter 42 ETP supplémentaires.

Parallèlement, le nombre de dispositifs inclusifs reste insuffisant. Le premier degré compte 64 Ulis, le second degré en recense 67 en collège et 18 en lycée. Ces dispositifs restent mal répartis, notamment pour les élèves sortant de troisième, dont certains ne peuvent poursuivre en lycée général ou professionnel. Pour ces jeunes, plusieurs solutions sont mises en oeuvre : les unités de formation professionnelle diversifiée (UFPROD) dans certains collèges, les unités pédagogiques adaptatives (UPA), et les unités de rattrapage scolaire (URS) permettent d'envisager des parcours en alternance et de faciliter l'accès à l'emploi.

À ces dispositifs collectifs s'ajoutent des mesures ciblées à destination des élèves présentant des TND. Deux dispositifs d'autorégulation sont actuellement déployés dans le premier degré, avec une extension prévue dans le second degré. L'accompagnement est également renforcé par le déploiement d'enseignants itinérants, intégrés dans des équipes pluridisciplinaires, ainsi que par l'intervention d'un professeur référent spécialisé dans les troubles du spectre autistique, chargé d'accompagner les enseignants concernés.

Conformément aux recommandations nationales, nous intensifions les coopérations avec le secteur médico-social, notamment avec les associations gestionnaires telles que l'APAJH ou l'Adapei qui assurent la prise en charge de certains élèves. En complément, l'Éducation nationale met à disposition des enseignants assurant la continuité pédagogique. Dans ce cadre, le premier degré compte actuellement huit dispositifs externalisés : trois en maternelle et deux en élémentaire. Le second degré en comprend six, portant le total à 14 unités. Cette offre reste modeste, mais elle progresse de manière continue, avec une attention particulière portée à la pérennité des solutions mises en oeuvre.

La formation des professionnels constitue un levier fondamental. Elle concerne les enseignants, les AESH, mais aussi les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), désormais autorisés, depuis 2018, à intervenir auprès des élèves en situation de handicap. Le déficit de formation et de sensibilisation constitue encore un frein au déploiement de ces compétences.

L'égalité d'accès à la scolarisation suppose également la mise à disposition de matériel pédagogique adapté. En Guyane, les délais d'acheminement restent longs, ce qui retarde la mise en oeuvre des aménagements notifiés. Par ailleurs, les conditions climatiques et le taux d'humidité élevé entraînent une dégradation rapide du matériel informatique, nécessitant des renouvellements fréquents, et donc des investissements conséquents.

Enfin, en partenariat avec l'ARS, l'Académie participe à la transformation des pôles d'accompagnement localisés en pôles d'appui à la scolarité. Ces structures visent à proposer une réponse de premier niveau aux besoins identifiés, sans attendre une notification formelle de la MDPH.

En matière de suivi, nous mobilisons les outils numériques mis à disposition, notamment le livret du parcours inclusif.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je suis contrainte, hélas, d'écourter votre présentation. Je tiens à vous remercier toutes et tous pour la qualité de vos interventions. Sans plus attendre, je cède la parole à ma collègue, Annick Petrus, qui a de nombreuses questions à vous adresser.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Vous évoquez le recours à des démarches « d'aller vers ». Pourriez-vous illustrer concrètement une action de ce type : où intervient-elle, auprès de quel public et avec quel objectif ?

Concernant les adultes en situation irrégulière, pouvez-vous estimer, même approximativement, la part de cette population aujourd'hui exclue du dispositif ?

Enfin, s'agissant de l'inclusion professionnelle, ne conviendrait-il pas d'envisager une adaptation des obligations légales à la réalité locale ?

M. Blaise Joseph-François. - En Guyane, la notion d'« aller vers » prend une dimension particulière, étroitement liée aux réalités géographiques et humaines du territoire. Elle repose sur plusieurs leviers concrets.

Tout d'abord, des équipes mobiles interviennent directement au sein des zones les plus reculées, parfois accessibles uniquement par voie fluviale ou aérienne. Ces équipes médico-sociales assurent une présence de proximité, essentielle pour garantir un accompagnement adapté aux besoins des populations.

Ensuite, les projets portés sur le territoire se déploient selon un modèle d'ESMS éclatés. Il ne s'agit pas de structures centralisées, mais bien de dispositifs répartis sur plusieurs communes, afin d'offrir une réponse locale et souple, au plus près des usagers. Cette organisation permet une optimisation des ressources humaines, souvent limitées, en répartissant l'intervention d'une même équipe sur différents sites selon un calendrier tournant.

Par ailleurs, il convient également de « faire venir ». Certains parcours -- diagnostics complexes ou suivis spécialisés -- exigent une prise en charge sur le littoral. Dans ces cas, un accompagnement spécifique est mis en place pour permettre aux personnes éloignées de rejoindre temporairement les structures de soins ou médico-sociales.

Le territoire expérimente également, avec succès, la télémédecine. Bien que toutes les spécialités ne soient pas accessibles à distance, cette modalité permet de mobiliser la téléexpertise, la télé-orthophonie, et d'assurer un appui technique aux équipes de terrain.

Le développement de la politique du handicap repose nécessairement sur la présence de professionnels qualifiés. Or, les métiers du médico-social peinent à susciter des vocations, en raison de rémunérations peu attractives, d'un déficit d'image, et d'une concurrence forte avec d'autres secteurs mieux valorisés. Le manque de formations adaptées aggrave cette tension : la dernière promotion de l'Institut régional du travail social (IRDTS) ne comptait que dix étudiants, alors même que plus de 300 postes en CDI restent vacants dans les seuls ESMS du territoire.

Mme Aminata O'Reilly. - S'agissant des personnes en situation irrégulière, nous ne disposons pas à ce jour d'un pourcentage précis. Toutefois, même si le droit était ouvert par la MDPH, son effectivité resterait limitée. En effet, les organismes chargés du versement des prestations (PCH, allocations...) refuseraient l'ouverture de droits en l'absence de titre de séjour.

Face à cette impasse, nos équipes orientent systématiquement les personnes concernées vers les travailleurs sociaux de secteur ou vers des associations. Cette démarche vise à mobiliser d'autres dispositifs de droit commun, car les situations rencontrées relèvent souvent d'une grande précarité générale qui dépasse le seul cadre du handicap et nécessite une approche transversale.

M. Alexandre Boichon. - Je souhaite rebondir sur la notion de « faire venir », en lien avec le changement de paradigme impulsé par l'école inclusive. L'intégration des ESMS au sein des établissements scolaires constitue, en Guyane, un levier concret pour améliorer l'accessibilité de l'offre médico-sociale.

À Maripasoula, commune uniquement accessible par voie fluviale ou aérienne, l'offre médico-sociale demeure particulièrement dégradée. En revanche, la scolarisation au collège génère une dynamique : les élèves du fleuve rejoignent l'établissement chaque matin en pirogue et repartent le soir. Installer un ESMS dans un collège permet d'optimiser l'intervention des professionnels en concentrant les accompagnements sur le lieu de scolarisation, tout en réduisant les contraintes logistiques.

Sur la question de l'emploi, un besoin fort se fait sentir en matière de reconversion professionnelle. Or, le territoire ne dispose d'aucun établissement ou service de réadaptation professionnelle (ESRP). Un appel à projets devrait être lancé prochainement afin de pallier ce manque.

Par ailleurs, la sous-déclaration du handicap en milieu professionnel reflète une approche culturelle particulière. De nombreux travailleurs, bien que bénéficiaires d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ne la signalent pas à leur employeur.

Enfin, concernant la prise en charge en situation de précarité, le principal frein identifié relève principalement de l'orientation. Sous réserve de vérification, les ESMS ne conditionnent pas l'admission à la présentation d'une carte Vitale.

M. Gildas Le Guern. - Il convient de préciser que les ESMS et les organismes gestionnaires accompagnent, en priorité, des personnes orientées par la CDAPH. Toutefois, certains dispositifs, à l'instar des PCPE, peuvent intervenir avec ou sans orientation formelle.

Dans ce cadre, des personnes en situation irrégulière peuvent bénéficier d'un accompagnement, même si l'ouverture de certains droits sociaux demeure impossible, notamment en raison de l'inéligibilité à certains financements. Néanmoins, cet accompagnement contribue à instaurer un lien, à favoriser une première prise en charge et, potentiellement, à ouvrir vers des solutions plus pérennes.

S'agissant de la démarche « aller vers », celle-ci se traduit, concrètement, par le déploiement quotidien ou hebdomadaire d'équipes sur le terrain : interventions à domicile, dans les crèches, les écoles ou autres lieux de vie. Ces professionnels répondent aux besoins identifiés à la suite d'évaluations préalables. Dans les zones dites isolées -- notamment les communes de l'intérieur --, les équipes s'organisent en missions de deux à quatre jours. Elles investissent pleinement leur périmètre d'intervention pour assurer une présence effective auprès des usagers. Cette organisation mobilise d'importantes ressources logistiques et humaines.

Ces déplacements ont un impact direct sur les indicateurs d'activité. Les exigences actuelles en matière de performance, telles que fixées par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à travers les tableaux de bord nationaux, ne tiennent pas toujours compte des réalités géographiques. Comparés à des établissements métropolitains, les taux d'activité observés peuvent sembler faibles. Pourtant, ces missions impliquent des trajets longs, souvent équivalents à une journée entière -- ce que l'on qualifie de « temps gris » en gestion RH. Ce temps, bien que non consacré à l'accompagnement direct, reste indispensable pour garantir l'accès aux droits et à un accompagnement de qualité, quel que soit le lieu de vie de la personne.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je suis particulièrement sensible aux difficultés rencontrées durant les pauses méridiennes. Dans mon territoire, les maires alertent régulièrement sur le fait que l'accompagnement des enfants en situation de handicap repose souvent, par défaut, sur les ATSEM ou les agents de cantine, non formés et exposés à des responsabilités délicates. Comment parvenez-vous à pallier ce manque de prise en charge pendant ces temps spécifiques ?

Par ailleurs, où en est l'accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR) dans les établissements scolaires ? Existe-t-il une dynamique d'équipement, un accompagnement financier suffisant, malgré les contraintes de construction spécifiques au territoire ?

Enfin, pour répondre à la demande du sénateur Mellouli : disposez-vous de données sur l'accès aux études supérieures pour les jeunes en situation de handicap en Guyane ? Existe-t-il un parcours structuré ou une dynamique inclusive favorisant leur poursuite d'études au-delà du secondaire ?

Mme Sylviane Erepmoc. - L'objectif reste, bien entendu, de permettre aux élèves en situation de handicap de poursuivre leur scolarité aussi loin que possible. À ce jour, nous ne disposons pas de données statistiques sur l'accès aux études supérieures, mais un travail est engagé avec les services compétents pour renforcer cette continuité.

Concernant la pause méridienne, certains enfants ne bénéficient d'aucun accompagnement : ni par les ATSEM ni par les agents de cantine. En conséquence, ils ne restent pas à la cantine, faute de prise en charge. Lorsque l'enfant dispose d'un AESH en accompagnement individuel, celui-ci assure parfois cette mission, mais de manière informelle, sans cadre optimal.

S'agissant de l'accessibilité du bâti scolaire, les nouvelles constructions intègrent les normes PMR dès leur conception. Pour les bâtiments existants, notamment dans le premier degré, des adaptations sont progressivement engagées. Toutefois, des situations complexes subsistent. Par exemple, lorsqu'une école dispose de deux implantations géographiques distinctes -- une principale et une annexe -- et que le dispositif inclusif est localisé sur un seul site, il devient difficile d'assurer une inclusion effective lorsque la classe de l'élève se situe sur l'autre site.

Ces contraintes exigent des ajustements constants pour garantir un accès effectif à la scolarisation en milieu ordinaire pour tous les élèves identifiés comme ayant besoin d'un accompagnement renforcé.

Mme Aminata O'Reilly. - La pause méridienne reste structurellement problématique sur l'ensemble du territoire, et en particulier en Guyane, où les acteurs de terrain s'efforcent, depuis longtemps, de trouver des solutions de manière empirique.

Le décret du 14 février 2025, qui réaffirme la responsabilité de l'État dans la prise en charge des AESH pendant la pause méridienne, constitue un apport bienvenu. Toutefois, comme souligné, la difficulté majeure persiste, faute d'un vivier suffisant d'AESH mobilisable à ce jour.

En parallèle, la MDPH peut intervenir en émettant des avis de transport, notamment lorsqu'elle est saisie de situations spécifiques. Ces avis -- qui ne constituent pas des notifications au sens strict -- ont toutefois une valeur significative pour l'organisation concrète des déplacements. Ils permettent, le cas échéant, la mise en place d'une double rotation dans les transports scolaires, pour répondre à certaines situations critiques.

M. Gildas Le Guern. - Concernant l'école inclusive, nous avons franchi une étape à l'échelle nationale, avec un véritable changement de logique.

En Guyane, nous déployons actuellement deux unités externalisées dédiées au polyhandicap. Cette modalité s'avère particulièrement exigeante, tant le niveau de dépendance des enfants concernés complexifie leur accompagnement. Malgré ces contraintes, notre expérience montre que ces dispositifs constituent de véritables réussites, tant pour les enfants en situation de polyhandicap, pleinement citoyens, que pour leurs familles, qui y trouvent une grande source de satisfaction.

En outre, ces unités externalisées jouent également un rôle fondamental dans les établissements scolaires qui les accueillent. Elles deviennent un levier d'inclusion et un outil de sensibilisation puissant, permettant à tous les enfants de la République de mieux comprendre le handicap et de construire un rapport plus ouvert à l'altérité. Il s'agit là d'un enjeu profondément sociétal.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous remercie très sincèrement. Si nous avions pu prolonger cet échange, nous serions volontiers restés plus longuement à vos côtés. Nous sommes particulièrement attentifs à tous les documents, analyses ou témoignages complémentaires que vous pourriez nous transmettre, afin d'enrichir les travaux de cette mission.

Je tiens à rappeler qu'il s'agit d'une initiative portée par la Présidente de notre délégation, qui a souhaité qu'une mission spécifique soit consacrée pour la première fois au handicap dans les outre-mer. Ainsi, nous espérons formuler des préconisations concrètes, enclines à influencer les orientations futures des politiques publiques.

Mardi 20 mai 2025

Tables rondes consacrée à la Martinique

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Mesdames, messieurs, permettez-moi de présenter les excuses de Micheline Jacques, qui ne peut être parmi nous cet après-midi. Elle m'a chargée de la représenter en ma qualité de vice-présidente pour cette seconde table ronde, consacrée à la situation en Martinique, dans le cadre de notre rapport sur la politique du handicap dans les territoires ultramarins.

Nous avons le plaisir d'accueillir Carl Paolin, directeur général de l'association OVE Caraïbes, tandis que nous écouterons également, en visioconférence Yves Servant, directeur général de l'ARS Martinique, Christelle Litan, directrice de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS Martinique, Catherine Murat, directrice déléguée à l'offre de soins à l'ARS et Guy Albert Rufin-Duhamel, directeur préfigurateur de l'opérateur externe Groupement d'intérêt public « Service public d'appui aux politiques de santé », Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la Maison martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH), et Marie-France Anatole, responsable du pôle d'appui et de ressources handicap (PARH) Ti Bo.

Comme à l'accoutumée, un questionnaire préparatoire vous a été transmis pour nourrir vos propos liminaires. Les rapporteurs vous solliciteront ensuite pour approfondir certains points.

