B. DES DÉPENSES DES BÉNÉFICIAIRES DE L'AME INFÉRIEURES À CELLE DES ASSURÉS SOCIAUX

1. Une dépense moyenne par bénéficiaire modérée

La dépense moyenne par bénéficiaire de l'AME s'élève en 2023 à 2 396,4 euros par bénéficiaire, un montant en hausse de 3,2 % par rapport à 2015, soit une hausse largement inférieure à celle de l'inflation. La dépense annuelle moyenne par bénéficiaire de l'AME est donc modérée. Elle est d'ailleurs inférieure à celle de l'ensemble de la population française. En 2023, la consommation de soins et de biens médicaux annuelle moyenne d'un résidant français sur le territoire métropolitain est de 3 658,9 euros23(*). Elle a augmenté de 25 % entre 2015 et 2023. Il est à noter toutefois que 7,5 % des dépenses est financée par les ménages dans le cadre du reste à charge, alors que pour les bénéficiaires de l'AME le reste à charge est nul, et 12,4 % des dépenses relèvent des organismes complémentaires. Seuls 80 % de la consommation de soins et de biens médicaux est financée par les administrations publiques, représentant 2 927 euros par bénéficiaire. Même dans ce cas, la dépense de soins par bénéficiaire de l'aide médicale de l'État demeure modérée.

Évolution de la consommation annuelle moyenne dans la population totale
et par bénéficiaire de l'AME

(en euros)

Source : commission des finances d'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)

En restreignant le champ d'étude à la dépense remboursable moyenne par assuré social consommant de l'assurance-maladie obligatoire, la DREES24(*) estime, en effet, que la dépense par assuré de la Sécurité sociale, s'établit à 2 685 euros en 2017. Pour la même année, la dépense annuelle moyenne par bénéficiaire de l'AME s'établit à 2 563 euros.

L'institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a publié en décembre 202325(*) une étude comparant la consommation de soins de ville des personnes couvertes par l'AME à celle des personnes couvertes par la complémentaire santé solidaire non contributive (CSS-NC). Ces deux populations, relativement comparables, présentent des revenus faibles et un état de santé plus fragile que le reste de la population française.

Ainsi, les dépenses ambulatoires des consommants bénéficiant de l'AME s'élevaient en moyenne à 1 194 euros contre 1 436 euros pour ceux de la CSS-NC. L'écart est expliqué par les niveaux de couvertures très différents pour les soins dentaires et optiques. En effet, contrairement aux bénéficiaires de la CSS-NC, la prise en charge des frais dentaires et optiques n'est pas assurée à 100 % pour les bénéficiaires de l'AME.

En dehors de ces postes, les dépenses moyennes s'élèvent à 1 139 euros pour les bénéficiaires de l'AME contre 1 219 euros pour ceux de la CSS-NC, soit des montants relativement similaires.

Dépenses de soins de ville des assurés consommant des soins
et couverts par l'AME ou la CSS-NC en 2017 en Gironde

Source : IRDES, étude précitée, 2023

À noter toutefois, cette étude a été construite en comparant les bénéficiaires de l'AME et de la CSSNC de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Gironde : il n'est donc pas certain que ces résultats soient généralisables à l'ensemble de la population. Il serait souhaitable de conduire ce type d'étude de manière plus systématique, afin d'améliorer la connaissance des dépenses effectuées au titre de l'AME.

2. Des dépenses centrées sur les soins hospitaliers

Les dépenses des bénéficiaires de l'AME sont toutefois assez spécifiques en termes de structure de la dépense de soins. Près de 60,8 % des dépenses sont constituées de prestations hospitalières, tandis que les produits de santé ne représentent que 12,7 % des dépenses et les soins de ville 26,5 % des dépenses.

Répartition par postes de dépenses d'AME en 2024

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après la direction de la sécurité sociale

Les prestations hospitalières représentent pourtant seulement 49,1 % des dépenses de soins et de biens médicaux pour l'ensemble de la population, alors que les soins de ville comptent pour 29 % des dépenses et les produits de santé 21,9 %.

Répartition par postes de dépenses globale de biens
et de soins médicaux en 2024

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après la DREES

Une telle répartition des dépenses de santé semble cohérente, au sens où les bénéficiaires de l'AME constituent une population relativement défavorisée, bien que jeune, et plus éloignée que les assurés sociaux des parcours de soin habituels. Il est donc probable qu'une partie de leurs affections ne soit traitée que lorsqu'elles deviennent graves et relèvent d'une prise en charge hospitalière. Par ailleurs, il leur est peut-être plus facile de simplement se rendre aux urgences que de prendre un rendez-vous médical en ville.

Évolution des dépenses de santé d'aide médicale de l'État
par poste de dépense

(en millions d'euros)

Note : le poste soins de ville comprend ici les actes et consultations externes (ACE) réalisés à l'hôpital.

