CONCLUSION

« Réseau », « confiance », « pyramides », tels ont été sans doute les mots les plus souvent employés dans cet ouvrage.

Une récapitulation des réflexions que m'ont inspiré ces trois notions me permet de résumer ici les éléments de réponse que je propose d'apporter aux trois questions fondamentales qui se posent au citoyen et au responsable politique :

qu'est-ce que cette société de l'information si souvent évoquée ?

pourquoi et comment devons-nous y entrer ?

La société de l'information se caractérise en somme, à mon sens, par la substitution de réseaux à des pyramides mais cette société nouvelle ne peut se développer que dans la confiance .

1. Quels réseaux ?

La notion est complexe et il importe de ne pas se laisser prendre au piège de l'ambiguïté que peut créer toute confusion entre ses multiples significations. Le réseau est à la fois une technique, un concept et un phénomène social, une structure d'organisation et un mode de transmission de l'information, un ensemble de matériels et d'infrastructures et un marché sur lequel se vendent des services marchands ; une forme d'échanges intellectuels, une sphère d'influence ou un facteur de transformation de la société. Le mot réseau pouvait servir autrefois à désigner des systèmes organisés de fortifications aussi bien que de circulation des véhicules.

Aujourd'hui encore, le danger existe de ne se servir des réseaux que pour relier entre elles les citadelles du pouvoir, au sommet des pyramides.

A côté des réseaux décentralisés, interactifs, maillés et égalitaires, subsistent encore, comme le rappelle Pierre MUSSO dans son ouvrage « Télécommunications et philosophie des réseaux », des réseaux arborescents, centralisés et hiérarchiques, du type de ceux utilisés par la télédiffusion, qui suggèrent la domination de l'émetteur sur une multitude de récepteurs.

Ce sont évidemment les premiers plutôt que les seconds que l'évolution des techniques aussi bien que les valeurs de la société de l'information, analysées dans cet ouvrage, tendent à favoriser. C'est donc vers eux que doit se porter notre attention.

Les autoroutes de l'information, préfigurées imparfaitement par Internet, permettront d'allier les avantages des réseaux informatiques (débit, terminaux autonomes et intelligents, numérisation des données), téléphoniques (commutation, maillage, bouclage, réciprocité et égalité des échanges) et audiovisuels (transmission de sons et d'images animées).

C'est la multilatéralisation simultanée des échanges (messagerie, consultation de pages Web, visioconférence, forums de discussion) qui représente finalement, avec la mutation de l'informatique, devenue personnelle, communicante et multimédia, la conquête essentielle des années récentes.

Mais les prouesses de la technique, aussi admirables soient-elles, ne doivent pas conduire à faire de cette dernière une fin en soi, alors qu'elle ne demeure qu'un moyen.

Les réseaux ne sont qu'un instrument. Les considérer de façon pragmatique est le meilleur moyen d'éviter d'entrer dans les débats stériles et dépassés qui opposent les technolâtres aux technophobes ou de succomber aux utopies saint-simoniennes allant jusqu'à faire de la théorie des réseaux une religion.

C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à n'idéaliser ni la technologie des réseaux elle-même, ni les usages qui peuvent en être faits : la première est perfectible et soumise aux sanctions du marché. Quant à ses utilisations, il convient tout d'abord de ne pas faire de la communication un absolu et de bien la distinguer de la notion d' information . Cette dernière, pour sa part, n'est, comme je l'ai montré, qu'un minerai de base qui ne peut acquérir de la valeur que grâce aux savoirs pour se transformer en connaissances et en expertise qui enrichiront notre culture et donneront plus de sagesse à nos peuples.

2. Que va devenir Internet ?

Le changement essentiel qui y a été récemment introduit est l'apparition de la notion de client avec la substitution à la cueillette gratuite, anonyme et totalement libre, pratiquée par l'internaute préhistorique, de la diffusion d'informations ciblées, à des personnes identifiées qui en ont fait la demande.

Les moteurs de recherche correspondants n'en sont toutefois qu'à leurs balbutiements et se montrent, en attendant l'arrivée prochaine d'agents intelligents performants, insuffisamment sélectifs.

