IV. APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

A. LES MODALITÉS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 PAR LA DÉLÉGATION

Le 31 janvier 1996, le Président Jacques Genton a présenté à la délégation une communication sur l'application de l'article 88-4.

M. Jacques Genton :

« L'article 88-4 a été introduit dans la Constitution en juillet 1992.

Compte tenu du délai nécessaire pour mettre en place ses modalités d'application, il est entré effectivement en vigueur en janvier 1993.

En octobre 1993, la Conférence des Présidents du Sénat a constaté que les commissions étaient souvent hésitantes devant ces propositions d'acte communautaire, qui arrivaient en grand nombre. Elle a donc chargé notre délégation de distinguer, parmi toutes ces propositions, celles qui méritaient un examen par le Sénat

Enfin, en juillet 1994, le Premier ministre a défini par circulaire les modalités de la prise en compte par le Gouvernement des positions que le Parlement pouvait être amené à prendre en application de l'article 88-4.

Cette circulaire prévoit notamment que les ministres, avant de participer aux négociations sur une proposition d'acte communautaire, doivent vérifier si l'Assemblée nationale ou le Sénat ont l'intention ou non d'examiner cette proposition.

À cette fin, les délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat sont devenues les interlocuteurs naturels du Gouvernement. Si une délégation estime, dans le mois suivant le dépôt d'une proposition, que cette proposition mérite un examen parlementaire, le Gouvernement agit en sorte que le vote sur cette proposition n'intervienne pas avant que le Parlement ait pu s'exprimer. En revanche, si aucune délégation ne se manifeste en ce sens dans ce même délai, le Gouvernement ne s'estime plus tenu d'invoquer une « réserve d'examen parlementaire » devant le Conseil

Depuis cette circulaire, la délégation est donc investie d'une responsabilité particulière puisqu'elle doit faire connaître au Gouvernement, dans le délai d'un mois, si elle estime que le Sénat doit intervenir. C'est ce qui nous a amenés à procéder à un examen régulier et systématique des propositions d'actes communautaires. Nous nous livrons à cet examen depuis l'automne 1994 : je crois donc qu'il est bon aujourd'hui, à partir de cette expérience, de formuler quelques constats et de tirer quelques enseignements.

Depuis octobre 1994, date à laquelle nous avons commencé cet examen systématique, c'est environ 260 propositions d'acte communautaire qui ont été soumises au Sénat.

Pour la seule année 1995, c'est plus de 200 propositions d'acte communautaire qui sont venues devant nous.

Or, sur ces 200 propositions, il n'y en a guère qu'une vingtaine qui ont appelé une proposition de résolution au Sénat.

Le Sénat n'a d'ailleurs pas adopté 20 résolutions, mais seulement la moitié de ce chiffre. Mais c'est une vingtaine de propositions qui ont paru mériter le dépôt d'une proposition de résolution, c'est-à-dire 10 % du total.

Au-delà de ces 10 %, il y a encore une vingtaine de propositions qui ont appelé, de notre part, une certaine forme d'intervention. Ce fut parfois une lettre au ministre compétent afin d'appeler son attention sur un point précis. Ce fut parfois un rapport d'information parce que nous considérions qu'il fallait examiner le problème dans son ensemble. Ce fut parfois une communication devant la délégation nous permettant d'examiner plus au fond la proposition et quelquefois de conclure qu'il n'y avait pas motif à intervenir.

C'est donc à nouveau 10 % de l'ensemble qui ont mérité un examen plus ou moins approfondi.

En revanche, les 80 % restants n'ont manifestement nécessité aucun examen de fond de la part du Sénat.

Tantôt il s'agissait de textes recueillant un assentiment unanime et n'appelant aucune réserve ni remarque.

Tantôt il s'agissait de textes qui concernaient d'autres États membres, mais non la France.

Tantôt il s'agissait de textes ne portant que sur un aspect tout à fait mineur et limité d'une politique.

Tantôt encore il s'agissait de mesures provisoires n'anticipant en rien sur des mesures ultérieures ou de mesures reconduisant des mesures antérieures pour une période limitée.

La grande difficulté que nous pose cette masse de propositions mineures tient à l'exigence du délai. Dans le délai d'un mois, nous devons faire savoir au Gouvernement s'il nous semble que le Sénat doit intervenir ou non sur ces textes.

Cette contrainte nous amène à encombrer notre ordre du jour, à des moments que nous ne maîtrisons pas, sur des sujets qui ne présentent guère d'intérêt.

Or l'important pour la délégation est de se concentrer, le plus rapidement possible, sur les 20 % des textes qui présentent un réel intérêt de fond.

C'est pourquoi je vous suggérerai que nous adoptions désormais la méthode suivante :

- Indépendamment des dates de nos réunions, je vous adresserai périodiquement une analyse des textes qui me paraissent mineurs en indiquant les raisons qui m'amènent à penser qu'il n'est pas nécessaire de procéder à un examen plus approfondi.

- Si aucun membre de la délégation ne fait savoir au secrétariat, dans les huit jours suivants la réception de cette lettre, qu'il souhaite qu'un de ces textes soit évoqué en délégation, il nous sera possible de faire savoir sans tarder au Gouvernement que la délégation n'estime pas nécessaire que le Sénat intervienne sur ces textes.

- En revanche, si un seul membre de la délégation fait connaître son souhait qu'un texte soit évoqué en délégation, ce texte sera réservé jusqu'à la prochaine réunion de la délégation. Et, lors de cette réunion, le sénateur intéressé fera une communication afin d'exposer le sort qu'il propose de réserver à ce texte.

Cette formule devrait nous permettre, tout à la fois, de nous prononcer rapidement sur la masse des textes mineurs, et de nous consacrer plus largement aux 20 % restants qui sont les textes politiquement intéressants.

Pour ces 20 % les plus significatifs, nous garderions la formule actuelle et ils seraient systématiquement examinés en délégation.

*

Je voudrais aborder maintenant le problème de l'urgence.

Tout au long de l'année, certains textes, en nombre très limité, font l'objet de demande d'urgence de la part du Gouvernement. Ceci me paraît relativement raisonnable et fondé. Il n'en va pas de même toutefois pour la situation qui s'est produite en décembre dernier.

À l'occasion de la fin de la présidence espagnole, nous avons été saisis tout à coup d'une dizaine de textes en urgence. C'était déjà beaucoup. Mais, au-delà de ces dix textes, c'est plus d'une vingtaine d'autres textes dont les seuls intitulés m'ont été communiqués la veille de leur adoption par le Conseil.

Une telle situation aboutit à l'évidence à vider l'article 88-4 de sa portée. J'en ai fait part au ministre des Affaires européennes et mon collègue M. Pandraud a fait de même.

Le ministre nous a répondu cependant qu'il n'y pouvait rien. La responsabilité en revient à la Commission qui dépose trop tardivement des textes qui doivent être adoptés de manière urgente.

La solution se trouve sans nul doute à terme dans l'inscription d'un délai minimal dans le texte même des traités.

Mais, en attendant cette inscription, le Gouvernement a souhaité sensibiliser la Commission et le Conseil sur ce point. Il va donc envoyer une mission de fonctionnaires à Bruxelles pour expliquer les raisons qui amènent la France à demander un délai raisonnable entre le dépôt formel d'un texte et son adoption définitive. »

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