2. Interventions de M. Philippe SÉGUIN, Président de l'Assemblée nationale, Mme Leni FISCHER, Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, MM. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), Jean SEITLINGER, député (UDF), Robert PANDRAUD, député (RPR)

M. Philippe SÉGUIN, député (RPR), Président de l'Assemblée nationale française, a ouvert les travaux de la conférence en prononçant l'allocution suivante :

" A l'heure où s'ouvre cette Conférence interparlementaire, organisée conjointement par l'Assemblée du Conseil de l'Europe et l'Assemblée nationale française, je souhaiterais vous dire le plaisir que je ressens à vous accueillir ici, au Palais Bourbon, vous qui représentez les Parlements de l'Europe continentale, autrement dit la grande Europe. Alors que doivent débuter, demain, les travaux de la Conférence intergouvernementale de Turin, cette réflexion que nous engageons en commun sur le rôle des Parlements dans la construction paneuropéenne, sur le modèle de société que nous voulons bâtir pour notre continent sur sa plus vaste échelle, me paraît d'une singulière actualité.

" Je salue tout particulièrement la présence de Mme Leni Fischer, Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, que je suis heureux de recevoir à nouveau à Paris, de M. Daniel Tarschys, Secrétaire général, de M. Frank Swaelen, Président du Sénat de Belgique, Président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, de Mme Nicole Fontaine, Vice-Président du Parlement européen, et des éminents représentants des Assemblées parlementaires régionales qui, de la Baltique à la mer Noire, ont bien voulu répondre à notre invitation.

" Je tiens également à rendre hommage au remarquable travail accompli par vos rapporteurs, et en particulier par notre collègue , M. Jean SEITLINGER , Vice-Président de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a été l'artisan expérimenté de cette Conférence.

" Il est vrai que vos travaux revêtent une importance particulière en cette période cruciale de la construction européenne, trop souvent caractérisée par la morosité, l'inquiétude, voire le désenchantement.

" En réalité, nous vivons probablement aujourd'hui les conséquences d'un rendez-vous manqué, au tournant des années 1990. Nous n'avons pas su, alors, prendre la grande initiative politique qui nous aurait permis de prendre en compte, dans toute leur dimension, les profonds bouleversements intervenus en Europe.

" Certes, la Charte de Paris du 21 novembre 1990 était apparue, dans l'enthousiasme qui prévalait à l'époque, comme l'acte fondateur de la nouvelle Europe. Mais, reconnaissons-le, la mise en oeuvre des principes alors affichés s'est rapidement heurtée à l'embrasement de l'Ex-Yougoslavie. Quant au Traité de Maastricht, vous ne serez pas étonnés de m'entendre dire que ses dispositions n'étaient probablement pas à la mesure des grandes mutations qui s'opéraient.

" Pourtant, nous ne devons pas nous laisser aller au découragement. Nous devons, à l'inverse, tirer les leçons de ce passé à la fois si proche et si lointain, et nous engager d'autant plus résolument vers l'unification politique, économique et culturelle du continent européen.

" Le principe de la primauté du politique, qui est notre raison d'être, doit guider notre réflexion et notre action. Il ne saurait y avoir d'Europe véritable ni durable sans l'adhésion des peuples et sans le soutien des Parlements qui en sont l'expression légitime. Oublier cette vérité première nous exposerait à de cruelles désillusions. Certes, la tâche à accomplir est immense.

" Si je voulais la résumer en quelques phrases, je dirais volontiers qu'il nous faut tout à la fois garantir la sécurité de l'Europe, assurer son développement économique en préservant sa cohésion sociale, et bâtir ou développer un modèle de société, notre modèle de société, qui est fondé sur la démocratie et la solidarité.

" Oui, il nous faut relever ensemble tous ces défis, en ayant pour objectif l'organisation de la grande Europe. Et dans cette optique, les Parlements nationaux, garants de la légitimité démocratique du projet européen, sont appelés à jouer un rôle essentiel et pour cela, doivent poursuivre leurs efforts de modernisation et renforcer leur coopération mutuelle.

" Nous devons d'abord construire un vaste espace de sécurité en Europe. L'Europe, qui n'a pas su éviter le drame de l'Ex-Yougoslavie, a donc laissé pour l'essentiel à l'armée américaine le soin de mettre en oeuvre, en Bosnie, un fragile accord de paix... Puisse cette tragédie la décider enfin à assumer, progressivement mais fermement, sa propre sécurité, à organiser la prévention et le règlement des conflits sur son sol, en partenariat étroit avec la Russie, et sans pour autant remettre en cause son alliance privilégiée avec les Etats-Unis.

" Dans cette perspective, il est clair qu'elle doit se doter d'un système de sécurité paneuropéen, au sens le plus large possible, car la notion même de sécurité a considérablement évolué. Celle-ci inclut désormais, au-delà des aspects purement militaires, de nouveaux types de menaces, notamment d'ordre écologique.

" Tous les aspects de la sécurité doivent donc être pris en compte  : coordination des forces, réflexions nouvelles sur la stratégie, évaluation et prévention des risques, maîtrise des armements et sécurité des installations nucléaires civiles.

" Car il serait vain de croire que toute menace ait disparu avec l'effondrement des blocs. En réalité, les dangers sont toujours présents, et d'autant plus complexes à appréhender, d'autant plus difficiles à réduire qu'ils s'inscrivent désormais, de plus en plus, dans un cadre régional et non plus strictement national.

" Par ailleurs, disons-le clairement, la sécurité de l'Europe ne s'établira pas sans la Russie, qui devient, peu à peu, un partenaire à part entière des institutions européennes. Un pas décisif vient d'être franchi avec son adhésion au Conseil de l'Europe qui est un gage supplémentaire de la volonté des Européens de maîtriser ensemble leur destin.

" Mais cette adhésion n'a de sens que si la Russie s'engage désormais dans la voie d'un règlement du conflit en Tchétchénie, conflit qui hypothèque gravement les progrès que nous attendons d'elle dans le respect de la démocratie et des droits de l'homme.

" Bien d'autres questions, encore, devront être résolues avant que ne s'élabore un véritable système de sécurité continental, répondant à la fois au sentiment de vide qu'éprouvent les pays d'Europe centrale et au souhait légitime de la Russie de ne pas être mise à l'écart.

" L'OTAN, dans sa forme actuelle, et dans l'attente d'une rénovation sans cesse annoncée, toujours différée, n'a pas pris suffisamment en compte la situation radicalement différente qui prévaut aujourd'hui en Europe. Or , la question de l'élargissement de l'alliance est indissociable de la place que nous entendons réserver à la Russie dans un système de sécurité européen. Elle conditionne l'avenir du projet de modèle commun et global de sécurité pour l'Europe du XXIème siècle que propose l'OSCE, et qui repose sur la notion d'un espace de sécurité indivisible.

" Qu'en sera-t-il, par ailleurs, de l'UEO en 1998, année au cours de laquelle les Etats parties pourront, s'ils le souhaitent, réexaminer les dispositions du Traité  ?

" A cet égard, il faut éviter que le rapprochement institutionnel entre l'UEO et l'Union européenne ne sonne le glas de l'identité européenne de défense, à laquelle n'adhéreraient pas les nouveaux pays membres de l'Union qui se rattachent à une tradition de neutralité.

" La Conférence intergouvernementale devra être l'occasion de mettre en place des procédures suffisamment flexibles, permettant aux Etats qui le souhaitent de décider, le cas échéant, d'une intervention, sans pour autant bénéficier du soutien des pays neutres.

" Gardons-nous, par ailleurs, de remettre en cause le contrôle parlementaire exercé par l'Assemblée de l'UEO, qui est composée d'élus nationaux, seuls habilités, au nom des peuples qu'ils représentent, à voter dans les Parlements les crédits de la défense.

" Devant tant d'incertitudes, nous devons tenir fermement le cap du projet européen, affirmer notre volonté politique de donner à l'Europe, dans toute sa dimension, y compris méditerranéenne, les moyens d'assurer elle-même sa propre sécurité. La sécurité est donc la condition nécessaire de tout véritable projet européen. Mais les peuples n'adhéreront à celui-ci que si le développement économique s'accompagne d'un mieux-être social.

" Faute d'avoir pris, dès 1991, la mesure du défi politique que constituait l'effondrement du bloc communiste, l'Union européenne voit aujourd'hui sa stratégie contestée sous la pression des opinions publiques. La montée du chômage et de la désespérance qu'il engendre conduit à s'interroger sur la finalité du projet communautaire, qui, pour certains de nos concitoyens, pour certaines forces politiques, pourrait s'identifier de plus en plus à un risque de faillite sociale.

" Chacun pressent que la construction européenne est à un tournant de son histoire et qu'elle ne pourra indéfiniment confondre les buts et les moyens. Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour que la Conférence intergouvernementale sache dépasser le seul objectif d'une révision institutionnelle limitée.

" Car on mesure, aujourd'hui, l'erreur qui consisterait à croire, ou à faire croire, que l'Europe politique demeure l'aboutissement logique et inéluctable de la construction économique, qu'elle viendra, en quelque sorte, de surcroît, comme pour couronner l'édifice... Il faut aujourd'hui inverser l'ordre des facteurs, remettre l'Europe communautaire en marche, en lui donnant toute sa dimension politique, sociale et humaine.

" Les choix sont, certes difficiles, dans un contexte d'explosion technologique et de mondialisation accélérée de l'économie. Devons-nous pour autant nous résigner, et prendre le risque de laisser la régression sociale devenir le dénominateur commun de nos sociétés  ?

" Les réformes courageuses entreprises dans les pays d'Europe centrale et orientale pour instaurer l'économie de marché ont eu un coût social très élevé, trop élevé. je suis convaincu que les résultats de certaines consultations électorales qui ont fait grand bruit ne traduisent nullement la volonté de revenir au passé, ni même la peur de l'avenir. Ils reflètent simplement la forte aspiration des populations à une meilleure garantie collective pour les plus faibles. Dans toute l'Europe, l'ultra-libéralisme et ses excès ont atteint leurs limites et imposent une nouvelle approche de l'économie, plus conforme à notre modèle de société.

" La grande Histoire de l'Europe, son incomparable rayonnement à travers le monde, la prédestinent-ils à n'être plus qu'un vaste espace pour le négoce, soumis à la seule loi des marchés  ? L'Europe peut-elle entrer dans le prochain siècle, sans être porteuse d'un nouveau destin, à la mesure de son génie et de ses capacités  ?

" Voilà des interrogations qui ne devraient, en vérité, avoir aucune raison d'être, mais qui, paradoxalement, découlent des choix économiques, dès lors qu'ils sont exclusifs de toute finalité politique, sociale ou culturelle.

" C'est pourquoi il me parait absolument essentiel de reconnaître à l'Europe une finalité humaine, et non strictement économique. Il ne s'agit pas de créer un nouveau "cercle" de politique communautaire, mais bien de remettre l'homme au coeur du projet européen. Et il nous faut en tirer les conclusions pratiques, en faisant de la lutte pour l'emploi la priorité absolue qui doit guider tous les choix. Disant cela, je n'ai pas le sentiment d'être "léger". L'Europe doit bien être conçue comme un système de solidarité entre des nations qui ne sauraient survivre dans l'isolement.