Maintenant qu'ont été signés des accords internationaux sur la sécurisation des paiements et assouplies les conditions d'utilisation d'algorithmes de cryptage, la prochaine étape du développement du réseau des réseaux devrait être liée à l'essor que devrait y connaître le commerce électronique.

Viendront ensuite la téléphonie, déjà en plein essor, puis la visiophonie, au coût d'une communication locale, permettant de garder le contact avec ses proches expatriés.

Enfin, dès que la bande passante le permettra, des vidéos fluides de grande qualité remplaceront les images actuelles (fixes ou légèrement animées, avec des saccades et des dimensions restreintes).

Dans un rapport secret à la direction d'A.T.T., Alvin TOFFLER, plusieurs fois cité dans cet ouvrage, avait conclu dès 1972 qu'il fallait renverser les pyramides pour libérer les réseaux.

Le démantèlement du géant américain, en 1984, allait, douze ans plus tard, faire triompher son point de vue.

Dans un article paru un an après dans Futuribles, Jean VOGE, Président de l'IDATE (Institut de l'Audiovisuel et des Télécommunications en Europe), annonçait le passage «du linéaire au non-linéaire : des pyramides aux réseaux».

Il opposait le réseau technique de télédiffusion, équivalent à une pyramide organisationnelle, au réseau de télécommunications, interactif et égalitaire. Cette contradiction reflétait à ses yeux celle existant, plus généralement, entre structures hiérarchiques et structures décentralisées.

De fait, le système pyramidal suppose une communication exclusivement verticale entre la base et le sommet (remontée d'informations et descente de directives) incompatible avec la communication horizontale, à tous niveaux hiérarchiques et entre tous organismes, qui caractérise la société de l'information. Aux cloisonnements entre les différents étages des pyramides peuvent s'en ajouter d'autres, à chaque niveau, entre ce que TOFFLER appelle les alvéoles, c'est-à-dire les cellules de travail de base mises en place dans les différentes administrations et entreprises.

Les structures institutionnelles ont naturellement tendance à empêcher les réseaux techniques de se développer ou à en confisquer l'usage à leur profit (il a fallu attendre le Second Empire pour que la télégraphie soit ouverte au public, le système Chappe ne l'était pas). Il ne faut donc pas sous-estimer la résistance de l'institution à la poussée naturelle du réseau qui menace les pyramides.

Il va de soi qu'aux changements nécessaires de types de communication et d'échange d'information doivent correspondre des modifications d'organisation et des processus nouveaux de prise de décision fondées sur la confiance .

La société de l'information est une société de confiance !

- confiance en soi et en autrui, dans les vertus du partage du savoir, de l'échange de connaissances, de la mise en commun des réflexions et des idées.

- confiance aussi en l'esprit d'entreprises, la mentalité des consommateurs, les mécanismes du marché.

Il ne s'agit pas pour autant, cédant à une vision utopique ou par trop idyllique des technologies de l'information, d'en ignorer les dangers : extorsion de données confidentielles, atteinte à la moralité ou à la sécurité publique, aux droits de la personne, plagiats en tout genre, etc...

Mais le jeu en vaut la chandelle et il y a plus à gagner qu'à perdre à pratiquer l'échange plutôt que la rétention d'information. Il y a sur Internet une sorte de surveillance mutuelle et d'automaticité de droit de réponse, par la possibilité de débats contradictoires, qui équivaut à une certaine forme d'autorégulation, sans doute insuffisante mais néanmoins réelle.

Les internautes peuvent acquérir de la sorte, en participant, notamment, de façon régulière, à des forums de discussions, une maturité et un esprit critique que ne leur offriraient peut-être pas d'autres médias moins interactifs.

Désormais, les responsables politiques ou économiques ne pourront plus, comme hier, imposer leurs décisions à la base si ils ne recherchent pas à légitimer leur démarche par de larges consultations et la recherche du « bon sens » sur les réseaux.

