9. Problèmes de société

Propositions E 639 et E 713

Com (96) 93 final et Com (96) 340 final

(Réunion de la délégation du 26 mars 1997)

Présentation par Mme Danièle Pourtaud d'un rapport d'information :

Notre délégation a été saisie de deux propositions d'actes communautaires relatives à la mise en oeuvre du principe d'égalité entre hommes et femmes au niveau communautaire . J'ai pensé qu'il était intéressant, à l'occasion de l'examen de ces propositions, de faire le point sur l'action de la Communauté dans ce domaine, voire de proposer au Gouvernement français de défendre une amélioration du Traité dans le cadre de la Conférence intergouvernementale actuellement réunie.

Le problème qui se pose ici est celui du débat entre l'égalité en droit et l'égalité en fait. La France, jusqu'à présent, a toujours défendu une égalité de droits entre hommes et femmes. D'autres Etats, en particulier ceux de l'Europe du Nord, ont en revanche considéré que l'égalité en droit était insuffisante pour assurer une égalité de fait. C'est pourquoi ils ont mis en place des politiques d'action positive qui ont pu prendre la forme de quotas, par exemple à l'embauche. La Communauté, quant à elle, a eu plutôt tendance à vouloir réaliser l'égalité de fait, comme en témoignent les directives adoptées en cette matière et la jurisprudence de la Cour de Justice. Néanmoins, un arrêt récent a semblé limiter la portée des décisions antérieures. C'est cet arrêt qui a motivé l'une des propositions qui nous est soumise et mon souhait de réfléchir sur ce problème de l'égalité entre hommes et femmes.

Je rappellerai d'abord brièvement en quoi consiste l'action communautaire pour l'application du principe d'égalité entre hommes et femmes.

Ce principe d'égalité est inscrit dans l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne ; mais cet article ne traite que de l'égalité des rémunérations. Dans ce domaine, les institutions communautaires ont complété cet article par une directive adoptée en 1975. Le Conseil des ministres a par ailleurs adopté d'autres directives afin d'étendre le champ d'application du principe d'égalité entre hommes et femmes. Ces directives concernent par exemple l'accès à l'emploi, à la formation professionnelle et les conditions de travail, les régimes professionnels de sécurité sociale, la sécurité et la santé des travailleuses enceintes...

En outre, la Communauté européenne a mis en oeuvre, à partir de 1982, des programmes d'action communautaire pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le quatrième programme a été adopté en décembre 1995. Il vise en particulier à promouvoir l'intégration de la dimension de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques et actions de la Communauté européenne; c'est ce qu'on appelle le principe de " mainstreaming ".

La Communauté s'est donc dotée d'un certain nombre d'instruments afin de favoriser l'égalité entre hommes et femmes. La Cour de Justice des Communautés a eu un rôle très important, puisqu'elle a interprété les dispositions du traité et des directives. Et dans bien des domaines, elle a fait progresser l'égalité, par exemple par sa jurisprudence sur les discriminations indirectes dont je reparlerai tout à l'heure.

En revanche, certains arrêts de la Cour ont été plus contestés parce qu'ils ont donné l'impression d'aller à l'encontre du progrès social. C'est par exemple le cas de l'arrêt sur le travail de nuit des femmes dans l'industrie. Comme vous le savez, la France a été condamnée deux fois sur cette question, une première fois en 1991 (arrêt STOECKEL) et une seconde fois le 13 mars dernier. La Cour a estimé que l'interdiction de travail de nuit pour les femmes ne visait pas à protéger les femmes de risques qui leur sont spécifiques et était donc contraire au principe d'égalité. Juridiquement, le raisonnement de la Cour est inattaquable. Elle défend une conception rigoureuse de l'égalité, dans laquelle les mesures de protection des femmes ne sont possibles que lorsqu'elles s'expliquent par des différences objectives entre la situation des femmes et celle des hommes. Cependant, cet arrêt a pu choquer en France, dans la mesure où certaines mesures de protection sont admises depuis longtemps et considérées comme un progrès social.

