B. UNE PROLIFÉRATION NORMATIVE PARALYSANTE AVANT, PENDANT ET APRÈS L'ÉTAPE DE LA TRANSFORMATION

Dans un contexte de compétitivité déjà dégradée du site de production « France », dont la filière bois française pâtit, de nouvelles normes environnementales, souvent d'origine européennes, constituent « des gouttes d'eau qui font déborder le vase ». Elles focalisent d'autant plus l'attention de la filière qu'il s'agit de mesures nouvelles, dont l'application semble pouvoir être plus facilement retardée voire annulée que ne peut être modifié l'environnement fiscal et réglementaire français, après de nombreuses années de sédimentation.

Ce que les entreprises craignent, donc, ce ne sont pas les motivations écologiques de ces réglementations, c'est davantage une « surcouche » de normes à respecter, ayant un effet cumulatif avec les formalités administratives déjà nombreuses dont elles doivent s'acquitter dès à présent.

1. Corriger le tir sur des normes nouvelles de traçabilité sur l'origine et la fin de vie du bois, qui ratent leur cible
a) Aménager le règlement européen sur la déforestation et la dégradation des forêts, pour qu'il ne se trompe plus de cible

La mise en oeuvre prochaine du règlement de l'Union européenne sur la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE6(*)) est évoquée avec beaucoup d'appréhension par les organisations professionnelles entendues.

Ce règlement introduit une obligation de traçabilité des approvisionnements tout au long de la chaîne de valeur de sept filières concernées7(*), dont la filière bois.

Proposé par la Commission européenne en 2021 et ayant fait l'objet d'un accord entre États membres au Conseil et Parlement européen au premier semestre 2022, sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, ce texte revêt une forte charge symbolique dans le contexte de négociations de plus vingt ans avec le Mercosur en vue d'un accord de libre-échange. C'est la raison pour laquelle la France a été le seul pays à plaider pour le maintien du texte en l'état lors d'un Conseil Agriculture de mai 2025.

Le bois n'est pas le seul dans l'équation, d'autres filières jugées plus sensibles plaidant pour le maintien d'une certaine ambition. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, le principal produit visé par ce règlement n'était originellement pas le bois, ajouté au dernier moment à la liste des six autres produits agricoles visés. Ce règlement était davantage présenté un ensemble de mesures miroirs destinées à limiter notamment les importations de viande bovine ou de soja cultivé pour l'alimentation animale issus de conversion de forêts.

Le règlement impose la géolocalisation des parcelles de production puis transmission d'informations sur l'exemption de déforestation ou de dégradation des forêts à chaque maillon de la chaîne, via un numéro de déclaration de diligence raisonnée. L'innovation de ce règlement réside dans la traçabilité matière depuis la récolte jusqu'à la consommation par un client final.

Après un premier report d'un an au plus fort de la crise agricole, les obligations de diligence prévues par ce règlement entreront en vigueur au 1er janvier 2026 pour les plus grandes entreprises et au 1er juillet 2026 pour les autres. Les contrôles et sanctions associées s'appliqueront un an après.

Il convient de remettre certains éléments en contexte pour la bonne compréhension de ce texte et de son impact sur la compétitivité de la filière bois.

En premier lieu, il est juste de souligner que dans la mesure où le texte n'est pas encore mis en oeuvre, il n'a pu avoir une quelconque incidence sur la compétitivité de la filière bois européenne jusqu'à présent. Si des coûts de mise en conformité commencent à apparaître pour les entreprises assujetties, ils ne sauraient expliquer les piètres performances commerciales de la filière sur les dernières décennies, et y compris sur les dernières années.

