C. DES DISPOSITIFS VARIÉS DE SOUTIEN À L'INVESTISSEMENT LOCAL ULTRAMARIN
1. Le fonds exceptionnel à l'investissement (FEI), une aide non contractualisée aux collectivités
Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) a été créé en 2009 par la loi12(*) dite « LODEOM ». L'objet du fonds est d'apporter une aide financière de l'État aux personnes publiques qui réalisent des investissements sur des équipements publics collectifs.
L'article 1 du décret13(*) du 30 décembre 2009 précise cet impératif en indiquant que « ces aides financent des opérations d'investissement individualisées portant sur la réalisation ou la modernisation d'infrastructures ou d'équipements publics à usage collectif participant de façon déterminante, de manière directe ou indirecte, au développement économique, social, environnemental et énergétique de ces collectivités ».
Ainsi, seuls des projets structurants réalisés par des personnes publiques et ayant un impact sur le niveau et les conditions de vie outre-mer peuvent être financés par le FEI.
Le FEI est administré par le ministre chargé de l'outre-mer qui détermine chaque année, dans le cadre d'une circulaire annuelle, la nature des opérations susceptibles de bénéficier, de manière prioritaire ou exclusive, d'une aide financière du fonds au titre de l'année suivante.
À partir de cette liste, les préfets et hauts-commissaires définissent, sur la base d'un diagnostic territorial, les thématiques prioritaires en matière d'équipements structurants, qui constituent le cadre de l'appel à projets lancé dans chacun des territoires conduisant, in fine, aux dépôts de candidature puis à la sélection des opérations qui bénéficieront d'une subvention du FEI.
À l'issu de ces appels à projets annuels, les représentants de l'État dans les collectivités proposent au ministre chargé de l'outre-mer une liste, par territoire, d'opérations susceptibles de bénéficier d'une aide du fonds exceptionnel d'investissement, classées par ordre de priorité au regard des besoins de chacun des territoires concernés et de l'impact attendu des projets en termes de développement économique et social, de préservation de l'environnement, de développement durable et de promotion des énergies renouvelables.
Ainsi, contrairement aux CCT, le FEI permet de déterminer annuellement les projets qui pourront bénéficier d'une subvention de l'État, sur la base d'un appel à projets. Il s'agit donc d'une procédure plus réactive de détermination des projets bénéficiant d'une subvention, par rapport aux CCT. Par ailleurs, l'État est le seul décisionnaire et aucune négociation avec les collectivités locales n'est menée pour en décider l'organisation.
Le montant du FEI a été multiplié par 1,5 entre 2017 et 2025, montrant l'effort de long terme réalisé par l'État en faveur des investissements collectivités ultramarines.
À noter, toutefois, que le FEI a été fortement diminué entre 2024 et 2025, pour revenir pratiquement au niveau prévu pour 2023. Le ministère des outre-mer a en effet argué qu'il rencontrait des difficultés pour sélectionner suffisamment de projets permettant de consommer l'intégralité du fonds.
Il s'agit toutefois d'un outil utile à l'investissement des collectivités territoriales, qui permet de compléter par des subventions à des projets qui n'ont pas nécessairement été prévus par les CCT. Une stabilisation des moyens du FEI est donc souhaitable.
Évolution du montant du FEI entre 2017 et 2025
(en millions d'euros)
Note : AE signifie autorisations d'engagement et CP crédits de paiement.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
2. La bonification des prêts accordés par l'Agence française de développement, une diversification bienvenue des sources de financement
Le ministère des outre-mer soutient également l'investissement des collectivités locales ultramarines via un système de bonification des prêts accordés par l'Agence française de développement (AFD). Ce dispositif est financé sur l'action 9 « Appui à l'accès aux financements bancaires » du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » au sein de la mission « Outremer ». Il permet d'offrir des crédits à taux d'intérêts réduits pour financer les projets des collectivités ultramarines qui répondent à des critères d'impact social et environnemental. Ce « prêt secteur public - Transition (PSP-T) », créé en 2022 (deux prêts préexistaient) a vocation à cibler les petites collectivités en difficulté financière (ayant signé un contrat de redressement outre-mer -COROM- notamment), et celles de la Guyane et de Mayotte.
La direction générale des outre-mer (DGOM) joue un rôle d'orientation stratégique et de pilotage budgétaire dans ce cadre :
- elle définit les modalités d'éligibilité à la bonification des prêts, en lien avec le ministère chargé des finances et l'AFD, en prenant en compte des critères généraux d'accès, comme la situation financière de la collectivité, la nature du projet, ou encore le respect des objectifs de développement durable.