La Cour a rendu d'autres arrêts contestés dans le domaine de l'égalité des rémunérations. Elle a par exemple estimé en 1990 que les pensions de retraite versées par les fonds professionnels ou par les régimes de retraite complémentaire constituaient des éléments de rémunération et que toute disposition relative à ces pensions qui ne respectait pas le principe d'égalité était contraire au Traité (arrêt BARBER). Ainsi, la fixation d'un âge différent pour les femmes et pour les hommes en matière d'attribution de ces pensions est contraire au Traité. Or, bien souvent, ces pensions étaient versées plus tôt aux femmes qu'aux hommes et ces arrêts ont donné le sentiment d'aller à l'encontre de l'intérêt des femmes.

A la suite de ces affaires, les Etats membres ont inscrit dans l'accord sur la politique sociale une disposition complétant l'article 119 sur l'égalité des rémunérations afin que les Etats puissent maintenir ou adopter " des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des avantages dans leur carrière professionnelle. "

De son côté, le Sénat, sur proposition de notre collègue Charles METZINGER et après approbation de notre délégation, a adopté, l'an dernier, une résolution demandant que le traité soit modifié lors de la Conférence intergouvernementale pour que les Etats membres puissent maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordés aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés.

Le but de cette résolution était de laisser une place au principe de subsidiarité, afin qu'une application rigide de l'égalité ne vienne pas remettre en cause des dispositions qui visent à compenser ou limiter certaines inégalités.

Voilà ce que l'on peut dire de l'état de la mise en oeuvre du principe d'égalité au niveau communautaire.

J'en viens maintenant aux deux propositions que le Gouvernement a transmises au Sénat au titre de l'article 88-4.

La première (E 713) concerne la charge de la preuve dans les affaires de discrimination fondée sur le sexe. Le but de ce texte est de faire en sorte que la preuve de la discrimination ne soit pas entièrement à la charge de la personne qui s'estime discriminée, dans la mesure où cette preuve est très difficile à apporter. La Cour de Justice a rendu de nombreux arrêts dans cette matière et a estimé qu'il pouvait parfois être nécessaire de faire peser la charge de la preuve sur l'employeur, faute de quoi le salarié serait privé de tout moyen efficace de faire respecter le principe d'égalité.

La Commission européenne propose donc un texte, qui tendrait à mettre à la charge de l'employeur la preuve qu'il n'y a pas eu violation du principe d'égalité, dès lors que la personne qui s'estime lésée a apporté des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination.

Le Conseil des ministres a déjà examiné ce texte et devrait l'adopter rapidement lorsque le Parlement européen se sera prononcé ; il existe un large accord des Etats membres sur cette proposition de directive. Ce texte peut être un progrès, dans la mesure où la preuve de discrimination est souvent difficile à apporter. En outre, ce texte est respectueux de la subsidiarité. Il prévoit un aménagement de la charge de la preuve, tout en autorisant les Etats qui le souhaiteraient à aller plus loin et à opérer un renversement complet de la charge de la preuve. Je crois donc que ce texte ne pose pas de problème sérieux. En France, le code du travail est déjà plutôt favorable aux salariés, mais certains articles devront néanmoins probablement être modifiés pour être rendus pleinement compatibles avec la directive. Actuellement, la charge de la preuve n'est évoquée qu'en matière de rémunération, de licenciement et de droit disciplinaire. Il conviendra d'étendre le dispositif à l'ensemble des domaines dans lesquels les salariés risquent de subir des discriminations fondées sur le sexe.

J'en viens maintenant à la seconde proposition qui nous est soumise, qui porte sur un problème plus délicat, celui des actions positives.

Dans la directive communautaire de 1976 sur l'égalité en matière d'accès à l'emploi, il existe un article qui fait référence à d'éventuelles actions positives. Cet article précise que la directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes. On pensait que cet article autorisait toutes les actions positives.

Mais en 1995, la Cour de Justice, dans un arrêt KALANKE, a condamné une loi d'un land allemand, en estimant qu'elle était contraire au principe d'égalité. Cette loi prévoyait que, dans les services publics, lors du recrutement et lors de l'affectation à un emploi dans un grade plus élevé, les femmes ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins devaient être prises en considération en priorité lorsqu'elles étaient sous-représentées. La Cour a estimé que cette loi dépassait les limites de l'article de la directive que j'ai précédemment cité.

