Communication de M. Michel RUFIN sur son rapport au Premier ministre « Protection de la jeunesse et délinquance juvénile ».

Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je voudrais remercier particulièrement notre président, M. Jacques Larché, de nous avoir réunis à l'occasion de la journée des droits de l'enfant.

Grâce à lui, nous avons pu entendre, au cours de cette matinée les interventions d'éminentes personnalités très qualifiées, qui concernaient les problèmes liés aux droits de l'enfant. Je voudrais leur adresser mes compliments pour la qualité de leurs propos.

En se réunissant aujourd'hui, notre commission manifeste clairement son souci de participer activement à la mise en oeuvre d'une loi pour le vote de laquelle, sur le rapport de notre collègue Robert Pagès, elle a joué un rôle moteur. Je tiens également à rappeler les efforts de Mme Marie-Claude Beaudeau pour que le 20 novembre, jour anniversaire de l'adoption par l'ONU de la convention relative aux droits de l'enfant, soit reconnu journée nationale des droits de l'enfant.

Le Parlement avait ainsi souhaité que soient régulièrement rappelés, pour reprendre les termes de notre collègue Pagès, « les droits de l'enfant en tant que jeune être humain » et ses droits « en tant que citoyen en devenir ».

Sur le premier point -les droits de l'enfant en tant que jeune être humain-, l'accent avait notamment été mis sur la nécessité de sensibiliser l'opinion à des comportements déplorables, je dirai même inadmissibles, que constituent les actes de maltraitance ou les graves atteintes aux moeurs. Les personnes qui sont intervenues tout à l'heure ont mis l'accent sur cet aspect de la question.

Pour ma part, ma communication concernera plutôt le second volet, celui des droits -et, ne l'oublions-pas, des devoirs- de l'enfant en tant que citoyen en devenir. À ce titre, il convient de le sensibiliser aux règles de la vie sociale, de lui faire prendre conscience de l'existence d'interdits.

C'était le sujet de la mission que m'avait confiée Monsieur le Premier ministre et du rapport que je lui ai remis cet été ainsi qu'au Garde des Sceaux.

La lettre de mission de M. le Premier Ministre soulignait en effet « la dégradation de la situation économique et l'aggravation de la fracture sociale » et ses conséquences graves, « particulièrement sensibles dans nombre de quartiers des villes ou de leurs banlieues ».

Elle constatait que ces difficultés, et notamment le développement de situations d'exclusion, avaient « touché de plein fouet ceux qui sont au nombre des plus vulnérables au sein de la population : les jeunes, souvent confrontés à la désintégration de la cellule familiale, aux échecs scolaires, aux doutes sur leur avenir professionnel, quand ce n'est pas aux tentations de la délinquance ».

Le Premier ministre précisait que ces phénomènes constituaient « pour l'État, et tout particulièrement pour la Protection judiciaire de la Jeunesse, un sujet de préoccupation d'une acuité sans précédent mais aussi un puissant facteur de mobilisation ».

Il me demandait en conséquence de dresser un état des lieux de la situation et de faire part au Garde des Sceaux de mes réflexions sur les perspectives et les pistes d'optimisation de l'action de la PJJ.

Mon rapport de mission comprend donc trois parties :

- un rappel des textes ;

- un état des lieux ;

- des propositions.

Je ne crois pas utile d'insister outre mesure sur cette partie puisque nous avons largement discuté au printemps, à l'occasion de l'examen de la future loi du 1er juillet 1996, de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Je rappellerai donc seulement que ce texte privilégie l'éducatif sur le répressif et fait du juge des enfants la clé de voûte de l'application de la législation relative à l'enfance délinquante.

Je signale cependant que, en matière de PJJ, il n'y a pas que l'ordonnance de 1945.

En effet, la PJJ intervient également -et je dirai même surtout- au titre de la protection de l'enfance en danger, indépendamment de la commission d'une infraction. C'est tout l'aspect assistance éducative -articles 375 et suivants du code civil- dont l'origine remonte à 1958.

Comme je le souligne dans mon rapport, la protection de l'enfance en danger relève prioritairement des départements auxquels il appartient d'ailleurs d'en assurer la prise en charge financière. Il appartient cependant au président du Conseil général ou à son représentant de saisir l'autorité judiciaire, par exemple lorsqu'un mineur est victime de mauvais traitements, ou lorsque la famille refuse toute intervention du service d'aide sociale.

Outre des mesures d'investigation -du genre enquêtes sociales- le juge des enfants peut prononcer deux types de mesures éducatives à l'égard d'un jeune en danger :

- l'action éducative en milieu ouvert tout d'abord : elle consiste à apporter aide et conseil à la famille afin de lui permettre de surmonter les difficultés matérielles et morales qu'elle rencontre. Le mineur est alors maintenu dans son milieu naturel. Ce maintien peut s'accompagner d'obligations particulières à l'égard du mineur telles que l'assiduité scolaire ;

- seconde série de mesures éducatives susceptibles d'être décidées par le juge des enfants : le retrait du mineur de son milieu. Cela peut consister à le confier à celui de père et mère qui n'en avait pas la garde, à un autre membre de la famille ou à le placer dans un établissement sanitaire ou d'éducation ou dans un service de l'aide sociale à l'enfance.

Pour dresser l'état des lieux qui m'était demandé par le Premier Ministre, j'ai bien entendu donné des éléments chiffrés sur l'activité de la protection judiciaire de la jeunesse : 131 086 jeunes pris en charge en 1994 -dont près de 80 % par le secteur habilité- se répartissant ainsi :

- 14 176 délinquants ;

- 111 908 mineurs en danger ;

- 5 002 jeunes majeurs.

