III. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE : UN RÔLE POSITIF À JOUER DANS LE PROCESSUS DE PAIX

Quelle influence l'environnement international exerce-t-il sur le processus de paix ? Il n'existe sans doute pas de réponse univoque à cette question.

D'une part, le processus de paix n'a réellement avancé, malgré la mobilisation de la communauté internationale et le coparrainage de la Russie et des Etats-Unis, que lorsque les deux parties ont entrepris de nouer un dialogue direct, dans le plus grand secret, à Oslo. Les questions soulevées par la négociation représentent en effet des enjeux vitaux pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Des intervenants extérieurs peuvent s'entremettre, favoriser le rapprochement. Sont-ils cependant vraiment en mesure de faire pression ?

D'autre part, il faut également prendre la mesure des évolutions de la société israélienne. L'esprit pionnier s'est émoussé. Les Israéliens, comme toutes les populations habituées à la prospérité et aux facilités d'une société de consommation, s'accommodent moins des rigueurs imposées par l'état de " forteresse assiégée ".

Dans ce contexte, la pacification des relations avec une partie des Etats arabes, la fin de l'ostracisme dont Israël demeurait la victime ont répondu partiellement aux attentes de la population.

Le durcissement de la position de certains Etats comme l'Egypte ou la Jordanie, avec lesquels Israël a signé des accords de paix, ne laissera pas dès lors indifférent. La volonté de sécurité intérieure et l'aspiration à la paix aux frontières ne sont pas divisibles. L'une comme l'autre constituent des facteurs décisifs de la confiance accordée par l'opinion au gouvernement.

L'environnement extérieur d'Israël s'inscrit dans trois cercles distincts par la logique qui les anime : les pays arabes d'une part, l'Europe, d'autre part, les Etats-Unis, enfin. L'Europe et son rôle dans le processus de paix feront l'objet du rapport de notre commission qui sera consacré à l'accord euro-méditerranéen entre Israël et l'Union européenne. C'est la place de la France dans cette région du monde qui retiendra ici notre attention.

A. LES DIVIDENDES DE LA PAIX AUJOURD'HUI MENACÉS ?

L'état de guerre larvée entre Israël et ses voisins privait les pays arabes de tout moyen de peser réellement sur l'évolution des relations israélo-palestiniennes. N'est-ce pas précisément au moment où l'Etat hébreu commence à bénéficier sur la scène internationale des dividendes procurés par le processus de paix, qu'il peut se montrer plus sensible aux souhaits des pays arabes modérés. Jadis, Israël n'avait rien à perdre, aujourd'hui les acquis des trois dernières années pourraient se trouver remis en question. Quel rôle peuvent jouer, dans ce contexte, les coparrains du processus de paix et, bien sûr, plus particulièrement les Etats-Unis ?

1. Les relations avec les pays arabes : espoirs et déceptions

a) L'acceptation du fait israélien dans la région

A la faveur du processus de paix, Israël a amélioré ses relations avec certains pays arabes.

En premier lieu, Israël a pu signer avec la Jordanie, le 26 octobre 1994, un traité de paix, le second conclu avec l'un de ses voisins après l'accord israélo-égyptien de 1976.

Ce traité règle six questions principales :

- il fixe la frontière conformément au tracé du mandat britannique "sans préjudice aucun du statut de tout territoire passé sous contrôle militaire israélien en 1967" entérinant ainsi la rupture des liens administratifs et juridiques entre le Royaume hachémite et la Cisjordanie décidée par le Roi Hussein en 1988 ;

- il répartit de façon équitable les ressources en eau ;

- il ouvre la voie à l'établissement de relations diplomatiques complètes et à une coopération dans le domaine de la sécurité fondée sur des mesures de confiance mutuelle ;

- il favorise la coopération économique ;

- il reporte la question des réfugiés (65 % de la population jordanienne est d'origine palestinienne) à des discussions conduites dans un cadre multilatéral ;

- il reconnaît le rôle historique de la Jordanie sur les sites musulmans de Jerusalem.

En second lieu, Israël a pu obtenir une levée progressive du boycott voté par la Ligue arabe en août 1950. Les Etats arabes avaient alors prohibé les échanges directs avec l'Etat hébreu ainsi que toute relation avec des "sociétés ou institutions étrangères qui contribuent à la consolidation de l'économie israélienne". D'après des sources israéliennes, ce boycott a représenté depuis sa mise en oeuvre un manque à gagner de près de quarante milliards de dollars.

La Jordanie a de facto renoncé au boycott en signant le traité de paix avec Israël. Quant aux Etats membres du Conseil de coopération du Golfe 2( * ) , ils ont cessé de mettre en pratique le boycott indirect.