Cet arrêt a suscité de très nombreuses protestations, dans la mesure où il a paru donner un coup d'arrêt aux actions positives. La Commission européenne a alors publié une communication, dans laquelle elle estimait que la Cour n'avait condamné la loi du Land de Brême que parce qu'elle prévoyait un régime automatique de quota sans qu'on puisse prendre en compte les circonstances particulières.

La Commission a ensuite décidé de proposer une modification de la directive de 1976, afin d'autoriser plus explicitement les actions positives lorsqu'elles permettent de prendre en compte les circonstances particulières de chaque cas. Juridiquement, cette proposition est assez curieuse. La Commission estime que la Cour n'a pas condamné certaines formes d'action positive, mais elle propose néanmoins de les inscrire explicitement dans la directive. Un tel comportement risque de conduire à recopier les arrêts de la Cour dans les textes législatifs, ce qui ne paraît pas être une bonne méthode.

Par ailleurs, la Commission a une interprétation de l'arrêt de la Cour de Justice qui n'est pas unanimement partagée. Certains estiment que la Cour a rendu un arrêt de principe hostile à toutes les formes d'action positive. Dans ces conditions, la proposition de directive de la Commission ne résoudra pas le problème.

Le Conseil de l'Union européenne est hostile à cette proposition. De nombreux Etats estiment, comme la Commission, que la Cour n'a pas condamné la directive, et en concluant qu'il n'est pas nécessaire de la modifier. Le Parlement européen, lui, souhaite ne se prononcer qu'à la fin de la Conférence intergouvernementale sur ce sujet.

Je crois également que cette proposition de directive est prématurée et que le renforcement du principe d'égalité entre hommes et femmes passe peut-être aujourd'hui par une modification du Traité sur l'Union européenne.

La Conférence intergouvernementale est l'occasion de donner une base juridique plus solide au principe d'égalité entre hommes et femmes que celle de l'article 119 qui ne concerne que les rémunérations.

La présidence irlandaise a formulé, dans le projet de traité qu'elle a présenté en décembre dernier, plusieurs propositions afin que le principe d'égalité soit mieux pris en compte. Elle propose en premier lieu d'inscrire l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs et actions prévus par le traité. Ce principe serait donc inscrit dans les articles 2 et 3 du nouveau traité.

Elle propose également de modifier l'article 119 sur l'égalité en matière de rémunérations. Actuellement, cet article prévoit une " égalité des rémunérations... pour un même travail ". La Présidence irlandaise a suggéré que cette formule soit remplacée par " égalité des rémunérations pour un travail de même valeur ".

Elle propose en outre d'ajouter deux nouveaux alinéas à l'article 119. L'un permettrait au Conseil de prendre, à la majorité qualifiée, des mesures visant à appliquer le principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

L'autre autoriserait les Etats à prendre certaines mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur des femmes. C'est la reprise de la disposition inscrite dans l'accord social que j'ai évoqué tout à l'heure.

Enfin la présidence irlandaise propose de faire référence dans le Traité à la notion de " sexe sous-représenté " plutôt que d'évoquer exclusivement les femmes.

Telles sont les propositions qui sont sur la table des négociations. La présidence néerlandaise a repris à son compte les propositions irlandaises, à l'exception de l'une d'entre elles. La présidence néerlandaise estime que l'expression " égalité des rémunérations pour un travail de même valeur " est trop imprécise et elle propose de garder le texte actuel qui prévoit une " égalité des rémunérations pour un même travail ".

Que penser de ces différentes propositions de modification ?

Je crois que l'inscription du principe de l'égalité parmi les objectifs de la Communauté serait une bonne chose, dans la mesure où elle peut permettre que ce principe soit mieux pris en compte dans les différentes politiques de la Communauté.

En ce qui concerne la modification de l'article 119, il serait sans doute préférable de créer un nouvel article, dans la mesure où les nouveaux alinéas proposés ne concernent pas uniquement l'égalité de rémunérations.