- elle valide l'éligibilité des projets proposés à la bonification au-delà du seuil de 10 millions d'euros.
- elle veille à la cohérence des projets avec les priorités stratégiques de l'État, notamment dans le cadre des contrats de convergence et de transformation.
L'AFD choisit ensuite les projets conformément aux orientations stratégiques définies par la DGOM. Ce cadrage stratégique est actualisé chaque année en lien avec le groupe AFD pour renforcer l'impact de la politique publique. Les prêts bonifiés accordés par l'AFD financent des projets structurants d'investissements, comme par exemple en 2023 le prêt de 3 millions d'euros accordé à la commune du Moule en Guadeloupe pour financer la rénovation énergétique d'un bâtiment communal. Certains prêts peuvent également être accordés pour soutenir la trésorerie des collectivités, mais ils constituent une minorité.
Au premier trimestre de chaque année, l'AFD communique les listes de tous les prêts bonifiés octroyés l'année précédente, avec le montant de la bonification associée à chaque prêt. À noter que la part de prêt éligible à la bonification ne peut pas dépasser 21 millions d'euros par projet, avec une maturité de remboursement équivalente au maximum à 25 ans.
En 2024, l'AFD prévoyait des engagements de PSP-T à hauteur de 542,7 millions d'euros, soit un effet levier de 14,3 par rapport aux 38,06 millions d'euros d'AE de bonifications autorisées. L'effet de levier particulièrement élevé par rapport aux années précédentes, où il était compris entre 10,1 et 11,5. En effet, entre 2020 et 2023, le montant de prêts engagés par l'AFD s'élevait en moyenne à 372 millions d'euros. L'important effet de levier de l'année 2024 s'explique probablement par les conditions du marché financier.
Entre 2017 et 2024, la bonification accordée par l'État aux prêts consentis par l'AFD s'élevait en moyenne à 31,3 millions d'euros. L'effort consenti par l'État en 2025, le montant autorisé de bonification s'élevant à 35,74 millions d'euros, est à saluer particulièrement dans un contexte contraint budgétairement.
Évolution du montant de prêts engagés par l'AFD auprès des collectivités locales ultramarines et de la bonification autorisée par l'État en loi de finances initiale entre 2017 et 2024
(en millions d'euros et en AE)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Cet outil de financement est particulièrement efficient d'un point de vue budgétaire. Ainsi, en 2023, les 345 millions d'euros de prêts accordés par l'État, générés grâce à la bonification de l'État de 34,13 millions d'euros, ont permis de réaliser des investissements d'un montant global de 1,4 milliard d'euros. Le mécanisme des prêts bonifiés par l'État constitue donc un levier important d'investissements pour les collectivités territoriales.
Toutefois, cet instrument présente également des limites. Ainsi, les collectivités territoriales en difficulté financière ne peuvent mobiliser facilement l'outil des prêts. Par ailleurs, même si leur situation financière le leur permet, elles n'ont pas forcément les ressources humaines ou les compétences techniques leur permettant de solliciter des prêts, conditionnés à l'établissement d'un projet mature avec un plan de financement solide, fondé souvent sur plusieurs sources de financement. Les prêts ne peuvent constituer la seule modalité de soutien de l'État à l'investissement des collectivités locales. Des subventions budgétaires sont également indispensables.
Par ailleurs, d'autres dispositifs de prêts existent dans les outre-mer, financés notamment par Banque des territoires, à hauteur de 193,2 millions d'euros en 2024.
3. Un soutien nécessaire à l'ingénierie des collectivités locales
L'accès aux différents dispositifs de soutien à l'investissement est conditionné pour les collectivités locales ultramarines à leur capacité à mobiliser ces dispositifs. En effet, qu'il s'agisse de subventions budgétaires ou de prêts, les collectivités doivent généralement présenter des projets matures, avec un budget précis, nécessitant de faire appel à plusieurs sources de financements (État, autres collectivités, fonds européens etc.). Un certain nombre de collectivités, en particulier les petites communes, éprouvent des difficultés à répondre à l'ensemble des exigences, à la fois parce qu'elles ont des ressources humaines réduites et parce qu'elles ne disposent pas des compétences techniques.