En deuxième lieu, dans l'absolu, il ne peut non plus être à l'origine de distorsions de concurrence pénalisant la filière bois française vis-à-vis de ses partenaires européens puisqu'il s'agit d'un règlement, d'application directe et uniforme dans l'ensemble du marché intérieur. Son impact relatif peut en revanche différer selon, entre autres, ces critères :

- la taille des entreprises, les plus petites pouvant peiner, davantage que de grandes entreprises disposant de capacités d'ingénierie pour s'adapter à ce nouveau corpus de normes, modifier leurs pratiques et intégrer des outils numériques. Or, comme indiqué supra, les entreprises françaises de la filière sont de plus petite taille que leurs voisines européennes, du moins si l'on compare les scieries françaises aux allemandes ;

- la faible connaissance de leur foncier par les entreprises s'approvisionnant en France pourrait créer un désavantage compétitif pour la France, par opposition par exemple au Brésil, qui dispose d'usines de pâte de cellulose très intégrées, avec une parfaite connaissance de leur foncier, sur des sols agricoles pauvres ayant fait l'objet de plantations ;

- le degré de préparation aux nouvelles obligations et de conformité avant même que le texte ait été adopté. À cet égard, les associations de protection de la nature entendues ont plaidé pour l'application du règlement tel qu'adopté, avec l'argument que le fossé serait plus facile à combler pour les entreprises françaises - celles-ci critiquant toutefois le règlement, il est permis d'en douter ;

- enfin, le règlement crée de fait un risque supplémentaire pour les filières qui s'approvisionnent dans des pays objectivement à risque de déforestation. Ce biais est a priori plutôt favorable à la relocalisation de l'approvisionnement, puisqu'aucun État membre de l'UE n'est concerné par la déforestation - la France déclare ainsi l'absence de déforestation chaque année à la Food and Agriculture Organization (FAO).

Pour autant, et c'est là où le bât blesse, il convient en troisième lieu de rappeler que ce règlement est, par essence, une mesure miroir. À ce titre, l'ensemble de la production européenne, qu'elle soit mise en marché au sein de l'UE ou destinée à l'exportation, est assujettie aux obligations de diligence raisonnée du RDUE, quand dans le même temps les États tiers ne sont concernés que pour la part de leurs exportations qui est destinée à l'Union européenne. Les professionnels européens déplorent un « deux poids, deux mesures », d'autant que, d'après l'administration, une certification programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) ou Forest Stewardship Council (FSC) ne suffirait pas à s'affranchir des obligations de diligence. Ils anticipent le développement de filières « premium » dans les pays exportateurs, qui permettraient de ne pas fondamentalement changer les pratiques dans les pays à risque.

Or, la liste de risque publiée en avril 2025 ne classe que quatre États en « risque élevé » (la Biélorussie, la Birmanie, la Corée du Nord et la Russie), quand d'autres comme le Brésil, l'Indonésie, la République démocratique du Congo ou la Bolivie, les quatre États où la déforestation est la plus élevée sont classés « à risque standard ». Il semble que des considérations diplomatiques et commerciales aient présidé à ce classement timoré de la part de la Commission européenne, dans un contexte de dislocation du bloc occidental et à l'approche de la COP 30 à Belém. C'est cependant se priver d'un levier dans la négociation avec l'Amérique du Sud sur le Mercosur et c'est, plus fondamentalement, se tromper de cible.

C'est pourquoi certains États, à l'image du Luxembourg, souhaiteraient rouvrir les discussions sur le règlement et y introduire une quatrième catégorie, dite « à risque nul » ou « négligeable », dans laquelle entreraient notamment les États européens. Le Parti populaire européen (PPE) a également déposé une motion en ce sens, examinée le 9 juillet en séance plénière. La conformité d'une telle catégorie au regard des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) resterait toutefois à démontrer. En outre, en tout état de cause, une réouverture du règlement ne pourrait aboutir avant plusieurs mois. Cette piste doit plutôt être regardée comme un moyen de pression pour obtenir un changement du classement de certains États tiers.

C'est pourquoi le levier de la simplification par l'interprétation du texte a été privilégié jusqu'ici et doit rester la piste à privilégier. Ainsi, la foire aux questions (FAQ) de la Commission européenne a été actualisée pour la troisième fois, en avril 2025, donnant lieu à publication d'une quatrième version.