Le premier alinéa proposé facilitera l'action communautaire en matière d'égalité, ce qui peut être une bonne chose. Toutefois, cet alinéa ne devrait pas être utilisé pour imposer aux Etats membres d'adopter des mesures d'action positive, dans la mesure où il existe des traditions et des législations très différentes entre les différents Etats sur cette question. C'est pourquoi il pourrait être complété par une référence au principe de subsidiarité.

Le deuxième alinéa, qui tend à autoriser les Etats membres à prendre certaines mesures spécifiques en faveur des femmes, me paraît positif, mais trop imprécis. Il est difficile de savoir quels types d'avantages spécifiques pourraient être concernés par ce texte. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le Sénat, dans une résolution, avait souhaité qu'on introduise dans le Traité une disposition autorisant des mesures spécifiques pour les femmes en matière de pensions de retraite, de congés et de conditions de travail. Cette formulation est plus précise et paraît donc préférable.

Il ne semble pas que les avantages spécifiques évoqués dans le texte de la présidence irlandaise couvrent les actions positives. Or, il est nécessaire d'autoriser ce type d'actions. Certains Etats membres, comme l'Allemagne ou les pays nordiques, se sont dotés de législations dans ce domaine, et ont parfois inscrit ces actions positives dans leurs constitutions. Dans ces conditions, il n'est pas normal que des arrêts de la Cour de Justice interdisent ce type d'actions. C'est pourquoi je suggère que le nouveau Traité autorise explicitement les actions positives, ce qui réglerait les problèmes posés par l'arrêt Kalanke. Il ne s'agit naturellement pas d'imposer aux Etats de mettre en oeuvre des actions positives, mais de les autoriser à le faire s'ils le souhaitent. Cette solution irait, je crois, dans le sens d'une bonne application du principe de subsidiarité. La Communauté dispose d'une compétence afin de mettre en oeuvre le principe d'égalité entre hommes et femmes et d'empêcher le maintien de discriminations directes ou indirectes. Les Etats membres pourraient, pour leur part, s'ils le souhaitent, mettre en oeuvre une politique d'action positive imposant des mesures dérogatoires au principe d'égalité de traitement, afin de parvenir à la réalisation de l'égalité effective. Chaque Etat resterait ainsi libre de choisir ses moyens d'action dans ce domaine.

Telles sont, mes Chers Collègues, les principales orientations de ce projet de rapport.

*

* *

Au cours du débat qui a suivi, M. Alain Richard a tout d'abord évoqué la condamnation par la Cour de Justice de la loi du Land de Brême sur les actions positives en faveur des femmes. Il a estimé qu'en considérant qu'une " réglementation nationale qui garantit la priorité absolue et inconditionnelle aux femmes lors d'une nomination ou promotion " allait au-delà de l'exception au principe d'égalité prévue par la directive de 1976, la Cour de justice était parfaitement dans son rôle, qui consiste à interpréter le droit communautaire. Il en a déduit qu'il n'existait aucune nécessité de modifier la directive de 1976 à la suite de cet arrêt. Il a observé que le Conseil constitutionnel avait rendu des décisions semblables à propos du principe d'égalité, en faisant valoir qu'il était possible de déroger à ce principe à condition qu'un objectif d'intérêt général soit en cause et que l'atteinte à l'égalité ne soit pas disproportionnée par rapport à l'objectif à atteindre.

M. Alain Richard s'est ensuite déclaré largement en accord avec les propositions de modification du traité formulées par le rapporteur. Il s'est toutefois demandé si le renvoi au principe de subsidiarité en matière d'actions positives constituait une solution pleinement satisfaisante. Il a exprimé la crainte que certains Etats utilisent cette liberté de conduire des politiques d'action positive pour prendre des dispositions qui conduiraient indirectement à remettre en cause le principe de non-discrimination entre les ressortissants communautaires, dans la mesure où ces dispositions s'appliqueraient à toutes les personnes physiques et morales installées sur le territoire de ces Etats. Il a exprimé le souhait que l'éventuelle inscription dans le Traité d'une disposition autorisant les Etats à conduire des politiques d'action positive n'ait pas de répercussions sur les autres Etats n'ayant pas fait ce choix.

