B. QUELQUES REMARQUES PLUS GENERALES

1. Une occasion manquée

a) Un bilan décevant

Il est assez facile de dresser le bilan des négociations, longues et mûrement préparées, qui ont conduit au traité d'Amsterdam.

Sur ce qui paraissait constituer le principal enjeu de la CIG, c'est-à-dire la réforme des institutions dans la perspective de l'élargissement, la CIG n'a permis aucun progrès.

Quelques avancées non négligeables ont été accomplies dans le sens d'un renforcement de la PESC, mais elles ne s'accompagnent d'aucun véritable progrès dans le domaine de la défense, et la cohérence du dispositif est altérée par le classement des crédits de la PESC en dépenses non obligatoires.

La réforme du troisième pilier aboutit à un dispositif complexe qui risque de ne pas apporter le surcroît d'efficacité qui serait nécessaire dans la lutte contre la grande délinquance internationale.

L'affirmation plus explicite de la dimension humaine et sociale de la Communauté répond à une attente des opinions, mais les orientations fondamentales de la construction européenne ne s'en trouveront pas bouleversées.

Sur un certain nombre de points particuliers, à la demande de tel ou tel pays ou groupe de pays, le nouveau traité va combler des lacunes. La France a ainsi obtenu au moins partiellement satisfaction pour certaines de ses demandes ponctuelles : meilleure reconnaissance de la notion de service public, statut particulier des DOM, confirmation du siège du Parlement européen...

Mais, au total, le seul changement vraiment saillant qu'apporte le nouveau traité, c'est une augmentation importante des pouvoirs du Parlement européen, thème qui n'est apparu à aucun moment comme une priorité commune dans les négociations.

Ce dernier aspect s'explique notamment par l'évolution de la position de la France dans la phase ultime des négociations. Traditionnellement réticente vis-à-vis d'un renforcement des pouvoirs du Parlement européen, la France était réservée sur l'extension du champ de la procédure de codécision, et s'opposait en tout état de cause à une réforme de cette procédure ; en même temps, elle avait laissé entendre qu'elle pourrait se rallier à une extension de la codécision si ses propres demandes institutionnelles, notamment la repondération des votes au Conseil, étaient acceptées en contrepartie. Or, finalement, la France n'a pas obtenu satisfaction sur ses demandes institutionnelles et a néanmoins accepté non seulement l'extension de la codécision, mais encore la réforme de celle-ci. C'est ce qui a amené certains observateurs à considérer que la France, ayant été amenée à faire d'importantes concessions sans obtenir de contrepartie, avait cessé d'apparaître comme un acteur central ou du moins " incontournable ".

Mais, au-delà des considérations d'ordre national, le principal inconvénient du traité d'Amsterdam est de ne pas avoir levé l'hypothèque institutionnelle, alors que l'Union va devoir affronter, dans les années qui viennent, plusieurs échéances capitales : achèvement de l'Union économique et monétaire, élargissement à l'Est, redéfinition des perspectives financières et réforme des fonds structurels, relance des négociations commerciales internationales et poursuite de la réforme de la politique agricole commune.

Si la CIG avait réussi à réformer les institutions communautaires, l'Union aurait été plus forte pour affronter ces échéances et, en même temps, les controverses institutionnelles n'auraient pu " polluer " ces négociations déjà difficiles en elles-mêmes.

Dès lors, même si le traité d'Amsterdam améliore sur certains points le traité de Maastricht, on peut le considérer, au total, comme une occasion manquée. La durée et l'ampleur des négociations, l'importance si souvent soulignée des enjeux, laissaient espérer autre chose ; la montagne a accouché -non sans mal- d'une souris.

b) Des négociations peu structurées

La CIG semble avoir manqué d'une ligne directrice suffisamment nette. Initialement prévue pour régler certaines questions sur lesquelles les Etats membres n'avaient pu se mettre d'accord lors des négociations du traité de Maastricht, elle a été - à la suite des controverses qui ont entouré l'élargissement de l'Union à l'Autriche, la Finlande et la Suède - chargée d'adapter les institutions de l'Union à la perspective d'un nouvel élargissement ; en outre, dans le cours des négociations, le renforcement de la " dimension humaine et sociale " de l'Union est devenu un des enjeux du nouveau traité.

Ainsi, alors que l'Acte unique était clairement centré sur l'achèvement du marché intérieur, et le traité de Maastricht sur l'union économique et monétaire, l'enjeu de la nouvelle CIG n'apparaissait pas aussi nettement et n'était pas perçu de la même manière par tous les Etats membres.

La CIG a aussi - et peut-être surtout - souffert de l'absence d'une force d'impulsion et d'entraînement, d'un " leadership ". La Commission européenne, gênée par le débat sur sa composition et par la pression du Parlement européen, n'a joué qu'un rôle effacé. L'axe franco-allemand, à la différence des précédentes négociations, ne s'est pas traduit par des initiatives de nature à orienter la CIG : les documents présentés en commun, d'un contenu souvent très général et peu précis, n'étaient pas de nature à sortir la Conférence de l'impasse.

