II. DES DÉFIS TRANSVERSAUX À RELEVER POUR LIBÉRER L'INDUSTRIE DE TRANSFORMATION DU BOIS EN FRANCE

La première transformation du bois fait face à des défis transversaux, qui trouvent leur origine à la fois dans des maux classiques de la production industrielle en France et dans la multiplication de normes, spécifiques ou non ou à la filière bois française, qui désavantagent ou risquent de la désavantager par rapport à ses concurrents européens. Dans ce contexte, la modernisation de l'outil de production, impliquant de lourds investissements pour cette industrie très capitalistique, apparaît comme indispensable.

A. UN CADRE PEU INCITATIF EN FRANCE POUR LA PRODUCTION INDUSTRIELLE EN GÉNÉRAL ET CELLE DU BOIS EN PARTICULIER

1. Un cadre fiscal et réglementaire similaire à celui qui pèse sur l'ensemble de la production industrielle française

Le tableau décrit ici n'est pas très original et ne fera donc, par conséquent, pas l'objet de longs développements.

Le contexte réglementaire et fiscal dans son ensemble, le coin fiscalo-social trop élevé en particulier ou encore les impôts de production, font que l'économie française n'est pas propice à la production industrielle, comparée à ses voisins européens.

Ce poids est d'autant plus difficile à absorber pour les entreprises de la filière bois qu'il s'agit souvent de petites et moyennes entreprises (PME) ou d'entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Afin de libérer le potentiel productif du site France et de favoriser le bois en tant que matériau décarboné, les impôts de production restants, voire certaines cotisations sociales, pourraient basculer vers une taxation du carbone, en suivant l'exemple de ce qu'a fait la Suède il y a plusieurs décennies Cela constituerait un avantage relatif certain pour le bois, en tant que matériau peu carboné.

Pour aller plus loin, il faudrait plaider pour une extension du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) aux produits bois, ce qui suppose préalablement d'étendre le système d'échanges de quotas d'émission (SEQE) à ces mêmes produits bois. Cette proposition est nécessairement prospective, car ce serait une première que d'étendre ce mécanisme à des produits finis (et non à des matières premières). Il conviendrait également de demander pour l'inclusion dans ce mécanisme du contenu carbone lié au transport de marchandises, au-delà du seul contenu carbone de leur fabrication. Au total, le parquet transformé en Chine émet quatorze fois plus que le parquet fabriqué en France, en comptabilisant les émissions liées au transport et à la transformation, et aucun cadre ne vient compenser cet état de fait.

Par ailleurs, en France, à dépense sociale constante, les exonérations de cotisations sociales pourraient être recentrées ( rapport Bozio-Wasmer) sur les salaires intermédiaires et donc industriels (1,2 à 1,9 Smic), alors que la filière subit une pénurie de main-d'oeuvre dans les métiers du bois, mais aussi de la maintenance. Cela se justifie d'autant plus que ces emplois industriels sont, davantage que les emplois dans le commerce au niveau du Smic, soumis à la concurrence internationale.

L'ensemble des entreprises visitées par les rapporteurs ont cité la main-d'oeuvre comme l'une des principales composantes des coûts de revient. Dans les comparaisons avec l'Allemagne, est souvent revenue par ailleurs l'évocation de la réduction du temps de travail et des 35 h, génératrice de surcoûts pour les entreprises, d'autant plus que l'industrie, notamment de la deuxième transformation, tourne dans certains cas en « 3x8 ».

Recommandation n° 7 : Modifier le cadre socio-fiscal français et européen pour qu'il favorise davantage la transformation industrielle sur notre territoire, et celle du bois en particulier, en :

- veillant à ne pas concentrer excessivement les exonérations de cotisations sociales au niveau du Smic, pour donner un coup de pouce aux emplois intermédiaires entre 1,2 et 1,9 Smic (1 700 à 2 700 € nets par mois), plus fréquents dans l'industrie ;

- plaidant au niveau européen pour une extension du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) aux produits transformés et notamment au bois et aux produits bois.