M. Carl Paolin, directeur général de l'association OVE Caraïbes. - Je vous remercie de me donner la parole en ouverture de cette table ronde.

Je dirige l'association OVE Caraïbes, présente en Martinique, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Créée en 2018, notre association gère aujourd'hui 25 structures médico-sociales, dont la moitié sont directement dédiées à l'accompagnement d'enfants et d'adultes en situation de handicap.

En quinze ans de présence professionnelle en Martinique, je constate une évolution nette et positive du regard porté sur le handicap. Quelques années plus tôt, j'aurais probablement évoqué le poids de la culture, du fait religieux ou de représentations sociales persistantes. Toutefois, si la société martiniquaise s'avère désormais plus inclusive, certaines stigmatisations subsistent, notamment dans le cas de handicaps lourds ou complexes. Il n'est pas rare que des enfants ou des adultes restent invisibles, confinés au domicile familial.

Dans une société insulaire marquée par la pression du regard social, la différence continue parfois d'être perçue comme une faiblesse. De surcroît, le handicap souffre d'une perception encore fortement médicalisée : la notion de maladie reste prégnante, en décalage avec l'approche inclusive et sociale portée par la loi du 11 février 2005.

L'isolement géographique constitue un frein à l'accès à certaines ressources qualifiées, à commencer par la formation. Si l'offre paraît dense en volume, elle reste limitée en matière de qualité et de spécialisation, ce qui pèse sur la professionnalisation de notre secteur.

En tant que gestionnaire, je relève également une sous-dotation manifeste de l'offre pour certains publics, notamment les adultes en situation de handicap complexe, psychique ou de polyhandicap. Nous constatons un manque de solutions concrètes dans l'accompagnement de leurs parcours.

À titre d'illustration, notre accueil de jour, autorisé pour 30 places, accueille en réalité une file active de près de 90 personnes, ne disposant d'aucune solution d'accompagnement alternative. En 2023, avec le soutien de l'ARS, nous avons lancé une expérimentation d'« aller vers » à domicile, permettant d'accompagner des personnes n'ayant jamais quitté leur domicile depuis leur naissance, faute de solution adaptée. Ces dispositifs ont permis de répondre partiellement à des situations critiques, mais ils ne sauraient se substituer à une offre pérenne de proximité.

En outre, nous faisons face à une incompréhension croissante des familles face à la complexité des démarches administratives. Le dépôt d'un dossier MMPH ou l'obtention d'un droit auprès de la CAF nécessitent souvent un accompagnement que seules nos équipes peuvent assurer. La lisibilité de l'offre médico-sociale pose également question : les dispositifs sont nombreux, les sigles foisonnent, et les familles s'y perdent. Certaines structures disposent pourtant encore de places, faute d'être identifiées comme pertinentes.

En revanche, je souhaite souligner la résilience et l'esprit d'innovation du territoire martiniquais. Malgré les contraintes, la société civile, les professionnels et les institutions ont su inventer des solutions efficaces, parfois modestes, mais audacieuses. La crise sanitaire a démontré notre capacité collective à innover, avec une réactivité remarquable dans la mise en oeuvre de dispositifs adaptés. Le PARH, porté par Marie-France Anatole, en constitue un exemple lumineux.

À OVE Caraïbes, nous avons dès 2015 ouvert un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) intégrant une section hors les murs, dont les résultats s'avèrent particulièrement encourageants. À Saint-Martin, nous menons actuellement une expérimentation de MAS hors les murs, qui rencontre un vif succès et que nous envisageons de reproduire, à terme, en Martinique.

Ainsi, notre territoire fait preuve d'un dynamisme et d'une créativité qui méritent d'être reconnus et soutenus.

M. Guy Albert Rufin-Duhamel, directeur préfigurateur de l'opérateur externe Groupement d'intérêt public « Service public d'appui aux politiques de santé ». - Malgré des avancées sociologiques notables, le handicap reste encore trop souvent perçu, dans la conscience collective martiniquaise, comme une source de honte et d'exclusion sociale, voire comme une forme de fardeau individuel ou collectif. Cette perception induit un certain nombre de sous-déclarations des situations de handicap ainsi qu'un retard diagnostique important, ce qui limite l'accès effectif aux droits et aux accompagnements adaptés.

Les représentations culturelles locales associent encore trop souvent le handicap à une forme de faiblesse ou à un manque de performances physiques et intellectuelles. Dans ce contexte, la vulnérabilité reste difficilement reconnue et socialement peu tolérée. Cette résistance se manifeste notamment par une difficulté à nommer certains troubles invisibles -- maladies chroniques, troubles neuro-atypiques -- souvent mal compris, voire niés, y compris par les personnes concernées et leur entourage. La révélation d'un handicap, en particulier psychique ou non apparent, est encore perçue comme une exposition au regard social susceptible d'entraîner rejet ou stigmatisation.

Les travaux universitaires conduits par plusieurs laboratoires en sciences humaines et sociales corroborent ce constat : une grande difficulté d'accès aux droits persiste pour les PSH, malgré les évolutions positives.

L'ARS de Martinique s'inscrit dans une dynamique volontariste pour répondre à ces enjeux, avec des actions centrées sur l'amélioration de l'accès aux droits, sur le renforcement des dispositifs inclusifs, et sur une meilleure visibilité des formes de handicap dites invisibles.

Nous insistons sur la nécessité d'aborder cette transformation par une approche culturelle : nos territoires sont profondément marqués par des héritages historiques, identitaires et culturels. Le levier artistique et culturel -- qu'il s'agisse de théâtre, de musique, d'arts visuels ou de sketchs humoristiques -- représente un outil précieux pour agir sur les représentations sociales du handicap.

Il convient également de ne pas restreindre notre réflexion à la seule enfance : le handicap concerne aussi les adultes et les personnes âgées, notamment les personnes âgées isolées.

Par ailleurs, il convient de clarifier le rôle de la Maison martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH), encore trop souvent perçue comme une instance d'hébergement, voire de « parcage », et non comme une porte d'entrée vers l'accès aux droits et à la compensation.

La formation des professionnels constitue également un enjeu structurant. La sous-déclaration à la MMPH demeure un phénomène largement observé. Les dossiers sont souvent déposés à un stade avancé de la pathologie, ce qui complexifie la prise en charge. Cette situation s'explique à la fois par un déficit d'informations en amont, des dispositifs encore trop peu visibles, et des réticences socioculturelles persistantes, qui freinent le recours aux droits. Ces enjeux constituent le coeur de l'action conduite par l'ARS de Martinique, qui s'attache à renforcer l'accès aux droits pour l'ensemble de la population.

S'agissant des représentations culturelles du handicap, les résistances tendent à s'atténuer, comme l'a souligné à juste titre Carl Paolin. Nous observons en effet une évolution positive dans la reconnaissance du handicap et la mobilisation de la société.

M. Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la MMPH. - Permettez-moi de préciser que je suis accompagné de la responsable du pôle Jeunes et de la référente qualité de la MMPH.

En 2024, 8,8 % de la population martiniquaise se trouvait en situation de handicap, contre 5,82 % en 2015. Cette évolution s'inscrit dans un contexte de déclin démographique significatif, marqué par un vieillissement notable de la population : 35 % des habitants ont désormais plus de 60 ans. Ce phénomène se reflète également dans les données de la MMPH : les personnes âgées de plus de 60 ans représentent près de 41 % du public accompagné, contre 12 % pour les jeunes.

Ces données démographiques confirment la nécessité d'adapter les réponses aux réalités spécifiques du territoire.

S'agissant de l'évolution des perceptions, les indicateurs témoignent d'un changement positif. Cette tendance se traduit notamment par une augmentation significative des demandes liées à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : on comptait 8 261 droits ouverts en 2014 contre 11 844 en 2024. Les sollicitations sont de plus en plus nombreuses, en particulier lorsqu'il s'agit d'obtenir des prestations financières. En revanche, on observe davantage de retenue lorsqu'il s'agit de faire valoir des droits à la formation ou à l'emploi, en raison d'une crainte persistante de stigmatisation.

Les usagers sollicitent fréquemment la MMPH avant même d'activer les dispositifs de droit commun, notamment pour la liquidation des pensions vieillesse. La priorité reste donnée aux prestations financières (AAH, PCH, etc.) dans un contexte de précarité croissante, particulièrement chez les personnes âgées à faibles ressources et les allocataires du RSA, qui cherchent à améliorer leur situation par le biais d'une reconnaissance du handicap.

Ces dynamiques s'inscrivent dans un territoire fortement impacté par la cherté de la vie, régulièrement dénoncée depuis les mouvements sociaux de 2009.

Malgré des progrès notables, des freins structurels demeurent. La perception du handicap reste encore imprégnée de représentations sociales négatives, souvent issues de facteurs culturels. Toutefois, depuis la création de la MMPH, on observe une amélioration sensible des représentations et une augmentation du nombre de demandes et de droits attribués, malgré une baisse démographique. Les actions de sensibilisation menées en direction des institutions, du grand public et des associations ont contribué à élargir la compréhension du handicap.

Cependant, plusieurs obstacles spécifiques à notre territoire persistent : la désertification médicale, qui complique l'établissement de certificats médicaux complets ; l'indisponibilité des aides techniques et les surcoûts associés ; l'aménagement du logement ou du véhicule ; des barèmes PCH encore alignés sur ceux de l'Hexagone ; l'absence de centres d'éducation canine, qui limite le recours à l'aide animalière ; une accessibilité insuffisante des bâtiments et des transports en commun ; et une fracture numérique qui entrave le développement de solutions domotiques.

Pour garantir un meilleur accès aux droits, plusieurs leviers pourraient être mobilisés : renforcer les actions de sensibilisation ; allouer des financements spécifiques à la communication dans le cadre de l'objectif « territoire zéro non-recours » aux droits ; mutualiser les outils du service public ; créer un observatoire des surcoûts liés au handicap, avec des comparaisons interterritoriales ; et enfin, déployer les équipes locales d'accompagnement sur les aides techniques (EqLAAT) sur l'ensemble du territoire martiniquais.

Mme Marie-France Anatole, responsable du Pôle d'Appui et de Ressources Handicap (PARH) Ti Bo. - Le PARH Ti Bo, dispositif géré par l'association OVE Caraïbes, répond à un besoin majeur en Martinique : garantir le droit inconditionnel à l'accueil des enfants en situation de handicap, de 0 à 19 ans. Ce dispositif innovant accompagne les familles dans leur parcours, quel que soit le mode d'accueil choisi - individuel (assistantes maternelles) ou collectif (établissements d'accueil du jeune enfant, jardins d'enfants, multi-accueils, relais petite enfance), et intervient en appui aux professionnels, afin de favoriser des conditions d'accueil optimales.

Au-delà de la petite enfance, le PARH intervient également dans les accueils collectifs de mineurs (ACM), en promouvant une inclusion effective sur l'ensemble des temps éducatifs : accueil du matin et du soir, pause méridienne, activités du mercredi. En effet, l'école inclusive ne se limite pas à l'accès aux apprentissages, mais intègre l'ensemble de la vie scolaire et périscolaire. En outre, nous intervenons en appui sur les temps extrascolaires, notamment durant les vacances scolaires, au sein des ACM et de certains centres de loisirs.

Certes, la loi de 2005 a permis de poser une définition juridique du handicap qui s'avère essentielle pour en déterminer et évaluer les besoins. Toutefois, un certain nombre d'enfants, pour diverses raisons déjà soulignées par les intervenants précédents, ne sont ni diagnostiqués ni accompagnés de manière adéquate. Ces freins relèvent notamment du contexte sociologique local, de la persistance du déni du handicap chez certaines familles, ou encore de diagnostics posés tardivement. Dans ce contexte, nous avons choisi d'élargir notre approche à l'ensemble des publics vulnérables, notamment aux enfants à besoins éducatifs particuliers.

En Martinique, deux problématiques majeures prédominent. La première concerne les enfants manifestant des comportements qualifiés de « problèmes », soit des troubles du comportement ou des difficultés d'expression comportementale. Dans 80 % des cas, ces enfants sont suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ces jeunes, qu'ils soient en foyer ou en famille d'accueil, rencontrent très souvent des difficultés d'intégration en milieu scolaire ou périscolaire. La seconde grande difficulté concerne l'accueil des enfants présentant des troubles du spectre autistique, qui suscitent également de nombreuses sollicitations du PARH.

Le PARH poursuit une double mission : soutien aux familles dans l'accès aux droits et accompagnement des professionnels. Cette démarche se traduit par un travail de sensibilisation, de formation et d'accompagnement depuis la demande d'accueil jusqu'à la mise en oeuvre concrète, ainsi que par une co-construction de projets personnalisés pour l'accueil périscolaire et de loisirs (PPP-AL), en écho aux projets personnalisés de scolarisation (PPS) pour l'école. Nous accompagnons également les familles dans des démarches administratives souvent longues et complexes.

Depuis le déploiement opérationnel du PARH en octobre 2023, 37 familles ont été accompagnées dans le suivi du parcours de leurs enfants. Ce travail s'appuie sur un partenariat étroit avec la MMPH, concrétisé par une convention qui prévoit l'utilisation partagée d'une fiche de connaissance renseignée lors de l'entretien initial.

La priorité du dispositif consiste à répondre aux demandes formulées par les familles, en veillant à ce que les besoins exprimés trouvent une traduction opérationnelle. Pour ce faire, le PARH s'appuie sur un réseau partenarial structurant, impliquant notamment la CAF, la communauté 360, les centres d'action médico-sociaux précoces (CAMSP), les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), les ESMS, et l'Éducation nationale. Notre coopération avec le service académique de l'école inclusive (SAEI) porte en particulier sur la mise en application de la loi Vial prévoyant l'intervention d'AESH durant le temps de pause méridienne. Néanmoins, les besoins d'accompagnement dépassent largement ce seul temps, et une proposition de loi en cours vise à étendre ce dispositif à l'ensemble des plages périscolaires.

Parallèlement, le soutien de l'ARS revêt une importance déterminante, en particulier pour les actions de formation. En avril 2024, 479 professionnels intervenant dans les ACM ont bénéficié d'une session consacrée aux difficultés d'expression comportementale chez l'enfant. Cette action complète une première session tenue en février, qui avait déjà permis de former 240 professionnels. Ainsi, plus de 700 agents ont été formés à ce jour, grâce à une organisation en quatre sites de formation destinée à couvrir l'ensemble du territoire martiniquais.

Enfin, une collaboration avec la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) a permis en 2023 la formation de près de 240 professionnels de la petite enfance, parmi lesquels des agents des établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) et des assistantes maternelles, autour de sept thématiques prioritaires.

Je souhaite réaffirmer, pour conclure, l'importance du partenariat avec la CAF, l'ARS, la délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES), la DEETS, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), l'Éducation nationale et la MMPH.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - La question des enfants en situation de handicap me tient particulièrement à coeur, compte tenu des nombreuses difficultés rencontrées sur mon territoire, notamment en matière d'école inclusive.

Combien d'enfants bénéficient d'un accompagnement par un AESH ? Combien de demandes sont déposées en moyenne et combien restent en attente de diagnostic, de notification ou de compensation ?

Qu'en est-il également de l'accessibilité du bâti scolaire en Martinique ? À La Réunion, les efforts sont réels, mais demeurent freinés par le coût et la pénurie des matériaux, malgré une volonté politique forte.

