II. QUELLES ÉCONOMIES BUDGÉTAIRES ?

A. LES PROPOSITIONS DU GOUVERNEMENT

Partant du volume des charges de personnel et des interventions, qui représentent au total 793,1 milliards de francs, soit 51,1 % du budget en 1996, le Gouvernement estime que :

1. "Les charges de personnel doivent être maîtrisées"

À cet égard, l'accent est mis sur l'inflation des effectifs constatée au cours des dernières années : 72.300 emplois budgétaires en 8 ans.

2. "Les dépenses d'intervention doivent être au centre de la révision des services votés"

Parmi ces dépenses d'intervention, sont cités les secteurs "les plus importants en masse budgétaire" : les crédits en faveur de l'emploi (139 milliards de francs) et les aides au logement (52,6 milliards de francs), dont l'augmentation continue est rapprochée respectivement de la diminution du chômage par rapport à 1994 et de la décroissance du nombre de nouveaux ménages.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission des Finances estime que toute prise de position sur les économies budgétaires possibles suppose une analyse préalable de l'ensemble des dotations, et l'adoption d'une démarche systématique.

1. L'analyse des crédits budgétaires

S'il est vrai que les dépenses de personnel et d'intervention ont un poids déterminant dans le budget de l'État, c'est l'ensemble des dotations budgétaires qui doit faire l'objet d'une démarche systématique de recherche d'économie.

Les crédits du budget de 1996

Cette présentation classique fait apparaître l'importance de la charge de la dette (près de 15 % du total), nettement supérieure aux crédits d'investissement (11,2 %). La comparaison avec 1995 fait apparaître la progression de la charge de la dette, des dépenses de personnel et de fonctionnement, la stabilité des interventions et le recul des dépenses d'équipement.

Cette présentation traditionnelle des crédits doit être complétée par deux approches :

a) Un regroupement des dépenses par objectif

Ainsi, la présentation par titre et par partie demanderait à être modernisée. On voit apparaître sous le titre "interventions économiques" (36 % des crédits d'intervention), un pan essentiel des aides à l'emploi, avec les contrats aidés, les exonérations de charges sociales, le reclassement des travailleurs handicapés, alors que la subvention à l'AFPA ou les crédits des stages de formation pour les jeunes apparaissent quant à elles en "interventions éducatives et culturelles".

Le Parlement devrait disposer d'un document budgétaire plus adapté aux réalités, les crédits étant regroupés par vocation : c'est un budget "fonctionnel" qui est ainsi préconisé par votre commission des Finances, et qui permettrait de suivre l'évolution réelle des politiques. Cette présentation, qui devrait transcender les titres et parties est d'ailleurs partiellement réalisée par le ministère de l'économie et des finances, sur les crédits d'intervention adoptés en 1996.

Source : Budget 1996. Soles bleues de Bercy - 96-1

b) Une appréciation de la flexibilité des dépenses

Cette présentation doit se doubler d'une évaluation du degré de flexibilité des dépenses du budget. Votre rapporteur général s'était livré à cet exercice à partir du projet de loi de finances pour 1996, qui permettait de mieux apprécier les possibilités d'économies budgétaires.

Les dépenses étaient ainsi regroupées en six catégories


• Les dépenses "imposées"

Les dépenses intégralement imposées à l'État sont rares : au-delà des prélèvements sur recettes affectés à l'Union Européenne (qui apparaissent en moindres recettes et non pas en dépenses), des contributions obligatoires aux organisations internationales ou des frais de justice prescrits par les magistrats, les dépenses inéluctables peuvent en fait être modulées à la marge par l'État.

Il s'agit des dépenses ayant un caractère de dette : dette publique, rémunérations et pensions des fonctionnaires -dues à leur statut- pensions des anciens combattants, indexées sur les traitements des fonctionnaires

- la dette publique

Les charges de la dette de l'État, conditionnées par le niveau des déficits antérieurs et l'évolution des taux d'intérêt, sont des dépenses auxquelles l'État ne peut bien sûr se soustraire, une action étant seulement possible sur le calendrier des émissions de titres. Ces dépenses s'élèvent en 1996 à 226.4 milliards de francs, en augmentation de 8,2 %.