" Le préalable -nous y revenons toujours- est évidemment que l'Europe s'affirme comme une puissance politique. Il est clair qu'il ne saurait y avoir d'"Europe sociale" sans Europe politique  : car c'est notre modèle de société qui est en jeu. Et quand j'entends dire, ici ou là, qu'il pourrait y avoir durablement deux Europe, une petite, très intégrée, et une grande, plus lâche et nébuleuse, je m'interroge encore  : est-ce ainsi que nous devons voir l'avenir du continent  ?

" Oui, l'Europe doit construire son propre modèle de société. Car nous sommes tous profondément attachés à une certaine conception de la vie sociale qui privilégie la solidarité entre les individus, entre les générations, entre les régions, une conception qui, par dessus tout, privilégie le souci du bien commun.

" Et si l'on ne peut, en quelques mots, définir ce modèle de société européen auquel nous aspirons, au moins pouvons-nous en esquisser les contours.

" Constatons d'abord que la démocratie pluraliste et l'Etat de droit sont devenus la norme sur l'ensemble du continent. C'est l'acquis majeur de la révolution des années 1989-1990. Mais cet acquis reste fragile et doit être consolidé, grâce, notamment, aux programmes mis en place par le Conseil de l'Europe. Des institutions stables sont indispensables pour garantir, dans les nouvelles démocraties, le nécessaire équilibre entre groupes majoritaires et minorités historiques, et éviter que ne surgissent de nouveaux conflits.

" Nous devons veiller à la complémentarité de l'approche juridique du Conseil de l'Europe, avec sa convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et la démarche pragmatique de l'OSCE dans le cadre du Pacte de stabilité. Il n'y aura pas de stabilité dans la nouvelle Europe si le respect des droits des personnes appartenant aux minorités nationales n'est pas solidement garanti. L'Histoire nous l'a appris tant de fois...

" Affirmons ensuite que si la véritable richesse de l'Europe est sa diversité, aussi bien géographique que culturelle, cette diversité ne s'oppose nullement à la prise en compte d'une identité culturelle européenne. Afin de rendre plus efficace encore l'action conduite par le Conseil de l'Europe dans le cadre de la convention culturelle européenne, nous devons encourager la mise en place de programmes conjoints, harmonisés avec Bruxelles.

" L'Europe doit aussi assumer les responsabilités qui sont les siennes à l'égard des pays du Maghreb et du Proche Orient. L'extension à ces pays de la convention culturelle serait un des moyens de les aider à choisir résolument la voie de la modernité.

" En élaborant plus de 160 conventions fixant des normes minimales dans les domaines les plus variés de la vie politique, économique, sociale et culturelle, le Conseil de l'Europe continue à accomplir la mission qui lui avait été confiée par ses fondateurs en 1949.

" Ce fonds commun, qui appartient aujourd'hui au patrimoine de l'Europe tout entière, devra être complété par de nouvelles conventions répondant aux grands enjeux actuels, tels que la bioéthique ou les nouvelles technologies de l'information.

" Les débats qui se déroulent sur ces questions essentielles dans les Parlements nationaux, où s'expriment, par nature, toutes les sensibilités, ne peuvent qu'enrichir la réflexion européenne sur les solutions à imaginer pour un plus vaste espace.

" Car l'organisation de la grande Europe doit bien être notre objectif à long terme. Près d'un demi-siècle après les débuts de la construction européenne, l'inorganisation relative du continent européen ne lui permet toujours pas de peser de son vrai poids sur les affaires du monde.

" Le décalage est impressionnant entre, d'un côté, le potentiel démographique, économique et culturel de l'Europe, et, de l'autre, la difficulté qu'elle éprouve à affirmer son identité politique. Nous le voyons, par exemple, au Proche Orient où son influence, comme j'ai pu récemment le constater moi-même, est loin d'être à la mesure des efforts d'aide économique et financière qu'elle consent dans cette région troublée.

" Je serais tenté de dire que, si l'Europe est certainement un géant économique, elle demeure à bien des égards un nain politique. Il faut donc lui donner les moyens de s'affirmer dans les prochaines décennies, face à l'Amérique et aux régions émergentes d'Asie et du Pacifique.

" Une meilleure coordination entre les multiples institutions qui s'imbriquent, s'enchevêtrent et parfois se contredisent, est indispensable. Nous devons clarifier le rôle respectif de ces institutions, éviter les doubles emplois, notamment entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, sous peine de voir l'Europe s'affaiblir encore face aux interventions extérieures.

" L'Europe n'a pas vocation à vivre éternellement à l'abri de puissances tutélaires.

" J'évoquais à l'instant l'importance de la Russie. Regardons l'avenir. Une action de grande envergure s'impose pour aider ce pays à s'intégrer durablement dans la construction européenne. L'absence de tradition démocratique dans cet immense Etat, la période de transition particulièrement difficile qu'il traverse, doivent nous conduire à mettre en oeuvre un vaste programme d'aide à la démocratisation, qui soit à la mesure de l'enjeu historique que représente l'ancrage de la Russie dans la communauté des Etats démocratiques d'Europe. Ce programme doit concerner, en priorité, les fondements mêmes de la démocratie que sont l'éducation et la formation des hommes.

" Le Conseil de l'Europe dispose de l'acquis indispensable pour mener à bien l'adhésion définitive de ce pays aux normes de l'Etat de droit et de la démocratie. L'Union européenne et les Gouvernements qui la composent doivent aider le Conseil de l'Europe dans cette tâche immense, car les moyens dont celui-ci dispose sont très insuffisants.

" Alors que se dessine une nouvelle Europe, née de ces élargissements successifs vers l'Est qui nourrissent l'essentiel des débats au sein des institutions européennes depuis la chute du mur de Berlin, l'heure est venue de fixer des objectifs et de donner un contenu politique à la construction paneuropéenne.

" L'association du Conseil de l'Europe à la Politique extérieure et de sécurité commune de l'Union européenne ne pourrait que conforter le dialogue politique avec la Russie.

" D'ores et déjà, plaçons-nous dans la perspective du second sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe, qui devrait marquer un tournant dans la construction d'une société démocratique aux dimensions du continent.

" L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui avait activement participé à la préparation du Sommet de Vienne d'octobre 1993, voit ainsi s'ouvrir un nouveau chantier, propice à l'élaboration de propositions novatrices.

" L'organisation de la grande Europe de demain suppose que se rassemblent, autour de valeurs communes, les initiatives et les projets entrepris depuis la fin du second conflit mondial pour faire de l'Europe un espace de liberté, de sécurité et de prospérité économique.

" Pour réaliser cette grande ambition, il faut l'adhésion des peuples. La participation des Parlements nationaux à l'élaboration et à la mise en oeuvre du projet européen est la condition de sa légitimité démocratique. L'histoire des Parlements nationaux est indissociable de celle de la démocratie. De celle-ci, aujourd'hui encore, la place faite aux Parlements demeure le critère principal. Cependant, la technicité croissante des problèmes, l'apparition de nouvelles instances multinationales échappant à tout contrôle véritable, l'influence croissante des médias, accélèrent le processus de dessaisissement des Parlements. Ce processus, nous devons, résolument, le combattre.

" Seuls des Parlements modernes, adaptés aux conditions nouvelles d'exercice de la démocratie et renforçant leur coopération mutuelle, seront à même d'affronter avec succès les nouvelles responsabilités qui leur incombent.

" Le travail parlementaire doit désormais tenir compte du développement et de l'expansion à l'échelle mondiale des nouvelles technologies de transmission d'informations, dont le réseau Internet est l'illustration.

" Les énormes potentialités de cet outil nouveau, les perspectives qu'il laisse entrevoir quant à la place majeure de l'information dans notre société, doivent conduire les Parlements à engager, de toute urgence, une réflexion commune.

" Plus généralement, l'approfondissement de la coopération interparlementaire doit permettre à tous les Parlements d'améliorer leurs méthodes de travail et d'investigation, de mieux maîtriser l'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous devons en outre harmoniser nos actions de coopération bilatérale avec les programmes propres du Conseil de l'Europe.

" Les Parlements français et allemand, qui ont déjà mis en place des structures fortes de coopération bilatérale, pourraient prendre une initiative en vue d'élaborer un programme commun d'aide et d'assistance aux pays d'Europe centrale et orientale, et en particulier à la Russie, en liaison avec le Conseil de l'Europe. En clair, les Parlements nationaux doivent être mieux à même d'assumer le nouveau rôle international qui leur incombe.

" Je citerai tout particulièrement l'observation des élections, qui a consacré la qualité de l'expertise parlementaire. De nombreuses institutions y concourent, ce qui nécessite une coordination accrue, non seulement dans la préparation et le déroulement des élections, mais également dans l'élaboration de critères communs. L'observation des prochaines élections en Bosnie-Herzégovine devrait être l'occasion d'engager, sur ces questions, une réflexion nouvelle.

" Les expertises parlementaires devraient d'ailleurs se développer de manière permanente, à l'instar de la procédure mise en place par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour le contrôle des engagements pris par les nouveaux Etats membres.

" La création, par cette Assemblée, d'une commission spéciale sur la Tchétchénie est un exemple du rôle que les parlementaires sont appelés à jouer dans le règlement des conflits.

" Toutes ces questions seront évoquées lors de la Conférence des Présidents des Assemblées européennes, qui aura lieu début juin à Budapest. Elle tirera, j'en suis certain, le plus grand profit de vos travaux, auxquels je souhaite un plein succès.

" L'ambition qui est la nôtre -la réalisation de la Grande Europe- est peut-être immense, et ne pourra sans doute se réaliser que par étapes successives. Mais il nous faut, d'ores et déjà, prendre les initiatives qui montreront aux peuples que la volonté politique existe, et que le projet européen n'est synonyme ni de recul économique, ni de régression sociale et culturelle. C'est ainsi, et ainsi seulement, que nous pourrons conjurer la morosité et le désenchantement que j'évoquais à l'instant, et qui sont propres, si nous n'y prenons garde, à ruiner tous les efforts accomplis depuis cinquante ans en faveur de la paix et de la sécurité en Europe, en faveur, en un mot, de son unité . "

Puis Mme Leni FISCHER, Présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , a prononcé le discours suivant :

"
C'est avec un très grand plaisir que je m'adresse à vous aujourd'hui, dans cette Assemblée nationale française où nous avons l'honneur d'être accueillis par le Président Philippe SÉGUIN . Au nom de tous les participants à cette Conférence, je tiens à lui exprimer mes plus sincères remerciements et à lui dire combien nous sommes sensibles à sa chaleureuse hospitalité et à l'intérêt sans faille qu'il porte au Conseil de l'Europe et aux travaux de son Assemblée parlementaire.

" Nous avons tous en mémoire, Monsieur le Président, le discours que vous avez prononcé le 6 octobre 1994 à Strasbourg devant notre Assemblée et qui trouve aujourd'hui son prolongement dans l'important message que vous venez de nous adresser. Nous avons également apprécié le nouvel éclairage que vous avez su donner au projet de monnaie unique dans votre discours d'Aix-la-Chapelle, et, tout récemment, les propos que vous avez tenus dans votre chère ville d'Epinal, replaçant l'emploi, c'est-à-dire l'homme, au coeur du projet européen.

