3/ LA GESTION DES DÉCHETS PROVENANT DE L'EXPLOITATION ET DU DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE MARCOULE

Comme le rappelait fort justement l'inventaire national des déchets radioactifs établi en 1997 par l'ANDRA : "Plus de 90 % de la radioactivité répertoriée sur le territoire français est concentrée sur les deux seuls sites de La Hague et de Marcoule."

De fait, la lecture des trois pages de cet inventaire consacrées au site de Marcoule laisse quelque peu perplexe et conduit à se demander si le site de Marcoule ne s'est pas, peu à peu, transformé en centre de stockage de déchets radioactifs.

Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous inquiéter d'une éventuelle dérive de la vocation de certains centres du CEA. La Direction de la sûreté des installations nucléaires, dans son rapport pour l'année 1996, notait à propos des "solutions d'attente" que le CEA a été contraint de mettre en oeuvre pour entreposer temporairement les déchets pour lesquels il n'existe à l'heure actuelle aucune solution : "De telles opérations présentent néanmoins un risque, que la DSIN s'attache à éviter : que ces solutions provisoires se transforment par passivité en solutions définitives."

Tous les déchets entreposés à Marcoule ne proviennent pas d'activités liées à la force de dissuasion française, et la répartition entre les déchets provenant des activités "civiles" et ceux qui ont été produits dans le cadre des programmes militaires est pratiquement impossible à faire. De nombreuses installations ont, en effet, été utilisées conjointement pour la production d'électricité et pour la fourniture du plutonium, de l'uranium et du tritium destinés à la fabrication des armes. Le Haut Commissaire s'attache d'ailleurs à ce que tous les déchets d'origine civile rejoignent les installations civiles régies par la DSIN.

Si la gestion des déchets d'ores et déjà entreposés sur le site de Marcoule pose des problèmes, les opérations de démantèlement en cours ou à venir risquent de venir encore aggraver la situation car, comme le note la DSIN dans son rapport d'activité pour 1996 : "Le démantèlement des installations nucléaires est à l'origine d'une quantité importante de déchets sans commune mesure avec les quantités produites en exploitation."

A/ L'inventaire des déchets

Les trois réacteurs G1, G2 et G3, essentiellement destinés à la production de plutonium de qualité militaire mais qui fournissaient également du courant à EDF, sont donc aujourd'hui totalement arrêtés et démantelés jusqu'au niveau 2.

Le démantèlement de ces installations n'a, à notre connaissance, pas posé de problèmes particuliers, aucun incident n'ayant été signalé pendant la durée des travaux.

Il reste toutefois maintenant à gérer les déchets qui ont été générés par le fonctionnement de ces réacteurs et les déchets qui résultent de leur démantèlement et, devant l'ampleur de la tâche, on peut légitimement se demander si ce n'est pas après le démantèlement de niveau 3 que commenceront à se poser les véritables problèmes.

Les déchets provenant du retraitement des combustibles irradiés sont de loin les plus difficiles à gérer car la radioactivité qu'ils contiennent est considérable et ne décroîtra que très lentement.

Ces déchets sont essentiellement constitués de produits de fission issus de la fragmentation des noyaux d'uranium et de plutonium pendant la durée de fonctionnement des réacteurs. Ils représentent 99,8 % de la radioactivité contenue dans la masse du combustible, mais seulement 3 % de cette même masse.

Après le retraitement, ils se présentent sous la forme d'une solution acide qu'il faut entreposer dans des cuves spécialement conçues. Comme il est impossible de conserver très longtemps des déchets à haute activité sous forme liquide, on procède à leur vitrification selon les mêmes techniques qui sont utilisées à l'usine de la COGEMA de La Hague.

Comme ces déchets n'ont, à l'heure actuelle, aucun stockage définitif possible, ils restent entreposés "provisoirement" dans des puits ventilés à l'intérieur même de l'atelier de vitrification (AVM).

A l'heure actuelle, les puits de l'installation AVM contiennent :

- 2 557 conteneurs de verres,

-   114 conteneurs de déchets technologiques,

-   172 m 3 de produits de fission en solution.

La radioactivité contenue dans cet entreposage est de :

- 24   Pétabecquerels en émetteurs alpha,

-  5,8 Exabecquerels en émetteurs bêta et gamma.

Afin de bien évaluer l'importance de cette radioactivité, il faut rappeler que :

- le Pétabecquerel représente 10 15 Becquerels,

- et l'Exabecquerel 10 18 Becquerels.

Bien entendu, tous ces déchets ne sont pas d'origine militaire car l'usine de retraitement UP1 retraitait, outre les combustibles provenant de G1, G2 et G3, des combustibles extraits de réacteurs de la filière UNGG, des combustibles de provenances diverses (réacteurs Célestin, surgénérateurs Phénix...) et même, selon certaines sources, quelques combustibles d'origine étrangère.