Ces changements de positions ont dessiné de nouvelles perspectives pour une économie de la paix , dont M. Shimon Pérès s'est fait l'ardent défenseur. Le développement des liens économiques permettrait, à l'image de la construction européenne au lendemain de la guerre, de créer des solidarités nouvelles renforçant le processus de paix. La Conférence économique, réunie à Casablanca à l'automne 1994, a permis d'évoquer plusieurs projets liés à ce dessein ambitieux : mise en chantier d'un gazoduc traversant la péninsule arabique pour alimenter Israël, création d'une banque régionale dotée d'un capital initial de 10 milliards de dollars ...

b) Les promesses déçues

Les espoirs soulevés par cette " économie de la paix" ne se sont pas -encore- concrétisés. La Conférence du Caire organisée à la fin de l'année 1996 et destinée à renouveler l'exercice de Casablanca, s'est d'ailleurs conclue par des résultats décevants. Trois facteurs continuent d'hypothéquer des avancées réelles en matière de coopération économique.

En premier lieu, à l'exception des monarchies du Golfe dont l'économie est du reste déjà bien intégrée à l'économie internationale, nombre d'Etats répugnent encore à abandonner le protectionnisme et à exposer des structures productives souvent fragiles aux risques de la concurrence.

Le commerce régional représente aujourd'hui des flux très faibles. Les interlocuteurs israéliens de votre délégation ont tous également regretté à plusieurs reprises que la normalisation des relations au niveau gouvernemental soit restée sans réel écho au sein des populations jordaniennes ou égyptiennes.

En second lieu, Israël n'a toujours pas réglé ses contentieux avec le Liban et la Syrie . La paix avec cette dernière passe par le règlement de la question du plateau du Golan. Les Israéliens peuvent-ils abandonner un avantage stratégique certain contre ce qui n'est qu'une promesse de paix ? Cette incertitude fondamentale explique que les gouvernements successifs (Shamir, Rabin, Pérès) se soient refusés à toute concession unilatérale sans contrepartie en termes de garanties de sécurité et de paix totale. Les positions de M. Netanyahou -dont le gouvernement compte plusieurs représentants de la Troisième voie (associant des anciens travaillistes hostiles à une restitution du Golan)- ne permettent pas d'envisager, à ce stade, des évolutions rapides sur cette question. La montée récente des tensions sur le terrain (mouvements de troupes syriennes en septembre, auxquels ont répondu un renforcement des forces israéliennes et l'organisation de manoeuvres) a pu être maîtrisée. Elle pourrait toutefois conduire les parties à mieux mesurer les risques encourus et, partant, à infléchir leurs positions.

Enfin, les difficultés du processus de paix depuis l'arrivée au pouvoir du Likoud risquent, en outre, de peser sur les relations entre Israël et les pays arabes. Certes, M. Netanyahou paraît très désireux de ne pas compromettre les bénéfices du processus d'Oslo sur le plan régional : ses déplacements au Caire et à Amman en témoignent.

Aucun front arabe anti-israélien ne s'est d'ailleurs formellement reconstitué. La Ligue arabe a indiqué cependant, lors de sa dernière réunion interministérielle, que la normalisation des relations et la poursuite des négociations multilatérales seraient remises en cause en l'absence de toute avancée dans le processus de paix.

L'Egypte, par la voix du président Moubarak a condamné la politique de renforcement des implantations israéliennes. Si la Jordanie demeure soucieuse de tirer le meilleur parti de l'accord de paix avec Israël, elle doit tenir compte également des sentiments d'une opinion encore largement hostile au rapprochement avec l'Etat hébreu. Les manifestations hostiles à l'organisation de la première foire industrielle israélo-jordanienne à Amman en janvier 1997 en ont d'ailleurs apporté le témoignage. Le Maroc et la Tunisie ont pris également leurs distances.

Les monarchies du Golfe ont manifesté à leur tour leur désapprobation. Le sultanat d'Oman dont le rôle pionnier s'était traduit par l'ouverture d'un bureau commercial à Tel Aviv a menacé de revenir sur cette décision. Le Conseil de coopération du Golfe a condamné le 9 décembre dernier une politique "qui représente un véritable danger pour la paix et un prélude au retour à la violence".

La signature d'un accord de coopération militaire entre Israël et la Turquie en février 1996 n'a pas été remise en cause mais elle doit se comprendre à la lumière de l'antagonisme entre Ankara et Damas qui échappe à la logique du conflit israélo-arabe.

Les Etats arabes modérés n'ont pas lancé d'anathème : leur mise en garde n'en ont eu que plus de crédibilité. C'est la légitimation de la place d'Israël dans la région qui est en cause, et le gouvernement israélien peut difficilement ne pas en tenir compte. La médiation du roi Hussein n'est sans doute pas étrangère à la signature de l'accord sur Hébron. Pour la première fois, la politique mesurée de la Jordanie comme de l'Egypte paraît en mesure d'infléchir la position israélienne dans la négociation avec les Palestiniens.

Même si la cause palestinienne n'est parfois mise en avant par certains Etats arabes que pour des objectifs répondant à la défense d'intérêts purement nationaux, les progrès des discussions israélo-palestiniennes demeurent la clef de la paix dans la région .

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