B. INTERVENTION DE M. JACQUES GENTON AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'OCCASION D'UNE DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT, SUIVIE D'UN DÉBAT, SUR L'UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE
M. Jacques GENTON :
« Le traité signé à Maastricht le 27 février 1992, dispose que, à l'issue de la deuxième phase de l'Union monétaire, l'Écu devient la monnaie unique des États qui ont la capacité et la volonté de participer à l'Union monétaire et que la Banque centrale européenne mène une politique monétaire unique.
Il dispose également que les États qui satisfont aux critères de convergence économiques requis rejoignent automatiquement l'Union économique et monétaire au 1 er janvier 1999.
Il ajoute toutefois, que si huit États membres (sur quinze) remplissent les conditions imposées par le traité, ils peuvent décider de créer le système de monnaie unique, dès le 1 er janvier 1997.
Ceci, c'était le traité. Mais l'histoire a déjà tranché.
Il n'y aura pas de monnaie unique au 1 er janvier 1997 ; et si la monnaie unique voit le jour, elle ne s'appellera pas l'Écu. C'est dire si l'aventure de la monnaie européenne s'évade déjà quelque peu de la voie toute tracée par les négociateurs !
Le débat politique à propos de l'Union monétaire s'est essentiellement centré, ces derniers mois, sur deux questions :
- d'une part, les avantages et les inconvénients de la monnaie unique,
- d'autre part, la difficulté de respecter et les critères de convergence et le calendrier ; d'où le dilemme cruel de choisir entre celui-ci et ceux-là.
Je ne m'engagerai pas, pour ma part, dans ce type de débat.
Beaucoup se sont déjà exprimés à ce sujet. On peut d'ailleurs se demander si le moment est opportun pour trancher ces questions.
En effet, d'une part, il n'est plus temps aujourd'hui de comparer les avantages et les inconvénients de la monnaie unique car celle-ci est inscrite dans un traité qui nous engage. Au surplus, on ne peut que constater les dangers de la situation actuelle qui permet à certains États membres de recourir à des dévaluations compétitives mettant à mal certains de nos secteurs d'activité.
D'autre part, il n'est pas encore temps aujourd'hui de s'interroger sur un choix entre les critères et le calendrier. C'est au début de 1998, et en fonction de la situation qui régnera alors, qu'il faudra arbitrer. Le traité a d'ailleurs prévu une interprétation politique des critères de convergence par le Conseil.
Pour ma part, je voudrais seulement, à l'occasion de ce débat, évoquer deux problèmes que la réalisation de l'Union monétaire posera à l'Union européenne. Il s'agit là de deux écueils qu'il convient d'éviter si l'on veut que l'Union monétaire, loin d'affermir l'Union européenne, n'en arrive à lui porter atteinte.
Le premier porte sur le risque d'une division irrémédiable de l'Union européenne à la suite de la réalisation de l'Union monétaire.
Le traité de Maastricht a consacré l'apparition d'une Union différenciée. Jusque là, tous les membres de l'Union allaient de concert dans la même direction et se retrouvaient tous dans les mêmes politiques, sans doute des délais étaient-ils parfois prévus. Sans doute des clauses de sauvegarde étaient-elles ménagées. Mais tous devaient se retrouver à terme sur la même ligne.
Le traité de Maastricht, pour la première fois, a prévu des exceptions à cette règle. Une exception pour l'Union monétaire et une exception pour la politique sociale.
Cette différenciation - ce que certains préfèrent appeler la géométrie variable - a sans doute un grand avenir devant elle avec l'élargissement ! L'Union à 27 États sera fatalement une Union différenciée. Mais nous pouvions au moins avoir l'espoir qu'un noyau solide, composé notamment des pays fondateurs de la Communauté et de l'Espagne, se retrouverait pour traiter de l'ensemble des problèmes de l'Union européenne.