En contrepartie, il ne sera plus possible à des groupuscules, infiltrés dans des systèmes démocratiques sclérosés, d'imposer par la démagogie leurs idées minoritaires au plus grand nombre.

Cela ne signifie pas pour autant que toute autorité disparaîtra mais que celle qui subsistera devra être reliée à toutes les composantes des réseaux, pour être légitimée et ne plus fonder ses décisions sur des informations fournies par un petit groupe de hiérarques ou de militants.

- Pourquoi devons-nous, non plus entrer - puisque nous y sommes déjà- dans la société de l'information, mais nous y impliquer davantage pour rattraper notre retard et en devenir des acteurs majeurs ?

Ma réponse, là encore, n'est pas idéologique mais pragmatique, réaliste et simple : si nous ne savons pas saisir les chances que nous offre cette mutation à la fois majeure, inéluctable et durable, et exploiter, à cette fin, les atouts réels dont nous disposons, notre déclin sera irréversible.

Je l'ai affirmé et répété tout au long de cet ouvrage : l'avènement de la société de l'information comporte pour l'humanité tout entière et pour notre vieille Europe en particulier des avantages incontestables.

Elle peut ouvrir des perspectives nouvelles à un monde actuellement à la fois uniformisé et éclaté, dans lequel la production de masse, la standardisation des besoins, le nivellement des cultures coexistent avec les fractures sociales, la négation de l'individu et la loi du plus fort et du plus riche.

Elle permet en effet, je l'ai dit, la prise en compte des besoins des personnes (en remettant l'élève au centre du système éducatif, le citoyen au coeur de la démocratie et le client à la base du marché) en même temps qu'elle universalise l'accès au savoir et aux richesses culturelles de l'humanité, resserre le lien social, donne leur chance aux petites sociétés innovantes (la puissance étant déconnectée du nombre) comme aux zones défavorisées.

Si, tel l'étudiant récompensé par le diable boiteux, dans le roman de Lesage (XVIII e siècle), un témoin hors de notre temps pouvait soulever par magie les toits de nos maisons pour regarder, chaque soir, ce qui s'y passe, que constaterait-il ?

Il s'étonnerait sans doute d'y surprendre quotidiennement, selon un rituel immuable, la presque totalité de notre population écoutant religieusement les grands prêtres du 20 heures officier sur nos écrans.

Loin d'emprisonner davantage l'homme, les nouvelles technologies ne vont-elles pas au contraire lui permettre de retrouver des espaces de liberté en lui donnant les moyens de choisir lui-même ses temps et ses modes de distraction, de loisirs et, demain, de travail ?

Le lien social peut-il être vraiment davantage menacé par les nouveaux médias qu'il ne l'est actuellement, quand on sait que chaque Français passe en moyenne plus de 22 heures par semaine devant son téléviseur, en y contemplant de surcroît, trop souvent hélas, des scènes excessivement violentes.

Quelles réflexions ont inspiré aux détracteurs d'Internet l'image émouvante, diffusée à l'occasion du dernier Téléthon, d'un enfant gravement handicapé qui semblait exprimer à son ordinateur connecté toute sa reconnaissance pour l'évasion et la liaison avec l'extérieur qu'il lui procurait.

Sur le plan économique - ce ne sont plus là des spéculations mais des vérités illustrées par l'exemple américain- les Nouvelles Technologies de l'Information sont susceptibles non seulement d'affecter les trois domaines traditionnels qu'elles font faire converger (informatique, télécommunications, audiovisuel) mais aussi de provoquer la création d'activités nouvelles avec, au total, un solde très positif en termes de croissance et d'emplois .

Les meilleurs spécialistes affirment qu'avec la montée en puissance de la Société de l'Information la moitié des métiers qui seront exercés dans 20 ans n'existent pas encore.

Il s'agit en outre d'un développement durable au sens écologique du terme, en ce qu'il préserve les ressources naturelles, mais aussi parce qu'il devrait se poursuivre sur le long terme par-delà les fluctuations de la conjoncture.