- Les pensions et rémunérations des fonctionnaires

Les charges de personnel dépendent du taux fixé pour la revalorisation du point de la fonction publique, du niveau des effectifs, et de l'évolution des carrières. L'État conserve la maîtrise du point de la fonction publique, peut agir -assez marginalement- sur l'évolution des carrières, et maîtriser, à la marge, les effectifs de fonctionnaires, mais pas ceux des pensionnés.

On peut assimiler aux charges de pensions des fonctionnaires les dépenses de pensions des anciens combattants, indexées sur l'évolution du point de la fonction publique, dont l'évolution est toutefois freinée spontanément par la diminution naturelle du nombre des ayant-droits : la dépense est de 21,37 milliards de francs en 1996 au lieu de 21,7 milliards de francs en 1995.


Les dépenses de structures

Dans l'ordre de 1'"inéluctable" décroissant, les dépenses liées au fonctionnement des structures occupent la deuxième place. Sauf à bloquer l'activité d'une administration ou d'un établissement public, voire à en supprimer l'existence, la réduction des dépenses de fonctionnement s'avère difficile à manier même si les exercices de régulation et d'annulation des crédits imposés en cours d'année par la Direction du Budget y ont régulièrement recours.

- Le matériel et le fonctionnement de l'administration

Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 1996, les dépenses de matériel et fonctionnement des services progressent de 0,65 %, alors que la norme imposée par la lettre de cadrage envoyée le 8 juin 1995 par le Premier ministre aux ministres dépensiers imposait une diminution de 8 % des dépenses de fonctionnement hors personnel.

- Les subventions de fonctionnement aux établissements publics.

Elles devraient théoriquement être plus facilement modulables, l'établissement pouvant être sommé de procéder à des redéploiements de dépenses, voire de renoncer à certaines opérations. Toutefois, là encore, c'est une progression des dépenses de 3,3 % qui est prévue en 1996, certaines augmentations accordées à des établissements compensant les quelques diminutions opérées.

Ainsi, à la recherche, les subventions de fonctionnement augmentent de 3,5 % et atteignent 19,960 milliards de francs.

La subvention au CNRS progresse de 500,3 millions de francs et atteint 10,676 milliards de francs.

L'exemple du CNRS illustre une autre difficulté à réaliser des économies sur les subventions de fonctionnement : en effet, l'augmentation brutale des moyens de 1996 rattrape les diminutions de crédits des années antérieures, qui n'avaient pas été intégrées dans les programmes de recherche : les économies supposent en effet une évaluation préalable des établissements, et notamment de leurs capacités de redéploiement interne.

- Les subventions d'équilibre

On peut rapprocher des subventions de fonctionnement les subventions versées par l'État afin d'assurer l'équilibre financier de divers régimes, qu'elles interviennent -ou non- dans un cadre contractuel.


• Les dépenses contractuelles

L'État est aussi lié à des organismes par des liens contractuels qui prédéterminent sa contribution financière.

Il en est ainsi pour :

- le financement de l'enseignement privé sous contrat : 36,91 milliards de francs en 1996,

- les subventions à la SNCF, intervenant dans le cadre d'un contrat de plan,

- le transport gratuit de la presse, prévu dans le cadre d'un contrat avec la Poste : 1,9 milliard de francs en 1996.

On peut sans doute y ajouter d'ores et déjà les dotations de décentralisation (32,5 milliards de francs) dans la mesure où elles sont appelées à s'inscrire dans le pacte de stabilité qui devrait être conclu avec l'État.


Les dépenses "à guichet ouvert"

Une grande part des dépenses d'intervention correspond à des prestations dont l'accès est subordonné a des conditions objectives, fixées par voie législative et réglementaire, qui doivent elles-mêmes être modifiées si l'on veut infléchir la dépense.

Il en est ainsi en 1996 pour :

- L'allégement du coût du travail sur les plus bas salaires : 38,8 milliards de francs,

- les aides au logement versées aux personnes : 27,72 milliards de francs,

- le revenu minimum d'insertion : 23 milliards de francs,

- l'allocation aux adultes handicapés : 20,86 milliards de francs,

- les bourses scolaires et universitaires : 9,39 milliards de francs,

- l'aide juridique : 1,1 milliard de francs.


Les dépenses conditionnelles

Or, proches de la catégorie précédente, ces dépenses sont toutefois subordonnées à un examen de la situation par l'administration.