" Dans l'incertitude où se trouve l'Europe quant à son avenir, la qualité de vos analyses et la vision qu'elles sous-tendent, prennent un relief tout particulier. Je ne doute pas que nos collègues en tireront le plus grand profit, à l'heure où l'Europe est confrontée à des choix décisifs.

" Car deux événements majeurs donnent à cette Conférence interparlementaire une singulière actualité  : l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe, et l'ouverture, demain à Turin, de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne.

" L'adhésion de la Russie consacre la dimension paneuropéenne du Conseil de l'Europe, que parachèvera, avec les adhésions prévisibles de la Croatie, des pays du Caucase et des autres pays issus de l'Ex-Yougoslavie, la fin du processus d'élargissement ouvert depuis la chute du mur de Berlin en 1989.

" L'Europe dispose ainsi avec le Conseil de l'Europe, d'une institution paneuropéenne à la fois expérimentée et innovante. Saurons-nous faire fructifier ce capital inestimable  ? Saurons-nous donner au nouveau Conseil les moyens de faire face à l'immense défi auquel il est confronté  ?

" Telles sont précisément les questions que nous souhaiterions voir évoquées à l'occasion de la Conférence intergouvernementale. Certes, la C.I.G. est un exercice qui concerne l'Union européenne au premier chef. Mais, comme l'a souligné M. SEITLINGER dans son excellent rapport, le débat sur la structure institutionnelle de l'Union peut-il être séparé de la réflexion sur la construction paneuropéenne  ?

" La Conférence intergouvernementale a fait l'objet d'une réflexion sans précédent dans les Parlements des Quinze. Un large débat s'est engagé sur les moyens d'associer les Parlements nationaux à l'élaboration et au contrôle des actes communautaires. Plusieurs propositions ont été avancées, qui témoignent de la vitalité des discussions au sein des organes compétents des Parlements de l'Union.

" De leur côté, les instances dirigeantes de l'Union européenne ont conduit une réflexion préparatoire qui, certes, fait référence à l'UEO., à l'OTAN. et à l'OSCE, mais qui fait preuve d'une remarquable discrétion en ce qui concerne le Conseil de l'Europe.

" L'Union européenne peut-elle, d'un côté apporter un appui spectaculaire à l'entrée de la Russie au Conseil de l'Europe, souligner l'intérêt politique de cette adhésion pour l'Europe et pour elle-même, et de l'autre, se dispenser d'une réflexion de fond sur les conséquences à tirer de cette nouvelle donne institutionnelle qui fait que pratiquement tous les pays du continent européen sont membres du Conseil de l'Europe, et y coopèrent sur un pied d'égalité  ?

" L'heure est à l'imagination, à la définition de voies nouvelles pour la construction de l'Europe continentale, désormais réunie autour des valeurs communes de la démocratie et de l'Etat de droit.

" Nous pensons que le projet d'intégration communautaire et la démarche intergouvernementale et interparlementaire du Conseil de l'Europe sont complémentaires et sont les deux facettes d'un même projet politique pour l'Europe de demain.

" L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a fait des propositions qui reposent sur la notion de finalité unique du projet européen et sur le rôle que doivent jouer les Parlements nationaux dont elle est l'émanation. Devenue la maison commune des Parlements d'Europe, elle se devait en effet de faire connaître sa position à l'égard de la Conférence intergouvernementale, dont les décisions auront immanquablement des implications pour l'Europe tout entière et les autres institutions européennes.

" Nous proposons ainsi de réviser l'article 230 du Traité de Rome afin d'y faire reconnaître par la Communauté européenne les réalisations et le rôle du Conseil de l'Europe dans les domaines des institutions démocratiques, des normes juridiques et des droits de l'homme.

" Qu'en serait-il du processus de démocratisation dans les Etats d'Europe centrale et orientale s'ils n'avaient trouvé appui et accueil auprès de nous, après l'effondrement du communisme  ?

" Nous appelons l'attention sur l'acquis considérable du Conseil de l'Europe dans les domaines couverts par le troisième pilier de l'Union européenne, c'est-à-dire la justice et les affaires intérieures.

" Nous souhaitons le renforcement du lien entre le dialogue politique au sein du Conseil de l'Europe, qui va se développer avec l'adhésion de la Russie, et la Politique extérieure et de sécurité commune de l'Union.

" Nous nous prononçons d'une manière générale pour le renforcement de la coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, que soulignerait avec éclat l'adhésion de la Communauté à la Convention européenne des Droits de l'Homme.

" Je ne peux imaginer que l'Union européenne réinvente un dispositif qui a fait ses preuves, qui a été à l'origine du projet européen et qui est désormais la norme dans toute l'Europe.

" J'y ajouterais le souhait que la Communauté adhère aussi à la Convention culturelle du Conseil de l'Europe, signée en 1954 à Paris et qui est devenue l'expression même de la diversité et de l'identité culturelle du continent.

" Je voudrais saluer ici l'approche positive du Parlement européen qui a toujours apporté son appui à nos propositions, et rappeler en particulier l'important débat que le Parlement a consacré aux relations avec le Conseil de l'Europe en décembre 1993.

" En septembre 1995, l'Assemblée parlementaire a discuté de sa contribution aux travaux préparatoires de la Conférence intergouvernementale. A cette occasion, il a été dit que l'Assemblée parlementaire et le Parlement européen sont les institutions européennes les mieux à même de répondre à l'exigence démocratique des Européens et que cela doit aider au renforcement de leur coopération. C'est dans cet esprit que je rencontrerai bientôt le Président Hänsch et que des délégations des Bureaux de nos institutions vont se réunir.

" Les propositions de notre Assemblée tendent aussi à faire reconnaître le rôle majeur des Parlements nationaux dans la politique européenne. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a le double avantage d'être composée d'élus nationaux et de représenter la quasi-totalité du continent européen. Elle apporte donc à la réflexion en cours une représentativité répondant au souci légitime des Parlements nationaux de faire entendre leur voix et une dynamique adaptée au nouvel espace de l'Europe élargie.

" Ses travaux récents esquissent une conception d'ensemble de la future architecture paneuropéenne.

" Nous estimons d'abord que toutes les institutions doivent travailler dans un esprit de partenariat et avec le souci de mieux répartir les tâches entre elles. Un nouvel état d'esprit fondé sur la volonté de coopérer plus efficacement doit aujourd'hui prévaloir, tant les défis qui nous sont adressés sont considérables. Aucune institution ne peut prétendre régler à elle seule l'ensemble des problèmes qui se posent à l'échelle du continent.

" Nous nous réjouissons du rôle moteur de l'Union européenne dans la construction européenne et nous souhaitons qu'elle soit renforcée dans ses compétences et ses institutions, y compris dans le domaine de la défense grâce à l'Union de l'Europe occidentale, pilier européen de l'OTAN.

" Le Conseil de l'Europe est quant à lui l'outil majeur de la sécurité démocratique, de la sauvegarde des droits de l'homme et de la consolidation de l'Etat de droit dans tous les domaines de la société civile.

" Quant à l'OSCE, elle est un instrument irremplaçable de prévention des conflits et de gestion de ces crises. L'Assemblée de l'OSCE et la nôtre ont passé un accord de coopération et j'espère que nous parviendrons à resserrer encore les relations entre les deux institutions, qui se sont vu confier récemment des missions difficiles en Bosnie-Herzégovine. A mon avis, nos deux Assemblées pourraient apporter ensemble une contribution importante à la préparation et à l'observation des premières élections démocratiques dans ce pays.

" L'Union européenne, enfin, a tout intérêt à s'appuyer sur ces institutions qui couvrent un espace géographique plus large que le sien et qui peuvent la faire bénéficier de leurs expertises, à l'heure où elle s'engage elle aussi dans un processus d'élargissement en direction des pays d'Europe centrale et orientale.

" C'est dans le développement harmonieux de ces différents schémas que se construira patiemment et en profondeur l'unité du continent.

" L'Union européenne a tout intérêt aussi à ce que le Conseil de l'Europe réussisse une intégration efficace de ses nouveaux membres dans la famille des démocraties européennes, y compris la Russie. Elle soutient déjà certaines activités de formation et d'assistance à ces pays. Il s'agit maintenant d'être plus ambitieux devant les besoins immenses que nous avons recensés. Notre Assemblée est très préoccupée par la poursuite du conflit en Tchétchénie, et nous apportons notre soutien à la Commission ad hoc que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé de dépêcher sur place. Cette Commission a pour mission d'aider les Russes à dégager une solution politique fondée sur la négociation et le respect des minorités.

" Nous espérons que cette solution sera rapidement définie, afin de permettre à la Russie de poursuivre, dans une sérénité retrouvée, la consolidation du processus de démocratisation qu'elle a courageusement engagé et que nous soutenons ardemment.

" Malheureusement, les persécutions à l'égard de minorités se poursuivent en bien d'autres endroits d'Europe. Le Conseil doit redoubler de vigilance et promouvoir la protection des minorités nationales tout en développant les mesures de confiance dans les pays concernés.

" Pour mener à bien toutes ces actions, nous avons besoin de la mobilisation des Parlements nationaux avec lesquels l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a beaucoup de projets à réaliser en commun.

" La coopération interparlementaire est un élément essentiel de formation dans les Parlements d'Europe centrale et orientale. Elle joue un rôle décisif dans le renforcement de leur capacité législative. Nous souhaitons coordonner le programme de coopération de l'Assemblée parlementaire avec les programmes bilatéraux lancés par plusieurs Parlements et, en particulier, par les Parlements français et allemand.

" Nous proposons de réaliser avec les Parlements qui le souhaiteront quelques projets pilotes à la mesure des importants besoins qui se manifestent. La formation et l'éducation doivent être au coeur de la coopération car ce sont les fondements de la culture démocratique que nous souhaitons promouvoir.

" De même, nous devons examiner ensemble toutes les conséquences qu'ont les nouvelles technologies de l'information sur l'exercice de la démocratie, et veiller, y compris en proposant de nouvelles normes, à éviter que les libertés essentielles et les règles élémentaires de l'éthique ne soient contournées.

" L'ampleur des défis à venir, les conséquences à tirer de l'élargissement du Conseil de l'Europe et de l'intensification du dialogue intercontinental -qu'illustre l'octroi du statut d'observateur aux Etats-Unis et bientôt au Japon et au Canada-, la définition de nouveaux objectifs et de moyens appropriés, soulignent la nécessité d'un second sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe.

" Je remercie vivement le Président CHIRAC d'avoir bien voulu m'indiquer qu'il était pour sa part favorable à la tenue d'un tel sommet qui, je l'espère, pourra se tenir à l'automne 1997, sous la présidence française.

" Les propositions novatrices que le Président français vient de présenter pour une Europe plus démocratique, plus sociale et plus humaine laissent bien augurer de cette rencontre.

" Nous devons d'ores et déjà préparer cette grande échéance. L'Assemblée parlementaire avait, sous l'impulsion du Président Martinez, participé activement à la phase préparatoire du premier sommet de Vienne d'octobre 1993. Nous devons agir de même aujourd'hui et la présente Conférence interparlementaire vient à point nommé pour permettre un échange de vues sur les perspectives de la construction paneuropéenne et sur le rôle des Parlements nationaux.