Mme Danièle Pourtaud , rapporteur, a alors proposé de mentionner cette réserve dans la conclusion de son rapport d'information et a souligné qu'elle avait cherché à dégager des propositions qui éviteraient que la Communauté puisse imposer aux Etats d'adopter des mesures d'action positive.

M. Daniel Millaud a évoqué l'hypothèse de la candidature de pays musulmans à l'entrée dans l'Union européenne. Il s'est interrogé sur les conséquences à cet égard de l'inscription de l'égalité entre hommes et femmes parmi les objectifs de la Communauté.

Mme Danièle Pourtaud , rapporteur, a alors observé que l'Union imposait aux nouveaux adhérents le respect d'un certain nombre de principes démocratiques. Elle a fait valoir que, historiquement, les progrès dans la démocratie s'accompagnaient de progrès dans l'égalité entre hommes et femmes et en a déduit que le principe d'égalité ne constituerait vraisemblablement pas un problème en soi si des pays musulmans venaient à déposer leur candidature pour adhérer à l'Union européenne.

M. Alain Richard a évoqué les deux propositions de rédaction formulées par le rapporteur en vue d'autoriser les Etats à conduire une politique d'action positive. Il s'est déclaré très favorable à la proposition issue de la recommandation du Conseil de 1984 en observant qu'elle laissait une marge d'interprétation au juge. Il a souligné que la seconde rédaction était très contraignante pour le juge et permettrait en fait aux Etats d'utiliser, éventuellement à d'autres fins, cette disposition. Il a estimé qu'il était nécessaire que le juge puisse conserver un certain pouvoir, afin d'éviter qu'un Etat puisse utiliser cet article pour adopter des mesures visant en fait à pénaliser les ressortissants des autres pays de l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud , rapporteur, s'est déclaré en accord avec M. Alain Richard et a proposé de retenir la formulation issue de la recommandation du Conseil de 1984.

La délégation a alors adopté le rapport d'information ainsi modifié.

Le rapport de Mme Danièle Pourtaud :

" L'Union européenne et la mise en oeuvre de l'égalité des chances entre hommes et femmes "

a été publié sous le n° 293 (1996-1997).

Proposition E 786

Com (96) 615 final

Présentation du texte par M. Robert Badinter :

1. La genèse du projet

A la suite d'une initiative franco-allemande, le Conseil européen de Corfou (juin 1994) a approuvé l'idée d'une action menée à l'échelle de l'Union européenne pour combattre les actes de violence racistes et xénophobes. Il a également approuvé la création d'une commission consultative " racisme et xénophobie " chargée de formuler des recommandations à cet égard.

La commission consultative, présidée par M. Jean KAHN, par ailleurs président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, a présenté un rapport au Conseil européen de Cannes (juin 1995) qui lui a demandé de poursuivre ses travaux et d'étudier, en étroite coopération avec le Conseil de l'Europe, la " faisabilité d'un observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes ".

Le Conseil européen de Florence (juin 1996) a approuvé le principe de la création d'un tel observatoire et a demandé à la commission consultative de poursuivre ses travaux jusqu'à sa mise en place.

Le Conseil européen de Dublin (décembre 1996) a souhaité que la création de l'Observatoire intervienne " à bref délai " et qu'elle s'effectue " en étroite coopération avec le Conseil de l'Europe ".

2. L'objet du texte

Le rôle envisagé pour l'observatoire est précisé aux articles 2, 3 et 4 de la proposition. Il s'agit :

- d'une part, de collecter, d'enregistrer et d'analyser des informations fournies par les Etats membres, les institutions communautaires, des organisations non gouvernementales et des organismes internationaux ;

- d'autre part, de mettre en place un réseau d'informations sur le racisme et la xénophobie (RAXEN).

Quant aux domaines où l'observatoire exercera principalement ses missions ce sont :

- la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union,

- l'emploi,

- l'éducation, la formation professionnelle et la jeunesse,

- l'information, la radiodiffusion télévisuelle et les autres médias et moyens de communication,

- l'exclusion sociale,

- la libre circulation des marchandises,

- la culture.