Entrent dans cette catégorie :

- les actions du Fonds national de l'Emploi : 33,54 milliards de francs dont :

- l'incitation au retrait d'activité (préretraites...): 15,42 milliards de francs

- les contrats emploi solidarité : 10,84 milliards de francs

- les aides à l'agriculture : 12,16 milliards de francs

- le reclassement des travailleurs handicapés : 4.99 milliards de francs.

- Les actions pour la promotion de l'emploi: 1,457 milliards de francs -dont
900 millions de francs pour l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise.


Les dépenses "flexibles"

Il est rare qu'une dépense échappe à toute contrainte législative, réglementaire ou contractuelle.

On doit toutefois considérer que l'État peut agir plus librement sur certains postes de dépenses qui sont, au moins en théorie, quasi discrétionnaires, comme le montrent les économies pratiquées dans le budget de 1996 :

* L'action internationale

Les contributions non obligatoires aux organisations internationales : ainsi, la France diminue-t-elle cette année sa participation à l'Unicef, au Haut commissariat aux réfugiés, au programme alimentaire mondial, ...

En ce qui concerne l'aide au développement, les actions de coopération civile et militaire sont réduites en 1996, respectivement à 2,11 milliards de francs (-200 millions de francs) et à 776 millions de francs (- 7 millions de francs).

* la politique économique

L'État garde la maîtrise, en opportunité, du volume des dépenses de bonification industrielle : 6,94 milliards de francs, ou encore des aides "à la pierre" au logement : 14,8 milliards de francs.

* La lutte contre les fléaux sociaux

L'État est également maître d'interventions d'intérêt général, telles que la lutte contre le SIDA (0,45 milliard de francs), contre la drogue (0,67 milliard de francs), la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme (0,18 milliards de francs).

* La politique culturelle

Au sein du budget de la culture, les actions de "développement culturel et formation" (2,46 milliards de francs), de "soutien" (3,21 milliards de francs), de "recherche"(762 millions de francs), restent très largement discrétionnaires, étant le plus souvent versées sous forme de subvention aux associations.

On peut considérer qu'il en est de même pour les actions en faveur de la jeunesse, de la vie associative, du sport, qui diminuent de 10 millions de francs et s'établissent à 1,1 milliard de francs en 1996 au sein du budget de la jeunesse et des sports.

Cette double approche : par objectif et par nature de la dépense devrait permettre de préparer la recherche des économies.

2. Une recherche d'économies systématique

L'ampleur des économies nécessaires justifie que soient passées en revue l'ensemble des dotations ainsi analysées de la manière systématique :

Chaque grande dotation, ou catégorie de dotations, peut donner lieu à une fourchette d'économies -au moins théorique-.

Quelle méthode permettrait d'y parvenir ? Suppression ou réduction de structures, d'effectifs, changements de base de calcul d'allocations, globalisation des crédits, sous-traitance de services, aménagement de calendriers...

Quelles conséquences doivent être envisagées ? Suppression d'actions, transfert sur d'autres postes de compétences, report de programmes... Ce n'est qu'au vu des réponses à ces deux questions que les économies pourront être décidées.

L'exemple de la fonction publique

Les perspectives d'économies sur les charges de personnel, largement commentées et controversées, illustrent la nécessité d'adopter une telle démarche

Ainsi peuvent être comparées deux pistes d'économies : l'absence de revalorisation du point d'indice et l'absence de remplacement des départs à la retraite, au vu des travaux réalisés par les services du ministère de l'économie et des finances à la demande de la division des études macroéconomiques du Sénat.

Incidence sur les charges salariales d'une revalorisation de 1 % du point d'indice

L'impact de cette mesure sur la masse salariale brute et sur les cotisations sociales versées par l'État employeur est d'environ 0,87 % ; en revanche, la masse des pensions civiles et militaires, et des pensions d'anciens combattants, indexées sur la valeur du point, croît de 1 %. Au total, le besoin de financement de l'État est accru de 5,2 milliards de francs, et le besoin de financement des administrations publiques centrales de 5,6 milliards de francs.