Dans le contexte actuel, la France et l'Europe disposent d'atouts particuliers : quelques rares points forts (comme les cartes à puce, les télécoms...), qui constituent d'heureuses exceptions à la suprématie américaine, mais surtout un socle multiséculaire de connaissances, source d'expertise et de sagesse qui correspondent aux degrés ultimes de valorisation de l'information.

Cette expertise (par exemple dans le domaine médical ou celui de l'urbanisme...) doit pouvoir être exploitée sur les réseaux.

L'avènement de l'Euro et du marché unique peuvent par ailleurs créer une dynamique sur notre vieux continent et contribuer, en resserrant les liens entre ses nations, à en faire une base mieux ancrée sur son socle culturel multiséculaire au milieu des turbulences déclenchées par la crise asiatique, dont les Etats-Unis pourraient souffrir plus que nous-mêmes.

La somme des expertises donnant la sagesse, l'Europe peut retrouver pour le troisième millénaire la place qu'elle a perdu il y a quelques décennies et qui l'avait fait constamment éclairer le reste du monde depuis le début de l'histoire moderne.

Si nous étions dans un monde où la puissance d'un pays se mesurait encore à sa capacité de lever des armées ou au nombre de ses producteurs et de ses consommateurs, la messe serait dite et notre démographie nous entraînerait inexorablement vers la déchéance et l'effacement.

Comme je l'ai dit à plusieurs reprises dans ce rapport, pour la première fois dans l'Histoire de l'Homme, la puissance se déconnecte du nombre, avec la Société de l'Information.

Demain, le rang des Nations ne se fondera plus essentiellement sur le nombre de ses habitants ou de ses soldats, ni son potentiel de production de biens matériels mais bien sur sa capacité d'ajouter des savoirs à un signal (une information) donc de valoriser son expertise et son haut niveau de sagesse.

Le pouvoir vient aujourd'hui du savoir et la puissance économique est de plus en plus dépendante aujourd'hui de facteurs immatériels, tributaires de l'intelligence humaine.

Or l'Europe n'en est pas, loin de là, dépourvue !

Comment réussir notre rattrapage dans la course aux nouvelles techniques d'information et de communication ?

La société de l'information ne se décrète pas - son édification part de la base mais ne peut être ignorée du sommet, sous peine de voir les communications horizontales, qui se développent spontanément, remettre en cause les circuits hiérarchiques verticaux d'information et de décision, sans même que nos plus hauts responsables ne s'en aperçoivent.

Les pyramides sont ébranlées dans leur fondement, les alvéoles éclatent.

Le recul des corps représentatifs (parlementaires, syndicats, représentants patronaux, etc.) constaté depuis plus de deux décennies dans l'opinion pour laisser de plus en plus place à des mouvements spontanés (relayés et amplifiés par les médias) s'appuyant sur des approches nouvelles de l'intérêt général (organisations non gouvernementales, associations, coordinations, etc.) mettent en évidence que nos structures pyramidales ne permettent plus aux représentants officiels de notre Société de prendre conscience, en temps utile, des attentes réelles des citoyens.

- La construction de la société de l'information est une oeuvre collective , à laquelle, comme jadis, pour celle des cathédrales, chacun peut apporter sa pierre.

- L'élaboration de la société de l'information est, enfin, une création permanente et complexe, qui ne repose pas sur des recettes miracles.

Le système éducatif et les entreprises en constituent, on l'a vu, les deux principaux piliers, les usages grand public devant se développer de surcroît.

La confiance en est le ressort.

Elle représente ce qui, moralement, nous fait le plus défaut, pour des raisons liées à notre passé.

La genèse de la société de l'information vient, en effet, de loin.

Or, l'histoire de la France présente, par rapport à celle d'autres pays, des singularités, étudiées dans ce rapport, qui ont conduit à en faire, à bien des égards, une société de défiance : une grande diversité géographique, culturelle et ethnique, de nombreux troubles (invasions - que n'ont pratiquement jamais connues les Etats-Unis et l'Angleterre, guerres, révolutions) nous ont conduit à nous retrancher derrière un Etat fort et centralisé.

