B/ sur les régions voisines

L'étude des retombées à longue distance des particules radioactives pourrait faire l'objet à elle seule d'un rapport entier.

Le présent rapport devant être consacré aux problèmes posés par les déchets nucléaires, nous ne ferons donc que quelques allusions aux retombées radioactives en dehors des sites de tir.

Aujourd'hui, plus de vingt ans après la fin de la dernière campagne d'essais aériens, les effets de ces essais, dans l'ensemble de la Polynésie, sont encore perceptibles bien que le taux de radioactivité artificielle soit aujourd'hui assez faible et en constante diminution.

A partir du moment où on admet qu'après un essai atmosphérique, les particules radioactives les plus fines peuvent rester en suspension dans l'atmosphère ou la troposphère pendant des années et que leurs retombées peuvent se produire un peu partout sur l'ensemble de la planète, il devient difficile d'attribuer les variations de la radioactivité artificielle à telle ou telle campagne de tir et donc à telle ou telle nation.

Toutefois, en 1983, le rapport Atkinson se risquait à présenter une évaluation : "Pour la zone tempérée de l'hémisphère Sud, qui inclut la Nouvelle-Zélande, la contribution la plus importante de l'exposition des populations aux retombées radioactives provient des produits de fission à vie longue émis par les essais aériens de l'hémisphère Nord. Environ 20 % de ces produits de fission à vie longue peuvent être attribués aux essais aériens réalisés sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa..." 65 ( * )

Le rapport Atkinson précise également que "les doses de radiations reçues par les populations de Polynésie française du fait de la radioactivité naturelle ou artificielle sont plus basses que le niveau moyen mondial."

Ces conclusions résolument optimistes sont, bien entendu, contredites par les opposants aux essais nucléaires et notamment par Bruno Barillot dans son ouvrage "Les essais nucléaires français". 66 ( * )

Nous ne sommes pas en mesure, et ce n'est d'ailleurs pas l'objectif du présent rapport, de trancher entre ces positions divergentes.

On peut toutefois se référer aux travaux de l'IPSN, qui dispose depuis plusieurs années d'un laboratoire spécialisé dans l'étude de la radioactivité en Polynésie. Ce laboratoire, situé à Tahiti, constatait en 1995 que "les seuls radionucléides détectés dans les prélèvements marins et terrestres de l'hémisphère Sud sont des éléments à vie longue qui sont mesurés à des niveaux très bas et souvent inférieurs à la limite de détection." L'IPSN fait également remarquer que "la valeur de la radioactivité artificielle en Polynésie française mesurée en 1995 correspond à moins 1 % de l'exposition due à la radioactivité naturelle." 67 ( * )

Ce rapport de l'IPSN, sur lequel s'appuient les positions officielles sur les effets des essais, appelle cependant plusieurs remarques.

Tout d'abord, les constats effectués ces dernières années ne font, comme l'IPSN l'indique d'ailleurs très clairement, que prendre en compte "l'évolution dans l'hémisphère Sud qui se caractérise par une diminution progressive de la radioactivité depuis l'arrêt des essais nucléaires atmosphériques" . Pour se faire une idée plus précise de l'impact qu'ont pu avoir les essais aériens français, il faudrait donc analyser l'ensemble des publications du bureau de l'IPSN de Tahiti. Les données ainsi relevées par l'IPSN devraient également être comparées à celles qui ont été publiées chaque année par le Comité scientifique des Nations-Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR).

Une analyse critique de ces différents relevés pourrait donc être effectuée par des experts.

La collaboration d'experts qualifiés est indispensable car il s'agit d'un sujet très compliqué où les erreurs d'interprétation peuvent entraîner chez les populations concernées des réactions imprévisibles. Tout le problème est de trouver des experts qualifiés et impartiaux, reconnus et acceptés par toutes les parties. Le terme "impartiaux" est employé à dessein au lieu d'"indépendants", ce dernier terme étant désormais pour les écologistes synonyme "d'opposants au nucléaire".

Ainsi, pour les opposants aux essais nucléaires français, l'indépendance de IPSN, simple service du CEA, est souvent mise en question. Pour ceux qui ont eu à travailler avec cet organisme, et cela a été le cas de plusieurs rapporteurs de l'Office, cette indépendance ne fait néanmoins aucun doute.

Bien que des collaborations régulières aient eu lieu avec la DIRCEN, il faut remarquer que l'IPSN, organisme pourtant tout ce qu'il y a de plus officiel, n'a jamais été autorisé à mesurer l'évolution de la radioactivité sur les sites de Mururoa et de Fangataufa ! Il y a là une situation anormale à laquelle nous proposerons de mettre fin dans nos conclusions.

La dernière remarque porte sur l'impact qu'auraient pu avoir les essais aériens sur la santé des Polynésiens et en particulier sur celle des travailleurs du CEP. Il semblerait, malheureusement, que les études épidémiologiques aient été d'une consternante insuffisance, ce qui, aujourd'hui, permet toutes les interprétations même les plus aberrantes où, comme dans un film allemand présenté sur ARTE, toutes les maladies et toutes les anomalies génétiques constatées en Polynésie étaient attribuées aux conséquences des essais aériens.

Si ces dérives existent, c'est en grande partie en raison de l'attitude des responsables politiques qui ont accepté que les autorités militaires exercent un contrôle de plus en plus étendu, y compris sur la santé des populations civiles. Nous ne voulons pas mettre en question ni les compétences, ni l'honnêteté des médecins militaires, mais il fallait bien s'attendre à ce que les opposants aux essais contestent leurs travaux.

Aujourd'hui les essais sont terminés, le Centre d'Expérimentations du Pacifique disparaît, il n'y a donc plus aucune raison que le secret subsiste pour tout ce qui concerne la santé des populations et des travailleurs du Centre.

Rappelons-le une fois encore : la mission qui nous a été confiée par l'Office était d'étudier les problèmes posés par les déchets nucléaires militaires, les conséquences des retombées des essais aériens n'entrent donc pas dans notre champ de compétence au sens strict. Notre enquête nous a toutefois amenés à prendre conscience des questions que se pose, tout à fait naturellement, une partie des populations concernées.

Ne serait-il pas temps, dans ces conditions, de faire un bilan sérieux et définitif des conséquences éventuelles sur l'environnement et sur la santé humaine des essais aériens réalisés à Mururoa et à Fangataufa de 1966 à 1974 ?

En l'absence d'une telle démarche, il y a fort à parier que cette question continuera à empoisonner encore longtemps la vie politique de la Polynésie et les rapports entre ce territoire et la Métropole.

* 65 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 37.

* 66 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l'environnement et la santé. Bruno Barillot, Op. déjà cité.

* 67 Surveillance de la radioactivité en Polynésie française et autres pays et territoires, Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, Rapport 1995, page 30.

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