C. DES ACTEURS ENCORE FRAGILES FACE À UN MANQUE DE PLANIFICATION DES POLITIQUES
1. Des MDPH en voie de consolidation
Les MDPH ultramarines sont toutes bien ancrées dans le paysage du handicap. Leur fonction de guichet unique est bien identifiée. Toutefois, dans leur fonctionnement quotidien, elles demeurent encore en phase de structuration face à l'évolution des dispositifs (réforme de la PCH...) et à la hausse des demandes.
a) La bataille des délais de traitement des demandes n'est pas encore gagnée
La durée maximale de traitement d'un dossier ne devrait pas excéder quatre mois20(*).
Pourtant, en Hexagone, le délai moyen atteint 4,8 mois, avec d'importantes disparités régionales. Dans les territoires ultramarins, la situation est comparable, voire plus préoccupante pour certains d'entre eux, où les délais dépassent largement les seuils réglementaires.
Certaines collectivités connaissent une nette dégradation de leurs délais, souvent liée à des événements exceptionnels ou à des difficultés structurelles. D'autres, en revanche, montrent des signes encourageants avec une réduction considérable de leurs délais.
Le cas le plus extrême est sans doute la Martinique où il faut atteindre aujourd'hui en moyenne 9,32 mois. Mais cela n'a pas été toujours le cas en 2022, par exemple le délai était de 5,76 mois, résultat d'une transformation numérique engagé dès 2018 qui avait pour objectif d'éliminer les dossiers papiers.
D'après Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la MMPH cette transformation « a nécessité un temps d'appropriation, mais a permis de réduire significativement les erreurs de traitement et d'assurer la continuité de l'activité via le télétravail. »
Mais cette amélioration n'a pas duré puisqu'en mai 2023 la MMPH a subi une cyberattaque provoquant une panne généralisée de son système d'information : « Tous les accès informatiques ont été bloqués (dossiers, courriels, plateformes de téléservices, etc.), contraignant les équipes à un retour au format papier. Cette régression a profondément désorganisé les services. »
Les conséquences sont encore visibles aujourd'hui malgré un accompagnent de la CNSA. Ils espèrent toutefois retrouver un délai de traitement compris entre quatre et cinq mois, à l'horizon du 31 août 2025.
La Guadeloupe connait également des délais très important. Il atteignait un an après la crise sanitaire. Aujourd'hui, il est revenu à 6 mois.
À Mayotte, en 2022 les délais étaient contenus entre 2 et 4 mois mais suite au passage du cyclone Chido, ils se sont fortement allongés. Le nombre de dossiers en attente s'élève actuellement à environ 2 500.
À Saint-Martin, les délais sont estimés entre 4 et 5 mois. Toutefois, ces chiffres sont donnés à titre indicatif, la collectivité ne disposant pas encore d'un outil de gestion permettant de transmettre des données précises. Saint-Barthélemy connaît des délais similaires entre 4 et 6 mois.
Si certains territoires sont confrontés à des délais particulièrement longs, d'autres parviennent à maintenir des délais de traitement « raisonnables ».
En Guyane, les délais de traitement se sont nettement améliorés ces dernières années. Alors qu'en 2019 il fallait compter en moyenne huit mois d'attente, ce délai est passé à seulement 2,5 mois en 2024. La Guyane affiche ainsi un temps de traitement deux fois plus rapide que la moyenne nationale.
Pour le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, le délai moyen de traitement est de 3 mois, ce qui demeure relativement court. Toutefois, la collectivité souligne une légère dégradation de ce délai, principalement due à des effectifs restreints.