Le modèle d'organisation hiérarchisée de l'Eglise catholique, à laquelle était liée la majorité des Français, nous a certainement aussi influencés dans le même sens.

Les valeurs de nos élites, enfin, fondées sur l'honneur et un manque d'intérêt marqué pour tout acte lié à l'argent, n'ont certainement pas favorisé le développement, dans notre pays, du commerce et de l'industrie, d'où les interventions de l'Etat dans ces domaines.

En bref, le centralisme, le dirigisme, les cloisonnements hiérarchiques et sociaux qui nous caractérisent constituent autant de sources d'inhibition susceptibles d'entraver notre entrée dans la société de l'information.

Mais l'espoir doit demeurer :

Notre potentiel est, en de nombreux points, remarquable.

Notre histoire économique a toujours été marquée par des alternances de phases de retard et de rattrapage. Les dernières études dont j'ai pris connaissance montrent que les français sont de plus en plus nombreux à vouloir entrer dans l'ère d'Internet. Les succès de certaines de nos PME dans le domaine des Nouvelles Technologies de l'Information sont éclatants.

La priorité doit aller à tout ce qui peut favoriser l'éclosion de nouvelles sociétés innovantes, créatrices de ces technologies, ainsi qu'à leur apprentissage dans le système éducatif.

L'enjeu en est capital puisque le pouvoir est aujourd'hui fondé bien davantage sur le savoir (qui permet - on l'a vu- de déconnecter la puissance du nombre) que sur la richesse ou la force.

Il faut absolument faire confiance à nos entreprises. Il ne doit pas y avoir de demi-mesure, s'agissant de soutenir celles qui innovent dans des secteurs d'activités à forte croissance liés aux TIC. Leur cause vaut bien, d'un point de vue fiscal, celle du cinéma et de l'audiovisuel ou des chantiers navals, pourtant, récemment encore, beaucoup plus favorisés. L'Etat risque, à terme, d'être bien plus largement récompensé de ses largesses, sous forme de recettes et de cotisations supplémentaires, s'agissant d'activités où les échecs sont plus rares que la moyenne et les progrès économiques plus rapides.

Mais, sous prétexte que la valeur ajoutée se trouve désormais davantage dans les contenus et les services, il ne faut pas se désintéresser de l'industrie.

Les études de l'OCDE montrent, en effet, que s'il est vrai, globalement, que l'industrie perd des emplois tandis que les services en gagnent, les pays ayant obtenu les meilleurs résultats sont ceux où, dans l'industrie, les créations dans les secteurs de haute technologie sont venus atténuer les effets défavorables des diminutions d'effectifs dans les secteurs traditionnels.

Quoi qu'il en soit, les modalités et les objectifs des interventions de l'Etat doivent impérativement évoluer.

Les méfaits du colbertisme, qui aggravent le mal (les carences d'initiative prévue) qu'il est censé guérir, ont depuis longtemps été dénoncés : en commençant par Turgot (« laissez-les faire, voilà le grand, l'unique principe ») jusqu'à l'époque des réseaux téléphoniques et de l'informatique.

Les dysfonctionnements et les retards des télécommunications étaient imputés à « l'incapacité industrielle de l'Etat » (titre d'un rapport parlementaire de 1920) ou aux pyramides administratives, refusant de donner aux ingénieurs les moyens financiers du rattrapage qui s'imposait avant les années 1970.

Quant à l'informatique, elle était jugée, on l'a vu, « malade de l'Etat », par un ancien responsable de Bull.

Il y a certes eu des exemples réussis de politique de l'offre dont le rattrapage téléphonique, le Minitel en est le plus remarquable.

Ces succès sont donc des exceptions qui confirment la règle.

L'Etat doit ainsi, à mon sens, cesser toute ingérence dans les domaines ouverts à la concurrence où il s'est, avec constance, montré incompétent depuis plusieurs siècles.

Là où l'initiative privée a été dès l'origine associée à l'innovation (cas de l'électricité, de l'automobile ou de l'aviation) notre pays a su jouer au départ un rôle pionnier puis conserver une place de premier plan.