" J'adresse tous mes remerciements aux Présidents et aux représentants des autres Assemblées européennes, de la COSAC et des Assemblées parlementaires régionales, qui ont bien voulu être présents parmi nous et participer à notre discussion dans un esprit de dialogue et de coopération.

" Je forme le voeu que nos travaux, qui s'engagent sous les meilleurs auspices grâce au remarquable travail des rapporteurs, auxquels je rends ici hommage, marquent une étape importante dans notre réflexion commune en vue de donner à la construction européenne la grande dimension qu'attendent les peuples.

" A cet égard, permettez-moi encore de rendre hommage au Président SÉGUIN qui nous a rappelé, dans son remarquable discours d'Epinal, l'impérieuse nécessité de l'adhésion des peuples au projet européen et au modèle de société qu'il implique. La construction européenne doit être envisagée comme un projet véritablement démocratique, économiquement viable mais socialement plus juste, garantissant la sécurité et respectant la diversité culturelle européenne. Sur ce plan, nous sommes confrontés à des interrogations majeures. Après plus d'une décennie du tout économique fondée sur le libre jeu des marchés et le monétarisme, sous le coup de la mondialisation de l'économie et d'une compétition industrielle et commerciale sans merci, il importe maintenant de prendre un peu de recul. En effet, nous ne pouvons qu'être interpellés par le fait que l'augmentation globale des richesses va de pair avec une réduction importante des emplois et une fracture sociale de plus en plus grande. Le moment me semble venu d'intégrer un point de vue éthique dans notre réflexion concernant la finalité même de notre vie en société. Je suis convaincue que cette réflexion doit être menée ensemble par les Parlements nationaux et l'Assemblée du Conseil de l'Europe qui devraient dégager les grandes lignes d'un projet européen ayant l'homme comme finalité. "

M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), raporteur de la conférence au titre du thème II : "Vers une civilisation démocratique paneuropéenne", a présenté les observations suivantes à l'appui de son rapport écrit :

" Le Conseil de l'Europe occupe une place particulière parmi les institutions européennes. Il s'agit de l'organisation la plus ancienne, créée dès 1949 dans la période d'après-guerre. Le Conseil de l'Europe a été ainsi le creuset des idées et des propositions qui ont abouti à la signature du Traité de Rome en 1957 créant le marché commun.

" Il a ensuite été au coeur du débat sur la nouvelle Europe après les bouleversements de 1989, et sa dimension paneuropéenne trouve aujourd'hui son accomplissement avec l'adhésion de la Russie.

" Le Conseil de l'Europe est aujourd'hui en mesure d'apporter une contribution décisive à l'élaboration d'un projet de civilisation paneuropéenne.

" En effet, et c'est sans doute sa profonde originalité, le Conseil de l'Europe qui a fait de l'éthique le levier de son action, a vocation, de par son statut même (article ler), à proposer des normes et des standards dans pratiquement tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle.

" Hormis les questions de défense, il est clair en effet que la compétence du Conseil de l'Europe était, dès l'origine, extrêmement vaste et couvrait en réalité tous les secteurs de la vie sociale.

" Depuis sa création, le Conseil de l'Europe a élaboré 162 conventions dont la plus connue est la Convention européenne des Droits de l'Homme de 1950. Bien d'autres textes de référence ont été signés depuis tels que la Charte sociale européenne, la Convention culturelle, les conventions sur la circulation des personnes, la pharmacopée européenne, la violence dans les stades, la coopération transfrontalière, la protection des émissions de télévision, etc...

" C'est donc au sein de ce riche réseau des conventions du Conseil de l'Europe, appelé d'ailleurs à se développer encore davantage, que l'on peut dégager les normes applicables à un véritable projet de civilisation concernant l'ensemble du continent.

" La mise en oeuvre de ce projet nécessite des efforts particuliers en vue d'assurer la cohésion sociale, en particulier par l'adoption de mesures de confiance dans la société civile, qui faciliteront la construction d'un espace juridique commun et le renforcement de l'identité culturelle européenne.

" Le Sommet de Vienne d'octobre 1993 a demandé l'élaboration de mesures de confiance pour accroître la tolérance et la compréhension entre les peuples. Cet objectif résulte d'une prise de conscience du fait que, premièrement le Conseil de l'Europe devrait, au-delà de ses activités d'envergure européenne, être prêt à participer à la résolution de problèmes spécifiques des minorités ; et deuxièmement, pour que les réformes juridiques en matière de minorités atteignent leur objectif, elles doivent s'accompagner d'un changement d'attitude des intéressés.

" La participation spécifique du Conseil de l'Europe à l'instauration d'un climat de confiance intervient donc principalement à deux niveaux :

- fournir l'assistance et les avis d'experts à la rédaction de traités bilatéraux, de dispositions nationales ou de politiques concernant la situation d'une minorité donnée ;

- soutenir les projets pilotes visant à promouvoir de bonnes relations entre les minorités et la majorité "locale".

" Une large part des travaux du Conseil de l'Europe s'inscrivent dans son objectif général de promotion d'un climat de compréhension et de tolérance mutuelles, et de respect de la culture des autres. C'est par exemple le cas des activités en matière d'éducation (éducation pour une citoyenneté démocratique, éducation interculturelle, apprentissage des langues, nouvelles approches dans l'enseignement de l'histoire) ; de culture et de sauvegarde du patrimoine culturel ; des moyens de communication de masse ; des migrations et des rapports entre communautés ; de la promotion de la coopération transfrontalière entre les autorités locales et régionales.

" Si divers partenaires interviennent dans ces activités, celles-ci restent toutefois dans une large mesure du ressort traditionnel de la coopération intergouvernementale. Mais l'importance croissante des problèmes des minorités, en particulier en Europe centrale et orientale, a révélé que de telles initiatives doivent s'accompagner d'initiatives spécifiques sur le terrain, entreprises en étroite collaboration avec les communautés concernées. Telle est la motivation sous-jacente au programme des mesures de confiance dans la société civile.

" Ce programme rassemble des activités de type préventif, c'est-à-dire conçues pour désamorcer des tensions susceptibles d'engendrer de graves conflits. Elles doivent essentiellement être de nature pratique et aider à faire tomber les barrières qui séparent les communautés sur le terrain grâce au dialogue et aux occasions d'apprendre ou de travailler ensemble à des projets spécifiques. Le partage d'une telle expérience est considéré comme le moyen le plus efficace de promouvoir la connaissance et la compréhension mutuelles, et d'écarter la violence dans la solution des problèmes.

" Les mesures de confiance peuvent intervenir dans un vaste éventail de secteurs. Le programme intergouvernemental d'activités de 1995 mentionne explicitement les médias, l'éducation, le logement et les services sociaux. Cela n'empêche pas de mener des projets dans d'autres secteurs culturels ou sociaux, ou dans ceux de la jeunesse, de la démocratie locale ou de la coopération régionale. Leur principale caractéristique sera de faire intervenir principalement des partenaires non gouvernementaux.

" Par définition, ces projets n'auront généralement un effet direct qu'au niveau local. C'est la raison pour laquelle ils sont conçus comme des projets pilotes qui, en cas de réussite, auront un effet multiplicateur et encourageront d'autres à s'engager sur la même voie. Il conviendra d'encourager l'organisation en réseaux et l'enrichissement mutuel des projets, et de tirer les leçons des réussites comme des échecs.

" De même, il est réaliste d'espérer des résultats à moyen et à long terme, et non dans l'immédiat. Le besoin pour de tels projets dérive précisément de l'impossibilité de légiférer pour changer les mentalités. Pour créer un climat de confiance, il faut de la patience et de la persévérance.

" Le rôle du Conseil de l'Europe ne se limite pas à l'apport des fonds nécessaires au démarrage des divers projets pilotes. Pour garantir que les projets soient menés suivant le schéma approuvé et continuent à répondre aux objectifs des mesures de confiance, leur application doit faire l'objet d'un suivi et d'une assistance par le service correspondant du Conseil de l'Europe. Ce dernier devrait assurer un dialogue permanent avec les responsables de projet et rester prêt, le cas échéant, à fournir une aide pour résoudre d'éventuels problèmes.

" Le suivi de l'application de chaque projet doit faire l'objet d'un bilan effectif quand il se termine. Pour ce faire, les objectifs du projet doivent être clairement définis dès le départ, afin que les résultats obtenus puissent y être comparés. D'autre part, il en dérive une obligation pour les organisateurs non seulement de justifier que les fonds attribués par le Conseil de l'Europe ont été correctement dépensés, mais encore de coopérer à l'évaluation de la mesure dans laquelle les objectifs du projet ont réellement été atteints, et de fournir toutes les informations que cela demande. Une telle évaluation doit permettre de tirer des leçons en vue du choix de projets ultérieurs. Elle revêt donc une importance particulière dans le cas de projets destinés à servir de modèles de bons usages.

" La nature du soutien accordé à un projet par le Conseil de l'Europe varie considérablement ; il s'agit parfois d'une assistance morale ou technique, sans apport financier substantiel. Il ne serait donc pas toujours approprié d'appliquer une procédure d'évaluation normalisée. Une équipe dépendant de la Direction des affaires politiques est chargée de la gestion du programme de confiance. Elle coopère étroitement avec les services compétents des institutions, centralise et assure la coordination. Le Comité des ministres a constitué un petit Comité de Pilotage pour assurer la sélection finale des projets proposés pour leur inclusion dans les mesures de confiance. Ce Comité de Pilotage a pour mandat d'examiner les projets approuvés et filtrés par le Secrétariat pour lesquels les informations nécessaires ont été fournies, et de prendre des décisions finales sur l'adoption des projets et le mode d'assistance du Conseil de l'Europe. Une trentaine de projets ont été approuvés par les Comités de Pilotage.

" Les activités du Conseil de l'Europe dans le domaine juridique ont toujours été prioritaires et cela se comprend car l'Organisation a puissamment contribué à la construction d'un espace juridique commun, notamment en tissant une trame de 162 conventions et accords dans tous les domaines du droit. Pour ne citer que quelques instruments, mentionnons les conventions dans le domaine pénal, telles que celles sur l'entraide judiciaire, l'extradition, la répression du terrorisme, le blanchiment de l'argent, ou encore la Convention sur la protection des données à caractère personnel. Le Conseil de l'Europe a ainsi directement contribué à l'harmonisation du droit en jetant les bases d'un espace juridique au niveau de la Grande Europe.

" Depuis quelques années et surtout depuis l'ouverture à l'Est, les activités dans ce domaine ont surtout été axées sur le renforcement de la démocratie pluraliste et sur l'Etat de droit et forment ainsi un complément indispensable à l'action dans le domaine des droits de l'homme. Cette tendance s'affirme tant dans le programme intergouvernemental d'activités régissant à l'origine la coopération entre Etats membres mais qui, par la voie des projets "Grande Europe", s'est ouvert largement à la participation d'Etats non membres d'Europe centrale et orientale, que dans les programmes spécifiques de coopération et d'assistance avec ces pays. L'objectif de l'ensemble de ces activités est en effet la cohésion démocratique de notre continent.