Concernant les AESH, pourriez-vous préciser leur nombre, les besoins à couvrir, leur charge moyenne d'accompagnement et leur temps de présence ? La question de la pause méridienne reste sensible : dans de nombreuses communes, la responsabilité repose sur des agents municipaux non formés, ce qui suscite une vive inquiétude.

Enfin, le parcours des enfants est-il, selon vous, suffisamment structuré et lisible ? Et les dispositifs de transport garantissent-ils aujourd'hui un accès satisfaisant à l'école et aux soins ?

M. Jean-Luc Rilos. - Je ne suis pas en mesure, à ce stade, de vous transmettre les données précises relatives aux AESH. Ces informations nécessitent des extractions spécifiques que nous vous ferons parvenir ultérieurement.

En matière d'évaluation du handicap, une connaissance fine des spécificités territoriales s'avère indispensable à une appréciation juste des besoins. Or, la Martinique présente plusieurs particularités géographiques et structurelles notables, parmi lesquelles la faible accessibilité de certains secteurs, notamment au sud de l'île, du fait d'un réseau de transport encore inadapté aux PSH.

L'offre médico-sociale demeure insuffisante : les capacités d'accueil sont restreintes, et le territoire fait face à une pénurie persistante de professionnels spécialisés, tels que les orthophonistes ou les ergothérapeutes. Cette carence contribue à allonger considérablement les délais de prise en charge. Certaines familles se voient ainsi contraintes de recourir à des soins en dehors du territoire, générant des surcoûts importants liés aux déplacements vers l'Hexagone, et augmentant le risque de rupture dans les parcours d'accompagnement.

Face à ces constats, la MMPH a déployé une politique de proximité volontariste. Des conventions ont été signées avec la quasi-totalité des centres communaux d'action sociale, les mairies, le régiment du service militaire adapté (RSMA), ainsi qu'avec le centre de gestion. Cette stratégie territoriale repose sur trois leviers principaux : la formation des agents partenaires, la désignation de référents identifiés, et le renforcement de l'accessibilité aux démarches administratives.

Les liens avec l'Éducation nationale sont particulièrement étroits. La deuxième vice-présidente de la CDAPH en est issue, ce qui favorise une articulation étroite entre les politiques éducatives et les actions de la MMPH. Par ailleurs, la collaboration avec le PARH Ti Bo, notamment à travers la coordination entre Mme Oustric et Marie-France Anatole, renforce la qualité du suivi des dossiers.

Concernant les délais de traitement, ceux-ci ont connu d'importantes fluctuations. Une transformation numérique ambitieuse a été engagée dès 2018 et s'est accélérée durant la crise sanitaire. La dématérialisation, fondée sur un objectif de « zéro papier », a nécessité un temps d'appropriation, mais a permis de réduire significativement les erreurs de traitement et d'assurer la continuité de l'activité via le télétravail. Le soutien de la CNSA, dans le cadre de la mission d'appui opérationnel (MAOP), s'est avéré déterminant. En 2022, le délai moyen de traitement s'établissait à 5,76 mois, contre 9,32 mois en 2020.

Cependant, la cyberattaque survenue en mai 2023 a brutalement interrompu cette dynamique. Hébergée par les serveurs de la collectivité, la MMPH a subi une panne généralisée de son système d'information : tous les accès informatiques ont été bloqués (dossiers, courriels, plateformes de téléservices, etc.), contraignant les équipes à un retour au format papier. Cette régression a profondément désorganisé les services.

En 2024, les délais de traitement excèdent de nouveau neuf mois. Un travail de fond a été entrepris afin de restaurer une gestion électronique efficiente des dossiers. La CNSA continue d'accompagner cette relance, via un avenant à la convention MAOP prolongé jusqu'au 31 août 2025. Le nouveau système d'information, désormais hébergé à la CTM, impose une réorganisation complète.

Les équipes, bien que fortement mobilisées, demeurent éprouvées par la succession des crises. La fatigue accumulée se traduit par une recrudescence des arrêts de travail, souvent prolongés. Les renforts alloués dans le cadre de la MAOP, bien que bienvenus, ne suffisent pas à compenser intégralement ces absences. Par ailleurs, la brièveté des congés maladie, conjuguée à des contraintes budgétaires, limite les possibilités de remplacement.

Malgré ces difficultés, les efforts se poursuivent. La MMPH vise un retour à des délais de traitement raisonnables, compris entre quatre et cinq mois, à l'horizon du 31 août 2025.

M. Yves Servant, directeur général de l'ARS Martinique. - Bien que nous ne puissions satisfaire l'ensemble des demandes chiffrées, je souhaiterais néanmoins vous soumettre trois éléments quantitatifs significatifs.

Premièrement, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés dans les établissements scolaires de Martinique s'élevait à 2 503 en 2023, soit une progression de 6 % par rapport à l'année précédente. Ce chiffre marque toutefois un plateau, puisque l'année 2024 enregistre une légère baisse, avec un total inférieur à 2 500 élèves.

Ensuite, je tiens à souligner, comme l'a indiqué Jean-Luc Rilos, l'excellence du partenariat établi avec le rectorat. Ce travail conjoint se traduit notamment par un taux académique d'élèves sans solution de 0,1 %, très inférieur à la moyenne nationale estimée à 0,9 %. Ce chiffre atteste de l'efficacité des dispositifs en place pour assurer la scolarisation de ces élèves.

Enfin, l'académie de Martinique emploie actuellement près de 715 AESH, avec un taux de couverture des notifications de 97 %, soit un taux supérieur de sept points à la moyenne nationale.

Ces indicateurs, bien qu'ils ne répondent pas à l'ensemble des enjeux soulevés, témoignent d'une dynamique globalement positive et encouragent la poursuite des efforts engagés.

Mme Annick Petrus, président, rapporteure. - Considérez-vous le nombre de travailleurs en situation de handicap actuellement insérés dans les entreprises de Martinique comme satisfaisant au regard des besoins identifiés sur le territoire ?

M. Yves Servant. - Au regard de nos ambitions sur ce sujet, permettez-moi une réponse brève : non, nous ne sommes pas satisfaits. Si des efforts conjoints commencent à se dessiner, la Martinique reste encore largement en deçà des attentes.

L'ARS a engagé, en ce sens, la création d'un « trophée de l'entreprise aidante », destiné à valoriser les démarches exemplaires d'inclusion professionnelle. L'objectif est d'encourager les employeurs à considérer l'intégration de salariés en situation de handicap non comme une contrainte légale, mais comme une opportunité constructive pour l'entreprise.

Il faut toutefois rappeler que le tissu économique local repose principalement sur des très petites entreprises, ce qui complique d'autant plus la mise en oeuvre de l'inclusion professionnelle. Néanmoins, une prise de conscience progresse, et les acteurs du territoire s'engagent activement à renforcer l'insertion de ces publics.

En résumé, malgré certaines avancées, les résultats actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux identifiés.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Permettez-moi de relayer deux interrogations formulées par le sénateur Akli Mellouli.

La première concerne la place accordée au handicap sur le territoire : comment cette question est-elle intégrée dans les politiques locales d'inclusion ? Les Jeux olympiques ont-ils permis d'amorcer ou de renforcer une dynamique positive en ce sens ?

Par ailleurs, disposez-vous de données chiffrées relatives au nombre de PSH poursuivant un parcours d'enseignement supérieur en Martinique ?

Si vous ne disposez pas immédiatement de ces éléments, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous les transmettre ultérieurement, par voie écrite.

Mme Marie-France Anatole. - Concernant le handisport, le PARH bénéficie d'un partenariat étroit avec la DRAJES, dans le prolongement des Jeux olympiques et paralympiques. Un projet intitulé « Tous en Jeux, en nou jwé ansanm » a vu le jour à la suite du déplacement, en septembre dernier, de 120 élèves martiniquais ayant assisté aux Jeux paralympiques pendant une semaine.

À leur retour, des prolongements pédagogiques ont été organisés dans les établissements scolaires afin de partager cette expérience avec leurs camarades. Dans ce contexte, la DRAJES a proposé au PARH de coconstruire un projet visant à promouvoir l'inclusion des enfants en situation de handicap par le biais du sport et des activités physiques.

Ce projet s'inscrit pleinement dans l'esprit de la loi du 11 février 2005, qui consacre la notion de participation comme principe fondamental de l'inclusion. À ce titre, le PARH, en partenariat avec la DRAJES, développe actuellement des actions en faveur de la participation des enfants en situation de handicap aux activités sportives et de loisirs organisés dans le cadre scolaire.

Pour la mise en oeuvre de ce projet, nous mobilisons une chargée de mission - actuellement stagiaire DEJEPS - ainsi que deux volontaires en service civique. Le dispositif concernera à terme quatre à cinq communes, soit une dizaine d'établissements scolaires, avec des actions ciblées pour renforcer la participation effective des élèves en situation de handicap.

Au-delà de cette initiative, ce partenariat s'intègre dans les objectifs plus larges du PARH, notamment dans les parcours de formation et d'accompagnement, afin de rappeler que tous les enfants doivent pouvoir accéder à l'ensemble des activités de loisirs proposées, notamment au sein des ACM.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Plus précisément, à l'échelle du territoire martiniquais, combien d'enfants et adultes ont aujourd'hui accès à une pratique handisport ?

M. Jean-Luc Rilos. - La Ligue de handisport, créée en 1992, regroupe actuellement 14 clubs et compte environ 190 licenciés, adultes et enfants confondus. Les disciplines proposées incluent notamment le basket en fauteuil, le cécifoot, la boccia, l'escrime, le tennis de table, le cyclisme en tandem ainsi que l'athlétisme.

Mme Christelle Litan, directrice de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS Martinique. - Une stratégie territorialisée, engagée en 2024 en lien étroit avec la DRAJES, s'appuie sur une coordination renforcée entre les Maisons Sport-Santé, les associations sportives locales, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les foyers d'accueil médicalisés (FAM), les MAS, ainsi que les centres d'accueil de jour. Des passerelles intergénérationnelles sont également encouragées. Le partenariat avec l'Éducation nationale permet d'intégrer cette logique dans le cadre scolaire, notamment dans la mise en oeuvre des 30 minutes d'activité physique quotidienne.

Si le recours aux activités physiques adaptées (APA) demeure encore partiel dans le secteur adulte, le secteur enfant bénéficie d'un développement plus affirmé. La coordination interinstitutionnelle reste toutefois indispensable pour structurer l'offre et garantir son accessibilité.

Enfin, concernant l'enseignement supérieur, aucune donnée chiffrée consolidée n'est actuellement disponible au sein de l'Agence.

M. Carl Paolin. - Il convient de souligner -- ce que l'Agence régionale de santé n'a peut-être pas mentionné par retenue -- l'initiative majeure que représente la création du CREAI Martinique. Ce centre de ressources doit nous permettre, à court terme, de disposer de données précises, indispensables à un pilotage éclairé et à une amélioration effective des dispositifs. Le déficit de données constitue aujourd'hui l'une des principales faiblesses du territoire -- et probablement pas uniquement de la Martinique.

À défaut de chiffres, permettez-moi de partager une situation concrète, qui illustre la réalité vécue par certains jeunes en situation de handicap. En 2023, nous avons été sollicités par des étudiants autistes à qui l'accès au logement universitaire avait été refusé, au motif que les structures n'étaient pas adaptées. En lien avec l'ARS, j'avais proposé d'explorer la possibilité de créer, dans le cadre de la réglementation sur l'habitat inclusif, une résidence universitaire spécifiquement adaptée. Ce projet, qui demeure en cours de réflexion, mérite toute notre attention, car, au-delà de l'accès aux études supérieures, les conditions périphériques freinent la poursuite des parcours universitaires.

Enfin, je tiens à souligner les difficultés spécifiques rencontrées par les enfants présentant un handicap psychique. Pour ces enfants, notamment ceux suivis en ITEP, l'accès à l'école reste très compliqué, voire inexistant. Nous avions pourtant expérimenté avec succès des modalités de scolarité partagée ; or, on nous oppose désormais la nécessité d'obtenir une notification MMPH ou de formaliser des conventions particulières, ce qui constitue une entrave. Pourtant, pour certains de ces enfants, franchir les portes de l'école une fois par semaine représente déjà une victoire majeure. Ce bémol ne remet pas en cause l'ensemble des avancées constatées, mais invite à porter une attention spécifique à la situation des enfants en situation de handicap psychique, souvent relégués au second plan.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Je vous remercie infiniment pour la qualité de vos interventions. Votre contribution représente une aide précieuse pour renforcer nos travaux. Le Sénat accorde une importance particulière à cette mission, avec la volonté affirmée de faire émerger, à terme, des propositions législatives susceptibles d'améliorer concrètement la prise en charge des PSH dans les territoires ultramarins.

Mardi 27 mai 2025

Tables rondes consacrée à Mayotte

Mme Micheline Jacques, présidente. - Mesdames, messieurs, après avoir abordé la Guyane et la Martinique la semaine dernière, nous poursuivons cet après-midi nos travaux sur la politique du handicap outre-mer avec une table ronde dédiée à Mayotte, dont nous mesurons l'importance dans le contexte actuel.

Avec nos trois rapporteurs, Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, qui s'excuse de ne pouvoir être parmi nous cet après-midi, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne, je tiens à vous remercier vivement pour votre participation, en visioconférence.

Nous sommes sur un créneau dit « Vermeillet », lequel nous permet de nous réunir les mardis après-midi des semaines de contrôle, et non plus seulement le jeudi.

Nous allons entendre, dans l'ordre alphabétique : M. Patrick Boutié, directeur de l'offre de soins et de l'autonomie de l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte ; M. Madi Velou, vice-président du conseil départemental de Mayotte, en charge de l'action sociale, président délégué de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Mayotte, et Mme Ségolène Meunier, directrice de cette MDPH ; M. Jacques Mikulovic, recteur de l'Académie de Mayotte, et M. Thomas Poisson, inspecteur de l'éducation nationale au service départemental de l'école inclusive à Mayotte ; et Mme Barbara Denjean, directrice du pôle handicap de l'association Mlezi Maore et représentant l'institut médico-professionnel (IMPro) de Doujani.

Mesdames, messieurs, je vais vous céder la parole dans l'ordre précédemment énoncé, sur la base du questionnaire qui vous a été adressé. Je vous remercie de respecter une durée de présentation comprise entre cinq et dix minutes, afin que chacun puisse s'exprimer.

Avant de débuter, je veux dire à mes collègues que nous n'aurons pas de réunion la semaine prochaine, car les rapporteurs et moi-même effectuerons un déplacement, précisément sur la politique du handicap, en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

Nous devrions achever nos travaux avec deux auditions ministérielles : celle de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap, le 18 juin à 16 h 30 ; et celle de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, le 19 ou le 26 juin matin - la date n'est pas encore confirmée.

Notre objectif est d'examiner le rapport le jeudi 3 juillet prochain.

M. Patrick Boutié, directeur de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS de Mayotte. - Pour ce qui est du contexte général, l'État, l'ARS et le conseil départemental de Mayotte ont signé, le 19 février 2025, une convention en faveur du développement des établissements et services en faveur des personnes en situation de handicap et des personnes âgées. Cette convention vise à concrétiser les orientations prises par le Président de la République lors de la sixième Conférence nationale du handicap (CNH) de façon que le développement des établissements et services soit co-animé et co-instruit avec l'ensemble des partenaires sociaux de notre territoire.