Source : commission des finances d'après la DSS

Entre 2015 et 2023, les dépenses hospitalières des bénéficiaires de l'AME ont augmenté de 45,1 %, soit une hausse supérieure à celle des dépenses hospitalières de la population française (de 34,2 %). Par ailleurs, les dépenses de soins de ville ont augmenté de 70,9 % pour les bénéficiaires de l'AME, contre 27,8 % pour l'ensemble de la population, et de 30,8 % pour les produits de santé, contre 16,4 % pour l'ensemble de la population.

Cette forte évolution des dépenses d'AME s'explique dans une large mesure par l'augmentation du nombre de bénéficiaires, comme expliqué infra. Par ailleurs, il faut noter que les actes et consultations externes réalisées à l'hôpital mais n'impliquant pas d'actes hospitaliers sont comptabilisés dans les dépenses « soins de ville » de l'AME, alors qu'elles sont prises en compte dans le poste « prestations hospitalières » pour l'ensemble de la population, ce qui peut expliquer également l'augmentation plus forte des dépenses de soins de ville des bénéficiaires de l'AME par rapport à celles de la population globale.

Évolution des dépenses de santé dans l'ensemble de la population
par poste de dépense

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après la DREES

Enfin, un léger rééquilibrage entre les dépenses de prestations hospitalières et surtout de produits de santé a été opéré entre 2015 et 2024 au profit des dépenses de soins de ville, celles-ci représentant 26,4 % des dépenses d'AME en 2024, contre 23,1 % en 2015.

Évolution de la répartition des dépenses d'AME par poste de dépenses

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après la DSS

3. Des dépenses de santé spécifiques aux bénéficiaires de l'AME
a) Des dépenses de soins hospitaliers centrées sur les accouchements, les problèmes digestifs et cardiovasculaires

En 2023, les hôpitaux publics ou privés à but non lucratif avec une activité en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) ont réalisé 89 103 séjours hospitaliers et 60 795 séances26(*) pour plus de 58 700 bénéficiaires de l'AME, représentant 12,9 % de l'ensemble des bénéficiaires. Le volume économique des séjours hospitaliers associés à l'AME s'élève à 328 millions d'euros et a augmenté de 9 % entre 2022 et 2023. Les hospitalisations complètes représentent plus de 92 % des dépenses.

Il est à noter toutefois que grâce au développement des prises en charge ambulatoires et à la baisse de la lourdeur économique moyenne des hospitalisations complètes, le coût moyen d'un séjour ou d'une séance à l'hôpital est passé de 2 409 euros en 2019 à 2 186 euros en 2023, soit une baisse de 9,3 % du coût d'un passage à l'hôpital.

Évolution du coût économique de chaque séjour ou séance à l'hôpital
pour les bénéficiaires de l'AME entre 2019 et 2023

(en euros)

Source : Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH)

La durée moyenne d'un séjour à l'hôpital est de 5,3 jours, soit une durée relativement longue, contre 4,6 jours en moyenne par patient non bénéficiaire de l'AME. En effet, les bénéficiaires de l'AME ne sont pas toujours logés dans de bonnes conditions, expliquant peut-être la réticence des hôpitaux à limiter la durée des hospitalisations.

Selon le Samu social, les profils rencontrés parmi les bénéficiaires de l'AME à la rue sont souvent polypathologiques, complexes, porteurs de maladies chroniques (diabète, HTA, asthme, épilepsie...), de maladies liées au parcours migratoire ou à la vie à la rue (problèmes respiratoires dont tuberculose, dermatologiques dont gales, ostéoarticulaires, psychiatriques etc.) et d'un retard vaccinal.

Les dépenses à l'hôpital sont portées par les actes suivants :

- un quart des dépenses d'hospitalisations complètes (hors séance) est lié aux soins associés à l'accouchement (grossesse, post-partum, périnatalité), représentant un volume économique de 78 millions d'euros. Dans la population totale, seules 8 % des hospitalisations sont liées à l'accouchement ;

- les chirurgies représentent 25,8% des dépenses d'hospitalisation, soit 84,6 millions d'euros. Les chirurgies les plus coûteuses sont les chirurgies de l'appareil locomoteur et les amputations (10,6 millions d'euros) ainsi que les neurochirurgies (8,1 millions d'euros) ;

- le traitement de la pneumologie (21 millions d'euros), de l'hépato-gastro-entérologie (14,4 millions d'euros), du diabète (8,1 millions d'euros) et des maladies immunitaires (11 millions d'euros) représentent les principales dépenses de médecine prise en charge à l'hôpital.

- enfin, les séances, donc le traitement des maladies chroniques, représentent un coût important pour l'hôpital. En particulier, le volume économique des dialyses (14,1 millions d'euros) a augmenté de 25 %. Dans la population globale, les séances de dialyse ont augmenté de 1,5 % seulement entre 2022 et 2023.