Le principal assouplissement dans l'interprétation du règlement, adopté à l'initiative de la France, consiste à raisonner pour la traçabilité selon une approche probabiliste par la méthode du bilan massique (mass balance). En effet, à titre d'exemple, dans les sites industriels de panneaux, le bois en fin de vie, les plaquettes et la sciure sont mélangés, ce qui rendrait quasi impossible une traçabilité « lot par lot » voire « copeau par copeau ». La difficulté est la même dans les sites de production de pâte à papier. Les chaînes de contrôle basées sur le bilan massique, qui permettent de mélanger des matières premières sans déforestation avec des matières premières d'origine inconnue, ne sont pourtant pas autorisées dans le texte, car cela ne garantit pas de façon certaine l'exemption de déforestation ou de dégradation, avec une traçabilité jusqu'à la parcelle.

Un effet pervers des obligations de diligence raisonnée sur la traçabilité du bois provient de ce que la distribution, dont les grandes surfaces de bricolage (GSB), chercheraient à entrer en contact directement avec les fournisseurs pour contourner le maillon de la deuxième transformation (ameublement notamment), soit en s'approvisionnant auprès de ces fournisseurs, soit en obtenant communication des prix. Pour remédier à cet écueil, les lignes directrices de la Commission européenne autorisent, dans leur dernière version, à anonymiser les données transmises d'un maillon à l'autre.

Un point particulier délicat a trait à la notion de dégradation, qui figure dans le règlement et qui désigne la conversion de forêts primaires en forêts de plantation ou en cultures, d'un moindre intérêt environnemental. Cette notion a été ajoutée tardivement au texte. Nos voisins européens ont déclaré à la Commission européenne qu'il n'y avait pas de dégradation des forêts sur leur sol. La France devrait faire de même, en plaidant pour une la présomption de « non-dégradation » des forêts dès lors qu'il s'agit de parcelles assujetties à un document de gestion durable.

Enfin, un cas particulier est celui des régions ultrapériphériques. Leur statut au regard de ce règlement est stratégique pour la France, qui compte un tiers de sa surface forestière dans les Outre-mer, en particulier en Guyane (8 millions d'hectares), dont le territoire se situe en forêt amazonienne. La forêt guyanaise a été classée à « faible risque », mais n'a pas bénéficié d'une mesure supplémentaire de proportionnalité que la France demandait au niveau européen pour assurer l'autosuffisance alimentaire de ce territoire, recouvert à 95 % par de la forêt primaire.

Recommandation n° 9 : aménager le règlement de l'UE sur la déforestation importée sur quatre volets en :

- procédant de façon plus objective et moins diplomatique et commerciale pour le classement des pays à risque de déforestation ou de dégradation, pour intégrer davantage d'États tiers dans la catégorie « risque élevé », sans attendre la prochaine révision annuelle du classement ;

- allant au plus efficace et au plus rapide, en jouant sur l'interprétation du règlement via les orientations et foires aux questions de l'Union européenne, plutôt que de miser sur une réouverture du texte, incertaine au regard des règles de l'OMC et source d'insécurité juridique ;

- donnant une définition de la « dégradation » des forêts qui exempte les forêts françaises par défaut, en tant qu'elles sont soumises à une gestion durable et multifonctionnelle ;

- faisant reconnaître dans un prochain règlement omnibus une logique de proportionnalité pour les régions ultrapériphériques, dont la Guyane, recouverte à 95 % de forêt primaire, pour favoriser l'autosuffisance alimentaire de ce territoire et la structuration d'une filière bois pour des usages locaux, sans remettre en cause la crédibilité de nos engagements vis-à-vis des États tiers et notamment d'Amérique du Sud.

b) Gare aux effets contreproductifs de la responsabilité élargie du producteur pour un secteur déjà exemplaire en matière de recyclage

Une filière REP produits et matériaux de la construction et du bâtiment a été mise en 2023 et a suscité beaucoup d'émoi au sein de la filière. Le président de la Fédération nationale du bois Jean-Pascal Archimbaud a carrément indiqué en audition devant la commission des affaires économiques que le bois n'avait pas sa place dans une filière de responsabilité élargie du producteur, au motif qu'elle est particulièrement vertueuse. Une position maximaliste qui n'est pas nécessairement partagée par l'ensemble des acteurs.