Dans l'immense majorité des cas (environ 80 %), ces jeunes ont fait l'objet d'une prise en charge en milieu ouvert.

Mais mon rapport de mission a surtout dressé un état des lieux qualitatif du dispositif de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour ce faire, j'ai rencontré près d'une centaine de personnes -syndicats d'éducateurs et de magistrats, avocats, directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse, psychologues...- et effectué plusieurs déplacements : en Aquitaine, en Champagne-Ardenne, en Lorraine, à Fleury-Mérogis, en Seine-Saint-Denis et délinquance rencontrés sur un lieu particulier (je pense notamment aux établissements scolaires).

Cette démarche permet un travail en commun avec plusieurs intervenants, sur un site et un temps limités, dans une optique de résultats concrets.

En outre, elle peut relancer le partenariat, dans un contexte d'essoufflement des comités départementaux de prévention de la délinquance. Troisième proposition, toujours relative à la prise en charge des jeunes : faciliter l'intégration des jeunes d'origine étrangère en favorisant une meilleure formation des professionnels à leur culture d'origine.

Cela permettrait, me semble-t-il, une meilleure compréhension entre, d'une part, les éducateurs et, d'autre part, des mineurs qui peuvent représenter une part importante des jeunes pris en charge.

J'ai également proposé de monter des actions communes entre la protection judiciaire de la jeunesse et le secteur psychiatrique.

Sur ce point, je me suis inspiré du dispositif expert régional pour les adolescents en difficultés (dit DERPAD) qui a été mis en place en Ile-de-France. Ce dispositif associe des éducateurs et des spécialistes de la psychiatrie et de la psychologie.

Cela me paraît essentiel car beaucoup de jeunes -dont la personnalité, ne l'oublions pas, est en formation- ont besoin d'un soutien psychologique ou psychiatrique.

Ces propositions relatives aux moyens de la protection judiciaire de la jeunesse concernent surtout les moyens en personnels même si je n'ai pas oublié les problèmes matériels.

J'ai tout d'abord proposé de se doter d'un statut de directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse conforme à leurs responsabilités. Ceux-ci jouent en effet un rôle majeur de relais entre l'Administration centrale et le terrain et il me paraît normal de leur donner un statut correspondant à celui des autres agents de l'État exerçant des fonctions similaires. Ce serait, à mon avis, un facteur Lee revalorisation de la protection judiciaire de la jeunesse. Le décret d'application va paraître sous peu en ce qui concerne les directeurs nationaux et départementaux.

J'ai également proposé de simplifier la gestion des corps de la protection judiciaire de la jeunesse et notamment de fusionner certains d'entre eux. Il faut savoir qu'il existe 18 statuts différents. Pour obtenir une plus grande souplesse dans la gestion des personnels, et leur offrir plus de perspective de mobilité, on pourrait imaginer l'intégration de certains dans des corps interministériels identiques.

Dans le même esprit, j'ai proposé, pour les agents de catégorie C, de procéder soit à des recrutements locaux, soit à des concours nationaux, mais communs à l'ensemble du ministère de la justice.

Il faut en effet savoir qu'actuellement chaque direction du ministère organise ses propres concours pour des catégories de personnels identiques. Des concours communs présenteraient un triple avantage :

- pour les lauréats, cela améliorerait leurs choix d'affectation ;

- pour l'administration, cela réduirait donc les risques de refus de prise de poste ;

- cela réduirait également les coûts de recrutement en permettant de réaliser des économies d'échelle.

Autre suggestion contenue dans le rapport de mission : placer plus tôt dans le déroulement de la formation initiale des éducateurs les premiers stages pratiques. L'objectif est de mettre au plus tôt des futurs éducateurs en contact avec le public dont ils auront à s'occuper. Ils sauront ainsi exactement ce que l'on attend d'eux.

Enfin, mais tout ceci est loin d'être exhaustif, certaines de mes propositions visaient à prendre en compte les difficultés inhérentes à la fonction d'éducateurs, par définition au contact d'adolescents difficiles. Dans cette perspective, il conviendrait tout d'abord de mieux préparer les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse à la prévention et à la maîtrise des phénomènes de violence dans les établissements. J'ai également proposé de fixer à 50 % la proportion minimale d'hommes parmi les éducateurs des foyers d'hébergement.

Je suis et je reste persuadé que la réflexion sur la délinquance juvénile est loi d'être épuisée et que de nombreuses questions subsistent, d'autant que la délinquance juvénile progresse en intensité et en violence et concerne des mineurs de plus en plus jeunes. Ce n'est pas particulier à la France.

Il nous appartient à tous, Mesdames, Messieurs, d'être attentifs et mobilisés sur ce phénomène préoccupant pour l'avenir de notre jeunesse et pour notre pays.

Je me permettrai de rappeler, comme je l'ai mise dans mon rapport, cette citation de Joseph Joubert, écrivain du XVIIIè siècle, célèbre pour ses travaux philosophiques : « Les enfants ont plus besoin de modèles que de critiques » .

M. le Président - Votre rapport était prémonitoire en quelque sorte des travaux que nous avons menés aujourd'hui. Nous retrouvons dans les propositions que vous avez faites un certain nombre de moyens qui nous permettront de répondre, dans le cadre de tout ce que nous avons à faire, aux problèmes que nous avons évoqués aujourd'hui. Chacun a noté l'intérêt de ces entretiens et je vous remercie de votre présence.

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