L'offre médico-sociale à Mayotte est fortement déficitaire. Ce diagnostic a été largement partagé à l'occasion de la visite officielle de Mme la ministre déléguée à l'autonomie et au handicap.

Dans le champ du handicap, le taux d'équipement est cinq à dix fois inférieur à la moyenne nationale.

Dans le champ de l'autonomie, Mayotte reste caractérisée par une forte culture du maintien à domicile de nos aînés.

De manière globale, les établissements et les services sociaux et médico-sociaux (ESMS) présents à Mayotte fonctionnent principalement avec des modes d'accueil de jour et/ou des équipes mobiles en intervention.

Très peu d'établissements offrent des situations d'hébergement auprès de nos publics en situation de handicap : ne le font que 3 établissements médico-sociaux, 2 établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) et 1 maison d'accueil spécialisée (MAS), d'environ 10 places chacun, soit 30 places d'hébergement au maximum sur notre territoire. S'agissant de l'autonomie, aucune place d'hébergement n'est actuellement ouverte à Mayotte pour les personnes âgées.

Pour ce qui concerne les personnes en situation de handicap, l'ARS a, dès sa création, en 2020, impulsé le virage inclusif pour assurer le développement des établissements et services sur le territoire, afin de faciliter les articulations entre les différents établissements et structures médico-sociales. Le but était d'assurer un parcours de vie sans rupture aux personnes en situation de handicap, au travers de plateformes de services inclusifs.

À ce jour, il existe six plateformes de services inclusifs positionnées sur le territoire mahorais pour le secteur du handicap. Ces plateformes doivent permettre une coordination des parcours, laquelle est aujourd'hui non efficiente, sauf sur une plateforme dédiée aux enfants et aux adolescents. Nous mènerons, cette année, un travail de coordination, avec le centre régional d'études, d'action et d'informations (CREAI) et la MDPH. La MDPH devra tenir compte de ce travail pour permettre à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) d'intégrer cette notion de plateforme de services intégrés dans ses notifications, ce qui garantira un parcours plus fluide au public accueilli.

La première plateforme est dédiée aux enfants et aux adolescents. Elle intègre les instituts médico-éducatifs (IME), les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), le dispositif intégré médico-éducatif (Dime), notamment les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep), le centre d'action médico-social précoce (CAMSP), les nouveaux centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et, enfin, tout le dispositif de l'école inclusive.

La deuxième plateforme de services intégrés est consacrée aux déficiences sensorielles.

La troisième plateforme est dédiée aux polyhandicapés : elle intègre des établissements un peu plus lourds, notamment les EEAP, les MAS et les services autonomie à domicile (SAD).

La quatrième plateforme est dédiée aux adultes. Elle vise à intégrer, à terme, les services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), les foyers d'accueil médicalisés, ainsi que quelques services sociaux que sont les groupes d'entraide mutuelle (GEM) et les services d'aide et de soins à domicile (SAVS) du conseil départemental.

La cinquième plateforme est consacrée aux troubles du neurodéveloppement, notamment l'autisme. Elle englobe l'ensemble des dispositifs existants : équipes diagnostic autisme de proximité (Edap), centres de ressources de l'autisme (CRA) et accueil de jour autonome dédié à ces publics, en plus des places réservées, au sein des IME et des Sessad, à ces publics autistes.

Enfin, la sixième et dernière plateforme, qui a été créée l'année dernière, est consacrée à la préprofessionalisation et à l'insertion professionnelle. Elle intègre les nouvelles places de Sessad et d'IMPro dédiées à l'insertion professionnelle ainsi que le nouvel établissement et service d'aide par le travail, que nous avons créé et dont l'activité doit démarrer avant la fin du premier semestre 2025.

Depuis l'année dernière, l'État a engagé, à l'issue de la CNH, des mesures pour renforcer l'offre disponible sur notre territoire dans le secteur du handicap. L'objectif de ce nouveau plan, qui est doté de 22 millions d'euros de crédits de fonctionnement sur les quatre ans à venir, est de renforcer l'offre sur notre territoire, d'améliorer le dépistage précoce - l'appel à projets concernant les CMPP a été lancé il y a quinze jours par l'ARS - et de créer une offre de structures médico-sociales avec hébergement.

Pour ce faire, nous nous appuyons sur la structuration du projet régional de santé (PRS) en bassins de santé, afin de développer une offre avec hébergement par bassin, lequel deviendrait notre structure de référence dans le secteur du handicap dans les années à venir. Voilà comment s'articuleront les futurs appels à projets à compétence propre de l'ARS ainsi que les appels à projets lancés conjointement avec le conseil départemental.

Cette présentation retrace ce que je vous ai envoyé dans les éléments préparatoires à cette audition.

M. Madi Velou, vice-président du conseil départemental de Mayotte, en charge de l'action sociale, président délégué de la MDPH de Mayotte. - Merci pour cette audition. Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit. J'aborderai le sujet sous un angle plus politique, et m'attacherai à sa dimension traditionnelle - pour ne pas dire culturelle - locale. Je dirai ce que nous pensons, en tant qu'élus, de la façon dont cette politique est conduite sur le territoire. Je finirai par tracer quelques pistes d'amélioration.

À Mayotte, la politique du handicap est à la fois très intégrée dans nos familles et très taboue. Considérant que les enfants handicapés sont soit un don, soit une punition divine, la population musulmane estime qu'ils doivent être gardés dans le noyau familial. Derrière, il y a sûrement quelques cas de maltraitances, et les familles bien accompagnées sont minoritaires - songeons à la pauvreté de certaines familles face au besoin de formation. C'est une réalité du territoire.

Depuis les années 2010, il y a eu quelques campagnes de communication à la suite de la création de la MDPH et de l'action de l'ARS et, surtout, des associations apparues sur notre territoire ces dix dernières années.

L'Association pour les déficients sensoriels de Mayotte (Adsm), qui a, depuis, été absorbée par une grosse fédération, l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), a été la première à mettre en avant les enfants et les personnes en situation de handicap, en particulier les enfants de la lune. C'est donc une petite association qui a permis de sensibiliser les gens à la question ; petit à petit, les pouvoirs publics s'y sont intéressés.

Nous comptons aujourd'hui, dans nos quartiers et nos villages, beaucoup d'adultes et d'enfants qui ne viennent pas vers les associations et encore moins vers la MDPH pour l'ouverture de leurs droits. C'est une grosse difficulté. Nous avons encore énormément à faire pour « aller vers » et amener les gens vers nos dispositifs.

L'Insee estime que, dans un département d'un peu plus de 320 000 habitants, il devrait y avoir presque 30 000 personnes en situation de handicap. Or à peine 10 000 personnes sont recensées ! Cela montre bien qu'il y a énormément à faire en termes de communication.

Si les associations continuent à jouer un rôle énorme au niveau local, très peu de communes et d'intercommunalités se sont intéressées sérieusement à la question du handicap, s'agissant aussi bien de leurs salariés que de leur population. Les centres communaux d'action sociale (CCAS) sont très jeunes sur notre territoire : ils n'existent que depuis 2015. Il n'y a pas eu de gros travail de la part des collectivités locales, à l'exception des départements, par le biais surtout de la MDPH et du fait que certains dispositifs sont compensés par le conseil départemental. Pour leur part, les mairies et les intercommunalités, qui datent elles aussi de 2015, n'ont pas beaucoup travaillé sur cette question.

Pour ce qui concerne tant le schéma départemental de l'autonomie que le schéma régional de santé de l'ARS, les élus attendent beaucoup du déploiement de la convention que nous avons signée avec la ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap et l'ARS.

Les politiques d'accompagnement, d'insertion et de loisirs pour les personnes en situation de handicap, notamment pour les enfants, sont tout simplement manquantes. Il n'y a même pas eu d'effort ! Nous sommes très loin du compte. Je considère que nous ne sommes même pas à 20% de ce que nous devons faire sur le territoire, qu'il s'agisse de la scolarisation ou de la mise en sécurité.

L'ARS est notre partenaire, mais elle gêne quelquefois le conseil départemental dans les efforts que nous devons faire collectivement. Il n'y a tout simplement pas de structure d'hébergement, mis à part la première expérimentation de 10 places difficilement arrachée par le département à l'ARS pour les enfants polyhandicapés de l'aide sociale à l'enfance, que nous ne savons pas gérer avec les familles d'accueil. Aujourd'hui, sur 10 places, seuls 3 ou 4 enfants polyhandicapés de l'aide sociale à l'enfance sont accueillis effectivement.

Nous avons énormément à faire en la matière. Pour les enfants de 0 à 6 ans, il n'y a quasiment rien. Quelques initiatives ont été déployées sans cofinancement de l'ARS et du conseil départemental, portées, par exemple, par Mlezi Maore ou par l'Association laïque pour l'éducation, la formation, la prévention et l'autonomie (Alefpa), mais nous sommes encore très loin du compte.

Les deux schémas définissent des orientations et des actions pour les prochaines années, mais nous devons aussi, pour réussir, professionnaliser ceux qui exercent déjà les métiers, dans les associations ou les collectivités.

Nous devons aussi amener les centres de formation à Mayotte. Voilà plus de trente ans que le conseil départemental forme dans tous les domaines. Or nous nous sommes rendu compte récemment que, si le département de Mayotte formait pour d'autres départements, les centres de formation ne sont pas sur place, et nos enfants qui partent ont du mal à rentrer une fois formés. Il faut donc un plan de formation à Mayotte, proposer des diplômes, reconnaître ceux qui font déjà le travail au quotidien et cibler les titulaires du baccalauréat qui n'ont pas de formation pour leur permettre de renouer avec l'emploi. Ces secteurs sont pourvoyeurs d'emplois. Ce sont les emplois de demain !

Sur notre territoire, bien trop peu d'emplois sont occupés par des professionnels diplômés - la plupart ont une équivalence. Beaucoup de partenaires recrutent leurs éducateurs parmi les titulaires d'un brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS), par exemple, mais ces derniers ne sont pas du tout formés au handicap. Les diplômes requièrent un minimum de connaissances.

Mayotte ne dispose pas des mêmes prestations que les autres départements. C'est aussi le parent pauvre sur ce plan ! Les prestations atteignent souvent, au maximum, 50 %, voire 30 % des montants qui existent ailleurs ; c'est un autre fléau. Les prestations sont quasiment inexistantes pour soulager les familles.

Le département s'efforce d'accompagner certaines familles dans la rénovation des logements, mais l'offre est insuffisante en nombre, et nous ne sommes pas soutenus par le grand public malgré nos efforts de communication.

Une autre contrainte est administrative : il peut être compliqué, voire impossible d'accompagner une famille qui a besoin de voir son logement amélioré si elle n'a pas les documents requis pour prétendre aux aides - permis de construire ou titre de propriété. Or beaucoup ne les ont pas...

La santé mentale a été évoquée par M. Boutié. C'est un fléau à Mayotte. Pour ma part, j'estime - là aussi, cela n'engage que moi - qu'il n'y a aucun dispositif de prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux.

Madame la sénatrice, vous êtes venue à Mayotte : vous n'avez pu que croiser un certain nombre de malades sur la voie publique ! Il arrive que des personnes atteintes de troubles tuent des membres de leur famille... Personne n'en parle. C'est le statu quo, comme je le constate chaque fois que je soulève ce sujet. Il y a vraiment des choses à faire.

Je rappelle que c'est chez nous qu'est née la fameuse drogue dite « chimique », arrivée ensuite à La Réunion, puis au niveau national. Personne ne sait comment les jeunes mélangent les produits pour parvenir à fabriquer cette drogue de synthèse. Or, par sa faute, de nombreux jeunes, devenus un danger pour eux comme pour les autres, se retrouvent aujourd'hui sur la voie publique, notamment dans la zone de Mamoudzou.

J'en passe...

J'entends souvent, dans les ministères ou en réunion avec certains partenaires, que Mayotte n'aurait pas besoin de moyens financiers complémentaires. Je ne peux pas l'accepter quand je sais les souffrances sur le terrain !

J'ai volontairement cité l'exemple des enfants de la lune. Les équipements coûtent très cher pour accompagner ces enfants, qui ne peuvent être exposés aux rayons du soleil. Or, à Paris, on me dit que Mayotte a suffisamment de moyens, que l'on ne peut en débloquer davantage... On nous tient un double langage : on reprend ce que nous disons au niveau national pour nous faire plaisir, mais la réalité est tout autre.

Nous avons à faire. Le conseil départemental participe, aux côtés de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), au lancement de résidences autonomie pour adultes. Nous avons attribué 2 résidences, pour 50 places, à une intercommunalité et un établissement d'accueil médicalisé à une association. Il faudra construire et animer ces nouveaux projets. Nous soutenons fortement le projet de création du premier Ehpad sur le territoire.

Je souligne la nécessité d'accompagner les opérateurs du territoire. Au conseil départemental, nous sommes opposés, politiquement parlant, à ce que l'on fasse venir des opérateurs d'ailleurs pour travailler sur ces questions complexes, comme cela peut arriver. Ces opérateurs ne connaissent ni nos langues, ni nos traditions, ni nos pratiques. Je reconnais que certains font un excellent travail, et nous les en remercions, mais ce n'est pas en allant chercher les opérateurs ailleurs que l'on accompagnera ceux qui sont sur notre territoire, qu'on les fera monter en compétences et qu'on les rendra plus autonomes, comme nous l'avons fait pour Alzheimer et comme nous sommes en train de le faire pour l'autisme. Notre volonté et notre élan demeurent. Nul besoin d'aller chercher ailleurs : nous pouvons faire avec ceux qui sont ici et les former ici, pour les faire monter en compétences.

Mme Ségolène Meunier, directrice de la MDPH de Mayotte. - La MDPH de Mayotte est une structure récente - elle existe sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) depuis 2016 - et de taille modeste. Environ 1 600 dossiers y sont déposés chaque année, dont la moitié sont des premières demandes. À ce jour, 9 627 personnes sont identifiées par la MDPH, dont 52 % ont moins de 20 ans. Toutefois, les besoins sont bien plus importants.

Le non-recours s'explique en partie par une représentation du handicap qui freine la reconnaissance administrative. Dans une étude menée en 2021 par l'Insee, seules 5 600 personnes déclaraient se sentir handicapées, sur un total estimé à 22 000.

Par ailleurs, les transports et l'accessibilité physique constituent un problème majeur à Mayotte, la voirie étant généralement inadaptée aux personnes à mobilité réduite.

À cet égard, la présence physique de la MDPH a démontré son efficacité dans l'amélioration de l'accès aux droits. Ainsi, l'ouverture d'une antenne à Dembéni, plus au sud, et l'organisation de permanences régulières dans des maisons France services de plusieurs communes éloignées du chef-lieu ont permis de doubler le nombre de dossiers déposés jusqu'alors sur le site de Mamoudzou - il a été porté à près de 2 000. Le renforcement de cette présence locale nous paraissant essentiel, deux minibus équipés seront mis en service en juin prochain pour devenir des bureaux mobiles de la MDPH. Nous ouvrirons également une antenne supplémentaire sur Petite-Terre avant la fin de l'année.