" La Conférence des ministres européens de la justice constitue une excellente source d'initiatives dans le domaine de la coopération juridique et fournit l'impulsion politique nécessaire. Cette Conférence se réunira du 11 au 12 juin 1996, à Budapest, sur le thème : "Efficacité, équité de la justice civile, pénale et administrative", et l'on peut espérer que cette réunion soit le point de départ d'une action au Conseil de l'Europe et dans les pays membres pour remédier aux problèmes de procédure dans de nombreuses juridictions nationales.

" L'Assemblée parlementaire constitue une autre source d'initiative importante pour les activités juridiques. Le programme intergouvernemental d'activités dans le domaine juridique a été considérablement renforcé pour 1996 et les priorités clairement définies.

" La lutte contre la criminalité est essentielle dans toute société démocratique. Le Conseil de l'Europe bénéficie d'une expérience unique en la matière et fait preuve de dynamisme en s'adaptant continuellement à l'évolution de la société et aux nouvelles formes de criminalité que cette évolution entraîne malheureusement. C'est ainsi que la corruption constitue une menace dans tous les pays de notre continent et sape les bases mêmes des institutions démocratiques. Le Conseil de l'Europe vient donc d'élaborer un ambitieux programme d'action contre ce fléau. Ce programme est destiné à être mis en oeuvre sur une période d'au moins cinq ans et portera sur tous les aspects juridiques (civils, administratifs et pénaux). L'élaboration d'un ou de plusieurs instruments internationaux est prévue dont, si possible, une convention intemationale-cadre contenant des principes généraux assortie d'un mécanisme de mise en oeuvre, mais également un code de conduite européen des agents publics.

" Dans le secteur de la protection des données à caractère personnel, le Conseil de l'Europe a élaboré une convention qui vise à délimiter l'exercice du droit à la liberté d'expression par rapport au droit au respect de la vie privée. Dans le secteur de l'information juridique se tiendra à Stockholm, en juin, le XXVIè Colloque de droit européen qui sera consacré aux "Changements dans le domaine du Droit et des technologies d'information".

" La bioéthique est un autre domaine où le Conseil de l'Europe est actif depuis quelques années. Il se devait en effet de s'intéresser à cette problématique car il s'agit de défendre des valeurs fondamentales telles que la vie, la vie privée, la famille et le respect de l'être humain, à la fois comme individu et dans son appartenance à l'espèce humaine. Il s'agit également de s'adapter à des techniques qui progressent très rapidement en créant des vides juridiques qu'il s'agit de combler afin d'éviter l'anarchie. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe élabore en ce moment un projet de convention pour la protection des droits de l'homme et la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et la médecine, dénommée "Convention de bioéthique" qui constituera le premier texte de référence en la matière. L'Assemblée parlementaire a déjà donné un premier avis sur ce projet et devrait à nouveau être consultée dans quelques semaines avant l'adoption du projet par le Comité des ministres.

" Au vu de son expérience dans le domaine des réfugiés et des apatrides, le Conseil de l'Europe a été chargé, dans le contexte des Accords de Dayton, d'organiser en mars 1996, en coopération avec le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, une réunion d'experts de cinq pays situés sur le territoire de l'Ex-Yougoslavie pour vérifier que les législations en vigueur ou en projet ne feront pas obstacle au retour des réfugiés et des personnes déplacées.

" Le Conseil de l'Europe développe également une activité permanente visant à renforcer le rôle du droit international public. Suite à la troisième Conférence européenne sur le Droit de la famille tenue à Cadix en novembre 1995, un nouvel élan a été donné aux activités dans ce secteur. Une Convention européenne sur l'exercice de droits des enfants vient d'être ouverte à la signature des Etats membres en janvier.

" Les piliers de ces programmes de coopération et d'assistance avec les pays d'Europe centrale et orientale sont l'Etat de droit, la démocratie pluraliste et le respect des droits de l'homme. Le Conseil de l'Europe met donc son acquis dans le domaine de la coopération juridique en général à la disposition des pays bénéficiaires. Le programme Demo-Droit vise à promouvoir les réformes législatives. Cette action en amont est complétée en aval par le plan Thémis destiné à assurer la mise en oeuvre des réformes intervenues. Il propose aux professions juridiques des programmes de formation et de perfectionnement s'inspirant des principes fondamentaux de l'Etat de droit et des droits de l'homme. La Commission européenne pour la Démocratie par le Droit fonctionnant depuis 1990 sous la forme d'un Accord partiel, est un organe consultatif qui coopère avec les Etats membres du Conseil de l'Europe et les Etats non membres. Elle aide les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale à créer de nouvelles infrastructures politiques et juridiques.

" Le Conseil de l'Europe, dès sa création en 1949, a développé une compétence en matière culturelle autour de deux lignes directrices, d'une part la défense du pluralisme des identités culturelles et d'autre part, la mise en valeur du patrimoine commun. Le cadre géographique propre à la Convention culturelle européenne s'est élargi considérablement depuis 40 ans, et plus particulièrement depuis la chute du mur de Berlin. L'Organisation se voit donc confier une vocation paneuropéenne, mais au prix d'une complexité accrue du fait de la confrontation des situations nationales les plus diverses.

" La Convention culturelle européenne affirme l'existence d'une "culture européenne" dont la sauvegarde et le développement doivent être assurés au moyen d'"une politique d'action commune".

" L'évolution de la coopération culturelle est le fruit d'un programme intensif d'activités réalisées grâce à l'oeuvre du Conseil de la Coopération culturelle (CDCC). Son rôle est primordial puisqu'il conçoit et réalise les programmes du Conseil de l'Europe en matière d'éducation et de culture, grâce au Fonds culturel. Il est assisté par quatre Comités spécialisés : Education, Enseignement supérieur et Recherche, Culture, et Patrimoine culturel.

" Une date symbolique a été franchie récemment avec la célébration, entre décembre 1994 et mai 1995, de 40 ans de coopération culturelle. Le Sommet de Vienne, qui a réuni en octobre 1993 l'ensemble des chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe, a montré le rôle fondamental que la coopération culturelle peut et doit jouer dans le soutien et la consolidation de la sécurité démocratique, et a donné l'impulsion nécessaire à l'élaboration d'un ensemble de nouveaux programmes.

" Le Conseil de l'Europe s'est vu confier la mission de réaliser, sur notre continent, "un vaste espace de sécurité démocratique". Au même titre que la démocratie, le respect des droits de l'homme et la prééminence du droit, la coopération culturelle est devenue un des quatre piliers de l'Organisation d'une Europe démocratique multilingue et pluriculturelle. La coopération doit jouer un rôle croissant de cohésion et de stabilité particulièrement en promouvant une attitude positive vis-à-vis de la diversité culturelle. L'enjeu est de renforcer la conscience d'une identité européenne commune, de développer une conception de cette identité culturelle en référence à une histoire et à un patrimoine particuliers, qui soit en même temps plurielle, dynamique et évolutive.

" L'année 1996 constituera, pour le CDCC et le Fonds culturel, une année de transition, en raison de l'achèvement prévu de plusieurs grands projets. La réorganisation envisagée à partir de 1997 devra tenir compte de l'émergence d'une politique culturelle au sein de l'Union européenne. Le rôle du Conseil de l'Europe n'en est pas pour autant menacé : il est au contraire explicitement défini dans les articles 126 et 128 du Traité de Maastricht, ce qui a permis des progrès importants, dans la période récente, dans la coopération entre les deux organisations.

" L'examen des demandes de coopération provenant d'Etats non parties à la Convention et n'appartenant pas au continent européen est un autre défi à relever.

" Aux termes de ce rapport, il apparaît que le chapitre ouvert par le Conseil de l'Europe pour fixer les bases d'une société paneuropéenne est déjà considérable.

" La qualité des expertises du Conseil de l'Europe est aujourd'hui reconnue par l'ensemble des institutions européennes. Le Conseil de l'Europe apparaît comme une organisation ayant la capacité d'innover, de susciter des approches nouvelles pour relever les nouveaux défis de la société. Ces défis sont immenses, tels que les conséquences à tirer des nouvelles technologies de l'information dont Internet est la réalisation-pilote.

" Le Conseil de l'Europe a toujours été à l'avant-garde dans l'analyse des grands problèmes de société. Ses travaux précurseurs sur le Sida dans les années 1980 en témoignent. Si les experts et les administrations en avaient pris mieux connaissance, une tragédie aurait peut-être pu être évitée...

" Pour une meilleure efficacité, le Conseil de l'Europe doit renforcer sa coopération avec les autres institutions européennes et en particulier avec l'Union européenne avec laquelle pourrait se développer un nouveau partenariat.

" Les programmes de coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale doivent demeurer prioritaires. Beaucoup reste à accomplir, en effet, pour aider ces pays à établir de nouvelles normes applicables à l'ensemble de la vie publique.

" L'avenir du Conseil de l'Europe dans le nouveau contexte de son élargissement à l'ensemble du continent européen dépend plus que jamais de la volonté politique des Gouvernements. Pour mener à bien les missions qui lui ont été confiées par les chefs d'Etat et de Gouvernement lors du Sommet de Vienne d'octobre 1993 et compte tenu de l'adhésion de la Russie, le Conseil de l'Europe a besoin de moyens nouveaux. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe devrait d'ores et déjà prendre des initiatives en faveur de la tenue d'un second sommet du Conseil de l'Europe.

" Enfin, il est essentiel de rappeler une fois de plus la nécessité pour le Conseil de l'Europe d'améliorer sa communication pour que l'Organisation soit en mesure de donner à toutes les actions qu'elle entreprend le retentissement souhaitable. "

Mme Nicole FONTAINE, Vice-Présidente du Parlement européen (Parti populaire européen) , est intervenue, lors de la discussion du même thème, dans les termes suivants :

" Permettez-moi, tout d'abord, d'un mot, de me féliciter de cette Conférence inerparlementaire que le Conseil de l'Europe et l'Assemblée nationale française ont conjointement organisée et à laquelle ils ont voulu associer le Parlement européen, ce dont je vous remercie.

" Il faut bien l'admettre, depuis près de quarante ans, la construction européenne s'est effectuée assez largement en marge des citoyens, et souvent dans une grande absence de communication et de transparence. Les campagnes référendaires qui, dans plusieurs pays de l'Union, ont précédé l'adoption du traité de Maastricht en 1992 ont révélé un véritable fossé psychologique entre les citoyens et les décideurs communautaires.

" Aujourd'hui, ce fossé demeure. Le temps de l'europhilie euphorique est derrière nous, et nous devons affronter une crise assez profonde de nos opinions publiques à l'égard de l'Europe. Son image s'est détériorée, à des degrés divers, dans tous les pays de l'Union. Nous devons ensemble, dans l'exercice de nos responsabilités respectives et en renforçant notre coopération, nous préoccuper de cette situation. A la veille de la Conférence intergouvernementale, dont l'objectif est de parvenir à une réforme profonde de l'Union pour la rendre plus démocratique et en adapter le fonctionnement à la perspective de son élargissement, l'entreprise est capitale. Les conclusions de la C.I.G. devront recevoir explicitement l'assentiment de chacun des quinze peuples, soit directement par référendum, soit par l'entremise de leurs représentants élus.