2. Le verrou des ressources humaines et des compétences, dans les métiers du bois et les autres
a) Un déficit d'image propre à la filière, toujours associée à la pénibilité et dont le potentiel innovant et écologique reste trop méconnu

L'ensemble des dirigeants d'entreprise rencontrés à l'occasion du déplacement de la mission en Alsace ont déploré des difficultés de recrutement et de fidélisation de la main-d'oeuvre. C'est le cas des scieries Feidt à Molsheim, Siat à Urmatt et de la papeterie Blue Paper à Strasbourg.

Le caractère hautement technologique des métiers du bois semble méconnu, si bien que la filière suscite moins l'enthousiasme que d'autres. Dans le premier cas énuméré, le relatif déficit d'attractivité de la filière bois se mesure à la rapidité avec laquelle les entreprises d'autres secteurs industriels - par exemple aéronautique (Safran) - présentes dans la même commune, recrutent.

Les professionnels pointent également un problème d'attractivité liée à l'image sociétale de la filière, désormais davantage associée à la déforestation plutôt qu'au jardinage de la forêt, en raison de simplifications hâtives par des relais d'opinion ou, plus encore, d'une méconnaissance de la sylviculture, ce qui se répercuterait en chaîne sur l'ensemble de la filière. De fait, les difficultés de recrutement sont transversales, de l'amont à l'aval, des bûcherons aux charpentiers en passant par les scieurs.

Par ailleurs, la filière resterait associée à une image de pénibilité.

Or, s'il est vrai que certains postes dans le secteur continuent d'exposer les employés à des facteurs de pénibilité - bruit dans l'ensemble des sites visités, odeur dans la papeterie, poussière dans la scierie, charges lourdes et vibrations... - et demeurent sujets des accidents du travail - scies, foyers, chute d'objets volumineux - voire à certaines maladies professionnelles, les rapporteurs ont pu constater que les conditions de travail s'étaient notablement améliorées. Un certain nombre de postes sont désormais entièrement automatisés ce qui, au sein d'une scierie, permet aux employés de travailler dans des cabines insonorisées et à l'abri de la poussière, derrière des écrans d'ordinateur.

Un mouvement identique de mécanisation est d'ailleurs à relever à l'amont, notamment pour les entrepreneurs de travaux forestiers (ETF), les controverses autour des incidences sur les habitats d'espèces protégées étant d'ailleurs le revers de ce progrès pour les conditions de travail des bûcherons. Malgré cela, la forte proportion de travailleurs d'Europe de l'Est en forêt témoigne d'une désaffection pour ces métiers qui demeurent parmi ceux le plus soumis à des accidents graves voire mortels - pour des raisons également de difficulté d'accès.

Cette industrialisation, avec les protocoles de sécurité qu'elle induit, peut cependant « déshumaniser » le travail en contrepartie.

En plus des traditionnels salons et journées portes ouvertes, l'interprofession France Bois Forêt a conduit une campagne de promotion des métiers du bois appelée « Very Wood Métiers », en ciblant les jeunes sur les réseaux sociaux, à l'aide de slogans tels que : « si vous cherchez du boulot, y'en a dans les bois ! »

b) Dans le bois comme ailleurs, des emplois intermédiaires non pourvus, avec des conséquences regrettables pour la filière

S'agit-il pour autant d'un frein spécifique à la compétitivité de la filière bois française ? Rien n'est moins sûr.

D'une part, le dirigeant de la scierie Streit, outre-Rhin, a indiqué faire face aux mêmes difficultés de recrutement dans son Land du Bade-Wurtemberg, pourtant le plus prospère d'Allemagne.

D'autre part, les chefs d'entreprise rencontrés5(*) constatent un avant et un après-Covid et, rappelant les salaires élevés qu'ils sont en capacité de proposer, comme du reste dans l'industrie en général, mettent leurs difficultés sur le compte d'un système social qui n'inciterait pas suffisamment au travail en France (minima sociaux, indemnisation des contrats courts).

Le problème ne serait donc pas propre à la filière. De fait, la Fédération nationale du bois insiste sur le fait que les postes les plus difficiles à pourvoir ne sont pas nécessairement ceux spécifiques aux métiers du bois, mais, bien souvent, ceux relatifs à la maintenance des très lourds équipements utilisés : postes d'électromécaniciens, de techniciens de maintenance, etc.