Concernant les établissements médico-sociaux, je rejoins Patrick Boutié : le nombre de places à Mayotte est dramatiquement insuffisant. Par exemple, on n'y compte que 230 places en Sessad, pour 768 orientations de la CDAPH, ou 39 places en SAMSAH, pour 173 orientations. Certains établissements n'existent tout simplement pas : si des projets sont en cours, le territoire ne compte, à ce jour, aucun établissement et service d'accompagnement par le travail (Ésat). De nombreuses familles font le choix de quitter Mayotte pour rejoindre La Réunion ou l'Hexagone afin d'accéder à des soins et à des structures adaptés.

Jusqu'à très récemment, l'attribution de la prestation de compensation du handicap (PCH) se limitait essentiellement à l'aide humaine, tout simplement par manque de professionnels compétents pour évaluer les besoins en aide technique ou en aménagement du logement, par exemple. L'arrivée récente d'un ergothérapeute au sein de la MDPH a permis d'élargir le champ des prestations offertes, mais aussi d'augmenter le nombre de demandes adressées au fonds départemental de compensation du handicap : d'une dizaine de dossiers par an, nous sommes passés à 27 demandes sur les cinq premiers mois de l'année 2025. Sur le plan financier, l'écart persiste, pour l'aide humaine, avec les barèmes nationaux, les montants étant calculés sur la base d'un Smic local inférieur au Smic national. Cet écart peut atteindre 225 euros par mois pour un aidant familial dédommagé. Le versement de la PCH se heurte également à des obstacles administratifs liés à la nécessité de fournir des justificatifs. Beaucoup de familles, par exemple, ne sont pas en mesure de fournir un relevé d'identité bancaire.

Nous dénombrons 1 242 bénéficiaires de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), dont seulement 38 % de femmes. L'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap demeure extrêmement limitée. Le taux d'emploi est de seulement 0,7 % dans le secteur privé, très loin de l'objectif national fixé à 6 %. Ce déficit d'inclusion peut notamment s'expliquer par le faible taux de reconnaissance du handicap, par un chômage extrêmement élevé et par l'absence de dispositifs Cap emploi par exemple. Il faut toutefois souligner que l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ne s'applique à Mayotte que depuis 2022 et que des progrès ont été réalisés dans les trois fonctions publiques - le taux moyen d'emploi a plus que doublé en trois ans, passant de 1,07 % en 2022 à 2,3 % en 2024.

La MDPH de Mayotte évolue dans un contexte où le manque de personnel qualifié, notamment dans le secteur médico-social, constitue un obstacle majeur. Nos missions d'évaluation exigent des compétences très spécifiques, et le départ d'un seul agent peut désorganiser tout un service. En décembre dernier, le cyclone Chido a encore davantage perturbé le fonctionnement de la MDPH. La mobilisation rapide des équipes a toutefois permis d'assurer la continuité du service. Ainsi, l'accueil physique et la réception des dossiers ont pu se faire dès le 30 décembre. En revanche, les évaluations ont repris en mode dégradé, dans un premier temps à cause d'un problème d'accès à notre logiciel métier et de la mobilisation de plusieurs agents sur des missions humanitaires. Par chance, nos bâtiments ont été assez épargnés et le fonctionnement normal a été rétabli en février.

Cette crise a surtout accentué les difficultés de la MDPH en matière de ressources humaines. Le manque d'attractivité du territoire s'est en effet encore accru après le cyclone. Malgré tout, une dynamique positive de stabilisation est engagée, avec une équipe aujourd'hui quasiment complète et des recrutements supplémentaires en cours. Ces derniers nous permettront de doubler certains postes, dans un contexte de turn over important. Nous espérons ainsi réduire les risques liés au départ de membres du personnel.

Nous travaillons aussi à l'amélioration de notre système d'information. L'objectif est d'aligner les performances sur celles des autres départements et de permettre l'échange de flux avec nos partenaires comme France Travail.

En conclusion, la MDPH de Mayotte s'inscrit dans une transformation plus large, avec la perspective d'évoluer en maison départementale de l'autonomie (MDA). L'objectif serait de créer un guichet unique capable de gérer toutes les situations en lien avec la perte d'autonomie, qu'elle soit le fruit du handicap ou du vieillissement. Ce modèle nous semble particulièrement adapté à Mayotte, où les ressources humaines sont rares et l'identification des interlocuteurs appropriés encore trop souvent complexe pour les usagers.

M. Jacques Mikulovic, recteur de l'académie de Mayotte. - Je vous propose une intervention à deux voix avec M. Thomas Poisson, conseiller technique ASH (adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés), qui s'occupe de l'ensemble des collègues chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap.

Cela a été bien dit : il y a, à Mayotte, un problème de perception du handicap, qui peut apparaître comme un fléau et une fatalité, mais qui est surtout un sujet tabou, donc masqué. Cette représentation délicate du handicap rend les signalements difficiles. Le vice-président du département citait le pourcentage de personnes en situation de handicap à Mayotte. Toutes proportions gardées, c'est la même chose à l'école, où seulement 1 % des élèves sont identifiés comme ayant des besoins éducatifs particuliers reconnus par une notification MDPH.

Si la MDPH a connu une période difficile pour traiter l'ensemble des dossiers, les choses sont désormais rentrées dans l'ordre. L'accompagnement des familles pour entamer les démarches n'est pas aisé. Et, quand les démarches sont entamées, il est parfois difficile, notamment au collège, d'obtenir une place en établissement spécialisé. Je pense notamment aux Itep pour les enfants souffrant de troubles du comportement. Les familles refusent d'envoyer leurs enfants dans ces établissements en raison d'une connotation liée à la déficience intellectuelle. Certes, il existe un manque de places, mais, quand bien même nous aurions de la place, nous aurions des difficultés à obtenir l'adhésion des familles pour placer certains élèves dans les dispositifs les plus appropriés.

De manière générale, nous manquons, à Mayotte, de salles de classe pour scolariser l'ensemble des élèves dans des conditions équivalentes à celles de l'Hexagone. Cela nous a conduits, bien avant Chido, à des situations de rotation. Depuis sept semaines, nous scolarisons de nouveau tous les enfants inscrits sur les listes, mais avec parfois une quadruple rotation. En d'autres termes, nos élèves n'ont pas tous une scolarité complète, et 90 % d'entre eux n'ont que vingt-quatre heures de classe par semaine. Certains n'ont même que six à douze heures d'enseignement ! Et nous utilisons les mêmes locaux à quatre reprises. C'est vous dire l'agilité pédagogique dont il faut faire preuve pour accueillir tous les élèves.

Comme souvent, les plus lésés sont ceux qui ont des besoins éducatifs particuliers, en raison des difficultés d'accès à des infrastructures appropriées. Le vice-président Velou évoquait les enfants de la lune. Nous peinons déjà à trouver des salles de classe pour tous les élèves ; adapter des salles à un public spécifique est encore plus compliqué. De même, alors que nous avions obtenu le financement et les emplois nécessaires à la création d'une unité d'enseignement en maternelle autisme (UEMA), nous n'avons pas trouvé de commune capable de nous mettre à disposition une salle de classe adaptée.

Quand bien même nous aurions ces capacités d'accueil, d'autres problèmes se posent, qui sont liés aux transports. Après Chido, nous avons eu d'énormes difficultés pour récupérer un certain nombre d'enfants scolarisés dans le cadre des unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis). Ainsi, à Grande-Terre, les enfants ont dû être récupérés par des taxis, ce qu'il a fallu financer. Sur Petite-Terre, les problèmes de barges et de délais d'attente étaient tels que les taxis ont renoncé à aller chercher les élèves.

M. Thomas Poisson, inspecteur de l'éducation nationale au service départemental de l'école inclusive à Mayotte. - D'autres communes ont rapporté des difficultés liées au manque de structures scolaires et à leur accessibilité à la suite du cyclone.

Monsieur le recteur a raison : au contexte culturel et cultuel s'ajoute un problème de représentation et de diagnostic. Par manque de connaissance, les certificats médicaux intègrent rarement les difficultés liées aux handicaps invisibles. Nous avons, c'est vrai, des difficultés à trouver des bâtiments adaptés pour accueillir des élèves en UEMA ou en unité d'enseignement en élémentaire autisme (UEEA). À défaut d'avoir des places en IME, une grande partie des élèves est encore scolarisée en Ulis. Nous avons donc un gros problème structurel, et nous n'avons pas été aidés par les derniers événements naturels.

Il faut par ailleurs mener une politique de recrutement de personnel spécialisé, médical et paramédical. Nous manquons notamment de psychologues scolaires : seulement 6 postes sur 22 sont pourvus. Des ergothérapeutes arrivent à la MDPH, et c'est tant mieux ! Mais combien en faudrait-il pour pouvoir faire un recensement adéquat ? Combien manque-t-il d'éducateurs spécialisés, d'orthophonistes, de psychomotriciens, etc. ? Il y a manifestement un problème de formation sur le territoire. Nous essayons d'agir structurellement. L'ouverture d'une UEMA a été évoquée, mais l'enseignant a été nommé depuis trois ans. Il faut peut-être changer de vision.

M. Jacques Mikulovic. - Depuis la loi du 11 février 2005, nous avons toujours cherché à respecter scrupuleusement les obligations scolaires. Nous avons mis en place les Ulis et développé des projets avec les partenaires locaux. Nous sommes parfois, c'est vrai, confrontés à des problèmes d'infrastructures indépendants de notre volonté. Néanmoins, les élèves qui sont identifiés sont accompagnés. Point positif, nous avons pu avoir des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) en correspondance.

Paradoxalement, je dirai que, si l'ensemble des personnes en situation de handicap étaient réellement identifiées, nous nous retrouverions sans doute en grande difficulté. Pour parler de manière cynique, le quota d'élèves notifiés et identifiés nous convient parfaitement pour afficher une activité sereine de prise en charge des élèves en situation de handicap : nous avons les enseignants spécialisés et l'accompagnement correspondants. En revanche, si la situation réelle devait apparaître, nous aurions probablement des difficultés à accompagner tous ceux qui en ont besoin.

Nous continuons néanmoins à anticiper, car il faut aller de l'avant. Pour la rentrée prochaine, nous créerons des pôles d'appui à la scolarité (PAS). Pour jouer un rôle de catalyseur, nous devrons renforcer notre partenariat avec les associations. Elles sont toutes très volontaires, mais nous sommes tributaires du nombre d'enseignants contractuels. Parfois, les associations ont du mal à maintenir leur personnel en activité. Il y a un turn over très important, faute d'offre de formation, de vivier suffisant sur place ou encore en raison d'un manque d'attractivité.

Concernant l'allocation aux adultes handicapés (AAH), c'est plutôt à la MDPH de répondre. Toujours est-il que des aménagements sont envisagés et envisageables, mais que, comme l'expliquait le vice-président Velou, un certain nombre de familles vivent dans des conditions qui ne permettent pas les adaptations attendues, qu'il s'agisse de l'habitat ou de l'accueil d'un fauteuil roulant.

M. Thomas Poisson. - Certains quartiers ressemblent en effet à des favelas, et l'accès aux bangas, ces maisons traditionnelles, est pratiquement mission impossible. Au nombre de places limité dans les établissements médico-sociaux, à l'inexistence de certaines structures d'accueil, à la jeunesse de la population - 75 % ont moins de 25 ans - s'est ajouté Chido...

M. Jacques Mikulovic. - En tout cas, l'accompagnement vers des diagnostics généralisés chez tous les enfants serait fortement utile. Les problèmes de déficit sensoriel, qu'ils frappent l'ouïe ou la vue, pourraient être résolus avec des dispositifs très simples.

Nous formons désormais tous les enseignants à la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. L'amélioration de l'inclusion scolaire passera par la formation des enseignants. Pour une grande partie des élèves, nous pouvons trouver des formes d'adaptation.

Après Chido, en dehors des problèmes matériels, de transport et de capacités d'accueil, nous avons tout de même répondu aux enjeux de scolarisation. Il y a eu, au début, une forme d'« éducation nationale bashing », qui n'avait pas lieu d'être. Les enseignants répondent présents. Les écoles sont ouvertes. Elles accueillent les élèves, et nous essayons de faire le « moins mal possible ». Pour le reste, nous travaillons sur la formation.

Notre problème principal est l'attractivité d'un certain nombre de fonctions et la faiblesse du vivier. Si cette difficulté existe dans l'Hexagone, elle est accentuée dans les outre-mer. L'exemple des psychologues de l'Éducation nationale est édifiant : nous avons les postes, pas les candidats. Cette situation est dramatique, et concerne d'autres catégories professionnelles.

Nous sommes pour l'instant en mesure de faire face aux recrutements d'ASH par rapport à des ouvertures potentielles de dispositifs. Nous devons poursuivre le renforcement de notre partenariat local. C'est l'objet de la prochaine réunion du comité départemental de suivi de l'école inclusive (CDSEI), au sein duquel nous travaillons conjointement avec l'ARS et les associations.

L'accessibilité reste un objectif difficile à atteindre à Mayotte compte tenu de son aménagement environnemental particulier. Je dois avouer que les contraintes - notamment l'accès pour les personnes à mobilité réduite (PMR) - sont très fortes par rapport au coût des reconstructions comme des constructions initiales. On ne peut certes pas nier la nécessité de l'accessibilité, mais, en cette période de disette budgétaire, il ne faudrait pas systématiser la contrainte. Dès lors que l'accueil est possible en rez-de-chaussée, il n'est peut-être pas nécessaire d'étendre les obligations aux étages. Je pense aux ascenseurs, qui soulèvent des enjeux de maintenance. Depuis que je suis arrivé à Mayotte, je n'ai jamais vu l'escalator de l'aéroport en service ! C'est encore plus délicat lorsqu'il s'agit d'un équipement municipal. Il y a là des enjeux de compétences et de maintenance d'appareils qui ne sont pas forcément adaptés aux contraintes environnementales actuelles. Nous n'en sommes donc qu'au début du chemin vers l'accessibilité pour tous et partout.

M. Thomas Poisson. - Concernant le recensement du handicap, peut-être pourrions-nous nous appuyer sur la protection maternelle et infantile (PMI) et sur le centre hospitalier de Mayotte (CHM) afin de détecter plus précocement les déficiences dans la tranche d'âge 0 à 6 ans. À partir de l'âge de 3 ans, et en vertu de la loi de 2019, les élèves sont scolarisés, mais nous avons encore un énorme déficit de recensement dans le premier degré.

Mme Barbara Denjean, directrice du pôle handicap de l'association Mlezi Maore, Institut médico-professionnel (IMPro) de Doujani. - L'association Mlezi travaille sur le terrain, principalement avec l'ARS et le conseil départemental. Je précise tout de même qu'il existe trois CAMSP sur le territoire, qui essayent d'accompagner, en tout cas de repérer les enfants de 0 à 6 ans. C'est peu, il y a peu de places, mais nous sommes présents.

En ce qui concerne la perception du handicap, il y a manifestement une réelle méconnaissance de l'offre médico-sociale. Lorsque les familles reçoivent leur notification MDPH, très peu savent ce qu'elles doivent en faire. Le contexte très particulier de l'île fait que, entre les notifications émises et le moment où les familles se présentent pour inscrire leur enfant dans nos établissements, la perte est déjà considérable.