" S'agissant des pays candidats à l'Union, il est essentiel que cette expérience les amène à se pencher dès maintenant sur les suites qu'aura l'adhésion dans leurs opinions respectives, et il importe de prévenir le risque que la déception succède à l'enthousiasme né de promesses insuffisamment tenues. L'évolution rapide de l'opinion chez nos amis autrichiens et suédois qui ont adhéré à l'Union européenne depuis un an à peine est éclairante à cet égard.

" Car l'Union n'est pas un supermarché. Sa finalité est d'être une authentique communauté, qui a vocation à intégrer la plupart des pays de l'Europe. Au-delà des échanges économiques, l'essentiel est dans le rapprochement toujours plus grand des peuples eux-mêmes en une civilisation paneuropéenne. Cela suppose une volonté politique bien ancrée de garder le cap sur les exigences essentielles : démocratie consolidée, structure sociale de marché, adhésion à la dimension politique de l'Europe dont la défense commune est un pivot. "Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes", disait déjà Jean Monnet il y a cinquante ans. Il n'en demeure pas moins que nous devons accomplir ensemble un double effort : un effort de communication, un effort de courage politique et de clarification.

" Un effort de communication : peut-être avons-nous eu tort de tant dénoncer le déficit démocratique de la construction européenne ; nos concitoyens n'en ont retenu que le constat, sans se projeter sur l'objectif auquel nous souhaitions les sensibiliser et les associer.

" Un effort de courage politique et de clarification : la réforme à laquelle la Conférence intergouvernementale qui s'ouvrira demain doit pouvoir répondre apparaît à la fois nécessaire et urgente pour que, dans la perspective de l'élargissement, l'Union préserve sa capacité d'action et pour qu'aux yeux de nos citoyens nos institutions, qui les représentent, soient plus lisibles.

" La qualité des relations entre nos institutions parlementaires est pour cela fondamentale, et il convient, ici, à la fois de souligner l'acquis et de relever ce qui peut et doit être amélioré.

" Entre Parlement européen et Conseil de l'Europe, notre coopération a été renforcée. Nous ne nous limitons plus à siéger dans la même enceinte à Strasbourg ! Nous avons le souci d'accorder la complémentarité de nos rôles et d'établir des partenariats sur les sujets qui nous sont communs.

" Je remercie Mme Fischer de l'avoir souligné ce matin. Je confirme que le Parlement européen a souvent réitéré l'exigence de voir la Communauté adhérer à la Convention des Droits de l'Homme.

" Entre Parlement européen et Parlements nationaux, nous nous rencontrons, nous nous parlons, nous débattons sous des formes multiples. La Conférence des présidents des Parlements nationaux des Quinze se réunit régulièrement. La COSAC constitue un forum privilégié de réflexion commune.

" Pourtant, au cours de ces dernières années, les Parlements nationaux ont eu le sentiment d'être progressivement dépossédés de leurs prérogatives législatives au profit des institutions communautaires, alors que, dans le même temps, la législation européenne prenait le pas sur les législations nationales. Le débat n'est pas seulement important, il est essentiel.

" Au Parlement européen, sans fermer la porte à une recherche inventive, il nous apparaît que la réponse n'est pas dans la création d'une nouvelle institution, telle qu'une Chambre des Parlements nationaux qui ne ferait qu'ajouter à la complexité institutionnelle déjà grande, mais dans le renforcement des mécanismes d'information et de contrôle dont les Parlements nationaux doivent disposer à l'égard de leur propre Gouvernement pour toutes les questions européennes ayant des effets législatifs.

" Je me réjouis qu'en France, une disposition soit désormais inscrite dans la Constitution, qui prévoit que les propositions de directives communautaires sont, dès leur communication au Gouvernement, transmises au Parlement qui exprime son avis par voie de résolutions. Cette disposition est équilibrée. Elle permet à la représentation nationale d'exprimer à temps au Gouvernement, et non plus lorsqu'il est trop tard, ses avis et amendements.

" La généralisation de ce type de procédure, sous des formes à choisir par chaque pays, serait de nature non seulement à renforcer le fonctionnement démocratique de l'Union, mais également à vérifier que le principe de subsidiarité, introduit dans le Traité de Maastricht en vue d'assurer une répartition plus judicieuse des compétences entre le niveau des Etats et celui des institutions communautaires, sera, dans chaque cas, respecté. Ce dernier aspect est d'autant plus important que plus nous avancerons dans l'unification européenne, plus l'appréciation du principe de subsidiarité sera délicate à opérer, pour la simple raison que les attentes à l'égard de l'Europe évoluent et qu'elles sont de plus en plus mêlées, si ce n'est contradictoires.

" Il n'est pas facile de démêler ce qui doit relever de l'action communautaire et ce qui doit relever de celle des Etats. Le droit des Parlements nationaux à intervenir est, sur ce point en particulier, une exigence démocratique qui devrait trouver sa concrétisation dans la proposition du Président Chirac d'y associer la Conférence des Présidents d'Assemblée.

" Pour conclure, je ferais deux remarques d'ordre général. Premièrement, le modèle démocratique qu'il convient de définir pour parfaire l'Union européenne n'a pas de précédent classique, qu'il soit de type fédéral ou confédéral. Il devra être spécifique. Pour cette raison, il reste encore largement à inventer.

" Il ne peut y avoir de cohésion durable dans l'Union et d'authentique démocratie communautaire que si les Etats, à travers le Conseil où ils siègent et les Parlements nationaux élus de leurs nations, partagent, de façon structurée, permanente et équilibrée, avec les institutions communautaires le pouvoir de législation commune. Le défi démocratique que l'Union doit relever pour les années à venir est précisément de parvenir à cette synergie équilibrée entre des institutions européennes rendues plus fortes et plus efficaces dans l'intérêt de tous, et des Etats qui ne soient affaiblis ni dans leur identité ni dans leurs responsabilités nationales.

" Deuxièmement, quelle que soit la pertinence des institutions, la démocratie européenne ne doit pas rester une affaire d'initiés. Elle exige une grande qualité de communication avec l'ensemble des citoyens, acteurs et non simples sujets d'une Europe en évolution accélérée. Ce fut la grande leçon du débat sur la ratification du traité de Maastricht : les décideurs avaient jugé de ce qui était bon pour l'Europe, et sur le fond, ils avaient tellement le sentiment d'avoir raison qu'ils ne demandaient au peuple que son consentement, sans l'avoir préalablement associé au cheminement.

" Mais le peuple a voulu donner un accord réfléchi, et non pas formel. Il l'a fait savoir. Alors que la réflexion de tous est à nouveau sollicitée sur le futur proche de l'Union européenne et au-delà, sur la future Confédération paneuropéenne, sachons ne pas l'oublier. "

M. Jean SEITLINGER, député (UDF), Président de la Commission des relations avec les pays européens non membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, rapporteur général de la conférence, a présenté son rapport écrit portant sur le thème III "Les Parlements nationaux et l'Europe", en formulant les observations suivantes :

" Cette conférence, engagée sous les meilleurs auspices, représente le terme d'un long cheminement. Je remercie la Présidente Ragnarsdottir d'avoir agi à nos côtés avec une ardente conviction.

" J'entends faire l'état des lieux avant l'ouverture de la C.I.G. J'ai indiqué dans mon rapport écrit que le Conseil de l'Europe était le creuset de la deuxième Chambre mais il s'agit seulement d'ouvrir une piste de discussion, d'autres solutions restent possibles. Il en va de même pour la perspective d'une fusion entre l'UEO et l'Union européenne.

" Tout le monde s'accorde pour constater un déficit démocratique. On n'y remédiera qu'en renforçant le rôle et des Parlements nationaux et du Parlement européen, sans discrimination entre l'un et les autres. Sur ce point, le Traité de Maastricht n'a pas apporté de vraie réponse. Le sujet est donc à l'ordre du jour de la C.I.G. L'Union européenne ne saurait ignorer les acquis des autres organisations européennes dotées d'Assemblées issues des Parlements nationaux.

" L'OSCE réunit 53 pays, du Canada à l'Asie centrale, mais sa composante parlementaire reste embryonnaire. Elle ne se réunit qu'une fois par an et il faut la renforcer.

" Le Conseil de l'Europe compte 39 membres et vient d'admettre les Etats-Unis et le Japon comme observateurs. Avec l'UEO, la répartition des compétences est facile, il n'y a pas de chevauchement. Le Conseil a une compétence politique générale alors que l'UEO s'occupe de sécurité et de défense. Celle-ci réunit 10 membres de l'Union européenne, plus 27 Etats associés. Mais qu'adviendra-t-il de cette organisation ? Va-t-elle fusionner avec l'Union européenne ou se maintenir ? Comme l'a dit le Président Séguin, je crois que sa disparition signifierait le glas de l'identité européenne de défense. Et toute fusion avec l'Union européenne est prématurée au moment où cette dernière s'élargit à des pays neutres.

" J'ai évoqué un rapprochement de ces institutions. D'autres parlent de parallélisme, mais des parallèles ne se rencontrent jamais... En l'état actuel, elles doivent rester indépendantes et trouver leur place dans le cadre d'une politique authentiquement européenne de sécurité et de défense.

" Il y a contradiction à évoquer les rapports entre Parlements nationaux et Parlement européen. En 1979, nous avions pensé que l'élection de celui-ci au suffrage universel direct améliorerait la situation mais, par un effet pervers de la réforme, le cordon ombilical a été coupé non seulement avec les Parlements nationaux mais aussi avec toutes les institutions des pays concernés ! Les Parlements nationaux ont eu l'impression d'être dépossédés de leurs compétences : les directives sont adoptées par le Conseil des ministres et transcrites en droit interne.

" On a exploré des voies en vue de les associer de façon pragmatique à un meilleur contrôle de la Commission européenne. Les Danois ont un système, les Français un autre, les Allemands ont adopté une procédure spécifique avec leur structure fédérale. Chacun établit ses propres règles mais le but reste le même et les rencontres de la COSAC permettent de coordonner les actions. Il ne doit pas y avoir rivalité mais complémentarité.

" Il faut aussi constater que l'Union européenne conserve une grande force d'attraction notamment en Europe centrale et orientale, à cause de la situation économique. L'élargissement sera-t-il un bien ou un mal ? Il est peut-être précipité d'agir avant d'avoir modifié les institutions. Quoi qu'il advienne, l'Union européenne ne sera pas paneuropéenne : elle n'intègrera pas dès demain les nouvelles républiques issues de l'URSS et elle doit encore compter avec des cas d'espèce comme la Norvège et la Suisse.

" Deux pistes de réflexion s'ouvrent pour préciser les rapports entre Conseil de l'Europe et OSCE ainsi qu'avec l'Union européenne. Avec l'OSCE, le partage des tâches est aisé. Flavio Cotti, Président de l'OSCE, s'est clairement prononcé à Strasbourg pour une répartition des responsabilités : à l'OSCE la prévention des conflits, au Conseil de l'Europe le respect des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit. Le partenariat est facile, est déjà mis en place et on peut encore l'améliorer, par exemple pour le contrôle des élections, comme en Bosnie.