À La Réunion, les délais se sont considérablement réduits en l'espace d'un an, grâce au soutien financier du Département et à une volonté affirmée « d'enrayer l'allongement des délais », comme le souligne Déva Radakichenin, directeur de la MDPH. « En janvier 2024, nous avions statué sur près de 3 000 situations et enregistré un délai de traitement moyen de 6,3 mois pour l'ensemble des demandes. Un an plus tard, à l'issue d'un travail rigoureux d'optimisation et de rationalisation de nos processus, le délai moyen de traitement s'établit désormais à 3,7 mois. »
Délais de traitement des dossier MDPH dans les outre-mer, en 2024
En 2024 |
Délai de traitement en moyenne (mois) |
Hexagone |
4,8 |
Martinique |
9,86 |
Guyane |
2,5 |
Guadeloupe |
6 (2025) |
La Réunion |
6,3 mais 3,7 en 2025 |
Mayotte |
Non communiqué |
Saint-Martin |
Entre 4 à 5 |
Saint-Barthélemy |
Entre 4 à 6 |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
3 |
Source : questionnaires / auditions
b) Un manque de ressources humaines qualifiées et de moyens
Les MDPH ultramarines estiment ne pas disposer de suffisamment de personnels qualifiés pour l'évaluation des dossiers des personnes en situation de handicap, ainsi qu'au niveau de l'accueil des usagers.
L'établissement des diagnostics avant notification est souvent très long, faute de disponibilité des spécialistes compétents pour chaque type de de handicap.
Dans certains territoires, le turn over des personnels allonge encore ces délais.
c) L'absence de visibilité sur le suivi des décisions
Déva Radakichenin, directeur de la MDPH de La Réunion, souligne que la MDPH évolue dans un écosystème contraint, au carrefour d'une chaîne d'actions et de responsabilités, sans pour autant disposer d'un levier direct sur l'effectivité des droits. En amont des dispositifs d'accompagnement, elle se voit confier une mission essentielle d'information et de formation, afin de garantir l'accessibilité des démarches pour les usagers.
Toutefois, ce progrès se heurte à une limite persistante : l'absence de flux entrants de données. En effet, si l'interopérabilité a permis de créer des connexions sortantes avec des institutions comme la CAF, Pôle emploi ou encore le système national de gestion des identifiants (SNGI), aucun retour en temps réel ne permet de mesurer l'effectivité des droits ouverts par la MDPH. Le Système d'information commun des MDPH n'est pas encore entièrement opérationnel sur cet aspect.
2. Des coûts qui augmentent rapidement pour les départements
Comme dans l'Hexagone, le coût de la PCH augmente vite et le reste à charge des départements ne cesse de croître.
En Martinique, sur les cinq dernières années (de 2020 à 2024), la collectivité a dépensé 151 millions d'euros, soit une augmentation de 40 %, tandis que le nombre de bénéficiaires de la PCH a cru de 34 %.
À La Réunion, Sabrina Tionohoué, déléguée du Conseil départemental de La Réunion aux politiques inclusives des personnes en situation de handicap et à la vie éducative, constate aussi qu'entre 2022 et 2024, les demandes de prestation de compensation du handicap (PCH) ont augmenté de 16 %, entraînant une hausse des dépenses de 24 %. Simultanément, le concours de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) évolue trois fois moins vite que les besoins réels, laissant le département avec un reste à charge de 70 %.
Ces tendances de fond mettent sous tension les finances des départements.
Taux de bénéficiaires des prestations PCH
3. Les relations entre la CNSA, les départements, les ARS et les MDPH au défi de la planification
La dernière conférence nationale du handicap (CNH) en avril 2023 puis le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) en juillet 2023 ont permis de débloquer des crédits importants pour la politique du handicap outre-mer. Tout en s'en réjouissant, Jérémie Boroy, président du CNSPH, a aussi émis des doutes sur la bonne utilisation de ces crédits : « J'ai un peu le sentiment que des crédits supplémentaires sont alloués aux outre-mer, sans prendre le temps de reposer le cadre et de s'interroger sur ce que nous voulons faire et sur les conditions de la transformation de l'offre médico-sociale ».
La rencontre avec les acteurs de terrain a fait remonter l'insuffisante planification des actions engagées, faute d'une part de données fiables et, d'autre part, d'un cadre précis de coordination de tous les financeurs (CNSA, ARS, collectivités) et des principaux opérateurs.
Les schémas départementaux restent élaborer à titre principal par les collectivités et ne comportent pas d'engagements financiers réciproques précis sur plusieurs années.