Je rejoins ce qui a été dit : la faiblesse du dépistage et du repérage entraîne de grandes difficultés. Les enfants n'entrent pas tous à l'école à 3 ans, et il y a très peu de structures de crèches à Mayotte. Le repérage se fait donc à l'entrée à l'école. Je remarque, en tant que membre de la CDAPH, que les premières demandes de notification interviennent, en moyenne, à 10 à 12 ans. Cela interroge, car ces enfants peuvent développer des surhandicaps. Nous avons donc un gros travail à faire : nous devons repérer les enfants plus tôt et leur proposer un accompagnement immédiat.

Il arrive également que des enfants qui ont été repérés, par exemple dans les CAMSP ou au CMPP de Combani, soient perdus ou retrouvés tardivement, le temps que la notification arrive, que les familles s'en saisissent ou que les travailleurs sociaux leur expliquent de quoi il s'agit. Les ruptures de parcours sont donc très courantes à Mayotte. Nous sommes là complètement en dehors des attendus réglementaires.

On a parlé de croyances ou de déni. J'ajouterai - personne ne l'a évoqué, mais c'est très important - que plus de la moitié des enfants que nous accueillons ont des parents qui sont en situation irrégulière. Il est donc très frustrant pour nous de repérer un enfant, de le diagnostiquer et de préconiser des solutions - ne serait-ce qu'une paire de lunettes ou un appareillage classique - auxquelles sa famille ne pourra pas prétendre, faute d'être éligible à la sécurité sociale.

La loi de 2005 visait l'égalité des chances. Nous en sommes très loin à Mayotte. Les niveaux de scolarisation, d'insertion professionnelle, de participation citoyenne sont très en deçà de ce qu'ils devraient être. Le handicap étant plutôt tabou, nous sommes très loin également d'une expression et d'une reconnaissance du handicap en général. En matière d'accessibilité, les agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) qui devaient être mis en place au niveau national sont quasi inexistants à Mayotte. Nous-mêmes avons du mal à respecter la loi dans nos établissements. On compense, on adapte, on installe des rampes, mais il n'y a pas d'ascenseur. Nous sommes par ailleurs souvent sur du locatif et il est très difficile d'accéder à du terrain pour construire et rendre les établissements conformes aux attendus réglementaires. Nous faisons notre possible, mais l'accès aux bâtiments peut rester difficile pour des enfants à mobilité réduite.

Je ne reviens pas sur la PCH, qui a été évoquée, mais j'insiste sur la particularité de cette population qui, pour moitié du moins, dispose de droits très limités.

Chido a heureusement eu pour nous un impact assez limité. Nous avons finalement perdu très peu de familles et retrouvé tous nos enfants. Nous en sommes heureux. Certains de nos bâtiments ont en revanche été endommagés, ce qui restreint nos capacités d'accueil.

On pallie, on s'adapte, on développe davantage d'interventions à domicile, mais, lorsqu'il s'agit d'accueillir des enfants dans certaines structures, les difficultés persistent. Tous les sites ne disposent pas encore d'une connexion internet, ou les toitures n'ont pas été rénovées. Cependant, à 98 ou 99 %, les activités ont pu reprendre rapidement, bien qu'en mode dégradé.

Ce qui a peut-être changé, c'est l'attractivité. Nous étions déjà en tension à Chiconi. À titre d'exemple, sur le pôle handicap de Mlezi Maore, qui regroupe 200 salariés, 70 % des postes paramédicaux - infirmières, ergothérapeutes, orthophonistes - sont vacants. Il me semble qu'il n'y a que deux orthophonistes sur tout le territoire. Les psychologues aussi font défaut. Tous ces métiers nous manquent.

Cela signifie que l'accompagnement que nous proposons est dégradé par rapport aux prestations que nous devrions fournir. Nous faisons le maximum. Nos équipes sont très engagées, mais il manque l'aspect médical. Les médecins sont très rares. Nous faisons venir régulièrement des médecins de métropole pour des missions temporaires, de trois mois généralement, avant qu'ils ne repartent.

Nous essayons de développer la téléconsultation afin de pallier l'absence de professionnels, mais tout ne peut pas passer par ce biais, d'autant plus qu'il s'agit d'enfants, qui doivent être accompagnés pendant les téléconsultations. Les soins libéraux sont eux aussi très peu accessibles. Il existe donc une véritable difficulté concernant l'offre de soins et de suivi paramédical. C'est un enjeu fondamental pour le médico-social.

L'ARS propose de développer l'offre, ce qui est évidemment indispensable, compte tenu du manque de places et de dispositifs à Mayotte, même si, dans l'ensemble, nous disposons déjà de structures, mais je suis très inquiète quant à notre capacité à mobiliser des professionnels pour faire fonctionner les nouveaux dispositifs. L'une des grandes difficultés tient au fait que nous sommes en concurrence directe avec d'autres structures. Nous sommes une association financée principalement par l'ARS, avec un appui très partiel du conseil départemental pour certains dispositifs, comme les CAMSP. Nous ne pouvons pas nous aligner sur les salaires et les avantages proposés par le CHM ou d'autres administrations, faute de moyens budgétaires comparables. À Mayotte, les travailleurs associatifs - j'en fais partie - ne cotisent pas pour la retraite. Nous ne pouvons pas financer un treizième ou un quatorzième mois ni proposer de primes.

Le problème central aujourd'hui, comme M. Velou l'a rappelé, c'est la psychiatrie et la prise en charge des troubles psychiques. Nous disposons d'un CMPP, qui s'efforce de répondre aux besoins des personnes les plus en difficulté, mais l'offre reste extrêmement limitée.

Il n'existe pas d'hôpital de jour à Mayotte. Un groupe d'entraide mutuelle propose des activités pour les personnes souffrant de troubles psychiques, mais cela ne peut remplacer des soins adaptés.

Autre point critique : le secteur adulte. Sur le secteur enfant, nous couvrons l'ensemble du territoire. Les bassins sont globalement bien dotés, même si l'offre reste insuffisante. Mais pour les adultes, c'est le désert : quelques places en SAVS, quelques-unes en SAMSAH, aucun foyer de vie, aucun foyer d'hébergement. Les enfants qui sortent de nos établissements à 20 ans retournent presque tous au domicile familial. Il y a une véritable rupture de parcours. C'est alarmant, frustrant, et les familles sont en détresse. Que faire de son enfant à 20 ans ? Toutes les familles se posent cette question, et nous n'avons pas de réponse.

Concernant l'offre segmentée pour les publics en situation de handicap, nous sommes plutôt bien dotés pour les enfants. En revanche, il faut passer d'une logique de places à une logique de service coordonné, comme le préconise l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans le cadre de la transformation de l'offre médico-sociale. Cette approche modulaire permettrait davantage de souplesse et de dynamisme pour intégrer plus d'enfants. Actuellement, nos fonctionnements sont figés. Créer une dynamique autour des listes d'attente et des files actives nous permettrait d'accompagner plus efficacement.

Concernant la formation et le recrutement, M. Velou a évoqué la faiblesse de l'offre de formation sur le territoire : c'est une réalité. L'Institut régional du travail social (IRTS) est présent depuis peu, mais ne forme que de petites promotions de moniteurs-éducateurs, d'éducateurs spécialisés et d'accompagnants de vie scolaire (AVS). Cela ne couvre en rien nos immenses besoins. Les candidats doivent partir se former à La Réunion ou dans l'Hexagone. Certains ne reviennent pas, ou repartent rapidement. Il est essentiel de former les Mahorais sur place. Ils connaissent déjà le territoire, ce qui facilite leur intégration professionnelle. Les métropolitains, eux, ont besoin d'une phase d'adaptation, parfois infructueuse. Le turn over est très important.

Il existe un double problème : l'attractivité du territoire et la fidélisation des professionnels. La formation locale, adaptée au contexte mahorais, serait une piste d'amélioration majeure. Nous nous sommes interrogés sur les difficultés de recrutement, mais le manque d'attractivité du territoire pèse : l'insécurité, le déficit d'offre de soins, une école parfois perçue comme insuffisante par les familles venues de l'Hexagone. Tout cela dépasse la question des salaires.

L'accès à l'école est un sujet majeur pour nous. La scolarisation de tous les enfants devrait être la norme. Or, ce n'est pas le cas, même pour les enfants sans handicap, faute de places.

Pour les enfants en situation de handicap, c'est encore plus difficile. Certes, les AESH sont présents et plutôt bien formés, mais il manque des bâtiments accessibles, et surtout, les familles ne pensent pas à la scolarisation. Elles perçoivent encore les IME comme des écoles. Lorsque les enfants prennent le transport pour s'y rendre, les parents disent qu'ils vont à l'école. Or ce n'est pas le cas. Cela révèle une méconnaissance de l'école inclusive. Nos professionnels eux-mêmes n'ont pas encore pleinement intégré ce réflexe. Nous sommes très loin du compte, notamment à l'école primaire, là où l'on devrait pourtant agir pour prévenir les situations de surhandicap. Se pose aussi la question du droit à l'école, du droit à l'inscription pour les enfants en situation de handicap. Sur l'insertion professionnelle, nous avons ouvert en août dernier, avec le soutien de l'ARS, le premier Institut médico-professionnel (IMPro) et le premier Centre d'éducation spécialisée à l'apprentissage et au travail (Cesat Pro) de Mayotte. Ce sont de toutes petites structures : il n'y a que 8 places pour l'IMPro et 4 pour le Cesat Pro. Nous espérons pouvoir étendre ces dispositifs à l'ensemble du territoire.

Aujourd'hui, l'insertion professionnelle n'en est qu'à ses débuts. Dans les représentations, les personnes en situation de handicap ne sont pas perçues comme ayant des potentialités. L'enfant handicapé devient adulte, retourne à la maison, et la famille prend le relais. La société ne se projette pas encore dans une logique d'inclusion professionnelle. C'est à nous de faire émerger cette perspective. Nous espérons l'ouverture rapide des ateliers protégés pour accueillir les jeunes adultes sortant de nos dispositifs.

Chido a durement affecté les entreprises, qui peinent à se relever. L'insertion professionnelle est d'autant plus difficile. Comme l'a souligné Mme Meunier, aucun dispositif fléché de type Cap emploi n'existe encore à Mayotte.

Enfin, concernant l'accessibilité des transports et des bâtiments, nous avons déjà évoqué les limites criantes.

Concernant la participation des personnes handicapées, nous organisons bien sûr des conseils de la vie sociale (CVS) et des groupes d'expression, mais libérer la parole reste difficile. Les familles nous considèrent encore comme les sachants, et se contentent d'écouter. Il faut donc mener un travail en profondeur sur les droits et sur l'autodétermination. Ce mot reste très éloigné de la réalité mahoraise.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Les Jeux paralympiques ont révélé une réalité préoccupante : la participation des ultramarins y a été nettement plus faible que celle des athlètes valides.

Disposez-vous, dans les outre-mer, d'équipements adaptés pour les personnes en situation de handicap ? Constate-t-on une volonté politique affirmée et des efforts concrets pour combler ce retard ? La même problématique se pose en matière d'accès à la culture.

Monsieur le Recteur, disposez-vous de statistiques relatives à la capacité des personnes en situation de handicap à poursuivre des études, notamment dans l'Hexagone ? Existe-t-il un accompagnement spécifique, ou bien ces étudiants sont-ils livrés à eux-mêmes ? Avez-vous mis en place des passerelles avec les MDPH et l'ensemble des dispositifs existants en métropole afin de ne pas compromettre l'avenir de ces jeunes ?

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Concernant l'inclusion scolaire, j'aimerais comprendre ce que représente concrètement le chiffre de 20 %. J'aimerais également obtenir davantage de précisions sur les notifications d'AESH : combien sont en poste sur le territoire, et, en moyenne, combien d'enfants leur sont confiés ?

La maison territoriale de l'autonomie à Saint-Pierre-et-Miquelon semble une source d'inspiration pour Mayotte. Nous avons auditionné ses représentants vendredi dernier. Le modèle envisagé s'appuie-t-il intégralement sur leur système, qui va du guichet unique jusqu'à l'attribution des compensations, notamment financières, ou ne reprend-il que certaines étapes de leur dispositif ?

M. Jacques Mikulovic. - Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) n'ont pas eu ici le même impact. Pour autant, un important mouvement de soutien s'est formé autour de l'athlète mahorais finaliste du 110 mètres haies, Raphaël Mohamed, qui a ensuite été accueilli dignement à Mayotte. En ce qui concerne la pratique paralympique, nous organisons systématiquement, en milieu scolaire, dans le cadre de l'Union nationale du sport scolaire (UNSS), des épreuves de sport partagé. Les élèves présentant des besoins éducatifs particuliers y sont pleinement associés.

Pour ce qui est des activités culturelles, l'éducation nationale, avec le soutien de la direction des affaires culturelles (DAC), mène un certain nombre d'initiatives. Hier encore, j'ai assisté à des représentations théâtrales où les élèves en situation de handicap participaient activement, chacun selon ses capacités. Quant à leur avenir dans l'enseignement supérieur, il nous faut renforcer la coopération avec l'Université et la MDPH. Pour les élèves en situation de handicap (ASH), l'égalité doit demeurer le principe directeur.

M. Thomas Poisson. - Pour ce qui est des continuités post-baccalauréat pour les étudiants, la compétence relève davantage du service départemental de l'école inclusive (SDEI), que je représente ici, en lien avec le référent handicap de l'université et la MDPH, auprès desquels il serait possible d'obtenir les chiffres précis.

Nous disposons actuellement de 220 équivalents temps plein (ETP) d'AESH. Cela représente environ 320 personnes mobilisées.

Ces trois dernières années, les ouvertures de postes ont été définies en fonction de la visibilité dont nous disposions, notamment de notre capacité à bénéficier de notifications permettant un accompagnement effectif des élèves. Jusqu'ici, les effectifs augmentaient d'environ 10 ETP par an. Toutefois, cette année, grâce à l'appui du partenaire qu'est la MDPH, le volume a été triplé : nous prévoyons une ouverture de trente postes supplémentaires. Ainsi, à la rentrée, les effectifs passeraient de 220 à 250 ETP, ce qui représenterait environ 360 AESH sur le territoire.

M. Madi Velou. - La délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) a recensé une cinquantaine d'équipements sportifs. En comparaison des besoins du territoire, cela constitue une offre relativement satisfaisante. Néanmoins, les jeunes de moins de 18 ans demeurent majoritaires au sein de la population, et les éducateurs chargés d'accompagner cette jeunesse sont en nombre insuffisant. Il faut le dire sans détour : les personnes en situation de handicap sont presque totalement exclues de l'accès à la pratique sportive.

Pour ce qui est de l'accès à la culture, quelques initiatives existent, portées par des parents eux-mêmes, accompagnés par des associations ou par certaines entreprises à vocation sociale. Celles-ci encouragent les familles à orienter une minorité d'enfants et de personnes en situation de handicap vers les offres culturelles présentes sur le territoire.

Dans ce domaine également, un travail de fond reste à mener.

Mme Ségolène Meunier. - Du côté de la MDPH, nous dénombrons actuellement 252 notifications d'AESH : 161 pour des demandes individuelles et 91 pour du mutualisé. Mais nous avons du retard dans le traitement des dossiers et les évaluations, à la suite d'une crise ayant touché nos services : il faut plutôt retenir entre 400 et 450 notifications d'AESH attendues.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Ayant été rapporteur pour avis du projet de loi pour la refondation de Mayotte, je rappelle que l'article 1er de cette loi comprend un rapport annexé fixant un certain nombre d'orientations. J'ai donc examiné attentivement tout ce qui relève du champ du handicap, afin de m'assurer que ce sujet était bien pris en compte.