Toutefois, il convient de signaler que l'évolution de la valeur de l'indice détermine également celle des salaires des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière. Au total, la masse salariale brute de l'ensemble des administrations progresse d'environ 7,6 milliards de francs quand la valeur du point augmente de 1 %. tandis que les rentrées de cotisations sociales (perçues par l'État ou les administrations de sécurité sociale) s'accroissent de 0,7 milliards de francs En ajoutant l'augmentation de la valeur des pensions versées par 1'État, par la CNRACL et par l'IRCANTEC, on peut évaluer à environ 9,1 milliards de francs (soit 0,1 % du PIB) l'augmentation du besoin de financement des administrations publiques induite par une hausse de 1 % de la valeur du point de la fonction publique.

Incidence d'une diminution de 10.000 unités des effectifs de l'État (en équivalent temps plein)

Sous l'hypothèse d'une stabilité des effectifs et du maintien du pouvoir d'achat des mesures générales, la masse salariale brute de l'État en 1997 serait de 400,3 milliards de francs. Une réduction de 10.000 des effectifs de l'État (soit - 0,45 % environ) par non-remplacement d'une partie des départs à la retraite se traduirait par une économie de 1,2 milliards de francs sur les charges salariales de l'État. Cet effet, somme toute faible, au moins à court terme, s'explique par le phénomène suivant : le salaire des fonctionnaires en fin de carrière est en moyenne 56 % plus élevé que celui des débutants, de sorte que le non-remplacement des sorties induit une augmentation mécanique du salaire par tête, par le biais du vieillissement des effectifs en activité. (On parle alors d'un "effet Glissement-Vieillesse-Technicité positif). Pour une diminution de 25.000 unités des effectifs, l'économie pour l'État la première année est de l'ordre de 3 milliards de francs.

À terme toutefois, l'effet d'une baisse des effectifs est plus important : l'effet sur la masse salariale devrait être proportionnel à la réduction des effectifs, soit un gain de 2,1 milliards de francs (sur la base des salaires 1996) dans le cas d'une baisse de 10.000 unités des effectifs de l'État, de 5,25 milliards de francs dans le cas d'une baisse de 25.000 unités des effectifs de l'État.

À terme également, les dépenses de fonctionnement liées à une réorganisation devraient diminuer.

L'effet financier des deux mesures doit bien sûr être apprécié dans le cadre plus large d'un examen en opportunité.

3. Des prolongements indispensables

Cette analyse préalable à l'exercice d'économies budgétaires devrait permettre, selon votre commission des Finances, d'apporter trois types d'améliorations dans la discussion budgétaire au Parlement.

a) Un nouveau mode de régulation

Une telle approche des dotations budgétaires, accompagnée d'une marge d'économies possibles, devrait rendre possible une inscription réaliste de dotation pour charges imprévues par ministère, qui serait actée par le Parlement et éviterait la traditionnelle opération de régulation budgétaire forfaitaire.

b) Une présentation pluriannuelle du budget

Afin de mieux évaluer les conséquences des choix arrêtés, le Parlement devrait pouvoir disposer d'une programmation pluriannuelle des grandes catégories de dépenses, le vote du budget ne pouvant plus se situer dans la perceptive stricte de 1'"exercice budgétaire", -et ce d'autant plus que le Parlement est amené à se prononcer sur des lois quinquennales.

c) Des critères d'évaluation

Il n'est bien sûr pas possible de prévoir une évaluation préalable de chaque action avant de réfléchir sur les économies budgétaires.

Toutefois le Parlement paraît être en droit de demander à disposer d'indicateurs simples d'évaluation pour chaque dotation importante. L'analyse des aides à l'emploi et au logement à laquelle invite le Gouvernement en est un bon exemple : ainsi, au-delà du volume effectivement impressionnant des aides à l'emploi (peut-être pas plus que celui du nombre des demandeurs d'emploi ?) devraient pouvoir être appréciés le coût moyen des mesures 13 ( * ) et leur efficacité -au sein d'une échelle-. Actuellement, l'absence de tels indicateurs rend l'examen des crédits peu réaliste. De même, l'effet redistributeur des aides à la personne au logement devrait être pris en compte dans l'examen de l'ensemble des aides au logement.

* 13 La Cour des comptes estimait ainsi en 1994. dans une étude réalisée à la demande de votre commission des Finances, qu'un contrat emploi-solidarité coûtait à peu près trois fois plus cher qu'un contrat de retour à l'emploi

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