Dans d'autres domaines (machine à vapeur, chemins de fer, téléphone et chimie de synthèse) un pilotage par l'Etat a pu permettre de rattraper notre retard, s'agissant de secteurs dans lesquels les nouvelles technologies étaient déterminées par l'offre.

S'agissant en revanche de l'informatique, dominée par la demande et centrée sur le client, l'échec de la démarche colbertiste a été patent. Lourde machine de gestion administrative et de traitement de l'information, et attribut, en tant que telle, d'un pouvoir centralisé, l'ordinateur est devenu par la suite un outil personnel et un moyen de communication adapté à des systèmes décentralisés et répartis dans des réseaux : notre incapacité à anticiper, ou même à suivre cette évolution n'est-elle pas liée à la rigidité de notre conception surannée de l'autorité ?

Il nous faut cependant des Etats forts pour contraindre, lorsque cela est indispensable, les principaux acteurs du marché à respecter certaines règles d'intérêt général. Les limites imposées aux Etats-Unis à Microsoft en sont un exemple...

Il importe, notamment, au niveau international comme à celui de chaque Etat que :

- l'information soit accessible à tous sans que quiconque puisse s'en arroger le monopole ;

- tous les outils logiciels permettant d'y accéder (navigateurs et moteurs de recherche aujourd'hui, interfaces homme-machine permettant la reconnaissance de la parole et de l'écriture demain, outils de traduction automatique) soient mis, à des coûts marginaux, à la disposition de tous .

- tous les citoyens puissent accéder à de nouveaux savoirs.

L'Etat et les services publics seraient gravement sanctionnés par leurs administrés dans la société de l'information s'ils ne les mettaient pas au centre de leurs préoccupations faisant de l'élève le personnage essentiel de l'éducation nationale, du malade, celui de l'hôpital, le citoyen celui de l'Etat, etc..

Si, d'autre part, les pouvoirs publics persistent, du haut de leurs pyramides, à entraver par une réglementation tatillonne et une fiscalité confiscatoire l'émergence et le développement en France de sociétés innovantes dans le domaine des technologies de l'information, notre pays risque de se trouver privé de ses élites entreprenantes et vidé de sa substance intellectuelle et culturelle, au profit d'autres nations plus clémentes.

Le saignement provoqué ces dernières années par le départ à l'étranger de plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes pourrait alors évoluer vers une hémorragie fatale.

Un récent sondage (Enquête Louis Harris réalisée en Janvier 1998) ne vient-il pas de révéler que 64 % des jeunes français âgées de 18 à 24 ans souhaitent (plutôt ou tout à fait) travailler ailleurs que dans leur pays (dont 27 % aux Etats-Unis) ?

Nos dirigeants qui, après l'invention de l'imprimerie, ne pressentirent pas le vent de la Réforme, ont-ils réalisé aujourd'hui que la toile des réseaux qui se tisse actuellement sur notre planète va plus profondément bouleverser notre culture et nos sociétés que toutes les précédentes ruptures technologiques ?

L'accroissement de la mobilité des hommes est l'une des caractéristiques de la construction du village planétaire global qui s'effectue sous nos yeux. C'est pourquoi le phénomène de fuite de nos élites qui s'est amorcé et se poursuit depuis plusieurs années doit être pris très au sérieux.

De la façon dont le communisme, conformément à la prophétie du Général de Gaulle, a été absorbé par la démocratie, comme l'encre par le papier buvard, nos structures pyramidales ne risquent-elles pas de se dissoudre dans les réseaux qui relient spontanément leurs bases, sans même que les responsables placés aux différents niveaux de leur hiérarchie ne s'en aperçoivent ?

Le danger pour elles est d'autant plus grand que les réseaux horizontaux se révèlent plus aptes à relever les défis du futur que les organisations verticales.

Rendre l'information universellement accessible et permettre à tous d'accéder à de nouveaux savoirs, remettre l'administré au premier rang des préoccupations de l'administration et l'usager de celles des services publics, là doit s'arrêter le rôle de l'Etat.