En matière de scolarisation, le Gouvernement a prévu un budget de 680 millions d'euros destiné au développement des salles de classe, mais également au déploiement des pôles d'appui à la scolarité et des dispositifs spécifiquement dédiés aux élèves en situation de handicap.

Dans le champ de la santé, une enveloppe de 31,3 millions d'euros est prévue pour le développement de nouvelles solutions. Il s'agit là d'une formidable occasion de faire remonter des initiatives innovantes issues du territoire. Les Mahorais et les acteurs locaux sont en effet les mieux placés pour identifier les dispositifs adaptés aux besoins de la population.

Concernant les personnes âgées, 9,1 millions d'euros seront alloués au développement de l'offre médico-sociale. La maison départementale fera également l'objet d'un accompagnement, même si ce soutien n'a pas encore été chiffré.

Vous avez eu raison d'alerter sur les questions liées à la psychiatrie. Ce volet ne figure pas dans les préconisations actuelles et mérite donc une attention particulière.

Concernant la convergence sociale, 22 millions d'euros seront mobilisés pour développer de nouvelles solutions en faveur des personnes en situation de handicap. Toutefois, les contours de ces solutions n'ont pas été précisés. Une somme de 7 millions d'euros supplémentaires est prévue pour financer des formes d'hébergement adaptées.

Dans le cadre de la politique du logement, certaines constructions, notamment celles qui relèvent de l'offre sanitaire et médico-sociale, seront considérées comme prioritaires. Je pense notamment aux dispensaires. Une programmation annuelle des investissements devra être présentée au Parlement avant le 31 décembre 2025. Les représentants du territoire doivent se rapprocher du général Facon, chargé de la mise en oeuvre de la refondation de Mayotte, afin de faire remonter les propositions les plus adaptées aux réalités locales.

Je sais pouvoir compter sur les acteurs du territoire, et vous pourrez compter sur nous. Les parlementaires resteront attentifs à toutes les remontées en provenance du terrain. Les difficultés de Mayotte en matière de handicap sont bien identifiées.

Je souhaitais également poser une question sur le recensement des enfants en situation de handicap. Sont-ils tous identifiés ? Vous avez en partie répondu : près de 50 % d'entre eux seraient issus de familles en situation irrégulière. C'est un enjeu spécifique, et il faudra, sur ce point aussi, envisager des solutions innovantes.

M. Madi Velou. - Du côté de la MDPH, des engagés en service civique ont été déployés sur le terrain. Nous les appelons des « ambassadeurs d'accessibilité ». Leur mission consiste à recenser les besoins et à assurer un travail d'explication auprès de la population.

Je le rappelle, deux camions-bureaux mobiles ont été commandés et réceptionnés. Ils seront mobilisés pour atteindre un objectif clair : disposer, d'ici la fin de l'année, de chiffres précis, village par village, sur le nombre de personnes en situation de handicap, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes.

Vous avez évoqué le général Pascal Facon. Comme d'autres partenaires ici présents, j'ai participé au séminaire social organisé sous son autorité. Cependant, l'information m'est parvenue seulement deux jours avant. La représentation départementale n'a pas été suffisamment associée à la préparation de cet événement, ce qui ne nous a pas permis de présenter l'ensemble des dispositifs existants au sein du département.

La question sociale n'a pas, selon moi, été suffisamment prise en compte dans la mission confiée au général Facon. Certes, ce dernier mène d'autres chantiers avec efficacité, notamment en matière de reconstruction du bâti et des infrastructures, mais il me paraît nécessaire que nos notes respectives puissent vous éclairer sur nos constats, car je ne suis pas seul à partager cette analyse. Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter les articles de presse publiés aussitôt après, qui ont largement relayé ce qui s'est déroulé au sein de la Technopole. La question sociale appelle un accompagnement spécifique, assuré par des personnes véritablement au fait des enjeux.

Pour conclure, permettez-moi de revenir sur la situation démographique de Mayotte. Selon l'Insee, le territoire compte moins de 330 000 habitants. Les élus locaux, quant à eux, évoquent plutôt 500 000 habitants, mais pas plus. Nous ne sommes donc pas si nombreux que cela. La solidarité nationale doit aider ce territoire à se mettre à niveau et permettre d'accompagner dignement les personnes vulnérables.

M. Patrick Boutié. - On a évoqué tout à l'heure la question de l'attractivité, en soulignant qu'un projet collectif pouvait mobiliser autour de l'envie de venir travailler à Mayotte. Évidemment, les projets que nous portons collectivement participent à cette dynamique d'attractivité fondée sur un projet partagé.

Dans le cadre du projet de loi pour la refondation de Mayotte, un volet spécifique porte sur l'attractivité des professionnels du secteur sanitaire. Je sais que la ministre chargée de l'autonomie a souhaité compléter ce dispositif en y intégrant le champ de l'autonomie et de l'accompagnement des personnes en situation de handicap. J'ignore où en sont les travaux, mais ils ne semblent pas avoir pleinement abouti.

Je souhaite revenir sur la convention signée en février entre l'État, le conseil départemental et l'ARS. Dans ce cadre, une cartographie des besoins en emplois avait été demandée. Il me semble que ce travail devrait être finalisé à la mi-juin.

M. Jacques Mikulovic. - Concernant l'Éducation nationale, 50 % des élèves de Mayotte se trouvent dans des situations administratives encore floues. C'est le reflet de la situation locale, et cette proportion se retrouve également parmi les élèves en situation de handicap. Ce sont des enfants que nous scolarisons du mieux possible.

L'espoir demeure que cette jeunesse puisse envisager des perspectives d'avenir. L'une des préoccupations majeures des jeunes à leur entrée au lycée réside dans leur situation administrative. Celle-ci a un impact direct et massif sur leur santé mentale. Il n'est pas nécessaire de passer beaucoup de temps dans un lycée pour être interpellé par un élève vous demandant : « Pouvez-vous m'aider à avoir mes papiers ? » Cette angoisse est omniprésente. Elle touche l'ensemble des élèves, et tout particulièrement les jeunes filles, souvent brillantes, qui aspirent à un avenir, à des opportunités, et se heurtent à une impasse.

Certes, l'immigration constitue une problématique au regard du flux et de l'ampleur des arrivées, mais, dans le même temps, nous formons des jeunes à qui nous ne donnons aucune perspective. Cette contradiction crée un mal-être profond, qu'il faut reconnaître et prendre en charge. Il est aussi présent au sein des équipes pédagogiques, qui se sentent démunies.

Par ailleurs, sur la question de l'attractivité, nous observons, au niveau du second degré, que 60 % des enseignants sont contractuels. Jusqu'ici, l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec) n'intervient pas à Mayotte : aucune cotisation n'est versée pour ces enseignants contractuels, alors même que c'est obligatoire. Ce régime fonctionne à l'hôpital, car les contrats y relèvent d'un cadre national. En revanche, dans l'Éducation nationale, ce manquement persiste. Il serait juste que cette situation soit enfin prise en compte, car elle constitue une réelle inégalité pour nos collègues contractuels, dont un grand nombre exerce à Mayotte.

Mme Barbara Denjean. - Dans le cadre de l'IMPro, par exemple, nous accueillons des enfants, ou plutôt de grands adolescents, jusqu'à l'âge de 20 ans, conformément à la réglementation.

Nos établissements reçoivent également des jeunes dont la situation administrative demeure non régularisée. À 18 ans, ces jeunes ne peuvent ni accéder à un emploi ni effectuer de stage. C'est une difficulté majeure : bien que nous ayons pour mission de les accompagner jusqu'à 20 ans, nous nous trouvons contraints de renoncer à leur proposer un accompagnement vers le monde professionnel, en raison du flou administratif qui entoure leur situation. Ce blocage représente un véritable obstacle à l'insertion professionnelle des jeunes en situation de handicap.

Mercredi 18 juin 2025

Audition de Mme Charlotte PARMENTIER-LECOCQ, ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l'Autonomie et du Handicap

Mme Micheline Jacques, présidente. - Pour conclure notre cycle d'auditions - entamé fin janvier - sur la politique du handicap outre-mer, nous auditionnons Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l'Autonomie et du Handicap.

Avec nos trois rapporteurs Audrey Bélim, Annick Petrus et Akli Mellouli, nous vous remercions, Madame la ministre, pour votre présence afin de faire le point ensemble à quelques jours de la présentation de ce rapport.

Vous le savez par le questionnaire qui vous a été transmis, nos questions sont nombreuses : elles portent sur la mise en oeuvre de la politique du handicap dans les outre-mer depuis la grande loi de 2005 mais aussi sur l'offre médico-sociale, l'accessibilité, le handisport, la participation et ou encore sur la situation des enfants...

Nous souhaiterions aussi vous entendre sur vos priorités pour les outre-mer.

Nous venons d'effectuer un déplacement en Guadeloupe, à Saint Martin et à Saint Barthélemy, nous y avons rencontré de très nombreux acteurs et parties prenantes : rectorat, Agence régionale de la santé (ARS), collectivités territoriales, chefs d'établissement, associations, éducateurs, professionnels médico-sociaux, parents, et naturellement personnes en situation de handicap. Vous connaissez les singularités de nos petits territoires ultramarins, ce qui supposent d'imaginer des dispositifs innovants et de revoir les critères habituels de financements ou de création de places. Merci, donc, de votre participation à nos travaux.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l'Autonomie et du Handicap. - Merci pour ce cycle de travail sur les enjeux du handicap outre-mer. Je suis très attachée aux territoires ultramarins, d'autant plus qu'étant native de la Guadeloupe, je sais l'importance d'utiliser le prisme ultramarin dans l'application de toutes nos politiques publiques, car nos territoires ont des particularités par l'insularité, l'éloignement de l'Hexagone, et bien d'autres spécificités propres à chaque territoire, qu'il faut prendre en compte. C'est pourquoi, dès ma nomination et déjà dans le précédent gouvernement, j'ai souhaité me déplacer dans nos territoires ultramarins - j'ai pu me rendre à La Réunion, à Mayotte, en Guadeloupe, en Martinique à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, je me rendrai prochainement en Guyane et je veux aller aussi à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour chacun de ces déplacements, j'ai eu à coeur de dialoguer avec les autorités locales sur la situation et les besoins spécifiques, de façon à ce que mon déplacement soit l'occasion de formaliser un partenariat entre l'État et la collectivité territoriale, puisque nos politiques dédiées au handicap sont copilotées État et département, ou la collectivité territoriale qui en porte la compétence.

L'engagement fort pris par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap en 2023 se déploie progressivement sur les territoires - et il faut prendre en compte le besoin particulier d'avancer dans nos territoires ultramarins, car l'offre médico-sociale et la réponse aux personnes en situation de handicap y sont encore en retard par rapport à l'Hexagone. Nos territoires ultramarins sont dans des situations très contrastées. À Mayotte et en Guyane, la démographie est croissante et la population très jeune, avec une prévalence du handicap au-dessus de la moyenne nationale ; aux Antilles, on observe un vieillissement fort de la population et des enjeux très marqués sur les personnes en situation de handicaps liés au vieillissement. Les chiffres ont de quoi nous préoccuper : 8 % des jeunes de 15 à 24 ans et 12 % des personnes de 25 à 64 ans qui vivent dans les territoires ultramarins sont en situation de handicap, c'est plus que dans l'Hexagone. Nos territoires ultramarins sont également marqués par une part plus significative de familles monoparentales, ce qui rend les situations plus compliquées pour les parents d'enfants en situation de handicap ; les taux de pauvreté y sont également supérieurs, et le taux d'emploi, plus faible.

Ces constats confirment la nécessité d'adapter nos politiques publiques aux spécificités de nos territoires ultramarins - qui subissent, de surcroit, des catastrophes naturelles particulières. Je pense bien sûr au cyclone Chido, qui a frappé Mayotte en décembre dernier ; pour accorder la plus grande attention aux personnes en situation de handicap, j'ai mis en place un comité de suivi de la situation à Mayotte, en lien avec le préfet, l'ARS et le département, chargé d'identifier les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Un tel suivi répond à l'engagement que la France a pris lors premier G7 du handicap en Italie. Nous savons que dans les crises climatiques, les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap sont négligés, nous avons voulu y porter la plus grande attention ; nous avons fait émerger des instances de dialogue, qui se sont maintenues, et j'ai signé une convention de partenariat avec le département pour déterminer des actions à conduire, en particulier la création de places d'accueil ; ce sera une avancée très importante puisqu'à Mayotte, nous visons la création de 500 nouvelles places - des budgets importants ont été définis entre l'État et le département pour accélérer la création d'offres médico-sociales, et le projet de loi dédié à Mayotte va prendre en compte les spécificités que nous avons identifiées.

Cette action à Mayotte illustre une volonté plus large qu'a l'État de rattraper le retard de l'offre médico-sociale dans nos territoires ultramarins, avec une enveloppe spécifique de 150 millions d'euros dédiée aux territoires ultramarins.

J'ai entamé un tour de France des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour faire le point sur les délais de traitement des dossiers, qui sont vécus comme très longs par nos concitoyens, avec des disparités territoriales importantes. Dans ce tour de France des MDPH, je veux identifier les solutions trouvées dans les territoires pour accélérer et simplifier les procédures, faire que les agents des MDPH soient plus disponibles pour accompagner les personnes handicapées. Dans mes déplacements outre-mer, j'ai rencontré les usagers, les agents des MDPH - il est très important de prendre en compte les spécificités ultramarines dans nos politiques publiques, mais de voir aussi que nos territoires ultramarins sont des fers de lance et des moteurs d'innovation. À La Réunion, par exemple, les Maisons France Service accompagnent les personnes en situation de handicap, notamment les personnes sourdes, avec des outils de dialogue adaptés, c'est un exemple à suivre ; en Guadeloupe, le relayage apporté aux aidants familiaux est bien avancé ; à Mayotte, des approches innovantes sont engagées, le contexte d'intervention est complexe, par exemple l'intervention dans les bangas, et c'est une raison supplémentaire pour innover - nos territoires ultramarins peuvent être les fers de lance de l'innovation et de la transformation des pratiques, c'est important de le reconnaitre.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Le comité interministériel pour l'outre-mer (Ciom) de juillet 2023 a prévu 150 millions d'euros pour renforcer l'offre médico-sociale à destination des personnes en situation de handicap outre-mer : où en est-on de leur affectation, par territoire ? Allez-vous traiter de ce sujet lors du prochain Ciom, prévu le 10 juillet prochain ?

Où en est, ensuite, le déploiement des pôles d'appui à la scolarité ? Il y a de l'inquiétude, liée aux difficultés d'effectifs dans les MDPH, nous avons besoin d'y voir un peu plus clair.

Enfin, je souscris à votre propos sur l'innovation dans nos territoires. Connaissez-vous l'outil TéléDiag, un réseau collaboratif de téléradiologie, qui permet d'établir à distance des diagnostics sur l'autisme, notamment pour les adultes en déficience intellectuelle ? Nous l'avons expérimenté à La Réunion et nous proposons d'étendre l'expérimentation à d'autres territoires, y compris dans l'Hexagone, dans les territoires où il y a une pénurie de spécialistes.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - On a tendance à se soucier des enfants, car une prise en charge précoce est décisive ; cependant, je m'inquiète pour les jeunes adultes, car la prise en charge s'arrête à âge donné : que deviennent-ils ensuite ? Il n'y a pas suffisamment de capacité d'accueil pour qu'ils continuent leur vie de manière correcte.