Pour autant, des débats se sont fait jour sur le montant de l'écocontribution due par tel ou tel matériau et sur le risque de distorsion que cela pourrait induire. Comme le rappelle la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), « la FNB estime que l'écocontribution de la REP (avant le moratoire) était très défavorable au matériau bois, le coût de l'écocontribution étant de 4,90 €/m3 de bois contre 0,4 €/m3 de métal et 0,8 €/m3 de béton. La FNB estime par ailleurs qu'un tiers du gisement de déchets bois du bâtiment part vers l'export. », créant une perte de ressource pour la France.

Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi « produits du bois et filière REP PMCB », deux abattements au montant de l'écocontribution ont été adoptés, à l'initiative de la rapporteure Anne-Catherine Loisier :

Ø le premier, avec avis de sagesse du Gouvernement - la réserve n'étant pas liée au fond mais liée au fait que cette mesure relève du règlement -, prévoit la mise en place d'un abattement sur l'écocontribution pour les produits bois en tant que matériaux performant en termes de recyclage ;

Ø le second, avec double avis défavorable de la commission et du Gouvernement, prévoit la mise en place d'un autre abattement, concernant le même produit, au motif qu'il s'agit d'un matériau biosourcé.

Enfin, la filière souhaiterait rendre visible le montant de l'écocontribution sur les factures entre professionnels, afin de garantir que celle-ci n'est pas répercutée avec marge.

Recommandation n° 10 : appliquer un abattement à l'écocontribution sur les produits bois tel que voté dans le cadre de l'examen de la proposition de loi dite « REP bâtiment », en articulant celui institué au profit des matériaux les plus performants en termes de taux de valorisation des déchets et celui prévu pour les matériaux biosourcés renouvelables.

Comme indiqué plus haut, il convient de noter que le secteur de la papeterie est, lui, sujet à deux responsabilités élargies du producteur, désormais fusionnées, et qu'une troisième est en cours de mise en place.

S'agissant de la responsabilité élargie du producteur (REP) emballages industriels et commerciaux, une filière déjà vertueuse sur la sortie du statut de déchet, les obligations viennent d'un règlement n° (UE) 2025/40, ce qui limite les risques de couche supplémentaire de réglementation de la part de la France.

Dans les deux cas, la REP ne semble pas poser de difficultés aux acteurs concernés.

2. Des difficultés de mise aux normes et d'assurabilité qui posent un défi existentiel pour des entreprises de la filière bois qui sont majoritairement des PME et des ETI
a) Des normes de sécurité pour les employés ou les riverains que les entreprises de la filière bois, majoritairement des PME et ETI, peines à intégrer

Si les organisations professionnelles concentrent leurs critiques sur les normes « macro », souvent d'origine européenne - RDUE, RED III -, les acteurs de terrain ont également témoigné des contraintes que peuvent représenter les normes, à une échelle plus « micro », pour leur activité au quotidien.

La scierie Feidt, en Alsace, pourtant victime d'un incendie qui a détruit l'ensemble de son site a témoigné de son désarroi sur les normes de sécurité appliquées à leurs yeux sans discernement par les Dreal : mur coupe-feu, sprinklage...

Les rapporteurs ont pu constater, chez l'ensemble des professionnels qu'ils ont visités, un grand professionnalisme et une attention notable aux questions de sécurité. Il a cependant semblé aux rapporteurs, lors de leur déplacement en Alsace et en Allemagne, une approche de la sécurité légèrement plus marquée côté français.

Une représentante de l'entreprise Schilliger Bois, située en Alsace à proximité de la frontière, a également pointé un différentiel entre normes françaises et allemandes de qualité de l'air : jusqu'à 3 % de poussières de bois seraient tolérées dans les usines outre-Rhin tandis que ce plafond serait fixé à 1 % en France, un seuil selon elle difficile à atteindre en pratique.