L'exposé des motifs précise que " l'observatoire ne peut pas entamer des actions à l'encontre du racisme et de la xénophobie, mais seulement adresser des conclusions et des recommandations aux autorités compétentes ".

Enfin, l'article 7 prévoit que la Communauté européenne, conclura avec le Conseil de l'Europe un accord instaurant une " coopération étroite " entre celui-ci et l'Observatoire.

3. Les travaux du Conseil

a) La base juridique

La principale controverse qu'a suscitée ce texte portait sur sa base juridique. La seule base retenue au départ était l'article 235 du traité. Je rappelle que celui-ci est rédigé comme suit :

" Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées. "

Certains Etats membres - notamment la Grande-Bretagne et le Danemark - considéraient que la proposition E 786 ne tendait pas véritablement à réaliser " un des objets de la Communauté ". Ils faisaient valoir que la Cour de justice, dans un avis rendu en mars 1996, avait récemment adopté une interprétation plus restrictive de l'article 235.

Cependant, ces réserves se sont atténuées au cours des travaux. En effet, la solution de rechange proposée par le Royaume-Uni - à savoir un accord intergouvernemental - a rencontré une large opposition, car elle aurait entraîné des délais supplémentaires, alors que la volonté d'aboutir à un accord avant le Conseil européen d'Amsterdam était très largement partagée.

Par ailleurs, le service juridique du Conseil a proposé une solution permettant d'élargir la base juridique de la proposition. Elle consiste à mentionner non seulement l'article 235, mais aussi l'article 213 du traité. Cet article est le suivant :

" Pour l'accomplissement des tâches qui lui sont confiées, la Commission peut recueillir toutes informations et procéder à toutes vérifications nécessaires, dans les limites et conditions fixées par le Conseil en conformité avec les dispositions du présent traité. "

L'Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes ayant pour but principal de recueillir des informations dont, notamment, la Commission européenne sera destinataire, sa création peut en effet, dans une certaine mesure, se fonder sur cet article.

Cet élargissement de la base juridique a été approuvé par tous les Etats membres ; il a permis de lever les réserves qui subsistaient, dans la mesure où celles-ci reposaient essentiellement sur le principe même d'un recours exclusif à l'article 235.

En tout état de cause, il convient de souligner que la proposition E 786 tend, quoique indirectement, à réaliser un des objectifs fixés par le traité. En effet, le préambule du traité de Maastricht, ainsi que l'article F de ce même traité, placent le respect des droits de l'homme à la base de la construction européenne. Or, la lutte contre le racisme et la xénophobie est à l'évidence nécessaire pour assurer le plein respect de ces droits. L'utilisation de l'article 235 n'est donc pas déplacée en l'occurrence.

Quoi qu'il en soit, la controverse proprement juridique paraît aujourd'hui terminée.

b) La subsidiarité

Sous un angle plus politique, le problème de la subsidiarité a été également évoqué. Le principe de subsidiarité a effectivement pour conséquence de donner principalement compétence aux Etats membres pour mener la lutte contre le racisme et la xénophobie. Cependant, le rôle essentiel de l'Observatoire étant le développement de l'information dans le cadre d'un réseau européen, il est clair que la compétence de principe des Etats n'est pas remise en cause : il s'agit de soutenir et de compléter l'action de ces derniers, non de se substituer à eux. Le principe de subsidiarité est donc respecté.

Pour manifester son souci de maintenir l'Observatoire dans un rôle subsidiaire par rapport à l'action des Etats, le Conseil a au demeurant adopté une déclaration de principe limitant son personnel à 25 personnes.

c) L'organisation de l'Observatoire

Telle qu'elle est prévue par la proposition E 786, l'organisation de l'Observatoire paraît marquée par une certaine lourdeur.

L'Observatoire est tout d'abord doté d'un conseil d'administration composé " d'une personnalité indépendante désignée par chaque Etat membre, d'une personnalité indépendante désignée par le Parlement européen et (...) d'une personnalité indépendante désignée par le Conseil de l'Europe, ainsi que d'un représentant de la Commission ". Le conseil d'administration prend ses décisions à la majorité des deux tiers.