Le contexte du plan de relance a renforcé la nécessité d'un appui à l'ingénierie au profit des collectivités territoriales, afin de leur permettre d'engager rapidement les nombreux projets qu'elles doivent réaliser. Ainsi, le Fonds 5.0, créé en 2019, a été reconduit sous l'appellation « Fonds outre-mer » (FOM). Il permet de financer à la fois une assistance à maîtrise d'ouvrage pour les projets planifiés par les collectivités locales, pour faciliter l'amorçage des projets d'investissement et renforcer les capacités des acteurs publics locaux, une assistance technique auprès des collectivités locales et un appui aux projets de coopération régionale. Il est opéré par l'AFD.
Évolution du montant du fonds outre-mer en
loi de finances initiale
entre 2017 et 2024
(en millions d'euros et en AE)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Le FOM était initialement doté de crédits issus du plan de relance, à hauteur de 15 millions en AE pour 2021 et 2022.
La LFI 2024 prévoyait un financement de ce dispositif à hauteur de 23,26 millions d'euros en AE et 5 millions d'euros en CP, réduit à 16,32 millions d'euros en AE en raison du décret14(*) d'annulation du 21 février 2024. L'importante hausse du montant versé en CP en 2024 s'explique par la temporalité de mise en oeuvre des projets financés par le FOM. L'essentiel des CP relevait en effet des engagements des années antérieures.
En LFI 2025, le FOM serait financé à hauteur de 14 millions d'euros en AE et de 3 millions d'euros en CP. Le maintien du soutien à l'ingénierie territoriale des collectivités locales ultramarines doit être salué.
D'autres dispositifs de soutien à l'ingénierie locale existent. La loi15(*) de finances initiale pour 2021 a introduit par amendement les contrats de redressement outre-mer (COROM). Ce dispositif résulte des constats du rapport16(*) « Soutenir les communes des départements et régions d'outre-mer : pour un accompagnement en responsabilité » du député Jean-René Cazeneuve et du sénateur Georges Patient publié en décembre 2019 qui relevait que, sur les 129 communes des DROM, un tiers avait des délais de paiement supérieurs à 30 jours et plus de la moitié étaient inscrites dans le réseau d'alerte des finances publiques.
Les COROM visent à apporter un soutien spécifique de l'État aux communes ultramarines souhaitant assainir leur situation financière et réduire les délais de paiement de leurs fournisseurs locaux. Les communes qui signent un COROM s'engagent, en contrepartie d'un soutien financier de l'État, à redresser leur situation financière. Ce dispositif d'accompagnement est fondé sur :
- un effort de diagnostic et d'ingénierie préalable qui doit être mené au niveau local avec l'appui de l'Agence française de développement (AFD) ;
- un accompagnement afin de mener certaines réformes structurelles indispensables concernant par exemple la fiscalité (meilleure identification des bases), la maitrise de certaines dépenses de fonctionnement, l'amélioration de la gestion de la chaîne de la dépense ou de la sincérité des comptes ;
- la restauration des marges de manoeuvre en section de fonctionnement, notamment sur la maitrise des frais de personnel ;
- une aide de l'État au processus de redressement, apportée en fonction des efforts de la collectivité ;
- une perspective pluriannuelle afin de redresser la situation financière de la collectivité contractante.
Les critères d'éligibilité, ainsi que les modalités de signature et de suivi des contrats sont définis dans une circulaire conjointe des ministères de l'économie, des finances et de la relance, des collectivités territoriales et de la ruralité et des outre-mer du 2 février 2021.
Les COROM ont été dotés de 30 millions d'euros en AE et de 5 millions d'euros en CP chaque année entre 2021 et 2024. Leur financement a été maintenu pour 2025, mais le montant exact n'est pas déterminé. Ce dispositif, particulièrement utile pour les collectivités territoriales, doit être conservé.
Par ailleurs, l'OFB, l'ADEME et la Banque des territoires disposent également de dispositifs de soutien à l'ingénierie des collectivités locales. Si ces dispositifs se révèlent particulièrement utiles, ils peuvent se révéler difficiles à mobiliser, en raison de la pluralité des acteurs concernés.
* 12 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et relatif au fonds exceptionnel d'investissement outre-mer.
* 13 Décret n° 2009-1776 du 30 décembre 2009 pris pour l'application de l'article 31 de la loi n° 200-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et relatif au fonds exceptionnel d'investissement outre-mer.
* 14 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 15 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
* 16 Soutenir les communes des départements et régions d'outre-mer, pour un accompagnement en responsabilité, M. le député Jean-René Cazeneuve et M. le Sénateur Georges Patient, décembre 2019.