Son autorité sortira renforcée de ce recentrage de ses missions sur l'exercice de ses prérogatives régaliennes traditionnelles, la régulation des activités nouvelles, la préservation de l'intérêt général.

L'inclusion du libre accès à l'information dans la définition du service universel, garantie par les Etats, devrait faire l'objet d'un consensus international.

Ce droit à l'information doit bénéficier aussi, par exception à l'imperium des seules lois du marché, aux pays les plus pauvres de la planète.

Si l'information, minerai de base de la nouvelle économie, doit donc être ainsi rendue accessible à tous, gratuitement ou à des coûts marginaux, il importe, pour créer une véritable économie de l'information, de conférer une valeur marchande appréciable aux produits de haute valeur ajoutée que sont la connaissance (information enrichie de savoirs) et l' expertise (connaissance à laquelle on a ajouté l'expérience).

La rémunération de ces services contribuera ainsi largement au financement des infrastructures qu'ils nécessitent.

Les métiers de la nouvelle société en train de naître consisteront essentiellement à ajouter du savoir à l'information. Rares seront les pays qui, comme ceux de notre vieille Europe, pourront s'appuyer sur un socle multiséculaire de connaissances pour parvenir à l'expertise, qui est le couronnement de l'expérience, autrement dit, la consécration du temps.

Tous les dirigeants concernés devraient donc consacrer l'essentiel de leur énergie à bâtir une Europe de l'information.

Les nouveaux média ont, de l'avis général, hâté l'écroulement du mur de Berlin.

De la même façon, on peut penser qu'Internet peut contribuer à préserver la paix et à implanter la démocratie, dans les pays qui ne la connaissent pas encore, sur l'ensemble de la planète.

L'histoire des média nous a montré que l'essor d'une technique qui devient un moyen de communication est irrésistible.

C'était vrai de l'imprimerie - ce l'est aujourd'hui de l'ordinateur, qui sans les réseaux, aurait pu ne demeurer qu'une simple machine à calculer ou à traiter l'information.

La miniaturisation des supports d'information et de communication (le livre, le micro-ordinateur), en les rendant personnels et portables, joue ainsi un rôle très important.

Il y a, on l'a vu, de nombreuses et fortes interactions entre les découvertes et leurs usages (qui les suscitent, puis les transforment et déterminent leur avenir).

Il en va de même, en général, des relations entre l'outil et l'intelligence humaine.

L'outil, produit des facultés intellectuelles humaines, va, en retour, les stimuler dans un mouvement que les progrès continus de la technique et de l'intelligence tendent à rendre perpétuel.

Aujourd'hui, la puissance des outils de traitement de l'information et de communications disponibles, et, plus encore, la complexité qui résulte de leur diversification et de leur hétérogénéité, lancent un véritable défi à l'esprit humain.

Seul un investissement immatériel, considérable et croissant, peut permettre de le relever.

Mais il importe aussi de développer des pôles de convergence dont le protocole Internet, le langage Java ou les techniques ATM, donnent une illustration.

Souvent, des métaphores horticoles, végétales ou botaniques, ont été employées dans cet ouvrage.

Si la société de l'information était un espace vert, ce ne serait ni un jardin à la française, ni, non plus, une jungle ou une friche.

Des espèces luxuriantes, à croissance rapide, y foisonneraient, certaines résulteraient d'hybridations (le multimédia) ou auraient d'abord été cultivées dans de petits terrains, bien amendés, (les PME), ou dans des serres ou des pépinières (essaimage). De vastes allées (les réseaux) et des canaux d'irrigation (capital risque) permettraient d'y accéder et de les entretenir - chacun pourrait y cueillir les fleurs de son choix.

Pour qu'un nouveau média, comme le livre, la presse ou Internet s'impose, il faut, on l'a vu, que se rencontrent une technique, un public (le marché), des entreprises (intermédiaires entre l'offre et la demande) et une culture (pour que des contenus puissent se développer).

Mais il faut aussi que tous ces acteurs adhèrent à des valeurs communes faites, dans la société de l'information d'aujourd'hui, d'esprit d'ouverture et de partage.

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