Prenons garde que la réalisation de la monnaie unique ne nous conduise pas à créer, au sein de ce groupe, une fissure définitive.
Il est en effet clair que des pays comme l'Italie et l'Espagne ne pourront pas, en 1999, satisfaire aux critères inclus dans le traité de Maastricht et qu'ils ne pourront donc vraisemblablement pas participer alors à la monnaie unique.
Or, si aucun mécanisme correcteur spécifique n'est mis en place, on peut craindre que la réalisation de la monnaie unique à quelques uns n'aboutisse à éloigner sans cesse davantage les États qui seront dans la monnaie unique de ceux qui seront en dehors de la monnaie unique.
Je ne parle pas seulement de la tentation que pourraient avoir ces derniers de recourir à des dévaluations compétitives. Pour éviter cet inconvénient, il conviendra bien sûr de définir des modalités de relation entre les taux de change des uns et des autres.
Mais, au-delà de ce risque, on peut craindre que le seul jeu des mécanismes économiques et des marchés n'accroisse la divergence entre États membres participant à la monnaie unique et États membres n'y participant pas.
Si cela devait se produire, je crains fort que l'Union européenne toute entière n'ait plus à pâtir qu'à bénéficier de la réalisation de l'Union monétaire.
Il convient donc, dès à présent, de prévoir des mécanismes correcteurs évitant la divergence de ceux qui ne seront pas dans la monnaie unique.
Le second problème que je voudrais aborder est celui de la démocratisation de l'Union monétaire.
Dans le cadre d'une résolution adoptée par notre assemblée le 20 octobre 1994 sur une proposition de notre collègue Xavier de VILLEPIN à propos des déficits budgétaires excessifs, le Sénat a souligné l'exigence d'un contrôle démocratique de l'Union économique et monétaire qui conduit à prévoir que « au rôle prééminent du Conseil des ministres de l'économie et des finances en matière de politique économique corresponde un contrôle particulièrement approfondi des Parlements nationaux ».
M. Giscard d'Estaing a décrit ce que pourrait être une approche institutionnelle pragmatique pour la gestion de l'Union monétaire.
Selon lui, cette approche pourrait comprendre « une commission parlementaire de l'Union monétaire composée de membres des Parlements nationaux, désignés sur la base d'une représentation démographique et qui constituera l'organisme devant lequel les dirigeants de la Banque centrale européenne viendront exposer les objectifs de leur politique monétaire ».
Cette idée d'instaurer une commission parlementaire de l'Union monétaire rejoint un autre projet, avancé par notre délégation, relatif au contrôle parlementaire des deuxième et troisième piliers créés par le traité de Maastricht : Politique étrangère et de sécurité commune, Justice et Affaires intérieures.
On voit ici la logique institutionnelle : dans le domaine communautaire, le Parlement européen contrôle l'action de la Commission ; dans le domaine inter-États, la représentation des Parlements nationaux dialogue avec le Conseil, nonobstant l'indispensable contrôle de chaque Parlement sur son Gouvernement dans le cadre constitutionnel qui lui est propre. Loin de moi l'idée d'opposer Parlement européen et Parlements nationaux. Depuis 1990, j'ai toujours insisté sur leur nécessaire complémentarité.
Sans la présence des Parlements nationaux, l'Union monétaire et rôle du Conseil en matière de politique économique risquent d'apparaître comme un signe supplémentaire d'une technocratie européenne parfois décriée. Là encore, prenons garde que nos concitoyens n'en soient renforcés dans leur tentation de se détourner de l'Europe.
L'Union monétaire peut être la marque d'un progrès décisif de l'Union européenne si ces deux questions fondamentales sont, dès aujourd'hui, abordées avec lucidité. Si ce n'était pas le cas, on pourrait craindre qu'elle n'aboutisse à un résultat bien éloigné de celui que recherchaient ses promoteurs. »
Ce débat a été intégralement publié au Journal officiel ( Débats Sénat ) du 22 février 1996. |