La filière bois, comme du reste l'ensemble de l'industrie, fait face à un déficit grandissant de compétences dans les métiers touchant à la maintenance (mécanique, électrotechnique, automatisme, robotique). Il conviendrait de susciter davantage l'intérêt des jeunes pour les formations menant à ces métiers, qui souffrent de désaffection, par exemple en communiquant sur les très bons niveaux d'insertion et sur les rémunérations semble-t-il très intéressantes auxquelles ces compétences permettent de prétendre.

Le phénomène peut aussi être appréhendé de manière plus optimiste. Ainsi, selon le dirigeant de scierie Pierre Piveteau, les difficultés des entreprises de la filière bois à pourvoir les postes, communes à tous les secteurs industriels, seraient plutôt à analyser comme un signe de bonne santé de l'économie et de retour du chômage à un niveau plus bas.

Toujours est-il que ce « verrou » de la main-d'oeuvre qualifiée est d'autant plus regrettable que la première et la deuxième transformation sont en grande majorité composées d'unités très capitalistiques. Cela a pour effet que les investissements massifs dans des outils de transformation plus performants mettent plus de temps avant d'être amortis, car ils ne tournent pas au maximum de leur capacité.

Le caractère de plus en plus capitalistique des industries du bois n'est pas une parade face à cette pénurie : il ne réduit pas tant le nombre d'hommes par unité de bois produite qu'il ne change la nature et la qualification des emplois. Dans une scierie moderne, l'intensité en travail reste la même, mais pour sept employés autour d'une ligne de sciage, on en compte autant pour la maintenance des machines, dans les bureaux, derrière les ordinateurs.

Les rapporteurs ont pu constater à l'occasion du déplacement que certains de ces postes étaient pourtant extrêmement stratégiques pour optimiser la valorisation de la ressource et pour un rendement matière intéressant, indicateur clé pour la rentabilité de la transformation du matériau bois. À titre d'exemple, l'expertise humaine reste essentielle chez un scieur de tête.

Or, les entreprises visitées indiquent en être rendues à recruter des employés sans aucune formation pour les postes auxquels ils sont recrutés, quitte à les former ensuite en interne, processus qui peut prendre plusieurs mois et qui ne peut être sans impact sur la productivité au sein de l'entreprise, non seulement pour la personne à former, mais aussi pour le formateur.

Le directeur général de BerryWood, Jean-Marc Legrand, déplore, lui, le renoncement à des formations plus transversales sur les métiers du bois. En tant qu'acteur de la seconde transformation, il constate une dégradation, au sein de la filière, de la connaissance du matériau et y voit l'une des raisons d'une détérioration permanente du rendement matière sur les quinze dernières années, faute de parler un langage commun.

Cela permettrait de faire plus de place aux compétences générales transférables, par opposition aux compétences spécifiques propres à un poste, et de redonner plus de sens aux métiers, ce qui serait peut-être de nature à en accroître l'attractivité. Le succès du livre La Vie Solide (2019) du philosophe Arthur Lochman, qui a abandonné ses études pour suivre un CAP en charpente, témoigne du pouvoir de fascination que peuvent avoir les métiers manuels. C'est d'autant plus le cas pour des métiers extrêmement spécifiques comme la charpente dans la batellerie (pour faire du bateau à façon)

Il conviendrait, selon Mme Loisier, de capitaliser, pour ce faire, sur les campus des métiers et qualifications du bois, qui se sont mis en place à Metz ou encore à Cluny, ou sur les CAP - qui ne semblent pas nécessairement faire le plein, à entendre Mme Rochatte, de la société NS Gerbois.

Recommandation n° 8 : Recentrer les formations autour de la connaissance de la matière, de son travail et de ses usages, afin de faciliter le dialogue entre différents maillons de la filière et de donner plus de perspectives aux jeunes en leur ouvrant un spectre plus large d'emplois.


* 5 Il est à noter que les employés de ces branches professionnelles n'ont pu être entendus par la mission.

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