Que deviendraient, à terme, ces déchets de très haute activité entreposés "provisoirement" dans un atelier qui ne doit en aucun cas devenir un centre de stockage définitif, d'autant plus que cet établissement doit fermer définitivement en 2001 ?

Leur sort est intimement lié à l'aboutissement des recherches prévues dans la loi du 30 décembre 1991.

Si un stockage en couches géologiques profondes ou en surface doit être un jour réalisé, ces déchets pourraient être confiés à l'ANDRA. Se poserait d'ailleurs alors un problème de facturation car on ne sait pas quel critère, le m 3 ou l'activité, pourrait être retenu pour ces déchets relativement peu volumineux mais de très haute et de très longue activité.

Le graphite qui servait à modérer ces réacteurs constitue également un déchet. L'inventaire de l'ANDRA, comme le montre le tableau ci-après, indique que sont actuellement entreposées, toujours "provisoirement", 3 600 tonnes de graphite des réacteurs G1, G2 et G3, ce qui représente une activité totale estimée à 900 Térabecquerels.

De son côté, EDF aurait, dans ses anciennes centrales UNGG, un stock de 20 000 tonnes de graphite contaminé. Il serait donc rationnel de rechercher une solution globale pour l'ensemble du stock de graphite contaminé en France. Des expériences sont en cours pour procéder à son incinération, ce qui réduirait les volumes des cendres à envoyer en stockage définitif en surface ou en souterrain. Toutefois, comme ce graphite contient beaucoup de tritium, il faudrait auparavant résoudre le problème des rejets gazeux dans l'atmosphère.

Le graphite, qu'il soit resté dans les bâtiments des réacteurs ou qu'il ait été entreposé, doit être répertorié en tant que déchet comme le fait d'ailleurs l'inventaire de l'ANDRA, en contradiction sur ce point avec des documents du CEA-DAM qui annonce 800 tonnes de graphite seulement dans l'inventaire des déchets de Marcoule en ne prenant pas en compte les empilements laissés, pour le moment, dans les réacteurs.

La DSIN et l'autorité de sûreté des INB-S, conscientes du problème posé par les graphites, examinent actuellement des solutions de stockage au sein d'un groupe de travail.

Les ferrailles : le démantèlement des trois réacteurs G1, G2 et G3 a généré d'importantes quantités de ferrailles. Pour les traiter, le CEA a installé à proximité des anciennes installations un four électrique dont l'exploitation a commencé en 1992. Ce four a également été employé pour traiter des déchets métalliques provenant d'autres centres du CEA et en particulier de Saclay.

Selon l'inventaire de l'ANDRA, seraient actuellement entreposés à Marcoule les déchets métalliques suivants en provenance des anciens réacteurs :

- 4 060 tonnes de lingots et blocs de fonte,

- 1 062 tonnes de fonte en conteneurs,

-    549 tonnes de crasses de fusion en fûts ou en blocs,

-      4 tonnes de poussières de fusion.

Les lingots et blocs de fonte provenant de la fusion sont entreposés en surface quand ils ne contiennent que des émetteurs alpha, mais certains déchets métalliques plus irradiants contenant des émetteurs bêta et gamma ont été conditionnés dans des conteneurs et entreposés dans des puits en attente d'un éventuel stockage profond.

En plus de ces déchets métalliques déjà traités, il reste aussi des déchets métalliques en l'état, dont 2 900 tonnes d'aciers activés, sans qu'on puisse savoir exactement s'ils sont ou non en attente de fusion. Le CEA a en effet l'intention de transférer ses activités de fusion des métaux contaminés à la société SOCODEI, qui installe un four à l'entrée du site de Marcoule. Cette installation, dénommée CENTRACO, destinée à traiter les déchets faiblement radioactifs par fusion ou incinération, a été cofinancée par COGEMA et EDF.

Ce rapide inventaire des déchets en provenance des seuls réacteurs G1, G2, G3, montre que le problème du démantèlement ne s'arrête pas avec la déconstruction des anciennes installations. Bien que le démantèlement ne soit jamais en lui-même une opération anodine, on peut considérer que les véritables difficultés commencent avec la fin des travaux.

Que va-t-on faire en effet des déchets pour lesquels il n'existe pas à l'heure actuelle de solution de stockage définitif, soit que leur activité soit trop élevée pour le stockage en surface, soit au contraire que leur contamination soit trop faible pour faire l'objet d'un stockage encombrant et coûteux dans le centre de l'ANDRA ?

En l'absence de solution pour les déchets A et B et pour les déchets très faiblement radioactifs, le site de Marcoule se transforme peu à peu en centre de stockage de déchets, ce qui n'était pas dans sa vocation initiale, et la situation va encore empirer avec le démantèlement d'UP1, de ses installations satellites et des réacteurs Célestin.

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