Des entreprises, ensuite, recourent au paiement d'une compensation plutôt que de recruter des personnes en situation de handicap : sait-on quels sont leurs arguments, et comment y répondre ? Parce qu'on forme des personnes handicapées, des centres de formation font un bon travail, nous l'avons constaté par exemple lors de notre visite en Guadeloupe ; mais les personnes en situation de handicap ont-elles une chance que les entreprises les embauchent, après leur formation ?

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Je veux vous alerter sur les difficultés d'accès à la culture et au sport pour les personnes en situation de handicap outre-mer. Aux Jeux olympiques et paralympiques, 12,24 % des athlètes aux Jeux olympiques étaient originaires de nos territoires ultramarins, mais seulement 5,91 % aux Jeux paralympiques.

Quel effort compte-t-on faire pour adapter les équipements ? En Guadeloupe, j'ai constaté que l'handisport est plus avancé, mais il y a aussi le sport adapté. Comptez-vous mettre en place un plan d'action pour développer l'handisport et le sport adapté dans nos outre-mer ? Et prévoyez-vous un plan pour l'accès à la culture ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Le Ciom de 2023 a effectivement inscrit 150 millions d'euros, que nous sommes en train de déployer dans les territoires. Ainsi, la convention entre l'État et le département de La Réunion prévoit que l'État apporte 29 millions d'euros et le département 29 millions d'euros en fonctionnement, auxquels l'État ajoute 10 millions d'euros en investissement. Nous avons par exemple des projets de transition inclusive de l'habitat et des projets d'accueil de jour. Je vous communiquerai l'ensemble des chiffres par territoire sur les conventions déjà signées.

Je n'avais pas connaissance du dispositif TéléDiag, je vais l'examiner avec attention. Des innovations apparaissent dans certains territoires pour surmonter des difficultés particulières, il faut les essaimer si elles sont pertinentes ailleurs, et je vous remercie de m'avoir signalé cette expérimentation.

Le déploiement des pôles d'appui à la scolarité soutient l'école inclusive et l'accueil des enfants en situation de handicap à l'école. Le principe est que des professionnels du médico-social renforcent des professionnels de l'Éducation nationale pour identifier les besoins particuliers des enfants et mettre en place les solutions adaptées. La Réunion sera l'un des prochains départements à bénéficier de ces pôles d'appui à la scolarité. Dans nos territoires ultramarins, il est parfois difficile de trouver les professionnels pour répondre à ces besoins, il y a un enjeu d'attractivité des métiers concernées, nous y travaillons avec mes collègues Astrid Panosyan-Bouvet et Catherine Vautrin. Les pôles d'appui à la scolarité sont appréciés par les professionnels du médico-social, parce que l'organisation en est fluide, efficace et tournée vers l'enfant, apportant des solutions rapides. Cependant, de nombreux territoires ultramarins rencontrent des problèmes pour recruter des professionnels du médico-social ; il faut tenir compte aussi des coûts de l'immobilier et de la vie, c'est particulièrement le cas à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, par exemple. Nous travaillons avec les collectivités locales pour offrir des solutions immobilières aux professionnels du médico-social.

La formation dans les territoires est également un enjeu. Nous allons examiner, avec les collectivités, comment développer la formation médico-sociale dans les territoires ultramarins. Cela représente un gisement d'emplois important pour les jeunes issus de ces territoires. Nous allons débattre de ces questions lors du prochain Ciom, l'offre médico-sociale et la recherche de professionnels doivent faire partie de l'équation.

Je partage votre préoccupation pour les jeunes adultes : ils veulent, quel que soit leur handicap, être insérés pleinement dans la société. Les conventions que nous avons signées doivent aider à trouver des réponses, en particulier dans le cadre des « 50 000 solutions ».

Je partage également votre souhait de mobiliser davantage les entreprises. Lors du comité interministériel du handicap du 6 mars, le Premier ministre a réaffirmé la fermeté du Gouvernement : il faut que les entreprises respectent leurs obligations d'emploi vis-à-vis des personnes en situation de handicap. Nous allons faire évoluer le dispositif emploi accompagné pour l'inscrire au sein de France Travail et ainsi faciliter l'accompagnement de personnes en situation de handicap dans l'emploi par des professionnels du médico-social. Cela devrait aider à lever certains freins que peuvent rencontrer les employeurs.

Nous sommes déterminés à mettre fin à la liste d'emplois a priori fermée aux personnes en situation de handicap. Nos jeunes en situation de handicap sont motivés et même déterminés à exercer leurs compétences, de nombreux exemples montrent à quel point ils sont capables d'apporter beaucoup à nos entreprises.

L'accès au sport et à la culture est un enjeu majeur. Le Premier ministre a réaffirmé cet engagement dans le dernier comité interministériel du handicap. Nous allons accompagner les projets d'accessibilité des équipements et des lieux avec le fonds d'appui à l'accessibilité. Nous allons également sensibiliser les clubs sportifs et former les entraîneurs pour qu'ils soient capables d'accueillir des pratiquants en situation de handicap. Ces principes seront réaffirmés avec les JO de 2030 dans les Alpes, qui, même s'ils ne concernent que peu les territoires ultramarins, seront une nouvelle occasion de valoriser nos parathlètes et le sport pour les personnes en situation de handicap. Du reste, les fonds d'intervention régionaux peuvent contribuer à financer des projets d'accessibilité au sport et à la culture, notamment dans les outre-mer.

M. Akli Mellouli. - Nous avons constaté un manque d'informations sur la situation des étudiants ultramarins en situation de handicap. Comment les aider à faire des études dans un environnement accessible, y compris dans l'Hexagone ? Quelles passerelles mettre en oeuvre ? Nous n'avons obtenu que peu de réponses à nos questions, en particulier sur les statistiques. Il semble que cette population soit invisible, comme les jeunes adultes qui entrent dans la vie active

Mme Évelyne Perrot. - Y a-t-il des associations d'amis de parents d'enfants inadaptés (AAPEI) dans les territoires ultramarins ? Elles fonctionnent très bien dans nos départements hexagonaux, offrant un encadrement aux enfants et aux jeunes adultes, avec l'aide de professionnels médico-sociaux, de kinésithérapeutes et de formateurs. Elles peuvent également aider les jeunes adultes à se loger et à gérer leur budget. C'est un système très efficace : comptez-vous aider leur déploiement outre-mer ?

Mme Vivette Lopez. - Je voudrais vous parler d'une école primaire dans le Gard, une école privée qui accueille des enfants qui n'ont pas été acceptés dans les classes dites normales. Le résultat est là : les enfants se mélangent, ils ont compris l'intérêt de cette mixité. Je pense à un enfant autiste qui joue au rugby et qui est demandé par les autres enfants pour rejoindre leur équipe. ; les enfants accueillis sont même invités à des anniversaires chez les autres - c'est une école qui fonctionne très bien.

Peut-on dupliquer ce modèle ailleurs, y compris outre-mer ? Dans le sens inverse, avez-vous des exemples d'innovations outre-mer qui pourraient être dupliquées en métropole ?

Le 3 décembre, le Sénat organise une grande journée sur le handicap. Prévoyez-vous un événement similaire au sein de votre ministère ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Je crains de manquer d'informations sur la situation des étudiants ultramarins en situation de handicap, je vous propose de revenir vers votre délégation après avoir recueilli plus d'éléments. La question de l'inclusion des étudiants à l'université est un enjeu majeur, tout comme l'école inclusive. Nous suivons de près la suite des parcours. Des appels à manifestation ont été lancés pour valoriser des projets d'université inclusifs. L'inclusion crée une émulation avec l'ensemble des étudiants, elle a un impact vertueux pour tous. Nous développons la formation au handicap dans les formations, notamment pour les étudiants en santé, pour qu'ils connaissent les handicaps et sachent les appréhender dans leur futur métier. Je reviendrai vers vous avec des éléments plus précis sur les étudiants ultramarins en situation de handicap.

Le Gouvernement travaille avec les AAPEI, ces associations sont des acteurs majeurs partout sur le territoire, y compris dans nos territoires ultramarins. Nous les avons identifiées et nous travaillons avec elles pour construire des réponses adaptées et offrir une réponse individualisée d'accompagnement. La France applique la Convention internationale des droits des personnes en situation de handicap - nous avons collectivement pris l'engagement de construire des réponses qui suivent les projets des personnes en situation de handicap : ces personnes ont leur projet, nous construisons les solutions d'accompagnement à partir de ces projets et les AAPEI s'inscrivent parfaitement dans cette démarche.

Le ministère est très engagé dans le DuoDay, la journée pour l'inclusion des personnes en situation de handicap, c'est un événement de sensibilisation des entreprises. Nous réalisons chaque année une vidéo pour inviter les entreprises à s'y engager. Le ministère participe chaque année et peut aider, accompagner, mettre en relation des employeurs et des jeunes en situation de handicap.

Nous considérons, nous aussi, que la place des enfants en situation de handicap est à l'école, mais avec un accompagnement. C'est cela, l'école inclusive : les enfants se côtoient et vivent ensemble, mais avec une réponse adaptée aux besoins médico-sociaux de l'enfant en situation de handicap. Nous développons les unités externalisées dédiées à l'autisme, qui permettent d'avoir une classe et des temps dédiés, accompagnés par des professionnels formés. C'est le creuset de notre société inclusive et cela commence à l'école.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous transmettrai des informations sur l'expérimentation TéléDiag, qui a reçu le prix national de e-Santé en 2023 ; c'est le seul dispositif de télé-diagnostic présent en France, il est précieux pour les territoires manquant de spécialistes.

Lors de notre déplacement en Guadeloupe, on nous a dit que la mobilité était l'un des principaux freins à l'inclusion. En tant qu'insulaires, les problèmes de mobilité impactent les familles, les foyers, on doit parfois se déraciner pour suivre le meilleur protocole de soins - la question de la mobilité est centrale.

M. Jean-Gérard Paumier. - Le Ciom de juillet 2023 a affecté 150 millions d'euros à l'intervention pour les personnes en situation de handicap outre-mer : deux ans plus tard, quel montant en a été fléché, par territoire ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Merci encore de me signaler TéléDiag, Avec mon collègue Yannick Neuder, nous avons lancé une mission pour faire le bilan de la situation et repérer des bonnes pratiques à essaimer - je lui transmettrai cette expérimentation.

La mobilité est effectivement centrale. J'ai rencontré des personnes qui doivent prendre des heures pour se rendre dans leur foyer, c'est très pénalisant. Lors du comité interministériel du 6 mars, nous avons décidé de lancer une réflexion avec les collectivités pour améliorer la mobilité du quotidien. Nous allons chercher des solutions qui fonctionnent à l'échelle des territoires.

Quelques chiffres sur la répartition des 150 millions d'euros : nous mobilisons près de 13 millions d'euros en fonctionnement et 1,6 million en investissement en Guadeloupe, et le département cofinance à hauteur de près de 5 millions en fonctionnement et 16 millions en investissement. La Martinique bénéficiera d'un engagement de 22 millions d'euros en fonctionnement et 2 millions d'euros en investissement. Mayotte recevra près de 29 millions d'euros en fonctionnement et 2,5 millions en investissement. Les discussions sont encore en cours avec la Guyane, où je me rendrai prochainement. Je vous communiquerai un tableau consolidé une fois les discussions terminées.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Notre collègue de Wallis-et-Futuna m'a demandé de vous interroger sur l'extension de la loi de 2005 à son territoire. Vous avez évoqué les professions paramédicales, qui manquent dans les territoires ultramarins, notamment en raison des difficultés de logement. Pourquoi ne pas promouvoir des branches d'enseignement dans les écoles de médecine ultramarines, afin que les étudiants se forment en ergothérapie, psychomotricité et autres fonctions indispensables à l'accompagnement des familles et des enfants en situation de handicap ?

Il y a des innovations dans nos territoires, mais parfois la loi les rend plus difficiles ou les empêche. Pourquoi ne pas soutenir le projet de maisons du poly-handicap, mutualisant les ressources et permettant aux paramédicaux d'intervenir au sein des écoles ? Cela répondrait aux difficultés d'inclusion rencontrées par les enseignants et les assistants d'éducation. Une expérimentation menée à l'école de Gustavia avec une orthophoniste, a eu des résultats très bénéfiques pour les enfants et le personnel d'encadrement.

Enfin, il faudrait prévoir des quotas pour les personnes en situation de handicap dans les logements sociaux, et y réserver des logements pour les professions paramédicales.

Je voudrais vous signaler une initiative intéressante : moneuropsy.com. Cette plateforme, créée par un neuropsychiatre, vise à accélérer les diagnostics et à répondre aux aidants qui se sentent démunis. Elle permet de mieux accompagner à domicile les personnes en grande détresse, notamment les personnes âgées.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - La compétence visée par votre collègue de Wallis-et-Futuna dans la loi de 2005 ne relève pas de l'État, mais de la collectivité, c'est elle qui a la pleine compétence. Mon cabinet, en lien avec l'équipe de votre collègue, va proposer un échange direct avec la collectivité pour regarder dans quel sens l'État pourrait aider à avancer.

Il faut construire des réponses adaptées aux territoires, elles ne sont pas les mêmes à Saint-Barthélemy et à La Réunion, par exemple. Sur des petits territoires, une forme de polyvalence se développe pour répondre à l'ensemble des besoins des enfants ou des adultes en situation de handicap. Le monde du médico-social s'imbrique dans le milieu dit « ordinaire » pour y apporter les réponses, c'est une très bonne chose.

La formation à différentes formes de handicap est un enjeu clé, il faut former les professionnels du médico-social, offrir des formations plus en proximité et des réponses plus proches c'est un enjeu majeur sur lequel il faut continuer à avancer.

Mme Micheline Jacques, présidente. - J'ai omis de mentionner un point qui nous avait été signalé à Saint-Martin : les orientations par défaut. Au lycée de Saint-Martin, une classe est réservée aux élèves en unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), mais la demande est supérieure et certains élèves se retrouvent orientés dans des classes dites normales. Les accompagnements sont parfois complexes, notamment lorsque les parents sont invités à quitter le territoire pour rejoindre une structure adaptée à l'extérieur. Cela est très mal vécu par les familles. Dans le même temps, des élèves relevant de sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa) ne trouvent pas de classe à Saint Barthélémy, parce qu'il n'y a pas de Segpa sur notre île, et les parents hésitent à inscrire leur enfant hors de leur île. Ainsi, une jeune fille pourrait aller en classe spécifique au collège de Saint-Barthélemy, alors que c'est d'une Segpa qu'elle relève - cette situation n'est guère satisfaisante.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - À Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin, nous faisons un travail de diagnostic avec la collectivité territoriale pour définir les besoins, les partager entre l'ARS et la collectivité, et construire des solutions ensemble qui soient les plus adaptées, compte tenu des spécificités : il faut commencer par ce diagnostic partagé.

Mme Micheline Jacques, présidente. - J'ai noté votre attachement aux territoires ultramarins, votre maîtrise des enjeux et les difficultés de chaque territoire, la nécessité de territorialiser et de développer des solutions innovantes. Notre rapport fera des recommandations et vous pourrez compter sur notre soutien pour les mettre en oeuvre. Merci encore pour votre participation à nos travaux.

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