Conscients des surcoûts que ces normes peuvent engendrer, les rapporteurs jugent pour autant que l'on ne doit pas tirer prétexte des faiblesses structurelles de la France en matière de compétitivité, qui trouvent leur source dans d'autres causes bien identifiées, pour faire de la sécurité des employés et des riverains une variable d'ajustement. À force d'avoir trop laissé se développer des normes à propos de l'accessoire, il ne faudrait pas que germe l'idée d'affaiblir les normes sur l'essentiel.

Il en va, aux yeux des rapporteurs, de l'attractivité des métiers du bois mais aussi, plus largement, de l'acceptabilité des activités de transformation du bois dans les territoires. Les accidents, surtout s'ils sont mortels, sont évidemment dévastateurs pour l'image de la filière.

À entendre les acteurs de terrain visités par la mission, c'est surtout le manque de discernement dans l'application de certaines de ces normes, par certaines administrations, qui serait source de difficultés, plus que les normes en elles-mêmes, dont les entreprises partagent l'objectif.

À l'unisson avec ces entrepreneurs, les rapporteurs déplorent que des obligations de résultats ne soient pas préférées, autant que possible, à des obligations de moyens ou de process souvent plus difficiles à respecter.

Certaines obligations de moyens impliquent des dépenses aux montants prohibitifs qui, en prime sont improductives, et de ce fait difficilement absorbables pour des entreprises de la filière bois entrant souvent dans la catégorie des PME ou des ETI familiales. En outre, elles ne laissent pas suffisamment de place à l'innovation des entreprises, qui peuvent mettre sur pied des systèmes aussi protecteurs selon des modalités différentes.

Avec leur expérience d'élus de terrain, les deux rapporteurs jugent que, sur le modèle de ce qu'a entrepris la ministre de l'agriculture Annie Genevard à l'échelle nationale, des « rendez-vous territoriaux de la simplification » devraient se tenir régulièrement dans les départements afin de formaliser une enceinte de dialogue entre administrations (Dreal notamment) et entreprises, pour qu'elles parlent un même langage et comprennent mieux leurs attentes réciproques. Organisées sous l'autorité du préfet et en la présence d'élus locaux, ces réunions seraient de nature à remettre à plat d'éventuels irritants et à envisager toute solution à effet équivalent, dans le respect du droit. En ultime recours, le pouvoir de dérogation aux normes du préfet pourrait être mobilisé, si une analyse des mesures au regard du critère de la proportionnalité conduisait à écarter ces normes.

Recommandation n° 11 : Apporter des solutions aux contraintes du quotidien des entreprises de transformation du bois en réunissant régulièrement élus locaux, administrations déconcentrées et entreprises de la filière bois, pour échanger sur les écueils rencontrés dans certaines mises aux normes, dans le cadre de « rendez-vous territoriaux de la simplification », et envisager d'autres voies d'atteindre les mêmes objectifs, sous la supervision du préfet.

b) Les difficultés d'assurabilité pour les entreprises de la première transformation pèsent sur leur rentabilité et leur posent un défi existentiel

L'un des dossiers les plus brûlants pour la première transformation est celui des difficultés d'assurabilité croissantes de leur outil productif, y compris auprès des assureurs historiques, ce qui est particulièrement inquiétant pour un secteur à la fois très capitalistique et composé d'entreprises familiales de taille petite ou moyenne, sans la trésorerie nécessaire pour se relever en cas de sinistre. Ce sujet est « un grave problème » (P. Piveteau) « puisque sans assurance, une entreprise ne peut pas emprunter. Notre filière a besoin d'investissements, on ne pourra pas avancer sans régler la partie assurancielle » (A. Duisabeau).

Les assureurs désertent peu à peu le secteur de la première transformation du bois, au motif que les risques d'accident y seraient trop élevés. Les deux scieries visitées par la mission en Alsace ayant subi une ou des destructions de grande ampleur à cause d'incendies, les rapporteurs en ont déduit, en effet, que la question n'était pas tant de savoir si un départ de feu allait intervenir, que de savoir quand il allait intervenir.

Pour autant, les conditions posées par les assurances - systématisation de systèmes de sprinklage, murs coupe-feu et autres normes ou équipements visant la même finalité -, aussi justifiées soient-elles en principe - activité industrielle, présence de combustible -, semblent présenter des coûts disproportionnés. Le sprinklage coûte en effet de l'ordre de 1,2 millions d'euros pour 10 000 m2.