L'Observatoire est également doté d'un conseil scientifique composé de neuf experts nommés par le conseil d'administration. Le conseil scientifique, quant à lui, adopte ses avis à la majorité simple.

Le conseil d'administration nomme le directeur de l'observatoire, sur proposition de la Commission européenne, pour une période de quatre ans renouvelable.

Enfin l'observatoire est doté d'un " Bureau exécutif ", composé du président du conseil d'administration, de son vice-président et d'un maximum de trois autres membres du conseil d'administration, parmi lesquels figurent la personnalité désignée par le Conseil de l'Europe et le représentant de la Commission.

De nombreux Etats membres ont critiqué la complexité de ce dispositif. Il semble que l'on s'oriente vers la suppression du conseil scientifique, qui paraît faire double emploi avec le conseil d'administration, déjà composé de personnalités indépendantes et qualifiées.

d) Les relations avec le Conseil de l'Europe

Les Etats membres se sont également souciés d'éviter que les activités de l'Observatoire ne fassent double emploi avec celles du Conseil de l'Europe. Celui-ci a en effet déjà mis en place en 1994 une " Commission européenne contre le racisme et l'intolérance ", répondant en cela à un voeu des chefs d'Etat et de Gouvernement des Etats membres du Conseil de l'Europe, réunis à Vienne en octobre 1993. Cependant, le mandat de cette Commission ne recoupe que très partiellement les missions confiées à l'Observatoire européen. Le mandat de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance est en effet :

- " d'examiner les législations, les politiques et les autres mesures prises par les Etats membres visant à combattre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance, ainsi que leur efficacité ;

- "de stimuler l'action en la matière aux niveaux local, national et européen ;

- " de formuler des recommandations de politique générale à l'égard des Etats membres ;

- " et d'étudier des instruments juridiques internationaux applicables en la matière, en vue de leur renforcement si nécessaire ".

C'est donc principalement dans l'adoption de recommandations aux Etats membres que pourrait se manifester un chevauchement de compétences entre la Commission créée par le Conseil de l'Europe et l'Observatoire institué par la Communauté.

Les Etats membres ont donc prévu la conclusion d'un accord avec le Conseil de l'Europe pour préciser les responsabilités de chaque institution. Cet accord pourrait intervenir sous la forme d'un échange de lettres.

e) La protection des données à caractère personnel

Enfin, les Etats membres se sont montrés soucieux de faire en sorte que les activités de l'Observatoire ne puissent remettre en cause la protection des données à caractère personnel, telle qu'elle résulte de la directive européenne de 1995. Le texte de la proposition E 786 sera donc renforcé sur ce point.

En conclusion, il apparaît que les travaux du Conseil ont permis d'aplanir les difficultés techniques qui subsistaient autour de la proposition E 786, dont le principe était sur le plan politique approuvé par tous les Etats membres.

Il est désormais très probable que ce texte sera adopté dans les semaines qui viennent, vraisemblablement au mois de mai.

Dans ces conditions, je crois que la Délégation ne peut, d'abord, que se féliciter de la création de cet Observatoire qui a évidemment un caractère symbolique fort.

Il me semble que nous pourrions en outre exprimer deux préoccupations qui portent plus sur l'action de l'Observatoire lorsqu'il sera créé que sur son texte fondateur.

La première tient aux relations avec le Conseil de l'Europe ; il convient d'éviter à tout prix une concurrence stérile, mais de rechercher coopération et complémentarité.

La seconde porte sur la protection des données à caractère personnel. Notre législation est à cet égard très protectrice. Il faut éviter qu'elle puisse être contournée de quelque manière que ce soit.

Mais ces deux remarques ne portent pas sur le texte même dont nous sommes saisis et je suggère que la délégation décide de ne pas intervenir sur ce texte.

*

Après un débat auquel ont participé MM. Jacques Genton , président, Denis Badré, Xavier de Villepin, Pierre Fauchon et Emmanuel Hamel , la délégation a décidé de ne pas intervenir sur la proposition E 786.

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