Coût des séances réalisées à l'hôpital en 2023

(en millions d'euros, en pourcentage et en nombre de séances)

Source : Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH)

Les prestations hospitalières restantes, représentant 338 millions d'euros, sont liées aux soins de suite et de réadaptation, aux hospitalisations à domicile, à la psychiatrie et aux dépenses des cliniques privées.

À noter, la transplantation d'organes représente un coût de 2 millions d'euros, pour 38 greffes réalisées en 2023. Au total, près de 5 634 greffes d'organes ont été réalisées en France en 2023. Les bénéficiaires de l'AME auraient donc bénéficié de 0,7 % des greffes réalisées.

Seuls un critère de résidence et des critères médicaux sont en effet appliqués dans l'attribution des greffes, ce qui signifie que l'agence de biomédecine ne connait pas le nombre de greffes données à des résidents en situation irrégulière. Il pourrait être utile, comme l'avait recommandé Mme Louwagie, de permettre à l'agence de biomédecine de connaitre le statut administratif des patients sollicitant et bénéficiant d'une greffe.

Recommandation n° 4 : enregistrer le statut administratif des personnes sollicitant ou bénéficiant d'une greffe (agence de biomédecine).

b) Des dépenses de médecine de ville par bénéficiaire inférieure à la moyenne par habitant pour les soins dentaires et d'optique

Les données concernant la répartition des dépenses de médecine de ville ne sont pas disponibles au niveau national. Seule une distinction entre les honoraires généralistes et spécialistes, les honoraires dentaires et les honoraires des auxiliaires médicaux est établie. Il est regrettable qu'une information plus fine concernant la consommation des soins de ville des bénéficiaires de l'AME ne soit pas disponible.

En moyenne, les dépenses en honoraires au titre de la médecine de ville sont moins élevées par bénéficiaire de l'AME qu'au sein de la population totale. Un bénéficiaire de l'AME dépense 197,3 euros par an au titre de remboursements de consultations de médecins généralistes et spécialistes, contre 384,7 euros pour l'ensemble de la population.

Les honoraires dentaires moyens d'un bénéficiaire de l'AME sont particulièrement bas : ils ne sont que de 61,5 euros par personne, contre 274,8 euros dans la population française globale.

Dépenses en honoraires médicaux au titre de la médecine de ville,
pour l'aide médicale de l'État et la population globale

(en euros par personne)

Note : les auxiliaires médicaux groupent les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les pédicures-podologues, les orthophonistes et les orthoptistes.

Source : commission des finances d'après la DSS et la DREES

Une telle observation est cohérente avec les résultats de l'étude de l'IRDES précitée, qui effectue une comparaison de la consommation des bénéficiaires de l'AME sur les dépenses de ville avec celle des bénéficiaires de la CSS non contributive en 2018 dans la CPAM de la Gironde. Les résultats montrent que la consommation de soins est globalement similaire entre les deux populations, à l'exception des soins dentaires et d'optique, qui sont beaucoup moins bien pris en charge pour les bénéficiaires de l'AME.

c) Des dépenses de médicaments centrées sur la lutte contre les maladies infectieuses (VIH, hépatite C)

En 2023, les cinq médicaments délivrés par les pharmacies de ville les plus consommés représentaient 12 % de la dépense totale en médicaments des bénéficiaires de l'AME. Les principaux traitements concernent la lutte contre le VIH et l'hépatite C.

Médicaments représentant les dépenses les plus élevées en 2023

(en euros)

Source : direction de la sécurité sociale

Il convient de noter qu'il n'est pas possible d'identifier précisément l'ensemble des médicaments non génériques dans la dépense totale. La prise en charge par l'AME étant de façon générale réservée aux médicaments génériques, les médicaments princeps27(*) ne sont pris en charge que dans des situations bien précises :

- le médicament princeps appartient à un groupe générique soumis au tarif forfaitaire de responsabilité, avec une prise en charge fondée sur ce tarif ;

- le médicament princeps présente un prix inférieur ou égal à celui du médicament générique ;

- le prescripteur exclut la possibilité de substituer le médicament par une mention expresse et justifiée portée sur l'ordonnance.


* 23 Ce calcul est effectué à partir de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) totale et du nombre de résidants sur le territoire français en 2023.

* 24 DREES, Plus les dépenses de santé sont importantes, plus la part prise en charge par l'assurance maladie obligatoire est élevée, n° 1251, décembre 2022.

* 25Des assurés comme les autres : une analyse des consommations de soins de ville des personnes couvertes par l'aide médicale de l'État, Questions d'économie de la santé n° 284, décembre 2023, IRDES.

* 26 Une séance est une venue dans un établissement de santé réalisée au cours d'une journée, pour un motif thérapeutique impliquant une venue fréquente (dialyse, chimiothérapie, transfusion sanguine, oxygénothérapie hyperbare, aphérèse sanguine).

* 27 Médicaments à partir desquels sont conçus les médicaments génériques.

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