Ce déficit de planification et de coordination des acteurs se retrouve aussi dans les collectivités du Pacifique où le cadre légal et réglementaire est encore plus récent. À Wallis-et-Futuna, l'absence de cadre légal (la loi de 2005 n'est pas applicable et aucun texte local équivalent n'a été adopté) pèse lourd et la coordination des acteurs est défaillante selon Telesia Keletaona, présidente de l'Association d'aide aux personnes handicapées et défavorisées de Wallis-et-Futuna
4. Une politique encore jeune qui se structure à des rythmes différents dans les collectivités du Pacifique
La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna exercent pleinement la compétence Handicap. La loi du 11 février 2005 n'y est donc pas applicable et aucune extension de son champ à ces territoires n'est possible, comme l'a rappelé la ministre lors de son audition.
En vertu de son statut d'autonomie, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de protection sociale, comme le prévoit l'article 22-4 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999. Depuis 200921(*), le territoire s'est doté d'une politique publique spécifique en la matière, accompagnée d'un corpus juridique novateur, qui s'est progressivement consolidé au cours des quinze dernières années. Ce cadre a permis une reconnaissance croissante du handicap et de la dépendance, tant au sein des institutions que du système scolaire et du monde du travail.
Dès l'origine, cette politique s'est articulée autour de quatre axes majeurs : une gouvernance dédiée (en cours de réévaluation), l'accès plein et entier à la société pour les personnes handicapées et les personnes âgées (le dispositif étant unifié en Nouvelle-Calédonie), l'insertion dans le monde du travail, ainsi que le soutien renforcé aux aidants.
Ce dispositif juridique comprend un volet réglementaire structurant, inspiré en partie de l'organisation hexagonale, mais adapté aux spécificités locales. Il couvre à la fois le secteur public et le secteur privé. En 2009, la Nouvelle-Calédonie a mis en place le Conseil du handicap et de la dépendance (CHD), tandis que la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie joue un rôle opérationnel, en coordination avec les trois provinces du territoire, via des commissions dédiées aux enfants, aux adultes et aux personnes âgées.
Le Conseil du Handicap et de la Dépendance (CHD) est composé de l'ensemble des collectivités et instances de la société civile, ainsi que des représentants des personnes en situation de handicap. Il est en quelque sorte l'équivalent de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) au sein des MDPH.
La DASS a pour mission de mettre en oeuvre le service public du handicap et de la dépendance : accueil des usagers, accompagnement dans les démarches de reconnaissance et transmission des dossiers au CHD, seule habilité à prendre les décisions. La DASS gère également la base de données relative aux personnes reconnues en situation de handicap.
En parallèle, la DASS travaille en lien étroit avec la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT), organisme de protection sociale, auquel a été confiée la gestion financière des décisions du CHD. Le financement de la politique du handicap repose sur la fiscalité locale. Chaque année, la Nouvelle-Calédonie adopte un budget dédié, dont la mise en oeuvre est confiée à l'Agence sanitaire et sociale. Cette dernière alimente un fonds d'aide destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées, permettant de financer diverses allocations et prestations spécifiques.
Face à cette multiplicité d'acteur, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a validé un avant-projet de loi de pays le 5 juin dernier dont le but est de simplifier le système existant. Il prévoit la création d'une maison calédonienne de l'autonomie, un guichet unique pour faciliter la reconnaissance du handicap et l'attribution des aides.
L'objectif affiché est double : améliorer la lisibilité et l'accessibilité du parcours des usagers, tout en sécurisant juridiquement les décisions relatives aux taux d'incapacité et aux prestations.
En Polynésie française, le cadre légal s'est renforcé depuis une vingtaine d'années. Le premier texte remonte à 1982, mais cette problématique n'a réellement émergé qu'au début des années 2000. En ce qui concerne l'accès à l'emploi, la loi instaurant une obligation d'embauche des personnes reconnues travailleurs handicapés a été adoptée en 2007. La scolarisation des enfants en situation de handicap est relativement récente : elle n'a véritablement débuté qu'en 2005.
Un délégué interministériel au handicap anime et pilote la politique du handicap avec les différents ministères concernés. La question du handicap est de plus en plus présente dans le débat public et est portée avec force par Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du Gouvernement de la Polynésie française.
En revanche, Wallis-et-Futuna ne s'est pas encore doté d'un cadre légal spécifique.
* 20 Article R. 241-33 du code de l'action sociale et des familles.
* 21 Loi du pays n°2009 du 7 janvier 2009.