" Entre le Conseil et l'Union européenne, les rapports sont plus complexes. Les deuxième et troisième piliers de l'Union ont un caractère partiellement communautaire et partiellement gouvernemental. Ils relèvent aussi du Parlement européen et des Parlements nationaux ou du Conseil de l'Europe. Il est délicat de fixer une ligne de partage claire.

" Evitons la langue de bois ; n'allons pas raconter qu'entre l'Union et le Conseil la coopération est constante et constructive. Ce n'est pas le cas ! Je le sais, j'ai siégé des deux côtés. Les rapports du Conseil avec le Parlement européen sont rarissimes. Les élus se rencontrent certes dans leur pays, dans leurs partis mais il n'y a pas de véritable osmose institutionnelle.

" Nous avions ainsi toujours souhaité que l'Union européenne adhère à la Convention des Droits de l'Homme. Or la Cour de justice de Luxembourg vient ce matin même de rendre une expertise qui conclut qu'en l'état actuel du droit communautaire, l'Union n'a pas compétence pour adhérer à la Convention... La question est tranchée et il n'est pas neutre qu'elle l'ait été à la veille de l'ouverture de la C.I.G. On sait à quoi s'en tenir. L'adhésion exigerait de modifier le traité. Faut-il assigner un nouveau rôle au Parlement européen ? On a évoqué une seconde Chambre, un Sénat européen, une COSAC rénovée, un haut Conseil parlementaire... Je ne sais pas si la C.I.G. explorera une de ces pistes. Beaucoup de pays ont un système bicaméral mais pas tous et même parmi les premiers, il y a des différences : le Bundesrat n'est pas du tout semblable au Sénat français. Si on réunit des parlementaires nationaux dans une seconde Chambre, on aura recréé le Parlement européen d'avant 1979 aux côtés de l'actuel, ce qui posera de nombreux problèmes.

" Pour le troisième pilier de l'Union européenne, on procède plus souvent par convention que par directive. Or la convention, c'est gouvernemental. J'ai lu ce matin que le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni déclarait  : "Nous nous opposerons à toute nouvelle centralisation, à toute extension du vote à la majorité qualifiée, à tout élargissement des compétences communautaires !" C'est dire déjà combien il sera difficile de trouver un dénominateur commun. Il est vrai que la C.I.G. se fixe 12 à 18 mois pour aboutir.

" La définition d'une nouvelle architecture ne sera pas neutre. La situation semble bloquée. Les uns veulent diminuer le nombre des commissaires, les autres veulent que chaque pays puisse en désigner un. Il ne faudrait pas qu'un compromis aboutisse à reconnaître à tous les Etats, même Malte et Chypre, le droit d'avoir aussi un commissaire, alors que les grands Etats n'en auraient plus qu'un seul. La France le pense tout bas et le dit tout haut. C'est un sacrifice que nous ne sommes pas prêts à consentir.

" La France a proposé un "Monsieur PESC", politique étrangère et de sécurité commune. D'autres Gouvernements le refusent en soulignant qu'il affaiblirait le Président de la Commission. Napoléon disait que mieux vaut avoir un mauvais général que deux bons... Comment, en effet, faire parler l'Europe d'une seule voix à deux ? Il faut pourtant que l'Europe puisse s'affirmer davantage politiquement.

" Autre sujet, le mode d'élection. Le Traité de Rome avait prévu expressément que le Parlement européen pourrait modifier la loi électorale. J'ai été rapporteur d'un projet de scrutin uniforme, il n'a jamais abouti en Conseil des ministres, les uns tenant pour le scrutin majoritaire, les autres pour la proportionnelle, sans compter la France qui change tout le temps : j'ai été élu 8 fois député, deux à la proportionnelle, notamment mon premier mandat, avec Robert Schuman, les autres au scrutin majoritaire.

" A mon avis, il faudra, qu'on le veuille ou non, distinguer ce que j'appelle, avec Valéry Giscard d'Estaing, l'Europe-puissance de l'Europe-espace. La première serait une Europe plus restreinte où quelques pays pourraient aller ensemble plus loin et plus vite, la seconde serait l'Europe continent démocratique unie dans une confédération européenne. C'est la seule solution réaliste.

" Nous vous proposerons demain des conclusions pour cette conférence. Ce soir, un groupe de travail restreint se réunira pour les élaborer. "

Dans le débat sur le thème "Les Parlements nationaux et l'Europe", M. Robert PANDRAUD, député (RPR) , a pris la parole en sa qualité de Président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, et a formulé les observations suivantes :

" "Les locaux de stabulation des porcs doivent être construits de manière à permettre à chaque porc de s'allonger, de se reposer et de voir d'autres porcs". Cette phrase saugrenue n'est qu'une citation extraite d'une directive communautaire de novembre 1991 !

" Elle nous place au coeur de notre débat. Comment mieux illustrer, en effet, le décalage entre les préoccupations de nos concitoyens et l'action quotidienne de l'Union européenne ?

" Je crois que nous sommes tous -ici et ailleurs- conscients et inquiets du fossé grandissant qui s'est creusé entre les citoyens et la construction européenne. Pour les Parlements nationaux, cette situation est d'autant plus préoccupante que les transferts de compétences des Etats membres à l'Union aboutissent, pour utiliser le mot du président Philippe Séguin, à un "marché de dupes". Des pouvoirs législatifs d'importance croissante sont confiés à un collège d'exécutifs, le Conseil, lequel ne partage que partiellement ce pouvoir avec le Parlement européen, tandis que la Commission joue le rôle d'un exécutif peu ou mal contrôlé.

" Complexité et multiplicité des procédures ajoutent à la confusion des responsabilités entre ces trois institutions communautaires. Perdus dans les dédales de trente-trois procédures différentes, les citoyens ont cependant conservé l'habitude, lorsque la législation communautaire leur pose problème, de se tourner vers leurs représentants nationaux et d'exiger d'eux des comptes ou des explications. La seule solution pour les Parlements nationaux a donc consisté à perfectionner le contrôle qu'ils exercent sur leurs Gouvernements respectifs au cours de la négociation des actes communautaires, mais cette intervention en amont, tout comme celle qui se situe en aval de l'adoption communautaire des textes -avec la transposition des directives-, se heurte à des limites évidentes.

" Ainsi le "marché de dupes" s'est-il traduit, pour les Parlements nationaux, par un paradoxe surprenant : malgré la place croissante occupée par la législation communautaire dans la vie quotidienne des citoyens, les affaires européennes sont restées des "affaires étrangères", pour lesquelles l'intervention des Parlements nationaux est trop souvent limitée au contrôle des négociations, en amont, et à la ratification ou à l'intégration en droit interne des textes adoptés au niveau communautaire, en aval.

" Cette dernière fonction réduit d'ailleurs trop souvent les Parlements nationaux au rôle de simples chambres d'enregistrement, leur seul pouvoir étant de dire non, ce qui est , toujours ou presque, politiquement impossible. Il reste certes, en théorie, la faculté de préciser le contenu des directives, qui doivent, selon le Traité de Rome, lier les Etats "quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens". La pratique, trop fréquemment constatée, consistant à préciser toujours davantage le contenu même des directives sous la pression de telle ou telle institution, a cependant abouti à transformer ces actes en de quasi-règlements : comme le soulignait récemment notre Conseil d'Etat, "tout y est indiqué, jusqu'à la place du tournevis et la manière de s'en servir". La fonction des Parlements nationaux se réduit ainsi à celle de "moines copistes".

" Reste donc le renforcement du contrôle parlementaire exercé par chaque Parlement national sur son Gouvernement. De nombreuses Assemblées, à la suite de la ratification du Traité de Maastricht sur l'Union européenne, dont l'Assemblée nationale, se sont dotées d'instruments plus performants. Cependant il apparaît que ce contrôle, fut-il perfectionné, a atteint aujourd'hui ses limites naturelles. Nos seules armes efficaces sont en effet inutilisables : quel Parlement ira censurer son Gouvernement pour avoir mal négocié telle ou telle directive technique ?

" Les Parlements nationaux doivent donc jouer un rôle plus affirmé dans la construction européenne, en conformité avec la légitimité qu'ils incarnent et la responsabilité politique qu'ils assument envers les citoyens qui les ont élus.

" Pour ces raisons, la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, qui mène depuis dix-huit mois une réflexion approfondie sur la réforme de l'Union dans la perspective de la C.I.G., a proposé de confier aux Parlements nationaux un rôle collectif et consultatif, sans interférer directement dans le processus législatif communautaire. En aucun cas il s'agit de créer une deuxième chambre : nous ne l'avons jamais proposé : les reproches qui nous sont adressés à cet égard relèvent du procès en sorcellerie ! Il n'est, en effet, pas question de confier aux Parlements nationaux un pouvoir délibératif s'inscrivant dans le processus de décision communautaire. Nos Parlements pourraient, en revanche, à travers la COSAC, porter une appréciation politique sur le respect du principe de subsidiarité par les projets d'actes de l'Union et émettre des avis dans les matières intergouvernementales de la politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et des affaires intérieures, voire sur les grandes décisions de l'Union adoptées par le Conseil à l'unanimité, telles que celles qui concernent les ressources propres, la fiscalité, l'élargissement ou la réforme des traités de l'Union.

" Notre proposition revêt plusieurs avantages. En s'appuyant sur un organe préexistant -la COSAC-, elle ne surcharge pas l'architecture institutionnelle de l'Union. D'autre part, en ne confiant à cette COSAC rénovée qu'un rôle consultatif, elle n'interfère pas dans le processus législatif lui-même. Enfin, en se concentrant sur les domaines les plus proches de l'exercice des souverainetés dont plusieurs ne font aujourd'hui l'objet d'aucun contrôle politique, elle respecte le rôle et la place du Parlement européen, dans un souci de complémentarité et de conciliation de la légitimité de chacun.

" Il faut aller de l'avant et faire preuve d'audace et d'imagination, à l'instar des Pères fondateurs de la Communauté européenne. "

Au terme des travaux de la conférence , M. Jean SEITLINGER, député (UDF) , a présenté, à titre de rapporteur général, les conclusions qu'il tirait de ces travaux :

" Je remercie les très nombreux orateurs qui ont enrichi les débats, que je vais tenter de résumer. Les principaux points abordés ont été le déficit démocratique, la subsidiarité, la spécificité des PECO, l'architecture du Parlement européen, la COSAC.

" M. Leuba a particulièrement insisté sur le déficit démocratique, malheureusement incontestable dans l'Union européenne et qui inquiète certains pays candidats. Il a eu raison de souligner que l'opinion est coupée en deux, en France, heureusement, un peu plus européenne, en Suisse, malheureusement, un peu moins, sans parler du Danemark. Je ne veux pas ouvrir un débat sur les avantages comparés de la démocratie directe et de la démocratie représentative, M. Columberg est chargé d'un rapport là-dessus. Je dirai seulement que l'usage de la démocratie directe à répétition entraîne une participation électorale très faible, ce qui pose d'autres problèmes. En France, le référendum existe mais les Présidents de la République sont réticents à l'utiliser.