S'agissant des primes d'assurance en elles-mêmes, la scierie Piveteau explique qu'elle s'acquittait d'environ 1,5 millions d'euros par an pour s'assurer et qu'on lui en demande désormais 2,5 millions, tandis qu'un incendie d'ampleur, qui peut survenir en moyenne environ tous les dix ou quinze ans, coûterait 2 à 4 millions d'euros par incident. Sur une même période, le rapport peut donc aller, dans le cas le plus extrême, jusqu'à 1 pour près de 40 ! Or, ce poste de dépenses pèse sur la rentabilité et ne peut aisément être répercuté sur le prix de vente.

Lorsqu'une scierie souhaite installer des panneaux photovoltaïques sur ses bâtiments pour profiter de son importante emprise au sol, cas soulevé par la sénatrice Annick Jacquemet lors de l'audition de lancement de la mission, le problème devient tout bonnement insoluble : les assurances refusent catégoriquement, semble-t-il au motif que les pompiers ne pourraient intervenir sans danger, faute de pouvoir déconnecter la production électrique des panneaux.

Selon Marc Siat, la problématique est peut-être moins aiguë pour les plus grands groupes, qui n'ont, comme les autres, d'autre choix que de suivre les prescriptions posées par les assurances, mais, à la différence des autres, disposent des moyens pour ce faire.

S'agit-il donc seulement d'une question de mise à l'échelle des scieries françaises ? Il semble que non, car même les plus grands groupes ne sont pas épargnés, à commencer par le groupe Siat lui-même, qui confirme ne plus être assuré sur la totalité de son site de production d'Urmatt. Pour la première fois, en 2025, le groupe Archimbaud envisage de ne pas assurer la totalité de son site de production, en prenant le risque d'exclure son stock de bois.

La modernisation des scieries ne devrait pas suffire non plus à estomper cette problématique, car elle va de pair avec davantage de sites multi-activités en lien avec la production de chaleur, et davantage de présence de bois transformé et de bois séché sur site - or, ce dernier a un potentiel calorifique plus important.

Enfin, si l'assurance ne saurait constituer l'alpha et l'omega de l'adaptation au changement climatique, force est de constater que l'augmentation des températures accroîtra les risques, contre lesquels il faudra bien se couvrir.

Le bureau des marchés et des produits d'assurance de la direction générale du Trésor a assuré à la filière que l'État ne pouvait être d'une quelconque aide, la question relevant des relations contractuelles entre deux acteurs privés. Reste la possibilité pour les sociétés de saisir le médiateur des entreprises, des discussions préliminaires en ce sens étant engagées avec la filière.

Pour les plus grands groupes, une solution pourrait consister à développer des captives d'assurance, structures d'auto-assurance ad hoc. Encore faudrait-il que les assureurs, qui sont juges et parties dans cette affaire, consentent à leur accorder l'agrément pour exercer cette activité. Pour les plus petits groupes, un même système de caisse d'assurance ne serait envisageable qu'adossé à une provision défiscalisée.

En réalité, ce système constituerait surtout unlevier de négociation avec les assureurs. Dans la discussion avec ces derniers, un point particulier sera de faire admettre aux assureurs l'efficacité des technologies de détecteurs précoces.

Recommandation n° 12 : apporter une solution aux difficultés d'assurabilité des entreprises de transformation du bois en :

- développant les captives d'assurance, adaptées pour les plus grands groupes, au besoin en encourageant ces dispositifs par une défiscalisation des montants provisionnés.

- s'efforçant, pour les plus petits groupes, de faire reconnaître aux assureurs, avec l'appui du médiateur des entreprises, des solutions d'effet équivalent au sprinklage, telles que les technologies de détection précoce des départs d'incendie.


* 6 Règlement (UE) n° 2023/1115 relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union et à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.

* 7 Il s'agit de la viande bovine, du cacao, du café, du palmier à huile, du caoutchouc, du soja et du bois.

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