Dans ces conditions, les délégations n'étaient pas véritablement contraintes de se situer par rapport à une approche constructive ; elles ont eu dès lors tendance à adopter des attitudes défensives privilégiant les considérations d'ordre interne :

- l'Allemagne, qui défendait au départ une approche ambitieuse, notamment au sujet de la réforme du troisième pilier et de l'extension de la majorité qualifiée, a fini au contraire par adopter une position restrictive, semble-t-il sous l'influence des gouvernements des Länder ;

- la Grande-Bretagne, en adoptant pour des raisons de politique intérieure une attitude de réserve systématique, s'est trouvée " hors jeu " pendant la majeure partie de la Conférence ;

- l'Italie et l'Espagne, principalement soucieuses de participer sans retard à l'Union économique et monétaire et de préserver la politique de cohésion, avaient d'autres priorités que les questions institutionnelles ;

- les " petits " pays ont cherché avant tout à éviter une diminution de leur poids dans les institutions.

Ce contexte n'était pas favorable aux ambitieux projets de réforme institutionnelle présentés par la France : une Commission resserrée, plus collégiale et plus responsable, une plus juste pondération des votes au Conseil, une association plus étroite des Parlements nationaux, le développement d'une identité de défense par l'intégration de l'UEO à l'Union ; n'ayant pu entraîner la Conférence dans cette voie, la France a finalement abandonné l'essentiel de ses exigences.

c) La CIG, l'euro et l'élargissement

La CIG s'est trouvée également handicapée par le fait d'être en concurrence avec deux grandes échéances -qui sont aussi deux défis pour l'Union- la réalisation de l'union monétaire et l'élargissement à l'Est. Pour ne gêner en rien ces deux grandes affaires, il était fondamental de conclure la CIG rapidement et de ne provoquer aucune crise entre les Etats membres. Les conséquences de cette attitude s'avèrent néanmoins ambiguës.

· En ce qui concerne l'union économique et monétaire, l'achèvement de la CIG dans les délais prévus a fait disparaître une des dernières incertitudes pesant sur la mise en place de l'euro. Le respect du calendrier de l'union monétaire paraît plus assuré que jamais.

En même temps, la minceur des résultats de la CIG risque de créer des difficultés non pour l'union monétaire elle-même, mais pour ses mesures d'accompagnement.

L'absence d'amélioration du processus de décision pourrait -surtout si le choix des Etats participant à la monnaie unique dès son lancement suscitait des clivages importants entre les pays membres- entraver les efforts d'harmonisation qui se révéleront sans doute nécessaires, notamment dans le domaine fiscal, lorsque l'union monétaire fera sentir ses effets. Les lourdes contraintes posées à l'égard des coopérations renforcées permettront difficilement d'utiliser cet instrument pour faire fonctionner la " zone euro " à supposer que celle-ci ne regroupe qu'une partie des Etats membres. D'une manière générale, la persistance inévitable des controverses institutionnelles durant les prochaines années ne favorisera pas la cohésion politique qui serait souhaitable pour franchir ce cap entouré de nombreuses inconnues.

· En ce qui concerne l'élargissement à l'Est, la conclusion de la CIG ouvre la voie à l'ouverture des négociations au début de l'année prochaine. Néanmoins, les faiblesses du traité d'Amsterdam aboutiront à une interférence entre le processus d'élargissement et la recherche d'une solution aux problèmes institutionnels laissés non résolus. Le protocole sur les institutions annexé au traité établit ainsi un lien entre le premier élargissement qui fera suite à la ratification du traité et une réduction des effectifs de la Commission à un national par Etat membre, mais sous réserve d'un accord sur la pondération des votes au Conseil. Dès l'origine, l'élargissement à l'Est sera donc inextricablement mêlé aux controverses institutionnelles, et cette difficulté se poursuivra dans le temps, puisque le même protocole prévoit un " réexamen complet " des dispositions institutionnelles lorsque l'Union sera sur le point de compter plus de vingt membres.

L'élargissement à l'Est traduira la réunification du continent après la fin de la guerre froide ; un Etat qui " prendrait en otage " ce processus dans le cadre de négociations institutionnelles verrait sa crédibilité durablement entamée, compte tenu de la portée historique de l'enjeu. On a donc peine à imaginer que la poursuite de la controverse institutionnelle puisse aboutir à un blocage de l'élargissement, même si certains Etats membres -voire le Parlement européen- brandissent périodiquement une telle menace. Mais il est clair que le mélange des genres entre élargissement et révision institutionnelle nuira à l'un comme à l'autre de ces processus. La manière dont l'élargissement sera appréhendé sera tributaire d'arrière-pensées institutionnelles, et c'est probablement une Union déjà élargie qui devra, à l'unanimité, procéder au " réexamen complet " de ses institutions.

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