" La subsidiarité est une revendication forte. "Faire moins mais faire mieux", a dit Lord Tordoff. L'Union européenne ne doit pas toucher à tout, mais laisser les Etats, les régions, s'occuper de leurs problèmes particuliers. Il n'y aura jamais d'Europe totalement harmonisée. Elle serait très monotone et nous devons respecter nos diversités.

" Nous comprenons les inquiétudes des Baltes, qui veulent des garanties, et celles des Roumains qui craignent un double standard. Sur ces deux points, nous sommes attentifs.

" J'ai précisé dans mon rapport imprimé ce que je pensais de la COSAC. C'est une institution hétérogène, à la composition différente dans chaque pays. On peut penser que c'est justement cela qui la rend efficace ou au contraire, si on est cartésien, souhaiter l'officialiser. Différentes propositions ont été présentées, je ne suis pas sûr qu'elles aboutissent, car qui sait ce qui sortira de la C.I.G. ?

" Cela étant, le plus important est de déterminer le rôle de chaque institution dans l'Europe de demain. Du débat, il ressort nettement qu'il ne saurait y avoir aucune exclusivité, aucun monopole, mais aussi que le Conseil de l'Europe apporte une contribution spécifique, pour laquelle il est irremplaçable. On a dit qu'il fallait parvenir à une division du travail satisfaisante entre lui et l'OSCE, et qu'il convenait de rechercher une plus grande complémentarité et une plus grande transparence dans les relations avec l'Union européenne. En effet, comme l'a souligné M. Kretschmer, on doit utiliser au mieux les institutions existantes : il y a un consensus pour ne pas en créer de nouvelles.

" S'agissant de la C.I.G., les Allemands avaient dans un premier temps fait référence à un "noyau dur", terme auquel l'Assemblée parlementaire avait préféré "pôle central", qui lui semblait moins porteur d'exclusion. Les ministres des affaires étrangères français et allemand parlent maintenant de "socle". Quoi qu'il en soit, il semble aujourd'hui clair que le processus ne pourra être poursuivi ou accéléré sans une certaine forme de "géométrie variable", ou une distinction entre deux "cercles". Les deux ministres ont également demandé que la Commission soit plus collégiale, que sa composition soit plus resserrée et qu'on applique la règle de la majorité qualifiée tout en tenant compte du poids de chaque Etat. Il a également été question de nommer un "M. PESC" mais, sur ce point, il me semble qu'il n'y a pas accord entre les deux Gouvernements... Ces propositions dessinent en tout cas une Europe plus "flexible", mais non fermée car tous ceux qui voudront venir renforcer le "socle" le pourront à tout moment. L'Union a donc toutes les raisons de renforcer son partenariat avec le Conseil et de privilégier l'approfondissement. L'Assemblée parlementaire, considérablement élargie depuis quelques années, devrait alors avoir compétence pour la grande Europe, espace de droit et de respect des droits de l'homme. C'est à partir d'une telle clarification des rôles que les différentes institutions du continent pourront, en partenariat étroit, solidaires mais complémentaires, servir le mieux l'Europe.

" M. Kreft a appelé à réserver la part du rêve. Il faut en effet se montrer à la fois visionnaires et gestionnaires, se comporter en utopistes en même temps qu'en technocrates, car le génie et l'élan sont dans cette alliance ou cette addition des contraires. Ceux qui y parviendront seront d'excellents architectes de l'Europe unie ! "

Puis M. Jean SEITLINGER, député (UDF) , présente un projet de conclusions qui fait l'objet de plusieurs amendements. Au terme de ce débat, la conférence a adopté par 22 voix favorables contre 5, et 10 abstentions, les conclusions suivantes :

3. Conclusions adoptées par la conférence interparlementaire

PREAMBULE

Réunis à l'initiative de M. Philippe Séguin, Président de l'Assemblée nationale française et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, les 28 et 29 mars 1996, 200 parlementaires d'une quarantaine de pays européens ont été invités à débattre de l'avenir de l'Europe et de la réalisation de son unité.

Ils se sont prononcés pour une coopération plus étroite entre les institutions et un renforcement de la participation parlementaire dans le processus de décision.

Les moyens institutionnels d'atteindre ce but dépendent, de l'avis de tous, d'une coopération de plus en plus étroite entre les organisations existantes -l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, l'OSCE et l'UEO- chacune ne pouvant assumer à elle seule l'immensité des tâches à accomplir.

La puissance économique de l'Union européenne, le développement par le Conseil de l'Europe de l'espace juridique paneuropéen concernant les différents problèmes de société, les capacités de médiation des conflits de l'OSCE, organisation paneuropéenne avec des prolongements transatlantiques et asiatiques, sont des atouts majeurs pour créer les conditions d'une sécurité et d'une paix durables.

Cependant les parlementaires ont tenu à souligner que ces atouts seraient vains sans l'adhésion des peuples et par conséquent sans une association étroite de leurs représentants au processus de décision, d'autant plus que les affaires européennes sont devenues des affaires intérieures.

Ainsi la construction de l'Europe de l'Atlantique au Pacifique passe par une coopération interinstitutionnelle fondée sur les responsabilités partagées par les chefs d'Etat et de Gouvernement et les Parlements nationaux représentés dans les différentes Assemblées européennes.

*

* *

Les participants à la Conférence affirment :

- que l'élaboration d'un modèle de société européen nécessite le développement de l'action du Conseil de l'Europe entreprise depuis sa création en 1949 pour définir des normes pour la société civile désormais applicables à l'ensemble de l'Europe ;

- que l'unification de l'Europe repose sur des valeurs communes, en particulier le respect des droits de l'homme, qui constituent le fondement d'un vaste espace de démocratie, de sécurité et de développement économique, associant sur un pied d'égalité tous les Etats du continent européen ayant la volonté d'y adhérer ;

- que la construction paneuropéenne progressera d'autant plus efficacement que sera mis en place un nouveau partenariat entre les différentes institutions concourant à l'unité de l'Europe ;

- que la réalisation de cette grande ambition suppose de nouveaux efforts en vue du règlement des conflits en cours ou potentiels et l'apaisement des tensions qui existent au sein de l'espace paneuropéen.

SECURITE

Les participants :

- souhaitent le renforcement de la coordination entre le Conseil de l'Europe, organisation de référence en matière de sauvegarde des droits de l'homme, de consolidation de la démocratie et de l'Etat de droit, et l'OSCE, instrument irremplaçable de prévention des conflits et de gestion des crises ;

- appuient la perspective de déploiement du pacte de stabilité dans la région de l'Ex-Yougoslavie en vue de faciliter la conclusion d'un accord régional fondé sur la maîtrise des armements et l'adoption de mesures de confiance ;

- se félicitent de la coopération engagée entre l'OSCE et le Conseil de l'Europe dans la mise en oeuvre de l'accord de paix en Bosnie-Herzégovine, en particulier pour la protection des droits de l'homme et pour la préparation et l'observation des futures élections ;

- considèrent que la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales est une garantie essentielle de la stabilité de l'Europe ;

- rappellent le droit incontestable de chaque pays de s'allier aux autres selon sa propre décision et sans possibilité de veto de la part de pays tiers.

ECONOMIE

- estiment que seul un développement économique équilibré assurant la cohésion sociale et la protection des groupes sociaux vulnérables, est de nature à recueillir l'adhésion des peuples à la construction européenne ;

- appuient les initiatives régionales prises par les pays d'Europe centrale et orientale en vue d'intensifier leur coopération économique et commerciale ;

- soulignent l'urgence des actions à entreprendre pour protéger l'environnement et assurer notamment la sûreté des centrales nucléaires ;

- souhaitent que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe développe ses liens avec les institutions économiques et financières telles que la BERD et l'OCDE, consacrant ainsi son rôle de base parlementaire de ces institutions ;

- invitent les principaux pays contributeurs à accroître les moyens du Fonds de développement social, dont les objectifs doivent être mieux adaptés à la nouvelle situation en Europe ;

- appuient la volonté du Conseil de l'Europe d'étudier les conséquences de la mondialisation de l'économie sur les acquis sociaux nationaux ;

- soulignent l'importance de la Charte sociale du Conseil de l'Europe pour favoriser la cohésion des sociétés et demandent le renforcement de son dispositif en vue de parvenir à une harmonisation et à une amélioration des normes à l'échelle paneuropéenne.

MODELE DE SOCIETE EUROPEEN

- rappellent que l'élaboration d'un modèle de société européen repose d'abord sur la construction d'un espace juridique commun à laquelle contribuent les nombreuses conventions du Conseil de l'Europe, en particulier la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

- souhaitent que soient approfondis les différents aspects de cet espace juridique et notamment la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, la protection juridique de la personne compte tenu de l'évolution des sciences et de la technologie, ainsi que la promotion du droit de la famille ;

- considèrent que l'émergence d'une identité culturelle est à la base du projet de civilisation européenne et doit être encouragée, grâce notamment à la convention culturelle et aux actions entreprises dans le cadre du programme intergouvernemental du Conseil de l'Europe ;

- appellent au développement des programmes spécifiques de coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale dans les domaines juridique, culturel et social, en liaison avec les programmes mis en place dans le cadre de l'Union européenne.

INSTITUTIONS

- soulignent la nécessité d'une clarification entre les actions conduites par les institutions européennes et internationales ;

- souhaitent une coordination de l'aide apportée à 1"Europe centrale et orientale dans les domaines de la démocratie, de l'économie, de la science et de la technologie ;

- appuient les propositions formulées par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe concernant les perspectives ouvertes par la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne ;

- se félicitent de l'octroi du statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe aux Etats-Unis et bientôt au Japon et au Canada, qui marque une étape importante dans l'intensification du dialogue entre l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie ;

- soulignent la dimension centre-européenne de la construction de l'Europe et la nécessité historique, politique, économique et sociale d'intégrer les pays de l'Europe centrale et orientale dans l'ensemble européen ;

- rappellent la dimension méditerranéenne de la construction européenne et la nécessité de développer le dialogue et la coopération avec les pays du Maghreb et du Proche-Orient ;

- lancent un appel aux Gouvernements afin que des moyens suffisants soient accordés au Conseil de l'Europe pour remplir les missions qu'ils lui ont eux-mêmes confiées et pour mettre en oeuvre des programmes d'aide et de coopération ;

- demandent la tenue d'un second sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement des Etats membres du Conseil de l'Europe.

NOUVEAU ROLE DES PARLEMENTS

- encouragent les Parlements nationaux à développer leur coopération pour la mise en oeuvre des programmes du Conseil de l'Europe ;

- soulignent l'importance acquise par l'expertise parlementaire, en particulier lors de l'observation des élections et souhaitent que les institutions et les Parlements concernés renforcent leur coordination dans ce domaine ;

- soulignent le rôle joué par les Assemblées des organisations régionales pour assurer la stabilité démocratique de l'Europe et souhaitent le développement de leur rôle dans la coopération interparlementaire ;

- demandent à la Conférence des Présidents des Assemblées parlementaires européennes qui se tiendra à Budapest du 7 au 9 juin 1996 de prendre en considération ces propositions ;

- souhaitent la tenue d'une nouvelle Conférence interparlementaire chargée d'examiner le suivi de ces propositions.

*

* *

Les actes de la Conférence interparlementaire ont été publiés par les soins du Conseil de l'Europe.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page